Mémoire Master 2

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EXPOSER/NARRER NARRER/EXPOSER

NOÉMIE GENDRON ENSA PARIS-VAL DE SEINE // 2013-2014 // MASTER 2 // DIRECTEUR DE MÉMOIRE : ARNAUD SOMPAIRAC



« Chaque fois, une exposition est une sorte de question posée. » Christian Boltanski

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«E

INTRODUCTION

« Eileen Gray », seulement un nom sur une cimaise. Plus loin, « Dali », l’exposition que nous devions aller voir en ce mois de mars. La file d’attente nous narguant, nous nous sommes arrêtés devant le nom qui nous était inconnu et, nous nous décidâmes. Passés le seuil de l’exposition, nous parcourûmes un espace étranger. Le monde qui s’offrait à nous, s’organisait autour du travail de cette femme designer. Nous avancions attentif, curieux et nous découvrions petit à petit l’histoire, l’histoire du travail de cette irlandaise à travers ses créations et une ambiance singulière. Une histoire nous était contée.

« La manière de raconter une histoire importe autant que l’histoire elle-même. »1 Ainsi selon Philip Hughes, le plus intéressant c’est la façon dont l’histoire est narrée. Mais de quelle histoire parle-t-il ? Cette sentence, extraite de son ouvrage de Scénographie d’Exposition, introduit la notion de narration au cœur des expositions, de leur fabrication mais aussi de leur réception. Un lien entre narrer et exposer en est alors dégagé. C’est d’ailleurs à partir de ce pressentiment et de cette citation que s’est enraciné le raisonnement à venir. Cette relation peut être très vite légitimée, car si nous en croyons les définitions du Larousse, narrer c’est « exposer, faire connaître par un récit vivant, détaillé », et exposer c’est « mettre des objets en vue, les présenter aux regards ». Plus loin, nous pouvons aussi lire qu’exposer c’est « faire connaître par la parole ; décrire ». D’un point de vue indéniable, celui de la sémantique, nous apprenons que les deux notions se répondent. D’ailleurs Philip Hughes ajoute, que la stratégie d’exposition « prend la forme d’une histoire complexe [en] s’appuyant sur des recherches approfondies »2. On comprend alors que s’il y a corrélation entre les notions « exposition » et «narration», il y a aussi dépendance de l’une vis-à-vis de l’autre. L’exposition aurait semble-t-il, besoin de la narration pour s’écrire. Alors, si l’exposition à recours à la narration, en quoi (et dans quelle mesure) la narration permet-elle de faire fonctionner l’exposition ? Pour répondre à cette question, nous nous appuierons sur trois exemples d’expositions qui impliquent toutes la présentation du mobilier. Nous développerons notre réflexion de ce point de vue pour, en conclusion, généraliser ce propos à l’ensemble des expositions. La sélection d’exemples s’est très vite portée sur trois expositions de mobilier visitées, dans le souci de les analyser chacune au même titre. A partir de mêmes motifs de comparaison, nous pourrons raisonner judicieusement. Par ailleurs le mobilier, ou cet objet trois dimensions se prête à une plus grande richesse de dispositifs scénographiques que les peintures, croquis, affiches, documents ou autres images ce qui justifie que notre choix ce soit porté sur cette catégorie de collection. Il est aussi intéressant car il est à la fois, sujet à la recherche esthétique mais aussi objet usuel. Nous dévoilerons d’autres intérêts à étudier cette question, autour de l’exemple des expositions de mobiliers, au fur et à mesure de notre réflexion. De ce fait, notre choix s’est porté en premier lieu sur l’exposition permanente du Pavillon Amont au Musée d’Orsay, ensuite sur l’exposition temporaire « Take a Seat » de Jasper Morrison aux Arts Décoratifs, qui a eu lieu en 2009, et enfin sur l’exposition temporaire « Eileen Gray », récemment achevée au Centre Pompidou. Si ces trois exemples ont un point commun, le mobilier, les expositions se distinguent par le lieu qui les accueille, mais aussi pour leur temps de représentation (permanent/temporaire). Nous pourrons ainsi noter plusieurs narrations et leurs différents fonctionnements dans les expositions. Pour en arriver là, nous nous appuierons sur les catalogues d’exposition disponibles, sur des publications, photographies, éléments graphiques issus du travail scénographique (plans, coupes, perspectives schémas…). Les dires de scénographe que j’ai eu l’opportunité de rencontrer et d’interviewer, éclaireront notre analyse. L’analyse qui suit sera explicitée par de nombreux schémas, croHUGHES Philip, Scénographie d’exposition, Ed. Eyrolles, 2010, p30. 2 HUGHES Philip, Scénographie d’exposition, Ed. Eyrolles, 2010, p74. 1

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« Eileen Gray », L’exposition, Centre Pompidou, 20 Février- 20 Mai 2013.

« Take a Seat » Jasper Morrison, Arts Décoratifs, 2009.

Pavillon Amont, Collections Permanentes, Musée d’Orsay, 2009.


quis permettant d’illustrer et de compléter par l’image le propos rapporté. De plus, notre réflexion sera largement guidée et enrichie par trois ouvrages théoriques portant sur la scénographie des expositions. Le premier d’entre eux est «L’exposition à l’œuvre» de Jean Davallon, le second « L’art : une histoire d’expositions » de Jérôme Glicenstein et enfin l’œuvre de Philip Hughes que nous avons déjà eu l’occasion de citer, « Scénographie d’exposition ». Si la narration fait incontestablement partie de l’exposition, nous verrons à travers les trois premières parties dans quel contexte et par quels moyens techniques la dimension narrative se fabrique dans l’exposition. De cette façon, le propos sera développé à partir de données générales (ambiances...) pour se préciser avec l’analyse de disposifs. Notre point de vue partira du plus général au plus particulier. La dernière partie sera quant à elle, l’occasion de noter quels sont les effets de tels dispositifs narratifs dans l’exposition, de synthétiser, de conclure et de rebondir sur un raisonnement de l’ordre de l’exposition dans son ensemble. Dans un premier temps, il sera question du monde de l’exposition, cette entrée dans la narration. Nous nous concentrerons sur le passage de ce monde à travers son accessibilité, son seuil ainsi que des comportements réclamés dans ce nouvel univers. Nous traiterons aussi, après l’entrée, de l’immersion dans ce milieu spécifique, en étudiant les ambiances, les référents de l’immersion, et de l’espace sensoriel. Dans un second temps, nous parcourrons l’espace de l’exposition pour suivre et analyser par différents procédés le récit. Nous étudierons la qualité du parcours proposé dans chacune des expositions, par son mode de déambulation, sa rythmique, et le temps qui lui est consacré. Puis nous analyserons, toujours dans cette seconde partie, l’articulation voire l’adéquation du discours-parcours, grâce au choix particulier de la classification des pièces, de la trame narrative adoptée mais aussi de la composition sous la contrainte architecturale. Dans un troisième temps, nous explorerons la fabrication à proprement parlé de l’espace de la narration destinée à l’exposition. Nous y examinerons les modes de présentations de la collection, tels que les socles, la contextualisation des objets et le travail de la lumière, sans oublier les outils de la pédagogie : les signalétiques, les ponctuations documentaires ou même les ouvrages consultables. Enfin dans la quatrième et dernière partie, nous prendrons de la hauteur par rapport à la fabrication de l’espace d’exposition en s’attachant à l’expérience et à la réception du public. Nous noterons l’éveil du public par sa réception et son interprétation, et cela grâce à son implication, son expérimentation pour le bon fonctionnement de l’exposition. Mais c’est aussi par l’appropriation des objets, de l’espace proposés et de l’interprétation d’une narration dans l’exposition, que le visiteur stimulera sa curiosité. Toujours dans cette dernière partie, pour clore cette analyse, nous aborderons la perception de l’espace d’exposition et son fonctionnement avec la narration où il devient ainsi un monde sensé et sensible. Enfin nous élargirons notre propos autour de nouvelles interrogations sur le visiteur face à cette narration. La scénographie d’exposition est une discipline de l’architecture qui requiert une grande attention sur la dimension sensible du dessin de l’espace. Le choix de cette thématique pour le mémoire, fait suite aux séminaires auxquels j’ai assisté en première année de master. Elle lie aussi le cursus d’architecture qui se finit avec une précédente formation dans les arts appliqués dont les préoccupations spatiales convoitaient la dimension sensible de l’espace dont nous aurons l’occasion de parler dans cette analyse et cette déduction. Parler de cette thématique, c’est aussi déjà réfléchir sur une pratique qui pourrait constituer une réflexion dans le projet de fin d’étude dont l’intitulé est « lieux de cultures alternatifs » mais aussi dans n’importe quel autre projet d’architecture pour ce qui concerne sa dimension narrative et l’élaboration de ses scénarios.

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« Eileen Gray », Salle Jean Désert, Banquette, Table à trombonne, Suspension...

Jasper Morrison, Ply Chair, Air Chair.

Pavillon Amont, «Décors modernes» : les Nabis.


AVANT-PROPOS Cet avant-propos a pour objectif de situer le contexte des expositions qui nous serviront d’exemple durant cette analyse mais aussi de décrire certains aspects généraux pour mieux les cerner. LES EXPOSITIONS DE MOBILIER. Les expositions de mobilier dont nous parlerons plus tard, ne sont pas revendiquées comme telles. Si leurs pièces se réfèrent bien au monde de l’objet c’est souvent l’occasion de parler du travail d’une personne, de la pensée d’une époque, d’une culture particulière d’un pays, ou tout simplement d’un courant artistique. Dans ce même domaine du mobilier exposé, nous retrouvons divers angles d’approche. Le mobilier, est un objet qui, par définition est en trois dimensions, comme les chaises, autres sièges, guéridons, tables, commodes… Sous ces formes les plus variées le mobilier est alors d’une grande richesse pour la conception des dispositifs de présentations scénographiques. Leur rapport à la lumière, aux jeux d’ombres, au corps humain, aux détails de la matière, à la couleur sont autant de données qui peuvent influencer et engendrer des fabrications différentes de soclages, cimaises, vitrines ou accrochages. La chaise, exemple le plus récurrent voire des plus banals, est pourtant le plus parlant. Elle se décline sous toutes les formes, et peut entrainer avec elle un nombre tout aussi important de type de présentations. Un même objet, une même catégorie d’objet, sera alors pour nous une base de réflexion des plus riches, et non un aperçu restreint de la pratique scénographique. TROIS EXPOSITIONS Au cours de cette réflexion notre intérêt se portera plus précisément sur trois expositions. Chacune d’entre elles présentent donc le même point commun : l’exposition de mobilier. Pourtant ce point commun ne les empêche pas de se distinguer largement. Si les expositions ont été délibérément choisies pour la façon dont elles traitent le mobilier c’est aussi pour ce dont elles se distinguent. Nous notons que les grandes institutions parisiennes qui les accueillent mais aussi leur temps de représentation (permanent/temporaire) sont différents. Cet avant-propos est l’occasion pour nous de les présenter, pour ensuite dans notre réflexion les analyser judicieusement. Nous ajouterons que ce préalable n’a pas pour ambition d’explorer ces expositions de manière exhaustive. « Eileen Gray », L’exposition, Centre Pompidou, 20 Février- 20 Mai 2013. « Eileen Gray » est la première rétrospective française qui rend hommage à cette créatrice, au Centre Pompidou en 2013 par la scénographe Corinne Marchand, en même temps que l’exposition Dali qui connut un franc succès grâce à une notoriété déjà bien installée. Longtemps méconnue du grand public, c’est l’occasion de mettre en lumière une artiste mystérieuse et indépendante, aux multiples talents : le dessin, la peinture, la laque, la décoration intérieure, l’architecture, la photographie… L’exposition, retrace tout le parcours d’une femme designer irlandaise, qui vécut de 1878 à 1976 et passa une bonne partie de sa vie en France. Le travail d’Eileen Gray sera souvent divisé en deux par les critiques s’inscrivant d’un côté dans les arts décoratifs et de l’autre dans l’architecture moderniste. Le Centre Pompidou dira à propos de ces réalisations qu’elles expriment « toutes les formes de la vie intérieure, avec

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le souci de traduire et de satisfaire les sentiments universels, tout en ne prenant en considération que « l’homme d’une certaine époque avec les goûts, les sentiments et les gestes de cette époque» »3. Cette exposition s’inscrit au moment où la question de l’indépendance de la femme réapparait dans notre société. La quête d’inspiration et la combinaison des savoir-faire, les modes d’expression, les techniques ou combinaisons artistiques, qu’elle puise dans de multiples disciplines se réinscrivent aujourd’hui dans la mouvance de notre époque. Elle vante le décloisonnement des disciplines artistiques. Ainsi, la vie d’Eileen Gray, croise le chemin des plus grands architectes, artistes, galeristes de son temps. A travers son œuvre, c’est toute une époque que l’exposition retrace. Les collections présentées sont celles du Musée d’art moderne, mais aussi de musées pour la plupart irlandais et de quelques collectionneurs privés. A l’issue de cette rétrospective parisienne, l’exposition se déplacera à l’Irish Museum of Modern Art de Dublin. La restitution du travail d’Eileen Gray prend la forme de period rooms et note cette volonté d’un art et d’une conception totale. « Take a Seat » Jasper Morrison, Arts Décoratifs, 2009. Une toute autre exposition temporaire a eu lieu aux Arts Décoratifs quelques années auparavant, en 2009, au sein d’une seule et même salle, « Jasper Morrison : Take a Seat». La diffusion publicitaire de l’évènement est plus confidentielle que l’exposition portant sur Eileen Gray, au Centre Pompidou. L’exposition retrace un extrait, un échantillon de sa pratique de designer à travers vingt et une chaises. C’est l’occasion de faire connaitre au grand public, un travail qui pour beaucoup de designers est une référence. Dans le milieu du design, sa réputation n’est plus à faire, il a reçu plusieurs récompenses dont le titre de Royal Designer for Industry en 2001 à Londres. Il revendique son anonymat et son effacement aussi bien dans la vie que dans l’exercice du design et se dit « serviteur de l’objet ». Le travail de ce designer est marqué par la quête de l’objet parfait, de la chaise parfaite en ce sens qu’elle répondrait parfaitement aux usages auxquelles elle est destinée. Son mobilier est connu pour être fonctionnel, sobre et synthétique. En 2006, il organise pour la triennale de Milan une exposition intitulée « Super Normal ». Il est possible de lire dans les publications qui traitent du travail de Jasper Morrison qu’il n’est pas bavard, pas plus que ses chaises qu’il affectionne tout particulièrement. La scénographie des plus minimales, dont nous aurons l’occasion de reparler largement, est pensée par le designer Jasper Morrison lui-même. Les Arts Décoratifs lui ont laissé carte blanche. La particularité inhabituelle de l’exposition, c’est la possibilité laissée au visiteur de « prendre place », de s’assoir sur l’une ou plusieurs des vingt et une chaises exposées. Le mobilier exposé est uniquement composé de ses chaises, qui occupent une très grande place dans son travail. Pavillon Amont, Collections Permanentes, Musée d’Orsay, 2009. Réhabilité par les Ateliers de l’île, le Pavillon Amont, accueille aujourd’hui des collections permanentes du Musée d’Orsay jusqu’alors invisibles, telles que les grands formats de Courbet au rez-de-chaussée, au deuxième étage les nabis et leur décors, le troisième et quatrième étage, les arts décoratifs des écoles étrangères (Vienne, Glasgow, Europe Centrale, etc…), et enfin au dernier niveau un espace de repos et de contemplation orné de la grande horloge des vestiges de l’ancienne gare. Le Pavillon Amont maintenant transformé constitue alors une entité à part entière permettant de relier la nef au cinquième et dernier étage qui mène 3

Citation extraite de la courte présentation faite de l’exposition sur le site internet du Centre Pompidou.

