Cecilia Sanchez_CR Yves Michaud

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Sanchez Cécilia [21000246]

M4CCS

cecilia.sanchezp3@gmail.com

L2 S4 Médiation Culturelle

Compte-rendu de l’article de Yves Michaud, « Critique de la Crédulité. Le logique de la relation entre l’image et la réalité »

« Nous savons tous que les images sont produites », ainsi débute le texte d’Yves Michaud, intitulé « Critique de la crédulité. La logique de la relation entre l’image et la réalité », publié le 12 novembre 2002 dans la revue Etudes photographiques. Yves Michaud, philosophe, universitaire français spécialiste de l’esthétique en art contemporain, de philosophie politique autour de la question de la violence sociale, n’est pas un spécialiste de la photographie de presse et de l’image mais propose un texte au titre inquisiteur et annonce une polémique. Un texte critique donc, qui va chercher à comprendre la crédulité des hommes face aux images. Ce texte, publié dans une revue spécialisée et scientifique est la version écrite d’une intervention en septembre 2002 au colloque « Le photojournalisme en question », organisé dans le cadre du festival international du photojournalisme à Perpignan. Sa publication est relativement récente (dix ans) mais la décennie écoulée depuis sa publication a vu les médias changer leurs pratiques. Ce texte didactique propose un raisonnement et une démonstration qui suit le cheminement d’une photographie depuis sa prise de vue jusqu’à sa mise en contexte, de sa fabrication à son usage et à sa réception. Yves Michaud part d’un certain nombre de constats. Tout d’abord, nous savons tous au fond de nous-mêmes que les images ne sont pas les simples reproductions de la réalité mais quelque chose de construit, mis en scène dans un dispositif. Nous connaissons l’existence d’un facteur technique, qui se pose en intermédiaire entre la réalité et ce que nous voyons (photo, vidéo). Il existe aussi un facteur humain : le photographe ou le vidéaste. Le problème étant alors que nous prenons pour vrai ce que l’on nous montre, tout en étant conscients des facteurs humains et techniques entrés en jeu. Cela pose la question chez l’homme de la manière de concevoir et d’appréhender le réel. C’est un acte révélateur qui en dit long sur la fonction de croyance dans notre société dans laquelle les médias représentent le quatrième pouvoir. Il avance l’hypothèse selon laquelle les médias seraient des manipulateurs d’idées grâce aux images. La solution, selon lui, serait de se repositionner constamment, en retrait de ce que l’on voit, en une position critique constante et impérative, « inlassablement » et toujours. Yves Michaud porte une vision assez pessimiste sur ce positionnement de remise en question perpétuelle puisqu’il la compare au travail de Sisyphe : continuel, fatigant, abrutissant, punition des dieux pour avoir osé les défier en refusant de se soustraire à la mort. Un personnage absurde qui représente en même temps le désespoir de celui qui veut échapper à son destin et 1


la tentative d’achever un travail interminable. L’objectif de sa démonstration sera de montrer le contexte de production de l’image et l’importance de son évaluation selon les dispositifs intervenants.

Contexte d’apparition des images et réception Ces images nous arrivent en nombre considérable, soit isolées, soit en paquets, en tant que document illustrant quelque chose, un évènement, ou propulsées au rang de symbole. Mais elles sont toujours « prises dans un flux » c'est-à-dire qu’elles ne surgissent pas en tant qu’images en elles-mêmes mais au sein d’un dispositif, presque scénique comme le texte de théâtre sur une scène. Nous sommes saturés d’images dans le monde contemporain, comme le monde romain antique qui prônait un théâtre de l’image, et lance le début de la surreprésentation. Le contexte actuel d’un flux d’images débordant accroit la concurrence. Désormais, pour attirer l’attention du lecteur, les magazines doivent titrer et illustrer de manière choquante, excitante l’actualité. Il existe une certaine non-attention à l’image comme à l’information donc il faut du « dissonant », de l’original. Ainsi, c’est davantage avec nos émotions et non plus à propos de leur portée informative que nous jugerions les images ; ce qui explique peut-être l’escalade vers l’horreur et le sensationnel. Yves Michaud remarque une certaine dégradation de la pensée face à l’image à cause de sa banalisation. Mais en même temps, il constate que c’est un monde qui fonctionne désormais ainsi, dans la rapidité et la consommation. Par ailleurs, dans notre rapport aux images, nous sommes persuadés qu’elles ont une qualité de véracité du fait de plusieurs idées préconçues. En premier lieu, nous leur conférons aisément une valeur documentaire du passé, de témoin d’un évènement antérieur. Ensuite, une valeur objective, car elles sont diffusées dans le cadre de chaines d’informations (presse écrite, pure player, journal télévisé…) : on devrait pouvoir leur faire confiance. La démarche des photographes s’inscrit-elle dans un processus identique à la peinture de la Renaissance, le but étant de représenter au mieux la nature ? Est-ce un héritage des croyances de nos ancêtres à l’apparition de la photographie ? Baudelaire, dans son Salon de 1859, critique violemment la photographie, outil de béatisation et d’amollissement des masses selon lui, qui ne serait que la seule imitation de la nature, sans sentiment, une sorte de nihilisme de l’auteur. Il critique le public déjà béat devant tant de « véracité ». Enfin, nous attribuons à l’image photographique une seconde valeur objective, déterminée par la technologie du médium, et qu’ Yves Michaud appelle « l’objectivité de l’objectif ». Ceci est une grande naïveté quand l’on connait toutes les possibilités de falsification de la photographie et des documents en général qui existent, surtout aujourd’hui. Il est de plus en plus aisé de modifier une image, d’en détourner le sens grâce à sa mise en scène, à son éventuel rapport à d’autres images, « bricolées, montées et remontées, pour tout dire trafiquées et falsifiées. ». Le montage vidéo est la principale recette du Petit Journal de Canal + qui use et abuse de cette technique afin de susciter le rire et de tourner en 2


