Baseline Study of Saving for Change in Mali Executive Summary (Fr)

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RÉSUMÉ EXÉCUTIF

Objectifs de l’étude Épargner pour le Changement (EPC) est un programme collectif communautaire d’épargne conçu et mis en œuvre par Oxfam America et Freedom from Hunger au Mali, au Sénégal, au Cambodge, au Salvador et au Guatemala. Cette étude de référence du programme Epargner pour le Changement (EPC) au Mali est le FRUIT d’un effort de recherche commune faite en 2009-2010 par Innovations for Poverty Action (IPA) et le Bureau de Recherche Appliquée en Anthropologie (BARA) de l’Université d’Arizona. Cette méthodologie innovante combine les approches qualitatives et quantitatives pour créer une image nuancée du programme EPC actuel et pour documenter la situation de référence d’une zone d’extension EPC dans la région de Ségou au Mali, où un essai contrôlé randomisé (ECR) est en cours pour mesurer les impacts socio-économiques du programme sur une période de trois ans (2009-2012). La première partie de ce rapport fait le détail de la méthodologie de toutes les deux équipes, qui a combiné la collecte et l’analyse de données quantitatives et qualitatives. La seconde partie donne les résultats préliminaires issus de la zone d’extension de Ségou. Les informations de base proviennent d’une enquête qualitative à grande échelle menée par IPA dans 500 villages dans la région de Ségou et d’une analyse qualitative complémentaire menée par BARA dans 8 de ces villages. En suivant le protocole ECR, les activités EPC dans cette zone d’extension n’ont commencé qu’après la collecte de toutes les données de terrain pour cette étude. Des études de suivi en 2012 aideront à déterminer l’impact du programme pour les participants. Une troisième partie de ce rapport met l’accent sur l’évaluation du fonctionnement actuel des programmes EPC existants dans cinq villages d’autres régions du Mali. L’étude dans ces villages est orientée vers l’acquisition d’une compréhension qualitative de la façon dont les systèmes d’épargne et de crédit fonctionnent par rapport aux stratégies de subsistance locales. Ces résultats sont fondés sur des informations collectées durant une étude préalable en 2008 sur 4 villages, qui avait permis d’examiner la mise en place, la réplication, et le fonctionnement des groupes EPC. Les secteurs clés abordés dans cette présente étude sont : (a) les systèmes de subsistance du ménage et la vulnérabilité par rapport à leurs impacts sur les activités EPC ; (b) la relation de l’EPC avec le contexte socioéconomique élargi du Mali rural ; (c) le rôle des organisations d’épargne et de crédit, formelles et informelles, et leur rapport avec la participation EPC ; et (d) les perceptions communautaires de l’impact de l’EPC sur les systèmes de subsistance et la vie des femmes. Une attention particulière est accordée aux façons dont les membres de la communauté modifient les modèles EPC pour s’adapter aux conditions et besoins locaux, et plusieurs recommandations sont faites pour renforcer le modèle existant.


Vue d’ensemble du Modèle Epargner pour le Changement au Mali Le programme Epargner pour le Changement (EPC) qui a débuté au Mali en 2005, permet aux femmes de s’organiser elles-mêmes en de simples groupes d’épargne et de crédit. Le programme est destiné à faire face aux besoins de celles qui ne sont pas touchées par des prêteurs institutionnels et les associations rotatives traditionnelles d’épargne et de crédit (AREC). L’approche fondamentale de l’EPC commence avec l’épargne. Vingt femmes environ forment volontairement un groupe qui élit démocratiquement ses responsables, définit ses règles, se réunit hebdomadairement et collecte les épargnes de chaque membre. Durant les réunions, chaque femme donne le montant de son épargne (défini au préalable par les membres) pour un fonds commun, lequel augmente graduellement à chaque fois que le groupe se réunit. Lorsqu’une femme a besoin d’un prêt, elle propose le montant désiré au groupe. Lorsque toutes les demandes sont annoncées le groupe discute en commun s’il y a assez de fonds et comment répartir les fonds, et classe les demandes par ordre de priorité s’il y plus de demande que de fonds. Les prêts doivent être remboursés avec un intérêt, à un taux fixé par les membres. L’intérêt collecté sur les prêts augmente continuellement le montant du fonds et la somme d’argent disponible pour les femmes. L’engagement à épargner régulièrement dans un groupe mobilise davantage d’épargne que chaque femme n’aurait pu épargner à elle seule. Chaque groupe gère ses propres fonds qui sont mobilisés entièrement à partir de l’épargne générée en interne. À une date prédéterminée, le groupe partage équitablement la totalité du fonds entre les membres. La période peut coïncider avec des moments de forte demande en liquidités tels que les fêtes ou la saison de plantation. L’intérêt collecté des prêts donne à chaque membre un rendement de son épargne de 30 à 40 pour cent ou plus, à un taux annuel. Le groupe décide alors s’il faut recommencer un nouveau cycle, et à quelles conditions. À ce moment, les groupes optent quelques fois pour l’augmentation de leur contribution hebdomadaire, acceptent de nouveaux membres ou changent les postes de responsabilité. Parmi les principaux avantages du programme, il y a le fait que, puisque le groupe prête son propre argent à ses membres, la garantie n’est pas requise. Le fait que tout l’argent provient des femmes elles-mêmes, au contraire des prêts extérieurs ou des programmes fondés sur le niveau d’épargne, donne davantage de motivations à bien gérer l’argent. Le Programme d’Oxfam America et de Freedom From Hunger au Mali a commencé avec une étude de faisabilité en 2004, après que la Fondation Stromme basée en Norvège eut manifesté son désir de soutenir l’introduction du programme Epargner pour le Changement. En partant de cette étude, Oxfam America, Freedom From Hunger et Stromme choisirent deux ONG partenaires maliennes pour former les premiers groupes EPC : Tonus et CAEB. En Août 2005, 216 groupes EpC comprenant 5000 membres avaient été formés. Alors que 13 pour cent des premiers membres étaient aussi membres d’organisations de crédit et d’autres groupements de micro finance, et que la moitié était membres de tontines informelles (une forme locale des AREC), l’EpC touchait aussi des femmes qui n’étaient servies par aucun de ces produits financiers.