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aux impressionnistes. Les niveaux où sont présentés les différents mobiliers des arts décoratifs qui nous intéresserons, seront le deuxième, troisième et quatrième étages. Ils abordent les années 1900 de manière géographique. Dans cette partie, les salles ont subi une large transformation dégageant de vaste espace d’exposition et une grande lisibilité de l’ensemble. Les volumes sont simplifiés pour donner l’accent à la mise en valeur des œuvres. Au deuxième étage, le mobilier des Nabis et leurs décors associés, sont destinés principalement aux pièces de réception d’habitation privée, aux théâtres et parfois même aux lieux de cultes. Les ensembles présentés dans le Pavillon Amont sont signés des plus grands : Bonnard, Vuillard, Denis, Roussel ou Redon, selon les préceptes nabis. Les aplats colorés, l’expressivité de la ligne, la saturation de l’espace, les abstractions suggestives s’exposent à travers les sièges, commodes, armoires, peintures, sculptures, créant un ensemble représentatif. Le troisième niveau, regroupe les arts décoratifs d’Europe centrale, du Nord et de la Scandinavie : le mouvement Art Nouveau. Le mobilier qui s’y expose est l’œuvre d’une nouvelle pensée sur l’identité nationale qui ferait participer des traditions ancestrales et les arts populaires au renouvellement des formes. Dans l’espace sont encore ici regroupé différents grands acteurs de ce mouvement : Peter Behrens, Richard Riemerschmid, Bruno Paul, Bernhard Pankok… Le quatrième et dernier niveau que nous prendrons soin d’étudier dans notre développement, est l’occasion pour le Musée d’Orsay d’exposer l’Art Nouveau, caractéristique de la Grande Bretagne, des Etats-Unis et d’Autriche. Leurs productions sont principalement artisanales. Ils fondent leur recherche sur l’étude de l’Art Gothique et se tournent vers des formes beaucoup plus rationnelles, et rigoureusement orthogonales. Les ensembles de mobilier exposés sur ce niveau sont l’œuvre d’Adolf Loos, Otto Wagner, Josef Hoffmann, Koloman Moser, ou encore de Charles Rennie Mackintosh, William Morris, et Franck Lloyd Wright. La particularité intéressante de cette exposition, nous conduisant à la choisir comme exemple pour cette réflexion, en dehors de sa qualité d’exposition permanente, est son rapport à l’architecture. Par ailleurs c’est la seule des expositions choisies qui regroupe et organise différents artistes, designers au sein d’un même espace.

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page 2 « Eileen Gray », Salle E 1027


I . Du monde extérieur, au monde de l’exposition : une entrée dans la narration

Passé le seuil de l’exposition c’est un univers didactique, une atmosphère fabriquée qui s’ouvre au visiteur. Dans cette partie, nous identifierons l’exposition comme un monde à part. Un monde de l’exposition distinct du monde quotidien dans lequel évolue les potentiels visiteurs. Davallon parle même « d’un monde transfiguré » autrement dit d’un monde qui aurait subi une transformation complète. Nous aborderons plus particulièrement le passage de ce monde de l’exposition, puis de l’immersion dans ce milieu particulier.

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LE PASSAGE DANS LE MONDE DE L’EXPOSITION

Le passage dans le monde de l’exposition se décompose en deux phases. La première se caractérise par la déambulation à travers des espaces intermédiaires qui précèdent l’entrée dans la zone d’exposition. Elle mène le visiteur devant l’entrée de l’exposition. La deuxième phase, quant à elle, représente précisément le passage dans le monde de l’exposition. Il se matérialise par le seuil. Son franchissement requiert une attitude spécifique, propice à un tel monde. Le visiteur dans un tel lieu doit alors se prêter à un code de conduite qui diverge avec celui du monde extérieur.

a // ACCÉDER À L’EXPOSITION

Accéder à l’exposition c’est aussi mettre dans une condition particulière le visiteur pour l’exploration du lieu tant attendu. Avec l’analyse des exemples suivants, nous verrons que ce processus est d’une part très important et qu’il raconte et révèle beaucoup de choses sur la dimension de l’exposition elle-même. A l’occasion de l’exposition d’Eileen Gray au Centre Pompidou, comme très souvent pour les expositions de cette institution, le cheminement jusqu’à l’entrée se fait long. Il faut alors gravir les différents niveaux du bâtiment pour accéder enfin au dernier étage qui dessert les deux expositions temporaires du moment : « Dali » et « Eileen Gray ». Un monde fou patiente pour accéder à la première tandis que pour la seconde, les visiteurs se font plus rares. Cette exposition se fait alors plus « confidentielle » que celle de Dali, qui connaitra une fréquentation record. Finalement ce fait en dit assez long sur l’exposition elle-même et en l’occurrence sur l’artiste dont l’œuvre est retracée : Eileen Gray une artiste discrète moins connue du grand public mais marquant assez son époque pour qu’on lui consacre une exposition à elle seule. De la même façon, voire même plus encore, l’exposition de Jasper Morrison aux Arts Décoratifs est aussi très confidentielle, tenue presque comme secrète. Peu de communication est donnée sur l’évènement. De plus, pour trouver le lieu de l’exposition c’est toutes les salles de collections permanentes et les différents étages qu’il faut alors traverser et parcourir pour enfin trouver celle qui fera l’objet de toutes nos attentions. Ce cheminement, la rencontre avec cette salle peut aussi se faire d’une toute autre manière : par pur hasard. L’exposition devient alors une véritable surprise inattendue. Là encore, l’exposition se mêle aux collections permanentes que le visiteur doit parcourir afin d’accéder à la présentation des pièces de Jasper Morrison. C’est alors la discrétion d’un designer peu bavard que l’on met délibérément en avant. D’autant plus que les expositions temporaires des Arts Décoratifs, n’ont pas toutes lieu dans le même espace, lorsqu’elles sont plus médiatisées. Le cheminement qui mène

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CIRCULATION DE COLLECTIONS EN COLLECTIONS. IRRIGUER LE PAVILLON AMONT.

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aux collections des arts décoratifs du Pavillon Amont est tout autre, en premier lieu par sa qualité d’exposition permanente. A ce titre l’exposition s’inscrit dans le parcours d’ensemble du musée. Pour rejoindre les pièces de mobilier du 19ème siècle, le cheminement traverse d’autres salles du musée. L’exposition fait elle-même office de cheminement pour les collections qui suivent, les collections phares du musée : celles des impressionnistes. L’exposition bénéficie et partage une signalétique percutante avec la galerie de l’impressionnisme.

Source : Ateliers de l’île, DÉCLOISONNER LE CIRCUIT DANS LE MUSÉE. IRRIGUER LE PAVILLON AMONT. Ainsi l’accès vers les présentations constitue une part non négligeable de la narration et de la perception qu’aura le visiteur de ces collections rassemblées en une exposition.

B // LE SEUIL

Une fois devant l’exposition, le seuil autrement dit le passage du monde extérieur au monde de l’exposition est un moment décisif, où le visiteur peut encore rebrousser chemin s’il n’est pas venu assister uniquement à cet évènement. C’est à ce moment que le comportement d’une personne lambda devient celui d’un visiteur attentif et curieux. Ce passage est particulièrement marqué dans l’exposition « Eileen Gray », le visiteur se plie au contrôle de son billet pour avoir le droit d’entrer. D’ici le visiteur ne perçoit que des bribes d’espaces, qu’il aura l’occasion de parcourir. Mais le voilà déjà qui entre dans la première partie de l’exposition. Sur les murs extérieurs de l’exposition est indiqué le titre de l’exposition « Eileen Gray » et un « Bonne visite » de la part des surveillants, nous signale l’entrée dans cet autre monde. Du dehors au dedans, il n’y a pas beaucoup de différence. Seul le traitement du sol change, un revêtement gris brillant. Les cloisons qui contiennent et protègent les collections, la lumière changeante sont les dispositifs qui marquent le plus l’entrée. Le seuil est fabriqué par les murs d’enceintes. Sur le vaste plancher du centre est créé un lieu clos, un monde du dehors, de l’agitation et un monde du dedans. Cette impression est moins perceptible pour l’exposition de Jasper Morrison, puisque comme nous l’avons déjà évoqué, nous sommes déjà dans les collections permanentes avant d’entrer dans l’exposition. Le seuil y est donc moins marqué c’est un passage de l’ordre d’une double porte qui marque l’entrée. Le traitement du sol, un parquet ne change pas, il file à travers les salles. Nous pénétrons dans cette exposition comme on entre dans n’importe quelle autre salle du musée. La monstration se fond dans le musée ce qui assoit une forme de discrétion de la part de Jasper Mor-

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LE SEUIL DE L’EXPOSITION «EILEEN GRAY», CONTRÔLE DES TITRES D’ENTRÉE.

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Pavillon Amont, Seuil d’entrée, un pallier informatif

rison. Au Pavillon Amont, c’est d’une part le changement de couleur qui signale l’entrée, mais aussi une cage d’escalier et un palier à la manière d’une desserte d’immeuble d’habitation classique qui jouent le rôle de seuil. Deux directions s’offrent aux visiteurs droite ou gauche. Dès lors un titre « Décors Modernes » accompagné d’un texte nous informe du contenu. Un tel seuil fabrique une évocation qui servira comme nous le verrons, la narration autrement dit l’histoire racontée dans cet espace. Il faut noter que ce palier se décuple car les arts décoratifs se répartissent sur trois étages. Ainsi à chaque niveau, nous avons la sensation d’entrer dans un nouvel espace, un intérieur. Des trois cas étudiés chacun dispose d’un seuil très différent, qui révèle beaucoup de la dimension donnée à l’exposition. Pour autant si cette fabrication est le fait du scénographe c’est très souvent l’architecture qui l’a conditionné. Ce seuil a une fonction prépondérante dans l’exposition, il va conditionner le visiteur sur la suite de sa visite mais surtout il va lui faire remarquer un changement : le passage dans le monde de l’exposition en question. Ce traitement du seuil apparait très sous-entendu, presque invisible mais pourtant bien présent dans l’inconscient. Il est important car il a pour rôle d’informer mais aussi de signaler. Mais que signale le seuil, si ce n’est une entrée vers un ailleurs ? Avec lui, nous le verrons, c’est un changement de conduite que le visiteur se doit d’adopter…

C // DU SEUIL À LA BONNE CONDUITE

Si le seuil conditionne le visiteur dans sa visite c’est aussi le moment où il indique que celui-ci doit adopter un comportement approprié. Il n’est plus question de marcher d’un point A à un point B mais de déambuler plus langoureusement pour aller à la rencontre des pièces exposées. Nous notons, dans nos exemples comme dans n’importe quelle autre exposition un changement de conduite du public entre le monde extérieur (quotidien) et celui de l’exposition. La personne lambda troque son statut pour celui de visiteur, de public. Dans ce changement, il accepte de se plier aux règles imposées par l’institution à l’intérieur de l’exposition. Nous relèverons les règles de bonne conduite, et noterons un potentiel changement d’attitude, qui pourrait encore une fois en dire long sur le contenu et le parti pris de l’exposition. Au Centre Pompidou comme pour le Musée d’Orsay, il est interdit de manger, ainsi que de prendre toutes sortes de photos avec ou sans flash. Les visiteurs sont aussi priés d’éteindre

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« Take a Seat », Asseyez-vous !!

« TAKE A SEAT », VINGT ET UNE CHAISE À ESSAYER

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Une signalétique pour une conduite appropriée.

leur téléphone mais surtout de ne pas toucher ou même de trop s’approcher des pièces exposées. Une distance est imposée, pour la protection des œuvres et d’ailleurs une alarme retentie au Centre Pompidou, si une personne ose un peu trop s’avancer. Le public oscille entre arrêt et marche lente, son manteau au bras, toujours debout, attentif et curieux face au mobilier. Pour l’exposition, des chaises de Jasper Morrison, c’est un tout autre comportement qui est réclamé. Finalement, rien n’est vraiment interdit, disons plutôt que l’on y autorise certaines choses que d’autres institutions ne tolèreraient pas. Jasper Morrison autorise une attitude identique à celle du quotidien et du monde extérieur en permettant au visiteur d’expérimenter les sièges présentés. Une conduite hors norme pour un tel musée. «Take a Seat» est scandé partout comme pour assurer le droit du visiteur de s’assoir. Il doit se comporter normalement. Voilà qui en dit long sur le ton donné à cette exposition, sur ce qui veut être dit et montré. Or si la conduite réclamée est celle d’un comportement naturel, cette attitude, tout à fait atypique dans un tel lieu, créé chez le visiteur comme une gêne, une hésitation. Nous aurons l’occasion de préciser ce point plus tard dans une partie consacrée à l’expérimentation et à l’implication du public. Le changement de comportement imposé par ces institutions dénote avec l’attitude des hommes dans leur quotidien. Il met en évidence l’écart entre ces deux mondes celui du quotidien et celui de l’exposition. Les deux premières institutions citées montrent bien que le visiteur doit être respectueux de ce qui lui est donné à voir. Il doit considérer l’œuvre comme possédant une grande valeur culturelle et cultuelle. La démarche développée y est très classique et commune. La bonne conduite à adopter est très révélatrice de la narration qui est donnée aux expositions. La rétrospective d’Eileen Gray est à comprendre sous la forme d’une œuvre méconnue précieuse et à découvrir, il en va de même pour les collections du Pavillon Amont. Alors que pour l’exposition aux Arts Décoratifs, de Jasper Morrison, rien n’est vraiment interdit si ce n’est de déplacer les chaises. Des attitudes sont permises afin de replacer l’objet dans son environnement initial. Ces chaises sont contemporaines aux visiteurs. Les pièces présentées ne sont donc pas celles de collections historiques à l’inverse de celles d’Eileen Gray ou du Musée d’Orsay. Ces dernières réclament un comportement approprié et forcemment différent. Par ailleurs, les règles de bonne conduite donnent un indice sur le type d’objet exposé : œuvre, mobilier iconique, collection historique, objet d’art, ou encore objet usuel. Ainsi le passage dans le monde de l’exposition est marqué par le cheminement jusqu’au lieu de monstration, par le seuil et par les premières indications sur le comportement à tenir durant la visite qui suivra. Comme nous l’avons vu, ces trois points révèlent déjà beaucoup des partis pris de la narration adoptés par les muséographes et scénographes dans la fabrication de l’espace d’exposition.

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1.2.

L’IMMERSION DANS UN MILIEU SPÉCIFIQUE

Dès lors que l’entrée est faite, que les premières informations sont parvenues aux visiteurs, voici venu le temps de l’immersion dans ce monde dépaysant. Les ambiances, les jeux d’évocations, et la création de l’espace sensoriel contribuent à fabriquer un espace narratif dans lequel le public s’immerge. Si nous disons de cet espace qu’il est narratif, c’est parce qu’il raconte une histoire donnant un ton particulier à l’exposition. La première partie qui suivra aura pour objectif de saisir l’ambiance et le caractère homogène des expositions. Nous noterons dans un second temps les évocations faites, par ces référents de l’immersion et enfin nous aborderons la question de l’espace sensoriel.

A // TROIS EXPOSITIONS, TROIS AMBIANCES DISTINCTES

L’ambiance est certainement l’aspect le plus parlant quand il s’agit de déceler la narration dans l’exposition, c’est elle qui en dit le plus long. Chaque exposition possède son ambiance propre, c’est ce qui la caractérise et la différencie d’autres expositions. C’est aussi et nous en parlerons plus largement plus tard, ce que l’on retient en premier de notre visite. Elle capte l’attention du public, lui donne un fil conducteur. Elle est conçue comme l’arrièreplan de la mise en scène des collections et du parcours du visiteur. Très vite au Centre Pompidou « Eileen Gray » ouvre un univers minimal, très pur ou la couleur blanche file le long de la visite. Ce blanc est un fil conducteur, il donne déjà à lui seul le caractère homogène de l’exposition. Des couleurs sont introduites de manière ponctuelle comme pour créer une animation, un repère coloré : bleu électrique, gris foncé, doré ou encore noir intense. Une douce obscurité transforme les blancs en gris clair et des lumières sont ponctuellement orientées sur les objets. De larges photos interviennent en fond comme pour immerger un peu plus le visiteur dans la création d’Eileen Gray et donner une plus grande réalité à l’espace fabriqué. Les cloisons sont basses et se succèdent pour former et fermer certaines zones. Elles laissent entrevoir les espaces qui suivent, par des fentes ou des joints creux. Elles font alors habilement transition d’un espace à l’autre. L’ambiance pure qui s’en dégage apparait très moderne. Il faut ajouter que les cloisons se succèdent selon une trame régulière et une oblique récurrente. Nous comprendrons très vite à quoi ces choix de couleur, d’organisation en plan se réfèrent. A contrario, s’il est facile de saisir une ambiance chez «Eileen Gray», il est plus difficile de qualifier ce qui se passe aux Arts Décoratifs avec Jasper Morrison. La salle reste sobre, dans son état initial et naturel. Du blanc aux murs, un parquet,

« Eileen Gray », Ambiance Salle sur L’art du Laque


« Take a Seat », Minimalisme et fonctionnalisme.

