Chambres et Hors-Chambres

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Noemi Veberič Levovnik - mémoire du DNSEP directeur de mémoire : Tristan Trémeau École supérieure d’Art de Quimper, printemps 2011


CHAMBRES et

HORS-CHAMBRES Fragments d’un monde



Ce livre est une maison. Ce livre est un grand immeuble avec des pièces secrètes et des couloirs qui mènent ailleurs. Ce livre est un contenant de divers lieux, un tour de (mon) monde, par fragments. Ses chambres sont liés par des portes, des couloirs et des passages. Labyrinthe dans lequel il est agréable de se perdre, pour voyager à l’intérieur et en rêve, et pour se réfléchir. Pour éprouver. Pour ressentir. Pour comprendre. Hors-chambres se trouvent les mots chantés dans la nuit et les choses invisibles, jardins et usines abandonnées, rivières, forêts et étoiles.


immeuble chambres maison rêve lieux

ailleurs

monde passages

couloirs

intérieur labyrinthe contenant portes

pièces sécrètes


Entrée Africa, 2010, photographie numérique

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SOMMAIRE

- SCÈNE DE SPECTACLE/BAR DE NUIT...........................10-59 - Travesti (chapitre entier) - Chanson - Musique - Féminité, rôle de la femme

10-59 24-39 40-41 42-59

- CHAMBRE DES FANTÔMES..........................................60-75 - Projection des ombres - Rêve de fantôme - Le fantôme de Frances

62-63 65 66-75

- LES CHAMBRES DES AUTRES....................................... 76-91 Fenêtres des autres la nuit, vies possibles/vies rêvées, citations, instants de fiction

- L’ESPACE de l’IMAGE................................................... 92-108 - Psychanalyse de l’image de Serge Tisseron 94-99 - L’image au mur 100-103 - Pixellisation/ grain 104-105 - Réflexion autour d’une phrase de Schopenhauer/ Spéculations 106-108

- DANS LES COULOIRS DU PASSÉ............................. .111-127 - Going home : photographies - Nostalgie - Extraire les espaces au cours du temps qui passe

114-117 118-119 120-125


- COULOIR DES MIROIRS...........................................130-177 - Dessin, peinture, image mentale - Performance, geste - Retour au corps / psychometaphysic approach - Autoportraits

132 144-153 136-161 162-177

- BUREAU DES PROJETS............................................. 178- 207 - idées de projets - textes entre prose et pratique - FacesVoices (poème en prose pour vidéo) - Collages/Patchwork

180-183 184-185 186-191 192-207

- MA CHAMBRE............................................................209-239 autobiographies / autofictions, collages de journaux intimes, rêves - je suis sortie de mes rêves brusquement - collages de journaux intimes - Alice in a confused sexual orientation land - Je pars - Un vieux rêve de cuillère - Rêve d’une ville sous l’eau et poissons-taxi

210-211 212, 214, 229, 230, 232 218-219 222-223 225 234-237

- Références d’images...................................................... .240-241 - Bibliographie................................................................... 242-243


1 Merzak Allouache, Chouchou, 2003


SCÈNE DE SPECTACLE/ BAR DE NUIT travesti, féminité, mascarade


M’intéressent surtout l’intensité émotionnelle, l’expressivité des visages, des corps, la capacité des objets ou des espaces (des décors) de créer une forte ambiance. La saturation d’un souvenir, le traumatisme, la nostalgie.

Un espace réel qui peut devenir espace mental et vice-versa. Rêve. L’endroit lointain mais que j’ai connu. Le temps lointain, imaginaire, le souvenir. J’aime le tragique, le pathos. Le travesti, le drag-queen, son spectacle, son goût pour le tragique, l’aspect grotesque du maquillage et de la tenue exagérée, la joie de vivre, ses couleurs, son hyperexpressivité, féminité surjouée, parfois douloureuse. Le mélodrame des paillettes, expressionnisme.

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2 Stephan Elliot, Adventures of Priscilla, Queen of the desert, 1994


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Le corps féminin nu – la nudité et ce qu’elle représente, la sexualité, la représentation de la femme dans la société occidentale. Libérer la sexualité, libérer les émotions, les sensations. Libérer le corps. Comme un rituel pour chasser le mal, les esprits, la tristesse, pour sortir des carcans oppressants. Qui déjoue également les questions du genre. En faisant rire.

L’excès de joie qui cache un monde sombre, un endroit triste, bleu-noir, gris, cellule de prison, traumatisme, blessure, peur, désolation, étrangeté.

3 Otto Dix, Lola, 1920

gauche : Antoinette, 2009, fusain et aquarelle sur papier

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Couleur/noir et blanc ou bien le gris ? Contemporain/ancien, daté Souvenir/ nostalgie/ page blanche, encré dans le présent, futurisme Les points de suture entre les opposés. Là où ils se rejoignent. Un espace de contradiction. Détermination de genre, de sexualité, de type, dans la petite enfance. La réincarnation?

4 Otto Dix, Soldat blessé automne 1916, 1924 2 Adventures of Priscilla, Queen of the desert

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A chaque fois une autobiographie, tout ce que je fais est autobiographique. Le travesti me représente d’une certaine manière. Son principe est une sorte de bipolarité, le double, la personnalité double. Il est spectaculaire, il aime les attributs de féminité fabriqués par la société pour les femmes et à la fois les transcende par son goût de la provocation, il les pousse «over the top», devient une caricature de féminité. Mais cela lui fait plaisir. Clown. Fille devenue homme social (Blackwood, 1984) ou, plus souvent, garçon devenu femme sociale, les berdaches peuvent être classés (selon les cultures, et selon l’interprétation des auteurs) comme phénomène de «troisième sexe», de «genre mixte» (gender mixing status), ou de «transgenre» (gender crossing), et possédaient de ce fait des pouvoirs particuliers, notamment chamaniques (tout comme le transvestisme qualifie certains Inuit pour le chamanisme). Les transgressions du sexe et du genre, Nicole-Claude Mathieu, 2002, p. 74

2 Adventures of Priscilla, Queen of the desert

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Valentine clown, 2010, vidéo/performance, durée aprox. 2min


Des lieux joyeusement sinistres2

Préface de No man’s land – les photographies de Lynne Cohen, Pierre Théberge et William A. Ewing, 2001

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Rêve de travesti chanteuse

J’ai rêvé un travesti chanteuse. Il n’était pas très bien maquillé ou habillé, il avait une perruque blonde, des paillettes argentées, je ne sais plus où c’était. Son maquillage avait un peu coulé. Mais je ne peux parler de cette personne en employant le masculin. C’était elle. Elle donnait un concert au club Gromka. On l’avait conduite là-bas je crois, j’ai même l’impression de l’avoir aidée pour se préparer, de l’avoir peut-être même maquillée. Elle me plaisait beaucoup. Je me rappelle, ça avait commencé déjà avant, je devais participer d’une manière à l’événement, je lisais un texte je crois, et je devais écouter ses chansons avant, mais je n’ai entendu que les deux ou trois dernières. Les temporalités sont confuses. Arrivée sur le lieu du concert, le club Gromka, elle a choisi comme scène le lit, elle s’est mis sous les couvertures, et a chanté comme ça, je crois. Je me rappelle d’une très belle voix envoûtante, une voix de femme, mais assez basse, profonde, qui me fait penser à Dimanda Galas, mais c’était bien plus beau et moins effrayant. Je voulais l’aider à préparer la scène pour le concert, j’étais prête à amener des objets pour elle, mais elle m’a arrêtée, elle m’a dit qu’elle prenait toujours ce qu’elle trouvait, en improvisant la scène à chaque concert, et que ce lit allait très bien. Elle s’est allongée, très fatiguée, elle voulait se reposer un peu avant le concert. Mais une fille est arrivée, c’était la nouvelle patronne de Gromka. Elle voulait discuter de plein de détails avec la chanteuse. Moi j’ai tout de suite essayé de l’empêcher. Je lui disais de dégager, parce que la chanteuse avait besoin de repos. Elle m’a demandé, en colère, si je savais qui elle était. Je le lui ai dit oui, mais que la chanteuse avait vraiment besoin d’être tranquille. Cependant celle-ci s’est levée, elle était vraiment trop gentille, et elle a commencé à faire plein de choses que cette autre (conne) lui avait demandées, qui n’étaient pas du tout son travail. Griller une viande, je ne sais plus pourquoi, mettre du gros scotch sur un câble qu’elle utilisait pour le concert. Seulement, le scotch, elle devait encore le trouver, il n’y en avait pas dans le club.

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Toutes ces tâches lui ont pris le peu d’énergie qu’elle possédait encore. C’était affreux, je ressentais son extrême fatigue dans mon propre corps. Le lendemain, elle était morte. On était tous très tristes. Moi surtout, je déplorais la perte d’une si grande chanteuse, sa voix me manquait, je regrettais d’avoir écouté si peu sa musique. On supposait qu’elle était morte à cause de son alcoolisme. Mais on se disait qu’il ne pouvait en être autrement, que ça n’aurait servi à rien d’essayer de lui faire arrêter la boisson. Sa belle voix, son mystère, son charme, tout d’elle était lié aussi à sa faiblesse, à son état d’ivresse perpétuelle. On ne voulait plus finalement, on ne pouvait rien changer. Certaines personnes sont ainsi et c’est bien comme ça. Mais sa belle voix me manque encore, je suis désolée de ne plus l’entendre, je veux l’entendre encore.

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5 Yvette Leglaire, dans le Je reviendrai!, au Point Virgule

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CHANSONS


A room you can never find You don't own me in my secret life You don't own me in my secret life Seecamore trees behind that strange house there's a room you can never find Black windows, blue light are you scared of my night, are you scared of my night? You don't own me in my secret life there's a room you can never find this room ain't for rent the weakness in me's the sweetness in me I play forever Seecamore trees behind that strange house Black windows, blue light are you scared of my night? are you scared of my night?

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Ce rêve m’a fait penser à une chanson que j’ai écrite par la suite, qui pourrait être une des chansons qu’elle aurait interprétées, A room you can never find (page précedante). Mais aussi une autre chanson pourrait appartenir à cet univers. Je l’ai écrite en m’inspirant au départ d’une vidéo d’artiste canadien Chris Dupuis, The Bathroom Project (image fixe p. 30). Voici un extrait du catalogue de l’exposition où j’ai vu cette vidéo : Enfant [...] il a développé une sorte de performance solo secrète, avec pour seul spectateur le miroir de sa salle de bains. (Aujourd’hui) sa carrière de drag queen lui donne un espace complètement différent pour explorer son «identité genrale» – la forme très publique de la scène. catalogue de l’exposition Vidéo in progress 3 – Fields of the Performative

Les deux chansons se ressemblent et me font également penser au Rêve de Travesti chanteuse car il s’agit d’un prolongement des rêves, d’un monde à la fois onirique et réel, celui de la pénombre, de l’entredeux. Avec une logique du rêve, une écriture presque automatique, mais consciente dans le sens où je mets en scène ce qui m’intéresse, je vais aux mêmes endroits que dans mes vidéos ou dessins, pour explorer des zones d’ombre (qui pourtant restent sombres). “Chaque chanson a son secret”, dit Philippe Grimbert dans Chantons sous la psy, son deuxième livre de psychanalyse de la chanson. Il me semble en effet que les chansons expriment nos secrets, notre inconscient, toute la part irrationnelle et passionnelle de l’homme. La chanson est quelque chose de si élémentaire, elle est comme les pleurs, les cris (de douleur, de rage et de joie), les murmures amoureux et les soliloques quotidiens, incessants, de notre esprit. Depuis que je suis au monde, et avant même ma sortie du doux abri maternel, un murmure de chansons m’est parvenu. J’ai fait mes premiers pas dans un univers de langage, mais également dans un univers musical où chaque mot se chantait, où chaque parole qui m’était adressée devenait chanson. Chantons sous la psy, Philippe Grimbert, 2002, p. 13

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[...] une chanson pour moi tout seul. Un petit rien : trois couplets, deux refrains, mais qui, l’espace d’un instant, ouvriront une parenthèse enchantée, abolissant le temps, pour me rendre mes souvenirs et mes émotions [...] idem, p. 10 Les chansons anciennes me fascinent car elles ont voyagé dans le temps, car leur teneur émotionnelle a résisté, elle sont toujours d’actualité, car la psyché humaine n’a pas changée.

Oui, c’était toujours la même chanson, [...] elle me racontait toujours la même histoire mais elle était toujours différente, toute proche et inconnue, déconcertante et rassurante. idem, p. 14 Cette même histoire, c’est l’histoire de mon enfance, de mon premier grand amour, voué à ma mère, et puis le deuxième, à mon père, et tous les événements premiers qui me constituent, avec mon lot de traumatismes, de ruptures, de marques. Douleur de séparation, c’est toujours la même, celle de la première séparation. Elle est chanté dans tant de chansons d’amour, masquée, projetée ailleurs.

Une dimension autre, étrangère aux critères de l’esthétique musicale et de la qualité littéraire, produisait sans doute ses effets au travers de ces chansons et y exerçait son pouvoir : un message inconscient, échappant à l’auteur lui-même, mais rendu perceptible au public par des voies obscures. idem, p. 19

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Secret performance Secret performance in the bathroom mirror with the three women I always get confused ten man are singing you are next dear, are you real, can you feel the yellow hour. I want to be free dressing up like her I will go behind the scenes of destruction Secret performance in the bathroom mirror cheer up girl can you feel the yellow hour A path of mirors A blue prom dress Sun has broken hair You are looking my way Secret performance in the bathroom mirroir with the three women I always get confused The clock is ticking they are near now are you real, can you feel the yellow hour I want to be free dressing up like her I will go behind the scenes of destruction

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6 Chris Dupuis, The Bathroom Project, 2008

Traversant son destinataire, tout au plaisir immédiat de l’écoute, un message codé s’adresserait donc à celui qui s’ignore et qui monta la garde en chacun de nous : ce sujet de l’Inconscient qui en accuse réception. Cet Autre, tapi au fond de nousmêmes, ce bon entendeur qui ne se laisse pas duper par l’apparente facilité de la chanson et qui en saisit donc l’amical salut, sous une forme reconnaissable par lui seul. Chantons sous la psy, Philippe Grimbert, 2002, p. 20

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La chanson peut avoir de nombreuses fonctions dans une oeuvre (ou seule, elle fait oeuvre) : elle crée une ambiance, raconte une histoire, (parfois une apparente et une sous-jacente, comme ce message ‘inconscient’ dont parle Philippe Grimbert). Mais la chanson n’est pas qu’un texte abstrait, un message secret. Ses paroles aussi exposent des névroses très répandues, et des comportements régressifs ou destructifs qui en découlent. Si répandus, tolérés, même valorisés parfois : un romantisme qui n’est autre que dépendance amoureuse et blessure narcissique, la «victimisation» de soi, mélancolie complaisante (mais au combien agréable parfois). Souvent elle exprime et propage les moeurs infantilisants de la société. C’est un gouffre rose-bonbon qui attire. Je l’utilise pour décrire des schémas difficiles à abandonner, pour dénoncer tous les problèmes qu’on a avec soi-même, se moquer et rire de nos problèmes, de notre bêtise, de nos faiblesses (avant tout des miennes propres). Pour éviter le pathos qui se prend au sérieux, lui insuffler à la fois des notes ironiques et tendres. Travail autour du chant et chanson dans mon projet autour de la comédie musicale : les chansons populaires d’une certaine époque. J’aime puiser dans le passé, j’ai un goût particulier pour les standards jazz, depuis mon enfance, et à présent je découvre les musicals et les comédies musicales qui les ont fait connaître. Le doublage : le doublage est un moyen de s’approprier le corps ou bien la voix de quelqu’un. Je me prolonge, je me représente grâce à la voix, par d’autres corps. J’emprunte le corps, l’identité visuelle des personnes dans les-quelles je me projette en cherchant mon identité. Je m’approprie le monde fictionnel, je fais mon cinéma et je me mets dedans.

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Boy next door / Doublage, 2010, vidéo couleur, 3min 21

BOY NEXT DOOR La femme qui se réalise dans le regard des autres, la position narcissique de la femme - elle vit à travers l’admiration des autres, elle doit plaire. Elle vit pour l’amour romantique. C’est une poupée. Son identité n’est pas fixe, elle n’est pas elle-même; elle ne se connaît pas, elle devient ce que les autres veulent qu’elle devienne. Elle prend le rôle de victime dans ses relations : c’est évident dans les chansons d’amour. Mais plus que les paroles dans cette chanson, c’est le tout qui importe : l’apparence, la manière de bouger, la manière de chanter.

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Tout est faux mais candide, tellement plaisant et agréable à voir qu’on ne se rend même pas compte à quel point c’est vide de présence réelle, du corps réel, d’une identité réelle. Dans ma performance pour caméra (Doublage) j’essaie de jouer son rôle, tel que je m’en rappelle, sans renoncer à mes gestes et mes mimiques. C’est un mélange de vrai et de faux, mais aussi un spectacle fait exclusivement pour être vu. Je ne chante pas, je suis là pour imiter et pour être regardée. Pendant le montage, l’absence de ma voix et la manière dont je bouge devant une caméra fixe m’ont fait penser aux filles qui se dénudent sur internet, qui vendent leur image. Je pourrais tout autant me mettre des dessous en dentelle et chuchoter à la caméra.

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The boy is mine, 2010, vidéo couleur, 2min

Possessivité, jalousie, désir de changer l’autre pour le faire correspondre à nos fantasmes. Homme et femme devenus objets dans la conception amoureuse romantique, transformés en poupées, ils doivent correspondre aux attentes narcissiques de leur partenaire, satisfaire tous ses désirs. L’amour devenu consommation égoïste et dépendance. C’est la faute de la société, des médias débilitants, des fictions à l’eau de rose, au manque de remise en question. Nous sommes structurés, écrits par les fictions que nous ingérons. Dans la famille également se transmet de génération en génération toutes les fausses idées et les conceptions malsaines des relations amoureuses.

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Chanson d’amour interminable : Même principe que dans l’accumulation de chansons d’amour, puis composition d’un texte à partir de phrases de toutes les chansons d’amour trouvées que je juge suffisamment pathétiques et révélatrices d’un phénomène de dépendance émotionnelle et amoureuse (surtout chez les femmes mais pas seulement) dans la société occidentale. Je projetais dans la lignée de faire une performance dans laquelle je chante une telle chanson recomposée de toutes les chansons, qui révèle à quel point ces textes sont stéréotypés, comme le sont nos représentations de l’amour. (voir les paroles de cette chanson sur la page suivante) J’ai utilisé une partie de ce bout-à-bout (à chaque fois j’ai pris environ une phrase d’une chanson) dans Chambre Claire Chambre noire, ou elle fait écho aux cris horribles qui se superposent à mon visage. Je crie sans le son, le cri est ailleurs. Il fait partie de cette chanson.

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Music box, 2011, vidĂŠo couleur, 23min40

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You’re my first love You’re my last love Everything I have is yours Don’t you notice how hopelessly I’m lost That’s why I’m following you You can take this world away, You’re everything I am You’re my future You’re my past You can take this world away, You’re everything I am You are my joy and my pain Love The reason I breathe is you I only live for your love And your kiss Everything I do I do it for you Oh baby, baby I’m a little lamb who’s lost in the woods I’m lost without you I’ll be happy just to live my life Waiting for your (call) Everytime we say goodbye, I die a little, Becouse I live and breathe for you. I need you so, More than you’ll ever know.

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Take this longing Take this longing Ultra violet dream Torture me like her Flowers bloom Flowers bloom Flowers bloom. Wet blanket The boy next door Love is a place On a cold night I’ve cried a tear, My dearest darling Sweetness winning Time out from the world Wet blanket The man I love Love is a place Beautiful deep love There’s a kind of hush Hush hush hush hush There’s a kind of hush Ships in a bottle Bright neon payphone That was That was There’s a That was

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just just kind just

a dream a dream of hush, a dream.


Cuisine à Saint Ferdinand, 2010, photographie numérique

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MUSIQUE

Michel Chion distingue dans Le son au cinéma deux façons que peut avoir la musique de film de se situer par rapport au climat émotionnel de la scène. La musique « empathique » renforcerait le sens d’une scène de manière redondante, en modelant son climat affectif et dramatique selon ce que doit exprimer la situation, ou même, en cas de faiblesse dramatique, l’aiderait en imposant le sens. La musique « anempathique », de l’autre côté, apporterait en contrepoint un sens complémentaire, parfois contradictoire, qui viendrait en enrichir le sens. Le son au cinéma, Michel Chion, 1985, p. 122

La musique anempathique est expressément une utilisation émotionnelle, fonctionnant de manière immédiate, profonde, archaïque, sans passer par une lecture. idem, p. 124

C’est cette utilisation de musique anempathique, qui m’intéresse le plus dans mes vidéos, la musique qui entre en contraste ou apporte une profondeur. Cependant, la musique est toujours un apport affectif fort, que ça soit dans son utilisation anempathique ou empathique, elle permet d’accentuer considérablement l’impact émotionnel de l’oeuvre et peut être vue comme une facilité. Je l’utilise à des fins d’amplification de sentiment ou pour créer un malaise, toucher directement à une part intime du spectateur, mais mon utilisation est toujours le résultat d’une longue réflexion. Car la musique est si forte qu’elle peut écraser les images. Son pouvoir ne doit pas être utilisé à la légère car son intensité peut contrarier le message que l’on souhaite passer dans l’oeuvre.

