DSAA DT 2016
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Océane Juvin
CH1FFR3R L3 73X73
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les chiffres dans leurs relations aux lettres
ocĂŠane juvin dsaa design typographique esaig estienne 2016
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Avant-propos
de la singularité du chiffre Le chiffre et le nombre le chiff re comme représentation du nombre le passage de l’enregistrement d’une quantité à l’ écriture Une origine graphique différente des lettres alphabétiques une grande invention indienne au Moyen-Orient l’apparition des chiff res indo-arabes en Europe
les chiffres à travers le texte L’adaptation à un système les chiff res romains les chiff res en lettres deux matériaux diff érents Les chiffres dans le texte l’ insertion dans l’ écriture dans la typographie Résistance les chiff res et leur intégrité des règles de construction diff érentes Cohabitation ambiguïtés signalétique et lisibilité l’ informatique et le code alphanumérique
III
65 67 68 71 77 77 81 84 85 89 91
la promesse des chiffres Le mystère des nombres l'art de la cryptographie des valeurs numériques cachées derrière les lettres le carré magique Les chiffres ont colonisé le milieu de la lettre dans la typographie au sein du livre dans la littérature Les chiffres comme vérité du monde la théorie des nombres l' informatique les données
Conclusion
Bibliographie
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01. Selon une définition du CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale), un chiffre peut être à la fois un caractère servant à désigner un nombre, et un nombre représenté par le ou les chiffres.
02. Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, « Introduction » (p. 3-8), Paris, Seghers, 1982.
ava nt-propos Aujourd’hui une police de caractère latine est un amalgame de formes disparates qui sont en grande partie des lettres capitales, des lettres bas-de-casse, de la ponctuation, divers symboles et dix signes que l’on appelle chiffres qui sont déclinés sous plusieurs formes. Ces chiffres qui font aujourd’hui partie intégrante du code alphanumérique dont nous nous servons quotidiennement pour communiquer semblent être des objets particuliers et complexes 01. Tout d’abord, le mot chiff re désigne un signe qui sert à noter le nombre. Les signes que nous utilisons aujourd’hui en Occident mais aussi presque universellement pour écrire les nombres sont appelés chiffres arabes et sont au nombre de dix : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 0. Quel est la singularité de ces signes ? Quel rôle le nombre joue-t-il dans la mise en place de l’écriture ? Les chiffres, ces signes hétérogènes à l’alphabet, se sont fait une place petit à petit dans l’appareil typographique (chiffres suspendus, chiffres alignés, proportionnels, tabulaires, exposants, indices, fractions, numéros) et dans l’environnement textuel. Les relations entre les chiffres et les lettres semblent être un champ d’investigation riche tant elles sont complexes. Quelles sont les modalités d’incursion du chiffre dans le texte ? Quelles sont leurs interactions dans l’histoire de la typographie et quels sont les enjeux de ces interactions ? Les chiffres semblent avoir pris une place de plus en plus importante dans nos sociétés. Ce sont nos « supports de rêves, de fantasmes, de spéculations métaphysiques, des matériaux de littératures, les sondes de l’avenir incertain, outil de prédiction » 02. Que nous apportent-ils au juste ? Pourquoi sont-ils si présents aujourd’hui ?
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i.
DE la
singularitĂŠ
du chiffre
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Ce que nous appelons aujourd’hui chiffres arabes fait partie de ce qui est devenu le standard du matériel typographique. Les chiffres arabes servent à noter le nombre. Pourquoi ce concept est-il si important ? Pourquoi et comment avons-nous adopté un système de numération étranger au nôtre ?
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11 01. le ch if f r e & le nombr e
01. Smith, David Eugene, Ginsburg, Jekuthiel, Numbers and Numerals, Washington, National Council of Teachers of Mathematics, 1971 (1937).
02. Herrenschmidt, Clarisse, Les Trois Écritures. Langue, nombre, code, Paris, Éditions Gallimard, 2007 (p. III).
03. Ouaknin, Marc-Alain, Mystère des chiffres, Paris, Assouline Eds, 2004.
04. Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1982. « Peut-on définir une quantité sans savoir compter ? », p. 15.
a. le chiffre comme représentation du nombre Nous connaissons le nombre aujourd’hui et ses utilisations, en tant qu’outil de comptabilité, de mesure, de calcul, intervenant dans des domaines majeurs de notre société, tels que l’économie, la politique, les sciences, et comme mesures de notre espace. La conception la plus divisée du nombre et la plus généralement connue (qui n’est pas celle complexe définie par les mathématiciens et scientifiques) est sa bi-partition entre ordinalité et cardinalité. En effet un nombre ordinal ne compte que par sa place alors que la cardinalité prend en compte les rapports qu’il entretient avec d’autres. David Eugène Smith et Juthekiel Ginsburg dans Numbers and Numerals 01, remarquent que dans la plupart des langues (du moins européennes) les mots voulant dire premier et second ne dérivent pas des mots signifiant un et deux. Ainsi les deux perceptions du nombre ont été assez vite différenciées. Les fonctions du nombre sont d’après Clarisse Herrenschmidt 02 : « compter des qualités de choses ou d’êtres, nombres à valeur ordinale pour dire un rang dans une succession, à valeur cardinale pour une mesure ». Elle ajoute aux nombres cardinaux et ordinaux la fonction du comptage, et il semble bien que le comptage soit quelque-chose d’important dans la notion de nombre. Voici une phrase de Jean-Toussaint Dessanti, cité par Marc-Alain Ouaknin 03 : « Nous rencontrons des cailloux et des arbres, mais trois caillous et deux arbres ? Jamais. Pour les voir, il faut quelque opération. » Elle illustre le fait que la perception des nombres n’est pas immédiate. Elle passe par un processus d’abstraction. Mais il semble que, « durant de nombreux siècles, l’homme sut atteindre plusieurs nombres avant même d’être en mesure de les concevoir sous l’angle de l’abstraction » 04. L’homme a pu mémoriser différentes quantités, avant même de
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connaître la signification arithmétique du nombre. Les premières traces d’écriture en sont des preuves.
05. Ifrah, Georges, op. cit., II. Les comptes concrets, chap. 4 « La pratique de l’entaille » (p. 92-97).
b. le passage de l’en reg ist rement d’une qua nt ité à l’écr iture Les marques numériques les plus anciennes datent des premières civilisation du Paléolithique. Celles-ci sont repérées sur des bouts de bois et nécessitent la participation d’un messager pour expliquer le contenu manquant de l’information. Cela fait partie de ce que l’on appelle les proto-écritures, qui datent d’environ 30 000 ans avant J.-C. et ce sont aussi parmi les plus anciens objets ayant servi de supports à la notion de nombre. Nous avons ici un système de mémorisation de la quantité, qui peut être sur support bois, mais des os entaillés ont aussi été trouvés en Europe 05. Leur utilisation n’est pas vraiment vérifiée, ils auraient pu servir à des préoccupations astrologiques, ou bien à tenir le compte du gibier. Mais le fonctionnement du bâton-à-encoches reste le suivant : chaque encoche correspond à un élément visible appartenant à un ensemble, qui est représenté par le bâton entier. Les traces sont le plus souvent gravées, ce qui permettait de les sentir au toucher. Avant de pouvoir y identifier un nombre, l’homme était capable par analoBâtons à encoches des Aborigènes d’Australie, Paléolithique. Aidemémoires numériques en usage dès les temps préhistoriques. Schéma de comptage simple, comptage de 5 en 5, qui fonctionne de la même manière que le bâton à encoches Lorsque l’on compte de mémoire, on a d’ailleurs souvent le réflexe de subtiliser les objets absents par ses doigts.
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06. Herrenschmidt, Clarisse, op. cit. (p. 83).
13 gie, à l’aide d’un geste d’égrènement, de comprendre une quantité d’éléments et de l’enregistrer. Ainsi, comme le dit Clarisse Herrenschmidt, le nombre est un « geste corporel – voir et/ou toucher – auquel un acte de l’esprit humain se surimpose » 06. Le nombre semble donc être une idée abstraite qui n’est pas visible dans le monde réel, mais qui s’y applique. Le chiffre est un idéogramme, puisqu’il représente une idée. La nécessité de représenter une quantité pour pouvoir la mémoriser apparaît donc très tôt. Elle apparait longtemps avant l’écriture, et la représentation du nombre aurait donné naissance à l’écriture. L’écriture naît à Sumer au IVe millénaire avant J.-C. sur des tablettes comptables, dont
l’évolution de leur forme peut illustrer le passage de l’oralité à l’écriture. Commençons avec les calculi. Le mot calcul vient du mot latin calculus qui signifie petit caillou. On a appelé calculi des objets en argile, cylindres, billes et cônes qui ont été trouvés à côtés d’autres témoins de l’activité humaines, datés de 3 000 ans avant notre ère. Ces objets de formes très simples et très différentiables qui tiennent dans la main sont des objets de comptage. Ces calculi figuraient les biens échangés. Ils étaient des objets assimilables d’abord chacun à un élément d’un groupe (du bétail par exemple), et étaient utilisés de la même manière que les encoches sur les bâtons numériques mais cette-fois-ci, les objets du monde étaient assimilés à de nouveaux objets, plus petits et en Jetons de comptabilité de différentes valeurs et bulle-enveloppe qui possède à sa surface l’empreinte des jetons qu’elle contient. Suse, époque d’Uruk, vers 3300 ans av. J.-C., (Musée du Louvre, département des Antiquités orientales).
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Schéma reconstituant l’évolution menant des calculi à l’écriture Tablette creuse ovoïde en argile, Mésopotamie, XVe siècle av. J.-C. L’inscription cunéiforme figurant à sa surface énumère 48 animaux. En l’ouvrant, on y a trouvé 48 cailloux qui établissaient sûrement les termes d’une transaction commerciale (d’après Denise Schmandt-Besserat, Les plus Anciens Précurseurs de l’écriture).
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Calculi de Qalaat Djarmo. Objets d’argile cuite de formes cylindrique, sphérique et conique de 1 cm à 1,5 cm de hauteur, seconde moitié du VIIe millénaire.
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Tablette économique sumérienne, compte de chèvres et de moutons. Argile cuite 7,8 cm x 7,8 cm x 2,4 cm, 2 342 av. J.-C.
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07. Herrenschmidt, Clarisse, op. cit. (p. 77, 301).
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argile, matière qui recouvre la Mésopotamie. Puis les calculi prirent des formes géométriques simples (cône, bâton, sphère) qui représentaient chacune un tas de cailloux. Ces quantités ainsi enregistrées devaient être conservées pour établir des contrats. Les calculi ont donc été enfermés dans des boules de terre cuite, l’ensemble était un moyen d’enregistrer une transaction, un transfert de biens. Elles étaient des garanties de la mémoire et de l’équité entre les différents participants de l’échange. Cependant, cette enveloppe une fois fermée ne permettait plus d’avoir accès aux quantités enregistrées. Il fallait la briser. Les Sumériens eurent alors l’idée d’imprimer les différents objets enfermés à la surface de la boule et l’écriture « rendit visible l’invisible ». 07 Ces boules comptables étaient des sortes de contrats, des factures qui étaient cachetées la plupart du temps du sceau des contractants. Elle furent plus tard aplaties pour obtenir des tablettes classiques. Ce passage d’objets matériels concrets qui représentent une idée à des signes qui les matérialisent a donné naissance à l’écriture, qui est apparue d’abord aux côtés de signes numériques. Le chiffre semble donc être à l'origine du saut fait entre l'oral et l'écrit. Sur ce morceau d’argile daté de 3 000 avant J.-C. on peut voir un pictogramme représentant un capridé, gravé à côté d’empreintes Tablette économique sumérienne, compte de chèvres et de moutons. Argile cuite 7,8 cm x 7,8 cm x 2,4 cm. 2342 av. J-C. Inscription sur une surface meuble, l’argile, qui était la matière la plus présente dans cet endroit géographique.
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08. Peut-être en lien avec le sens figuré que l’on donne au verbe compter ? Car en effet ces marques comptent plus.
09. Herrenschmidt, Clarisse, op. cit.
10. Ibid.
11. Guedj, Denis, Zéro, Paris, Robert Laffont, 2005.
Charte de donation sur cuivre de Dadda III, datée de 595 de l’ère chrétienne, trouvée dans le nordouest de l’Inde. Les trois signes encadrés représentent la date de l’inscription : 346 (de l’ère Cédi).
de cercles et d’encoches figurant des chiffres. On peut sentir l’impression de l’acte de comptage, les marques numériques sont beaucoup plus profondes et simples que celle du pictogramme, qui semble dessiné. Ce contraste de poids des différents signes (les signes numériques sont beaucoup plus noirs, typographiquement parlant 08), l’un représentant une unité linguistique, l’autre une unité arithmétique, montre l’importance accordée à la représentation de cette quantité, qui doit être lisible avant tout autre contenu. Clarisse Herrenschmidt souligne « [la] lisibilité des chiffres et des mesures, [l’] opacité des signes pour la langue » 09 Les signes numériques étaient imprimés grâce à l’empreinte d’un roseau tronqué, tandis que les pictogrammes étaient représentés avec un roseau taillé en pointe. Deux outils différents sont donc utilisés pour deux pratiques différentes, dont le déchiffrement se fait de manière différente. C’est à partir de ces documents comptables que des signes spécifiques dédiés à l’écriture se sont développés « pour conserver le savoir, le transmettre et en exploiter les possibilités » 10. 3 000 ans s’écoulent entre la représentation des chiffres et celle des signes pour des éléments de langue. Denis Guedj raconte l’invention de l’écriture en Basse Mésopotamie, à Uruk, 3 000 avant J.-C., et parle ici d’une tablette écrite avant de mourir par un comptable qui se sert des symboles utilisés au départ pour désigner différents éléments à comptabiliser pour écrire un poème. « C’était la preuve que l’écriture ne servait pas seulement à établir des contrats, qu’elle n’était pas uniquement liée à la comptabilité, aux nombres et à la gestion du monde. Elle permettait d’exprimer les sentiments et les pensées les plus profondes des êtres humains. » 11 Les chiffres sont donc présents dès la genèse des signes alphabétiques. Cependant, les formes des signes que nous
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Manuscrit du Rig Véda en langue sanscrite, début XIXe siècle, Inde, écrit en écriture Devanagari. Les trois signes soulignés sont des chiffres séparé du reste par des barres verticales, qui correspondent aux numéros de verset.