Le Pavillon Amont, dans la chaleur d’un intérieur bourgeois. aucun traitement surajouté ne vient perturber l’installation des chaises et leur dispositif de présentation. Ce dernier se caractérise par un agencement des chaises à même le sol. La salle est lumineuse, éclairée à la fois de lumière artificielle et de lumière naturelle contrôlée par un système de stores opacifiants. Le seul élément ajouté dans cette présentation, en dehors des sièges, est la signalétique collée directement sur les murs et le sol. Ainsi l’aspect général de la salle, d’une grande sobriété, s’inscrit dans la continuité du traitement des salles qui la précède. Jasper Morrison se situe dans l’économie de moyens et d’outils. Dans le Pavillon Amont, la couleur fait lien. Elle lie les trois niveaux qui présentent les nabis et les arts décoratifs, pour donner un sens de lecture et un caractère rassembleur. Un mauve sombre donne une note chaleureuse à l’espace. Le rouge signale les accès et informe. Les couleurs sont donc hiérarchisées, elles correspondent à un type d’espace et à la fonction qui lui est associée. L’ensemble est doucement sombre, géométrique. Des endroits offrent la possibilité d’une vue générale sur l’exposition et les collections. Les plateformes superposées livrent un jeu de reliefs qui donne à la salle un subtil mouvement. Ces expositions possèdent donc toutes un caractère sobre, en accord avec l’époque et ses usages, dans la lignée du « white cube ». Mais il n’en est rien face à l’exposition de Jasper Morrison qui va le plus loin dans cette conception d’un monde minimal, un monde normal, sans fioritures où la chaise exposée est le seul élément réellement rapporté, l’objet de toutes les attentions. L’ambiance donnée façonne un monde fabriqué de toute pièce qui se distingue du monde extérieur. Davallon ajoute dans ce sens que « visiter une exposition, c’est parcourir un espace artificiel »4. Les couleurs, les blancs, les éclairages, les dispositifs rajoutés contribuent à fabriquer une ambiance particulière et homogène le long de l’exposition. C’est un fil conducteur, qui provoque certaines réactions chez le visiteur. Elle est aussi d’une certaine façon la matérialisation de la narration. La dimension narrative s’exprime en grande partie à travers la fabrication d’une ambiance. Cette dernière serait façonnée par un premier niveau scénograDavallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p175. 5 Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p101. 4

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« EILEEN GRAY », L’ÉVOCATION DU PARAVENT ET SA MISE EN ESPACE.

LE PAVILLON AMONT, DE LA CONTRAINTE ARCHITECTURALE À L’ÉVOCATION.

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phique, correspondant à « un niveau plus convivial et/ou moins verbal »5 selon Glicenstein.

B // LES RÉFÉRENTS DE L’IMMERSION

Si l’ambiance dessine un univers immersif, elle joue beaucoup sur des évocations, des références au monde extérieur et quotidien que connait bien le public. Les expériences, le vécu sont réquisitionnés pour donner du sens à l’ambiance. D’une certaine manière, l’utilisation de ces référents, pour fabriquer une atmosphère particulière et immersive, écrit la narration de l’exposition. L’exposition « Eileen Gray », joue beaucoup avec des référents. L’élément majeur qui a d’ailleurs permis le dessin de l’exposition entière est directement sélectionné dans le travail de l’artiste. Ce point montre vraiment que la scénographie, la fabrication de l’espace d’exposition est au service de son sujet. La scénographe Corinne Marchand récupère une ligne typique, et récurrente dans l’œuvre d’Eileen Gray : l’oblique qui oscille avec une certaine recherche de géométrie. C’est pourquoi les cloisons se succèdent toutes parallèles, disposées de biais dans un rectangle parfait. Le plan joue alors d’évocations et de références. Cette oblique se retrouve précisément dans l’un des objets phares de cette exposition : le paravent (cf. image du paravent). Il a la particularité de se composer de petits éléments de bois en quinconce. Ce n’est pas le seul aspect retenu. L’enchainement de pans verticaux forme un tout qui se retrouve timidement dans la combinaison de cloison. Cette dernière fabrique l’espace de présentation des pièces. Le principe de l’objet qui se plie et se déplie à la manière d’un éventail est suggéré. D’autre part un jeu de hauteur de cloisons est remarquable. Celles qui referment l’exposition sont relativement hautes, mais à l’intérieur d’autres sont plus basses. Ici, c’est bien l’idée de l’intimité d’un habitat qui accueillerait le mobilier exposé, et lui étant destiné qui veut être évoqué. Le blanc rappelle son appartenance entre autre au mouvement moderne. Si les salles s’enchaînent sans que l’on ne s’en aperçoive vraiment, chacune possède une particularité qui illustre une référence au travail de la designer. Dans la première salle sur l’art du laque, c’est l’aspect précieux qui est évoqué par l’utilisation du doré et de soclage très protecteur. Dans une autre salle, la thématique parle de la galerie Jean Désert. A ce titre, la présentation des pièces se réfèrent plus à celle d’une galerie, avec une atmosphère générale plus froide. Ainsi les références ponctuent l’espace discrètement mais leur signification est assumée. Chez Jasper Morrison, toutes les œuvres sont présentées de manière équivalente, toutes disposées directement sur le parquet. Les chaises sont alignées et s’enchainent. On passe de l’une à l’autre mécaniquement, machinalement. Ce parti pris renvoie directement à la dimension industrielle des chaises exposées et à leur fabrication en série. L’univers de la salle est presque aseptisé renforçant cette idée. Tandis qu’au Pavillon Amont, c’est l’univers de l’intérieur bourgeois du 19ème siècle qui est évoqué, et cela par la couleur chaude utilisée, le parquet, mais aussi la hauteur sous plafond. S’agissant du mauve, celui-ci file sur les trois niveaux, mais on le retrouve aussi sur les cloisons, vitrines ou socles. Ainsi l’environnement d’exposition est uniformisé pour témoigner l’appartenance à une même époque et une même destination : l’intérieur bourgeois. Revenons-en à la hauteur sous plafond car celle-ci nous plonge aussi dans l’intérieur d’une habitation ordinaire. Pourtant celle-ci n’est pas un choix délibéré, c’est une contrainte architecturale avec laquelle la scénographie a été obligée de composer. Pour cela du sens a été donné à cette contrainte et c’est certainement en fonction de celle-ci que s’est développé le parti pris général sur l’ambiance. La contrainte architecturale est une véritable question lors de l’aménagement et l’agencement d’une exposition. Si le mobilier art décoratif du Musée d’Orsay fabrique une narration à partir de celle-ci, ce n’est pas tout à fait pareil pour les deux autres exemples. Au Centre Pompidou le plancher libéré de porteurs, permet à la scénographie de s’affranchir de ce genre de contrainte. En revanche pour Jasper Morrison, nous remarquons que la disposition des sièges suit parfaite

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ment la configuration de la salle, pour laisser une circulation autour des pièces. Ici l’architecture existante, et ses particularités sont à peine gommées, « on fait avec », la salle est utilisée uniquement pour ses facultés fonctionnelles. Alors que dans le cadre du Pavillon Amont ce qui aurait dû être un problème devient une possibilité d’évocation puissante : un atout. Des approches différentes avec ces trois exemples autour de cette question des référents de l’immersion sont à noter. Chez « Eileen Gray » cette immersion par le référent est peutêtre simple dans son exécution, mais elle a le mérite d’être très claire voire illustrative. De la même manière l’immersion au Pavillon Amont joue d’évocations simples et universelles. Dans « Take a Seat », les référents de l’immersion sont plus sous-entendus peut-être car il y a moins d’éléments plastiques visibles et fabriqué dans ce sens. Pour autant, les références sont belles est bien lisibles Cette recherche de références et d’évocations permet au public de complètement s’imprégner dans l’espace d’exposition. Elles engendrent une compréhension de la part du visiteur, elles le provoquent et le font réagir puisant dans son vécu et son expérience. Des approches différentes avec ces trois exemples autour de cette question des référents de l’immersion sont à noter. Chez « Eileen Gray » cette immersion par le référent est peutêtre simple dans son exécution, mais elle a le mérite d’être très claire voire illustrative. De la même manière l’immersion au Pavillon Amont joue d’évocations simples et universelles. Dans « Take a Seat », les référents de l’immersion sont plus sous-entendus peut-être car il y a moins d’éléments plastiques visibles et fabriqué dans ce sens. Pour autant, les références sont belles est bien lisibles Cette recherche de références et d’évocations permet au public de complètement s’imprégner dans l’espace d’exposition. Elles engendrent une compréhension de la part du visiteur, elles le provoquent et le font réagir puisant dans son vécu et son expérience. « Eileen Gray », Ponctuation colorée

C // UN ESPACE SENSORIEL Nous avons vu que l’immersion était complétée par les jeux d’évocations. Les ambiances fabriquées dans cette dynamique permettent d’éveiller les sens du visiteur et d’attiser sa curiosité. Le travail de la couleur, des matières, des lumières fabriquent un espace sensoriel et sensible. Tous les sens peuvent être stimulés : de l’ouïe à la vue en passant par le toucher ou même l’odorat, le goût même si ces deux derniers ne seront pas évoqués à travers les exemples choisis. L’intervention de ces cinq premiers sens à travers les expositions sera analysée ainsi que les sensations spatiales perçues par des sens plus pointus. Au Centre Pompidou, pour la rétrospective d’Eileen Gray, la priorité est donnée au sens de la vue et de l’ouïe, les plus évidents d’une certaine façon mais surtout les plus efficients. La couleur ponctuée, les jeux de lumière, agissent sur la perception visuelle du public. Les cloisons bleues, or, s’extraient du paysage blanc de l’exposition, elles interpellent et fabriquent un repère. Le son des projections de l’exposition sert de guide dans l’espace. Le visiteur l’entend, il peut analyser l’espace qu’il lui reste à parcourir, pour l’atteindre. Il donne une information sur l’ampleur de l’exposition. Ces sons rendent compte d’une immersion. De la même façon au Pavillon Amont, c’est la couleur et la lumière qui agissent sur les sens du public. Ces deux expositions ont une manière très classique et plutôt convenue d’interpeller le visiteur afin d’éveiller sa curiosité. Aux Arts Décoratifs, pour l’exposition de Jasper Morrison,

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la dimension sensorielle est tout à fait différente et atypique pour la présentation de mobilier dans une telle institution. La vue évidement est importante, mais le toucher est finalement le sens privilégié ici. L’expérimentation des chaises requiert un contact physique entre l’objet et son public. Des sensations particulières liées aux caractéristiques de sa matière, à sa température engendre une relation presque intime. Tout commence par une caresse du bout des doigts, puis le visiteur s’assoit, il se pose de tout son corps sur le siège et instaure un rapport de confiance. La chaise est apprivoisée par le visiteur. Cette conception donne l’idée qu’une appropriation est possible entre le siège et l’homme. La distance est effacée. L’homme compare et choisit la chaise de ses désirs. Par ailleurs il est difficile de limiter la question de l’espace sensoriel aux cinq sens. Parmi la vue, des perceptions s’ajoutent comme celles des formes, des mouvements, des espaces (profondeur, distance …). Nous notons aussi la proprioception qui renseigne de la position de notre propre corps dans l’espace. De fait, ces sens supplémentaires interviennent dans la déambulation des trois expositions analysées. Chez « Eileen Gray », « Jasper Morrison » et au Pavillon Amont, la perspective des espaces est renseignée par la vue. Faire intervenir les sens du visiteur est donc une manière de le tenir en haleine de l’intéresser. Jouer de ces effets rend compte d’une ambiance générale ludique et didactique. L’espace sensoriel alors façonné donne toute son épaisseur à l’immersion que l’on souhaite fabriquer dans l’exposition. Ainsi la succession des référents, des ambiances, des couleurs, des sons, des lumières et des matières, fabrique la narration de l’exposition. Mais quelle chronologie est donnée à cet enchainement d’effets ? Fabriquer un monde sensoriel est une chose mais le faire lire comme il se doit à son visiteur en est une autre. Comment pouvons-nous suivre ce récit, pour le comprendre ?

« Eileen Gray », Atmosphère précieuse et calfeutrée

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« EILEEN GRAY » , UN PARCOURS À DEUX ÉCHELLES, CONTRAINT, PUIS PLUS ALÉATOIRE.

« TAKE A SEAT », UN PARCOURS ET UTILISATION LAISSÉE LIBRE. (BOUCLE)

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II . suivre le récit:

du parcours au discours

S’il y a narration dans l’exposition, il faut bien la faire parvenir jusqu’au visiteur. Pour cela la qualité du parcours, son mode de déambulation, son rythme proposent un sens de lecture qui rend intelligible et cohérent le discours sous-jacent. Dans cette deuxième grande partie, nous analyserons en premier lieu, les qualités du parcours. Nous en viendrons à comprendre quel sens engendre ces partis pris. Dans un second temps, nous étudierons l’adéquation ou du moins l’articulation de ce parcours en rapport avec le discours donné à l’exposition.

2.1.

LA QUALITÉ DU PARCOURS

Pour Davallon, l’exposition serait « un art du temps et de l’étendue. Du temps, parce que de l’étendue. »6 . Il ajoute : « Visiter, c’est franchir la frontière, la marge qui sépare le monde familier d’un monde étranger ; c’est surtout enchainer des actes : marcher, fixer son regard, voir, lire, s’éloigner, comparer, se souvenir, discuter, etc… »7. Ainsi cette partie sera l’occasion d’aborder le parcours sous sa dimension spatiale puisqu’il implique le déplacement physique du visiteur et de sa temporalité. Nous analyserons tout d’abord le mode de déambulation donné au parcours, sa rythmique, puis le temps qui lui est consacré.

A // LE MODE DE DÉAMBULATION

Le parcours consiste à « imaginer comment le visiteur découvrira successivement les expôts »8 selon P. Hughes. Il donne un sens de lecture et organise la réception du public. Il doit rendre intelligible le propos. Dans les trois expositions que nous analyserons une nouvelle fois, chacune d’entre elle développe un parcours bien différent mais aussi très révélateur de leur propriété et de leur caractère. Dans « Eileen Gray », la déambulation se définit sous deux échelles : la première à l’échelle de l’exposition tout entière et la deuxième à l’échelle de la salle. Le parcours y est linéaire, le visiteur ne peut manquer aucun espace. Il est composé d’un début et d’une fin qui ne se croisent pas, à des endroits distincts. Le cheminement unique est donc relativement simple. De cette façon le scénographe s’assure que chacun des visiteurs, participe à la même expérience, et prend connaissance de l’œuvre de l’artiste, de manière convenue. A l’échelle de certaines salles, nous pouvons remarquer que la déambulation peut être plus libre. Les orientations du public se font alors par affinité et selon des vitesses variables. La salle sur l’art du laque se fait ainsi, les objets étant plus petits, à l’aspect plus précieux. Le visiteur est au cœur des

Source : Ateliers de l’île, DÉCLOISONNER LE CIRCUIT DANS LE MUSÉE. IRRIGUER LE PAVILLON AMONT. Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p171. 7 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p171. 8 hughes philip, scénographie d’exposition, Ed. eyrolles, 2010, p75. 6

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pièces exposées regardant tout autour de lui, ou de part et d’autre. A contrario, au Pavillon Amont et chez «Jasper Morrison», la déambulation est bien plus libre et aléatoire à l’échelle de la salle. Nous pouvons dans ces deux cas remarquer que cette fois, c’est bien l’objet qui est au centre et le visiteur qui tourne autour. Pour le mobilier art décoratif, il est évident que ce parcours libre est lié au fait que l’exposition est permanente. Le visiteur déambule autour des socles. Certains objets en vis-à-vis le conduisent à sélectionner ce qu’il va préférer voir. De fait, elle est irriguée par un réseau plus vaste qui touche à l’ensemble du musée. Cependant, à l’échelle des trois niveaux, l’appréhension ne peut être que linéaire. Pour « Take a Seat », le parcours est en boucle, même s’il peut être relativement aléatoire. Le visiteur est libre de revenir sur ses pas. A ce titre le parti pris de départ, de laisser le visiteur s’approprier sa visite et surtout les objets présentés, est affirmé. Si dans ces trois expositions le parcours est bien différent c’est qu’elles n’ont pas la même visée. Au Pavillon Amont, et au Centre Pompidou, le parcours révèle une dimension plus culturelle, un regard artistique et historique malgré un cheminement relativement différent. Pour « Take a Seat » c’est l’expérience des chaises qui a défini le cheminement du visiteur. Le choix de la déambulation vient donc comme un guide dans la lecture des objets présentés, et comme nous l’avons vu, il révèle certaines propriétés de l’exposition. L’élaboration du parcours est fondamentale dans l’exposition car c’est aussi le rythme qui lui est associé qui détermine l’appréhension voulue pour le visiteur. Et si comme le dit Glicenstein, « il y a [des] analogies entre la « lecture d’un livre » et la visite d’une exposition »9, c’est certainement car le parcours permet au visiteur de suivre la narration de l’exposition dans un ordre réfléchi.