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Bande son de la Transe domestique : débuts de chansons de Dionne Warwick. Sucre, pathos, jusqu’à l’écoeurement. Ce qui est par excellence considéré comme musique/ambiance romantique, vite ecoeurante. Ressemblances avec autres de mes travaux : saturation de pathos ; collection ; principe de patchwork/collage. A chaque fois, le début d’une chanson, on est pris quelques secondes, puis rupture brutale, un autre début de chanson, on est pris, puis rupture. Contraste entre le type de musique et la frustration de ces coupures soudaines et à répétition, les changements de rythme. On voudrait s’y installer mais l’idylle ne dure pas. D’autre part, l’ambiance sucrée et envoûtante de cette musique entraîne malgré les coupures, elle donne un échantillon de la chanson à chaque fois, un certain petit plaisir ainsi qu’un effet comique. Je choisis l’élément comique, je le torture un peu pour qu’il révèle sa part sombre et j’assaisonne le tout avec un peu de poudre aphrodisiaque ou parfois la poudre magique qui ferait changer de taille une Alice en quête d’aventures. Références : séries tv, leurs génériques, musique d’ambiance dans les films - la musique emphatique, qui dicte le sens aux images, qui impose et qui couvre les faiblesses du récit ou de l’image.

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FÉMINITÉ

Le rôle de la femme

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L’homme-objet est une revanche de la femmeobjet (si longtemps objet sans que cela choque). Le travesti aussi. C’est le tour de l’homme de se déguiser (en «femme»), de jouer. Et il se révèle plus féminin que la femme, tellement il a lui aussi intégré les canons de la féminité, les règles de sa représenta-

Transe domestique, 2009, vidéo couleur, 3min16

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7 gauche et droite : Photos des concours de beauté pour enfants

Comment la femme devient une image, un fantôme (d’elle-même). Inspiration psychanalytique. Rêve, interrogation sur l’image de soi et sur la présence/ absence véritable de soi-même, vivre ou mourir. Exister dans le regard de l’autre, chercher son existence dans le miroir, essayer de cerner son image, son être dans son image, dans le miroir. Qui suis-je? Où et comment j’existe? Si je est un autre, lequel de mes je est le Moi?

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8 Gregg Araki, Nowhere, 1997

Une réalité en crise sous l’apparence lissée de l’image de la femme-objet. Le corps n’est pas seulement le support de projections fantasmatiques servant l’ambiance narrative, il est véritablement un lieu où se nouent et s’expriment des ressorts de l’identité, et des rapports de sexe. Il est envahi par des images produites par soi et par les autres, intégré ou rejeté dans le sentiment de soi, manipulé ou accueilli. Ici, les schémas sexuels avilissants qui sont projetés sur l’image du corps féminin sont mis en scène clairement, et montrent en quoi ces images du corps piègent les narcissismes qui se construisent avec elles.. Art vidéo et mise en scène de soi, Mahilde Roman, 2008, p. 126

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Répétition de gestes de cuisine, qui deviennent autre chose, un langage dépourvu de sens, un signe qui se dérobe à son signifié premier/original, devient une danse, dont la répétition entraîne un état de transe. Trans-vesti entre en danse culinaire. Qu’est-ce qu’évoquent les images selon le cadrage, qui à chaque fois fait omission d’un élément, donc modifie la compréhension, le sens de l’image. Jeux de variation de plans mais répétition de mêmes images. Plan américain, plan rapproché, insert... découpage cinéma avec les pixels de la vidéo. Le contraste entre la bande-son, composée de musique doucereuse, suggérant une idylle édulcorée et les gestes d’un corps qui semble torturé par la répétition. Corps-prisonnier de la répétition, prisonnier de son image.

Transe domestique, 2009, vidéo couleur, 3min16

Housewife transcendance Housewife in trans

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Un des sujets est ainsi suggéré - l’enfermement. Répétition débilitante, répétition qui enlève le sens, répétition comme une prison. Lien entre cuisine, domesticité et répétition, enfermement dans la répétition de mêmes gestes, du même rôle. Chorégraphie, danse, dénuée de sens.

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Little girls, collage et peinture à l’huile sur magazine, 2009

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9 Stanley Donen, Mariage royal, 1950

Je ne veux pas prendre les comédies musicales au premier degré. J’ai me suis énervée en regardant la première séquence de Mariage royal, qui montre une pièce où, mise en abyme - musical dans le film, les deux personnages principaux dansent leur rôle sur scène. Frère et soeur comédiens dans l’histoire deviennent un couple en parade amoureuse - le Roi (Fred Astaire) et sa servante. Leur danse est horrifiante. Tout baigne dans un sucre doré, les décors kitsch, les expressions, la tenue, le rôle de la jeune femme par rapport à l’homme. Son comportement et sa danse (dictée) sont ridicules. Elle est soumise aux rituels débilitants, adhérant bêtement aux conventions sociales, elle semble se plaire dans l’image qu’elle donne : une femme parfaite, souriante, dépendante de l’homme comme une candide enfant, toute mignonne. Elle fera tout pour plaire à son souverain (roi de la famille et tyran sans punition) et pour être aimée de lui deviendra une poupée vivante. Cela me dégoûte au plus haut point, car, même si l’époque est différente, cet esprit qui régnait dans ces années-là, typique des années 1950 aux États-Unis, n’est pas mort aujourd’hui. Loin de là, il semble revenir, ou peut être n’est il jamais parti. Il suffit de feuilleter les magazines pour femmes d’aujourd’hui. Les conventions ont certes un peu changé, mais la femme est toujours enfermée dans un rôle, aux yeux de la grande majorité. C’est plus subtil aujourd’hui, car il existe beaucoup d’alternatives, mais la grande partie des femmes adhère toujours au canons de beauté imposés par les médias, et la majorité d’hommes reste également à imiter et à chercher une virilité valorisée par les autres. Les deux sexes sont enfermés dans leurs carcans.

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Je trouve salutaire toute tentative de décloisonnement des mentalités et de destruction de l’image unitaire. Le plus horrible est de suivre sans réfléchir, de voir que les femmes autour de moi ne questionnent pas les diktats des médias par rapport à leur apparence. Et de se rendre compte enfin du pouvoir que ce conditionnement a eu sur mes propres représentations des sexes et mon image de moi-même. Je fais partie de cette cohorte des femmes narcissiques, mais je veux me battre. Je veux réfléchir aux enjeux de ces représentations, à la construction de l’image de soi et les relations que j’entretiens avec elle. Le rapport des représentations des sexes au désir. Car on ne peut les enlever simplement. Nous sommes tous imprégnés de siècles de représentations et de rôles qui séparent les hommes et les femmes. Notre désir se construit sur les représentations intégrées à partir de notre environnement, mais peut-il évoluer au cours de notre existence, grâce à une remise en question, et comment ?

Souffrance, tragédie quotidienne/ Recherche d’identité. Ne pas savoir d’où je viens alors ne pas savoir qui je suis.

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La projection d’un individu dans une image est toujours une affaire singulière et problématique.12

12 Art vidéo et mise en scène de soi, Mahilde Roman, 2008, p. 127

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Busby Berkeley, Robert Z. Leonard, Ziegfeld Girl, 1941

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L’identité narrative est le lieu où se confondent fiction, action et réel. La sexoanalyse se propose d’intervenir en ce lieu, en favorisant l’évolution de la fiction, c’est-à-dire de l’imaginaire, dans la temporalité d’un sujet toujours inachevé, donc toujours à faire. 13 Le genre en question et questions de genre, Claude Esturgie, 2008, p. 28

La réponse se trouve peut-être du côté de cette « identité narrative » que propose Claude Esturgie. Il est vrai que nous sommes des êtres en chantier, nous continuons tous les jours à nous construire, plus ou moins. Cette construction me semble même la preuve de vie psychique, peu importe l’âge. Ce travail sur soi, sur toutes les parties de soi, est-ce qui m’intéresse personnellement et que j’aimerais encourager chez les destinataires de mes oeuvres/textes.

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Pour moi, l’enfermement est brisé quand l’homme prend les attributs féminins pour faire de la féminité - comme la déterminent ses «attributs» sociaux - une mascarade, chasser le sérieux avec lequel il peut être pris par un humour grotesque, une apparence exagérée : le maquillage, la coupe de cheveux, les seins, les vêtements, les chaussures à talons ... Quand il remplace cette créature idyllique et imaginaire qui serait la Femme parfaite (qui n’est jamais réelle, entière. Pour correspondre à cette image elle doit refouler une grande partie d’elle même, la sacrifier, pour se plier aux normes, son développement est incomplet.), c’est comme un rite exorcisant, libérant les personnalités des contraintes d’une société rigide.

11 Groupe slovène Sestre (Les Soeurs) à l’Eurovision 2002

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Les attributs féminins en tant qu’artifices, la féminité en tant que fausse identité, mais qui se substitue à l’identité réelle - dans la recherche d’identité, la femme se base sur les informations qui lui viennent des autres, alors elle intègre l’image que les autres projettent en elle : les images de féminité, la position que les femmes occupent toujours dans les médias, et par là aussi dans les mentalités - me dérangent profondément, justement parce que je me rends compte à quel point elles font partie de moimême. Quand je fais jouer aux hommes le «rôle» de femme, cela me permet de démontrer la fausseté et en même tant le pouvoir des signes que la société attribue à la féminité, comment par moments on croit malgré nous à une identité féminine obtenue d’une manière simple et artificielle dans le film, mais également la subversion du genre. Les images de la femme que je montre sont quelque peu stéréotypées, elles renvoient à une certaine représentation de la femme en tant qu’être hyper-émotionnel, narcissique, faible, romantique, apprêté. La femme qui existe à travers le regard des autres : c’est le cas du personnage de Rosa dans Music box, qui, joué par un comédien homme, devient femme par moments, par le biais de notre regard. Son identité est donc faussée, surtout dans les images fixes tirées de la vidéo, car sur elles, l’illusion de sa féminité, captée dans un instant, sous une certaine lumière, fait croire à sa réalité.

Lipstick, 2009, collage et peinture à l’huile sur magazine

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dĂŠcadence ĂŠmotionnelle

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Si j’aime tant l’exubérance des comédies musicales hollywoodiennes et des shows de drag-queens, c’est qu’ils permettent une tension entre l’extérieur et l’intérieur, que derrière cette exubérance, je sens déjà le gouffre noir. Ce sont les extrêmes qui s’attirent, par magnétisme. Le gris ne m’apporte rien, la couleur excessive apporte avec elle l’ombre d’autant plus noire. La dualité. The cold war.

9 Stanley Donen, Mariage royal, 1951 (haut) 12 Otto Dix, Salon, 1921 13 Mark Sandrich, Follow the Fleet, 1936, (page gauche bas) 8 Gregg Araki, Nowhere, 1997 (page gauche

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Music box, 2011, vidĂŠo couleur, 23min40


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LA CHAMBRE DES FANTÔMES

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14 Desperate Housewifes, 2005

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L’effet que je voudrais produire sur le spectateur : L’effroi se faire peur à lui même Dans quel monde il vit Qui il est Ce qu’il fait réellement Ce qui se cache dans son ombre

les films sont dangereux c’est un monde parallèle je veux me l’approprier il est emblématique de notre psyché projection des ombres

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29 octobre 2010 J'ai encore rêvé un fantôme. On était dans une maison, il y avait Antoine je crois, et ma mère, et d’autres gens encore, mes amies slovènes ... Ah, la maison, c'était Selišči (une des maisons de mon enfance), mais pas tout à fait, c'était aussi un autre endroit. Kranj (maison de mes grands-parents). Ils étaient là aussi. Ma grande mère surtout était très présente, on avait des conflits. C'était au grenier que j'ai vu le fantôme, une fille. J'étais la seule à la voir, elle me faisait très peur. J'ai essayé de la photographier, mais je n’y parvenais pas. Les autres ne la voyaient pas et ne me croyaient pas. A la fin pourtant, tout est entré en ordre, elle s'est intégrée quelque part, elle a disparu.

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LE FANTÔME DE FRANCES

“ il nous faut la surprise nocturne d’un miroir pour que notre fantôme s’en détache soudain, inconnu, presque ennemi. /.../ Des couches successives de croyances sont superposées et mêlées dans le double. Dès la Grèce homérique le double apporte aussi bien et même simultanément l’angoisse et la délivrance, la victoire sur la mort et de la mort.” 14 Le cinéma ou l’homme imaginaire, Edgar Morin, 1956, p. 28

« L’image insaisissable. /.../ Aucun autre médium de l’image n’exalte à ce point le sentiment de perte. /.../ la vieille question de l’eidôlon. Inquiétante et étrange, l’image vidéo interroge la part sombre de la vision. Aussi s’apparente-t-elle à l’imago, c’est-à-dire au simulacre, au reflet sans consistance, au fantôme.» 15 L’image vidéo d’Ovide à Bill Viola, Sophie-Isabelle Dufour, 2008, p. 189

« Un visage apparaît sur l’écran, une étrangeté surgit ; soudain la tête ne semble pas appartenir à notre monde. Où est-elle ? Nulle part, ni ici ni ailleurs, et pourtant elle est là, dans l’espace tridimensionnel du moniteur. » 16 idem, p. 83

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15 Stephen Dwoskin : Dear Frances (in memoriam), 2003, vidéo couleur, Grande Bretagne, 18 min

Spectre, apparition, fantôme, revenant, squelette, épouvantail, vampire, eîdolon, simulacre, imago, reflet, ombre, prisme, portrait, image, miroir, tableau, double ...

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double, III.− Subst. masc. : B.− [L'accent est mis sur l'identité] 1. [En parlant d'objets] Chose identique à une autre sur un aspect précis. − P. anal., ARTS DU SPECTACLE. ,,Acteur ou actrice qui remplace les chefs d'emploi dans leur rôle`` (Ac.). Cet acteur n'est qu'un double; la pièce a été jouée par des doubles (Ac.). Synon. doublure. 2. P. ext. Reflet de quelqu'un; apparence ou être identique à une personne. Synon. sosie. ♦ ANTIQ. [Dans la religion de l'ancienne Égypte] Image impalpable du mort supposée rester auprès du cadavre aussi longtemps que le corps n'était pas détruit (d'apr. Rob.). Ne jouera-t-elle pas ainsi ce rôle de double que la magie, dans la préhistoire, et que la religion, en Égypte, lui conféraient déjà? (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 252). ♦ OCCULT. Fantôme d'une personne. Ses spectres, ses vampires, ses doubles, sont nés de la fièvre (Béguin, Âme romant., 1939, p. 260). Un seul jour, j'ai senti le monde délivré de ces présences et de ces doubles infernaux (Giraudoux, Ondine, 1939, III, 3, p. 183). − P. anal. ♦ [D'une image] Qui me rejettera étreignant dans mes bras, Tel une image égale à son double en la glace (Montherl., Encore inst. bonh., 1934, p. 732). extrait de la définition à partir du dictionnaire sur ligne : http://www.cnrtl.fr

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Dans Dear Frances (in memoriam), le double de l’image devient monstrueux, l’image est une illusion de présence, elle nous montre un faux double immortel. Faux double car il donne l’illusion de Frances vivante. A la différence de la photo, statique, le double dans le film bouge, alors que le corps de Frances est inanimé dans la réalité du présent. Dans ce film il s’agit plutôt d’un cauchemar, d’une irruption brute de la mort dans les images, une contradiction entre la réalité et le désir, la réalité de la mort et la persistance de l’illusion du mouvement dans les images. Les films de Stephen Dwoskin interrogent le statut ontologique de l’image, la représentation du corps, cependant l’image y tient différents rôles selon le film, il s’agit aussi de différents types d’images. L’impression que l’image y est dotée d’une vie propre est spécifique à Dear Frances. La copie semble s’y détacher par moment du modèle, devenir un fantôme. Comme si l’image prise avant la mort de Frances, par un procédé magique, n’ignorait pas la condition présente de son modèle, c’est à dire sa mort, son passage vers un autre espace, ce que suggérerait en tout cas la vidéo. La Frances de la vidéo ne semble plus être celle qui a été filmée de son vivant, mais plutôt le fantôme de cette personne, son essence capturée dans les images, qui gagne une certaine indépendance, puisque cette « Frances du film » semble toujours vivante après sa mort. Une morte-vivante qui nous salue d’un espace intermédiaire ou bien d’un royaume des morts. Dans la plupart des images, l’espace est indéfini, Frances pourrait se trouver nul-part et partout. Dans une scène elle regarde autour d’elle comme si elle examinait avec curiosité l’espace où elle se trouve, mais on ne voit pas ce qu’elle voit, elle regarde vers le hors-champ. Dans le film j’ai souvent l’impression que Dwoskin voudrait la sortir du royaume des morts, la toucher à travers la vidéo, pour l’atteindre audelà. Mais ce désir de la ramener à la vie va contre la nature, alors le fantôme de Frances devient monstrueux. Exemple : la scène où elle renverse la tête en arrière, en riant, mais l’action est très ralentie, elle en devient horrifiante, comme si la tête allait plus loin que les muscles ne le permettaient. Ce geste semble inhumain, physiquement impossible. Son rire aussi a quelque chose d’horrible. C’est presque comme si la mort rigolait à travers elle. Les plans comme celui-ci semblent empreints d’un certain cynisme. Comme si Frances y personnifiait une mort qui rit de l’absurdité de la vie, qui se moque de la condition mortelle de l’homme. Il me semble y trouver une lutte intérieure, comme si Dwoskin était partagé entre cette impression

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d’absurdité causée par la douleur et une tentative de résilience, d’acceptation, d’une réconciliation avec la mort. Un autre exemple de ce type d’images serait l’étrange plan (ralenti également) où elle tourne la tête, avec un sourire et un regard crispé. Ce plan semble être retourné par Dwoskin au montage, mais quand je l’ai visionné dans l’autre sens, le mouvement n’en semblait pas plus naturel. Il y a comme un va et vient entre les images horribles, que j’appelle des « morts-vivantes » et des images ou le fantôme de Frances revient comme un ami, pour un dernier salut bienveillant, le souvenir doux-amer d’un bonheur passé. Elle le salue toujours de loin, entre eux persiste une frontière infranchissable. Regards Le film est composé de ses regards – soit hors champ soit regards caméra, et l’absence de regard est comme la mort, quand elle dort. Parce qu’une majorité de gros-plans sur son visage, et même des plans plus larges la situent presque toujours dans un environnement indéfini, sans décor, sans objets, où son regard constitue l’élément premier. Étonnant, le plan où elle regarde en haut et ailleurs, qu’est ce qu’elle contemple ? La répétition insistante de ses regards vers le hors-champ, comme suggérant une autre dimension. Frances semble se situer dans un non-lieu. Il pourrait s’agir d’un espace mental. Mais appartenant à qui ? Sûrement à Dwoskin, puisqu’en souvenir, en évocation mentale, elle ne se trouverait pas dans un endroit précis, souvent quand on essaye de se rappeler une personne elle n’est pas forcément associée à un lieu précis, c’est surtout son visage que l’on tente de retrouver. Puis il y a ses regards caméra, comme des adieux vers l’homme qui se trouve derrière elle, mais aussi regards qui se trouvent tournés vers le spectateur, remplacement du filmeur par une substitution propre à tout dispositif de filmage. Il se passe alors un transfert émotionnel, elle nous salue nous, elle nous donne la nostalgie d’elle, elle est perdue pour nous aussi.