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19 appelons chiffres arabes semblent être étrangères aux lettres de l’alphabet latin. C’est que le système de chiffres que nous utilisons aujourd’hui presque universellement, est né dans une culture éloignée de la culture alphabétique, qui a produit des formes indépendamment et distinctement des lettres de l’alphabet latin.
02. U n e origin e gr a ph iqu e di f f ér ent e de celle des lettr es a lph a bétiqu es a. une grande invention indienne Les dix signes que nous utilisons pour chiffres (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9) et que nous appelons chiff res arabes n’ont certes pas pris forme dans le berceau de l’écriture latine, pour autant leur origine n’est pas arabe. Les Arabes ont joué un rôle important dans la transmission du système indien en Occident, accompagné d’un apport considérable en sciences et en arts. Nos signes numériques viennent en effet d’abord d’Inde, de l’écriture brahmi . Les premiers chiffres utilisés dans une numération de position sont rédigés en langue sanscrite et apparaissent entre le VIe siècle et le milieu du Xe siècle. La véritable ingéniosité du système n’est pas dans le dessin de dix
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Évolution du chiffre 3 contemporain. La forme ‘3’ semble ne pas avoir suivi le même chemin que le ‘8’.
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*
** 500
IXe s.
Ier s. - IIe s.
1000
Évolution du chiffre 8, d’après un schéma de Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1982. On peut y lire la complexité des échanges entre les différentes zones géographiques.
Xe s. - XIIIe s.
***
XIIe s. -XVIe s.
* Usages contemporains en Inde ** Caractère contemporain utilisé en langue arabe *** Chiffre 8 contemporain
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11. Ouaknin, Marc-Alain, op. cit.
Utilisation des chiffres arabes avant l’adoption du système indien. Les chiffres sont des lettres numérales greques situées à droite du manuscrit. Ils servent à numéroter les versets. Extrait d’un manuscrit arabe du IXe siècle, dans Ouaknin, MarcAlain, op. cit.
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signes particuliers mais dans le système de numération de position sans lequel les chiffres indiens ne fonctionnent pas. En effet le système de numération indien est le premier qui permet de noter potentiellement tous les nombres, aussi grands soient-ils. Il y parvient en donnant sens à la place des chiffres : chaque chiffre situé à la gauche d’un autre représente une quantité dix fois supérieure à celle du précédent. Les chiffres indo-arabes et leur système de position enlèvent donc toute ambiguïté en ce qui concerne la lecture des nombres. Un nombre possède une seule manière d’être écrit et une seule. Ce principe a été accepté dans le monde et est resté inchangé pour sa simplicité et son efficacité. Dans l’écriture sanscrite « les lettres sont liées les unes aux autres par un trait horizontal allant du commencement à la fin de chaque mot; mais chaque signe numéral est indépendant de ses voisins. On lit et écrit de gauche à droite le sanscrit » 11. Durant sa diffusion à l’extérieur de l’Inde, le système était tellement puissant qu’il fut conservé intact bien qu’il soit en contradiction avec le sens de lecture et d’écriture d’un certain nombre d’entre elles, dont notre écriture latine. Dans l’écriture sanscrite le chiffre casse le rythme de l’écriture. Nous remarquons en effet dans le manuscrit du Rig Veda que les signes utilisés pour le texte sont liés les uns aux autres par une ligne horizontale à laquelle ils se suspendent. Les chiffres indiens sont séparés du reste du texte par deux traits verticaux parallèles et semblent ne plus respecter cet
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alignement. Le signe numérique apparaît donc déjà dans l’écriture indienne séparé des autres signes et identifié comme signe hétérogène.
12. Ibid.
b. au Moyen-Orient Les chiffres nagâri (nom de l’écriture indienne dans laquelle ils s’inscrivent) ont évolué au Moyen-Orient en deux graphies différentes. Tout d'abord en chiffres hindi par un retournement de 90° de l’écriture chez les Arabes orientaux au IXe siècle, qui s’explique selon M.-A. Ouaknin par des « raisons techniques d’écriture » 12. Puis les mêmes formes en provenance d’Inde ont donné chez les Arabes occidentaux les chiffres ghubar (tracés dans la poussière), qui tiennent probablement leur nom de leur support de calcul. Les Arabes avaient, avant l’utilisation des chiffres indiens, leur propre façon d’écrire les nombres : « Les Arabes avaient emprunté aux Grecs et aux Hébreux leur façon d’écrire les nombres à l’aide de l’alphabet. Comme eux, ils utilisaient divers dispositifs pour effectuer leurs calculs. Une tablette de bois recouverte d’une fine couche de poussière avait leur préférence. La tablette posée à plat ou sur le sol, le calculateur commençait par former des colonnes, puis il inscrivait les nombres en traçant de petits bâtonnets à l’intérieur de celles-ci et se lançait dans son calcul. Chaque fois que dix bâtonnets étaient réunis dans une même colonne, il les effaçait du doigt et les remplaçait par un seul
Chiffres nagâri. Ibid, d’après Renou et Filliozat. Chiffres arabes orientaux dits hindi, et retournement de leurs formes d’un angle de 90°. Ibid.
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13. Guedj, Denis, Zéro, op. cit. Si la numération de position n’existait pas encore dans le système de notation des chiffres, la décimalisation était déjà utilisée pour le calcul sur le sable.
14. Ouaknin, Marc Alain, op. cit.
15. Ibid.
16. C’est un signe formant le vide qui se nomme çounya en sanscrit, et désigne le vide, le rien.
bâtonnet dans la colonne immédiatement à gauche. Cette action était la matérialisation du principe de numération utilisé: dix unités d’un certain ordre valent une unité de l’ordre supérieur. » 13 Les écritures arabes se lisent de droite à gauche et les lettres sont souvent liées entre elles. Les chiffres arabes orientaux suivent les règles de l’écriture naskhî (écriture de copiste), qui est une écriture cursive et arrondie, inscrite sur un papyrus avec un calame. Tandis que les chiffres ghubar ont le même style, les mêmes formes, traits à courbes, jambages et angles que l’écriture coufique, l’écriture sacrée qui est sculptée au burin dans la pierre. 14 Ce sont ces chiffres qui voyagent jusqu’en Occident via l’Espagne, et sont diffusés par les savants arabes, appelés « virtuoses du calcul sur sable ». 15 La diffusion du système et de la graphie indiens vient de leur incroyable efficacité, notamment grâce au prin-
cipe de numération de position mais aussi à l’invention du zéro. 16 Ainsi l’utilisation d’un nombre limité de signes permet de représenter tous les nombres imaginables, avec pour chacun, une seule graphie. c. l’apparition des chiffres indo-arabes en Europe Les chiffres utilisés en Europe avant l’arrivée des chiffres indoarabes sont appelés chiff res romains et sont en réalité des lettres numérales. C’est un système qui, à partir du Xe siècle, va être remplacé au fur-et-à-mesure par le système ingénieux de la numération indienne, apporté par les manuscrits arabes. L’arithmétique au Moyen Âge fait partie des sept Chiffres arabes orientaux actuellement en usage. Ibid.
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arts libéraux mais c’est une science assez rudimentaire à cette époque, qui consiste à utiliser l’abaque (abacus en latin, qui indique la valeur de 1 et de 2) c’est-à-dire une planche à calcul et le compte digital pour représenter les nombres et exécuter des calculs très simples tels que l’addition et la soustraction. Les abaques sont au cœur de l’histoire des chiffres indo-arabes et de leur appropriation en Europe, car ce sont les supports qui les véhiculent en tout premier lieu. Le pape Sylvestre II, du nom de Gerbert d’Aurillac, est à l’origine de la première introduction des chiffres indo-arabes en Occident (sans le zéro et sans la numération de position). Il développe un nouveau modèle d’abaque où les apices (jetons de bois ou de corne) manipulés sur l’abaque possèdent chacun l’inscription d’un chiffre. Ces chiffres sont appelés Le principe de représentation des nombres sur l’abaque de Gerbert à l’aide des apices. dans Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, op. cit.
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17. Ifrah, Georges, op. cit., « Les chiffres “indo-arabes” en Europe », (p. 503512).
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apices de Boëce (ou Boecius). « les formes d’apparences les plus diverses que les neuf chiffres indo-arabes ont revêtues à cette époque en Europe occidentale ont été longtemps connues sous le nom d’apices de Boëce » 17 La diffusion des chiffres ne s’est pas faite au travers des manuscrits, mais oralement et par la pratique, au travers de la diffusion de la technique du calcul sur abaque transmise à l’oral, diffusée par Gerbert et ses disciples dès le début du XIe siècle. Les chiffres indo-arabes ont d’abord été manipulés par les calculateurs européens (abacistes). « Cette période d’instabilité coïncide avec l’emploi de l’abaque dont l’usage s’enseignait beaucoup moins par les livres que par la pratique. Les premiers chiffres se répandirent donc en Occident sur les morceaux de corne alors utilisés pour le calcul. Il est dans ces conditions vraisemblable que, dans beaucoup d’écoles, on prit l’habitude d’utiliser les apices à l’envers. Certains scribes en vinrent même à remplacer la forme correcte de l’archétype par celle qui leur était coutumière ; la confusion fut donc bientôt sans remède, puisque les livres eux-mêmes enseignaient l’envers pour l’endroit. Il eût suffit de marquer d’un point le bas de chaque pion, mais telle ne fut pas la solution adoptée ; on se contenta de différencier les deux seuls Codex Vigilanus, 976 Espagne.
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18. Beaujouan, G. Recherches sur l’histoire de l’arithmétique du Moyen Âge, Chap. II, Ecole nationale des chartes, Positions des thèses de la promotion de 1947, cité dans Ifrah, Georges, op. cit., p. 508.
27 chiffres susceptibles d’être confondus, en donnant au Six un tracé toujours anguleux, tandis qu’on conservait au Neuf sa forme arrondie. » 18 Il montre que l’objet chiffre est lieu de manipulation, que c’est quelque chose que l’on appréhende différemment de la lettre. Les chiffres, lorsqu’ils entrent en Europe, sont des objets. Le premier manuscrit où apparaissent les chiffres qui ressemblent aux chiffres ghubar est un manuscrit espagnol daté de l'an 976 de notre ère, le Codex Vigilanus. Il présente les apices de Boecius, sans signe pour le « zéro » puisqu’il n’est pas nécessaire sur l’abaque. Les lettres rencontrent les chiffres pour pouvoir les expliquer, les chiffres sont un langage qui n’est pas auto-réflexif. À partir de ce moment-là, les calculateurs européens travaillent de plus en plus à la plume. Ils abandonnent les abaques pour les calculs manuscrits au moyen du zéro qui produisent une « arithmétique bien plus élégante et expéditive » appelée algorisme et inspirée des méthodes de calculs utilisées par les savants en Inde et au Moyen-Orient. Le Liber Abaci (livre de l’abaque), livre très influent de mathématiques, écrit autour de 1202 par Fibonacci, participe à la diffusion importante des chiffres arabes et du zéro manuscrits et à la généralisation de leur usage, notamment grâce à l’introduction du calcul par position et de la barre de fraction. Les chiffres manuscrits obtiennent une forme cursive relativement stable aux XIIIe et XIVe siècles. Celle-ci est officialisée et diffusée entre les XIVe et XVIe siècles par l’invention de l’imprimerie. Pour l’humanité, l’invention du chiffre est aussi importante que celle des lettres. C’est d’Inde que nous viennent les chiffres qui vont s’intégrer dans la culture alphabétique en Europe, comment cela s’est-il produit ?
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Gravure Margarita Philosophica, de Gregor Reisch, 1503. Elle figure la bataille entre algoristes (Ă gauche) et abacistes (Ă droite).
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Propagation de l’écriture des chiffre indo-arabes 30
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EUROPE
apices MACHREK
chiffres hindi
chiffres gohbar MAGHREB
INDE EGYPTE
Propagation d’une sélection des principaux systèmes d’écritures alphabétiques et syllabiques d’après Anne Zali, schéma dans l’Aventure des écritures
Propagation d’une sélection des principaux systèmes d’écritures alphabétiques et syllabiques EUROPE
d’après Anne Zali, schéma dans l’Aventure des écritures étrusque LATIN GREC
ESPAGNE
PHÉNICIEN arabe
ARAMÉEN
EUROPE
étrusquearabe ESPAGNE
arabe
Syriaque
ARABIE
GREC LATIN GREC
arabe
BRAHMI nagari INDE
EGYPTE
PHÉNICIEN
arabe
ARAMÉEN arabe
ARABIE
GREC EGYPTE
Propagation d'une sélection des principaux systèmes d'écritures régions du monde utilisant le sys- alphabétiques et syllabiques, d'après un schéma dans Zali, tème d'écriture latine Anne, L'Aventure des Écritures, naissances. systèmes consonantique syllabique alphabétique
arabe
Syriaque arabe
BRAHMI nagari INDE Propagation de l'écriture des chiffres Indiens.
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Ve - IVe s. av. J.-C. latin
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-700
étrusque
IXe s. av. J.-C.
grec
Formes des principaux alphabets qui ont donné d’un côté les capitales romaines utilisées aujourd’hui en Occident et de l’autre les chiffres nagâri.
-1000
Xe - VIIIe s. av. J.-C.
Ie - Ve s.
-515
IVe - Ve s.
av. -250
VIIe s
phénicien
araméen
syriaque
hébreu
arabe
brahmi
nagari
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ii.
les chiffres
dans
le texte
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Un système d’écriture étranger à l’écriture latine, celui des chiffres indo-arabes, s’est avéré assez efficace pour lui devenir indispensable. Ici nous verrons quels sont les enjeux anciens et actuels de la cohabitation de ces deux systèmes de signes.
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35 01. l’a da ptation à un système chi f f r es ou lettr es ?
01. Beaudoire, Théophile, Origine des signes numéraux, Paris, 1892.
a. les chiffres romains Avant l’apparition des chiffres indoarabes, on utilisait ce que l’on appelle les chiff res romains, dont nous nous servons toujours aujourd’hui et qui sont écrits avec des lettres. Ils fonctionnent à partir du système unaire, qui est le plus ancien système de numération, il n’utilise qu’un seul signe, répété autant de fois qu’il représente le nombre . Il a évolué en système additif pour devenir plus lisible et a donné lieu par exemple au système de numération qu’utilisaient les Romains. Une explication du système utilisé peut être celle de Théophile Beaudoire 01 :
Les signes numériques furent ensuite remplacés par des lettres, à l’image des Grecs qui eux-même tiraient leurs lettres numérales des Phéniciens. Le nombre avait donc son écriture propre qui fut absorbée par le latin et par l’alphabet. Inscription milliaire trouvée à Forum Popilii en Lucanie (province Salerne) datée entre 172 et 158 av. J.-C. (conservée au Museo della Civilta Romana, Rome). in Ifrah, Georges, op. cit. L’identification des chiffres se fait par la répétition de leurs différents signes qui les caractérise.