B // LA RYTHMIQUE

La rythmique est étroitement liée au parcours. Selon Davallon, « [c]ette prise en charge, en un sens substitut du fil d’Ariane, donne à la visite l’attrait d’une découverte et lui imprime un rythme : tantôt le visiteur se perd dans le détail, tantôt il faut aborder les détails à partir de visions plus vastes. »10 Elle détaille le parcours et ce qui s’y passera à l’intérieur du cheminement. Elle créé des temps forts qui viennent interpeller un peu plus le public. Elle se construit à travers l’attention du visiteur. Le parcours n’est alors plus un cheminement uniforme et égal sur toute sa longueur mais une exploration pleine de rebondissements. La déambulation dans l’exposition « Eileen Gray », se fait de manière fluide. On passe d’une salle à l’autre, sans réellement noter un changement, seul un titre et un texte explicatif marquent le passage d’un thème à l’autre. Le rythme du parcours y est plutôt langoureux, ponctué de bref arrêts pour noter les pièces phares de l’exposition. Ces temps plus forts se matérialisent par une couleur ponctuelle qui vient dénoter avec l’ensemble très blanc comme nous l’avions souligné. Pour autant la répétition régulière de ces temps donnent au parcours un rythme plutôt continu et très tenu. Le public évolue regardant et tournant la tête d’un côté et de l’autre maintenant sa déambulation. A l’échelle de la première salle, la déambulation

UNE RYTHMIQUE TENUE, ENCHAINEMENT RÉGULIER. Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p113. 10 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p112. 9

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donne une cadence plus saccadée, plus décousue. Le visiteur doit piocher ci et là les informations. Dans l’exposition de Jasper Morrison, la rythmique est déterminée par la relation à l’objet. Elle est donc plus libre et surtout plus spontanée. C’est le visiteur qui adopte son propre rythme. L’impulsion et l’envie marque cette exposition. Le mobilier des arts décoratifs du Pavillon Amont, donne au visiteur une déambulation fluide. Le jeu de hiérarchisation de pièce autour de soclage se superposant, provoque des temps d’arrêt. Cependant la rythmique est surtout engendrée par la contrainte architecturale qui oblige l’exposition à se répartir sur trois niveaux. Le passage d’un étage à l’autre marque un temps de pause, toujours matérialisé par le même palier. L’exposition est découpée à travers une rythmique ternaire. Après cette étude, nous notons que la rythmique est engendrée par la conception de l’espace et la contrainte architecturale mais aussi par les pièces exposées et la manière dont elles sont présentées et regardées. Cependant il faut souligner différentes catégories de rythme : celui de la composition architecturale (par exemple chez «Eileen Gray») et un rythme d’évènement relatif au contenu. Elle est visible dans les mouvements et activités du spectateur. Pour Davallon « [j]e dois m’avancer, me déplacer, m’arrêter, m’approcher, contourner, regarder, etc. Je dois développer toute une série d’activités diverses […] »11 à l’intérieur de l’exposition, et c’est cela même qui va fabriquer la rythmique. Ce mouvement du corps du visiteur, est à chaque fois incité par la matérialisation et la mise en espace du discours. Ils conditionneront ainsi la réception du public et agissent directement sur leur sensibilité. Nous pouvons dire que la rythmique donne toute son épaisseur et son intérêt au parcours. Pour autant le parcours pour développer une rythmique efficiente, doit prendre en compte le temps, la durée générale autour de laquelle l’exposition se construira.

C // LE TEMPS DONNÉ AU PARCOURS

Parler du parcours et de sa rythmique, ne pourrait se faire sans évoquer le temps qui lui est consacré, à la visite, à l’exploration de l’exposition. Cette durée est très liée à la quantité et aux qualités du contenu. C’est pour cela que cette question sera abordée dans la partie qui suivra. Ce temps représente beaucoup dans l’exposition, il lui donne son ampleur, et se réfère à certaines propriétés : extrait d’un travail, rétrospective, découverte culturelle, assimilation, divertissement, dépaysement… L’exposition Eileen Gray regroupe plusieurs salles qui se succèdent. Le temps accordé au parcours de cette exposition est relativement commun, environ une heure. Durant cette heure, il est question de retracer et de visionner l’œuvre de toute une vie. Mais ce temps est finalement assez long surtout si nous le comparons à celui de Jasper Morrison. Cette heure est indispensable pour l’ampleur du sujet traité. Cependant, c’est aussi l’importance de ce temps qui va donner tout son poids à l’évènement. Un nombre conséquent de pièces pour illustrer au mieux l’œuvre s’enchaîne pour faire la rétrospective. Ainsi pour noter cette évolution, le visiteur parcourt lentement l’espace, qu’il ponctue de comportements appropriés selon les dispositifs et les objets qu’il rencontre. Aux Arts Décoratifs, « Take a Seat », s’étale sur une unique salle et pourrait laisser penser que la durée de parcours sera brève. Une seule salle composée de vingt et une chaises, et d’un parcours en boucle pourrait s‘explorer en quelques minutes. Ce court temps serait tout à fait pertinent par rapport à la teneur de l’exposition en l’occurrence un échantillon du travail de Jasper Morrison. Certainement par rapport à l’exposition « Eileen Gray » mais dans les faits il n’en est rien. L’expérimentation, si inhabituelle dans une exposition, incite le visiteur à accorder plus de temps justement aux collections. Il veut pouvoir profiter d’un tel moment si rare, s’en délecter, se divertir. C’est une expérience dont il peut décider du temps qu’il va y passer. D’autre part nous observons que la durée du parcours de cette exposition est conçue à la manière d’une pause dans la visite globale du musée. Pour le Pavillon Amont il est bien difficile de déterminer et de mesurer le temps qui sera 11

Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p171.

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« EILEEN GRAY » , CLASSIFICATION CHRONO-THÉMATIQUE. L’ORGANISATION SE COMPOSE D’UN DÉBUT ET D’UNE FIN COMME UN RÉCIT BIOGRAPHIQUE.

« TAKE A SEAT » , DISPOSITION ALÉATOIRE POOUR UNE UTILISATION AU GRÈS DES ENVIES ET USAGES.

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consacré à la visite dans la mesure où son parcours s’inscrit dans un cheminement plus large qui est celui du Musée d’Orsay dans son entier. Un large aperçu des collections recueillies au fil du temps et jusqu’alors oubliées, est proposé. Pour cela un temps conséquent peut être consacré. Cette durée est mesurée et conditionnée par le niveau d’attention et le degré de curiosité du public. Par ailleurs, l’exposition du mobilier art décoratif du musée réparti sur trois niveaux permet de raccourcir ou non le parcours, si le manque d’intérêt s’en fait sentir. A l’issue de cette analyse sur le temps accordé à l’exploration d’une exposition, pouvonsnous finalement dire que la durée conditionne le niveau d’immersion du monde dans lequel le public évoluera ? Peut-être pour partie mais il semble difficile de répondre brièvement, en négligeant tous les aspects qui peuvent interférer. Ainsi le parcours permet de suivre un récit. Il va donner une certaine chronologie à la narration, et son intelligibilité. Le visiteur peut être pris en charge comme au Centre Pompidou ou laissé libre au Pavillon Amont. Cependant ce parcours ne serait rien sans rythme. Cet aspect donne l’épaisseur et la dimension haletante d’une exposition, il suscite la curiosité du public par des principes et des dispositifs simples de présentation des objets mais aussi de mise en espace. Bien évidemment si ce parcours s’étale et se disperse dans l’espace, il en va de même dans le temps. Cette temporalité comme nous venons de le voir fabrique la narration et lui donne de l’ampleur. Mais qu’en est-il vraiment du lien entre ce parcours, le contenu exposé et son discours ? Dans les trois expositions analysées, quel est ce lien et comment se développe-t-il ?

2.2.

L’ARTICULATION OU L’ADÉQUATION DISCOURS-PARCOURS

Au cours de la précédente étude nous avons analysé la manière dont était fabriqué le parcours dans l’espace. Dans la partie qui suit nous aborderons ce qui précède et engendre ce cheminement : le discours, ce fil conducteur, qui élabore l’histoire autrement dit la narration. Nous verrons la manière dont s’articule le discours, le parcours et s’il y a adéquation. Cette question sera surtout traitée d’un point de vue muséographique dans le premier paragraphe. Pour cela la question de la classification puis de la trame narrative et enfin la manière dont est composée le discours-parcours dans l’espace sous la contrainte architecturale seront étudiées.

A // LE CHOIX DE LA CLASSIFICATION

Avec « l’articulation du contenu [dit Glicenstein en citant Davallon] on aboutit ainsi à une sorte de grammaire de l’exposition […] contribuant à indiquer au visiteur que « le concepteur réalisateur a « additionné, hiérarchisé, ordonné, choisi, catégorisé ; comment il a réparti et découpé tout ce qu’il a accumulé en une matière de discours […] comment il a rassemblé objets, textes, images, pour faire ce tout qu’est l’exposition. »12 . Aussi la classification des pièces choisies pour être exposées relève du domaine muséographique, le scénographe lui, a pour ordre de fabriquer l’espace à partir des indications données. Cette classification dépend très largement de ce dont va consister l’exposition : rétrospective, extrait, courant artistique/ époque. C’est elle qui va permettre d’élaborer des espaces et leur importance, un parcours, des dispositifs de présentation… Encore une fois au Centre Pompidou, la conception est très classique. Dans le but de faire une rétrospective de l’artiste-designer « Eileen Gray », la classification est d’ordre chrono-thématique. Le parcours filant à travers les salles retrace une évolution chronologique (de 1902 à environ 1956), et biographique (de 1878 à 1976). Les époques marquantes sont nommées et caractérisées par une thématique, qui qualifie son travail : « L’art du Laque », «Jean Désert», 12

Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p116.

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ORGANISATION SPATIALE DU TYPE DE CLASSIFICATION AU PAVILLON AMONT.

« EILEEN GRAY » ORGANISATION SPATIALE AUTOUR DE L’OBLIQUE.

TEMPE A PAILLA

L’ART DU LAQUE

PORTEFOLIO E 1027 CRÉATIONS INTIMES

JEAN DÉSERT

PRÉSENTATION

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« La villa E1027 », « Tempe a Pailla », « Lou Pérou », « Le Portfolio d’Eileen Gray », « Créations intimes ». Le découpage reprend précisément celui d’un récit, d’une histoire (de l’ordre de la narration). Cette organisation est très simple, clair et particulièrement intelligible pour les visiteurs qui peuvent d’ailleurs être habitué à ce type d’arrangement. Il n’y a là rien de déroutant. Chaque thème est traité de manière égale par rapport aux autres. Les thématiques sont toutes aussi importantes parmis leur ensemble. Aux Arts Décoratifs, « Take a Seat » s’organise tout autrement. Le classement y est confus, il semble parfaitement aléatoire, ou absent comme pour évoquer la pulsion créative souvent inexpliquée. Un seul point peut nous frapper dans l’agencement des chaises, la première, celle que l’on aperçoit dès l’entrée, est son bestseller, celle qui l’a fait connaître, la plus ancienne : la Thinking Man’s Chair de 1986. Passé cette chaise aucune logique ne nous apparaît. Au Pavillon Amont, la classification du mobilier se fait à deux échelles. La première est géographique. Ce mobilier art décoratif se décline sous différents mouvements : les Nabis, Art Nouveau, Jugendstil, Arts & Crafts… et suivant leurs lieux d’origines. Ainsi la classification est principalement thématique, c’est la géographie qui détermine le premier grand classement sur les trois niveaux et sur les grandes plateformes : Décors modernes 1905-1914, L’Art Nouveau en Europe centrale, Europe du Nord et Scandinavie, L’Art Nouveau en Autriche, Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. De plus près, la classification sur les plateaux se fait autant que possible par artiste-designer, et région. Dans les trois cas étudiés, la classification est complètement différente, pourtant elle montre toute du mobilier. Mais celui-ci n’est qu’un prétexte pour explorer un domaine, un aspect plus vaste comme l’œuvre d’une personne, un échantillon de travail, une pensée, une époque ou des lieux…etc. Cette classification a donc une grande importance, elle est à l’origine de l’intelligibilité du propos. Elle se fait dans le souci d’une bonne compréhension, et de pertinence, avec le ton et l’ambiance générale qui seront donnés à l’exposition. C’est en quelque sorte la première base sur laquelle la narration scénographique se construira. En ce sens notre déduction rejoint la pensée de Glicenstein qui parle « d’une suite signifiante d’élément […] [comme d’un ordre] proposé entre les œuvres, comme un scénario à suivre. »13 . Alors comment se matérialise ce « scénario à suivre » ?

B // LA TRAME NARRATIVE (LE DISCOURS PARCOURS)

La trame narrative (cette articulation discours-parcours), décrit l’argumentaire de l’exposition. Elle situe le sujet de l’exposition dans une narration plus vaste qui lie l’ensemble des pièces et les parties de l’argumentaire. Nous associons les notions de discours-parcours puisque le propos est mis en espace tel un fil conducteur par le cheminement. Cette trame narrative succède la classification. Le scénographe prend en charge cette phase. Elle consiste à élaborer une narration spatiale à partir des thématiques dégagées, ou sur l’ensemble du sujet de l’exposition. Elle implique une recherche sur les particularités qui se dégagent de chacun des regroupements de pièces. C’est à partir de là, que le discours-parcours se constitue. C’est ensuite que les dispositifs de présentation pourront se fabriquer de manière pertinente. Dans l’exposition « Eileen Gray », la trame narrative est des plus lisibles, la plus simple à relever. Afin de la noter, il faut d’abord décrypter le discours général. L’exposition est une rétrospective temporaire du travail d’une femme designer du 20ème siècle et de sa vie. L’enjeu est de montrer la singularité de son travail et de cette personne en général. Elle se caractérise par ses compétences dans des disciplines variées, par la géométrie, les jeux d’obliques, la pureté et la modernité de ses créations, son indépendance et sa discrétion. Le 13

Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p101.

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choix des pièces par le commissaire d’exposition prend cette initiative. Le parcours quant à lui se concentrera à renvoyer cette image d’Eileen Gray et de son travail par la mise en espace et son exploration. De fait la rétrospective renvoie aux codes de rédaction du récit, celui d’une biographie. Le déplacement dans l’exposition fonctionne sous la forme d’une introduction qui situe l’artiste. Ensuite un développement avec les thématiques chronologiques (citées précédemment) se déploie, et enfin une partie faisant office de conclusion, de dénouement avec le « Portfolio d’Eileen Gray » et ses « Créations Intimes » termine la visite. Le parcours file entre une succession de cloison toutes obliques et parallèles les unes aux autres, se référant aussi plus ponctuellement au paravent objet phare de l’œuvre de l’artiste, comme nous l’avons déjà remarqué. Le parcours traverse donc des époques et donne à voir ces caractéristiques. Il se fait précisément à la manière d’une lecture. L’exposition prendrait donc une dimension « rhétorique », « c’est-à-dire [sous la forme] des différents arguments d’un discours » comme le dit Glicenstein citant Quicchelberg. Il reprend et ajoute les propos de Patricia Falguière qui théorise l’exposition « comme la « mise en œuvre visuelle » d’un discours théorique ». Ainsi l’exemple de l’exposition « Eileen Gray » traduirait de manière illustrative ces deux théories. L’espace y est clairement ordonné selon « des principes de répartition qui sont de l’ordre du texte (ou du sous-texte) »14 . L’élaboration du discours-parcours, dans le cas de Jasper Morrison est plus compliquée à déceler au premier coup d’œil peut-être car elle se veut très restreinte. Pourtant là encore, il s’agit de mettre en évidence certains aspects d’un travail industriel, en série, minimal, fonctionnel, discret, à travers un extrait, un échantillon de son œuvre : ses chaises. Ainsi le parcours initialement en boucle permet de donner la sensation au visiteur qu’il parcourt bien un court extrait du travail du designer. Le choix de la trame narrative au fond, c’est la liberté de visite et d’expérience. La dimension plus confidentielle de ce travail est donnée par le parcours du musée dans son ensemble. Celui-ci précède et conduit le visiteur dans cette salle tenue à l’écart. Le discours qui regroupe les mobiliers arts décoratifs du Pavillon Amont, met en exergue la dimension géographique des mouvements artistiques au sein d’une même époque le 19ème siècle. De fait le parcours autour des objets y est plus déambulatoire, aléatoire. Il n’y pas de dimension chronologique dans la manière dont le sujet est alors exploré. Le visiteur s’y balade de région en région, de continent en continent… Nous noterons plus tard que la fabrication des dispositifs de présentations contribue à accentuer la dimension géographique. L’articulation discours-parcours est propre à chacune des expositions. Leur efficience se note à partir de ce qui a été compris par le public à la suite de la visite. Elle donne aussi une première efficacité à l’immersion elle-même générée par la mise en ambiance, les dispositifs de présentations et les évocations. Nous remarquons que la trame narrative s’inscrit au-delà des limites de l’exposition. Elle se répand dans le musée et peut-être même à travers la communication faite autour de l’évènement à l’image de l’exposition « Take a Seat » et même du Pavillon Amont. L’adéquation discours-parcours use aussi de références choisies pour traduire la narration dans l’espace et donner sa dimension immersive au cheminement. Le déplacement devient alors une exploration et comme le dit Davallon « un itinéraire, un voyage»15. Cependant, comment est fabriqué une articulation entre ce discours et ce parcours dans une architecture existante comme le Centre Pompidou, les Arts Décoratifs ou bien le Musée d’Orsay ?