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Dear Frances : processus du deuil C’est le deuil dans ce qu’il a de concret, de violent, le fait de se mettre face à la mort et d’essayer de l’accepter. C’est un combat avec soi-même et cela se voit dans le film. Ce film est selon moi un processus de deuil par la transformation d’images de Frances quand elle était vivante, en cadavre. En (se) la représentant en tant que cadavre, acceptant par là ce nouvel état comme une finalité, avec la consolation qu’elle persistera vivante quelque part dans le souvenir. Alors il y a ces plans de « souvenir », qui font penser à la photographie de famille, aux home-movies, aux photos prises des instants passés avec les amis proches, dans leur universalité d’images idylliques de personne chère. Et puis il y a des plans qui sont troublants et qui pour moi se divisent en deux parties, ceux ou elle est vraiment représentée en cadavre (les plans où elle dort) et ceux où elle a l’air d’être animée par autre chose que la vie, où elle me semble prisonnière de l’image, où se joue vraiment le conflit entre le désir fort de la retenir, de la faire revenir à la vie, et l’impossibilité de faire cela puisque Dwoskin connaît la vérité de sa condition. Et cela, je les appelle des plans Frankenstein. Parce que c’est comme une tentative d’abolir la mort grâce au médium cinématographique, son pouvoir magique d’animer les objets inanimés, donner vie à ce qui est mort (Frankenstein est ainsi emblématique de l’image cinématographique et vidéo). Une reconstruction à partir de diverses images de Frances, avec différentes structures, tailles, comme un collage. Il tente de recoudre ensemble ses morceaux dispersée pour donner une impression juste de la personne qu’elle a été, mais aussi pour se donner une illusion de sa présence. Mais ses images semblent déjà dépourvues d’âme. Frances n’y semble plus en vie. Peut être parce qu’elle est réellement morte à présent, alors que son corps, capté par la caméra, est devenu captif, obligé de suivre le mouvement des images. Un autre monde avec d’autres lois physiques. Réanimation d’un cadavre, Frances est devenue prisonnière des images (double qui a perdu la connection à son modèle, et qui est vide de son essence, tiré entre la vie artificielle de l’image et la mort réelle de l’original). De ces plans il ressort quelque chose de monstrueux, ses mouvements ne sont pas naturels. Ceci est bien sûr effet de montage. Dwoskin a choisi les plans qui pouvaient être modifiés de cette manière, consciemment ou pas, pour exprimer son état intérieur et ses pensées de deuil qui ont accompagné ce montage du début à la fin.

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15 Dear Frances (in memoriam)

Son corps qui devient cadavre, mort-vivante. Ses mouvements deviennent étranges, n’obéissent plus à la vie, c’est un cadavre animé par la force de sa captivité dans les images. Animé d’une vie artificielle, celle du déroulement de l’enregistrement, son corps sans vie possédé par le film, lui faisant violence en la forçant de bouger alors que le vrai corps est inanimé, ou n’est plus. Comme un corps possédé, elle devient l’image de la mort. Ces gestes étranges appartiennent à un autre monde, celui de la mort. Les mouvements à l’envers, le monde à l’envers, contraire aux cours naturel des choses.

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La mort est présente dans presque toutes les images. Comment ? Poupée figée, statue La première image du film est souvent révélatrice du reste : plan en noir et blanc de Frances, assise dans une pièce, derrière elle un petit portrait encadré où l’on peut la reconnaître si l’on veut. Il y a une mise en abyme du portrait-autopotrait dans cette première image, qui parle déjà du statut de l’image et de son rôle dans le film. Frances n’y est qu’une image d’elle-même, comme le petit tableau. Il s’agit d’un autoportrait, les images sont la seule chose qui reste d’elle (les images qu’elle a produit, car elle était artiste, et les images prises d’elle par les autres). Le mouvement de la caméra est singulier, presque inhumain, très onirique : caméra hors axe, très lente, ressemblant au point de vue d’un insecte volant autour de la fille, provoquant comme un malaise de voyage. La musique accentue encore cette ambiance étrange dans laquelle on est plongés instantanément. Frances est complètement figée. Elle donne l’impression d’une figure de cire, d’une grande poupée. C’est le portrait de quelqu’un qui n’est pas vivant. Voilà ce que me dit cette première image. L’insistance de Dwoskin sur ces images est une manière de s’obliger à accepter sa mort, pour ne pas basculer dans la folie.

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La manière de filmer/ monter est très physique, elle montre les émotions du réalisateur. Contraste entre des plans très lents et très rapides, entre les gros plans, très gros plans, plans fixes, plans secoués, noir et blanc, couleur, différentes résolutions : tout cela crée comme un tourbillon de sensations/ sentiments/souvenirs. On sent une agitation sentimentale qui agit sur nous. Il y a la dimension sensuelle très présente. Dear Frances nous embarque avec le montage, la manière de filmer, la musique, dans un tourbillon. Ce film agit sur les sentiments par le corps. Le film montre un processus psychique, c’est un film ‘intérieur’. Dwoskin essaie de recréer son état psychique à travers un rythme chaotique et une musique tantôt dissonante tantôt mélodieuse et sucrée, en évocation idéalisée d’un amour passé, musique sentimentale. Les effets de rupture, évocation d’un conflit intérieur, parce qu’il y a une prise de conscience de la mort, de l’aspect trompeur de l’image. Avec les ralentis, Dwoskin s’attarde sur des images et les transforme en tableaux, donne à voir quelque chose de plus. Une certaine impression d’intimité se crée avec les images, parce que cette longueur, lenteur, nous donne le temps de vraiment regarder ce visage. L’incroyable impression de proximité (un face à face, l’homme est un miroir pour l’homme, on se perd presque dans leurs visages, comme les gens amoureux) : enregistrements privés, relevant du registre privé, de films de famille, home movies (mais travaillés, transformés par un souci artistique, un souci de rejoindre l’universel) mais aussi le montage. Ces images sont tellement empreintes de subjectivité, personnelles, qu’elles acquièrent une valeur de sentiment universel, les personnages deviennent vecteurs de nos propres souvenirs/émotions, grâce à une absence de «faits documentaires», à l’aspect sensuel des images et la musique dramatique. Ainsi, chaque spectateur peut y projeter ses propres expériences, inscrire son histoire propre, seule l’émotion est communiquée. Froideur de la vidéo utilisée comme encore un aspect funéraire. Aspect spectral de l’image vidéo, son absence de matérialité renvoie à l’absence de corps, présence fantomatique de Frances. … A chaque fois je reste dans l’étonnement par rapport à ses images : elle est morte, mais on la voit, elle nous regarde par dessus la mort.

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In dreams, I walk with you, In dreams, I talk to you, In dreams you’re mine, all of the time, we’re together in dreams ... 18

15 Dear Frances (in memoriam)

18 extrait de la chanson de Roy Orbinson, In Dreams, 1963

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LES CHAMBRES DES AUTRES Fenêtres des autres la nuit, vies possibles/vies rêvées, citations, instants de fiction

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VIES POSSIBLES C’est un sentiment de vies possibles, d’histoires possibles, que j’ai envie de reproduire et de transmettre, mais aussi d’éprouver et de réfléchir, car je voudrais les comprendre. Qu’est-ce qu’une atmosphère? Comment naît un sentiment, une sensation? Comment se crée un état d’âme? Par quel moyen, dans l’espace, dans l’image, dans le son? Quel est l’élément qui appelle le destinataire, et comment ce processus se déroule-t-il chez lui-même et chez moi? J’ai un autre rôle, mais moi aussi je pars à la recherche des ressentis et je travaille avec les émotions que je trouve. Elles appellent des images, des sons, des décors et leurs histoires (sousjacentes). Je voudrais percer les secrets de la création et de la réception de mon travail. Je ne veux pas tout connaître, tout dévoiler, mais je veux creuser. Pour approfondir, m’approcher encore un peu plus du sens qui se cache derrière. C’est aussi une part de mes rêves, et de ma vie rêvée. Celle qui se base le plus sur le monde qui m’entoure et sur les lieux de mon passage. En quelque sorte, du matériel documentaire transformé en possibles fictions, par “une lecture fictionnalisante”. Celle d’une autre vie, qui peut être existe, l’expérience de la vie de quelqu’un d’autre, ou bien une sensation d’une autre vie imaginée pour soi. Comme les promenades du soir, et leur contemplation des fenêtres éclairés, les vies imaginées des autres, leurs intérieurs qui sont leurs histoires, leurs décors intimes. Projections et lumières. Hors langage, ces sensations et sentiments furtifs, que j’essaie de fixer sur un support concret, pour les retrouver, les éprouver de nouveau. Parfois, surtout par le passé, il me semblait vivre une autre vie pendant quelques heures. Je me suis créé les meilleurs circonstances possibles, et je jouais un rôle adapté à ma fiction. Alors, la vie se pliait jusqu’à un certain point, où bien me refusait cette évasion. À chaque fois, je bute contre une limite de réalité, que j’évite. Elle ne se laisse jamais diriger complètement. Ce n’est que dans la création d’une oeuvre que je peux manipuler ainsi la réalité, manifester ma propre fiction : un mélange des fictions des autres éprouvées, intégrées, et la mienne propre. Vivre une fiction, mon propre film, ou bien une prolongation d’un film où je voulais rester: Double page précédente Fenêtres dans la nuit, 2010, photographie numérique gauche : Balcon bleu, 2010, photographie numérique

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16 Claire Denis, Nenette et Boni (page de gauche et fond) 17 Robert Altman, The long Goodbye (Le PrivĂŠ) (page de droite haut) 18 Wim Wenders, Paris-Texas (page droite bas)

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Vivre une fiction, mon propre film, ou bien une prolongation d’un film où je voulais rester “habiter” une fois la séance terminée. Enfant, c’était le livre que je lisais. Mes “instants de fiction” s’inspirent souvent des univers fictionnels que je croise, créés par d’autres, dans lesquels je voyage, je me reconnais. Ils s’agit de retrouver ce que je ressens comme mes semblables, des histoires qui pourrait se trouver dans mes rêves. Si j’étais une autre, mais toujours moi-même, je serais celle de leurs films, de leurs livres, de leurs séries télévisées. Voyager, habiter les ambiances, à chaque fois comme un retour dans mes propres profondeurs, des souvenirs oubliés, des vies oubliées, d’autres vies que j’ai vécues ou que j’ai connues, jadis.

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Parking pour camions, 2010, photographie numĂŠrique

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Ce sentiment de vies possibles ne date pas de ma découverte du cinéma. Je me rappelle ce genre de scénario de ma petite enfance. C’était mes rêves, ils ont cette même qualité. J’ai toujours connu ce sentiment de manque, de désir de retourner dans ces endroits pour en retrouver les ambiances, devenues magiques car si connues et si lointaines à la fois, comme si elles étaient les miennes et ne m’appartenaient pas, familières et étranges, l’Autre qui est aussi moi. Il ne s’agit pas du monde des contes ou de mythologie, mais plutôt des espaces, des endroits. Endroits où j’ai été, que je connais, mais aussi des endroits sans nom, qui pourraient exister réellement, comme des rues, des jardins, des maisons, des parkings, des chambres, ... qui j’imagine. Avec parfois des propriétés magiques, comme la possibilité de passage dans une autre dimension, dans d’autres lieux. La porte qui s’ouvre dans le sol, au milieu d’une aire de jeux, pour engloutir la vieille femme qui donnait à manger aux pigeons, mais qui était en réalité espionne pour un autre monde, dans un film japonais. Le fantastique dans les endroits réels, qui représente toujours notre propre psyché, notre désir de transcendance, besoin spirituel et émotionnel.

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19 Satoshi Miki, Kame wa igai to hayaku oyogu [Les tortues nagent plus vite qu’on ne le croit], 2005

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“ c’est là que j’ai envie de vivre. [...] Pour moi, les photographies de paysages doivent être habitables, et non visitables. Ce désir d’habitation, si je l’observe bien en moi-même, n’est ni onirique [...] ni empirique [...] ; il est fantasmatique, relève d’une sorte de voyance qui semble me porter en avant, vers un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même. [...] Devant ces paysages de prédilection, tout se passe comme si j’étais sûr d’y avoir été ou de devoir y aller. 19 La chambre claire, Note sur la photographie, Roland Barthes,1980, p. 66

Mes espaces : Ljubljana, 2011, photographies numériques

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Souvent, c’est un sentiment attaché à mon expérience quotidienne, au temps passé, qui rend les endroits magiques : mon attachement à ces lieux, leur existence hors du temps, ils sont mes décors, lieux réconfortants car ils me confirment dans mon identité, dans mon existence à travers le temps. Retrouver le familier me confirme dans mon existence. Ces endroits se situent entre le souvenir de ma propre vie et souvenir de fiction, d’art, souvenir au deuxième degré : par exemple, il y a les endroits qui m’évoquent les lieux fréquentés dans mon enfance et il y en a d’autres qui m’évoquent les photos, les films, les séries, représentations imagées à partir des livres ... que j’ai vu au cours de ma vie, et qui ont presque la même puissance de souvenir. Comme si le souvenir “authentique” et le souvenir d’un détail d’univers fictionnel fréquenté seraient au même plan, réalité et fiction étant deux espaces à habiter tout simplement, avec des frontières qui s’effacent entre les deux. Les “faux souvenirs”, dans Screening the past : Memory and Nostalgia in cinema, de Pam Cook (2005), (ma traduction à partir de l’anglais) : Ces histoires post-modernes [...] comptent sur l’empathie et l’identification pour créer des souvenirs qui ne sont pas basés sur des expériences de première main, mais ont malgré cela un fort effet émotionnel. p. 2-3 Pam Cook parle du cinéma, des films qui mettent en scène le passé et offrent au spectateur des «souvenirs» d’un temps qu’il n’a pas connu. Je crois que ce principe fonctionne aussi dans l’art. L’immersion est différente, peut-être moindre, mais je crois à ce partage et cette création imaginaire chez le spectateur de l’oeuvre, qui constitue intérieurement une expérience à partir de ce que l’artiste lui offre. Notre accès à l’histoire à travers la mémoire se fait par le biais de rencontres imaginaires dans lesquels figurent les spectateurs, souvent dans un rôle héroïque [...] et parfois ironique (comme dans une mascarade de parc à thèmes) en tant que performeurs dans un spectacle historique. Le terme “mémoire prothétique” a été utilisé pour décrire le processus dans lequel les reconstructions du passé produisent des souvenirs qui simulent l’expérience de première main. [...]. Le point de vue pessimiste assume que les images et les histoires du passé qui nous sont fournies par les médias grand public produisent des ‘faux souvenirs’, ou au moins des scénarios de réminiscence dont la véracité ou la relation au réel, est impossible à déterminer. p. 2-3

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Les rues de Los Angeles semblent des rues de nulle part, de purs espaces de représentation qui ne renvoient à aucun référent historique ou géographique réel [...] 21 Emprunts et citations dans le champ artistique, Pierre Beylot, 2004, p. 124

Cette description d’un film-remake contemporain Breathless raconte quelque chose que j’aimerais constituer dans mon travail. Comme ces images de lieux urbains vides, des parkings, des hangars, des chemins de fer sur les bords des villes – quand je me trouve dans un endroit comme ça (ou quand je regarde une photo, un film), je me sens en paix, j’ai un sentiment presque mystique, car je pourrais me trouver n’importe où, en Slovénie, en Allemagne, en France, Australie, États-Unis ... Il y a une abolition d’espace, une négation du pays étranger, ou bien c’est l’étranger qui ne l’est qu’en apparence, mais il est toujours connu, semblable à ce que l’on connaît, quelque part. L’abolition de l’espace rejoint celle du temps.

L’intertextualité et auto-référentialité de l’univers hollywoodien me fascinent. Il s’agit ici encore de cet image du cinéma en tant que monde parallèle. Il est en relation avec le monde réel car il correspond à un monde de représentations, de manifestations de psyché humaine, et toute chose “réelle” passe d’abord par une re-présentation. Ce monde de fiction est artificiel dans le même sens où l’imaginaire serait faux. Le monde parallèle du cinéma et de la télévision est une sorte d’inconscient collectif visible.

cette page : image d’un projet vidéo en cours, 2011

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page de droite : 8 Gregg Araki, Nowhere, (haut gauche et bas droite) 20 Breathless, de Jim McBride, 1983, (haut-droite, milieu et bas-gauche)


Les citations participent, dans une esthétique assez typiquement post-moderne, de l’édification d’un univers artificiel, un univers d’images qui renvoient plus à un espace de représentations qu’à un espace réel [...] le monde d’Hollywood et de l’industrie culturelle américaine, conçu comme un réservoir et un répertoire d’images et de sons (locaux et importés) qui sont davantage en relation les uns avec les autres qu’en relation avec le monde réel. 22 ibidem

Rosa, photographie numérique, taille, 2011

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Oui, seulement la vie n’est pas toujours aussi intéressante que je la voudrais. Ce truc de fiction dans la vie, ça ne marche pas toujours. Il y a des fois où la vie est romanesque, où des choses très intéressantes ou incroyables peuvent arriver, mais dans la fiction, seuls ces moments sont retenus, décrits. La vie n’est (malheureusement) pas faite que de ses moments d’intensité. Je suis allée dans un magasin chinois qui vend des produits pour médecine chinoise, près de la maison, pour demander des numéros d’acuponcteurs. Je m’étais imaginé avant de partir qu’une aventure pourrait m’arriver, ou au moins des rencontres insolites. Mais je projetais un scénario de film ou de roman. Comme celui d’Alice, une de mes oeuvres préférés de Woody Allen . Je peux imaginer un petit magasin obscur, avec des tas de produits étranges. Des Chinois secrets qui m’accueillent et après une certaine insistance de ma part, m’invitent à les suivre dans l’arrière-boutique. Il y a quelqu’un qui pourra m’aider sur place, un cabinet secret avec un génie d’acupuncture très ancien et peut-être quelques chats. Un appartement glauque et étrange avec un vieux sage au sale tempérament, connu uniquement des initiés, qui me guérira par de l’acupuncture et me donnera des sachets d’herbes au parfum étrange que je devrai préparer à la maison. Mais en y allant, je savais bien que très probablement rien d’intéressant ne m’arriverait. J’aurais vraiment aimé que la vie soit comme un film. Il s’agit plutôt d’instants de fiction, d’autres durées de fiction dans la vie sont celles du temps où l’on qu’on regarde un film ou quand on plonge vraiment dans les oeuvres d’une exposition ou dans un livre. On peut habiter l’oeuvre le temps du visionnement/ de la contemplation / de la lecture. Enfant je passais ainsi la majorité de mes journées dans les univers fictionnels, je peux dire que j’ai habité la fiction la plupart de mon enfance, dès mon apprentissage de la lecture. Et puis il y a le monde nocturne du rêve. Mais ce n’est pas tout à fait pareil.