L’un des problèmes que l’EpC avait très tôt identifié était que les taux d’alphabétisation au Mali étaient si bas que plusieurs groupes sans femmes alphabétisées comptaient sur des hommes alphabétisés ou des agents des ONG pour suivre leur comptabilité, réduisant ainsi l’indépendance des groupes. En Octobre 2005, un système de comptabilité orale fut créé, basé sur des innovations observées dans les groupes EpC. En 2006, un manuel de formation illustré avec des images fut élaboré en collaboration entre Oxfam America et Freedom from Hunger et utilisé pour former avec succès de nouveaux groupes. En Mars 2006, le nombre de membres de l’EpC atteignait 11.000. En 2007, l’EpC atteignit les régions de Kayes et de Sikasso, et le nombre de membres monta à 55.000. Comme les zones étaient devenues "saturées" de groupes EpC, les agents techniques furent redéployés des zones saturées vers des zones plus récentes par leurs organisations partenaires. Dès Juillet 2008, l’EpC comptait un total de 95.000 membres, avec un taux de croissance de 2600 membres par mois. La Fondation Bill et Melinda Gates a fourni le financement pour une plus grande extension commençant en Septembre 2008. De nouvelles ONG partenaires maliennes furent recrutées dans le but de saturer complètement quatre des cinq régions non désertiques du Mali (Kayes, Koulikoro, Ségou et Sikasso). Il est prévu que le nombre de membres augmentera jusqu’à 346.000 en 2011. Le tableau ci-dessous présente le résumé des chiffres des opérations du programme actuel au Mali. En plus de financer l’extension, la subvention de la Fondation Gates avait soutenu une étude extensive sur l’impact, y compris ce rapport de référence. Tableau 1: Chiffres globaux du programme Epargner pour le Changement au Mali (Décembre 2009) Nombre de groupe EpC Nombre de Membres

10.087 231,219

Fonds du Groupe Fonds du Groupe par Membre # des prêts en cours Valeur des prêts en souffrance Montant moyen du Prêt % des fonds accordés aux prêts % des membres ayant obtenu un Rendement annuel des épargnes Épargne cumulée Épargne par membre Moyenne des fonds/ Groupe