Extrait d'une page de Beaudoire, Théophile, Origines des signes numéraux, Paris, 1892.
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02. « La relation [des signes numériques utilisés en Italie] avec les lettres capitales romaines V, X, L, C, M plus tardives, apparaît être accidentelle, la ressemblance entre ces signes et les lettres les ayant transformés en celles-ci par étymologie populaire. » Cantor, Georg, Vorlesungen über Geschichte des Mathematik, vol. I (3e éd.), cité dans Cajori, Florian, A History of Mathematical Notation, v o l . I , Notations in Elementary Mathematics, II, « Numeral Symbols and Combinations of Symbols », Londres, The Open Court Company, 1928. 03. Ifrah, Georges, op. cit., III. L’invention des chiffres, chap. 9, « Un vestige des origines : les chiffres romains ? (p. 139-159) 1447
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M515
Hésitations entre les chiffres et les lettres dans des inscriptions lapidaires entre le XVe et le XVIIe siècles. La forme des chiffres semble ne pas être encore complètement fixée, le chiffre 5 passe par de nombreuses hésitations de formes. Dans le dernier millénaire reproduit, le souvenir de la tradition romaine persiste dans l’utilisation de la lettre M pour 1 000. Reproduction dans Munsch, René H., Modèles d’alphabets. Chiffres, Paris, Eyrolles, 1960.
ii « Accidental appears the relationship with the later Roman signs, V, X, L, C, M, which from their ressemblance to letters transformed themselves by popular etymology into these very letters. » 02 G. Ifrah nous explique que des signes similaires avaient été utilisés par des bergers barbares, qui utilisaient le principe du bâton à encoches et que les chiffres romains en seraient originaires 03. On peut voir dans le remplacement de ces signes par des lettres, mais surtout dans sa non-acceptation dans l’histoire des signes, une difficulté qu’ont les signes numéraux à se faire valoir. Est-ce pour le prestige qu’avaient les capitales romaines sur les inscriptions lapidaires que l’on a assimilé ces figures aux lettres de l’alphabet ou par souci d’utiliser un système le plus concis possible ? Claude Mediavilla, dans Histoire de la calligraphie, nous rappelle que « les grandes inscriptions romaines sont impériales et conçues pour en imposer » et que durant l’Empire romain, « l’écriture est un outil de domination et de gouvernement ». Ainsi les chiffres apparaissaient sur les inscriptions lapidaires comme des lettres, dans le même alignement qu’elles, et dissociés des groupes de lettres qui l’entourent par un point médian, le même qui est utilisé pour séparer les mots les uns des autres. Les signes numériques barbares ont été supplantés par les capitales romaines. Les chiffres romains sont les seuls signes numéraux utilisés en Occident jusqu’à l’apparition des chiffres arabes qui vont s’y substituer peu à peu grâce à leur simplicité de manipulation. Les chiffres arabes sont de nouveaux signes qui sont plus adaptés au langage arithmétique des nombres. En effet, les chiffres romains en Occident nécessitent pour les nommer de faire différentes opérations mnémotechniques (additions et soustractions), ce qui est laborieux et explique en partie pourquoi ceux-ci ne sont plus principalement utilisés. En imprimerie, leur usage est restreint aux nombres ordinaux peu grands, pour les chapitres, la date, l’ordre numérique
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À une époque plus récente, nous pouvons noter un usage remarquable de la cohabitation entre chiffres et lettres aux commencements des SMS. Pour des raisons économiques le chiffre est utilisé cette fois-ci dans sa valeur phonique.
Les chiffres romains peuvent aussi être différenciés par une barre horizontale supérieure.
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Arte dell’Abbaco, imprimé par Treviso, en 1478. De Remediis utriusque fortunae imprimé par Pierre de Olpe à Cologne en 1471, les chiffres indo-arabes apparaissent aux côtés des chiffres romains. Où l’on voit que le caractère utilisé pour le zéro est celui de la lettre ‘o’, celui du ‘1’ un ‘i’. Le dixième folio est aussi marqué avec un ‘x’ issu de la numération romaine.
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03. Beaudoire, Théophile, Origine des signes numéraux, Paris, 1892.
04. Herrenschmidt, Clarisse, Les Trois Écritures, op. cit. (p. 304).
39 des notes, des additions marginales et les signatures de l’imprimeur. Cependant, ce système a un fort pouvoir conservateur et les chiffres indo-arabes ne se font leur place que peu à peu dans le livre. Ils n’apparaissent d’abord que dans les tableaux, les calculs, les listes, avant d’apparaître au côtés des caractères romains. Le livre De Remediis utriusque fortunae imprimé par Pierre de Olpe à Cologne en 1471 est « le plus ancien ouvrage connu où les feuillets sont numérotés avec des chiffres dits arabes » 03. L’apparition des chiffres indo-arabes dans des contextes différents de ceux des lettres supportent les substitutions des caractères chiffres par des lettres sans entraver la lisibilité des différents contenus. Ces substitutions font partie de l’appropriation du nouveau système et de ses formes. Les chiffres n’étaient pas toujours utilisés, la lettre ‘o’ et le ‘zéro’ étaient souvent confondus. Dans le premier traité d’arithmétique imprimé par Treviso en 1478, le caractère ‘i’ était utilisé à la place du chiffre ‘1’. En effet une écriture des nombres avec des lettres donne une vision du nombre qui penche vers l’ordinalité. Dans la numération romaine, il n’y a pas de relations de grandeur entre les différents membres : le nombre 13 en chiffres romains, ‘XIII’ s’écrit avec plus de signes que le nombre 100, ‘C’. « L’utilisation de plus en plus grande du système hindou affirme la suprématie conceptuelle de la cardinalité, de la mesure et de la proportion. » 04 Ce que fait intervenir dans la société occidentale les chiffres et le système de numération indo-arabes, c’est la notion de nombre cardinal, d’entité qui entre en rapport avec d’autres. Les chiffres indo-arabes se caractérisent et s’écrivent dans le rapport qu’ils entretiennent aux autres dans le système de numération de position. Le zéro n’a pas de valeur ordinale, les chiffres indo-arabes penchent donc vers une vision cardinale du nombre.
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ii b. les chiffres en lettres Les chiffres servent avant tout à représenter le concept qu’est le nombre. Et l’on remarque qu’ils sont en effet beaucoup plus efficaces pour cela que les lettres. En effet, lorsque l’on utilise la langue alphabétique pour désigner un nombre, selon les différentes langues les nombres s’expriment différemment : en langue allemande, pour un nombre strictement inférieur à 100, on commence toujours par énoncer ou écrire les unités, puis les dizaines s’il y en a. L’écriture ou l’énonciation d’un nombre en allemand oblige donc à faire de nombreux aller-retour (voir schéma qui suit), une gymnastique toute différente de l’énonciation des nombres en français ou en anglais. En chiffres, la découpe sera toujours la même et donc son écriture dans un contexte dépourvu de la langue se fera toujours dans le même sens (dans une opération ou un calcul par exemple). ARiTHm.
CALCuL
FR
vingt-trois millions quatre cent cinquante-cinq mille six cent soixante-et-onze
05. « Lorsqu’ils sont écrit avec des chiffres, les nombres sont idéographiques. Pour le lecteur ils peuvent être cependant logographiques ; les lecteurs allemands liront 92 comme ‘zweiundneunzig’ tandis que les lecteurs français liront ‘quatre-vingtdouze’, mais les deux expressions renvoient au même concept que l’expression anglaise ‘nninety-two’ et dans ce respect notre système numérique est un système idéographique universel et parfait. » Noordzij, Gerrit, Letterletter, Vancouver, Hartley & Marks Inc., 2001 (p.90).
De
dreiundzwanzig millionnen vierhundertfunfundfunfzigtausendsechseinundsiebzig
« When written in numerals, numbers are ideographic. For the reader they might be rather logographic ; German readers will read 92 as ‘zweiundneunzig’ whereas French readers will read ‘quatre-vingt-douze’, but both expressions are adressing the same concept as the English expression ‘ninety-two’ and in this respect our numerical system is a perfect and universal ideographic system. » 05 Sans passer par le langage, l’image frappe plus facileSchéma d’écriture du chiffre 23 455 671 en arithmétique (ordre des chiffres), par le calcul, en français et en allemand. La flèche correspond au sens dans lequel le le nombre est énoncé par rapport à l’écriture en chiffres indo-arabes.
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06. Cajori, Florian, A History of Mathematical Notation, op. cit.
07. Flusser, Vilém, Petite philosophie du design, « Pourquoi, au fond, les machines à écrire font-elles du bruit ? » (p.53-57), trad. de l’allemand par Maillard, Claude, Paris, Circé, 2002. 08. Op. cit. (p. I).
09. Clarisse Herenschmidt étudie les monnaies graphiques qui sont des documents dans lesquels est rendue visible la concurrence entre les chiffres romains et les chiffres indo-arabes. Op. cit.
ment. Seulement, à partir d’une certaine grandeur de nombre le nom en lettres (‘million’, ‘milliard’) paraît plus lisible que d’inscrire la suite des chiffres (‘1 000 000’, ‘1 000 000 000’), le mot devient une image. Ainsi, Les grands chiffres étaient écrits en lettres pour faciliter la lecture, et pour certains grands nombres, réduire le nombre de caractères. Au XIVe siècle les comptables de Peruzzi à Florence utilisaient des chiffres romains et des chiffres en toutes lettres pour les grands nombres 06. c. deux matériaux différents Ces deux oppositions nous permettent de différencier deux pratiques qui sont liées l’une aux chiffres, l’autre aux lettres. En effet Vilém Flusser parle de gestes différents entre le calcul et l’écriture : en Occident, lorsque l’on écrit à la main on trace : « de gauche à droite, tout au long d’une ligne, un trait ondulé interrompu par endroits. C’[est] un geste linéaire. Quand on calcule, on sélectionne des petits cailloux pris dans un grand tas et on les rassemble en petits tas. C’est un geste ponctuel. » 07 Nous pouvons parler de deux « écritures » différentes, comme l’énonce la chercheur Clarisse Herrenschmidt au début de son ouvrage Les Trois Écritures 08. Elle différencie quatre façons d’écrire le nombre: ‘quatre’, ‘IIII’, ‘IV’ ou ‘4’. Ainsi ‘quatre’ écrit le nom du nombre (en langue française) et ‘4’ – ainsi que les deux autres termes – écrit le nombre comme unité arithmétique, qu’importe la langue donnée. Cela montre que le nombre a des propriétés et que les chiffres qui le représentent ont à voir avec ces propriétés. Les différents chiffres seraient donc utilisés lorsqu’ils désignent un nombre comme entité arithmétique tandis que l’alphabet serait utilisé pour indiquer le nombre comme entité linguistique. Il est intéressant de noter sur la pièce de monnaie 09 qui suit la présence des différentes façons d’inscrire une information numérique. C’est à partir des pièces
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10. Ibid. (p. 312).
11. Ibid. (p. 317-318).
Pièce de monnaie française (recto-verso) datant du règne de Henri IV.
de Henri IV en France, que « la langue vernaculaire s’imposa au détriment du latin, les chiffres arabes s’imposèrent à la place des chiffres romains » 10. En effet les chiffres romains, qui sont indicateurs du numéro d’ordre du monarque sous le règne duquel a été frappée la monnaie et participent à l’évaluation de la monnaie et à sa datation (chaque monarque créait une nouvelle monnaie), sont sur cette pièce suppléés par les chiffres arabes, qui indiquent la date de l’émission de la monnaie. Les chiffres écrits en langage vernaculaire (« double tournois ») sont utilisés pour noter la valeur de la pièce. « Quand ils apparurent sur les monnaies, ces chiffres notèrent d’abord la date, nombre à caractère ordinal, puis dès le XVIe siècle, l’expression de la valeur des pièces, la notation des unités, des multiples et des fractions, qui sont autant de mesures que de nombres cardinaux. La situation est donc complexe et curieuse, puisque ces derniers, impliquant une vision cardinale du nombre, conquirent en premier lieu la notation de l’ordinalité temporelle. » 11 Ces deux écritures différentes ont leurs lieux propres d’expression. Les chiffres arabes au départ de leur introduction dans le système alphabétique apparaissaient uni-
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12. « […] dans certains ouvrages techniques où les nombres reviennent souvent, où ils ont une importance considérable, et où il y a lieu de les comparer, notamment dans les travaux de statistique, il est nécessaire d'employer les chiffres, qui rendent le nombre plus apparent et plus facile à saisir. » Fournier, Henri, Traité de la typographie, A. Mame, 3e édition, 1870.
43 quement dans les listes, les tableaux, les calculs. D’ailleurs la plupart des manuels typographiques de l’époque où les caractères étaient fondus dans le plomb préconisent de fondre les caractères sur l’encombrement constant d’un demi-cadratin, pour mieux les insérer dans les tableaux comme les calendriers, ou dans les opérations arithmétiques. 12 Le code alphanumérique est adopté pour la notation linéaire faite de lettres, chiffres et divers signes de ponctuation. Chaque type de signes (en tout cas pour les chiffres et les lettres) est attaché à une utilisation différente et demande au scripteur et au lecteur de penser d’une certaine façon. Comment les lettres et le système de notation dans lequel elles s’inscrivent ont-ils absorbé les chiffres ?
X 1234567890 x 1234567890 02. 13. L’appellation chiffres elzéviriens, qui est celle qu’en tant que typographe j’utilise le plus, m’apprend que ces chiffres seraient propres aux caractères elzévir. Le caractère Elzévir original est dessiné par la famille hollandaise Elzevier au XVII e siècle pour ses propres éditions mais il donne son nom plus tard à tous les caractères qui l’imitent ou sont dessinés dans son style, c’està-dire par une forme élégante, une opposition modérée des pleins et des déliés et des empattements triangulaires. C’est une des catégories de la classification Thibaudeau. Ce nom a donc probablement été donné en opposition aux chiffres Didots (qui sont alignés sur la lignes de base et tous à hauteur de majuscule) et connotent une certaine excellence de la typographie, mais aussi un retour en arrière. 14. Jérôme Peignot les appelle chiffres français (Peignot, Jérôme, Du Chiffre, Paris, Jacques Damase, 1982), et Théophile Beaudoire chiffres mixtes (Beaudoire, Théophile, Origine des signes numéraux, Paris, 1892).