C // COMPOSER LE PARCOURS ET LE DISCOURS DANS L’EXISTANT LA CONTRAINTE ARCHITECTURALE

« Bien souvent, dans les édifices anciens, la tâche du scénographe consiste à relier les différents espaces d’expositions en une histoire cohérente. »16 nous informe Hughes. Comme nous l’avons vu plus tôt dans cette analyse, la contrainte architecturale peut avoir de Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p90-91. 15 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p172. 16 HUGHES Philip, Scénographie d’exposition, Ed. Eyrolles, 2010, p62. 14

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grandes conséquences sur la mise au point des ambiances, de l’immersion et des références donnéés au sujet de l’exposition. Dans cette partie, il est question de déceler la manière dont est constituée l’adéquation discours-parcours dans l’existant architectural. Alors dans les exemples sélectionnés, comment est adapté la trame narrative au lieu qui l’accueille ? L’architecture contemporaine du Centre Pompidou, s’inscrit dans la dynamique d’une époque qui recherche la flexibilité de l’architecture. Ainsi les planchers s’affranchissent de poteaux, de structures porteuses, pour libérer au mieux l’espace d’exposition et apporter une grande mutabilité au lieu. De cette façon, aucuns porteurs verticaux n’interfèrent dans l’exposition « Eileen Gray ». Les seules véritables contraintes sont liées aux évacuations en cas d’incendie et à la hauteur sous plafond mais qui reste relativement importante. L’agencement de l’espace d’exposition et du parcours s’affranchit donc de toutes contraintes architecturales. A ce titre la pertinence de l’articulation discours-parcours ne doit rien à l’architecture puisque celle-ci ne lui impose pas de contraintes. Dans le cas de l’exposition « Take a Seat », aux Arts Décoratifs, le cheminement et même l’agencement des chaises suivent parfaitement et de manière régulière la configuration en « L » de la salle. Nous remarquons toutefois que le discours et la quantité du contenu (les vingt et une chaises) s’adaptent parfaitement pour loger dans cette unique salle. Finalement, cette dernière sera utilisée surtout pour sa dimension fonctionnelle. En ce qui concerne l’exemple du Musée d’Orsay, nous avons à faire à la reconversion d’un bâtiment qui accueillait jadis une gare. De fait la réhabilitation en un musée donna des espaces riches par leur architecture mais aussi des espaces plus contraints pour l’aménagement de certaines salles d’exposition. Dans le Pavillon Amont, notre parcours s’adapte aux conditions de l’existant. Les mobiliers arts décoratifs ont dû donner lieu à un classement, un discours capable de se diviser sur trois niveaux sans que le parcours n’en soit affecté. Celui-ci s’inscrit à travers un jeu de niveau avec un changement de lieu géographique et d’approches artistiques (le discours). La contrainte architecturale est donc manifeste. Le nombre d’objets se trouve parfaitement circonscrit par rapport à la superficie du niveau qui les accueille. La pertinence et l’adéquation discours-parcours est recherchée avec et sous la contrainte architecturale. Elle permet donc de découper le discours en trois thèmes et en trois temps de parcours pour le Pavillon Amont. A contrario avec la flexibilité qui réside au Centre Pompidou, c’est l’aménagement, la scénographie qui instaure un rapport de contrainte avec de multiples cloisons, des distinctions ou successions d’espace afin que le parcours soit suivi d’une seule et même manière. Dans ce cas c’est l’action du scénographe qui contraint le cheminement, l’exploration du monde de l’exposition. L’existant, la contrainte peut donc être source de richesse pour la création de l’espace et l’adéquation discours-parcours. Il peut être un guide pour le cheminement et pour le visiteur.

Le Pavillon Amont, La reconversion d’une gare en un lieu d’exposition. Enfin dans cette partie nous avons vu la manière dont était lisible le récit, la narration de l’exposition et comment cette lecture se fabriquait : par la mise en relation du discours (le contenu) et d’un déplacement spatial définissant un sens de lecture. De plus, selon Davallon « l’exposition articule obligatoirement le contenu avec à la fois la manière de traiter ce contenu, [et] les objectifs visés par ce « traitement » […] ». Alors, comment se matérialise réellement l’espace de la narration ? Comment sont mis en scène les objets qui ont une histoire à raconter ? Pouvons-nous véritablement lire des significations dans la fabrication des dispositifs de présentation ? Quelles sont ces significations? 17

Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p141.

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« Eileen Gray », Dispositif de présentation du « Siège Sirène »

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III . Fabriquer le récit: LEs dispositifs techniques

L’espace, dont nous avons largement parlé jusqu’ici, apparait comme étant le faire valoir de la narration et de l’ensemble des objets de la collection. Il met en lumière, en scène le caractère du mobilier et illustre un propos plus large. Cependant s’il y a narration dans l’exposition, c’est bien tout d’abord à travers les objets qui ont une histoire à raconter, un sens, pour être présentés comme tels. Ce sont des modes de présentations non plus à l’échelle de l’espace, mais de l’objet qui permettent aussi de mettre en exergue une singularité. Les outils pédagogiques que nous aborderons dans un second temps permettent aussi et d’une autre manière, de fabriquer la narration et la mise en lien des objets entre eux.

3.1.

LES MODES DE PRÉSENTATION DES OBJETS DE LA COLLECTION

Les dispositifs de présentations des objets de l’exposition permettent de faire apparaitre le sens et la singularité des pièces. Ils s’apparentent aux différents soclages, à une manière de contextualiser les objets mais aussi de les mettre en lumière au sens propre du terme. Nous nous attacherons dans cette analyse à comprendre quels sont leur rôle dans le cadre de l’exposition et ce qu’ils cherchent à mettre en évidence

A // LES SOCLES

Les moyens de présentations et de soclages, d’une exposition à l’autre ne sont jamais les mêmes. Et pour cause, ils en disent long sur l’objet qu’il présente et se font presque uniquement à sa parfaite mesure. Pour autant, ils ne doivent jamais prendre le pas sur l’objet qu’il présente et se définir toujours de manière discrète, mais bien présente. Au sein d’une même exposition, le socle se décline, s’adapte aux dimensions et particularités de l’objet qu’il reçoit, en conservant toujours l’identité de l’exposition. A l’occasion de l’exposition « Eileen Gray », plusieurs types de socle sont fabriqués pour présenter le mobilier. L’analyse que nous en ferons, n’aura pas l’ambition d’en faire la liste exhaustive mais de prendre quelques exemples afin de les étudier de manière précise. Le premier soclage dont nous parlerons est très simple, il regroupe plusieurs objets à la fois(1). Il s’apparente à une plateforme car il est assez vaste. Le visiteur en a une vue frontale. Un système d’emmarchements intervient, se dessinant en courbe et contre courbe comme pour créer du mouvement dans cet ensemble très pur. L’association de ces courbes avec le mobilier de « Tempe a Pailla » très travaillé et géométrique reprend les manières de composition d’Eileen Gray, elle qui allie courbe et ligne droite, minimalisme et détail pointilleux. De ce mode de présentation, nous ne voyons qu’une « face » de l’objet, c’est pourquoi celui-ci est disposé de biais ou encore décuplé pour le montrer sous différentes coutures jugées intéressantes. Une autre déclinaison de ce dispositif « plateforme » est visible dans la salle Jean Désert(2). Sur le premier emmarchement est ajouté deux socles aux géométries différentes qui s’enchevêtrent. Dans la même salle, un deuxième soclage/vitrine(3) présente un des tapis de l’artiste conçu en feutre. Sa particularité est d’exposer un objet plan que l’on a l’habitude de voir du dessus. Ici, la vitrine est légèrement surélevée, de biais pour que l’on puisse observer

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« EILEEN GRAY », UN ECRIN POUR LE SIÈGE SIRÈNE.

LES SOCLAGES ET SUR-SOCLAGES DU PAVILLON AMONT, AFIN DE HIÉRARCHISER LES PIÈCES.

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au mieux l’objet dans une disposition familière. Le visiteur peut alors tourner autour du tapis sans jamais le piétiner. A ce socle/vitrine s’adjoint, sur l’un des côtés un autre dispositif de vitrine/tablette qui donne à voir des documents liés à l’œuvre et plus généralement à la Galerie Jean Désert, à laquelle ils se réfèrent. C’est dans la première grande salle sur « L’art du Laque » que l’on retrouve un dispositif décliné de plusieurs façons, très révélateur de l’objet qu’il montre. Le « Fauteuil Sirène » est protégé par une boîte ajouré sur deux faces, comme un écrin, conférant à l’objet une dimension précieuse. La couleur doré à l’intérieur renchérit sur cet aspect. Le premier cadrage montre le siège de face et l’autre de dos. De cette façon, ce qui se passe en arrière-plan est visible. Il faut comprendre que si ce mode de présentations est ajouré en différents endroits c’est bien pour montrer les parties les plus remarquables de l’objet : l’assise et le dossier, comme tous les sièges. Par ailleurs, le dossier du siège étant lui-même ajouré et orné, cette configuration lui fait écho. A l’intérieur, le siège est surélevé par un sur-socle qui le met un peu plus en scène et lui donne une certaine noblesse. Il faut alors souligner une analogie avec la statuaire et le piédestal. Ce dispositif donne toute son ampleur à l’objet et guide le visiteur dans son appréhension des détails dessinés par Eileen Gray. D’une manière tout aussi classique, sont conçus les dispositifs du Pavillon Orsay, pour répondre à la particularité de l’exposition d’être permanente et donc d’être la plus pérenne possible. Les soclages sont de vastes plateformes surélevées afin de créer une distance vis-àvis du public. Ils sont aussi ponctués de sur-socles pour noter les œuvres majeures. C’est une manière de hiérarchiser et nous le verrons plus précisément de contextualiser les objets. Ces plateformes sont déclinées. Plutôt centrales, elles rappellent l’organisation géographique de cette exposition, mais elles peuvent aussi être adossées à un mur, ou ponctuées de vitrine. Ainsi ce dispositif aménage des espaces tantôt ouvert, tantôt plus clos afin de donner un caractère plus exubérant ou au contraire plus intimiste, toujours dans cette volonté de se référer à l’intérieur d’une habitation bourgeoise. Une seule couleur est commune à l’ensemble des socles, un violet sombre, dont les murs sont aussi recouverts. Ces dispositifs se fondent dans l’ensemble de la salle. L’attention du visiteur se focalise alors sur les collections plutôt que sur la mise en scène qui tend à s’effacer. Aux Arts Décoratifs, pour l’exposition « Take a Seat » de Jasper Morrison, il n’y a pas de soclage à proprement parler. C’est un dispositif bien différent de ceux que nous venons d’étudier. Des limites aux sols, des lignes pointillées se substituent aux dispositifs classiques. De cette façon, l’objet est au même niveau que le public, il n’est pas sacralisé comme nous l’avons vu précédemment. Cette limite faite de pointillés renseigne déjà de l’attitude peu habituelle qu’il faut adopter : le visiteur peut la franchir et pénétrer dans la zone de présentation pour entrer en contact physique avec l’objet. Pourtant s’il y a une ligne comme celle-ci, c’est aussi pour signifier que l’objet quant à lui ne doit pas sortir de son emplacement. Chaque chaise possède son emplacement, identique à sa voisine. Le dispositif est uniformisé, pour l’ensemble des sièges, aucune distinction n’est faite. Ce système rappelle les marquages au sol des usines, aux rôles de signalétique. Voilà donc la véritable fonction de ce dispositif : signaler. Il informe aussi de la dimension usuelle de l’objet. Ce soclage virtuel apparaît être en référence au film de Lars Van Trier, «Dogville». Nous retrouvons donc à travers des expositions qui concernent uniquement le mobilier une grande variété de soclage. Ce dernier doit révéler les points d’intérêt de l’objet, indiquer au visiteur ce qu’il doit voir ou faire, et divulguer, signifier la narration plus large de l’exposition : Eileen Gray l’artiste aux multiples facettes, les arts décoratifs et leur approche artistique et géographique, Jasper Morrison le designer d’objets usuels fabriqués en série. Ainsi comme le dit Glicenstein, nous affirmons « que ces arrangements […] produi[sent] du sens »18 . Finalement après cette analyse nous comprenons que le dessin de ces dispositifs de présentation est certes un faire-valoir de l’œuvre mais c’est aussi et surtout une référence évocatrice dans ce monde narratif qu’est l’exposition. De cette manière les dispositifs «renvoient à un monde qu’ils sont censés représenter.»19.

Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p100. 19 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p37. 18

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page 2 « Take a Seat », Marquage au sol, lignes pointilléés.


Source : Ateliers de l’île, DISPOSITIFS DE PRÉSENTATION DÉCLINÉS.

page 2 Dispositifs de présentation et ses déclinaisons du Pavillon Amont.


« EILEEN GRAY », PERCÉES VISUELLES À TRAVERS DEUX SALLES.

« EILEEN GRAY », PERCÉES VISUELLES AU SEIN D’UNE MÊME SALLE.

« EILEEN GRAY », PERCÉES VISUELLES DANS UNE MÊME SALLE POUR RÉVÉLER LES FUTURS DISPOSITIFS.

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Exemples de dé-contextualisation des pièces, au Pavillon Amont.