3.145.523 $ 14$ 149.357 2.516.844$ 17$ 80% 65% 54% 2.312.234$ 10$ 312$

Moyenne des membres/ groupe

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Synthèse des Résultats issus de la Zone d’Extension (Étude conjointe BARA et IPA) Une combinaison d’étude quantitative et qualitative menée par IPA et BARA dans la zone d’extension de Ségou, comprenant les cercles de Bla, San, Ségou et Tominian, fournit les données initiales décrivant la situation en début 2009, avant l’arrivée du programme EPC dans cette zone. Les données présentent une nette impression que ces populations vivent dans des situations de vulnérabilité chronique au choc, avec un accès limité aux infrastructures de base pour l’eau potable, les services de santé, l’éducation et les transports. Certains chiffres clés illustrent ces points. Un peu plus de la moitié des villages échantillons sont à plus de 15 kilomètres d’une route bitumée, et environ deux tiers seulement parmi eux ont un marché régulier dans un rayon de trois kilomètres ; La plupart des villageois (55,7%) dépendent de puits non protégés pour leur principale source d’eau potable, et environ deux tiers seulement des villages ont un centre de santé dans un rayon de 10 kilomètres. Moins d’un quart des hommes adultes ont reçu une éducation formelle (24,7%), et les femmes adultes bien moins (11,3%). La majorité des villages de l’échantillon ont connu l’inondation (51,9%) durant ces cinq dernières années ; 59,5% ont connu la sécheresse ; et plus d’un quart (27,7%) ont vécu des crises alimentaires. Au niveau des ménages, 60,1% des ménages ont vécu un choc durant la dernière année qui a négativement eu un impact du point de vue économique. Dans toutes les parties de la zone d’extension, le mil et le sorgho dominent la production agricole des participants à l’enquête, avec le riz qui est aussi cultivé dans certaines zones. Toutefois, la plupart des ménages de n’importe quel type seront en rupture de denrées de base à un moment donné de l’année. Plusieurs indicateurs ont été utilisés pour mesurer les différents aspects de la pauvreté et de la vulnérabilité pour cette population. Selon l’Échelle de Sécurité Alimentaire (ESA) de Freedom from Hunger, plus d’un tiers des ménages de la zone d’extension sont en état d’insécurité alimentaire, et plus du quart souffre d’insécurité alimentaire chronique, un état de santé très préoccupant. Selon l’indice d’Affranchissement de la pauvreté (IAP) du Mali, on considère que plus de 90% des ménages de la zone d’extension vivent en dessous du seuil de deux dollars par jour, la majorité (55,9%) vit aussi en dessous du seuil d’un dollar par jour et 92% vivent en dessous du seuil de pauvreté de deux dollars par jour. Les indices ne sont pas très corrélés les uns aux autres dans les ménages spécifiques, qui peuvent paraître désespérément pauvres selon une mesure, mais toutefois moins pauvres selon une autre mesure. Cependant, toutes les trois mesures donnent une image cohérente d’une pauvreté aigüe dans cette région du Mali. Les ménages sont généralement élargis dans cette région du Mali, et ce rapport montre comment les ménages sont structurés. La taille moyenne du ménage dans l’étude quantitative est de plus de 21 membres. Les plus larges ménages ont tendance à comporter des sous-unités, qui ont une certaine autonomie. Par exemple, une sous-unité pourrait comprendre un homme et son épouse ou ses épouses et leurs enfants, alors que le ménage le plus large ou “complexe” peut aussi comprendre les frères de l’homme et/ou son père et


leurs familles. Presque trois quarts (77,4%) des femmes dans l’échantillon quantitatif vivent dans des ménages “complexes”, qui sont définis comme étant les ménages qui ont plus d’une sous-unité. Parmi les ménages simples, qui sont définis comme ceux ayant seulement une sous-unité (le ménage lui-même), la taille moyenne est seulement de 8 personnes. La polygamie est courante dans l’échantillon : plus de 30% des chefs de famille sont polygames. En plus d’avoir un accès limité aux infrastructures de soins de santé et d’eau potable, les ménages dans l’échantillon sont aux prises avec les problèmes de santé. Environ un quart (22%) des adultes déclarent avoir vécu un épisode de maladie durant le mois précédent, avec des cas de maladie qui ont causé une perte de 4,5 jours de travail en moyenne pour les adultes. Seulement 35% des adultes qui ont déclaré avoir eu un cas de maladie se sont rendus dans une structure sanitaire. La fièvre, un symptôme du paludisme, est le mal le plus communément cité. En dépit de cette forte prévalence présumée du paludisme, les femmes de l’échantillon montrent une faible connaissance sur le paludisme. Presque la moitié des femmes interrogées identifient correctement les moustiques comme une cause du paludisme, mais un peu moins de 20% de femmes savent que les moustiques en sont la seule cause. Moins de la moitié des femmes adultes et environ la moitié des enfants de moins de 5 ans ont utilisé une moustiquaire la nuit précédente. La présence à l’école est généralement très faible. Environ la moitié seulement des enfants âgés de 7-11 ans fréquentent l’école, et c’est le cas pour moins de 45% des enfants de 12-16 ans. Ensuite, il y a une grande disparité de sexe dans l’éducation ; la fréquentation de l’école est d’environ 10 points en pourcentage plus basse pour les filles que pour les garçons. De même, les femmes sont bien moins susceptibles d’être alphabétisées que les hommes (28% par rapport à 50%), bien que tous les deux groupes aient des taux d’alphabétisation faibles. Pour l’ensemble de l’échantillon quantitatif, environ 50% des femmes concernées gèrent au moins un petit commerce. Les femmes de tous les niveaux de pauvreté ont des activités commerciales, avec une différence très modeste dans le nombre d’activités, entre le tiers le plus pauvre et le tiers le plus riche de la répartition de la consommation alimentaire. Cependant, les femmes font un faible usage des systèmes formels pour l’épargne, les prêts, ou pour contribuer à financer leurs activités commerciales. Alors que ces services sont techniquement disponibles dans certains villages, il n’y aucune option pratique pour les femmes du fait des garanties élevées requises, de la peur de répercussions sociales négatives en cas de non-remboursement, ou d’autres facteurs. Bien qu’il y ait des pourcentages significatifs de femmes actives et mariées qui sont engagées dans des activités d’entreprenariat (50,4%) ou qui gèrent leurs propres activités agricoles (38,9%), l’utilisation des institutions formelles pour soutenir leurs activités génératrices de revenus est si faible qu’elle est négligeable. Par contre, les femmes épargnent leur argent à la maison et comptent sur les amis, les voisins et les parents pour le crédit même lorsque les institutions formelles sont techniquement disponibles. En accord avec une utilisation limitée des institutions formelles, les femmes déclarent avoir davantage de confiance en leurs voisins (49% font état d’une confiance totale et 4% déclarent n’avoir aucune confiance) que dans les ONG et les IMF, alors qu’environ 30-35% seulement des femmes font état d’une