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21 Alice, de Woody Allen, 1990


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Forêt et maison, 2010, photographie numérique

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L’ESPACE de l’IMAGE Psychanalyse de l’image, L’image au mur, Pixellisation/ grain

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SERGE TISSERON : La psychanalyse de l’image La psychanalyse de l’image : Des premiers traits au virtuel, Serge Tisseron, Paris : Dunod, 1997 (1ère édition 1995)

un élément essentiel de l’image réside dans son impact sensoriel et affectif p. 20 Selon Tisseron, l’image serait corporelle, kinesthésique et tactile autant que visuelle. p. 115 Il explique dans La psychanalyse de l’image l’origine de nos premières images, qui sont d’abord des représentations intérieures, dans le ventre maternel, liées aux ressentis corporels. Ce sont les jeux de l’embryon avec le pouce et la bouche, qui permet d’apréhender la première absence/présence. Les tentatives d’intégration de ce mouvement entre présence et absence - principe de toute relation avec les autres êtres continue après la naissance dans la relation avec la mère. Les premières images mentales se constituent pour remplacer intérieurement la mère pendant son absence, très douloureuse pour le bébé, le tout afin de garder une illusion de continuité. Les premières images interviennent pour restaurer la continuité de l’enveloppe psychique menacée par le traumatisme de l’effraction lié à une sensation douloureuse [...]. Et l’image continue toujours à témoigner de cette nostalgie de la continuité primitive. En elle se retrouve la plénitude première. p. 165 Il explique comment le tracé permet au bébé de constituer un contenant de pensée et de construire également ses représentations des premiers événements psychiques, qui vont former les bases de son fonctionnement psychique. Sur le modèle des enjeux de la première activité de tracer, toute création d’une image matérielle participe des enjeux d’individuation-séparation et de l’émergence de représentations encore liées au cortège sensori-affectivo-moteur qui préside à leur constitution. p.153 Tisseron explique l’origine et l’évolution psychique de l’image chez l’humain, la naissance de l’image mentale et sa transformation. Il insiste sur les fonctions et les propriétés de l’image qui sont négligées ou niées dans notre société, comme sa polysensorialité, son origine corporelle, kinesthésique, sa sensualité. Car c’est dans le corps que naît toute image. L’image mentale est d’abord chargée de la polysensorialité de l’expérience perceptive qui est à son origine, et c’est un résultat de son intégration psychique

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progressive que de pouvoir être peu à peu accompagnée de seules propriétés perceptives dont l’évocation est indispensable à la tâche en cours p.152 Il faut donc retourner vers le corps, vers nos sensations, pour comprendre nos images et nos représentations du monde. Les expériences élémentaires que nous avons de notre propre corps seraient à l’origine de nos manières de percevoir les substances ou les objets, mais aussi les événements, les émotions, les idées et les notions morales. p.71 ainsi, l’image mentale [...] reproduit moins le réel qu’elle ne le construit. p.26 Tisseron traite au même plan l’image mentale et l’image matérielle, ce qui a été très intéressant pour moi, car je m’intéresse particulièrement à cette identité dans mon travail : confusion entre image mentale et vision extérieure dans mes dessins, mais aussi le travail avec le rêve et le souvenir. Le rôle de l’image pour l’humain, pour le fonctionnement psychique. C’est la question du lien qui unit chacun aux images, à commencer par “ses” images privilégiées. Cette question du lien de l’image nous permet notamment d’aborder dans une même dynamique le rapport que le sujet entretient avec ses images psychiques et avec les images matérielles auxquelles il est confronté. Ces liens multiples constitués par toute image peuvent à tout moment être compris dans les deux sens possibles opposés du mot : soit comme une “liaison” au sens où Freud parle des “forces de liaison” associées à la pulsion de la vie ; soit comme un “garrot” lié aux forces d’emprise, de répétition et de mort. Il y a des images qui font lien du sujet avec lui-même à travers les mises en scène de ses désirs, conscients ou inconscients ; il y a les images qui font lien de chacun à soi par la façon dont le sujet s’y ressource ; il y a enfin des images qui font lien (conscient ou inconscient) de chaque sujet avec d’autres sujets, tantôt dans une continuité horizontale avec ses pairs et tantôt dans une continuité verticale transgénérationnelle, à travers l’illusion d’une communauté d’image. p. 193 L’image a selon lui trois fonctions, celle, connue et hypertrophiée, de représentation, puis celles de transformation et d’enveloppe, moins connues. C’est particulièrement le rôle d’enveloppe de toute image qui m’a interessé dans cette lecture. Parce que l’image est apparue avant la séparation psychique et qu’elle a d’abord été mise au service de l’illusion de l’unité primitive, tout image continue à envelopper la pensée. p. 165

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Cette fonction d’enveloppe, méconnue et sous-estimée dans notre société, nous influence pourtant. L’image en tant qu’enveloppe agit sur nous mais on ne la réfléchit pas souvent. l’image est d’abord un espace à habiter

p.32-33

Puisque l’image naît dans le corps, il la contient, et inversement, l’image contient le corps qui se la représente, comme une mise-en-abyme. Ce [...] rapport de contenance réciproque que nous établissons avec toute image [...] nous donne l’impression qu’elle est un espace habité ou à habiter avant d’être un ensemble de signes à déchiffrer. [...] C’est également ce rapport qui nous fait parfois envisager que l’esprit de ceux qui nous sont chers habitent un peu leurs images. p. 167 Mais nous ne sommes pas seuls avec nos images, l’image se donne comme un signe universel, compréhensible par tous. Le partage de l’image commence avec le bébé et l’adulte devant le miroir, quand le bébé découvre son image à travers le regard de l’Autre. Les deux fonctions de l’image (contenant de pensée et illusion d’une enveloppe intersubjective) correspondent à deux temps forts successifs dans la constitution psychique de tout sujet : la constitution des premières images et la découverte partagée avec un autre de l’image de soi dans le miroir. p. 164 L’image n’a pas seulement la capacité de représenter un objet et celui de l’évoquer [...]. Elle a également la capacité de contenir cet objet et son spectateur dans une même enveloppe, et de donner l’illusion d’une perception partagée. p. 164 Elle contient donc celui qui la regarde et offre une ainsi l’impression d’une perception partagée quand il y a plusieurs spectateurs. Mais ceci, d’après Tisseron, n’est qu’une illusion, car chacun voit l’image autrement. Pourtant, ce n’est jamais la même image que chacun voit. Aucune image n’est jamais partagée puisque chacun appréhende les images à travers sa propre organisation psychique. C’est pourquoi parler de notre perception des images n’est pas seulement nécessaire pour apprendre à les “lire”, comme le croit le pédagogue. C’est d’abord nécessaire pour briser l’illusion qui donne toute image perçue simultanément pour être une image perçue de la même façon par tous p. 193 Nous habitons constamment nos images, que ce soit nos représentations du monde, le flux visuel qui nous traverse intérieurement, ou l’enveloppe que nous procure le flot constant d’images qui nous entourent. Le

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cinéma et la télévision sont emblématiques de cette fonction de contenance, car pendant le visionnement nous nous projetons d’une certaine manière dans l’image. Tisseron différencie cependant ce flot visuel et l’image. Dans son approche des images tant matérielles que psychiques, il aborde l’opposition entre “image” et “visuel”. Cette distinction est d’abord proposée par Serge Daney pour rendre compte de la diversité des images qui nous entourent, [...] notamment la différence entre les images du cinéma, [...] construites pour que nous les regardions, et le “visuel” des images de la télévision, que nous ne regardons pas, mais que nous voyons simplement défiler. Or, de la même façon, nous pouvons opposer un “visuel” psychique par lequel nous nous sentons parfois traversés aux images que nous construisons sous notre regard intérieur, dans une attitude active [...]. Le “visuel” constitue la toile de fond de nos perceptions autant que celle de notre activité mentale représentative. C’est sur ce visuel que se détachent les images que nous constituons activement comme objets de notre regard ou de notre pensée. Dans les deux cas, nous isolons une séquence visuelle de notre monde, perceptif ou intérieur, pour la considérer comme une “image”. On pourrait dire que [...] le “visuel” est ce qui nous “enveloppe” et nous contient, qu’il soit constitué d’images psychiques [...] ou d’images matérielles [...]. [...] nous ne constituons pas ce visuel en matière à transformations. Au contraire, l’image constituée sous notre regard (intérieur ou perceptif) est prise par nous comme matière de transformations. Ces transformations peuvent porter sur l’image ou sur nous-mêmes : nous nous transformons en l’observant, en la prolongeant, ou en tentant de la comprendre. p. 157 – 158 Ce flot dont il parle, anime beaucoup mon travail. La profusion du matériel visuel, l’acte de collectionner et de fabriquer une grande quantité d’images correspond à ce désir de s’en entourer, d’être enveloppé. Dans la cinéphilie, malgré la distinction proposée par Serge Daney, je crois que le cinéma peut être aussi un «visuel», dans le sens où l’on se noie dedans, où l’on s’échappe dans le visionnement quantitatif pour effectivement vivre dans ces espaces imaginaires. La conception de l’image comme représentation symbolique (à partir de Nicéphore le Patriarche) est tellement ancrée depuis dans le rapport que l’Occident entretient avec les images qu’elle a été reprise, avec d’autres mots, par la psychanalyse traditionnelle. [...] La possibilité pour l’image de contenir réellement certains pouvoirs de ce qu’elle représente (et donc de pouvoir manifester ces pouvoirs dans la réalité) y est considérée comme le témoin d’un rapport fétichique à l’image. Ce rapport, attribué à un esprit infantile ou primitif, est excusé comme immature dans le meilleur des cas et fustigé comme pervers dans le pire.

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Pourtant, l’attention portée aux premières images, tant matérielles que psychiques, nous a montré que les pouvoirs de contenance et de transformation leur sont intrinsèques. [...] complémentairement à la capacité de représentation que la tradition théologique et philosophique de l’Occident nous fait spontanément lui attribuer. p. 161

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Mes dessins d’enfant, 1989, crayon couleur sur papier


Ce sont les explorations de ces propriétés négligées qui m’intéressent de plus en plus dans mon travail. Je crois que dans cette voie se trouvent des images plus riches de sens et qui ouvrent un lien réel avec le spectateur, permettant de constituer des miroirs plus réfléchissants et plus profonds.

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L’image au mur

L’image peut être accrochée au mur et regardée au quotidien. L’image est toujours présente, elle fait partie de l’espace où l’on vit. Et des espaces où l’on passe, couloirs, cabinets de médecins, salles d’attente, salles de classe, ... On devient familier avec l’image, mais elle peut contenir suffisamment de profondeur pour toujours garder une certaine étrangeté. Puis on a envie de changer de décor, d’habiter un espace différent, au bout d’un certain temps. L’image étend l’espace, lui donne une dimension supplémentaire et infinie. On la choisit parce qu’elle éveille en nous quelque chose, elle fait partie de notre univers et nous aide à rêver, à imaginer. Il s’agit d’un dispositif simple, facile qui contient toutes les histoires possibles que l’on peut y projeter. L’image ouvre un nouvel espace dans l’espace, irruption de l’imaginaire, de la fiction dans le quotidien, le réel. Les lieux peuvent ainsi sortir de l’espace étroit du réel. Alors quelle forme matérielle pour cette image? J’aimais bien les photos imprimées, que je découpais dans des magazines, des fiches publicitaires ou d’information, dans un calendrier, agenda ... ou bien des cartes postales, achetées ou reçues, photocopies de livres, ... Des formats peu coûteux, appartenant au quotidien, périssables, facilement reproductibles ... trouvaille aussi. La collection, appropriation des images des autres, j’y projetais mes propres histoires. La photo numérique, c’est une peu cela aussi : souvent je trouve chez les autres des photos qui ressemblent aux miennes, c’est accessible pour tout le monde, pas comme le dessin ... Mais ces images, j’ai envie de leur prendre et les utiliser pour construire mon univers. Je les vois exactement comme mes propres photos. Elles m’évoquent des histoires qui me ressemblent. Elles évoquent en moi des films possibles. Dans les photos, montrées sur ce genre de support “profane”, ce qui compte est le contenu (narratif) de l’image, le cadrage, les couleurs, ... et non pas l’aspect “plastique”. Il s’agit plus de recherche picturale et

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narrative que plastique. Il s’agit aussi d’un choix esthétique de ce support. Son caractère périssable, familier, intime, d’usage, trouvé (et non pas acheté cher) – beaucoup de merveilleux pour peu de moyens. L’image immatérielle se situe au-delà de cette copie imprimée, qui n’est qu’une fenêtre sur l’image. L’image est avant tout intérieure, imaginaire. Intégrée par le spectateur qui l’a choisie, parce qu’elle lui évoquait quelque chose qu’il souhaitait retrouver, qu’il avait déjà en lui, dormant. Elle résonne avec quelque désir enfoui, souvenir, ou autre chose. Il s’agit pour moi aussi d’une certaine nostalgie de mes anciens intérieurs et d’un hommage également aux espaces que j’ai fréquentés dans mon passé – l’ancienne Cinémathèque Slovène, l’ancien café dans l’hôtel Union à Ljubljana, et d’autres lieux de ce type que je n’ai pas connus, mais qui existent quelque part, tous ces lieux un peu désuets, mais qui ont une âme, une histoire aussi. Ils sont des espaces de résistance au temps. Mais ils ne résistent pas éternellement, ils sont remplacés par des lieux souvent sans âme, comme la Cinémathèque Slovène actuelle et aussi le nouveau café d’Union ... Mes anciennes chambres, anciens appartements aussi ne reviendront plus jamais. Ces espaces, que j’ai dû laisser dans le temps, je veux leur rendre hommage, je veux les restituer, sous d’autres formes. Recréer des espaces du passé, il s’agit de fantômes là aussi. Retrouver le passé dans ces lieux qui sont comme extraits du temps, qui ne se situent pas tout à fait dans le moment actuel. Je le fais dans mes photographies où j’isole des fragments du passé qui persistent, surtout l’architecture ou des boutiques à la décoration ancienne. Je tente également de reconstruire ces espaces dans mes installations, plus librement. Je les voudrais intemporels, mais avec une certaine empreinte du passé tout de même, évoquant une époque, ou plutôt, un mélange d’époques. Je voudrais retrouver chez le spectateur des émois semblables aux miens. Recherche d’espaces imaginaires et concrets à habiter le temps d’une location, le temps d’une exposition, le temps d’une décoration avant que la vie ne pousse à restructurer l’espace.

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[...] les images privilégiées par chacun (naturelles comme un coucher de soleil ou artificielles comme une oeuvre d’art) jouent pour lui cette fonction de miroir d’enveloppe. Elle participent pour chacun d’entre nous à un imaginaire de la continuité et de la permanence. Retrouver les mêmes images dans nos lieux familiers ([...]image matérielle et [...] image psychique) participe d’une confirmation essentielle de notre identité. Nos images familières, en assurant un cadre stable à nos investissements psychiques, constituent en quelque sorte l’enveloppe familière de nos pensées et de nos émotions. La psychanalyse de l’image : Des premiers traits au virtuel, Serge Tisseron, 1997, p. 166

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Photographie de ma chambre en Slovénie, avec un dessin de Sara Konclija à gauche et une de mes photos à droite, 2010

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Pixellisation/grain de l’image

La pixellisation de l’image me semble approcher de son “intimité”, chaleur, aspect physique, une certaine corporalité, sa base. Elle me donne envie de toucher l’image, celle-ci gagne une structure, une matérialité, alors qu’avant elle n’était que pur mirage. Ça reste une illusion, car l’image vidéo n’est pas matérielle. Ce qui est important est la sensation qu’on a en regardant, elle l’emporte sur le seul aspect visuel de la perception. L’aspect sensuel de l’image est alors plus important que le sens de ce qu’elle montre. Ce sont des moments où on se laisse faire par la structure et la couleur. Les pixels sont de différentes couleurs, leur couleur devient visible dans ce rapprochement, quand on sort de l’image lisse. Image pixélisée = velours ou laine de verre, cela dépend – elle peut piquer la vue, désagréable et dangereuse, ou bien la caresser, l’envoûter. Petites particules qui peuvent faire penser à des morceaux de verre. Plaisir de voir de plus près, jusqu’à fourrer sa tête dans le giron de l’image. Se perdre dans l’image : on voit moins bien mais on est dedans, devenir plus proche de l’image, entrer dans le cadre en quelque sorte, venir à l’intérieur de l’image. Ce plaisir [que nous trouvons dans l’image] n’est pas de l’ordre des symboles, mais de l’ordre d’une proximité : toute image se donne comme un lieu à habiter qui nous accueille toujours plus au fur et à mesure que nous y pénétrons. La psychanalyse de l’image : Des premiers traits au virtuel, Serge Tisseron, 1997, p. 198

Dans les films de Stephen Dwoskin, j’ai lié cet aspect tactile de la vision à la peinture, au geste du peintre : “Le rapprochement, le contact physique, se fait par une approche du matériau filmique en tant que support de peinture. En agrandissant jusqu’au grain, c’est comme si Dwoskin montrait l’intimité de l’image cinématographique. Elle fait penser à la peau, avec ses pores.

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fond et droite : détails de Music box, 2011, vidéo couleur, 23min40 et de Transe domestique, 2009, vidéo couleur, 3min16


Le regard tactile se situe ici par rapport à l’image même, par rapport à la représentation du père (dans Dad) et non l’image du corps qui se substitue à la présence réelle, pour créer une illusion de chair (comme dans Dear Frances).” (citation de mon mémoire de licence Dad de Stephen Dwoskin – le miroir intérieur, p. 15)

Selon Albera, le numérique retrouve la matière et se rapproche ainsi de la peinture, par son exploration de la texture, du grain de l’image. Il compare ses pixels aux pigments, aux couleurs et aux épaisseurs de cette dernière. Stephen Dwoskin : DV on SKIN, ALBÉRA, François, 2004, p. 6

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Réflexion autour d’une phrase de Schopenhauer/ Spéculations

Music box, 2011, vidéo couleur, 23min40

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“L’univers entier n’est objet qu’à l’égard d’un sujet, perception que par rapport à un esprit percevant, en un mot, il est pure représentation.” Le monde comme volonté et comme représentation, Arthur Schopenhauer, traduction A. Burdeau, Presses Universitaires de France, Paris, 1966

Ce sont les sens qui nous lient au monde c’est grâce à eux qu’on le perçoit. Pour Aristote, le lien entre le sensible et la pensée est ma représentation, qui permet d’unifier la pensée et le corps, le monde tangible et le monde des idées. La présence directe et immédiate de l’univers, du monde qui nous entoure, n’est que l’illusion qui résulte de notre représentation, de notre perception. En réalité, on en est séparés, c’est grâce à la représentation en tant qu’opération mimétique entre le présent et l’absent que l’on se sent dans le monde et qu’il nous entoure de sa présence. Une oeuvre d’art exposée nous montre dans une mise en abyme la nature du monde, le fonctionnement de l’existence. Elle (l’oeuvre d’art) est une re-présentation du processus de la représentation elle-même, accomplie par un individu (l’artiste) qui génère un point de vue sur le monde (subjectif) représente en un objet (matériel ou pas) – il faut un sujet pensant pour qu’il existe un point de vue subjectif et donc inscrit dans l’existence : La variation de la thèse de Schopenhauer pourrait être qu’il n y a d’existence d’un point de vue qu’à partir de son inscription dans la perception d’un sujet percevant, vivant. Le point de vue peut seulement naître par le biais d’une inscription dans le regard d’un “esprit percevant” – le point de vue de quelque chose suppose une vue, qui est liée à un esprit percevant, sinon il ne s’agirait que d’un emplacement spatial indéfini. Donc il ne peut être que subjectif – propre au sujet. Puisqu’il n’existe pas deux sujets complètement identiques, il n'y a pas deux points de vue complètement identiques. Il peut y avoir par contre un certain degré de similitude entre deux représentations, entre deux perceptions subjectives. Peut-être que l’oeuvre d’art qui intéresse le plus pourrait être celle qui a le moins de similitude avec un coefficient commun de la perception de l’objet représenté.

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Mais revenons à la nature de l’oeuvre d’art : elle est exemplaire du processus de la représentation, puisqu’il s’opère multiplement autour et à l’intérieur d’elle. La représentation artistique est une re-présentation d’un objet, par un sujet, représentée à lui d’abord par sa perception, résultante de son point de vue, re-présentée en objet artistique, représenté dans un contexte d’exposition donc donnée à voir, représentée à/par l’esprit du spectateur. La représentation a un lien avec l’interprétation. Toute perception humaine est sujet d’interprétation, de stimuli provenant au cerveau de la part des sens provoqués par le monde sensible, re-présenté dans le cerveau en images et sons, accompagnées ensuite par la pensée, le langage, qui se re-présente la représentation qui lui est donné – donc l’interprétation serait une opération de représentation en langue de la représentation immédiate provoquée par les sens – une deuxième présentation au cerveau de l’objet qu’il perçoit. La représentation première serait donc matière à penser en quelque sorte. Dans un aller-retour entre la première représentation et sa re-présentation et l’interprétation que le sujet en fait se construit l’idée du monde et de la réalité perçue par l’humain. La thèse de Schopenhauer suppose donc d’un côté l’existence du monde tangible en tant que support de la perception de l’individu, une absence donc d’un monde d’idées pures (selon l’ontologie Platonicienne), qui échappent au sens. D’un autre côté (puisque la représentation peut être multiple), il déplace l’univers entier dans la perception individuelle (ce que fait également MerlauPonty en plaçant l’être percevant comme départ autour duquel le monde se construit, le sujet percevant étant toujours au centre de l’univers en quelque sorte). Son existence en tant qu’objet est donc factice, contingente, elle existe et se construit en dehors du tangible.

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DANS LES COULOIRS DU PASSÉ Going home : photographies, Nostalgie, Extraire des espaces au cours du temps qui passe

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Photographie numérique d’installation Ma chambre (festival Par ici par l’art), août 2009

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Going home : photographies

Photos de Ljubljana quand j’y ai vécu enfant. Noir et blanc. Šiška. Comme de fausses cartes postales remplies de souvenirs et les photos de cette époque, prises par mes parents. Retour dans le temps, vers mes premières années, les plus intenses : pourquoi la vie était tellement plus intense dans ma petite enfance? [...] au lieu de suivre la voie d’une ontologie formelle (d’une Logique), je m’arrêtais, gardant avec moi, comme un trésor, mon désir et mon chagrin ; l’essence prévue de la Photo ne pouvait, dans mon esprit, se séparer du “pathétique” dont elle est faite, dès le premier regard. La chambre claire, Note sur la photographie, Roland Barthes,1980, p. 42

Retour à la maison. Le temps où ma mère a vécu avant moi, c’est ça, pour moi, l’Histoire (c’est d’ailleurs cette époque qui m’intéresse le plus, historiquement). ibidem

La photographie c’est la mémoire, elle est la plus proche de la représentation intérieure de l’extérieur; elle est spectre de la vie. On essaye dedans de capter quelque chose qui n’a pas été ou qui a été, mais toujours une image du monde / de la vie qu’on aimerait avoir, montrer, inventer – et de modifier ainsi le monde par une reproduction qui est censée être fidèle à la réalité alors qu’elle répond plus au désir de créer une image. Elle est trompeuse, elle est magique – elle permet de faire exister, de rendre visible des spectres (de nos désirs) de ma vie et de faire voir aux autres ma vision intérieure du monde, comme cette machine que j’aimerais tant avoir, qui retranscrirait les rêves du corps de rêveur directement sur un écran. La photo donne l’illusion de pouvoir le faire, car on y partage une vue prise par le dispositif mécanique, une vue censée être objective. Avec beaucoup de photos (voilà pourquoi aussi j’en prends autant) on peut tenter de re-construire le monde tel qu’on le souhaite, tel qu’on le rêve. Je retrouve la ville de mon enfance sur ses vestiges, ou dans d’autres endroits. Cette ville, qui est à jamais disparue, changée, est toujours là, dans la photo. La photo donne un support concret à mes souvenirs, aux images mentales. Chaque photo est une espace de mémoire (inventée).