B // LA CONTEXTUALISATION DES OBJETS

La contextualisation des objets est étroitement liée et fabriquée par le soclage et les dispositifs spatiaux qu’on leur adjoint. Nous aborderons ici deux types de contextualisation, celle des objets entre eux pour la fabrication ou non d’un ensemble, et des objets avec leur environnement d’origine. Dans l’exposition « Eileen Gray » et au Pavillon Amont, la contextualisation des objets entre eux se fait de manière similaire. Le mobilier disposé sur des socles « plateformes », se hiérarchise, se distingue de ses voisins par des jeux de niveaux, de hauteur d’emmarchement créant ainsi un relief sur l’ensemble de l’espace. Ce principe donne simplement l’idée d’une œuvre majeure parmi les autres. Chez « Eileen Gray », ce principe permet plutôt de capter l’attention sur certaines œuvres et d’éviter de créer un ensemble monotone. La dimension majeure n’est pas véritablement celle qui guide les jeux de sur-soclage. Cet emmarchement est de même qualité que le socle principal pour les deux expositions, même si parfois un socle complétement différent intervient et se surajoute dans l’exposition « Eileen Gray ». Dans cette dernière exposition, un autre principe de contextualisation ou même de dé-contextualisations par les couleurs en arrière-plan vient détacher certains ensembles par rapport à d’autres. Du bleu interfère dans un environnement blanc, ou encore des socles sont peints en noir parmi d’autres blancs. C’est un moyen efficace de capter l’attention du visiteur. Cependant dans l’exposition « Eileen Gray » les socles surajoutés pourraient dans certains cas donner une fausse indication sur l’objet présenté, qui n’est pas forcément une œuvre décisive dans la rétrospective. Un tout autre système de contextualisation d’objet vient s’ajouter pour l’exposition « Eileen Gray ». Certains dispositifs jouent d’entailles, de failles laissant apparaître une œuvre en arrière-plan, qui succèdera à celle nous faisant face. C’est une manière de créer un regroupement plus discret, moins évident. Lorsque le visiteur se poste devant la console en bois laqué de la salle sur « L’art du Laque », il peut apercevoir un vase en chêne sculpté et lui aussi laqué, d’une autre salle « Jean Désert ». Une relation de salle en salle se fait et un lien se tisse entre deux objets de même matière. Les points de vue fabriqués permettent de tisser des relations et de créer des liens visuels entres les œuvres. Ce principe est aussi employé dans les présentations du mobilier du Pavillon Amont. Pour l’exposition « Take a Seat », la contextualisation se fabrique par deux alignements de chaises se tournant le dos. Chacune d’entre elle se sépare de sa voisine par les limites marquées au sol. Un ensemble est très visible mais dans le détail c’est une dé-contextualisation que marquent ces lignes imprimées. Nous devons noter que les ensembles créés mettent en évidence le récit sous-jacent qui lie les œuvres entre elles dans cet environnement particulier. En reprenant l’exemple des emmarchements de la salle « Tempe a Pailla », nous remarquons que chacune des œuvres

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AU PAVILLON AMONT, LE SYSTÈME DE PERIOD ROOMS, PERMET DE RASSEMBLER ET DONC DE RE-CONTEXTUALISER LES PIÈCES.

page 2 Exemples de contextualisation et re-contextualisation au Pavillon Amont.


viennent initialement d’un même intérieur. Les objets sont alors considérés pour leur valeur commune. Ainsi, la contextualisation des œuvres entre elles nous indique l’appartenance à un ensemble. Et parmi celui-ci il s’agit d’extraire, de mettre en valeur subtilement certains objets ou d’attiser la curiosité du visiteur. C’est dans ce sens que nous parlons d’une dé-contextualisation. Notons tout de même que celle-ci intervient dans un second temps à l’échelle du détail. L’autre forme de contextualisation s’attache à replacer l’objet dans son environnement originel. Cet aspect est très repérable chez « Eileen Gray ». De grandes photographies ponctuent différentes salles. Celles-ci se placent en arrière-plan de certains socles, et d’ensemble d’objet. Ces images presque à échelle humaine donnent un indice de l’ambiance dans laquelle a été pensé le mobilier mis en vis-à-vis. Elles possèdent une dimension immersive importante et agissent très fortement sur le visiteur. Au Pavillon Amont, un procédé bien connu en scénographie est revisité pour re-contextualiser les objets dans un environnement initial, cohérent mais ouvert : la « period room ». Ce principe est mis à jour et transformé, il est plus minimal, et contemporain que les exemples qu’on leur attribue d’ordinaire. Le dispositif dessiné est seulement comparable. Il créé bien évidemment un ensemble et renvoie à l’intérieur initial des objets. Une cloison en arrière-plan vient recréer un espace clos comme une pièce. Sur celle-ci sont disposées des peintures d’époque et associé un mobilier de séjour, des chaises, un canapé… Des scénettes comme cet exemple s’insèrent et animent l’espace d’exposition. Chez Jasper Morrison, aucun dispositif ponctuel n’est recréé pour fabriquer une re-contextualisation à proprement parler. C’est tout le concept de l’exposition qui cherche à replacer l’objet dans son environnement initial et avec l’attitude des personnes, des usagers qui convient. Pour Glicenstein qui cite Troncy, « ce qui compte, ce sont les relations entre les œuvres, leurs juxtapositions, la construction d’une salle d’exposition de façon à ce [qu’elle] fasse image ». Cette contextualisation est bien plus complexe que ce que nous entendions au début à travers ce terme. Elle implique, différentes approches, différents degrés : le regroupement des objets entre eux, leur distinction les uns par rapport aux autres par ce que nous avons appelé la dé-contextualisation et enfin le retour par l’évocation de l’environnement initial d’où est extrait l’objet (autrement dit la re-contextualisation). Cette dernière est largement alimentée par la fabrication de dispositifs immersifs référentiels.

C // LE TRAVAIL DE LA LUMIÈRE

Quelle se fasse naturelle, artificielle, discrète, ponctuelle, diffuse, uniforme, colorée, froide ou encore chaleureuse, la lumière habille et complète l’espace, lui conférant donc une ambiance particulière ou mettant en scène l’objet présenté. C’est ce dernier point que nous tenterons d’analyser ici. Elle révèle certaines intentions de la part du scénographe quant à la mise en espace recherchée. Pour l’exposition « Eileen Gray » au Centre Pompidou, nous distinguons deux types d’utilisation de la lumière. La première joue de nuance colorée dans l’espace en général. Les blancs deviennent des gris de valeurs différentes, grâce aux effets et à la multiplication de petits projecteurs. Les cloisons viennent alors créer des jeux d’ombres sur le sol brillant. La lumière est douce, l’intensité lumineuse faible. L’environnement recréé devient intimiste comme pour renouer avec la discrétion de l’artiste féminine et la destination des œuvres (intérieurs d’habitations). Dans ce cadre baigné de la lumière presque tamisée, le visiteur se fait l’explorateur d’un monde jusqu’alors tenu secret. D’autres sources plus ponctuelles, cette fois-ci viennent individualiser les objets présentés sur les vastes socles « plateforme ». Le faisceau lumineux laisse intentionnellement une marque sur l’emmarchement et dessine une ombre qui vient 20

Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p81.

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jouer avec son objet. La lumière intervient ici comme une animation, qui met poétiquement les formes et le dessin de l’objet en scène. Dans ces conditions, les qualités des matériaux sont aussi mises en évidence. Nous remarquons que si la manière la plus classique est de faire oublier la source lumineuse et ses effets comme dans la scénographique du Pavillon Amont, l’exposition « Eileen Gray », assume des intentions plus atypiques. Ainsi, afin de donner une grande lisibilité du mobilier art décoratif et à ses qualités, la lumière y est travaillée plus discrètement comme pour se faire oublier. De cette façon, l’orientation des projecteurs et leurs réglages évitent les effets d’ombres qui pourraient nuire à la bonne lisibilité des visiteurs. Pour cet exemple, la source souhaite se faire discrète au point d’être conçue et encastrée dans le faux plafond. Dans cette combinaison le public a une véritable sensation de luminosité auprès des œuvres car l’environnement général est plutôt sombre. Elle permet de mettre les objets en valeur mais la conception d’une ambiance n’est pas réellement recherchée. Pour l’exposition « Take a Seat » de Jasper Morrison, l’intervention lumineuse est minimale. Elle est à la fois naturelle et artificielle, une ambiance très blanche et relativement uniforme se dégage alors dans la salle. Par ailleurs deux rangées de projecteurs suivent les sièges pour leur donner une lumière plus orientée et ponctuelle. Celle-ci s’efface presque dans l’environnement déjà naturellement lumineux. D’une chaise à l’autre aucune distinction n’est faite, à la manière d’un composant d’une série. La lumière comme les dispositifs et modes de présentations évoqués juste avant, donnent une dimension différente à l’objet, et une plus grande importance. Elle focalise sur l’objet et donne à voir : le regard du public se trouve guidé. Elle contribue aussi à finaliser l’atmosphère de l’exposition et à dégager, mettre en valeur certaine pièce. Ainsi tous ces dispositifs de présentation constituent le second niveau d’intervention scénographique comme le souligne Glicenstein, c’est « un niveau plus conceptuel, qui concerne la mise en scène du « message » que l’on souhaite faire passer auprès des visiteurs» celui-ci vient s’ajouter et compléter le premier niveau d’intervention scénographique, dont nous avons déjà parlé. A travers ce dernier, il est question d’« un niveau plus convivial et/ou moins verbal (qui concerne une atmosphère ou une ambiance à diffuser) »21 . Pour autant ce niveau convivial puis conceptuel fabriqué par des dispositifs de présentation et de mise en scène peuvent-ils se passer d’outils pédagogiques lisibles pour expliciter leur visée, l’ambiance et le « message » ?

« Eileen Gray », Principe de mise en lumière.


Exemple de textes explicatifs et cartels pour l’exposition « Eileen Gray ».

3.2.

LES OUTILS DE LA PÉDAGOGIE

Les outils de la pédagogie permettent d’expliciter certaines informations transmises par l’exposition ou tout simplement d’informer le visiteur de la teneur de la salle qu’il s’apprête à parcourir. Sa forme la plus courante est le texte, mais nous retrouvons bien d’autres moyens dont nous parlerons dans l’étude qui suit. La question de la signalétique, la ponctuation documentaire, et enfin les ouvrages consultables seront abordés ici.

A // LA SIGNALÉTIQUE PÉDAGOGIQUE

La signalétique pédagogique, est aussi variée que les fonctions pour lesquelles elle est utilisée. Pourtant aussi variée soit elle, un même objectif est toujours visé, celui d’expliciter une thématique, un espace, un comportement, une œuvre, ou un propos général. Cette signalétique doit être claire, limpide. Pour cela elle se matérialise par le texte, parfois traduit en plusieurs langues, pour toucher un plus large public. De plus, elle est étroitement liée à l’aménagement de l’exposition et même mise en espace. Cette analyse nous conduira à relever les différentes manifestations de cette signalétique et les objectifs visés par son usage. L’exposition « Eileen Gray », constituée de plusieurs salles use de la signalétique pédagogique. Nous la retrouvons sous différentes formes. La première est visible à chaque entrée dans une nouvelle salle puisqu’un titre, une date accompagnée d’un texte explicite le propos. Celui-ci justifie le regroupement des pièces autour de la thématique (par exemple «La villa E1027»). 21

Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p101.

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Celle-ci marque et indique le passage d’une salle à l’autre, passage qui spatialement rappelons-le, est plus que discret par souci de fluidité, du récit biographique. Elle renseigne aussi le visiteur de sa position dans l’exposition et de ce qui l’attend. A plusieurs reprises des ponctuations d’ordre biographique situent la création du mobilier dans la vie de l’artiste. Dans l’organisation chrono-thématique de l’évènement, elle guide et retrace la chronologie générale. C’est une utilisation qui se retrouve dans de nombreuses expositions dont le type de classification peut différer comme au Pavillon Amont, où à chaque pallier, le titre et un texte explique ce qui suit. A ce dispositif, s’ajoute de manière très classique des cartels afin de nommer chacune des pièces de mobilier. Pour « Eileen Gray » ces cartels sont individuels. Pour les collections arts décoratifs du Musée d’Orsay, ils renvoient à chaque ensemble, accentuant cette idée de contextualisation des objets. Si dans ces deux cas, l’utilisation de la signalétique pédagogique est plutôt classique, en revanche pour « Take a Seat », cet outil est envisagé tout autrement. Deux usages différents dans cette exposition sont distingués. Le premier est classique mais indispensable. Le titre de l’évènement « Jasper Morrison : Take a Seat » est apposé sur un mur face à l’entrée. Sur d’autres murs très discrètement, des repères biographiques et explicatifs succincts sont notés. Le deuxième usage de signalétique pédagogique que nous pouvons reconnaître à l’exposition concerne le comportement que le visiteur devra adopter. « Take a Seat », ou « prenez place », est imprimé au sol. Toutes les deux chaises cette indication est répétée en différentes langues. La chaise, cet objet commun et universel incite le propos à s’universaliser et à se multiplier autant de fois que possible, le long de la série. Tout l’objectif et la narration de l’exposition réside dans cette indication, dans ce devoir que le visiteur se voit presque obligé de contenter. Ce système est très atypique, et singulier. Dans aucune autre exposition, nous le retrouverons. Par ailleurs, ce ne sont pas des cartels qui nomment les chaises mais une numérotation qui va de un à vingt et un. Là encore une véritable intention se cache derrière ce procédé. Jasper Morrison cherche à nous montrer que ce sont des chaises, objet industriel et usuel qui sont présentées et non des œuvres iconiques. La numérotation leur donne une dimension anonyme, vierge d’histoire, le visiteur pourra alors se l’approprier le temps d’un instant. Comme nous l’avons vu cette signalétique pédagogique est indispensable, au-delà de la forme minimale que voudrait prendre une exposition comme « Take a Seat ». Elle peut donc informer, indiquer, le propre de la signalétique, où comme dans l’exposition Jasper Morrison contenir à elle seule toute la narration, le propos et les objectifs visés par l’exposition. Elle prend dans ce dernier cas une ampleur importante et nous pouvons constater le pouvoir qu’elle a sur le public.

B // LA PONCTUATION DOCUMENTAIRE

La ponctuation documentaire intervient directement dans l’espace d’exposition. C’est une ressource supplémentaire et extérieure dont use le muséographe pour accompagner les pièces exposées. Elle s’inscrit dans la visite et créé une rythmique, qui vient varier le parcours du visiteur. Elle a aussi une visée culturelle, plus ludique et distrayante que la signalétique pédagogique. Nous la retrouvons sous différentes formes que nous allons relever et expliquer. La ponctuation documentaire est surtout visible dans l’exposition « Eileen Gray ». S’agissant du Pavillon Amont et de « Take a Seat », elle est plus rare voire inexistante, nous verrons par quelle autres biais elle s’installe. Au Centre Pompidou, à l’occasion de la rétrospective « Eileen Gray », la ponctuation documentaire est très identifiable. Elle se caractérise par des films qui viennent compléter, ponctuer, et diversifier les collections rassemblées. Ainsi l’intrigue du personnage Eileen Gray est revécue autrement par le visiteur. Il reçoit des informations complé-

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« TAKE A SEAT », LA SIGNALÉTIQUE COMME DIPOSITIF DE PRÉSENTATION.

« TAKE A SEAT », LOCALISATION DES TEXTES SIGNALÉTIQUES.

« Eileen Gray », ponctuation documentaire.

mentaires de manière différente. Il peut alors faire la rencontre avec l’artiste, et s’immerger un peu plus dans son œuvre et son parcours. Ce procédé stimule un peu plus le public. C’est alors l’occasion pour lui de faire une pause dans son parcours, c’est pourquoi nous parlons de ponctuation. Un autre système s’ajoute dans cette exposition : l’intervention de citations extraites d’écrits de l’artiste-designer elle-même. Elles donnent alors une autre approche des objets présentés. Le visiteur essaye de tisser un lien entre l’objet et la sentence apposée au mur. «Ce qu’il faut c’est donner à l’objet la forme qui convient le mieux au geste spontanée», ce genre de phrase donne au visiteur matière à réfléchir, elle l’oblige en quelque sorte à se poser des questions. Il essaye alors de déceler dans les objets présentés le sens du propos tenu. Une implication de la part du public s’engage. Parfois les citations parlent d’elle-même face aux objets, comme dans ce dernier cas. A contrario, certaines mises en rapport sont moins évidentes, comme le mobilier de « Tempe a Pailla » auxquels est associés la citation suivante « Avec le temps et la paille, les figues murissent ». Au Pavillon Amont, la ponctuation documentaire n’est pas flagrante, seul les audioguides, loués à l’entrée du musée, pourraient répondre à cette fonction. Quoique l’objet semble plus être une ressource documentaire et pédagogique consultable au besoin. Pour l’exposition de Jasper Morrison aux Arts Décoratifs, là aussi la ponctuation documentaire est mince, la seule que nous pourrions éventuellement noter est le report des numéros associés à chacune des chaises qui les nomment en fin d’exposition. Mais dans ce cas pouvons-nous vraiment parler d’une ponctuation puisque ce dispositif n’est pas conçu pour intervenir en cours de visite ? Ainsi nous constatons que si la ponctuation documentaire complète et apporte autre chose aux collections exposées, elle n’est pas non plus indispensable dans le cadre d’une exposition. C’est un effet ajouté dans l’espace d’exposition dont certains se passent. Cette ponctuation si elle est très liée aux pièces et au sujet de l’exposition, est d’autant plus assujettie à l’espace en général mais surtout au parcours. Elle contribue à fabriquer une dynamique dans le déplacement du public : il marque un temps d’arrêt, le temps de la lecture et repars flânant, réfléchissant, le regard se déplaçant de pièces en pièces.

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« Eileen Gray », Les Catalogues d’exposition.