Le ch if f r e da ns le texte
a. l’insertion dans l’écriture Les chiffres suspendus appelés aussi chiff res elzéviriens 13, chiff res non-alignés, chiff res minuscules, bas-de-casse, ou oldstyle figures en anglais, Medievalziffern en allemand 14, correspondent au dessin des chiffres tels qu’ils apparaissent dans les manuscrits dès le XIIe siècle puis la forme dans laquelle l’imprimerie va les fixer. Il s’agit comme leur nom l’indique de chiffres qui sont suspendus aux lignes qui constituent la hauteur d’x, et dont les jambages et hampes sont prolongés de manière variable. Les tendances formelles des chiffres se sont rattachées aux tendances de l’écriture humaniste et à leurs calligraphies. Ces dessins de chiffres sont appelés chiffres minuscules (Minuskulziff ern en allemand) ou chiff res bas-de-casse car ils s’intègrent bien dans un texte qui comportent des lettres Chiffres alignés et chiffres suspendus en Adobe Garamond Pro Regular
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Ms.Thott.290.2º, manuel d’escrime par Hans Talhoffer, 1459, les ascendances et descendances des chiffres y sont déployées de la même façon. C’est donc la cursivité qui a inspiré les chiffres suspendus.
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Autographe d’Alde Manuce daté de 1499, où l’on voit que les chiffres prennent une forme cursive et se prolongent verticalement par rapport à la ligne d’écriture, de la même manière que les lettres humanistiques manuscrites.
Le occorenze humane Niccolo Liburnio, 1545, imprimé par Alde Manuce. Le chiffre chez Alde Manuce. Les chiffres sont plus maigres que le caractère italique utilisé.
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45 bas-de-casse, dont les différents caractères possèdent différentes hauteurs. Le dessin des chiffres se modifie et s’intègre à l’écriture latine, dont les Humanistes sont en train de fixer TUGboat, Volume 34 (2013), No. 2 les formes. 177
Figure 14: Politanus, Opera, printed by Aldus Manutius, 1498. Munich Digitization Center and Digital Library. http://daten.digitale-sammlungen. de/0005/bsb00050563/images/index.html?fip=193. 174.98.30&id=00050563&seite=903
Figure 16: Type specimen of Fran¸cois Guyot, circa 1565. Type Specimen Facsimiles, ed. John Dreyfus. b. dans la typographie chiffres sontLondon. donc1963. dessinés BowesLes & Bowes and Putnam, Original document Folger Library, Washington, D.C. Note pour l’imprimerie à partir duinmodèle de l’écriture manusnumero-typographical error of ‘6’ substituted for Figure 15: Error page of Hypnerotomachia Poliphili humanistique. Cependant, « les chiffres sont longtemps rotationally symmetrical ‘9’. (author unknown) printed crite by Aldus Manutius, Venice, 1499. Rochester Institute of Technology, restés universels, ils ne faisaient pas partie d’un caractère Cary Collection.
particulier, un peu comme les italiques au début de l’impres-
seems less15.likely, becausesion Griffo,avec or whoever cut the les caractères mobiles en plomb » 15. L’efficacité Pohlen, Joep, La Fontaine lettres, numerals, shouldaux have been able to cut a zero as well Cologne, Taschen, 2010. as the other numerals. du système indo-arabe induit leur utilisation de plus en plus 1499. A year later, Aldus did useet a zero grande ils properly deviennent des signes indispensables à desaligned with other numerals cut at a very small siner n’importe quelle famille de caractères. À partir size, on the “errata” page of thepour Hypnerotomachia Figure 17: Gaillarde by Robert Granjon, 1570. Type Poliphili printed in 1499 du (Figure 15).siècle, les chiffres XVIe arabes intégrés parmi Specimen Facsimilessont II, H.D.L. Vervliet and Harryles The Hypnerotomachia is composed in a large Carter, ed. John Dreyfus. Bodley Head, London, and caractères généralement attendus dans une fonte. Le spé(approximately 15 point) humanist roman typeface University of Toronto Press, Toronto. 1972. Original cimen de François Guyot semble être le premier cut by Griffo. The lowercase is based on the earlier document in Plantin-Moretus Museum,exemple Antwerp. de roman, but the capitals chiffres are new. Numerals in the Original approximately 9 point. arabes gravés et fondus pour chaque taille et style main body of the book are roman numerals, but in 16 16. de caractère, autour attributed de 1565 . Aux débuts l’insthe “erratta” page at the end, small Arabic numerals to Fran¸ cois Guyot (Figure 16),de circa 1565, Beaudoire, Théophile, op. cit. (approximately 60% of the x-height of the text face) displays complete Arabic numerals for several sizes of cription des chiffres indo-arabes dans le texte, ceux-ci sont are interposed. These numerals have the ring-shaped type. As in 15th century Arabic numerals, Guyot’s très visibles car ils nenumerals sont pas intégrés dans la composihad ascending and descending forms. The zero design that became standard for roman faces in zero is cut as a small ringOn roughly thevoir size the 16th century. See “20” in line 1 and “10” in line 2. comme tion typographique le sont lescircular lettres. peut a lowercase oh but without thick-thin shading. These examples suggest that Italian Renaissance dans l’exemple qui suitofque le chiffre n’est pas utilisé comme readers of humanist manuscripts and printed books Guyot’s types are cut in the style of Garamond, a lettrezero auwith sein d'un mot, et form soninintégrité pas would have been unlikely la to confuse capital canonical 16th centuryn’était typography, andresmay Oh; confusion could havepectée. occurred between zero and be the earliest example of Arabic numeralspar cut for Le caractère utilisé pouvait être différencié le lowercase oh. In most instances, however, numereach size and style of type by the punch-cutter and als and letters occurred in different contexts, which cast by the typefounder. would have lessened the chances of confusion. Where A specimen of a small (approximately 9 point) Spécimen de François Guyot, they did co-occur, numeral zero and lowercase oh roman, named “Gaillarde”, cut de by 1565, Robert Granjon, autour dans le style Garamond. were differentiated by different size and/or different is dated 1570, with the circular ring-form zero (Figductus, at least in type, where the more circular ure 17). (The cutting is very fine, but the photo form and lack of thick-thin shading in the zero disreproduction of the printed specimen makes it look tinguished it from the humanist oh, which did have rougher than it is.) thick-thin shading. Thus, during the second half of the 16th century, Later, in the 16th century and especially in Arabic numerals became incorporated into common France, Arabic numerals gradually became more ofexpectations of what characters a “font” contained — ten used with roman typefaces. A type specimen at least capital and lowercase letters, punctuation, Oh, oh, zero!
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On peut voir dans cette page d’un Incunable datant de 1487, un exemple de comment les caractères gothiques. Il n’existe pas de chiffre gothique en caractères imprimés.
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Dans ce livre de Pierre de Belloy imprimé en 1587 par Pierre Haultin, l’espace supplémentaire qui permet de justifier les lignes du paragraphe ont été insérés à l’intérieur-même du chiffre. Cela nous donne un 1424 et un 1426 qui trouent le texte, et un 1423 dont le 3 se sépare.
de/0005/bsb00050563/images/index.html?fip=193. 174.98.30&id=00050563&seite=903
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Figure 15: Error page of Hypnerotomachia Poliphili (author unknown) printed by Aldus Manutius, Venice, 1499. Rochester Institute of Technology, Cary Collection.
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Figure 16: Type specimen of Fran 1565. Type Specimen Facsimiles, ed Bowes & Bowes and Putnam, Lond document in Folger Library, Washin numero-typographical error of ‘6’ su rotationally symmetrical ‘9’.
seems less likely, because Griffo, or whoever cut the numerals, should have been able to cut a zero as well style, qui ne respecte pas les mêmes règles typographiques as the other numerals. que le texte, l’interlettrage n’étant pas le même. Le 1499. A year later, Aldus did use a zero properly dessin de nouveaux chiffres voit ensuite le jour. Les chiff res aligned with other numerals cut at a very small modernes ou chiff res alignés, ou chiff res anglais, 17 ou encore 17. size, on se the “errata” Ces chiffres développent en page of the Hypnerotomachia Figure 17: Gaillarde by Robert G Angleterre et en Écosse et d’après chiff res capitales, correspondent à la forme des chiffres la Poliphili printed inThe1499 (Figure 15). Bringhurst (Bringhurst, Robert, Specimen Facsimiles II, H.D.L. Ver elements of typographic style, 1996), sont plus répandue aujourd’hui. Apparu au XVIIIe siècle, leur desHypnerotomachia is composed in a large inspirésThe des enseignes anglaises du Carter, ed. John Dreyfus. Bodley H XVIII siècle. sin correspond à la modernité Didones.ofLes nouveautés (approximately point) humanist roman typeface des University Toronto Press, Toront Bigelow, Charles, « Oh, oh, 15 zero ! », in TUGboat, Vol. 34, nº 2, www.tug.org/ typographiques incluent une augmentation du contraste Muse cuttugboat/contents.html, by Griffo. 2013. The lowercase is based on the earlier document in Plantin-Moretus roman, but the capitals arepleins new. et Numerals in the Original approximately 9marpoint. entre déliés, qui est alors particulièrement main body of the book are roman numerals, but in qué; des empattements très fins, sans transition avec le fût ; the “erratta” page at un the axe end,vertical ; small Arabic numerals attributed Fran¸ cois Guyot un petit œil, mais surtouttoun nouveau jeu (Fig (approximately 60% of x-heightCes of the text face) displays Arabic dethe chiffres. nouveaux chiffres sont complete tous alignés surnumerals la are interposed. Thesemême numerals have the ring-shaped type. As in 15th century Arabic ligne, qui correspond à la hauteur des capitales, ou un numerals had ascending and desc zero design that became standard for roman faces in peu moins. Puis des chiffres ornementés apparaissent zero is cut as a small circular rin the 16th century. See “20” in line 1 and “10” in line 2. au XIXe siècle avec les premiers exemples de communication of a lowercase oh but without t These examples suggest that Italian Renaissance visuelle. Les chiffres sont stylisés à la manière des lettres, readers of humanist manuscripts and printed books Guyot’s types are cut in the styl et sont le lieu d’exubérances assez qui typ would have been unlikely to confuse zero with capital formelles canonical form in fortes 16th century intègrent le chiffre accessoire Oh; confusion could have occurred betweencomme zero and be the typographique. earliest example Aux of Arabic côtés de la lettre, il doit être visible de la même manière, lowercase oh. In most instances, however, numereach size and style of type by the et les imprimeurs s’emparent vite divers et als and letters occurred in different contexts, which très cast byde thechiffres typefounder. variés, monumentaux, décoratifs. LeA dessin des chiffres would have lessened the chances of confusion. Where specimen of a smallse(appr they did co-occur, numeral zerolaand lowercase oh roman, named “Gaillarde”, perd dans profusion de formes typographiques qui appa-cut b were differentiated byraissent, different size and/orundifferent is sur dated 1570,lewith the circular ri il devient accessoire lequel typographe ductus, at least in type, where the more circular ure 17). (The cutting is very fi peut s’amuser. form and lack of thick-thin shading in the zero disreproduction of the printed speci tinguished it from the humanist oh, which did have rougher than it is.) thick-thin shading. Thus, during the second half o Erratum de Hypnerotomachia Later, in par the 16th century and especially in Arabic numerals became incorpor Poliphili, imprimé Alde Manuce à Venise en 1499. France, Arabic numerals gradually became more ofexpectations of what characters a Chiffres du caractère ITC Bodoni ten used with roman typefaces. A type specimen at least capital and lowercase let Seventy-Two d’après une concepe
tion de Giambattista Bodoni (1798), distribué par la fonderie ITC (1994).
Selon Charles Bigelow, les premiers chiffres alignés apparaissent dans un caractère transitionnel tardif gravé par Richard Austin pour John Bell en 1788. Il s’agit ici de leur réhabilitation par Monotype en 1931.
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Affiche de réclame, 85 x 60 cm, sur signes.org, 1870
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Gras Vibert Exemple, Gras Vibert, n° 1, Deberny & Peignot. Les chiffres, afin de garder un jeu élégant de variations entre pleins et déliés, sont ornés de boucles et de courbes très distrayantes (Spécimen général, Gustave Peignot & Fils, Paris, 1923).
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Caractère de 5 line pica du Extraits du Spécimen de Balzac, Specimen de Figgins, 1815, re- 1828, page de 35 x 24 cm, reproproduit dans André, Jacques & duit dans ibid. Laucou, Christian, Histoire de l’Écriture Typographique, Le XIXe siècle français, Paris, Atelier Perrousseaux Éditeur, 2013.
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On en devient même capables, au XXe siècle, de réinventer des chiffres gothiques, qui sont une incohérence historique.
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Divers chiffres, que nécessitent les calendriers et les almanachs, comme ceux proposés ici par la fonderie Turlot. Ephémérides, n° 1, Spécimen général de la fonderie Turlot, Henri Chaix, gendre, & Cie, Successeurs, Paris, Éditeur Derriey, s.d. (fin XIXe - début XXe).
ii
51 03. résista nce
18. « L’atteinte aux nombres par les lettres concerne une violation de la pensée numérique par la pensée textuelle ». Flusser, Vilém, Does Writing have a future ?, « Letters of the alphabet » (p. 23-35), trad. de l’allemand par Roth, Nancy Ann (Die Schrift. Hat Schreiben Zukunft ?, 1987), Minneapolis, University of Minnesota Press, 2011. 19. « les lettres ont assujetti les nombres » Ibid.