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[...] les besoins du culte familial n’ont-il pas trouvé, dans la photographie, la représentation exacte de ce qu’amulettes et objets réalisaient d’une façon imparfaitement symbolique : la présence de l’absence ? La photographie, dans ce sens, peut être exactement nommée [...] souvenir. Le souvenir peut lui-même être nommé vie retrouvée, présence perpétuée. La photographie fait fonction de souvenir [...] Le cinéma ou l’homme imaginaire - Essai d’anthropologie, Edgar Morin, 1956, p. 26

Ma recherche se poursuit avec une re-collection d’anciennes photos. Je suis retournée en Slovénie et j’ai découvert une enveloppe de photos de ma mère, de son enfance jusqu’à ses 21 ans, quand je suis née. Je n’ai jamais vu ces images auparavant, je croyais que toutes les photos de son adolescence étaient perdues. J’ai aussi retrouvé des photos de mes anciennes chambres (au cours de ma vie j’ai déménagé une vingtaine de fois, j’ai eu presque autant de chambres). Des fragments me sont revenus. À chaque photo un fragment de moi-même se remet en place, je me constitue avec chaque bout de mémoire retrouvée. Quand on n’a pas la possibilité de travailler ses souvenirs, c’est l’ombre du passé qui nous travaille. Le murmure des fantômes, Boris Cyrulnik, 2005, p. 25 Au lieu d’être considérée comme une condition réactionnaire et régressive, imbue de sentimentalité, [la nostalgie] peut être perçue comme un moyen de réconciliation avec le passé, permettant de l’exorciser, pour que les individus et la société peuvent aller de l’avant. Screening the past : Memory and Nostalgia in cinema, Pam Cook, 2005, p.4 (ma traduction)

En effet, mes souvenirs perdus sont toujours là, mais inconscients, et la reconstruction de mon passé permet de me constituer en tant qu’être réel dans le présent, dissiper cette impression d’irréalité de ma propre identité, de mon existence. Chaque photo, chaque souvenir l’atteste. Ce retour en arrière est également retour vers mon pays d’origine, la Slovénie. Il est d’autant plus nécessaire que je n’y habite plus. D’ailleurs, ce désir m’est venu seulement après quelques années passées en France, où j’ai souvent l’impression de perdre mes repères, mon identité.

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opération de retour, qui est essentielle à la photographie ... Essai sur l’expérience photographique. La part de l’ombre, Régis Durand, 2005, p 18

Souvenirs possibles – rien n’est perdu pour toujours. Je peux me retrouver dans les endroits de jadis, et quand j’y retourne en cherchant le passé, je le recrée à l’aide de mon appareil photo. J’invente le passé, je l’invite à venir habiter le présent. Le dispositif photographique est plutôt de l’ordre d’une expérience du temps – et plus précisément de la possibilité de le reproduire imaginairement, de sa reproductibilité ou réversibilité. (Impression de réalité oui, mais sous une forme hallucinatoire, comme ce qui revient sous des dehors à la fois familiers et étrangers). idem, p 17

Je voudrais qu’on partage ce sentiment de passé retrouvé dans ces objets et images. Un autre temps, le temps imaginaire. Le passé, fait de ces représentations imaginaires, les souvenirs, des fictions basées sur nos interprétations, nos expériences émotionnelles. Ils détiennent une vérité, mais c’est avant tout celle de notre monde intérieur. Marché, 2009, photographie argentique, noir et blanc, page de droite : Kino Partizan, 2010, photographie argentique couleur bas : Grands-parents, 2009, photographie argentique noir et blanc

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Tout monde, tout présent est composé des objets venus de périodes ou de couches de temps différents. Prendre en compte cette anachronie ou ces anachronismes, c’est refuser l’alternative entre une histoire cyclique ou répétitive, qui est peut-être l’expression de forces plus “primitives”, et une histoire linéaire, progressive, irréversible et cumulative. Le passeur du temps : modernité et nostalgie, Sylviane Agacinski, 2000, p. 122

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NOSTALGIE

La nostalgie est souvent désir de quelque chose qui n’a jamais été. Alors elle est création, puisqu’elle invente (un souvenir, un temps, un lieu, une émotion, des images, des sensations). Elle invente pour le plaisir émotionnel. [...] la photographie [...] est ce qui nous console, plus ou moins, d’une perte. Photographie fétichiste. Freud – fétichisme repose sur une opération symbolique Verneinung – le déni ou désaveu d’une réalité jugée traumatisante. Tentative pour saturer ce sentiment de perte ou de manque. A l’aide d’un objet irréel, à la fois présence et absence – présence qui nie la perte d’un autre objet, qui pourtant n’a jamais été perdu, puisqu’il n’a jamais été là ... Essai sur l’expérience photographique. La part de l’ombre, Régis Durand, 2005, p. 18

Je tente de retrouver une perspective enfantine (retrouver la vision de ma petite enfance avec ses ressentis), des lieux de mon passé (enfance) et ceux du passé de mon ancien pays (Yougoslavie, jusqu’à mes 6 ans, puis la transition vers la Slovénie indépendante), les restes de ce passé qui persistent aujourd’hui, mais également ma période lycéenne, où j’habitais seule à Ljubljana. Il s’agit principalement de photos argentiques, car elles transmettent plus facilement ce genre de sensation, elles donnent une autre qualité de lumière, plus chaude et floue. Je les faisais en noir et blanc pendant deux ans, et cet été je suis passé à la couleur, en gardant cette même impression/sensation de photographier le temps passé. Je photographie les lieux connus, que je regardais enfant, comme l’appartement de mes grands-parents, notre ancienne maison où j’ai habité, mon ancienne crèche, les coins des villes que j’ai fréquenté enfant, mais aussi des lieux qui leur ressemblent. Ce qui m’importe n’est pas le fait de trouver les lieux précis de ma mémoire, il s’agit de la recherche d’une sensation ou d’un sentiment déclencheur de souvenir.

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Chambre chez mes grands-parents, 2010, photographie argentique

À première vue, la nostalgie est le désir d'un lieu, mais en fait c'est un autre temps qu'elle désire - le temps de notre enfance, les rythmes ralentis de nos rêves. Dans un sens plus large, la nostalgie est une rébellion contre l'idée moderne du temps, celui de l'histoire et du progrès. Le nostalgique voudrait abolir l'histoire et la transformer en mythologie collective et personnelle, revisiter le temps comme s'il était espace, en refusant de se soumettre à son irréversibilité, fléau de la condition humaine. The Future on Nostlagia, Svetlana Boym, 2001, p. XV (ma traduction)

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Deux anciennes chambres Ă Ljubljana, 2002-2003, photos argentiques

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Extraire des espaces au cours du temps qui passe Les lieux changent, c’est difficile pour moi de l’accepter. Les endroits, les espaces, avec leur fonction, leur ambiance, une certaine âme des lieux, les gens qui les fréquentent, les activités qui s’y déroulent. Souvent les endroits changent brusquement, avec des changements politiques, sociaux, économiques. Et c’est comme la mort d’une personne, le lieu comme je l’ai connu n’existe plus. Comme la Cinémathèque de Ljubljana, un des endroits qui ont été très importants pour moi, pendant mes années de lycée. Quand le directeur est mort subitement d’un cancer, l’État s’est emparé de la Cinémathèque, l’a fermée pour travaux et a imposé un nouveau directeur de son choix (gouvernement de droite). Toute l’ancienne équipe est partie, et moi je n’y ai plus jamais remis les pieds, pour pouvoir garder l’image de l’ancienne Cinémathèque intacte dans mon souvenir. Avant, j’y connaissais tout le monde. Je passais les voir dans leurs bureaux, j’étais une habituée du café à l’intérieur où les portions généreuses de crème fouettée sur mon chocolat viennois remplaçaient mes dîners, entre deux projections gratuites, mes privilèges de “future cinéaste”. Dans mes souvenirs, les endroits comme la cinémathèque sont comme des lieux sacrés, où j’ai envie de retourner dans mes pensées, et ces souvenirs me font éprouver beaucoup de nostalgie et de tristesse, car ils ne reviendront jamais. Les souvenirs attachés aux endroits sont parmi les plus forts, depuis ma petite enfance. À des espaces précis s’attachent les sentiments les plus forts, bien plus qu’aux individus ou aux objets. L’ambiance de ces lieux, cette chose indicible, cette “âme des lieux”, qui sera le critère principal de mon attachement. Dans le cinéma aussi, ce sont les lieux, les décors et leurs ambiances que j’apprécie le plus. La production artistique dans toutes ses formes a été pour moi d’abord la création de nouveaux espaces, qui élargissent le monde. Le cinéma est également la création d’un temps supplémentaire, un temps de vie concentrée, ainsi qu’une possibilité de retour dans le temps, de voyage dans le temps. Un endroit raconte des histoires, elles sont inscrites entre les lignes du papier peint, les volets et les tiroirs … Je cherche des chambre mentales.

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La vue de ma fenĂŞtre, centre-ville de Ljubljana, 2002, photo argentique

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J'ai un goût esthétique pour le “rétro”. Mais au-delà de son seul aspect visuel, ce qui me plaît, c'est la distance dans le temps qui rend le passé fictionnel ainsi qu’un certain fétichisme de l’objet du passé, objet retrouvé, qui ne peut pas être reproduit, car il contient le poids du temps. L’objet qui a voyagé dans le temps. Comme âme vivante, je suis le contraire même de l’Histoire, ce qui la dément, la détruit au profit de ma seule histoire (impossible pour moi de croire aux “témoins”; impossible au moins d’en être un. La chambre claire, Note sur la photographie, Roland Barthes,1980, p. 102

L’attirance rétro est toujours ancrée dans le contemporain car c’est la distance dans le temps qui rend ces objets précieux. Mon regard sera toujours contemporain, présent, car je suis d’une autre époque. L’histoire est comme un conte de fées, mais c'est encore plus intéressant qu'un monde purement imaginaire : c'est du réel qui se fictionnalise grâce à la distance dans le temps. là où l’histoire supprime l’élément du déni ou de l’imaginaire dans sa re-présentation du passé, la nostalgie met en avant ces éléments, et démontre qu’ils sont les processus présents au coeur de la mémoire. Screening the past : Memory and Nostalgia in cinema, Pam Cook, 2005, p. 3 (ma traduction)

La nostalgie, le retour en arrière : j'ai peur du monde actuel, et encore plus de ce qu'il va devenir, de l’année en année. J'ai peur pour ma vie, celle que j'aimerais vivre. Même si je récupère une part de l’authenticité de mon enfance, comment pourrai-je exister réellement dans ce monde fou, gouverné par les nouvelles technologies, l'internet, l'argent, vidé de temps, vidé de relations sincères, vidé d’un sentiment d’existence véritable, ou tous les jours un nouveau bâtiment sans âme est construit ...? J'ai l'impression qu'il n’y a pas de place possible pour moi, pour ma vie, telle que j'aimerais la vivre, dans le présent, mais surtout dans le futur, même proche. Où trouver un refuge? C'est ce que j'essaie de créer, un espace, une illusion. Un monde imaginaire, qui sera devenu tellement vaste, à force de produire des images, des sons, des objets, qui va s’emparer des espaces, des chambres, des maisons, des immeubles entiers.

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Pour témoigner d’un paradis perdu, d’un endroit qui ne trouve plus sa place ici. Je le vis comme une tragédie, parce qu'il s'agit d'un monde que j'ai l’impression d’avoir connu, enfant, et déjà dans ma courte vie, c'est comme si le monde s'était retourné, tout a changé. C’est à cause de la technologie, de la science contemporaine, il me semble, ces machines (nées de mécanismes inhumains, comme des parties “extraterrestres”, inhumaines des gens) qui produisent des vides dans les humains et effacent les espaces d’espérance, effacent de la terre la vraie vie. Je suis d’accord avec Agemben, quand il dit que seule la révolution pourra nous sauver d’une fin d’humanité, emprisonnée jusqu’à suffocation dans ses dispositifs.

haut : Collage pour exposition Espaces hors temps, Bežigrajska galerija 2, Ljubljana 1/9/2011-1/10/2011 bas : Tv servis, 2010, photographie numérique

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Polona dans les villes, 2010, photographie argentique

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Photographie (numĂŠrique) de mon atielier, 2011

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Couple de clowns, 2010, fusain et peinture acrylique sur papier, 250x150 cm

Just when I’d stopped opening doors, Finally knowing the one that I wanted was yours, Making my entrance again with my usual flair, Sure of my lines, No one is there. Don’t you love farce? My fault I fear. I thought that you’d want what I want. Sorry, my dear. But where are the clowns? Quick, send in the clowns. Don’t bother, they’re here. Send in the clowns, par Stephen Sondheim, 1973

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COULOIR DES MIROIRS Dessin, peinture, image mentale, Performance, geste, Approche psychométaphysique, retour au corps vécu, Autoportraits

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Dessin, peinture, image mentale ...

Dans mon dessin, je m’intéresse à l’expressivité du corps, à ses poses et ses formes exagérées, qui expriment ainsi à l’extérieur des états psychiques. Récemment j’ai commencé à explorer un dessin où l’image mentale et le ressenti corporel sont les plus importants. Je dessine souvent les yeux fermés à partir d’une pure image mentale, ou bien sans regarder la feuille, en combinant une image mentale avec l’observation de personnes réelles, modifiant leur apparence. Je les travestis, les déshabille, change le sexe des hommes, ... Je dessine également à partir de mes rêves (je tente de reconstruire intérieurement les images, les souvenir du rêve).

Crie, 2011, crayon sur papier

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22 Otto Dix, Portrait du peintre Adolf Uzarski, 1923

Tristana, 2011, crayon noir sur papier

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Little you, 2008, fusain sur papier


Il s’agit entre autres de trouver la forme dessinée qui m’est la plus personnelle entre la vision extérieure et la vision intérieure (mes images mentales). Je tente un dessin entre représentation et ressenti. La spontanéité nécessaire pour produire une peinture convaincante est difficile à atteindre, car la désinhibition ne vient pas facilement, quand on a passé tant d'années de notre vie à apprendre comment obéir à ces mêmes idéaux et attentes collectifs. The Rebirth of Painting in the Late Twentieth Century, Donald Kuspit, 2000, p.3 (ma traduction) Un début de cette liberté, à la quelle je commence à goûter, est venu chez moi après une longue pratique. Il m’a fallu passer par toutes ces années pour enfin essayer de retrouver l’esprit vif de mes dessins d’enfant et une certaine maîtrise de moyens expressifs. Tout en travaillant sur ce lien entre vision et geste, entre intérieur et extérieur. Après la lecture de La psychanalyse de l’image de Serge Tisseron, j’ai revu tous mes dessins d’enfant que ma mère avait gardés. Des centaines de dessins de différentes périodes. J’ai retrouvé mes préoccupations présentes dans certaines et d’autres me semblaient presque étrangères, leur logique éloignée de la mienne. Les premières me confirment dans mon identité, et les deuxièmes m’interrogent : suis-je encore cette même personne? Quels sont ces éléments qui me sont à présent étrangers, pourrais-je les retrouver en moi? Peut-être que cette recherche aurait pour résultat des images plus mystérieuses, plus riches. Je pense qu’il reste des trésors cachés et des vérités troublantes à découvrir en recherchant dans ce passé, sous des couches profondes de temporalités de ma conscience.

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PSYCHOMETAPHISIC APPROACH

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Pour que la peinture soit authentiquement moderne, elle doit être radicalement individuelle et existentielle. En tant que telle, elle pose le modèle pour l'art moderne de tout genre. Il s'agit d'un art qui est une affaire de vie et de mort psychique, et qui à pour objectif de défendre le soi véritable contre une exploitation par une société instrumentale-administrative, dont le résultat serait de le réduire (le soi véritable) au néant. Ainsi, la peinture moderne préserve l’impulsion de la transcendance - et satisfait, même si c’est d’une façon mystique, le besoin basique de la transcendance de l’homme - dans une société qui nie qu’une telle transcendance puisse exister. The Rebirth of Painting in the Late Twentieth Century, Donald Kuspit, 2000, p. 5 (ma traduction)

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Autoportrait fantôme, 2008, crayon et fusain sur papier droite : Autoportrait clown rouge, 2008, crayon couleur et feutre sur papier


dessin qui est surtout une expression de soi, un outil d’exploration de soi-même et du spectateur, et un moyen de santé psychique

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art which is a matter of psychic life and death

L’art qui est une affaire de vie et de mort psychique

Gouffre, 2011, vidéo couleur, 2min05 page de droite, haut : Chambre Claire Chambre noire, 2009, vidéo couleur, 4min15 page de droite, bas : Music Box, 2011, vidéo couleur, 23min40

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On doit mourir pour ce monde aliénant afin de récupérer le sens de Soi qui en soit indépendant jusqu’à le transcender. Ceci est l’essence de l’expérience apocalyptique - la transformation apocalyptique de soi. 34

La tension entre les émotions opposées n’est jamais perdue, même si l’une semble disparaître dans l’autre, dans une oscillation sans fin, apparemment cyclique entre les deux. [...] le rythme apocalyptique de la psyché [...] est comme une métaphore religieuse : on doit mourir pour ce monde – car en effet, ce monde nous crucifie et nous mortifie - pour être ressuscité dans le sentiment paradisiaque/divin. 34 The rebirth of painting in the late twentieth century, Donald Kuspit, p. 15 (ma traduction)

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Comment l’intérieur porte sur l’extérieur? Dans les dessins, c’est toujours l’expression qui dicte la forme. La forme extérieure est distordue, soit par l’inscription d’un état d’âme, soit par une tentative de révéler la pluralité des visages de chaque personne/ chose. Montrer ce qui est caché derrière les apparences, et qui pourtant se fait voir, sentir, par une impression de la personnalité. Les gens mettent des masques pour se protéger et pour plaire, sans se rendre compte que ce qui est derrière s’inscrit sur leur masque, celui qu’ils essaient tant de perfectionner. Je veux montrer ce que les gens essaient de cacher ou des aspects de leur personne dont ils ne prennent pas pleinement conscience. Exposer à la vue leurs comportements pour leur tendre une sorte de miroir. Mais cette surface est déformante aussi, c’est comme un miroir de rêve. Dans le rêve, souvent la vérité sur les choses est révélée, mais sous une forme qui reste à décoder. C’est ainsi que les dessins, qui pourraient parfois évoquer des caricatures, sont liés à ce qui peut sembler leur contraire, les enregistrements des mouvements de mains et des positions corporelles, qui semblent traduire un langage abstrait. Je voudrais inciter à voir la complexité de chaque personne, faire regarder et accepter, mais aussi remettre en cause et évoluer, la totalité de ce que l’on est. Inciter aussi le rire de soi-même : souvent on est trop sérieux dans tout ce qui nous touche vraiment. Mes visages peuvent moquer, mais j’essaierai très fort de rire d’abord de moi-même. bas :Autoportrait freak, 2009, feutre sur papier fond :Autoportrait accroupie, 2009, crayon sur papier droite haut :Père, 2008, fusain sur papier droite bas : Mère canard, 2008, crayon couleur sur papier

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États, 2011, vidéo couleur,1min51

Une boucle vidéo de quelques secondes, une figure qui court vers la caméra, coupée dans son mouvement, pour donner l’impression qu’elle est aspirée à chaque fois en arrière, au point de départ. Le dur travail de Sisyphe, la répétition. Chaque fois qu’on essaie de changer, d’échapper à un schéma comportemental, même si on réussit, ça prend très longtemps. Les répétitions sont quelque chose qui nous détermine en tant qu’humains. Dans mes vidéos je compose des tableaux, je remplace la peinture.

Reprendre contact avec une approche plus corporelle de la création. Approche chorégraphique du montage, du dessin, de l’espace.

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Danse, 2011, crayon sur papier


Performance, geste :

Je suis toujours présente dans mes vidéos, soit par la voix, soit dans l'image, le point de départ étant un autoportrait qui se transforme par la suite dans une recherche d’universel. Il s’agit d’analyser mes propres positions intérieures et mécanismes psychiques et de les lier à mes observations des autres et à mes lectures. Les gestes sont expressifs en soi, le corps est expressif, presque malgré la personne. Un élan intérieur qui pousse le geste à s’accomplir se raconte. Une position du corps se lit. Le geste traduit une réalité intérieure. Le personnage est prisonnier de sa réalité, son corps est prisonnier du geste. Je voudrais montrer les événements intérieurs.