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C // LES RESSOURCES PÉDAGOGIQUES CONSULTABLES

Ces ressources pédagogiques complètent dans un autre temps la signalétique pédagogique, et la ponctuation documentaire. Elles se manifestent sous la forme de brochures, catalogues d’exposition, donnés durant l’exposition, ou ultérieurement à travers des archives internet sur les sites officiels des institutions. C’est une trace laissée, un souvenir de l’évènement ponctuel dans le cas des expositions temporaires. Au Centre Pompidou, à chaque exposition temporaire est proposée, dès l’entrée, une petite brochure qui rassemble l’essentiel de l’exposition en quelques feuillets. L’exposition « Eileen Gray » n’échappe pas à cette règle. Elle reprend les textes, signalétiques pédagogiques de l’exposition et différentes images des collections. Elle a pour objectif de laisser une trace de l’exposition après la visite. Le public peut se remémorer son expérience à travers ce petit papier. Le catalogue de l’exposition est consultable directement dans l’une des dernières salles. Il rassemble toutes les pièces vues et étoffe dans certains cas les textes pédagogiques rencontrés. Dans un sens ce bouquin donne une autre dimension au contenu parcouru dans l’espace. Le visiteur prend la mesure de ce qu’il vient d’intégrer. C’est une façon de prolonger l’expérience « Eileen Gray » en dehors de l’exposition, chez soi par exemple. Le catalogue garde un souvenir de cet évènement éphémère. Le média incarné par l’exposition se retrouve mis en page à travers un autre média : le livre. Ajoutons, que celui-ci est aussi un objet dérivé de l’exposition dont le but est de récolter plus de fond.

« Eileen Gray », Brochure d’entrée. Qu’ils s’agissent de l’exposition temporaire de Jasper Morrison, ou des collections permanentes du Pavillon Amont, les ressources pédagogiques consultables sont plus pauvres. Pour « Take a Seat », la seule ressource consultable est le compte rendu de l’exposition archivé sur le site officiel des Arts Décoratifs. Ce simple document se comprend assez bien, l’exposition étant plutôt discrète (ce qui n’enlève rien à sa qualité), et de petite échelle, en comparaison aux autres expositions qui ont eu lieu dans cette même institution. Cette manifestation correspond bien aussi au designer, un Jasper Morrison peu bavard et au tempérament discret. La seule ressource consultable que nous pouvons observer au Pavillon Amont, c’est l’audioguide dont nous avons déjà parlé en tant que ponctuation documentaire. Il permet de mettre en lumière ce lien entre les œuvres qui n’est pas forcément évident pour le public. Le visiteur en use lorsqu’il en ressent l’envie et le besoin. Cette ressource se distingue des autres par sa simultanéité avec la visite de l’exposition. Ces ressources pédagogiques pour la plupart donnent une pérennité à l’évènement éphémère. Cependant en dehors de l’exposition, si ces médias cherchent à prolonger l’expérience de la visite, ils se concentrent essentiellement sur les collections exposées. C’est alors, au visiteur de faire un effort de concentration pour se souvenir de cet espace, de cette ambiance narrative. Ainsi, quelle place est donnée à la réception et à l’expérience du visiteur?

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page 2 Le personnage Jasper Morrison.


IV. De l’expérience a la reception: La question du public

La fabrication d’un tel monde de l’exposition est destinée à engendrer une expérience unique et particulière pour le public. Il doit pouvoir s’immerger, s’impliquer, interpréter, s’approprier et enfin ultérieurement, se remémorer l’exploration de cet environnement. Ainsi cette dernière grande partie est l’occasion d’aborder la visite de l’exposition non plus dans sa conception et son agencement mais à travers l’expérience du public. Elle se démarque des réflexions précédentes, puisque nous aborderons nos exemples sous des formes plus théoriques, en s’appuyant sur des ouvrages. Le propos général tenu tout au long de ce raisonnement sera synthétisé.

4.1.

L’ÉVEIL DU PUBLIC : RÉCEPTION/ INTERPRÉTATION

Si l’aménagement de l’espace d’exposition, la conception des dispositifs de présentation paraient si complexes, c’est bien parce qu’ils ont pour but de provoquer, d’interpeller le public dans sa visite. Il faut l’éveiller, capter son attention face aux collections qu’il s’apprête à voir, car l’exposition est un média au même titre qu’un livre, se voulant didactique voire même ludique. Pour se faire, notre réflexion se découpera en trois temps : l’implication du public dans le bon fonctionnement de l’évènement, son appropriation et son interprétation de l’espace donné.

A // L’IMPLICATION DU PUBLIC DANS LE FONCTIONNEMENT DE L’EXPOSITION

Comment juger du bon fonctionnement d’une exposition ? Celui-ci réside dans l’implication voulue du public prévue par le scénographe à travers la conception de son espace et de ses dispositifs. Notons que cette question d’implication peut engendrer aussi la notion d’expérimentation. Différents moyens, tels que le parcours « contraint », les directives données en début d’exposition provoquent une implication particulière du public. Nous pourrions trouver encore d’autres procédés participatifs comme ceux destinés à la compréhension d’un propos scientifique. Cependant ils ne concernent pas nos exemples. Nous relèverons ici ces implications mais aussi la manière dont elles sont incitées et engendrées par le scénographe à destination du public. Pour la rétrospective d’Eileen Gray et l’exposition permanente du Pavillon Amont, la question de l’implication du public est plutôt limitée. Pour la première, elle réside dans la façon dont le visiteur va suivre l’exposition. Le parcours étant « contraint », construit de manière linéaire, le public se voit dans l’obligation de le suivre et comme nous l’avons déjà évoqué, il constitue un ordre de réception étudié. En suivant cet ordre chronologique proposé, le visiteur pourra avoir une perspective biographique de l’exposition, telle qu’elle le fut voulue et pensée initialement. Alors si le visiteur décide de rebrousser chemin, nous perdons la logique fonctionnelle d’une rétrospective. Lorsque le parcours est suivi comme prévu, le bon fonctionnement de l’exposition est en marche. Au Pavillon Amont, la participation du visiteur est envisagée plus librement. Ainsi le bon fonctionnement de l’exposition réside dans l’exploration des trois niveaux successivement puisque rien n’empêche le public de manquer un étage. D’autre part dans ces expositions, l’implication du visiteur porte aussi sur son attention face aux collections exposées. Cette remarque est d’ailleurs valable pour toutes les expositions en général. Aux Arts Décoratifs, pour « Take a Seat », ce n’est pas le parcours qui conduit au bon fonctionnement de l’exposition. L’implication se manifeste par l’expérimentation des chaises

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par le public, c’est elle qui va donner la logique de la visite. Elle est guidée par de nombreuses indications « prenez place », dont nous avons déjà largement parlé. L’omniprésence de cette directive et son efficacité ne laisse aucune alternative au visiteur. Il est alors évident que ces procédés conduisent à une expérimentation du public, dans laquelle réside tous les enjeux et objectifs visés par l’exposition. De cette manière, c’est la relation de l’usager et sa chaise qui est mis en avant. Nous conviendrons que si le public se rend à une exposition, c’est bien que le sujet l’importe un minimum. Alors l’implication du visiteur dans l’exposition ne doit jamais être négligée. Lorsque le public se prête sagement aux dispositifs mis en place c’est aussi une preuve de l’intérêt qu’il porte au sujet, aux collections exposées et à leur dimension narrative. Dans l’implication envisagée réside donc toute la logique de l’exposition et par là même sa narration. Cependant l’implication ne serait-elle pas plus manifeste à travers l’appropriation laissée au public ? De quelle manière, celui-ci peut-il s’approprier l’espace d’exposition ?

B // APPROPRIATION DE L’ESPACE D’EXPOSITION ET DE SES DISPOSITIFS

Cette notion d’appropriation suit logiquement l’idée vue précédemment d’implication et de participation du public dans le bon fonctionnement de l’exposition. Nous pouvons voir l’appropriation comme une forme d’implication plus intense qui engendre avec elle d’autres aspects plus « singuliers » : ce que s’approprie le visiteur sur le temps de la visite, de l’expérience et ensuite de ce qu’il en garde ultérieurement… Dans le cas des expositions de mobiliers la manifestation de cette notion est réduite. Cette dernière remarque est particulièrement vraie pour la rétrospective « Eileen Gray » au Centre Pompidou. La place pour l’appropriation du visiteur dans l’exposition est particulièrement limitée : le visiteur est pris en charge du début jusqu’à la fin. Cet aspect est visible notamment à travers le cheminement contraint qui ne laisse pas la place au visiteur de choisir son sens de déambulation selon ses aspirations. De plus, aucun dispositif destiné à la manipulation du visiteur n’est donné. Cependant rien dans l’exposition n’en requiert l’utilité. La seule liberté qui conduirait le visiteur à l’appropriation est la manière dont il décide de regarder les pièces exposée soit avec lenteur et insistance ou en tournant autour, en l’effleurant du regard…etc. Au Pavillon Amont, l’appropriation réside dans la liberté de déambulation laissée au visiteur. D’après cette conception d’espace, il devra se résoudre à prêter son attention à certaines pièces plutôt qu’à d’autres. Son comportement, ses déplacements, ses observations notent l’appropriation qu’il se fera de l’espace mais aussi des collections et de leurs dispositifs de présentation. En revanche dans le cas de « Take a Seat » l’appropriation est évidente. Elle intervient à la suite et dans la logique de l’expérimentation à laquelle le visiteur est « contraint ». L’appropriation naît alors de la relation entre l’usager et sa chaise. C’est à partir de là et grâce au toucher, qu’une histoire entre les deux sujets se tisse. Un sentiment d’appartenance, de sensibilité, de familiarité ou au contraire de rejet apparaît. La notion d’appropriation se poursuit en dehors de l’exposition, et même ultérieurement. Elle se prolonge à travers ce que le visiteur décidera inconsciemment de mémoriser. La sélection de cette pièce marquante à ses yeux est déjà un acte d’appropriation. S’il la choisit, elle plus qu’une autre, c’est qu’elle renvoie à quelque chose de son vécu. Ainsi dans le cas de l’exposition de Jasper Morrison, la chaise marquante du visiteur n’est pas guidée par la scénographie. Le public est totalement libre de porter son attention sur l’une de ces chaises. Par contre, dans la rétrospective d’Eileen Gray, l’attention du visiteur est guidée par les dispositifs qui mettent en évidence certaines œuvres plus que d’autres. De cette manière les pièces qu’il gardera en mémoire sont sensiblement les mêmes d’une personne à l’autre. Pour le

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Pavillon Amont, là encore les objets marquants issus de l’exposition dont le visiteur mémorisera restent libres puisque l’aménagement des dispositifs de présentation est finalement très uniforme, de même valeur sur son ensemble. Ainsi, l’appropriation se décompose en deux temps forts celui de l’expérience présente et ultérieurement en dehors de l’exposition. Cette notion n’est pas négligeable puisque d’une certainement façon, elle fabrique les connaissances et la sensibilité du visiteur. Cet acte d’appropriation pérennise l’exposition dans la mémoire de son public. Par ailleurs c’est aussi tout un mouvement d’interprétation qui se fabrique. Mais dans quelle mesure l’interprétation du visiteur opère-elle ?

C // PERCEVOIR UNE NARRATION DANS L’EXPOSITION, INTERPRÉTER

Pour Davallon, si le visiteur « aura à un moment ou un autre, à choisir des itinéraires, [comme nous l’avons vu à travers l’appropriation de l’espace d’exposition, celui-ci aura aussi,] à attribuer des significations aux objets ou à la mise en scène. »22 La perception de l’espace d’exposition, des procédés de présentation et des collections présentées engendrent donc une activité d’interprétation de la part du visiteur. Celui-ci se voit naturellement obligé de comprendre le sujet de l’exposition et les significations mises en jeu. Le travail du scénographe contribue à guider l’interprétation du public à travers la perception des dispositifs qu’il réfléchit. Une orientation est donnée à l’interprétation du visiteur pour la rétrospective « Eileen Gray », par certains dispositifs tels que la répétition d’obliques, la palette colorée, la dimension des espaces, l’ambiance générale, les cloisons basses… Ces particularités sont évidemment perçues par le visiteur. C’est alors que s’opère le mécanisme de compréhension et d’interprétation. L’ambiance et sa dimension immersive y sont pour beaucoup. Même si le visiteur n’a pas réellement conscience que derrière ce monde se cache un scénographe celui-ci sait pourtant bien qu’il entre dans le monde d’Eileen Gray avec tout ce qui l’implique. De la douceur, à la féminité, de la discrétion à l’intimité, ou encore de la variété des techniques au minimalisme, voici tous ce qui se donnent à l’interprétation du spectateur. C’est maintenant à lui de recomposer la narration générale de l’exposition avec sa subjectivité. Ainsi la perception donnée et interprétée chez Eileen Gray est la narration d’une artiste-designer, discrète au sens plastique varié, s’inscrivant dans le mouvement moderne. Pour le Pavillon Amont, il est difficile d’analyser ce qui alimentera l’interprétation du public : les détails, les nuances de conception à l’intérieur d’un même mouvement d’une même époque sur un large territoire. L’interprétation est surtout le fait de la re-contextualisation des objets dans leur environnement initial avec ces « period rooms » dont nous avons eu l’occasion de parler. Il fait appel à son imagination pour visualiser l’intérieur qui regroupe ces sièges accompagnés de leur table et d’une commode. La proposition d’un ensemble guide l’opération d’interprétation tout en la laissant libre d’imaginer, de digresser, d’extrapoler… Dans le cas de l’exposition de Jasper Morrison, ce qui est d’abord donné à l’interprétation ou à l’imagination, c’est la manière dont le public va s’approprier la chaise et la relation qu’il va chercher à s’inventer avec elle. Ensuite c’est une interprétation générale sur l’exposition dans son entier qu’il va entamer et si le visiteur peut s’asseoir, s’il est autorisé à entrer en contact avec ce siège, c’est que l’objet est aussi accessible dans son monde d’origine. Chaque exposition incite l’interprétation du visiteur à décrypter la narration de l’exposition. Davallon, nous apprend dans ce sens qu’« interpréter, cela veut dire « retrouver » le texte qui est censé avoir présidé à la logique de l’exposition », de plus, « la « reconstitution » opérée par le visiteur sera toujours parcellaire, incertaine, subjective […] »23. Ainsi d’une personne à Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p174. 23 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p176. 22

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l’autre pour une même exposition, la compréhension peut varier. Cette action d’interprétation sort le public de sa passivité, c’est ce qu’évoque si bien Glicenstein. Il va d’ailleurs plus loin dans cette réflexion et déclare que l’exposition peut être « considérée comme « un film dont le spectateur serait le monteur » ». Il attribue alors au visiteur la tâche de décrypter un discours, la narration sous-jacente. Il ajoute que « cette idée de la réécriture du texte par le lecteur - lors de l’acte de la lecture - s’applique particulièrement bien au champ de l’exposition » puisque « […] pratiquer une exposition - au sens de la visiter - consiste aussi à s’approprier les relations proposées ». En ce sens les liens entre les pièces d’une même collection suffiraient à la constitution d’une appropriation par l’interprétation du visiteur. De cette façon, « [l]a lecture, comme la visite d’une exposition [serait] une activité qui engage fortement le visiteur (qu’il en soit conscient ou non) à sortir de sa passivité »24. Tous ces aspects que constituent la réception et l’éveil du public paraissent être à l’origine de la perception d’un monde sensé et sensible.

4.2.

PERCEPTION D’UN MONDE SENSÉ ET SENSIBLE

L’exposition fonctionne avec la narration, voilà ce que nous avons affirmé dans notre raisonnement, elle permet à l’exposition de se faire sensée et sensible. Cette nouvelle partie sera l’occasion de faire une première synthèse de la réflexion que nous avons engagée jusqu’ici. Tous les éléments abordés seront replacés dans le contexte de la narration. Puis dans un dernier point, notre propos sera élargi et ouvert autour de nouvelles questions.