confiance totale en ces institutions, et 14% disent n’avoir aucune confiance. L’utilisation et la prédominance des tontines sont bien plus limitées dans l’ensemble de l’échantillon que dans les huit villages sélectionnés pour l’étude qualitative BARA (voir souspartie suivante). Un tiers (35,5%) des villages de l’ensemble de l’échantillon n’a pas de tontines du tout (par rapport à seulement 25% des villages du BARA), et seulement 18,6% des femmes participent actuellement à une tontine. La plupart des participants à l’enquête (58%) n’ont jamais participé à une tontine du tout. Les caractéristiques dans les données sont surprenantes du fait des distinctions qu’elles ne font pas. Pour presque chaque paramètre posé dans ce rapport, on observe une très petite différence entre les cercles de Bla/Ségou, San, et Tominian, même s’il y a des différences écologiques et ethniques significatives entre ces zones. Il y a aussi peu de preuves que la distance par rapport à une route bitumée, en tant qu’indicateur essentiel de l’accessibilité, est en corrélation avec une quelconque des variables auxquelles on peut s’attendre (i.e. sécurité alimentaire, présence de projets de développement, ou structures de santé et d’éducation). Une cohérence si remarquable à travers les cercles suggère à la fois une homogénéité relative et des données fiables. Il se peut que les différences écologiques (et leurs impacts associés sur les moyens de subsistance et d’autres paramètres) soient plus détectables sur un gradient nord-sud que dans un découpage est-ouest des limites de ces cercles. Pour l’étape suivante de l’essai contrôlé randomisé, en Mai 2009, 210 des 500 villages de l’étude ont été sélectionnés pour recevoir le programme EpC, alors que les villages restants serviront de point de contrôle et ne recevront pas le programme avant au moins 2012. Un rôle essentiel de l’étude de référence dans l’évaluation d’un essai contrôlé randomisé pour un projet tel que ‘Epargner pour le Changement’ est de confirmer que le processus de randomisation pour le choix des villages devant recevoir le programme parmi tous ces villages étudiés a généré les mêmes types de personnes à travers les villages de traitement et les villages de contrôle. En fait, ce rapport montre qu’à travers huit caractéristiques essentielles, dont la distance par rapport à une route, les mesures de pauvreté et les taux de scolarisation, il n’y a pas de différences significatives entre les villages de traitement choisis au hasard et les villages de contrôle. L’essai contrôlé randomisé permettra de tester aussi laquelle des deux stratégies de réplication est le plus efficace, un processus organique dans lequel les agents des villages sont formés un par un, et un processus de formation structurée avec une formation formelle de 3 jours et un manuel illustré pour chaque agent villageois. Le groupe de villages de traitement a été divisé au hasard en deux pour recevoir un des deux types de formation. Les deux ensembles de villages pour la réplication organique et la réplication structurée ont été jugés statistiquement équivalents.

Synthèse des Résultats des Villages EPC Existants (Etude du BARA) En plus de la méthodologie mixte utilisée dans la zone d’extension, l’équipe du BARA a aussi étudié cinq villages dans d’autres parties du Mali qui avaient déjà des groupes EpC. En