La répétition et le ralenti sont les opérations principales dans mes montages. Le ralenti correspond entre autre au désir de ralentir le temps, de le maîtriser. Au souvenir aussi, à la tentative de se rappeler. Désir de retenir un sentiment, une émotion effervescente. La forme flouée du corps qui en résulte : corps-fantôme, corps-animal, corps-monstre. Visages multiples. La répétition donne parfois l’impression d’une forme déformée, d’un corps mutilé. La douleur, la souffrance mentale devient aussi corporelle. Le corps et l’esprit sont liés comme deux faces d’une médaille. Ce qui dérange, dans la répétition, c’est son caractère non rationnel – sinon irrationnel. Ainsi, le “primitif” survit dans les cultures modernes et le magique peut être contemporain du logique. Le passeur du temps : modernité et nostalgie, Sylviane Agacinski, 2000, p. 121

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Ocean, 2008, vidéo couleur, 12 min (images fixes imprimées à partir de la vidéo)


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23 Barbara Kukovec, Spotlight on Me, 2009, solo performance (cette page) 24 Antonia Baehr, Lachen (Rire), 2008, solo performance(page droite, bas gauche) 25 Nataša Živkovič, Tihožitje (Still life), 2010, performance / pièce dansée, (page droite, bas droite)


Les images d’une performance entre le réel et l’imaginaire : d’abord une performance est filmée, ensuite elle est retravaillé et je lui donne une qualité d’image mentale, de rêve. Ou bien les deux temps se font dans la présence en live : préparation préalable, expression par le corps, le montage devient le mouvement dans l’espace, l’imaginaire vient de l’expressivité, de la porosité de mon corps, la signification aidée par le costume, l’ambiance créée par la lumière et la couleur.

Gouffre, 2011, vidéo couleur, 2min05 ( haut, droite )

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Ruth a fait un rêve. Ou peut-être l’avait-elle seulement imaginé : j’étais l’esprit de la forêt. Les esprits de Baka sont blancs. Elle était allongée dans la forêt, elle s’était endormie et puis elle m’a vue. Je brillais presque, j’étais nue. On a acheté de l’argile blanche au marché. Après le long voyage vers la forêt primaire, on s’est rendu compte qu’il n’en restait presque plus rien. Les arbres était très espacés et tout indiquait qu’une exploitation avait eu lieu ici déjà au début du siècle dernier. On a vu deux arbres tomber. Leur jus giclait comme du sang de vaines ouvertes. Un rouge foncé. Des mouches partout, le son de la tronconeuse coupait tous les bruits de la nature. J’étais triste. Marion a aperçu une lisière, un peu cachée de la route bouese des exploitants. Ruth m’a enduite d’argile. Les bruits de la forêt accompagnaient des papillons blancs tout autour de nous. J’ai choisi une vue, je suis entrée dans la fôret. Pieds nus, je sentais les insectes. Je me suis convaincue de faire partir de cette nature, et j’ai demandé de devenir l’esprit de la forêt. La procession a commencé.

SPONTANEITY IS ONLY POSSIBLE WHEN THERE’S A RETURN TO THE LIVED BODY

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Paradoxalement, en préservant le sens d’une vitalité psychique et d’un Soi-véritable dans une société qui les menace, le tableau devient mystique, confirmant que ce sont devenus des états mystiques (numinous) dans la modernité. Ils existent dans une forme imaginaire, qui suggère leur possibilité sans qu’ils soient jamais tout à fait actuels, malgré leur manifestation magique ici et là ... The rebirth of painting in the late twentieth century, Donald Kuspit, p. 5 (ma traduction) idem, p. 3 (ma traduction)

Disparition, 2009, Cameroun/France, video couleur, 5min53 Esprit de la forêt, vidéo non-montée, 2009 (page suivante gauche)

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à la fois maître et enfant

Dessins à partir d’image mentale constituée comme modèle. Poupée, 2011, stylo noir sur papier Nez arraché, 2011, stylo noir sur papier

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L’objet qui satisferait et comblerait la pulsion n’est jamais donné, n’est jamais le bon pour ainsi dire (il lui faudrait, pour cela l’être absolu), étant toujours ailleurs, toujours hors de porté ; aussi la pulsion n’atteint-elle jamais son but - la pleine satisfaction - et reste-t-elle à jamais insatisfaite. C’est cette jouissance impossible qui relance sans cesse la pulsion au-delà d’elle-même en direction d’un objet utopique, comme si une promesse jamais accomplie en maintenait la tension ; elle fait sans cesse retour à sa source intarissable [...], réécrivant sans cesse autrement une histoire à jamais singulière. Par-delà le masculin et le féminin, Claude Levesque, 2002, p. 33-34

26 Balthus : Nu sur une chaise longue, 1950 (page de gauche haut) 27 Hans Bellmer : La Poupée, 1935 (ci-dessus)

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Kiss the boys and make them cry, 2011, vidéo couleur, boucle Percer le secret du sexe serait transgresser dangereusement ce tabou, mettre à nu ce qui à la fois fascine et horrifie au plus haut point, l’envers du monde, la “charnalité manifeste”, la précarité, la pourriture, aussi bien que la puissance intolérable de la mort elle-même en ce qu’elle a d’excessif et de démesuré, toutes choses que l’on ne peut voir en face sans s’aveugler et sombrer. Par-delà le masculin et le féminin, Claude Levesque, 2002, p. 78

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28 Otto Dix : Lustmord (Meurtre sexuel), 1922


Autoportrait, 2009, collage et peinture à l’huile sur magazine

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En tâtonnant vers une image érotisée, entre rêve et fantasme. Représentations liées aux sensations de mon propre corps, de son espace. Relations à l’Autre, avec l’Autre. Je suis autre aussi.

Alice au Pays des merveilles, étrangeté. Souvent inquiétante mais aussi jouissive et jubilatoire - le grotesque comique et heureux, qui rit et aime ce qui relève du dégât, de la déformation, de la saleté, des défauts, tout ce que contient chaque humain, qui surgit malgré le refoulement, et se manifeste d'une manière d'autant plus cruelle quand ce n'est pas conscient. Alice de l'autre côté du miroir : espace qui se déploie. Le double fantastique, le corps nu, la sexualité féminine. Les jeux de désir, jeux de pouvoir. Jeux d’enfants. Le désir dans le regard, la femme regardée, la femme qui se donne à regarder, sans se donner à voir. Les films de Stephen Dwoskin.

Sans doute la condamnation ascétique est grossière, elle est lâche, elle est cruelle, mais elle s’accorde au tremblement sans lequel nous nous éloignons de la vérité de la nuit. Il n’est pas de raison de donner à l’amour sexuel une éminence que seule a la vie toute entière, mais si nous ne portions la lumière au point même où la nuit tombe, comment nous saurions-nous, comme nous le sommes, fait de la projection de l’être dans l’horreur? s’il sombre dans le vide nauséeux qu’à tout prix il devait fuir...? préface de Madame Edwarda, Georges Bataille, 1941, p. 321

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Dessin d’après le film The sun and the moon (de Stephen Dwoskin), 2008, fusain sur papier

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29 Otto Dix : Sadisten gewidmet (pour les sadistes), 1922

Gouffre, 2011, vidéo couleur, 2min05, (page de gauche) My funny valentine, performance donnée à l’École supérieure d’art de Quimper, 25 mars 2011

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AUTOPORTRAITS

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163 Do you believe in sky blue, 2006, pastel et feutre sur papier


Autoportrait : recherche d’identité, construction de l’image de soi

Le miroir confirme à l’enfant qu’il a un autre contenant que celui du corps maternel, de ses bras et de sa chaleur. Ainsi cette première image, tout en l’assurant visuellement de la continuité de son être, l’assure aussi d’une enveloppe autonome indépendante de la peau maternelle. Et toute image psychique paraît continuer à témoigner de ces premiers enjeux, puisque c’est dans des images que l’être en proie à la douleur physique et psychique tente de trouver le repos [...] Mais cette fonction contenante de l’image est certainement en relation aussi avec les images que le “Je” se donne de son propre fonctionnement psychique comme contenant, pour autant que c’est dans le corps et dans ses fonctions qu’il trouve les images chargées de le représenter lui-même. [...] Il est probable que, pour le créateur d’images, l’assomption de sa forme dans le miroir soit toujours à refaire, et la séparation d’avec la mère primitive toujours à reprendre. Comme l’enfant dans ses premiers traits, le créateur se lance à la recherche d’un contenant distinct de lui où il trouve à la fois un miroir et un lieu où déposer certaines parties de lui-même. La psychanalyse de l’image : Des premiers traits au virtuel, Serge Tisseron, 1997, p. 168

En effet, je cherche ma forme tous les jours. Je me sens multiple, mon reflet m’échappe. Je ne me reconnais pas dans les reflets et pourtant j’y suis, une part de moi se reflète. Je ne puis me représenter ma propre forme. L’autoportrait est une recherche constante et un journal intime. Cahier autoportrait - double page suivante Je dessine des autoportraits dans un petit cahier noir. Je pose ainsi plusieurs fois par semaine, devant un miroir, et j’essaie de capter le visage, à chaque fois différent, dans mon dessin. Je l’accompagne souvent d’une phrase ou deux. Ce sont des petites réflexions du moment ou bien des descriptions de la manière employée pour fabriquer le dessin. C’est pour moi une forme de journal intime : chaque jour je me vois différemment selon mon vécu et j’en rends compte dans mon dessin. L’expression juste de mon état général, de mon ressenti m’est plus importante que le rendu réaliste de mes traits. Chaque jour je vois le reflet d’une personne différente et je me cherche constamment.

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Autoportrait en soldat, 2003, peinture acrylique sur papier (haut) Autoportrait, 2007, feutres de couleur sur papier

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pages du Cahier Miroir , 2003


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Plusieurs salles. Dans chaque salle plusieurs projecteurs projettent simultanément les différents portraits, en grand, sur des murs blancs. Un projecteur par portrait. Si l’espace le permet, un portrait par mur. Les salles seraient en connection, des passages faciles d’un espace à un autre, deux sorties/entrées possibles, pour une grande circulation. Un éclairage très bas, ou bien seulement par la projection des vidéos. Au bout du parcours, la salle avec un mur d’écrans de petite taille, un autoportrait par écran, tous défilent, il y a des écrans noirs selon les durées, des autoportraits qui durent plus longtemps que les autres.

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Autoportraits, 2007, série de vidéos, durée globale : 5h 4min 16s

Le miroir était déjà à moitié rempli quand j’ai commencé à me filmer.

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Autoportraits 2007, série de vidéos, durée globale : 5h 4min 16s Je me suis filmée pendant que je dessinais les autoportraits du cahier (double page précédante)Il y a 15 autoportraits filmés, qui durent le temps du dessin (de 4 min à 1h). Ils ne sont pas à regarder tels quels dans toute leur durée. Je veux les présenter en installation, pour jouer sur leur durée, leur existence temporelle très concrète. D’abord je voulais m’enregistrer pendant que je me dessine, pour voir le regard que je me porte quand je fais un autoportrait. L’autre thème qui m’intéressait était le travail presque quotidien, la continuité qui s’établit, un rituel ancré dans le temps qui s’écoule. Je me suis vaguement inspirée de la forme du journal filmé, mais je voulais faire une variation plus hermétique, à la fois intime et éloignée, sans parole et sans dessin. Ce projet était pour moi depuis le début une recherche. J’ai vu se constituer un espace méditatif à l’intérieur de chaque vidéo, et j’étais surprise par la longueur des séances de l’autoportrait, que je n’avais pas remarquée auparavant. Cependant je tenais à garder les enregistrements tels quels, sans les écourter, pour pouvoir constituer un vrai espace dans le temps. Je voudrais faire une installation ou toutes les vidéos sont montrées en même temps et le spectateur/visiteur se trouve entouré de l’activité de ces Moi différents, de cette recherche constante et vivante de l’image de soi dans le dessin. J’ai posé la caméra soit face à moi même, soit face au miroir. Les cadres sont fixes. La lumière et la netteté changent selon les jours. Avant de commencer je ne pensais pas que cette auto-filmage aurait une influence sur mon rituel d’autoportraits, mais les enjeux ont changés dès que j’ai posée la caméra. J’avais le projet de réduire au maximum sa présence et son importance, mais il fallait déterminer un cadre avant de dessiner, pour être sûre d’y figurer, et je me suis alors regardé dans le rétroviseur. Je ne pouvais plus ignorer l’image que j’enregistrais de moi même.

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Silence, vidéo couleur - diaporama, 1min34, Slovénie, 2003

C’est une série d’autoportraits. Des reflets étranges dans une vitre, enregistrés tels que je les ai observés un soir, assise devant ma fenêtre. Pendant quelque temps j’ai pu m’échapper dans l’espace entre la vitre et la lumière, m’évaporer en fantôme de multiples reflets.

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Dans son étude du miroir, [...] elle s’interroge sur la schizophrénie de l’individu face à ses images, et la ramène au constat cartésien de la séparation du corps et de l’âme, et à l’impossibilité pour l’âme de se reconnaître dans l’image du corps : “ Mais si finalement [...] le cartésien accédait là à la vérité de sa condition, à savoir qu’il n’est pas une image, que n’étant pas une image il ne saurait qu’avoir une image ? Si effectivement son image lui échappait par le truchement du miroir, du miroir de la peinture aussi bien, cette image délivrée de la ressemblance, de l’identité du modèle, de son unité, puisse lui offrir, en contrepartie de ce que sa condition a de désespérant, le charme d’une apparence désormais infiniment diverse, le plaisir de métamorphoses illimitées ? Les porteurs d’ombre : mimésis et modernité, Catherine Perret, 2001, p. 57

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Silence, 2003, vidĂŠo couleur - diaporama, 1min34, SlovĂŠnie


Autoportrait mĂŠlodrame, 2008, crayons de couleur sur papier

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Présence (autoportrait), 2010, photographie numérique Je continue ma pratique d’autoportrait sous forme de photographies, à la fois des instants de fiction, et d’autobiographie. Leur cadrage et leur mise en scène rappellent souvent l’image cinématographique.

Autoportrait, 2009, photographie numérique

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Machine orange (autoportrait), 2010, photographie numérique


Autoportrait dans autoportrait, 2010, photographie numérique

La multiplicité offre en effet un souci constant de représentation et fait du sujet un être à métamorphoses Art vidéo et mise en scène de soi, Mathilde Roman, 2008, p. 76

Le cinéma offre cette multiplicité de visages puisque, par l’identification avec les personnages de l’écran et avec le vécu de l’histoire, on acquière à chaque film une identité supplémentaire ou au moins, un prolongement de notre identité. Ce qui n’a pas que des effets bénéfiques. Ça n’aide pas le sujet à se construire, parce que quand je suis tant de personnes, qui suis-je réellement ? On peut devenir prisonnier de l’autre monde, celui des images en mouvement, notre vécu supplémentaire peut prendre le relais sur notre propre vie.

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Cinéma, 2010, photographie numérique

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BUREAU DES PROJETS IdĂŠes de projets, Textes entre prose et pratique, FacesVoices, Collages/Patchwork

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Idées de projets/notes d’intentions et procédés (souvent abandonnés) :

Il serait intéressant de combiner le live avec la projection vidéo et des écrans diffusant de la vidéo. Faire interagir les deux, mais d’une manière analogue (comme par ex. dans Pierre Loup et les jeux vidéo, de Pierrick Sorin). Je ne voudrais pas utiliser des techniques interactives numériques. Par ex. Danse d’après la projection vidéo, les danseurs répondent à ce qu’ils voient en vidéo avec leur propre mouvement. Ou bal avec des écrans tv. Mettre en scène notre dépendance vis-à-vis des écrans tv et autres images, le rôle des modèles fictionnels, leur influence sur notre comportement, notre corps et ses mouvements. Références : Mako Idemitsu, Pierrick Sorin, Valie Export (face à une famille de téléspectateurs) ******** Le monumental (pour les deux projets - Armella et Portraits de travestis), la grandeur réelle qui donne de la puissance à l'image, qui lui donne une autre lecture. Laquelle et pourquoi? Si je le savais, je n'aurai pas envie de le faire. J'ai envie de le découvrir moi-même, de faire confiance à mon intuition. ******** Ce ne sera peut-être pas un film, peut-être même pas une vraie vidéo - le résultat à présenter pour le moment en tout cas: une série de photos de tournage et le son qu'on aura pris. Une sorte de making-off, mais plus vers l'idée d'un film qui est perdu, ou qui n'a pas vraiment existé, dont je montre le souvenir. Reconstitution d'un film qui n'a pas été. ******** Présentation/forme : une ou plusieurs vidéos d'un point de vue fixe ? Une certaine fixité, mais les étoffes qui sont en mouvement, grâce au vent. Vidéo projetée sur le mur. La taille de la projection reproduit l'impression majestueuse des éléments naturels bretons et des costumes somptueux, colorées, exubérants des travestis.

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Reconstruction d’un film que je n’ai jamais tourné, d’après le scénario original. Prendre des photos, argentiques et numériques, du tournage simulé - les protagonistes en costumes dans les positions et les endroits selon le scénario. Les enregistrer, prendre leurs dialogues improvisés. Peut être les transcrire et les faire relire aux acteurs, les rejouer. La musique est un élément important qui donne le ton et l’ambiance du film : utiliser la même que je voulais pour le film, Peppino Di Capri. On va se soucier des droits plus tard. La faire transférer de la cassette vers un fichier numérique. La faire écouter aux actrices au moment ou elles jouent leurs scènes. S'il y a des anomalies, elles sont bienvenues. C'est une reconstruction libre, une expérimentation avec le matériel cinématographique, son processus de fabrication. Parfois d'autres images peuvent se mettre sur le son que celles qui logiquement serviraient à le reconstruire. Retrouver les photos qui me font penser aux film que je n'ai jamais produit. Peut être ne pas utiliser des photos de “tournage” simulé, mais faire jouer tout le film aux actrices dans le même endroit, sans les décors, et utiliser les photos des lieux où se passerai le film mais sans les protagonistes, comme les photos de repérage, et des photos de mes amis et moi, qui m'y ont fait penser (surtout celle de Neža dans sa salle de bain, avec l'ancien carrelage). ******** Un voyage de cinq minutes à l’intérieur de ma tête. Je me promène dans mon appartement, je déplace et range des objets dans mon espace de vie, j’effectue des tâches habituelles, ou bien j’observe autour de moi. Le flux de mes pensées est audible en voix off. Des photographies, dessins, bouts de vidéo se superposent visuellement aux images de mon environnement immédiat. C’est une tentative de représentation de mes images mentales. Comment recréer ce qu’il est impossible de recréer et montrer ce qu’il est impossible de montrer ?

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30 United States of Tara, Saison 3 ĂŠpisode 3, 2011

NeĹža dans la salle de bain, 2002, photographie argentique

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Je me filme pendant que je regarder une série. Je raconte en quoi elle me parle, je raconte mes rêves, quand elle influe dessus, ou mes pensées dans la journée, quand elles tournent autour. J'en fais une installation, circulaire, avec du son qui circule et tourne en rond. Enfermement dans le monde imaginaire qui n'est même pas le mien, le monde imaginaire type, préfabriqué, qui (m')avale. Il m’obsède, s’introduit dans mes rêves, je deviens malgré moi un personnage de la série, je perds contact avec ma vie, ma personne. Je suis quelqu’un d’autre et, surtout j’habite ailleurs, dans le monde de la série qui m’a avalé. Je ne désire plus vivre ma vie, je voudrais consommer la vie artificielle de la série, observer les personnages comme les ombres projetées sur ma caverne, ne plus sortir, ne plus exister.

31 Samantha Who, Saison 2 épisode 1, 2008

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ENTRE-PROSES et projets

Ce pauvre petit personnage ne peut pas chanter. Mais il peut essayer de mimer le chant. Moi je chante sur l’enregistrement, mais je suis quelqu’un d’autre, je suis une chanteuse mystérieuse. (Elle représente un autre aspect de ma personne). Je la traduis. Je la rencontre dans un bar enfumé. Je la traque dans les coulisses d’un cabaret bordélique. Je lui paye des verres et lui allume des cigarettes. J’aime son rire velouté, gris de fumée. Elle a des yeux dangereux et des miroirs partout. Elle s’étire en chat. Elle a des remarques poignantes, obscènes et très drôles. Il pleut dehors.

Ce pauvre petit personnage n'a pas de langage élaboré, il peut produire des sons, il peut séduire en se déguisant en femme, mais ce n'est pas une femme. C'est une sorte d'esprit enfantin et primaire. Il est petit et se roule souvent en boule. Il a vite peur et il est souvent seul. On aurait envie de le caresser comme un chiot pour le réconforter mais on a aussi peur qu’il puisse nous mordre ou faire autre chose. Il semble difficile à prévoir. On peut essayer de l’apprivoiser mais aussi le regarder de loin. L’admirer dans sa grâce malhabile, dans sa fragilité. On peut en rire mais on a aussi un peu envie de pleurer. Je pourrais mimer mon chant quand je suis au fond, collée au mur et que je me frotte les fesses. Je pourrais imiter des gestes de drag queens.