ridicule les hommes politiques. Récemment, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris à sa rédaction, critiquant cette falsification de la réalité. Mais c’est un procédé assumé, puisque leurs reportages font souvent apparaitre les journalistes pris « la main dans le sac », dictant des réponses à des enfants, par exemple.

La prise de vue : aléatoire et dirigée dans un contexte de logistique Selon Sébastien Calvet, photographe chez Libération, il est primordial de faire une image originale, de se distinguer par un point de vue personnel face à une foule de reporters. Il faut se rappeler que ce que l’on voit en photographie ou dans les reportages n’est qu’une partie du sujet. Se souvenir aussi qu’il n’y a pas toujours prise de vue et réfléchir au pourquoi de l’existence d’une image, par rapport aux images qui n’existent pas. La photographie a deux origines : amatrice (une prise de vue souvent accidentelle, due au hasard de la présence d’un témoin) ou professionnelle (qui implique une logistique). Les voyages de presse sont de plus en plus fréquents, les reporters étant transportés d’un lieu à un autre du conflit pour qu’il puisse saisir les images emblématiques, prévues du conflit. Ceci ne ressemble plus du tout à du journalisme d’investigation de terrain puisque le voyage est organisé. Selon Sébastien Calvet, au vu de la multiplication des équipes de journalistes et de photojournalistes aujourd’hui, les services de relations presse désignent des pools de photographes qui seuls auront accès à la prise de vue, et qui distribueront ensuite leurs photos gratuitement à leurs confrères. Cela peut impliquer de nombreux conflits d’intérêts, comme par exemple un parti politique favorisant des photographes dépendants d’un titre de presse favorable à son candidat. Dans cette logistique et cette organisation de la prise de vue, la censure existe voire domine. En effet, les photographes sont ballotés d’un point à un autre du conflit et ils ne peuvent pas explorer certaines zones, dites interdites. Cette logistique est en elle-même une censure subtile mais bien réelle. Sur des faits banals aussi cette logistique contraint la prise de vue : par exemple, lors de concerts, il est très fréquent de rencontrer des attachés de presse d’artistes délivrer des autorisations à condition qu’il n’y ait ni plans rapprochés, ni profils… et que la prise de vue se fasse d’un point précis et pendant un moment donné. Parfois, ils demandent à vérifier les photographies avant publication. À toutes les échelles, l’image fait l’objet d’un contrôle et d’une élaboration. Peut-être est-ce dû à l’importance de l’image que l’on véhicule, moteur de la consommation et ordinatrice de l’opinion publique ? Dans le photojournalisme de guerre, les conditions physiques déterminent aussi la possibilité de la prise de vue. La prise de risque des reporters est l’objet d’une très forte médiatisation. À l’image de la prise d’otage d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier dont l’enlèvement en Afghanistan (retenus en otage 18 mois et libérés en juin 2011) a été surmédiatisé : leurs photographies étaient largement diffusées et le rappel de leur emprisonnement quotidien. Une soirée de soutien au Zénith de Paris a également eu lieu, ce 3


qui sembla disproportionné aux otages eux-mêmes. On approche d’une véritable mythologie du journalisme de guerre, portée par l’ensemble des médias. Le PDG de France Télévisions, Rémy Pflimlin, a fait une annonce à la libération des otages qui prônent une vision angélique de ces reporters : « Votre métier de journaliste, vous l'avez fait de manière exemplaire, notre mission c'est, dans un pays démocratique, d'informer nos concitoyens. Pour cela, il faut aller sur le terrain, il faut prendre des risques »1. Ainsi, il confère au reporter une image d’avide défenseur de l’information, une image qui se heurte à la logistique décrite par Yves Michaud, moins spectaculaire. La photographie est enfin soumise à la sélection du photographe : c’est un « prélèvement sur la réalité » rappelle Yves Michaud. Le photographe fait inévitablement des choix dans sa prise de vue. Le cadrage est une sélection d’informations qui induit d’énormes possibilités de construction de l’information. Comment croire à un cliché alors qu’il est déjà passé par tant de conditions ? Pour illustrer le conflit en Syrie ou les derniers conflits du Printemps arabe, on a privilégié les photos de victimes pour attiser la sympathie et la compassion des Occidentaux. Le prix du World Press Photo va également dans ce sens en récompensant Samuel Aranda, photographe espagnol, pour un cliché au Yémen d’une mère serrant son fils blessé dans un hôpital. Les clichés du Printemps arabe ont été beaucoup récompensés cette année. Le regard occidental, par la photographie de presse, peut orienter vers un certain misérabilisme vis-à-vis de cet Orient dévasté par les évènements de ces dernières années.