1 2 3 4 5 6 7
2 3 4 5 6 7 8
3 4 5 6 7 8 9
4 5 6 7 8 9 0
a. les chiffres et leur lisibilité/intégrité D’après Vilém Flusser, qui en parle comme s’il s’agissait d’une dictature de la lettre, on a forcé les chiffres à se ranger en lignes avec les lettres. La lettre effacerait donc les particularités du chiffre. « The assault on numbers by letters concerns a violation of numerical by literal thought » 18. Il s’agit d’une caractéristique occidentale importante du code alphanumérique. L’ordre qui résulte de l’utilisation d’une machine à écrire ou d’un logiciel de traitement de texte correspond à l’écriture des mots à l’aide de lettres rangées sous forme de lignes mais non à celle des nombres : preuve que dans le code alphanumérique, « letters have overpowered numbers » 19. Mais les chiffres résistent. Comme sur les tablettes numérales de Sumer où les chiffres apparaissent dans un cheminement vertical. Il y aurait une pensée tabulaire du chiffre qui le rend imperméable à certaines règles de composition du texte. Reprenons l’exemple que Gerrit Noorzdzij compose dans son ouvrage Letterletter : De ces deux compositions de chiffres, il ressort que les
5 6 7 8 9 0 1
6 7 8 9 0 1 2
7 8 9 0 1 2 3
8 9 0 1 2 3 4
9 0 1 2 3 4 5
0 1 2 3 4 5 6
1 2 3 4 5 6 7
123456789012345678 901234567890123456 789012345678901234 567890123456789012 345678901234567890 123456789012345678
chiffres ont une meilleure « magnitude » arrangés dans une matrice plutôt qu’alignés sur une ligne. Ils semblent aussi plus gros et plus lisibles. Peut-être est-ce dû à une illusion d’optique ? Nous sommes habitués à voir une ligne de chiffres J’ai recomposé les exemples de Gerrit Noordzij avec le Garamond Adobe. À gauche la composition verticale est accentuée par de larges approches et un interlignage faible. À droite ce sont les lignes horizontales qui sont accentuées en diminuant les approches entre les chiffres et en accentuant l’interlignage.
52
Arte dell’Abbaco, imprimé par Exemple de page d’arithmétique, Treviso, en 1478. dans Boillot, L.-A., Cours complet d’arithmétique, 1838. Dans Smith, David Eugene, Rara arithmetica. A catalogue of the arithmetics written before the year MDCI (1551) with a description of those in the library of Georges Arthur Plimpton of New York, Ginn and Company Publishers, Boston & Londres, 1908
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ii
20. en anglais dans le texte (« islands of numbers »), Flusser, Vilém, Does writing have a future ?, « Letters of the alphabet » (p. 2335), op. cit.
53 comme un nombre et nous cherchons à identifier les unités, dizaines, centaines… Ces blancs réguliers font partie de l’image d’un nombre. Nous sommes habitués à « disséquer » un nombre écrit en chiffres. De plus, les chiffres se lisant de droite à gauche (conséquence de l’écriture indienne), les chiffres sont plus lisibles alignés sur la droite. Le chiffre a une architecture horizontale importante, de part le système dans lequel il s’inscrit, c’est-à-dire la numération de position : la colonne où se place le chiffre détermine sa place décimale. Vilém Flusser parle dans un article scientifique « d’îlots de chiffres » 20 qui sont plus visibles que le texte, et que l’on lit seulement pour relier et comprendre les différents îlots formés par les équations. Les lignes de texte décrivent les algorithmes comme dans un livre illustré, le texte décrit les images et les images illustrent le texte. Il en résulte des problèmes de composition texte/nombres. b. des règles de construction différentes La verticalité des chiffres résulte du canon de leur formes. En effet, probablement du fait de leur origine différente, les formes des chiffres ne se construisent pas de la même manière que les lettres et il faut user d’artifices différents des lettres pour les harmoniser avec un alphabet, comme, par exemple les fûts horizontaux, beaucoup plus présents qui nécessitent une inversion de graisse, que l’on remarque dans les spécimens de Figgins montrés précédemment. Les chiffres poussent à se poser de nouvelles questions de dessin que celles que l’on se pose pour l’harmonisation des caractères alphabétiques.
54
Olivetti Lettera 22, modèle phare des années cinquante, conçu par Marcello Nizzoli en 1950. Clavier français cette fois-ci, mais toujours aucune touche pour le ‘0’ et le ‘1’. Beaucoup de modèles de machines-à-écrire ne comportaient aucune touche pour le zéro et le 1, par souci d’économie de clavier. Le confort de l’écrivain était préféré à celui du lecteur.
ii
ii
ses of computing power at least one problem indefied easy solution: how ms of numeral ‘0’ (zero) so a human reader can hem.
55 04. coh a bitation TUGboat, Volume
34 (2013), No. 2
0ÒÓ Ø×ò OÕÖ óöõ zero
zero-slash
capital O
theta
zero-dot
capital Theta
capital O-slash
empty set
circle-slash math
circle-dot math circle-minus math circle-minus math alt
Figure 1: Zero and Oh: look-alike characters.
a. ambiguïtés Les supports d’écriture évoluent, et leurs utilisations aussi. L’apparition du code informatique et de la from handwriting reform, a fraught topic, to typosignalétique notamment rendent les chiffres de plus en plus graphic is no less problematic but présents.legibility, Nous allonswhich voir pourquoi, aujourd’hui, il n’est plus substitutes mass-produced, prefabricated for possible de penser les chiffres sans les lettres letters et que leur ee aspects of the zero-Oh dessin, au sein penmanship de l’alphabet, of lesprogrammers. rend interdépendants. En the wayward Not that of computing and typoeffet,solved avec l’ère à la fin du XXe et l’utithis the informatique problem of ambiguity in siècle displayed or the problem in the 1960s lisation de plus en en plus grande des chiffres aux côtés printed zeroes and Ohs, as exemplified by DIN 1450, s of practical solutions in des lettres, il devient nécessaire de pouvoir différencier les the most recent legibility and typography standard lettres et les chiffres entre eux. Au XXe siècle la lisibilité est to present. Third, examfrom the German Institute for Standardization (DIN, valorisée, les chiffres sont dépouillés d’éléments décoratifs. oblem in the typography 2013), which once again revisitstéléphonique). the perennial prob(de la page boursière à l’annuaire Charles naissance, and in English 21 lem of differentiating zero from Ohdeindifférenciation contemporary 21. Bigelow , présente ce nouveau besoin et uring the Industrial RevBigelow, Charles, « Oh, oh, zero ! », op. cit. analyse les différentes propositions avancées à partir des typography. pographic symbols. For années soixante in pour différencier les have lettres ‘o’ ou ‘O’ du Advances font technology complicated tation before typography, ‘zéro’. Je m’intéresse à ce cas, car il illustre l’une deslarger comthe problem by enabling fonts to contain much (1998). plexités de la cohabitation des chiffres avec les lettres et character sets, increasing the chances that several l’importance que le rapport entre les chiffres et les lettres confusable letters and symbols may appear in a font omputing joue dans les enjeux typographiques. Avec l’apparior especially scientific and tionfont des family, polices de caractèreinmono-chasses à lamathematfin du XIXe playfully entitled paper, ical publishing. Figure 1 shows a set of characters siècle, pour la machine à écrire, puis beaucoup utilisées à ndwritten Zero and Oh: similar to zero capitalde Oh, from Lucida Sans and l’ère digitale, lesand possibilités confusion entre les chiffres
and a Letter), or A Parng Between Handwritten mpilation and discussion 1958 and 1966 to disamms of zero and Oh. The ble more accurate reading ta by the keypunch operards for computer input. mer’s paper led to lasting t Bemer also helped de-
Lucida Math fonts. similaires(1967) aux ‘O’, ‘o’ The zero-Oh solutions proposedCaractères in Bemer et ‘zéro’ dans les polices de caractère Lucida Sans et Lucida Math include: a loop, flourish or stroke at thede top of Oh; a Charles Bigelow. slash through zero or Oh; a dot or dash in the center of Oh or zero; a rectangular shape for Oh but an elliptical shape for zero (or vice-versa); an Oh wider than zero; a lozenge orientation of Oh but square orientation of zero; a horizontal bar over Oh. One entry in the dossier briefly addresses the problem of differentiating numeral ‘1’ (one) from capital letter
56
ii deviennent problématiques et s’agrandissent. Avant l’apparition de l’informatique et des langages de programmation, l’ambiguïté chiffres-lettres était généralement résolue par le contexte. Chacun avait son support. Cependant, dans le langage informatique, les lignes de symboles mélangent souvent les caractères alphabétiques avec les caractères numériques, rendant le contexte insuffisant comme moyen de distinguer des caractères similaires.
22. Bigelow, Charles, op. cit.
b. l’informatique et le code alphanumérique Avec l’arrivée du matériel électronique, il y a un besoin important de distinguer les lettres des chiffres, par exemple la lettre capitale ‘O’ avec le chiffre ‘zéro’, ou la lettre ‘l’ (‘i’ majuscule ou ‘l’ bas de casse) du chiffre ‘1’. Des discussions commencent entre 1958 et 1966 pour tout d’abord éviter le maximum de confusions entre les formes manuscrites du ‘zéro’ et du ‘O’ 22 nous informe Charles Bigelow. Entrait alors en jeu l’efficacité de lecture des opérateurs de saisie qui transcrivaient les lan-
Propositions avancées pour dif- Les signes ‘zéro’, ‘O’, ‘o’, Theta’ et férencier le ‘zéro’ du ‘O’ dans ‘theta’ de la police de caractère l’écriture manuscrite. AMS Euler dessinée par Hermann Zapf et Donald Knuth, 1983.
ii
57 gages de programmations écrits à la mains à l’aide d’une machine qui les traduisait en perçant des cartes perforées. Plusieurs formes manuscrites sont alors proposées pour différencier le 0 du o :
‘O’ ou ‘o’ ‘zéro’
23. Bigelow, Charles, op. cit.
Il y a une certaine importance à ces changements qui affectent soit la lettre, soit le chiffre. Kerpelman remarque que la préférence de modifier l’un ou l’autre caractérise les humanistes ou les ingénieurs. 23 La forme du zéro a de l’importance, car ce signe représente le vide. Insérer une marque pleine dans l’intérieur vide du zéro, serait en contradiction avec laVolume forme TUGboat, 34 iconique (2013), No. de 2 ce signe. Mais nous
0Oo �� Figure 5: No Smoking symbols.
acter has code point hexadecimal 2205; Unies not separately encode zero-slash and circlestead considering them to be different visual Both forms can still be provided as alterphs within one font, as in the Lucida Math pe shown here. (To confound further, there hed-zero variant appearance for zero itself though seldom used in seriffed fonts — often in sans-serif monospaced fonts (Figure 9), ill discuss later.) e empty set forms do not begin to exhaust hed circle symbols. A circle with a slash not ng beyond the ring (‘⃠’) has been adopted pean (and some American) signage to signify ion — “no” or “not”. The prohibition slashed usually, but not always, in an orientation to that of the empty set, with the prohibih running from northwest to southeast but ty set slash running northeast to southwest. Exemple de langage de programmation qui mélange carache empty set symbol, thePL/1, prohibition symbol tères alphabétiques et caractères contains something to bemathématiques. negated, such as tte, as in Figure 5, which shows both oris. The prohibition symbol is at code point imal 20E0 in Unicode. l more: the mathematical operator “circled slash” (⊘) is oriented like the empty set but h does not protrude beyond the rim of the has code point hexadecimal 2298. And the ming language APL’s “circle-backslash” char⍉’) is encoded at hexadecimal 2349; it has varsible forms combining circle and backslash. d, though not strictly circular, let us not
zero
Oh
oh
Theta theta
Figure 6: Zero, Oh, oh, Theta, theta from the Euler
typeface by tellement Hermann Zapf.habitués à la forme de la lettre ‘o’, qui est sommes intégrée dans l’alphabet, qu’il est difficile aussi de décider (Figure 6). In the Euler roman typefaces (1987), quel elliptical Hermann Zapf propose dans son Zapf signe drew themodifier. zero as a narrow shape with a calligraphicEuler point at top and a rounded base, signes par un moyen caractère dethe différencier les deux almost as if it had been written with a pen in a single calligraphique en 1987. Ainsi ni le ‘O’ ni le ‘zéro’ ne sont abîcurved stroke. In contrast, the Euler Oh has a wider, més et aucune confusion shape. n’est Hence, faite inavec la lettre grecque smoother, almost super-elliptical the Euler typefaces, Zapf found a middle pathinclut for ‘theta’. En 1966 le code ASCII les lettres bas-deboth engineers and humanists: neither zero nor Oh case qui font apparaître de nouveaux risques de confusion, are marked by slashes, bars, dots, dashes, or gaps. Oh-like forms with interior marks represent tradientre le 1 et la lettre ‘I’ par exemple. ASCII, au contraire de tional Greek letters, capital and lowercase theta (Θ laatmachine écrire, les caractères ‘zéro’, ‘O’, ‘l’ hexadecimalà0398 and θ différencie at 03B8). et ‘1’ qui possèdent chacun leur code numérique. On remarque, dans différentes polices, que c’est souvent au
2.2
Patterns of marking and legibility
Upon first impression, the varied proposals by mathengineers, psychologists, and designers Enematicians, 1970 Hermann Zapf propose deseem modifier le ‘zéro’ comme suit.: to be in free variation. Some propose to modify en opposition à Vartabedian qui therejoignait zero, others to modify the capital Oh; some want Kerpelman. to add a diagonal slash, others to add a loop, others to add a dot, or a horizontal dash, or a projection. Some propose to reshape the curves of the zero, others to reshape the Oh, and at least one (Lo, 1967) suggests characters from another writing system, Chinese. Despite such variety, a few patterns can be discerned. One is that most of the proposals call for adding marks to existing forms, but none propose deleting parts of existing forms. Strokes and dots are to be added, but not gaps or breaks in contours. The addition of black marks is in keeping with
58
ii
TUGboat, Volume 34 (2013), No. 2
1IlB0
Futura (19
1IlB0
Helvetica (
Figure 7: FE-Schrift, designed by Karlgeorg Hoefer (with later modifications by others) for German vehicle registration plates. The gap in rectangular zero helps distinguish it from capital Oh; the serif arrangement of capital I helps distinguish it from numeral 1.