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Un texte plein de répétitions et musique hollywoodienne Extraits de films Répétition jusqu’à épuisement. Jusqu’à ce que la voix devienne toute petite. C’est un soliloque de désir narcissique Images des femmes des années 1950. Le contraste entre leur étiquette et la sexualité féminine, son interdiction en particulier du lesbianisme Alice aussi, elle. La musique. Musique des scènes romantiques également, mais aussi quelque musique inquiétante. Les différences des sens. Comme si c’était Judy qui racontait.

Des plans courts et longs, rythme. Alternance de son et de silence. Un mot ici et là, peut-être, non-synchrone. Une longue scène. Rosa assise sur le lit. Après ce sont les vues de la chambre à coucher, lampes, photos, espace vide, fenêtre. Tout ne doit pas être linéaire. Ça doit se passer en cercle. Au début elle essaye de se distraire en s’occupant de son apparence. Elle y cherche confirmation et soulagement. Mais ceci n’apporte pas de répit, la solitude et la tristesse la rattrapent. L’espace est vide, seulement des formes sans présence. Il n y a plus personne ici. Après, on pourrait introduire l’autre visage.

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FacesVoices (Visages et voix), 2008, vidĂŠo couleur, 7min45


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Visages et voix (Facesvoices) (Ce que disent les visages sculptés)

Il y a la mer et la côte et sur la côte, l'herbe verte. L'ondulation irisée, blanche grise et bleue. Pépiement, éclosion, gazouillis. Une abeille grande et lourde. Diverses créatures et ton espèce. Les nuages naissent, lourds et gros, et roulent sur la route. Poussière et chaleur. Peur. Mouches de tailles diverses volent autour du bétail. Elles changent en diaprure de couleurs vives. Les faisans et leurs femmes se promènent en laissant le nid derrière eux. Des jambes longues et d’autres membres et des articulations en mouvement, os blancs, cornées et dents blanches et jaunes. Haleine chaude et rouge. Les muscles sont si fatigués. Il s’allonge sur l’herbe, à l’ombre, sous un chêne géant. Les glands de chêne sont dispersées sur le sol et éclosent. La branche verdit et l’oiseau se pose dessus. Il est assis là, rond et brun. Il est petit et emplumé, l’arbre est grand et pousse toujours, déployant sans cesse ses racines, il serpente entre les vers et les taupes. La taupe aveugle creuse et sent. Sa fourrure est noire, de terre brunie. Des mottes de terre sèche sous le soleil. Une goutte de pluie solitaire plane dans l’air épais, jauni par le soleil. Le soleil est complètement blanc et immobile. Les pâturages sont des carrées horizontaux et fourmillants. Les nuages voyagent en cercles, se transformant lentement. Les formes sont innombrables, jamais définitives ou définies. L’eau coule, froide. Elle produit des sons et caresse des branches. Les pierres regardent à travers elle vers le haut. Dans la boue elles remuent et se percutent. Elles sont rondes, blanches, grises et bleues. Une libellule verte et dorée s’arrête dans l’air saturé. L’odeur des bois est brune. A l’intérieur, des insectes, grands et petits, construisent une tour d’os. Un ange vole silencieusement et ne s’arrête pas dans les cimes des arbres. Un grand feu au dessus duquel les lucioles rebondissent l’une contre l’autre. La pluie est fluide et violette, quand elle tombe dans un spectre différent. Là-bas il y a une charrette qui roule et dessus il y a trois hommes. Ils rient et leurs bouches sont rouges. La charrette roule seule, le bétail se repose. La colline est bâtie avec des pierres. Les oiseaux sont venus de loin, ils ont changé plusieurs fois de vêtements. Le soleil brillait, descendait et se noyait dans le sang. La pluie était tombée et les vents ont voyagé seuls et se disputaient.

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Les yeux étaient en train de s’ouvrir. Elle ne savait plus ce qui a été écrit au début. Le rire était la réponse. L’aboiement avait chassé le hérisson. La lune berçait des brumes et se dissolvait dans le bleu. Le noir avait avalé les formes. Elles pouvait être ressenties sous le toucher, les doigts les ont sentis. Les feuillages tremblaient avant le jugement. Le vent s’est mis en colère. Les courants d’air bougeaient, le mouvement était constant. Le chaos avait transformé les formes. Le ciel changeait ses couleurs. L’orage avait secoué et trompé la pierre construite. Le soleil se noyait dans le vert. Des pissenlits brillaient et montraient le chemin, sans cesse grandissants. Le verbe était écrit et retentissait. Le sang circulait dans les plantes et les animaux. Le vert et le rouge s’opposaient et s’attaquaient. Le vert avait recouvert le ciel et il a commencé à pleuvoir. Les sphères se sont connectées et la petite boîte s’ouvrait et se refermait, sombre, magnétiquement fermée. La clé reposait sous le rocher, sous l’eau. Des animaux avec des têtes humaines s’y promenaient et buvaient à la rivière. Les poissons étaient immobiles, scintillants sous les rayons du soleil, blancs et nus. Les branches poussaient et couvraient les nids. Le mouvement était incessant et multiple. Je les ai vus mourir, blancs et rouges. J'ai entendu leurs cris se dissiper. Leurs corps baignaient dans la lumière, leurs pleurs formaient des croix dans la plaine. Le sang avait recouvert les montagnes. Le trou s'est ouvert dans le ventre et les a avalés par centaines. Leurs âmes flottaient dans les champs et s'éloignaient. Un loup blanc avait rempli la lumière de coeurs.

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FacesVoices (Visages et voix), 2008, vidĂŠo couleur, 7min45

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Têtes et visages sculptés sur une église. Chien, homme, crâne et petit animal. Je voudrais les entendre parler sans voix. Les têtes de mort émettent des sons grésillants, sifflements, et d’autres sons semblables. Dans une autre ville, grands visages d’ogres sur une maison, très haut, sous le toit. Grognements, râlements, cris. Un visage de femme doublé d’une voix plaintive, gémissante. Rire fou. Chaque tête a une seule voix, mais les visages n’articulent pas. La caméra tremble dans le vent, secouée par le passé. Cette partie est sans son. Un homme habillé simplement, en noir ou en blanc. Il tape le sol avec ses pieds nus, il hurle en secouant la tête. Il tape le sol avec ses mains. Gros plan des pieds qui tapent, des mains qui tapent et de la tête qu’il secoue, du visage pendant qu’il hurle. Les gestes ensuite en ralenti, accentuent le son que l’on n’entend pas, mais qu’on imagine en voyant les pieds et les mains taper le sol, la bouche qui hurle. Des flashes : un chien noir rugit et aboie. Son et image, il mord. Son mouvement dynamique et sa gueule qui s’ouvre quand il aboie.

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Vue de mon exposition MoĹžne zgodbe/Histoires possibles, 1-14 octobre 2010, Galerie TukadMunga Ă Ljubljana, diapositive couleur

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Collages/Patchwork

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Connections joueuses. Entre photographie et cinéma, art vidéo et références aux classiques cinématographiques. Entre humour et recherche expérimentale de l’espace et des processus. Entre abstraction et kitsch, personnel/intime et culture populaire/de masse. Connections qui créent des histoires possibles. Pour le visiteur, possibilité d’imaginer des histoires et de se laisser prendre par les ambiances. Des centaines d’histoires jamais écrites, dormantes, des films imaginaires, d’obsessions amoureuses sans réponse, de fiction quotidienne. Ceci n’est qu’un début. Elles vont se déployer dans le temps. L’ambiance sonore comme un voyage dans le temps.

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Collages. Une époque de cinéma passée. Le président et madame Pompidou, 55 Fg St Honoré. Film de Hitchcock. Images évoquant des scènes. Meurtre. Toujours à fabuler, inventer des histoires, mais surtout des ambiances.

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Histoires possibles, installation/accrochage, 2010, coupures de magazines et craie sur le mur


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Histoires possibles, installation/accrochage, 2010, coupures de magazines et craie sur le mur (double page suivante également)

La femme sans visage. Des messages publicitaires étranges, qui n’ont pas de sens. Monde insensé, rêve cinématographique, absurdité. La beauté des magazines est vide, la beauté des femmes que l’on vend est vide. Exploitée, l’image de la femme, son pouvoir érotique. Mais moi aussi parfois je l’exploite en même temps que je le démontre, quand je veux créer des sensations fortes, provoquer les sensations chez le spectateur, jouer de mon pouvoir érotique. La sexualité qui anime tout, the sex makes the world go around. Les images détournées vers un nouveau sens secret. Théorie du complot.

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La façon dont je place mes dessins [...] j’essaie de les disposer en fonction des relations qu’ils peuvent avoir entre eux. Chacun d’entre eux est un son. Chaque tonalité a une intensité, une couleur, une attitude, une extension, une clarté, un poids particuliers. Les pauses et les espaces intermédiaires ont exactement la même importance. Chaque dessin dégage un espace qui lui est propre autour de lui - un champ de forces. Un dessin doit trouver sa bonne distance entre deux autres. Ce sont des amis, des relations, des associés, des vendeurs assommants, des couples d’amoureux, des jumeaux, des paresseux, des solitaires. Chaque dessin constitue un point de repère dans un réseau de relations. Silvia Bächli dans Le mouvement des images : exposition, Paris, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, 9 avril 2006 - 29 janvier 2007, p. 64

Moi aussi je tente à chaque accrochage de trouver un équilibre, de respecter des relations que les images et les mots peuvent produire entre eux ou bien de les constituer avec le bon degré de clarté. Mon travail est bien plus bordélique il me semble, car la description de Silvia Bächli me donne une impression d’ordre et de simplicité, alors que moi je travaille avec le désordre, l’ambiguïté et la profusion. Peut-être déjà car elle n’a qu’un seul type de matériel pour son accrochage alors que les miens sont multiples : dessins, photos, peintures, images découpés de magazines, cartes postales, mots ...

Histoires possibles, installation/accrochage, 2010 (dans le cadre de l’exposition des 5ème années de l’École supérieure d’art de Quimper «Une autre situation», novembre 2010, coupures de magazines et crayon sur le mur

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Le mur de mon atelier, essai d’accrochage avec mots, photographie numÊrique, 2011


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Sur le mur, une histoire est tracée à travers l’exposé des pages. Un mouvement, divers sens d’interprétation, un parcours à effectuer à travers les pages, en déplacement dans l’espace, haque fois différent. Accompagnement sonore : collage. Lectures dispersées de parties de journaux utilisés, mais toujours avec une intention, centrée sur le sens de la parole et non pas la parole en tant que matériau brut. C’est ici qu’intervient la traduction dans la langue du pays où la pièce est exposée. Mais aussi possiblement des morceaux de musique et de sons. Parce que c’est une bande sonore d’une histoire, là aussi. Un film, un livre, quelque chose est raconté, un monde apparaît par bribes.

Livre : succession de pages, scannées, alors je peux utiliser les deux faces imprimées dans le magazine. Parcours possibles? Peut être un plan, des numéros de pages, différents parcours possibles de nouveau, mais programmés par l’artiste : parcours 1,2,3 ...

Sinon, quelle alternative ? Projection des sous-titres en bas des murs? Est ce que c’est possible dans la lumière? Pulsation de la lumière?

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Collages : histoire racontée : comment confronter les images à mon histoire. intervenir sur les images? Avec le son ou le texte écrit? Texte autofictionnel

Histoires possibles, installation/accrochage, (dans le cadre de l’exposition Une autre situation, novembre 2010, coupures de magazines et crayon sur le mur

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MA CHAMBRE

autobiographies / autofictions, collages de journaux intimes, rĂŞves

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Je suis sortie de mes rêves brusquement. Cette nuit, je me suis réveillée plusieurs fois. Un des voisins avait mis la télé très fort. J’ai regardé sur mon portable. Trois heures du matin et quelques. Il faisait chaud dans l’appartement. J’ai changé de couverture. J’avais mis du chauffage plus tôt, pour faire sécher le linge. La Bretagne est si humide … Mon réveil a sonné à 8h. Je n’étais pas fatiguée, je ne me rappelais pas mes rêves, mais je les sentais encore. Dehors, il pleuvait très fort. Pendant un instant, j’ai espéré qu’il ne pleuvrait plus quand je partirais à l’école. Dans la salle de bain, je ne me suis pas lavé les dents. Il fallait mettre le riz à cuire. J’ai gratté le fond de la casserole, pendant dix minutes. J’étais contente de profiter de ce moment pour laver la vaisselle. Je me suis fait de la tisane à la camomille. Je faisais des allers-retours entre la pièce et la salle de bain. J’ai réfléchi pendant quelques minutes à la couleur de mon collant. Blanc ou jaune? Je n’arrêtais pas de me reposer la question : ai-je bien fait de donner mon préavis au propriétaire. Comme un pincement au coeur. Me suis-je trompée? Est ce que cet endroit ne va pas me manquer? Si je l’avais vraiment aménagé? Ça pourrait être un appartement très sympathique. Il est spacieux. Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose. Tout d’un coup, j’ai eu peur à l’idée d’un petit appartement confiné, où mes affaires seront entassées les unes sur les autres. Un petit trou. Ce qui est fait est fait. 210


Je suis sortie. Je marchais vite. Mon doigt s’est remis à saigner, mais j’ai oublié les pansements. Le propriétaire à appelé. Il ferait visiter mon appartement à 10h30. J’ai oublié de lui dire que mon lit était défait, que ça sentait le riz cramé, et que mes vêtements séchaient partout. Je lui ai seulement dit que le robinet s’est défait et que je partais en voyage.

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My friends are coming soon. right now the romantic playlist is playing and there is my favorite song. Ok, it’s already over, but now Banderas started with his »Maria of my soul«. And guess what, i sent my first diary day in english to you, becouse you came into my mind a lot lately and i hope you wont find it too queer that i’m sending you this Makes me feel so nice and in the mood for love. we would dance. Lie on the bed, hold eachother, kiss, smoke cigarettes and drink hot tea. He’s really sweet to help me so much with my maths but it’s a fact i work better alone … i can’t party like this anymore There we have fun. Nobody’s just sitting around. Wow, what an adventure is waiting for me! Very romantic. Then she’ll come here and we’ll smoke a cigarette together, sitting on the window shelf. I used to let myself daydream about love, but now i don’t dare anymore.

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Boy next door / Doublage, 2010, vidĂŠo couleur, 3min 21

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Le soleil est en train de se coucher, ça me met mal à l’aise. Je me mets si bien dans la peau des personnages principaux que je me sens morte à la fin si le personnage meurt. A strange taste, not crunchy at all, like some strange flavoured rocks – juck. J’aurais vraiment aimé tomber amoureuse comme ça et vivre avec un homme comme ils vivaient ensemble. It’s late evening. I feel strange and lonely. I am even more shy and silent with my friends.

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Boy next door / Doublage, 2010, vidĂŠo couleur, 3min 21 (32 Vincente Minelli, Meet me in Saint Louis, 1944)

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216 Music box, 2011, vidĂŠo couleur, 23min40


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« I was Alice in a confused sexual orientation land. » Carrie Bradshaw dans Sex and the City

On s’est couchées. Le lit n’est pas très grand, avec une couverture minuscule. Des parties de nos corps se touchent inévitablement. Dans ma tête, un tourbillon. Elle a laissé tourner la musique. Je l’écoute respirer. Down down down we go. Les endroits où nos deux peaux se touchent sont des petits foyers de chaleur, cheminées minuscules. Je tourne de plus en plus vite, je tombe vers le milieu de la terre, le lit n’était qu’une porte dissimulé vers le trou sans fond, le terrier du lapin blanc. Je n’arrête pas : Et si … et si. Et si. Que se passerait-il. Je redeviens Alice. Je me demande si elle s’est endormie. Son corps fait des mouvements brusques que l’on fait quand on tombe vers le sommeil. Elle tombe aussi alors, mais est-ce que c’est le même terrier? Chaque cellule en attente, j’essaye de sentir par la peau, la peau a des pouvoirs surnaturels, elle est voyante, dans le noir. Elle se tourne, alors je bouge aussi. Ma main se retrouve contre ses fesses. Il faut dire qu’il y avait une sorte de magnétisme. Je ne l’enlève pas. Ca pourrait être tout à fait accidentel. Va-t-elle réagir ? Elle n’est peut être plus consciente. Mais dans son sommeil, que me dira son corps ? Si elle s’éloigne maintenant, alors je ne l’attire pas. Si elle reste … Je n’ose pas bouger d’un millimètre. Mon corps est envahi par une sensation étrange, un souvenir sensible. Je suis toute dans une lumière rouge, à l’intérieur, c’est étroit, j’ai très chaud. Je brille sûrement dans la nuit, mais je ne vais pas ouvrir les yeux pour vérifier.

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Si je l’embrassais maintenant ? Ses lèvres contre les miennes, son corps qui tend vers le mien, et qui s’enroule, avec ses bras si longs et ses jambes interminables, autour de moi. Quelle nuit interminable aussi. Elle n’arrêtait pas de venir dans mes rêves. Fatiguée, j’ai attendu le dernier moment pour partir. Je me suis lavé les dents, puis j’ai enfilé mon manteau par dessus le pyjama. Je lui ai écrit un petit mot pour la remercier, que j’ai posé à coté de la cafetière. J’ai pris mon sac et je l’ai regardée pour la dernière fois. Elle a ouvert les yeux et m’a souri.

Down down down we go

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images

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Histoire lesbienne (titre provisoire), projet en cours, coupures de magazines et texte

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Je pars. Une joie se répand dans mon corps avec le mouvement du train. Je regarde le paysage défiler. Le soleil se couche, la cime des arbres baigne dans une lumière rose et orange. Un souvenir lointain de bonheur, plus sensation que pensée. L’endroit où je me sens bien. Un ruisseau rempli à ras-bord se faufile entre les arbres. La dentelle des branches noires et marron sur le tissu mouillé des pâturages. Ce sentiment que j’ai pendant le voyage, cette tendresse et cet émerveillement pour les paysages bretons, comment le garder quand je suis sur la “terre ferme” (quand je voyage, je survole, je flotte)? Et d’ailleurs, n’importe où, comment retrouver en moi ce lieu, où je me sens chez moi? J’ai connu ce sentiment que je viens d’avoir. C’est le contraire de ce que je ressens tous les jours depuis que j’habite ici. C’est le contraire du cri intérieur qui revient ponctuellement comme une alarme de catastrophe. Un paysage calme au soir. Évasion. Il ne s’agit pas seulement du but, mais aussi de l’acte de voyager. J’aime me déplacer. Surtout quand c’est confortable, comme aujourd’hui. Je voyage en première classe. Le billet était seulement deux euros plus cher. Les fauteuils sont très confortables et il y a peu de gens. J’ai du raisin dans mon sac, et une comédie musicale sur l’ordinateur. Et Têtu. Mais ce n’est pas seulement le voyage qui m’enchante, mais aussi la personne qui m’attend au bout. J’aperçois des bouts de paysage à travers la fenêtre d’en face. Ciel jauni. L’impression que je suis dans un lieu indéfini. L’état entre les choses. C’est ce qui fait mes rêves. Ce voyage perpétuel, mais avec le sentiment de chez soi. D’être chez soi dans le vol. Peut être j’ai une âme d’oiseau. Cela fait du bien de partir vraiment. Pas dans une petite boîte qui donne une illusion de profondeur, mais n’est au fond que supercherie. Cet espace extensible de la série télévisée.

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Le Saint Terminus disent deux enseignes de bars face à la gare où nous sommes arrêtés. Les maisons deviennent noires et le ciel ... Couleur carte postale de panorama de New York. Bleu orange presque violet. Une couleur que je n’arrive pas à nommer. J’ai toujours eu ces moments de grâce pendant mes voyages. Mais aussi beaucoup de moments tendus. Je suis très tendue quand je voyage seule. J’ai peur de rater le train, le bus, l’avion, et pourtant je suis souvent en retard. J’ai peur de ne pas trouver l’adresse, de me perdre, de me faire agresser. J’ai peur de rester sans toit la nuit, de me retrouver dans les rues par un enchaînement de ratures. Mais les moments de suspension agréable sont peut être les plus précieux de ma vie. Je suis complètement seule et moi-même. Les images chères me reviennent en association : des lieux inconnus, insignifiants, et des endroits de passage, comme des gares ou des toilettes publiques, des rues de banlieue, des parkings. Et les lumières. Les néons, très souvent, salis par la poussière et la crasse des transports, par des pigeons aussi parfois. Les gares sont des endroits délicieusement sales. Des couches de saleté grise et noire sur les parois, sur les colonnes, sur les barres en métal. Les lampes devant le ciel qui se réveille à cinq heures du matin, un changement à Lyon. Le froid de la nuit, réticent à partir. L’aube. C’est ce que j’aime tant dans les films de Claire Denis. Ce sentiment de voyage et de passage, ces vides émus. J’ai l’impression qu’elle aime ces moments d’un même amour heureux et mélancolique. Instants d’éternité, dit l’affiche publicitaire à la gare d’Auray. 19h43. Belle lumière orange de réverbères sur le quai. Le ciel est bleu profond. Et j’ai une voisine. Je vais manger du raisin.