entreprenant cette étude, l’équipe du BARA s’est basée sur son expérience antérieure dans l’étude opérationnelle préalable en 2008 dans quatre villages EPC. Les cinq villages EpC préexistants de la phase actuelle d’étude qualitative ont été choisis pour couvrir une large variété des milieux dans lesquels l’EpC fonctionne aujourd’hui, des petites communautés isolées aux liens étroits ayant peu de solutions de crédit aux villages relativement grands où l’EpC existe en même temps que de multiples alternatives de crédit et d’épargne. Le soutien en infrastructures est fortement lié à l’accessibilité des villages dans cet échantillon. L’eau est unanimement identifiée comme le plus grand facteur limitant dans l’amélioration de la qualité de vie pour ces villages EpC, puisqu’elle a des effets directs sur la production agricole actuelle, la santé et la salubrité. L’eau est aussi le facteur limitant majeur pour toute extension potentielle des activités agricoles et de l’élevage de bétail. Les villages éloignés n’ont pas de services de santé à souligner, à part des visites périodiques des agents de santé pour les campagnes de vaccination ; beaucoup de villages EpC plus proches des centres urbains manquent aussi de soins de santé adéquats, mais les ONG sont disponibles pour combler ce vide. Il serait difficile d’exagérer l’importance de l’assistance des ONG aux villages EpC étudiés, en particulier en ce qui concerne la mise en place d’opportunités économiques pour les femmes. Dans les villages où les ONG (autres que les organisations EpC) sont totalement absentes, les femmes sont limitées dans leur capacité à capitaliser sur les possibilités d’épargne que l’EpC offre, et tendent à identifier ses avantages en termes de cohésion sociale plutôt qu’en croissance économique. La même situation de négligence gouvernementale et d’absence d’ONG dans les régions inaccessibles se retrouve aussi dans les infrastructures d’éducation. La richesse absolue peut être moins importante en tant qu’indicateur du potentiel à long terme de l’EpC dans un village que le degré de stratification de la richesse dans la communauté. Les communautés dans lesquelles l’homogénéité ethnique et religieuse parmi les quelques clans du village a réduit l’écart entre les familles les plus riches et les plus pauvres à une distinction presque négligeable sont aussi les villages qui ont des programmes EpC prospères sans défauts de paiement de prêts ou de disputes internes. L’agriculture, et en particulier la production de céréales vivrières domine les stratégies de subsistance des ménages. L’élevage d’animaux est aussi une stratégie majeure dans la plupart des villages, mais décline dans la zone périurbaine. Toutes les communautés se battent pour apporter un supplément à la production de la saison des pluies pour les besoins de la consommation avec le maraîchage hors saison destiné à la vente, mais la viabilité de cette stratégie dépend fortement de la disponibilité de l’eau et de l’accessibilité des marchés. La récolte de bois de chauffage et de charbon fournit d’importants compléments aux stratégies dominantes.

Les activités économiques se distinguent fortement selon le sexe à travers le Mali, bien que même avec ces systèmes économiques séparés, on s’attend à ce que les femmes aident les hommes durant les périodes de forte demande en main d’œuvre (défrichage, semailles et récoltes). Les vies des femmes dans les groupes EpC sont dominées par des responsabilités


domestiques et les femmes les plus jeunes consacrent une importante quantité de temps à travailler dans leurs propres champs et ceux de leur famille. Les activités des femmes évoluent vers le petit commerce dans tous les villages EpC visités dans cette phase. Par exemple, les femmes deviennent de plus en plus engagées dans la production de beurre de karité, et leurs activités dans les communautés périurbaines se départissent totalement de l’agriculture (pour la consommation domestique). Les premières femmes à rejoindre le programme EpC dans un village sont souvent celles qui sont le mieux positionnées pour entreprendre une activité économique incertaine. Une fois formés, les groupes tendent à rester remarquablement stables. Les postes de responsabilité sont généralement attribués aux femmes plus âgées dont les conseils sont traditionnellement très respectés ; dans certains cas, ces postes deviennent symboliques en signe de respect, et les rôles réels de leadership sont donnés aux femmes plus jeunes et plus dynamiques. La distinction initiale des groupes qui sont formés par les agents EpC (appelés de ce fait groupes formels) et ceux formés par des agents locaux de réplication ou un leadership communautaire spontané (ceux appelés donc groupes informels) est généralement établi à dessein par les agents techniques. Les femmes forment des groupes basés sur l’affinité et la parenté, ce qui souvent fait que les femmes d’un même voisinage rejoignent les mêmes groupes. Les groupes ont généralement des élections annuelles pour les postes de responsabilité de l’EpC (président, trésorier, etc.) après la répartition des fonds, quand le groupe décide de sa future existence, composition et objectifs. La plupart des prêts sont utilisés pour des activités génératrices de revenus (AGR), mais dans tous les villages, la possibilité d’obtenir aussi des prêts pour la consommation domestique est un avantage essentiel du programme. Les plus appréciés de ces prêts à usage de consommation sont ceux utilisés pour couvrir les frais médicaux et ceux utilisés pour acheter de la nourriture durant la période de soudure1. Pour nombre de femmes, le schéma de la consommation par rapport aux AGR est saisonnier : durant les mois difficiles, lorsque les ressources alimentaires sont épuisées et que la récolte de l’année n’est pas encore disponible, les prêts sont souvent pour les intrants agricoles et pour les besoins alimentaires. Le taux global de prêt pour la consommation par rapport aux activités génératrices de revenus est remarquablement bas. 1 Soudure est un terme dérivé du français qui est largement utilisé dans le Sahel pour designer la période de disette durant laquelle les denrées de la récolte précédente s’épuisent et que l’insécurité alimentaire tend à augmenter (généralement entre les mois d’Avril à Septembre).