Le caractère FE-Schrift, dessiné par Karlgeorg Hoefer (modifié par d’autres auteurs plus tard) pour les plaques d’immatriculation de véhicules allemandes. (dans Bigelow, Charles, op. cit.) Comparaison de différents signes susceptibles d’être confondus dans les polices de carctère Univers (en haut) et OCR-B (en bas). Jeu standard de caractères de l’OCR-A, développé aux États-Unis à partir de 1961, reconnu comme standard par l’USASI, en 1966. Dans L’Œuvre
There is, however, at least one instance of an open gap to mark zero: on modern German vehicle registration plates, which use a font called FESchrift, originally designed by calligrapher and type designer Karlgeorg Hoefer (Figure 7). The zero is semi-rectangular and has a gap in the upper right corner, making it recognizably different from the Oh, which is an egg-shaped oval with unbroken contour. The numeral 1 is differentiated from the capital I in the size, orientation, and arrangement of serifs. Zero vs. Oh confusion was uncommon before the computer era in part because letter versus numeral ambiguity was resolvable by context. A round, open form amidst numbers was presumably a zero. A round, open form among capital letters, or beginning a sentence or a proper noun, was presumably a capital Oh. In computing, however, symbol strings often mix alphabetic and numeric characters, thus rendering context insufficient as a means of distinguishing similar characters. Among the proposals in Bemer (1967) is disambiguation of numeral one from capital I, though not from lowercase letter ‘l’ (ell). Few of the character sets used in computing in the 1950s and early 1960s included lowercase (American Standards Association, 1963), so there were fewer opportunities for confusion between numeral one and lowercase letter ell compared to those between zero and Oh. The numeral one vs. letter ell became more problematic when the 1966 revision of the ASCII character set Modèles utilisés pour les chiffres added lowercase. de l’OCR-A : Farrington 12FI, NCR C6000, The graphical forms RCA, of numeral one IBM and X9Alow120, Remington Rand NS-69-8, ercase ell had been differentiated traditional tyBurroughsinB2A, GE 59A-04, Farrington 7BI.where a pography but were merged on typewriters, single glyph and key was used for both graphemes. Character encoding standards distinguished those characters numerically, e.g. in ASCII the numeral one is decimal 49 and lowercase ell is decimal 108, or in Unicode hexadecimal, they are 31 and 6C respectively, but as visual designs in fixed-width fonts,
1IlB0
Frutiger (1
1IlB0
Lucida San
1IlB
Verdana (1
1IlB0
Lucida Gra
1IlB0
Frutiger N
1IlB0
Lucida Gra
Figure 8: Sa capital I, ell; at same body
3
Zeroes
Given the his and its trans stead of han contemporar are available used fonts ca lems: see Fig In sans-s between num is more diffic function to d and both from four serifs, a left shaped d the numeral serif distingu and ell.) In m lowercase as
ii
59
24. Bigelow, Charles, op. cit.
26. Osterer, Heidrun et Stamm, Philipp, Fondation Suisse, Adrian Frutiger. Caractères. L’Œuvre Complète, Birkhäuser, Basel-Boston-Berlin, 2008 (p. 179).
‘zéro’ que l’on ajoute un marqueur discriminant. Là encore, ce sont les humanistes qui l’emportent. «In most digital monospaced sans-serif fonts strict modernist design purity is subordinated to legibility » 24 Ainsi, on remarque que les détails particuliers de chaque caractères ne dépassent pas la structure globale de l’ensemble des différenciations et que les chiffres modifient à leur tour les formes des lettres au service de la lisibilité. c. signalétique et normes de lisibilité Les normes typographiques de lisibilité, pour la signalétique, les programmateurs, font apparaître des nouveaux dessins. Charles Bigelow fait par exemple remarquer l’intelligence de la proposition de Karlgeorg Hoefer dans sa fonte FE-Schrift, utilisée pour les plaques d’immatriculation allemandes. Les modifications apportées par Adrian Frutiger pour OCR-B changent l’idée que l’on a des formes des lettres. On plonge dans des répertoires qui ne sont habituellement pas mélangés mais auxquels l’on s’est déjà habitués (les scriptes avec les linéales et les polices à empattements) pour mieux identifier chaque caractère. La police de caractères OCR-B est une police monospace qu'Adrian Frutiger a développée en 1968 pour la fonderie Monotype pour faciliter la reconnaissance optique de caractères par des outils électroniques spécifiques. Elle est utilisée par les banques et pour les codes-barres. Cette police de caractères partage les intentions de la police OCR-A, mais est plus facile à lire pour l’œil humain, le cerveau, et a un aspect moins technique. Chaque caractère doit être différent de chacun des autres d’au moins 7 % pour éviter toute erreur d’interprétation par la machine. 25 Il devient nécessaire d’ajouter des empattements de différenciation, qui ne sont plus des styles puisqu’ils apparaissent dans des polices sans empattement, mais seulement des marqueurs. Un autre paramètre
60
ii est que souvent dans les polices de caractères linéale les chiffres sont à hauteur de capitale. Beaucoup de fontes mono-chasses réutilisent les caractéristiques données par Adrian Frutiger pour différencier les caractères similaires entre les chiffres et l’aphabet. (‘O’ en losange, ‘zéro’ rectangle pour OCR-A ; ’1’, ‘i’ capitale, ‘l’ différenciés par des empattements ou courbes). On voit la complexité de mêler les deux systèmes en laissant leur place à chacun mais en les différenciant. En entrant dans le matériel typographique, les chiffres ont rejoint les problématiques liées au dessin des lettres, s’y sont pliés, mais y sont aussi intervenus comme objets de nouveaux questionnements. Les lettres doivent prendre en compte leur présence. La rencontre et la cohabitation entre les chiffres et les lettres fait apparaître l’existence de deux moyens de description du monde qui révéleraient deux vérités différentes et qui s’entrechoquent. Aujourd’hui, avec l’informatique et le pouvoir grandissant qu’a la science, les nombres semblent plus adaptés au monde. Que nous promettent les chiffres ?
ii
61
63
iii.
La
promesse
des
chiffres
Où l’on voit que les nombres font intervenir une nouvelle dimension dans l’écriture alphabétique. Les nombres sont d’abord utilisés de manière concrète pour compter, mais ils sont aussi utilisés pour révéler. En s’intégrant dans un système qui n’est pas le leur, ils ouvrent l’alphabet sur une nouvelle réalité. Outils de mesure, d’ordre, de comptabilité, mais aussi d’interprétation, de jeu, de création. Les chiffres sont un objet de fascination, un outil merveilleux qui a envahi le monde.
iii
01. Zali, Anne (sous la direction de), L’Aventure des écritures. Naissances, Paris, Bnf, 1999.
02. Coumet, Ernest, « Cryptographie et Numérations », in Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 30e année, nº 5, 1975 (article disponible sur persee.fr)
03 D’après Georges Ifrah, le mot zéro apparaît pour la première fois à Florence en 1491. Étymologiquement, il vient du mot arabe sifr (qui vient lui-même du mot indien shûnya qui signifie à la fois vide et absence) qui désigne le vide, le néant. Fibonacci, dans son livre qui décrit les chiffres, utilise le mot latin zephirum qui fut simplifié en italien par zefiro, puis raccourci en zero. Ce même mot arabe donna Ziffer en allemand, cifra en espagnol, cipher en anglais et chiffre en français, mots qui désignent tous les signes numériques. Il peut aussi être utilisé en anglais ou en français pour un code secret (p. 509-512). Op. cit. 04. Französisches Etymologisches Wörterbuch, citation de Philippe de Commynes, 1486, article « chiffre ». 05. Herrenschmidt, Clarisse, op. cit.
65 01. le m ystèr e des nombr es « Qu’il s’agisse du nombre de caractères d’un système d’écriture (26 dans l’alphabet latin), de la position de chaque signe au sein de ce système (‘e’ en cinquième position), de sa valeur numérique éventuelle (60 pour la lettre arabe ‘sin’), de sa signification mathématique (π), ou encore de codage et de cryptage, l’écriture est depuis toujours étroitement liée aux nombres. 01 » Les chiffres ne sont pas que des instruments de calcul mais fonctionnent aussi bien que les lettres de l’alphabet comme matériel symbolique, comme nous le prouve la Kabbale. Des figures qui sont familières manquent de mystère, comme le remarque Ernest Coumet 02. Ce qui est devenu commun nécessite la création de nouvelles conventions qui introduisent de l’inconnu, du mystère. Et les chiffres ont pris ce rôle-là, que l’on retrouve dans la science kabbalistique, mais pas seulement. a. l’art de la cryptographie ou art de faire des chiffres et de déchiffrer. Le mot chiff re vient du latin médiéval cifra qui signifie zéro, lui-même provenant de l’arabe sifr, le vide 03. Le mot déchiffrer dérive du mot chiffre qui désigne des « lettres ou caractères numériques employés par convention à la place des caractères de l’alphabet dans une écriture secrète » 04. En effet, l’apparition en Europe des chiffres indo-arabes, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 mais surtout celle du signe pour zéro (‘0’) a été un tel bouleversement dans les pratiques des calculateurs occidentaux qu’ils ont longtemps été diffusés de manière secrète. Au moment des croisades, où les savoirs venus d’Orient se diffusent en Occident, la société occidentale est hostile aux concepts de vide et de rien, car Dieu est partout. « Ce qui parut diabolique dans la notation indo-arabe revient à la graphie d’un signe pour le vide » 05. Il ne peut donc y avoir un endroit sans rien. Le zéro est alors considéré comme hérétique et son utilisation est interdite. L’utilisation du zéro
66
Lettres numérales employées par différents peuples, in Beaudoire, Théophile, Origine des signes numéraux, Op. cit. Tableau des 27 lettres numérales hébraïques avec leur nom et leur valeur numérale. Elles se lisent de droite à gauche. Dans Eisenberg, Josy, Steinsaltz, Adin, L’Alphabet sacré, Paris, Fayard, 2012.
iii
Voici un exemple d’utilisation de la guématria. Aleph est la première lettre de l’alphabet, voici sur ce schéma une décomposition de sa structure formelle en deux ou trois autres lettres de l’alphabet hébraïque avec chacune leur valeur numérale, qui permettent par addition de ces valeurs d’attribuer une valeur à Aleph. Dans la décomposition de gauche, Aleph obtient ainsi la valeur de 26, qui correspond à la valeur de Dieu, Yahweh. Cela symbolise la croyance juive selon laquelle Dieu est au départ de toutes choses. Sur le site internet de Frank Colijn, Bible code research (consulté en mars 2016)
iii
67 s’est donc d’abord faite en Occident dans le secret, le mot zéro ayant été interdit, il est à l’origine du mot déchiff rer .
06. Zali, Anne, op. cit.
Les signes numériques sont dès leur apparition très liés au code. Cette inscription a été trouvée sur la tablette dite de l ’Exaltation d ’Ishtar, trouvée à Uruk et datant de l’époque Séleucide (entre 300 et 64 av. J.-C.). Il s’agit d’une mystérieuse signature et d’une énigme très ancienne où les noms des personnes sont transcrits sous forme de suites de signes numériques. Les signes numériques sont donc au cœur de l’idée de cacher quelque chose, depuis très longtemps. Les Mésopotamiens utilisaient le chiffrage des noms, et leur donnaient une valeur numérale. Leurs dieux portaient des noms de chiffres et les rois codaient leurs noms 06 en chiffres. Le monde semble être un livre écrit qu’il faut déchiffrer. b. des valeurs numériques cachées derrière les lettres Chez les Hébreux comme chez les Grecs, les caractères utilisés pour les lettres servent aussi pour désigner des nombres. Ce sont des lettres numérales qui permettent de coder les mots et d’y faire apparaître une double signification. Il semble qu’il faille toujours aller au-delà de ce que l’on dit, apporter plusieurs lectures au monde, qui n’est pas maîtrisable. Cette double lecture, cet aller-retour fait entre le mot montré et le nombre caché, permet de rendre compte d’une complexité du monde, et de rendre la description qui en est faite plus riche. Comme si les mots pouvaient contenir en secret un nouveau sens. La Kabbale désigne les mystères de la tradition mystique juive. Elles est très liée aux mathématiques et aux nombres et utilise les lettres numé-
Reproduction du chiffrement trouvé sur la tablette d’Uruk de l’Exaltation d’Ishtar, datée de l’époque Séleucide (publiée en 1914 par F.-H. Thureau-Dangin), dans Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, op. cit.
68
iii
07. On retrouve la même technique qui consiste à utiliser la valeur numérique des lettres chez les Grecs sous le nom de isopséphie. Ouaknin, Marc-Alain, op. cit.
08. Ibid.
09. Munari, Bruno, Il Quadrato, Milan, éditions Corraini, 2014.
rales hébraïques. Selon la mystique juive, le monde se serait créé avec les lettres de l’alphabet hébraïque. Marc-Alain Ouaknin définit la Kabbale comme l’« art de faire parler les chiffres ». La guématria, utilisée par les kabbalistes, est une méthode de dynamisation de la pensée qui régit les rapports entre les lettres et les chiffres. La Kabbale n’est pas une traduction, mais une proposition, une ouverture à partir des lettres au travers des chiffres. 07 Les chiffres permettent d’ « avoir accès aux lettres, à la combinatoire et à l’interprétation, qui ouvre des perspectives psychologiques nouvelles et dénoue des nœuds de langage et des situations difficiles. » 08
c. le ca r ré mag ique C’e s t une f igure intére s sa nte puisqu’elle met en jeu des chiffres mais aussi des lettres dans une forme particulière. Dans le livre que Bruno Munari dédie à la forme du carré 09, on peut lire dans une de ses nombreuses remarques que le carré représente le nombre (n) dans sa plus grande perfection et où tout élément arbitraire est éliminé. En effet sa base est répétée le même nombre de fois que l’unité est répétée dans la base, c’est à dire (n) fois. Un carré est magique parce qu’il pousse à la réflexion et au Carré magique de Dürer, de constante 34, situé dans son œuvre Melancholia. on peut y lire la date 1514 au milieu de la ligne de base.
iii
69
10. Polge, Henri, « La Fausse Énigme du carré magique », dans Revue de l’histoire des religions, vol. 175, nº 2, 1969 (article en ligne sur persee.fr).