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Un vieux rêve de cuillère

On était assis dehors, devant la roulotte, garée à coté d’une grande route. De chaque coté de la route étaient alignées des maisons. Mon père était probablement en train de travailler un peu plus loin, dans des rochers. Et puis arrive Dean, il se dirige vers nous. Ma mère commence à crier et à s’agiter. D’après elle, il devrait avoir des remords et regretter ce qu’il m’a fait. Dean avait un comportement étrange : il était très calme. Ma mère voulait absolument punir Dean pour ce qu’on a eu ensemble (pour la fin de notre histoire). Elle était devenue vraiment assommante. Je ne me rappelle plus de tout ce qu’ils ont fait, seulement que Dean devaient se déshabiller, ou que ma mère l’a déshabillé de force et qu’ensuite elle l’a battu avec une grande cuillère. J’ai continué à crier sur elle, lui disant de « laisser Dean, parce que tout cela était absurde ». Elle ne m’a pas écouté. J’ai quitté l’endroit en courant. Mon père aussi était en train de venir, ou bien il était déjà arrivé, parce que c’était la grande panique, car Dean est revenu me voir. Je suis partie loin des autres, vers les maisons (elles étaient toutes vides, désertes, mais équipées normalement, tout y était). La-bas je me suis défoulée sur des cageots en plastique, je les ai battu avec une cuillère. Ainsi, je me suis libérée de toutes mes émotions négatives envers Dean et les autres.

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Bunny Mistress, 2007, crayon couleur sur papier


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GaĂŤl(le), 2010, stylo noir sur papier

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… i wanted to proove to myself, that i’m finaly free again and forget about it all. i didn’t think it would be wrong. I mean, we weren’t together any more. I couldn’t stand it to last any longer ... so for me it wasn’t something i did against him. It was against what i did to myself.. It was totaly seperate from our story, it was my life, we were not together anymore, so what the heck … I would never want to go back there in fact. I guess things turn out the way they are meant to So don’t be sad. It ain’t worth it.

I would love to see the beach with you. What temperatures do you have actually? Here there is something strange going on.

Thanks to my mother i’ve met a very nice spanish clown

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We drank bourbon together, listened to jazz and i danced a bit, also with Pancho, the argentinian macho, who was deligted by my dancing. didn’t think it could do anything bad. I didn’t even notice i was naked, i didn’t care, i took another cold shower for my head while they were brushing their teeth. I should thank god. I’m happy again!!!!!!!!!!!!!!!

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Agnes tête de mouton, 2009, collage et peinture à l’huile sur magazine

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Le grotesque et la beauté ne font qu’un. i remembered today that i read somewhere that one should develop the qualities one wishes from his partener watch romantic films and eat chocolate; masturbate all the time; think about all my ex boyfriends and how they were; calling all my male friends to go out for a drink; driving around town and sitting in cafes to meet the man of my life, Oh, i love the song that’s just playing now In the wintertime, in france. My little room that i don’t know yet. a stranger from the street, love at first site or at least a good lay … everytime it seems so drastic, but goes on for a day, two or three and then i just stop and start with my normal life again. i’ll try to live like the woman of my future man, husband, boyfriend, whatever in times like this when i can’t find my peace and discipline that i love so much, and when my actions and behaviour aren’t in harmony with my true will i just hardly see the way i have my maths on the table, ready to be learned then another three days will pass and finnaly, my dearest girl from france will be here

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53 Danse contemporaine : mode d’emploi, Philippe Noisette, 2010


Courrier du coeur, 2009, collage et peinture à l’huile sur magazine

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Rêve d'une ville sous l'eau et poissons-taxis

D'abord j'étais un petit garçon. Avec un autre garçon on a nagé vers une île, qui était très loin de la côte. J'avais une sorte de super pouvoir, car je pouvais nager très fort déjà à trois ou quatre ans d'âge .... Des grosses vagues s'approchaient, on avait encore un bon bout de chemin devant nous et je commençais à sentir une grosse fatigue. Après, je me souviens que j'étais sous l'eau, avec encore quelqu'un. Puis je me rappelle d'un cours de danse, dans un immeuble immense. On était mardi et il était temps d’étudier les techniques modernes. J'ai réussi à obtenir des certificats spéciaux de la part de la gardienne / réceptionniste, pour avoir des cours gratuits. Après je lévitais un peu autour, j'ai mis toutes mes affaires partout dans la classe, en désordre. La professeur est venue, elle ne se ressemblait pas, tout était assez transparent ... Bon, alors sous l'eau. On était très pressé. Quelqu'un nous poursuivait. On était dans les espaces étranges d'un immeuble, avec plein de lumières néon. Un homme nous poursuivait. Je crois qu'il avait encore toute sa famille derrière. On courrait très vite d'un espace à l'autre, jusqu'à arriver dans un lieu, comme un parking, avec des poissons énormes, qui servaient de transport. Ils prenaient des gens dans leurs bouches et nageaient jusqu'à la destination souhaitée. On était presque trop nombreux pour un poisson, mais on était vraiment dans une situation d'urgence. J'ai demandé à plusieurs poissons, s’ils voulaient bien nous prendre, mais ils avaient la flemme. En courant de l'un à l'autre, on est finalement arrivé vers un poisson très âgé, c'était une femme, déjà grise et pleine de rides, mais elle voulait bien nous prendre. Très vite on s'est entassé dans son intérieur, on s'est vraiment serrés car elle pouvait à peine fermer sa bouche. C'était une vraie aventurière, on était presque trop lourds, mais elle connaissait vraiment bien son travail, mieux que les autres poissons. Elle n'avait pourtant pas volé depuis un bon moment. On est d'abord parti vers la ville, puis vite à travers. On montait très haut et descendait rapidement, c'était vraiment un service express, et le poison prenait du plaisir à sa vitesse et à son agilité. J'avais peur, je crois que je gémissais. Bizarrement, je voyais tout alors que j'étais dans son ventre. Ça se balançait fort, car on était lourds, et elle a essayé de me calmer en m'affirmant qu'elle connaissait bien son travail.

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Quels paysages! Bleu foncé, brouillard turquoise, lumières de la ville de toutes les couleurs, des gratte-ciel, des jardins, du béton ... Elle nous a déposés sains et saufs et on l'a remercié chaleureusement, puis on a continués à pied. Parfois c'était Urška, Klemen et moi, puis autrefois Darja et encore une personne, ma mère et moi, parfois encore mon père et quelqu'un. Avec mes camarades de classe on possédait la monnaie de cette ville et on a essayé de l'échanger en Tolars (ancienne monnaie slovène). On se promenait dans la ville. Elle était énorme, une ville du futur et la civilisation aussi était un peu différente de la nôtre. Le ciel était incroyable. Je me rappelle d'un bâtiment intéressant que l'on avait croisé. On était maintenant seules avec Urška. On s'est promené parmi de grands bâtiments d'habitation qui avaient l'air de silos, mais en beaucoup plus large, ils étaient en béton. Certains était en train de s'écrouler – on en a passé un qui avait le milieu qui pendait un peu vers l'extérieur, je ne sais pas exactement l'effet que cela fait à l'intérieur, mais j'ai dit à mon amie que je ne pourrais sûrement pas y habiter, je me sentirais trop en danger. Tout était un peu soulevé. Et puis ça se mélange de nouveau avec un autre paysage, un champ très vaste, un énorme gazon, pénombre, et au loin, un tas d'objets étranges, probablement servant à une industrie. Ou à autre chose ... Alors, on est arrivées 'à l'immeuble que j'avais trouvé intéressant. C'était une construction en métal, qui formait une sorte de toile recouverte sur toute la surface d'un verre très épais. Il avait une forme de cylindre, très bas et large, d'une taille énorme. On ne devait probablement pas entrer. On est entrées et on a toute de suite rencontré une femme, en uniforme rouge, probablement la femme de ménage. Elles nous a demandé où on allait et si on avait besoin d'aide. On prétendit connaître le bâtiment, faire partie de cette civilisation, pour pouvoir en faire le tour tranquillement. Je suis descendue voir le sous-sol et Urška est montée. Klemen aussi était là, quelque part, avec nous. Au sous-sol il y avait une sorte de garderie, ou une forme d'attente collective. Il y avait deux télévisions, mais l'image était bizarre, comme un des effets spéciaux sur ma caméra, où tout ce qui est filmé a à moitié l'air de dessin animé. Je flottais à moitié dans l'air, c'était étrange. J'avais mes affaires – manteau, robe, sac en plastique, sur un fauteuil, mais j'étais seulement sur un bout de ce fauteuil, assise à moitié et à moitié dans l'air, ou bien je me tenais seulement au lustre, propulsée vers le plafond. Il y avait une femme, comme une institutrice, mais personne ne m'a forcé à rester. Je suis partie à la recherche de quelque chose entre temps, je ne me rappelle plus.

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Ensuite on est sortis de cet immeuble, par une autre voie, à partir de la cave, directement au milieu de la ville, sur la rue. On s'est promenés et j'ai acheté une grande casserole dans une boutique turque. Dans cette ville il était très habituel d'avoir des tornades. Le ciel avait l'air agité et dangereux. J'ai mis la casserole dans mon sac à dos. On a continué notre promenade. Il y avait des caméras et des appareils d'écoute partout. La sexualité était conçue d'une autre manière, plus décontractée, plu simple. L'homosexualité était très habituelle ainsi que les rapports à plusieurs partenaires. Les gens n'étaient pas dérangés par l'omniprésence des caméras. Ce n'était pas tout à fait clair pour moi mais il me semble que personne ici ne questionnait vraiment la civilisation et la façon de vivre. Tout cela était pour eux normal, ça allait de soi. Pour nous bien sûr, c'était inhabituel, nouveau et intéressant, un peu dangereux, inconnu, mais le sentiment d'être filmés partout n'était pas si désagréable ... c'était clair seulement que je ne pouvais rien voler, sinon j'irais sûrement en prison. On discutait de combien d'argent j'avais dépensé, car il m'en restait très peu. On s'est rappelé la casserole. Je l'ai sortie de mon sac, j'avais encore quelques petits bouts de papier, comme des reçus/factures. Maintenant on était déjà la moitié de la classe (de mon lycée). On se voyait dans le bout de papier du reçu, c'était drôle. Il y avait une petite image dessus, et après un certain temps j'ai remarqué qu'elle bougait. On était tous enregistrés dessus, c'était comme une petite vidéo. Puis on a remarqué nos images dans une vitrine et on s'est dit que peut-être cette image sur le reçu était en train de se faire. Ce genre de choses curieuses était les plus intéressant. Puis je me rappelle d'un tout petit appartement, Darja, ma mère, encore quelqu'un. Je sortais la vaisselle : de la casserole que j'avais achetée il sortait encore plein d'objets : deux tasses à café, petites assiettes, une théière, petits bols ... un tas de trucs, dans un style étrange, un mélange entre oriental et africain. Darja et l'autre personne ont dit qu'ils allaient bientôt partir. Il était six heures du soir. On est sortis et le ciel était menaçant, un mélange fluide de marron, bleu, rouge foncé, ocre, vert, ... il y avait ces couleurs mais aussi une sorte d'ondes, comme une mousse électrique, des formes : des tentacules et des tuyaux qui sortaient, sans nous atteindre, car on était en bas et c’était très haut, dans le ciel, mais je me suis dit qu'il y avait peut-être quand même une tornade qui arrivait. Darja et l'autre personne avaient un petit chien. Cette personne se plaignait de l'odeur du chien. Il sentait toujours très mauvais, car il réussissait à trouver des demoiselles canines les plus sales ou bien des petites clochardes et leur faisait des yeux doux pour qu'elles viennent se frotter contre lui. Alors il attrapait toutes sortes de sales odeurs. Après ils sont partis. Avec ma mère on s'est dit que si on voulait rentrer à temps à Ljubljana, on devrait bientôt partir nous aussi. Surtout qu’on n'avait pas de voiture et le transport avec le poisson prend environ une heure sans compter le train, dont on ne connaît pas les horaires.

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J'étais désolée de partir, car cette ville était si intéressante. C'était comme une ville sous l'eau, un peu. C'est la lumière et une sensation étrange de brouillard qui lui donnaient cet aspect. Il y avait encore tant de choses à y découvrir ... C'est difficile de mettre en mots le sentiment merveilleux de cet endroit.

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Sunset drive, 2011, crayon acquarelle sur papier


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Références - images :

1 Chouchou, 2003, de Merzak Allouache (co-écrit avec Gad Elmaleh), couleur, 105’ 2 The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert [Priscilla, folle du désert], 1994, de Stephan Elliot, Australie et Grande Bretagne, couleur, 104’ 3 Otto Dix : Lola, crayon sur papier, 44,1 x 31,7 cm, München, H.G. Brück Galerie 4 Otto Dix : Verwundeter (Herbst 1916, Bapaume) [Soldat blessé automne 1916], 1924, Eau-forte, 19,7x29cm, Portland, Charles M. Young Fine Prints & Drawings LLC 5 Yvette Leglaire, dans Je reviendrai !, au Point Virgule à Paris, spectacle écrit par Dada, mis en scène d’Olivier Denizet. http://www.myspace.com/yvetteleglaire/photos 6 Chris Dupuis : The Bathroom Project, 2008, 5’08’’, mini DV, http://chrisdupuis.com/video/index.html 7 photos de concours de beauté pour enfants http://www.funzu.com/index.php/crazy-pics/beauty-children-pageants-makechildren-look-ugly-05102010.html 8 Nowhere, 1997, de Gregg Araki, États-Unis, France, couleur, 82’ 9 Royal Wedding [Mariage royal], 1950, de Stanley Donen, États-Unis, couleur (technicolor), 93’ 10 Ziegfeld Girl [Les danseuses des Folies Ziegfeld], 1941, de Busby Berkeley et Robert Z. Leonard, États-Unis, noir et blanc, 132’ 11 Groupe slovène Sestre [Soeurs] (Marlenna, Emperatrizz in Daphne), Eurovision 2002, photo RTV Slovenija, http://img.rtvslo.si/upload/zabava/ sestre_3_show.jpg 7 12 Otto Dix : Der Salon I [Salon], 1921, peinture à l’huile sur toile, 86 x 120,5 cm, Stuttgart, Galerie der Stadt Stuttgart 13 Follow the Fleet [En suivant la flotte], 1936, de Mark Sandrich, noir et blanc, États-Unis, 110’ 14 Desperate Housewifes, crée par Marc Cherry, saison 2, episode 9, 2005 15 Stephen Dwoskin : Dear Frances (in memoriam), 2003, vidéo couleur, Grande Bretagne, 18 min (disponible dans coffret DVD chez les Éd. de Renard) 16 Nenette et Boni, 1996, de Claire Denis, France, couleur, 103’

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17 The Long goodbye, [Le privé], 1973, de Robert Altman, technicolor, 112’ 18 Paris, Texas, 1984, de Wim Wenders, Allemagne de L’Ouest, France, Grande Bretagne, États-Unis, couleur, 147’ 19 Kame wa igai to hayaku oyogu [Les tortues nagent plus vite qu’on ne le croit], 2005, de Satoshi Miki, Japon, couleur, 90’ 20 Breathless, 1983, de Jim McBride, couleur, États-Unis, 100’ 21 Alice, 1990, de Woody Allen, États-Unis, couleur, 102’ 22 Otto Dix : Bildnis des Malers Adlof Uzarski [Portrait du peintre Adolf Uzarski], 1923, peinture à l’huile sur toile sur paneau dur, 110x76 cm, Düsseldorf, Kunstmuseum Düsseldorf 23 Barbara Kukovec : Spotlight on Me, solo performance, 2009, conception/réalisation : Barbara Kukovec et Bojan Jablanovec (cycle de performances Via Negativa – Via nova), (vu lors du festival Mesto Žensk / City of Women à Ljubljana, en 2009) 24 Antonia Baehr : Lachen (Rire), solo performance, 2008, conception/ réalisation: Antonia Baehr, avec collaboration de Valérie Castan, (vu lors du festival Mesto Žensk / City of Women à Ljubljana, en octobre 2010) 25 Nataša Živkovič : Tihožitje (Still life), performance / solo de danse, Conception/Réalisation : Nataša Živkovič et Bojan Jablanovec, (cycle de performances Via Negativa – Via nova), 2010 26 Balthus (Balthasar Klossowski de Rola) : Nu sur une chaise longue, 1950, peinture à l’huile sur toile, 85,2 cm x 103,9 cm, London, Tate collection 27 Hans Bellmer, La Poupée, 1935, tirage argentique, 40,5 x 30,5 cm, Vienne, Christine König Galerie 28 Otto Dix : Lustmord [Meutre sexuel], 1922, peinture à l’huile sur toile, 165 x 135 cm, emplacement inconnu 29 Otto Dix : Sadisten gewidmet [Dédié aux sadistes], aquarelle, crayon, stylo et encre noir sur papier, 49,8 x 37,5 cm, 1922, Christie’s (en vente) 30 United States of Tara, créé par Diablo Cody, Saison 3 épisode 3, 2011 31 Samantha Who, crée par Donald Todd, Cecelia Ahern, Saison 2 épisode 1, 2008 32 Meet Me in St. Louis [Le chant de Missouri], 1944, de Vincente Minnelli, techicolor, 113’

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Bibliographie (publications cités dans le mémoire) :

- AGACINSKI, Sylviane : Le passeur du temps : modernité et nostalgie, Éd. du Seuil, 2000, p. 122, - ALBÉRA, François : Stephen Dwoskin : DV on SKIN, in Zeuxis, été 2004 (périodique) - BARTHES, Roland : La chambre claire, Note sur la photographie, Paris : Éd. de l’Étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980, 192 p. - BATAILLE, Georges : Madame Edwarda (1941), in «Romans et récits», Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2004, 1407 p. - BEYLOT, Pierre (dir.) : Emprunts et citations dans le champ artistique, Paris : L’Harmattan, 2004, 202 p. - BOYM, Svetlana : The future of nostalgia, New York : Basic Books, 2001, 404 p. - CHION, Michel : Le son au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, Éd. de l’Étoile, 1985, 220 p. - COOK, Pam : Screening the past : Memory and Nostalgia in cinema, London : Routledge ; New York : Taylor & Francis group, 2005, 246 p. - CYRULNIK, Boris : Le murmure des fantômes, Éd. Odile Jacob, 2005, 210 p. - DUFOUR, Sophie-Isabelle : L’image vidéo d’Ovide à Bill Viola, Paris : Archibooks + Sautereau, 2008, 222 p. - DURAND, Régis : Essai sur l’expérience photographique. [1], La part de l’ombre (2ème édition), Paris : La différence, 2006, 238 p. - ESTURGIE, Claude : Le genre en question ou questions de genre : de Pierre Molinier à Pedro Almodovar, Paris : Ed. Léo Scheer, 2008, 136 p. - GRIMBERT, Philippe : Chantons sous la psy, Paris : Hachette Littératures, 2002, 171 p. - KUSPIT, Donald : The Rebirth of Painting in the Late Twentieth Century, Cambrid-

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ge ; New York : Cambridge University Press, 2000, 259 p. - LEVESQUE, Claude : Par-delà le masculin et le féminin, Paris : Aubier, 2002, 317 p. - MICHAUD, Philippe-Alain (dir., commisaire) : Le mouvement des images : exposition, Paris, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, 9 avril 2006 - 29 janvier 2007, Paris : Éd. du Centre Pompidou, 2006, 149 p. - MORIN, Edgar : Le cinéma ou l’homme imaginaire : essai d’anthropologie sociologique, Paris : Éd. de Minuit, 1956, 250 p. - NOISETTE, Philippe : Danse contemporaine : mode d’emploi, Paris : Flammarion, 2010, 255 p. - PERRET, Catherine : Les porteurs d’ombre : mimésis et modernité, Paris : Belin, 2001 (p. 57), repris dans Art vidéo et mise en scène de soi (voir entrée suivante), p. 75 - ROMAN, Mathilde : Art vidéo et mise en scène de soi, Paris : L’Harmattan, 2008, 250 p. - SCHOPENHAUER, Arthur : Le monde comme volonté et comme représentation, traduction A. Burdeau, Paris : Presses Universitaires de France, 1966. - THOMAS, Anne : No man’s land : les photographies de Lynne Cohen, traduit de l’anglais par Jean-François Allain, Paris : Thames & Hudson SARL, 2001, 160 p. - TISSERON, Serge : Psychanalise de l’image : Des premiers traits au virtuel ; Paris : Dunod, 1997 (1ère édition Paris : Dunod, 1995), 222 p. - ZUPANIČ, Metka, BUKOVEC, Vesna et les auteurs : Video in progress 3 – Fields of the Performative, 20/10 – 15/11 2009, Ljubljana, Slovénie - catalogue de l’exposition (le texte n’a pas une provenance clairement désignéé dans le catalogue, il peut-être de Chris DUPUIS, auteur de l’oeuvre vidéo)

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