Regard actuel sur les mobilités féminines transfrontalières ouest-africaines

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quatre semaines. Elle est surtout le propre des « femmes d’affaires » communément appelées « commerçantes » qui s’approvisionnent en marchandises à redistribuer dans leur pays d’origine. Nos

enquêtes montrent qu’il s’agit en général de femmes qui, en raison de contraintes familiales (gestion d’un ménage ou réserves parentales) sont réduites à effectuer des va-et-vient réguliers. Tina note que : « Beaucoup [de Libériennes] viennent à Abidjan pour payer des marchandises (pommades des ivoiriens, coco butter, les bonnes pommades…). Il y a mes sœurs mêmes qui font le commerce, quittent le Libéria pour venir faire des achats à Abidjan et retournent pour aller revendre. Souvent on se croise, on passe par San-Pedro pour aller vers Tabou » (Entretien avec Tina, Abidjan, Côte d’Ivoire).

On sait qu’une pratique courante des femmes africaines est de s’approvisionner régulièrement sur les grands marchés d’Accra, de Lomé, de Dakar, de Bamako ou de Nouakchott. Elles mettent à profit de courts séjours pour écouler des produits typiques de leurs pays et acquérir des produits revendus à leur retour au pays d’origine. Ce type de mobilité peut être plus ou moins intense aux différents moments de l’année,

par exemple en relation avec des fêtes et des célébrations qui nécessitent des produits spécifiques. Ce dynamisme économique n’est toutefois pas mesuré à sa juste valeur du fait de son caractère essentiellement informel.

Il peut aussi constituer les prémisses d’une phase de mise en migration plus longue, par le biais des

réseaux de connaissances et savoirs circuler qu’il procure au gré des contextes et opportunités économiques. C’est le cas de la situation économique difficile du Sénégal qui se traduit par un chômage important des jeunes, ne facilitant guère l’accès des migrants au travail salarié régulier. Par contre, rien ne s’oppose à

leur insertion dans le secteur informel. À l’exception notable de quelques étrangers actifs dans le secteur formel, l’immense majorité des migrants est réduite, à titre individuel ou collectif, à inventer des stratégies propres d’appropriation d’espaces d’activités notamment dans les grands centres urbains et/ou d’occuper les créneaux laissés vacants par les nationaux (Fall et al, 2021).

De la vente des fruits par les Peuls de Guinée, à celle de la viande grillée par les Haoussa, en passant par le commerce des pièces automobiles par les Nigérians, l’insertion des immigré.e.s dans le tissu

économique sénégalais s’appuie sur des réseaux communautaires d’entraide.

3.3.

Le projet migratoire à l’épreuve du terrain

Quelles que soient leurs causes, les migrations féminines ouest-africaines sont principalement orientées

vers les centres urbains marqués par d’importantes mutations et considérés comme des points d’attraction pour les opportunités sociales, économiques et de communication que tout centre urbain

peut offrir. Au Burkina Faso par exemple, ces derniers temps avec le développement économique, la présence de migrantes est observée surtout dans les grands centres urbains, comme Ouagadougou et

Bobo-Dioulasso, à l’image de ce que certains auteurs (Tassembédo 1995 ; Song Naba 2015 ; Dabiré et al. 2021) ont pu révéler dans leurs travaux. Ces femmes principalement des Maliennes, des Béninoises, des

Ghanéennes, des Togolaises et des Ivoiriennes, se spécialisent dans la restauration, dans le commerce de pagnes et tissus, et dans certains métiers tel que la coiffure (Song Naba 2015 ; Dabiré et al. 2021). Notons, à titre d’exemple, que les représentations sociales des statuts féminins et masculins sont moins tranchées et rigides que dans les villages d’origine où les rôles sociaux sont fortement sexués et respectés alors qu’en ville le contrôle de la famille et de la communauté est moins prégnant et laisse plus d’autonomie aux femmes. Il en résulte bien souvent des comportements novateurs, de nouvelles valeurs et des rapports de sociabilité qui contrastent avec l'identité culturelle des migrantes. C’est ainsi qu’à côté de la fécondité qui a fortement baissé, la connaissance et la pratique de la contraception sont plus largement répandues.

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