11. Ibid.
Un des carrés magiques les plus célèbres, le carré magique SatorRotas trouvé sur une incription à Oppède en France. La plus ancienne apparition de ce carré magique date de 79, à Pompéi.
jeu autour des positionnements des chiffres et des lettres entre eux. Le calcul permet de vérifier la stabilité du carré. Ainsi, en additionnant dans le carré magique les nombres situés dans chaque case de chaque ligne, de chaque colonne (et parfois de chaque diagonale), de ce carré on obtient une même somme. Un exemple d’un carré magique très célèbre, est le Sator-Rotas dans lequel les lettres d’une phrase sont composées dans un carré de 5 cases sur 5 de manière à lire de haut en bas, de bas en haut, de gauche à droite et de droite à gauche. La phrase peut aussi être lue en boustrophédon. Ce carré magique est connu sous le nom de sator et c’est une « construction praséomorphe anacyclique à quadruple entrée » 10. La stabilité du carré magique est vérifiée par la signification de la phrase qui reste identique peu importe le sens dans lequel on la lit. Ce carré magique a donné lieu à plusieurs interprétations car evidemment cette construction géométrique se fait au détriment d’une logique strictement lexicale. Ce genre de jeu littéraire qui privilégie la forme au sens « condui[t] à peu près immanquablement, sinon à l’absurde, du moins à l’insolite » 11. Les chiffres permettent d’aller au delà d’un sens unique et univoque. Ce ne sont pas ici des chiffres qui sont figurés mais le nombre 5 en est la règle d’organisation. Dans cette phrase de 5 mots de 5 lettres se range dans un carré de 5 cases sur 5 cases. Grâce au nombre 5 dissimulé derrière cette phrase et sa composition spatiale, le texte devient une f igure géométrique. Ce sont les chiffres que lui procurent une stabilité géométrique. Ainsi n’impor te quel ca rré ma gique fonctionne tout autant lorsqu’on fait effectuer aux difféMédaillon porte-bonheur portant le même carré magique en grec. Il est censé éloigner les mauvais esprits et protéger des maladies.
particulièrement Paul Pichaureau qui a corrigé une première version de cet article 70 iiicomme une copie de bac (et s'il reste des erreurs, c'est que je les ai introduites depuis !).
Figure 30 — Comparaison de divers modèles de la Renaissance ; d'après [Tuf94, p.113]
iii
12. Christin, Anne-Marie, L’Image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995.
71 rentes cases qui le constituent toute rotation par rapport au centre, mais aussi diverses symétries. Ce que l’on trouve dans le carré magique, c’est l’idée que ce qui se passe dans un microcosme permet de représenter ce qui se passe à une échelle plus grande. La stabilité vérifiée par les chiffres dans ce carré quelle que soit sa position peut être projetée sur le monde extérieur. Or, les images ouvrent à la rêverie et sont une manière différente d’approcher l’homme, par la poétique. La forme du carré magique est donc importante parce qu’elle produit une mise en mouvement, une dynamique, alors même que c’est sa stabilité numérique qui en fait la magie. Les chiffres permettent ainsi d’aller ailleurs, de sortir du familier. Les chiffres et les nombres jouent le rôle de complément au langage, et permettent de cacher des vérités inconnues, nouvelles. Le nombre, par la spatialisation qu’il met en place, permet de rendre active la surface d’écriture. Il joue le rôle de la part visuelle de l’alphabet dont parle Anne-Marie Christin 12, qui lui « restitu[e] sa plénitude active d’écriture ». 01. Les chif f r es ont colonisé le milieu de l a lettr e a. dans la typographie À partir de la Renaissance, le chiffre vient s’immiscer au sein même de la lettre, dans sa structure, pour en définir l’identité. Durant tout le XVIe siècle, les graveurs essaient d’appliquer une grille de construction géométrique à la lettre. Ils cherchent l’harmonie dans la géométrie et le calcul. Différents auteurs se proposent d’expliquer les formes des lettres et leurs proportions à l’aide de la règle et du compas. Ces formes sont construites par la stabilité du nombre qui leur donne une puissance, une légitimité, une supériorité. Dans tous ces dessins, la capitale romaine, grâce à la démonstration de la régularité de ses formes par la géométrie, y est décrite comme une forme immuable et
Ces recherches formelles autour d’une forme qui serait mathématique, immuable, ne concernent que très peu la forme des chiffres.
Comparaison de divers modèles de la Renaissance, d’après Tufte, Edward, Visual Explanations – Images and Quantities, Evidence and Narrative, Graphic Press, Cheshire, 1997 (dans André, Jacques, De Pacioli à Truchet : trois siècles de géoétrie pour les caractères, 13e colloque InterIREM d’épistémologie et histoire des mathématiques, 2002).
72
iii
iii
13. Fournier, Henri, Traité de la Typographie, A. Mame (3e édition), 1870.
Planche imprimée du Romain du Roi, 1695 (dans Jammes, André, La Réforme de la Typographie Royale sous Louis XIV. Le Grandjean, Paris, 2e éd. (1961), Librairie Paul Jammes, 1985.
73 objective. La lettre se découpe, se divise et les formes qui la composent s’y ordonnent de manière à lui accorder symétrie. Le traité De Divina Proportione, du mathématicien Luca Bartolomes Pacioli et illustré par Léonard de Vinci, publié à Venise en 1509, est consacré aux propriétés de la proportion mathématique et présente un alphabet antique tracé à la règle et au compas. Lucas Pacioli démontre la présence des « divines proportions » dans la lettre monumentale latine, c’est-à-dire du Nombre d’or. Les graveurs se font géométriciens de la lettre et l’abordent au travers de ses rapports mathématiques, ses proportions, son harmonie. De la même manière que dans le carré magique, le nombre présent en arrière-plan semble être garant de sa stabilité et de sa force. Mais la lettre ne peut être entièrement décrite par les mathématiques, elle aussi résiste au nombre et à sa dimension objective, raisonnée. Le caractère Romain du Roi (1695-1740), est l’aboutissement de ces différentes recherches. La Commission Jaugeon se consacre à l’élaboration d’un modèle mathématique et géométrique de caractères pour satisfaire à la demande de Louis XIV. Dans la conception du Romain du Roi , la typographie se sépare complètement du geste de l’écriture et il est établi sur une grille de mathématiciens, qui est une des premières échelles de caractères. Les caractères ne sont plus désignés par des noms comme Parangon, Gaillarde, Petit-romain ou Nompareille, mais par leur corps en chiffres. Un caractère se définit par sa mesure. Il est décrit comme « froid, figé, sans vie ». 13 Le chiffre est encore plus présent depuis que l’on mesure et que l’on définit la force de corps d’un caractère en points, le chiffre qui mesure raisonne la lettre. Les modèles de lettres chiffrés auxquels ces travaux donnent lieu se sont beaucoup répandus pour la représentation en grand, pour les peintres en lettres par exemple. Dans cette nouvelle approche constructive de la lettre, il est nécessaire de savoir
Moreau de Dammartin, Typologie o u De s c r i pt i o n Pr a t i q u e e t Détaillée des Caractères Alphabétiques Latins, Français, Anglais, Gothiques et Allemands, à l’usage des Sculpteurs, Fondeurs, etc. et Particulièrement déstinée aux Peintres en bâtiments, Paris, Imp. Lith. de J. Cluis, 1850.
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Déclinaisons du caractère Univers (Univers 55 ; Univers 53 ; Univers 65 ; Univers 76). Specimen de l’Univers, de Adrian Frutiger pour Deberny et Peignot, 1959.
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14. Fred Smeijers, durant sa conférence au Printemps de la Typographie du 10 mars 2016, nous suggère d’arrêter de faire de la typographie uniquement en rentrant des nombres dans l’ordinateur, qui déconnectent le typographe de son travail.
Le dessin du ‘a’ dans la police de caractère Arial Black, construit à partir de courbes de Bézier et encerclé de chiffres qui permettent la mesure de l’espace de la lettre.
75 compter. Aujourd’hui les caractères sont numérisés, et construits à l’aide de courbes de Bézier. Le dessin de caractères passe par la numérisation via un programme comme Fontlab par exemple, dans lequel une police de caractères est caractérisée par différents paramètres, il lui faut une hauteur d’ascendance, de descendance, une hauteur d’x, une hauteur de capitale. Les chiffres ornent le tableau de notre fenêtre de création de caractère et définissent la lettre, ses contours, son encombrement. Ils encadrent littéralement la conception typographique. 14 Adrian Frutiger rend visible ces chiffres qui sont maintenant les paramètres d’une fonte, concevant pour nommer ses caractères un système de code numérique, qui identifie chaque déclinaison d’une même famille de caractères. Exemple du caractère Univers dessiné en 1957 pour la fonderie Deberny & Peignot.
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Structure des proportions idéales dans un manuscrit médiéval déterminé par Jan Tschichold; 1953. La zone de texte est proportionnée selon la Section Dorée.
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« Everybody knows, at least from hearsay, the proportions of the Golden Section, exactly 1:1.618 » (Tschichold, Jan, « Consistent Correlation between Book Page and Type Area », in The Form od the Book . Essays on the Morality of Good Design, compilation d’essais parue à l’origine en 1975, trad. de l’allemand par Robert Bringhurst Vancouver, Robert, Hartley & Marks, 1991.
Spirale du nombre d’or.
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15. Fournier, Henri, op. cit.
16. Ifrah, Georges, op. cit., « Introduction », p. 8.
b. au sein du livre De la même manière que pour la lettre, l'organisation de l'espace typographique au sein du livre s’idéalise par le chiffre depuis la Renaissance. C’est le Nombre d’or qui harmonise la page. Le rectangle d’or est une construction d’après le Nombre d’or, qui est le rapport du plus grand côté sur le plus petit. Le Nombre d’or étant retrouvé partout, la croyance générale est qu’en l’utilisant on garantit l’harmonie, l’universel et le plaisir esthétique. Certains pensent que nous avons une préférence innée pour l’esthétique du rectangle d’or. Les chiffres ont fait leur place au sein du livre et y ont trouvé des espaces qui leurs sont réservés et dans lesquels on les comprend immédiatement. Ils ordonnent notre espace et encadrent nos déambulations, que ce soit à l’intérieur d’un livre ou dans un nouveau bâtiment. « Il est certains nombres qui, suivant une convention typographique, sont parties intégrantes de différentes séries d'objets qu'il devient inutile d'exprimer parce que la position constamment uniforme des chiffres les fait suffisamment connaître. Ainsi, lorsqu'en ouvrant un livre on aperçoit à la ligne de tête un nombre placé, soit au milieu de cette ligne s'il n'y a pas de titre courant, soit dans le cas contraire à l'extrémité de la ligne près de la marge extérieure, on sait que ce nombre appartient à la série des folios, bien qu'il ne soit accompagné d'aucune indication. On sait pareillement que le nombre placé au commencement de la ligne de pied est le signe de la tomaison, et que celui qui est rejeté à l'autre bout désigne la feuille ou partie de feuille, suivant la règle fixée à cet égard pour chaque format. » 15 c. dans la littérature « Les chiffres sont une substance poétique. » 16 En effet les chiffres sont un grand support de jeu et de créa-
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17. Queneau, Raymond, « Littérature potentielle » (extrait d’un discours de 1964), in Bâtons, Chiffres et lettres, Paris, Gallimard, 1965, (p. 11).
iii tion au sein de la langue. La poésie littéraire versifiée est caractérisée par des formes particulières, régulières et systématiques de vers, de groupes de vers ou de poèmes entiers. Ces formes sont définies par des chiffres particuliers : l’alexandrin est un vers composé de 12 syllabes et le sonnet est un poème composé de 14 vers qui peuvent êtres répartis en 2 strophes de 4 vers puis 2 strophes de 3 vers, ou bien une strophe de 6 vers à la fin. L’alexandrin caractérise un texte classique, lui apporte de la théâtralité. C’est aussi une rigueur à laquelle la poésie classique se plie. Le nombre 12 donne une structure et un cadre à la créativité. Le nombre crée un rythme qui transforme l’écoute, ou la lecture en comptage. Les membres de l’Oulipo (OUvroire de LIttérature POtentielle) dont l’un de ses objectifs est de « proposer aux écrivains de nouvelles ‘structures’, de nature mathématique ou bien encore inventer de nouveaux procédés artificiels ou mécaniques à l’activité littéraire » réunissent mathématiques et littérature. Pour Raymond Queneau, les structures chiffrées permettent d’apporter aux artistes des « soutiens à l’inspiration », une « aide à la créativité » 17. Les chiffres apportent un soutien aux mots, ils permettent de jouer avec. Je pense au célèbre Cent mille milliards de poèmes, livre animé de poésie combinatoire de Raymond Queneau, publié en 1961. L’objet-livre de R. Queneau, mis en page par Robert Massin, offre au lecteur un instrument qui lui permet de combiner des vers de façon à composer des poèmes respectant la forme du sonnet : 2 quatrains suivis de 2 tercets, soit 14 vers. Queneau, dans sa préface, s’amuse et se plaît à calculer les potentialités de son texte. « En comptant 45 secondes pour lire un sonnet et 15 secondes pour changer les volets à 8 heures par jour, 200 jours par an, on a pour plus d’un million de siècles de lecture, et en lisant toute la journée 365 jours par an, pour 190 258 751 années
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18. Queneau, Raymond, Cent Mille Milliard de Poèmes, Paris, Gallimard, 1961.
19. Lapacherie, Jean-Gérard, « De l’idéographie et de ses enjeux en poésie », RiLUnE, nº 8, 2008.
20. Christin, Anne-Marie, L’Image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995.
79 plus quelques plombes et broquilles (sans tenir compte des années bissextiles et autres détails). » 18 Le chiffre apparaît donc comme instrument riche de créations. Il intervient dans l’art aussi, comme nous pouvons le voir avec les artistes Richard Kostelanetz, Guy de Cointet, François Morellet. Ce nouveau langage offre de nouvelles possibilités. Jean-Gérard Lapacherie, les chiffres sont des signes hétérogènes à la langue alphabétique qui devraient être valorisés au sein du texte car ils l’enrichissent de leur étrangeté. Selon lui, « En Europe, les imprimeurs ont imprimé des livres qui se caractérisent par “l’uniformité” ou “l’harmonie” de leur typographie ». Introduire des images et de l’idéographie, ce serait « rompre avec l’uniformité et y préférer l’hétérogénéité », qui est plus en rapport avec le monde réel, «divers et fluctuant». Les poètes du XXe siècle auraient montré du doigt les idéogrammes et apporté un éclairage « alors que tous les pédagogues et savants [restaient] aveugles à ce qui fait leur écriture ». 19 Les chiffres seraient donc aussi capables que les lettres de raconter des histoires. Les chiffres sont aujourd’hui partout, ils ont un pouvoir créatif et créateur, mais ils sont aussi des dictateurs de notre monde. Anne-Marie Christin parle du « caractère iconique des formules algébriques » qui ont la « capacité de révéler une vérité inattendue » 20. Derrière toutes les merveilles des temps modernes, le langage de l’univers se cacherait-il ?