Les femmes des ménages les plus riches, qui utilisent l’EpC comme supplément pour une bonne source de revenus pour le ménage élargi souscrivent souvent à des prêts pour des objectifs de création de revenus exclusivement. La capacité à faire vivre des entreprises financées par l’EpC est fortement liée à la stabilité des moyens de subsistance du ménage ; les ménages ou les sous-unités qui sont relativement mieux lotis sont de ce fait plus susceptibles de prendre ces risques et de réussir. De manière générale, la variété d’activités génératrices de revenus que nous voyons utiliser les prêts EpC est relativement réduite et limitée à des entreprises à faible risque. Le petit commerce domine dans tous les villages, et comprend les achats de grains et l’embauche de main d’œuvre pour l’agriculture normale ou hors saison, la préparation et la vente de nourriture sur les marchés locaux, et l’achat de denrées alimentaires pour la revente lorsque les prix montent. Beaucoup de femmes pratiquent aussi l’embouche (engraisser les animaux pour la revente), en particulier après la répartition annuelle des fonds de l’épargne. Aucun prêt collectif n’a été observé dans ces groupes dans cette phase de l’étude. La plupart des femmes interrogées utilisent les profits de leurs activités commerciales (l’argent gagné après le remboursement du prêt et de l’intérêt) dans la consommation domestique. Alors que beaucoup de femmes souscrivent à des prêts pour de petites entreprises et le commerce, elles tendent à confondre les bénéfices avec le revenu général du ménage. Ces entreprises sont de ce fait décapitalisées puisque les fonds sont détournés pour faire face au besoin du ménage ; cela conduit à un schéma de prêts répétés pour soutenir la même activité, et les activités se développent rarement dans ces conditions. Même dans les zones où l’EpC a eu une longue présence, les femmes souscrivent globalement encore à des prêts pour les mêmes activités que lorsqu’elles ont commencé le programme. Dans notre observation, les quelques femmes ayant été en mesure de réaliser une croissance économique transformative à travers l’EPC jouissaient d’une richesse et d’une stabilité relatives avant l’arrivée du programme. Les femmes considèrent souvent les institutions formelles bancaires utilisées par les hommes comme étant au dessus de leur niveau économique, lesquelles prêtent des sommes plus substantielles et exigent une épargne minimale plus conséquente que ce que la plupart des femmes peuvent généralement se permettre. Bien qu’avant l’arrivée de l’EpC dans leur village les femmes n’utilisaient pas beaucoup les services des institutions formelles, la plupart des femmes interrogées ont déclaré que depuis l’arrivée de l’EpC, elles n’utilisent plus du tout les systèmes d’épargne et de crédit qui sont du village. Cependant, les femmes continuent à utiliser les systèmes d’épargne qui sont au sein du village après avoir rejoint l’EpC, y compris la vieille tradition malienne de tontines, ou les associations rotatives de crédit. La majorité de ces systèmes est très informelle, et est basée sur la mise en commun des profits d’un travail collectif pour le remboursement durant les fêtes ou les périodes de besoin généralisé. Les femmes du programme EpC ont aussi accès à une grande variété d’instruments de crédit, des prêts informels entre voisines aux banques de crédit villageoises. Les prêts consentis entre villageoises sont généralement faits sur la base de relations sociales, ne requièrent pas d’intérêt, et peuvent être en nature ou en espèces.