L’acceptabilité et la sélection : autocensure de l’horreur et éthique du regard occidental Pour publier ces photos, des conditions morales entrent en jeu. C’est un principe quasiment inhérent à l’homme : le refus du laid, du choquant. Aujourd’hui, pourtant, les images sont de plus en plus violentes. Les images ont pris un pouvoir grandissant d’information et de référence, à tel point que les Américains ont choisi d’interdire tout cliché de la mort de Ben Laden et de jeter sa dépouille à la mer. L’absence d’images pour illustrer cet évènement a été la porte ouverte à de nombreuses théories divergentes de la version officielle donnée par les Etats-Unis. Le leitmotiv « je crois seulement ce que je vois » prit alors tout son sens. L’escalade vers l’horreur culmina lors de l’assassinat de Kadhafi : les images de sa tête ensanglantée et plus tard de sa dépouille entourée des rebelles souriant et faisant la fête a fait la couverture de Libération. Pourquoi mettre en scène et montrer délibérément voire forcer à regarder la mort, certes d’un dictateur, mais avant tout d’un homme que la France a reçu quelques années plus tôt en grandes pompes ? Peut-être Libération voulait-il montrer que tout cela était bien fini ? Ces images amateurs mettent-elles en exergue la volonté de rachat des dirigeants européens 1

Source: http://info.france2.fr/monde/retour-ex-otages-on-a-juste-fait-notre-boulot69446989.html 4


qui ont nié la dictature lybienne ? Il semblerait que l’autorisation de ces images et leur large diffusion ait été un moyen pour assumer, cette fois-ci, et se décharger des évènements passés, notamment la réception de Kadhafi par Sarkozy fin 2007. La photographie de presse semble aller de plus en plus vers un pouvoir grandissant et une utilisation surdimensionnée sur l’opinion publique. Le texte étant délaissé au profit de l’image et du sensationnel dans notre société, le quatrième pouvoir s’adapte aux nouvelles références de communication. Alors que le refus des images d’horreur devrait impliquer le respect des victimes, cette règle ne semble valable que pour les cas occidentaux. On n’hésite pas à photographier et à diffuser des images de l’horreur qui viennent d’Orient. Puisque c’est éloigné, et comme le souligne Yves Michaud, en vertu du « bon vieux mépris colonial », la presse semble tout se permettre alors. Les évènements ne sont pas forcément comparables entre Orient et Occident puisque ce dernier a connu moins de tragédies politiques et guerrières ces dernières années. Mais on ne représente pas, par exemple, les régimes autoritaires de Russie et de Lybie de la même manière. La répression musclée des contestations à la suite du scrutin législatif de décembre 2011 en Russie n’a pas été surreprésentée comme c’est le cas en Lybie. Le monde occidental se cache derrière un semblant d’éthique journalistique mais semble plutôt répondre aux exigences du marché pour conforter le regard occidental dans une image presque « barbare » et sauvage d’un Orient tumultueux.

Yves Michaud commente la non-représentation de la réalité par la photographie de presse, critiquant aussi la perception de la réalité que nous avons aujourd’hui, c'est-à-dire un ensemble de préjugés et d’idées préconçues, alimentés par les médias. La presse écrite selon lui mérite aussi examen et remise en question. Cependant, la faute n’est pas seulement à la charge du lecteur mais aussi des professionnels. Il appelle à une prise de conscience collective du dispositif et du système de production des images et des articles. L’auteur présente ainsi une critique virulente du monde de la presse, manipulateur, et du lecteur, naïf et passif. D’une certaine façon, sa théorie vis-à-vis du lecteur se rapproche du théâtre épique de Brecht. Celui-ci voulait faire cesser l’illusion théâtrale et pousser le spectateur dans ses retranchements, en position de critique et non plus de récepteur passif. Tout comme Yves Michaud qui attend du lecteur de la presse illustrée, un regard critique. Son texte souhaite participer à construire cette prise de distance critique avec les images de presse. Le photojournaliste, quant à lui et tout comme l’acteur chez Brecht, ne doit pas chercher à incarner le personnage – ici le mythe du photojournaliste – mais doit raconter et susciter une réaction, un jugement.

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