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Diverses œuvres d’artistes qui s’approprient les chiffres. Cointet, Guy de, Puissance 2, dans le journal auto-édité ACRCIT, 1971. Morellet, François, Négatif n°8 (d’après π Strip-teasing 1=10° sur la pointe, 2005), 2010. H e i l e, E r w i n , d a n s l e l i v r e Stankowsk!. Kostelanetz, Richard, Short Fiction,
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81 03. un e société de chif f r es ou les chif f r es com me v érité du monde
21. Galilé cité dans Ouaknin, Marc-Alain, op. cit.
22. Reisz, Richard, McCabe Dan, Le Grand Mystère des mathématiques (The great maths mystery), États-Unis, 2015, 53mn), diffusion le 15 janvier 2016 sur Arte.
23. Guedj, Denis, L’Empire des nombres, 53', Trabs Europ Film, 2001.
24. Flusser, Vilém, Petite Philosophie du Design, op. cit.
a . la t héor ie des nombres Py thagore dit « Tout est nombre ! ». Il a cherché, au VIe siècle avant J.-C., à donner un fondement numérique à la connaissance de la nature. En effet, nous pouvons aujourd’hui remarquer que, dans la nature, les nombres sont omniprésents : les nombres de pétales de fleurs appartiennent à la suite de Fibonacci; π apparaît dans beaucoup de phénomènes qui concernent l’aléatoire. « Le monde est un livre écrit en langage mathématique. » 21 Les chiffres paraissent donc régler l’ordre de notre monde et ont donné naissance à cet outil que sont les mathématiques qui sont une des plus grandes découvertes de toutes les civilisations. Mais la réalité possède-t-elle une nature mathématique inhérente ou les mathématiques sont elles uniquement le produit de notre cerveau ? 22 « À partir de la Renaissance s’est imposée cette façon de connaître le monde qui place le nombre au centre de son dispositif. Connaître un phénomène, c’est l’exprimer par une loi entre grandeurs physiques mettant en jeu des rapports quantitatifs. » nous dit Denis Guedj dans son reportage 23. Cependant, comme le remarque Vilém Flusser, « Peut-être le monde n’est-il calculable que parce que nous l’avons bricolé pour aller avec nos calculs. Ce ne sont pas les nombres qui correspondent à la nature du monde, c’est l’inverse : nous avons nous-mêmes accommodé le monde pour qu’il corresponde à notre code calculateur. » En effet avant d’être calculable, le monde était descriptible et les lettres de l’alphabet nous suffisait pour le décrire. « Hegel pensait par l’écriture (en discours ‘dialectique’), alors que nous pensons par le calcul (en traitant des données ponctuelles). » 24 « Le nombre est partout. À eux la responsabilité de dire tout le réel. La dictature du nombre
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Code-barres. Suite de chiffres qui Table du code ASCII, qui fait corpermet d’identification d’un pro- respondre à chaque caractère un duit et qui fait partie ces images nombre entre 0 et 27. que nous croisons quotidiennement.
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iii 25. Guedj, Denis, L’Empire des nombres, op. cit.
26. « Un texte scientifique diffère d’une fugue de Bach et d’une image de Mondrian principalement car il créé l’attente d’y trouver une signification sur un objet du monde dans lequel nous sommes, par exemple, des particules atomiques. Il cherche à être “vrai”, adequat à ce qu’il y a là. Les perceptions esthétiques sont face à une question potentiellement troublante : qu’est-ce qui dans le texte est en effet approprié avec le monde ? Les lettres ou les chiffres ? L’auditif ou le visuel ? Est-ce la pensée textuelle qui décrit le mieux les choses ou la pensée visuelle qui compte les choses ? Existe-t-il des choses qui veulent être décrites et d’autres qui veulent être comptées ? Et existet-il des choses qui ne peuvent ni être décrites, ni comptées – et pour lesquelles la science n’est donc pas appropriée ? Ou les lettres et les chiffres sont-ils des choses comme des filets que nous lançons pour attraper les choses, laissant tout ce qui n’est pas descriptible ni comptable disparaître ? Ou encore, les filets de lettres et de chiffres forment-ils en réalité eux-mêmes des choses descriptibles et comptables à partir d’une masse informe ? Cette dernière question suggère que la science n’est pas fondamentalement si différente de l’art. Les lettres et les chiffres fonctionnent comme le burin en sculpture et la réalité extérieure est comme le bloc de marbre duquel la science taille une image du monde. » Flusser, Vilém, Does Writing Have a Future, op. cit. (p. 25).
83 se profile. » 25 Les nombres et les chiffres qui la composent font partie de notre réalité, ou du moins, ce sont via eux que nous nous efforçons de la comprendre, en la décrivant et en la comptant. Voici une citation de Vilém Flusser qui s’interroge sur la valeur de ces signes : « A scientific text differs from a Bach fugue and a Mondrian image primarily in that it raises the expectation of meaning something “out there”, for example, atomic particles. It seeks to be “true”, adequate to what is out there. And here aesthetic perceptionis faced with a potentially perplexing question : what in the text is actually adequate to what is out there ? Letters or numbers ? The auditory or the visual? Is it the literal thinking that describes things or the pictorial that counts things? Are there things that want to be described and others that want to be counted ? And are there things that can be neither described nor counted – and for which science is therefore not adequate ? Or are letters and numbers something like nets that we throw out to fish for things, leaving all indescribable and uncountable things to disappear ? Or even, do the letter and number nets themselves actually form describable and countable things out of a formless mass ? This last question suggests that science is not fundamentally so different from art. Letters and numbers function as chisel do in sculpture, and external reality is like the block as marble from which science carves an image of the world. » 26 La question de savoir si lequel des systèmes entre celui des lettres ou celui des chiffres est le plus adaptés à notre monde et s’il convient de les conserver tous les deux est importante car elle définie notre rapport au monde. Le calcul est devenu le moyen d’analyser le monde, de le comprendre mais aussi
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iii de le construire, tout cela à l’aide de l’informatique.
27. Herrenschmidt, Clarisse, op. cit. (p. 395).
b. l'informatique Aujourd’hui l’informatique prend de plus en plus de place dans la vie quotidienne. L’ordinateur traite les informations d’un utilisateur à l’aide de calculs et de données traduites sous forme de nombres, qui ont pour unité premier le bit. « Tout organe d’entrée d’un ordinateur transforme les données en bits, de l’anglais BInary digiTs, “chiffres binaires” : le bit constitue la plus petite unité que traite un ordinateur, son signal de base. » 27 Il est incapable de comprendre le texte. Il faut donc faire un choix : quel nombre prend-on pour représenter la lettre ‘A’ ? Et pour les signes de ponctuation, quels nombres utiliser ? Il existe différentes conventions (ou codes). L’un des plus connus est le code ASCII (American Standard Code for Information Interchange). C’est un standard américain, mais c’est l’un des plus utilisés, en particulier sur la plupart des ordinateurs. Le code ASCII encode chaque caractère dans un espace de 8 bits, à l’aide d’une suite de 0 et de 1. Le code ASCII définit précisément la correspondance entre symboles et nombres jusqu’au nombre ‘127’. La lettre ‘A’ devient ‘65’, l’espace ‘32’. Son amélioration, le standard informatique Unicode, permet des échanges de textes dans différentes langues, à un niveau mondial. Il utilise le code hexadécimal. Ainsi, avec l’informatique, toute information ou commande est traduite en nombres binaires, que nous représentons par ‘1’ et ‘0’. Ce que nous lisons via notre ordinateur ou notre smartphone, ce que nous échangeons, ce que nous écoutons, ce que nous regardons, ce que nous apprenons, est assimilable à une suite de ‘0’ et de ‘1’. L’informatique conditionne l’outil du designer graphique et du typoraphe quand ils composent le texte ou numérisent les caractères.
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28. Smith, Ed, « Des chiffres et des êtres », Courrier International nº 1299 du 24 au 30 sept. 2015, Paris, trad. de l’anglais (d’après The Independent, Londres, 9 juil. 2015).
29. Le professeur Philip Nelson, directeur de l’Engineering and Physical Sciences Research Council [Conseil de recherche sur l’ingénierie et les sciences physiques] cité dans l’article du Courrier International, op. cit.
30. Guedj, Denis, L’Empire des Nombres, op. cit.
85 c. les données Depuis les récents progrès technologiques, nous sommes dociles face à la puissance des ordinateurs et à leur capacité à collecter un nombre considérable de données sur nous. « Notre capacité à être impressionnés par des traitements informatiques qui nous dépassent reste intacte » 28. Les données s’accumulent et pour ne pas perdre la tête, nous en confions la gestion à des algorithmes. Ce sont eux qui nous gouvernent. « C’est inquiétant, bien entendu, car nous vivons à l’ère de l’information. » Aujourd’hui existent des applications qui collectent : longueur d’une route, heure du jour, densité du trafic, limitations de vitesse, barrages routiers. « Il y a beaucoup de disciplines qui deviennent tributaires de cette science, notamment l’ingénierie, les sciences, le commerce et la médecine ». 29 Les algorithmes aident à réduire les partis pris et à prendre des décisions plus facilement. Mais ils sont incapables de capter le second degré, la complexité et la sophistication du sarcasme. Cela montre l’impossibilité de réduire les opinions à des chiffres. Les chiffres qui sont aujourd’hui des figures récurrentes de notre société et font partie de sa construction semblent ne pas être assez sensibles. Ils nous dés-humanisent même, et ces chiffres qui ont construits tant de choses, nous devons faire avec : « Nous voici accolés à de multiples numéros, fichés. Chaque individu identifié à un numéro devient localisable et identifiable. On peut savoir tout ce que l’on veut savoir de moi uniquement avec mon numéro de sécurité sociale. Un vrai danger pour nos libertés. Un seul ordinateur peut nous repérer pour tous les actes de nos vies. Ce n’est pas un rêve ou un cauchemar, c’est actuellement la réalité. » 30 Cette omniprésence de données importantes collectées en permanence rend l’information chiffrée de plus en plus utilisée. Le chiffre se montre pour analyser, décrire des phénomènes et il est utilisé pour montrer la réalité. Étienne Candel
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31. Candel, Étienne, « Une ration quotidienne de statistiques. La pratique éditoriale du “chiffre du jour” dans la presse écrite », in MEI, nº28 « La communication nombre », Paris, L’harmattan, 2008.
iii analyse la donnée chiffrée telle qu’elle est présentée dans la presse écrite : « le commentaire est réduit, comme si la donnée devait parler d’elle-même ». Le chiffre est utilisé comme élément d’information autonome qui semblerait pouvoir se dispenser d’éléments textuels, comme une vérité absolue. « Ces éléments [de mise en forme éditoriale] font du chiffre mis en valeur une unité minimale d’information : un informationnème ! » 31
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conclusion
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89 conclusion Les chiffres, dont l’omniprésence dans les sociétés d’aujourd’hui pose la question de leur assimilation, en tant qu’outils argumentaires, de manipulation, sont des objets particuliers, qui interagissent différemment des lettres avec le cadre qui les entoure, même s’ils font partie du même ensemble. Les lettres et le système de notation linéaire dans lequel elles s’inscrivent ont apprivoisé ces signes et les ont transformés en se les appropriant. On essaie de les faire cohabiter, avec le moins de ruptures possible, mais il y a heurt dans la fluidité du texte. Le chiffre en effet représente une réalité différente de celle des lettres et nécessite un mode de réception particulier. Le chiffre a toujours été un objet de fascination, associé à la vérité. Aujourd’hui notre monde est découpé en de multiples données et des nouvelles technologies comme celle du Big data nous promettent toujours de faire parler les chiffres et de les exploiter. Les chiffres sont utilisés de plus en plus intensivement et nous leur faisons de plus en plus confiance. Les chiffres, sous couvert d’objectivité, de transparence, d’exactitude, deviennent un outil de manipulation. Il me semble donc pertinent de penser le dessin des chiffres non pas en fonction de leur intégration dans l’alphabet mais en dialogue avec ces formes et en fonction du rapport qu’ils instituent avec le lecteur. En effet ces signes façonnent notre rapport au monde.
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remerciements
Merci à mes chers professeurs, Michel Derre, Julien Gineste, Raphaël Lefeuvre, Franck Jalleau, Arnaud Martin, Juliette Morice, Léa Walter, Michel Wlassikoff et en particulier Philippe Buschinger et Erell Guillemer, qui m'ont encouragée dans l'écriture. Merci à Pierre Milville pour sa relecture. Coucou à Margaret Gray aussi ! Merci à l'ensemble de mes camarades de classe, Victor Fonseca, Arthur Francietta, Cécile Garcia, Sophia Janowitz, Lucas Le Bihan, Jimmy Le Guennec, Pauline Le Pape, Théo Miller, Tallia Œster, Morgane Pambrun et Axel Pelletanche-Thévenart de partager cette étape du dsaa. Merci à Florence Rodriguez, la meilleure bibliothécaire qui soit, pour les références, le moral, la curiosité et la disponibilité ! Merci aux chercheurs du CNRS, Irène Passeron et Alexandre Guilbaud, pour leurs conseils et compléments à ma bibliographie. Merci à ma famille de me suivre dans ces études particulières, pour ses efforts de compréhension et sa capacité à gérer mon stress et à mes parents en particulier pour le soleil en février et pour leur relecture attentive. Merci à beaucoup de ceux que j'ai rencontrés qui ont nourri ma réflexion autour du chiffre. Merci à Hugo Anglade, Laure Afchain, Yoann Minet et Thomas Petitjean pour nous avoir permis d’utiliser l'Ostia Antica regular & italic.
Maquette Réalisation collective par les DSAA DT2 sous la direction de Julien Gineste Polices de caractère Ostia Antica regular & italic de Hugo Anglade, Laure Afchain, Yoann Minet et Thomas Petitjean ITC Tyfa book & book italic dessinée par Frantisek Storm et Josef Týfa. Papier Couverture : Sirio Color Vermiglione 290 gr Intérieur : Fedrigoni Arcoprint Milk White 120 gr Impression Imprimerie Launay, Paris Ve mars 2016
DSAA DT 2016
ch1ffr3r l3 73x73
CH1FFR3R L3 73X73 Océane Juvin