A // L’EXPOSITION FONCTIONNE AVEC LA NARRATION

Jusqu’ici nous l’avons vu, la dimension narrative est omniprésente dans l’exposition, son agencement et la fabrication de ses dispositifs. Chacun d’entre eux fabriquent tous un fragment du récit général que l’exposition souhaite transmettre. Nous pouvons dire que l’exposition fonctionne avec la narration puisqu’à travers cet évènement c’est toute une histoire qui est racontée celle d’Eileen Gray, du travail de Jasper Morrison ou des mobiliers arts décoratifs. Pour l’exposition « Eileen Gray » au Centre Pompidou, la narration réside tout d’abord, dans le principe même de la rétrospective qui s’attache à raconter l’histoire, la vie d’une artistedesigner discrète, indépendante. Pour cela, la narration s’attache à recréer un univers dans lequel seront « illustrées » les particularités d’Eileen Gray. Il faut aussi témoigner de l’intérêt qu’elle représente pour qu’une telle institution lui rende hommage à travers cette rétrospective. De cette façon un univers commence à se créer. Cette narration donne sa particularité à l’exposition à travers l’élaboration des dispositifs. Elle guide le dessin particulier des emmarchements qui regroupent les pièces d’un même univers, anoblit le « Siège Sirène » par exemple, ou encore re-contextualise par le biais de grands clichés photographiques. Elle oriente aussi comme nous avons pu le voir l’ambiance qui donne à l’exposition son caractère calfeutré, presque intimiste et résolument moderne. Ainsi dans cet exemple la narration est visible dans la profusion, l’accumulation de détails, et de dispositifs, référentiels. Chez Jasper Morrison c’est tout l’inverse, la dimension signifiante guide le projet de scénographie vers un environnement minimal et sobre. L’idée est de pouvoir mettre en évidence le caractère usuel de ses chaises. Dans cet exemple, la narration s’affranchit du dessin de dispositifs surajoutés. Elle communique une directive : expérimenter, « Take a Seat ». Une forte cohérence entre la narration et sa traduction spatiale est mis en marche. Au Pavillon Amont, la narration aborde plusieurs points de vue artistiques d’une même époque à travers des lieux géographiques différents. Cet aspect est mis en scène par de vastes soclages et leurs sur-socles 24

Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p112-113.

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mais aussi par de nombreux points de vue sur l’ensemble de la salle et ses collections dont le visiteur peut bénéficier. De différentes manières, la narration donne tout son scénario et sa trame à l’exposition, qu’elle soit temporaire ou permanente, importante ou petite, sur le mobilier ou un autre sujet… L’exposition ne peut se défaire de sa dimension narrative ou du moins d’une dimension signifiante pour ce qui concerne Jasper Morrison. Sans cette narration qui tisse un lien cohérent entre les pièces, l’exposition perdrait toute son identité et de fait son intérêt. La narration ne serait-elle pas surtout un moyen de donner à l’exposition une signification et une sensibilité pour emporter le visiteur dans un univers autre que son quotidien ?

B // UN MONDE SENSÉ ET SENSIBLE

A la question « dans quelle mesure la narration permet-elle de faire fonctionner l’exposition ? », nous avons jusqu’ici trouvé différents éléments de réponse. Celui qui semble prévaloir sur tous, est la fabrication d’un monde sensée et sensible par la narration. L’exposition révèle des significations plus profondes, à travers un espace qui provoque les sens du public. En premier lieu, essayons d’expliciter cette notion de « monde » que l’exposition est censée représenter. Davallon à ce sujet parle de l’exposition comme d’un « territoire artificiel », mais aussi comme d’un « monde utopique que nous construisons à partir des objets que nous estimons être leur monde »25 . De cette façon l’exposition se fabrique à travers «un espace d’interaction, une aire de relation, entre une instance productrice et une instance réceptrice»26, ajoute-t-il. Ainsi la rétrospective « Eileen Gray », renvoie au monde de l’artiste-designer, à son époque, à son œuvre. Cependant, cette question de « monde » dans ce cadre est bien plus complexe, puisque selon Davallon, la « mise en exposition […] abouti[t] à l’institution de quatre mondes (le monde quotidien d’où vient le visiteur, le monde d’où vient l’objet, l’exposition comme monde de langage, le monde utopique comme monde de signification et de valeurs construit) »27. Ce tout forme ce qu’il appelle « l’espace synthétique ». Ainsi l’exposition est un espace dans lequel fusionne d’autres mondes, de provenances différentes pour former un monde de l’exposition, avec son propre sens. Nous remarquons aussi que «l’objet en entrant dans l’exposition, change de statut et devient l’élément d’un ensemble, le composant d’une mise en scène », « il est [pourtant bien] un objet du réel [mais il] n’est plus dans le réel». En effet, le mobilier exposé pour l’exposition « Eileen Gray » perd sa dimension d’objet fonctionnel destiné à un intérieur d’époque pour devenir icône. Pour « Take a Seat » tout est fait pour atténuer ce changement de statut, la chaise, objet usuel, doit entretenir sa proximité avec le visiteur-usager. D’autre part dans ce monde que fabrique la narration pour l’exposition, intervient comme nous l’avons vu des ambiances, des références évocatrices, qui lui confèrent une dimension sensorielle par le biais des couleurs, des matières, des lumières, des ombres, des sons, des touchers… Ces aspects « condui[sent] le spectateur à ressentir un certain nombre d’humeurs, de sentiments, de regards, de l’inviter à ressentir ceci ou cela, à penser ceci ou cela »28. De cette manière, ce monde prend une dimension sensible. A cela s’ajoute toute la recherche de sens, d’évocation avec le monde d’origine des objets dans le dessin des dispositifs de présentations (le socle ou le mobilier d’exposition). Au Pavillon Amont, les grandes plateformes « îlots », ou les period rooms, mettent en évidence une référence. Ces moyens tissent des liens et mettent en abîme la narration : la signification générale de l’exposition et sa visée. L’exposition devient alors ce monde sensé et sensible mettant en jeu la réception des significations et la sensibilité du visiteur. Mais ce dernier perçoit-il cette fabrication spécifique de l’exposition ? Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p30. 26 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p141. 27 Davallon Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999, p143. 28 Glicenstein Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009, p112-113. 25

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C // LE VISITEUR FACE À LA NARRATION

Si ces trois expositions de mobilier s’attachent à fabriquer des expositions dont la dimension narrative est décelable, il en va de même pour toutes les expositions en général. Comme nous l’avons vu cette conception particulière est destinée au visiteur. Cependant, dans quelle mesure le visiteur est-il touché par cette narration qui va de pair avec l’exposition? Dans cette partie nous élargirons notre propos en nous plaçant côté visiteur, ce qui éveillera de nouvelles questions. La narration touche le visiteur à travers la dimension sensée et sensible qu’elle met en jeu. Dans ce monde qu’on lui ouvre, il doit être emporté entre compréhensions et émotions. Son parcours se ponctue de sensations, d’impressions, qu’il élabore à partir de son interprétation. Mais, s’il peut percevoir que l’espace est fait pour le toucher, perçoit-il la réelle intervention de la narration dans l’exposition ? Même si la réponse ne peut être apportée en seulement quelques lignes, nous pouvons d’ors et déjà affirmer que la narration n’est pas faite pour être décelée en tant que telle. Ce que le public perçoit doit se limiter à ce qu’engendre la narration autrement dit, des significations et des émotions sensorielles. Finalement peut-être est-ce là que réside tout le bon fonctionnement d’une exposition, faire que sa narration ne révèle rien de ces secrets de fabrication pour ne pas compromettre ses effets sur son public. L’enjeu est peut-être de garder intact toute la dimension poétique de la narration en construisant l’exposition. La narration, d’une certaine façon cherche à manipuler le public pour lui faire saisir les objectifs visés par l’exposition. De cette manière le visiteur doit pouvoir s’évader de son monde quotidien pour le monde que lui offre l’exposition. C’est aussi semble-t-il le moyen de procurer du plaisir au visiteur. La narration tisse donc aussi une expérience sensorielle et émotionnelle de l’espace. Par ailleurs, si la narration est une manière de guider ou même de manipuler le public dans sa réception, celui-ci pourra toujours échapper au récit. Mais est-il réellement conscient, que la conception de l’espace est pointue, au point qu’il puisse être influencé dans son interprétation ? Qu’attend véritablement le public en entrant dans une exposition ? Se divertir, apprendre, rencontrer ? Car finalement c’est peut-être tout simplement ce pourquoi le public vient dans cette exposition et ce qu’il s’attend à y voir qui conditionne son interprétation et de fait la compréhension et ses significations… A ce titre la narration aurait pour objet de distraire, de faire s’évader, ou encore de transmettre à travers le média « exposition ».

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conclusion

Les Nabis, Pavillon Amont.


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Enfin,

A travers l’étude de nos trois exemples, nos réflexions personnelles et les théories de Davallon et Glicenstein, nous avons vu en quoi et dans quelle mesure la narration permettait de faire fonctionner l’exposition. Dans un premier temps, nous avons observé que cette narration permettait de distinguer un monde de l’extérieur, du quotidien et un monde de l’exposition pour créer une entrée vers sa dimension narrative. Celle-ci s’installe donc dès l’entrée, par ses accès, la conception d’un seuil et d’une conduite imposée, mais aussi par l’immersion qu’elle engendre à travers la construction d’une ambiance, des références évocatrices et un espace sensoriel. Nous en avons conclu que ces aspects et tout particulièrement l’ambiance, renvoyaient à un premier niveau d’intervention scénographique : une lecture plus conviviale. Ensuite nous avons abordé la manière dont il était possible de suivre cette narration. Les moyens de lectures révèlent eux-mêmes beaucoup de la dimension narrative de l’exposition. Pour cela, nous avons évoqué la qualité du parcours, par son mode de déambulation, sa rythmique et sa durée. Puis l’articulation de ce parcours en rapport avec le discours, a été abordé à travers le choix de classification, la trame narrative ou encore la contrainte architecturale. Par la suite, il a été question de la fabrication (matérielle) de l’espace de la narration. A ce titre nous avons étudié les modes de présentations des objets de la collection qui eux-mêmes se réfèrent à des évocations afin d’alimenter la narration générale par le biais des socles, de la contextualisation des pièces et du travail de la lumière. Nous avons discuté autour des outils de la pédagogie caractérisées par la signalétique, les ponctuations documentaires et les ouvrages consultables. Ce niveau d’intervention scénographique orientait la narration sous une forme plus conceptuelle. Enfin dans la dernière partie, nous ne nous sommes plus concentrés sur la perception de l’espace d’exposition ou sa construction mais bien sur la réception et l’expérience du public. Celui-ci s’éveille donc par l’implication, son appropriation mais aussi par son interprétation. Alors, même si la narration pouvait permettre de manipuler et guider l’interprétation du visiteur celle-ci resterait toujours parcellaire puisque subjective. Enfin nous avons abordé la perception de ce monde sensé et sensible que la narration tisse dans l’exposition. Ce fut alors l’occasion de faire un premier bilan de notre réflexion.

Ainsi ce propos a pris le parti d’aller du plus général, de l’ambiance au plus particulier par la fabrication des socles par exemple, pour enfin s’appuyer sur des données théoriques et enrichir la réflexion. De cette façon, le début de notre réflexion aborde les premières impressions brutes, ressenties par n’importe quel visiteur capable de poser des mots sur ce qu’il a vu, pour en venir aux interprétations, à la mémorisation ultérieures et distanciées de l’expérience. Le raisonnement proposé apporte des réponses personnelles à la suite des visites faites de ces expositions. Ces réponses mêlent l’appréhension d’un visiteur lambda avec le regard plus affuté du cursus architectural.

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Au regard de ces points d’analyses, de réflexions, nous aurons (re)découvert trois expositions parcourues sans aucune idée du travail dont elles avaient fait l’objet. Nous avons qualifié et parfois critiqué ces expositions. Si l’une des trois expositions a le plus retenu notre attention, c’est sans doute celle de Jasper Morrison, qui avec le minimum de dispositifs a réussi à transmettre un maximum d’effets et de sens. Elle a d’ailleurs prouvée que la narration n’était pas le produit d’une addition, d’une accumulation de procédés. Si elle s’affranchit autant des scénographies classiques, peutêtre est-ce dû au fait que l’exposition est le produit d’un designer, et en l’occurrence de Jasper Morrison lui-même. L’exposition « Eileen Gray », elle, emploie un maximum de type de dispositifs, pour donner à lire une histoire finalement assez habituelle : une biographie, l’œuvre d’une artiste-designer. Le Pavillon Amont a montré que cette narration n’était pas seulement visible dans les expositions temporaires, les présentations permanentes sont aussi touchées. Nous attendons d’une exposition qu’elle transmette un savoir, qu’elle partage une culture, qu’elle nous fasse découvrir des chefs d’œuvres ou des objets bien connus, réellement. Pour cela l’exposition a besoin de se construire sous la forme d’un monde transfiguré, caricaturé afin d’être la plus parlante possible. C’est dans la nature de l’exposition que de se faire communicative, didactique voire même ludique. De cette façon la narration intervient dans le processus de conception. Et c’est à partir de là que nous saisissons la dépendance et l’adéquation entre la notion d’exposition et de narration. Nous l’avons d’ailleurs bien vu précédemment, ces deux termes même par leur définition respective ne fonctionnent pas l’un sans l’autre. La narration est donc le moyen qui fait de l’exposition un monde sensé et sensible. Le récit est ici suivi non plus par un lecteur mais bien par un visiteur.

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Le propos dégagé sur la narration peut alors être élargi à toutes les expositions en général, puisqu’à l’image de l’exposition «Les Impressionnistes et la Mode» ou encore « La Mécanique des Dessous », nous pouvons là aussi déceler les traces d’une narration pour un même type d’objet, le vêtement. Dans la première, le vêtement montre son rôle d’apparat et de représentation. Dans la seconde est retracée l’évolution du sous-vêtement. Le sujet implique donc d’une exposition à l’autre une tout autre narration. Pour autant, en dehors des expositions de mobilier, la narration s’installe-t-elle et intervient-elle au sein des mêmes aspects et dispositifs ? Les traces de sa fabrication y sont-elles aussi tenues secrètes ? Dans une exposition scientifique, lorsqu’il n’est plus question d’objets issus du monde artistique, pouvons-nous déceler la narration ? Se manifesterait-elle au même titre ?

page 2 59



bibliographie OUVRAGES DAVALLON Jean, L’exposition à l’oeuvre, Ed. L’harmattan communication, 1999. GLICENSTEIN Jérôme, L’art : une histoire d’exposition, Ed. puf lignes d’art, 2009. GUELTON Bernard, L’exposition, interprétation et réinterprétation, Ed. L’Harmattan, Ouverture Philosophique, 1998. HUGHES Philip, Scénographie d’exposition, Ed. Eyrolles, 2010. PITIOT Cloé (sous la direction de), Eileen Gray (catalogue d’exposition), Ed. du Centre Pompidou, 2013.

revues

INTRAMUROS, N°145, Jasper Morrison : Designer, Novembre/Décembre 2009.

sites internet

LES ARTS DÉCORATIFS : http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/arts-decoratifs/ expositions-23/archives-25/jasper-morrison-take-a-seat/ LE CENTRE POMPIDOU : http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param. id=FR_R-18c51835e9fd47c1d213c6cc5336f774&param.idSource=FR_E18c51835e9fd47c1d213c6cc5336f774 LE MUSÉE D’ORSAY : http://www.musee-orsay.fr/

60


table des matières INTRODUCTION

2-4

AVANT-PROPOS

6-8

I. DU MONDE EXTERIEUR, AU MONDE DE L’EXPOSITION : UNE ENTREE DANS LA NARRATION

10

10

1.1.

Le passage dans le monde de l’exposition

a. Accéder à l’exposition b. Le seuil c. Du seuil à la bonne conduite

1.2.

L’immersion dans un milieu spécifique

a. Trois expositions, trois ambiances distinctes

b. Les référents de l’immersion c. Un espace sensoriel

10 12 14

16 17 20 21

2. SUIVRE LE RECIT : du parcours au discours

24

24

2.1.

La qualité du parcours

a. Le mode de déambulation b. La rythmique c. Le temps donné au parcours

L’articulation ou l’adéquation discours-parcours

2.2.

a. Le choix de la classification b. La trame narrative (Le Discours Parcours) c. Composer le parcours et le discours dans l’existant

24 25 26

28 28 30 31

61

page 2


3. FABRIQUER Le récit : Les dispositifs techniques

34

34

3.1.

Les modes de présentation des objets de la collection

a. Les socles b. La contextualisation des objets c. Le travail de la lumière

Les outils de la pédagogie

3.2.

a. La signalétique pédagogique b. La ponctuation documentaire c. Les ressources pédagogiques consultables

34 40 42

44 44 45 48

4. DE L’EXPERIENCE A LA RECEPTION DU PUBLIC

50

50

4.1.

L’éveil du public : Réception/ Interprétation

a. L’implication, du public dans le fonctionnement de l’exposition 50 b. Appropriation de l’espace d’exposition et de ses dispositifs 51 c. Percevoir une narration dans l’exposition, Interpréter 52

Perception d’un monde sensé et sensible

4.2.

a. L’exposition fonctionne avec la narration b. Un monde sensé et sensible c. Le visiteur face à la narration

53 53 54 55

Conclusion 58-59 Bibliographie 60 Table des Matières 61-62

62




fin.


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