Forces du Programme EPC Le programme EpC fournit une option très appréciée dans le spectre de systèmes d’épargne et de crédit pour les femmes rurales au Mali. Pour beaucoup de femmes, il constitue un tampon essentiel contre les crises et stabilise les fluctuations à court terme sur le revenu. Les femmes trouvent le programme très accessible, et sa flexibilité ainsi que sa transparence inhérente le distinguent des stratégies alternatives. Dans les zones ou l’EpC a été introduite, les femmes ont été en mesure d’élargir leurs activités économiques, et dans certains cas elles ont même évolué des stratégies de subsistance moins profitables au petit commerce. Nous avons eu de bonnes indications selon lesquelles ces changements économiques se traduisent en un plus grand renforcement des femmes de l’EPC dans leurs sous-unités ménagères, leurs ménages élargis, et dans leurs communautés. Les membres des groupes EpC sont fortement liées les unes aux autres par leurs objectifs communs, et elles maintiennent avec succès un système de gestion démocratique et mutuellement bénéfique de leur comportement économique après l’obtention du diplôme. La comptabilité orale a été un mécanisme efficace pour assurer la transparence pour tous les membres, et permet une gestion financière par le groupe même lorsque des systèmes plus complexes tels que les parts multiples sont introduits. La structure administrative de l’EpC a été efficace dans la préparation des femmes pour un tel contrôle autonome. Les ONG et l’unité technique font un excellent travail de facilitation de la communication verticale en partant du haut ou du bas : les agents techniques avec lesquels nous avons discuté sont unanimement appréciés par leurs communautés, les groupes et les réplicateurs qu’ils forment les trouvent d’un grand soutien sans imposer des limites sur l’appropriation du programme par la communauté. À leur tour, ces agents déclarent que l’unité technique d’Oxfam et leurs coordinateurs respectifs leur apportent un excellent soutien. La structure de l’EpC permet une bonne rétroaction des agents et groupes vers les superviseurs, et permet aux innovations dans un groupe d’être vulgarisées latéralement. Les mesures institutionnelles pour favoriser et évaluer la performance paraissent efficaces en s’assurant que les agents sont bien formés et d’un excellent calibre. Dans les zones où il a déjà été introduit, l’EpC est généralement apprécié pour la niche particulière qu’il occupe dans le spectre des mécanismes formels et informels d’épargne et de crédit disponibles auparavant. En comparaison avec les tontines traditionnelles, les faibles contributions de l’EpC et sa phase de formation le rendent accessible même pour des femmes qui se sentent incapables de l’engagement requis pour l’appartenance à une tontine ou peu sûres de leurs capacités financières. Dans la zone d’extension, il y a un rôle clair pour l’EpC même dans des contextes où de multiples systèmes sont déjà disponibles. La flexibilité prouvée de l’EpC (à travers des innovations telles que les parts multiples et les fonds sociaux), et son utilisation comme stratégie complémentaire et parallèle à côté des tontines et d’autres systèmes existants d’épargne et de crédit suggèrent qu’il y a peu de contextes économiques où il ne serait pas un supplément bien venu. Les ménages dans le Mali rural fonctionnent dans un climat de vulnérabilité extrême et chronique. En réduisant les effets de ces contraintes, l’EpC crée une plateforme plus stable sur laquelle les stratégies de subsistance peuvent être basées. Au fil du temps, les femmes


de l’EpC peuvent graduellement évoluer vers un comportement économique qui leur permet d’absorber un plus grand risque et de réinvestir de plus en plus leurs gains dans de plus substantielles activités génératrices de revenus. Impacts de l’EPC Les femmes apprécient beaucoup les effets positifs de l’EpC qu’elles voient, même si l’impact économique d’une telle activité d’épargne est relativement faible par rapport à l’économie globale du ménage. Les avantages économiques que les femmes perçoivent elles-mêmes satisfont d’abord les besoins en consommation du ménage, en particulier la disponibilité de fonds pour les femmes pour la recherche de soins médicaux et l’achat de médicaments pour les membres de la famille en cas de maladie ou d’urgence. En gardant leurs responsabilités traditionnelles dans le ménage, les femmes tendent à citer les avantages de l’EpC en termes d’éducation de leurs enfants, dans leur capacité à contribuer au ravitaillement alimentaire du ménage tout au long de l’année,2 et dans leur accès aux biens matériels nécessaires pour célébrer décemment les fêtes annuelles et les autres cérémonies importantes pour le ménage. Avec l’accès au crédit que l’EpC fournit, certaines femmes ont aussi pu changer leurs stratégies de subsistance pour évoluer vers le petit commerce. Et beaucoup de femmes de l’EpC ont souligné leur capacité à acquérir du bétail ou à accroître leur bétail comme preuve de l’impact économique de l’EpC dans leurs vies. En décrivant les impacts de l’EpC sur leur capacité à épargner, les femmes ont tendance à décrire un changement dans leur mentalité d’épargne plutôt que leur accès à des opportunités économiques. Les femmes déclarent que l’EpC leur donne des capacités entrepreneuriales, et les pousse aussi vers de plus grandes activités économiques qu’elles n’auraient normalement entreprises à travers la concurrence et la peur de la honte publique en cas de non-remboursement. Pour beaucoup de femmes, la simple présence d’un programme qui valide leurs luttes économiques et établit un tampon contre le risque est suffisante en soi pour les inciter à l’épargne et au crédit alors que les systèmes antérieurs ne le faisaient pas. Pour cette raison, la confiance accrue et les capacités en leadership que les agents techniques attribuent aux personnes formées à l’EpC ne sont pas séparables des impacts économiques du programme.

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Les femmes maliennes apportent généralement les ingrédients utilisés pour faire les sauces (condiments, légumes, poisson séché et viande) alors que les hommes sont généralement responsables de la fourniture de grains.


La composition de l’EPC démontre à la fois aux membres et aux non-membres qu’une femme est responsable, fiable et digne de respect et de considération. Les femmes ont tendance à insister sur la cohésion sociale des membres du groupe, et sur la force et la motivation qu’elles trouvent dans une activité collective. Les membres de l’EpC ont unanimement apprécié le programme de prévention contre le paludisme et associent une plus grande prise de conscience de la salubrité et de la santé avec un sentiment général de fierté et de valeur individuelle après le programme. Les hommes des ménages concernés par l’EpC apprécient aussi la capacité des femmes à gérer leurs finances et à prendre soin des enfants, et ne voient pas les contributions accrues des femmes comme une menace potentielle pour leurs propres rôles comme premiers fournisseurs de revenus dans le ménage. Défis potentiels à l’EPC La viabilité généralisée et à long terme de l’EpC dépend de la communication intergroupe, qui permet au programme de s’élargir spontanément sans apport continu, et facilite la transmission latérale des innovations entre groupes. Les associations EpC inter-villages ont été créées dans certaines zones avec l’objectif partiel de créer un réseau horizontal de circulation d’informations sans dépendance vis-à-vis d’une ONG. Toutefois, les associations EpC semblent être bien développées comme instruments pour un échange d’idées entre groupes, et d’autres données indiquent qu’il y a des limites réelles aux types d’informations qui peuvent être incorporées dans les comportements des femmes sans le renforcement d’une supervision formelle. Les groupes spontanés ne se forment pas souvent dans les villages où l’EpC n’est pas déjà présente. Pour les femmes des zones hautement vulnérables du Mali, lier l’EpC à des sources extérieures de crédit pourrait éventuellement augmenter l’impact à long terme du programme en donnant aux femmes un accès à des prêts à grande échelle qu’elles ne peuvent pas trouver elles-mêmes. De plus, l’intérêt élevé et la forme à court terme des prêts EPC peut sévèrement réduire la variation dans les types d’activités économiques que les femmes sont susceptibles d’entreprendre avec un prêt EpC, en particulier dans les régions ayant peu d’opportunités économiques. Il peut s’avérer nécessaire d’organiser des coopératives de vente, de dispenser des formations en marketing, ou de lier l’EpC au développement d’une entreprise profitable dans les régions négligées pour que le programme aille au-delà du niveau d’un collectif d’épargne. Le facteur le plus significatif qui limite le développement économique des femmes est leur tendance à utiliser les bénéfices des activités génératrices de revenus pour les exigences de consommation plutôt que pour investir dans leur extension. Il se peut que les bénéfices n’atteignent pas un seuil minimum pour permettre aux femmes de développer significativement leurs entreprises, ou que les femmes soient incapables de garder leurs bénéfices sous une forme suffisamment inaccessible pour les protéger des exigences de consommation. C’est là une partie de l’explication. Mais il se peut aussi que l’idée de réinvestissement du capital ne vienne pas naturellement dans l’esprit de femmes qui n’ont pas l’habitude d’avoir une épargne, et que ce soit un autre exemple où la formation


financière peut apporter des avantages réels. Du fait que les femmes adhérent à l’EpC avec une expérience préalable limitée en micro finance, elles ont tendance à éviter tout comportement qui peut mettre leur épargne en danger. Ainsi, bien que les agents techniques suivent un modèle qui est particulièrement démocratique, leurs suggestions pour de meilleures pratiques sont souvent interprétées comme des dogmes, si bien que les groupes dans leurs toutes premières années démontrent très peu de variation d’un village à l’autre. Les femmes apprécient l’EpC en tant que stratégie d’engagement pour épargner et emprunter de l’argent, ce qui les conduit de la pression sociale vers les prises de risques économiques qu’elles n’auraient normalement pas eu le courage de prendre. Une fois que les groupes reconnaissent que l’argent mis en commun s’accroît plus vite avec un montant et une fréquence des prêts plus élevés, elles s’encouragent les unes les autres vers davantage de prise de risque. Dans cette phase de l’étude, la preuve que certains groupes rendent les prêts obligatoires pour tous les membres, que ce soit formellement ou de facto donne lieu à la préoccupation de savoir si de telles stratégies d’engagement à travers des réseaux de solidarité poussent certaines femmes au-delà d’un seuil de risque qu’elles peuvent raisonnablement absorber. Plusieurs recommandations pour la future extension du programme EpC, qui sont détaillées à la conclusion de la partie III du rapport, comprennent la mise en place de coopératives de vente dans les villages EpC, l’ajout d’autres modules du programme, un plus grand renforcement des acteurs locaux pour administrer l’EpC sans la surveillance externe par une ONG, et l’amélioration des méthodologies d’évaluation du programme au niveau local, régional, et national.


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