5r»^"ofrTv,
',-
LE
DHflIVIE
WflGNÉHlEH PAR
HOUSTON STEWART CHABIBERLAIN
PARIS LIBRAIRIE FISCHBACHER (SOCIÉTÉ ANONYME)
33, RUE DE SEINE, 33
— LIBRAIRIE FISCHBACHER,
—
MÉTRONOMIE EXPÉRIMENTALE.
Rue de
33,
Paris
—
Bayreuth
—
PARIS
Seine, à
— Étude
Munich.
sur les
mouvements constatés daus quelques exécutions musicales en France et en Allemagne, par H. Alvin et R. PllIEUR, précédée d'une lettre de M. Hermann Lévi,
5,—
1 vol. in-12
L A MISE EN SCÈNE DU
LA MUSIQUE ET LE
DRAME WAGNÉRIEN, DRAME, Étude
par
Adolphe Appia.
d' esthétique
CHARLES BEAUQUIER,
par
y
In-8o, 1895. 1,50
3,50
1 vol. in-12
HOUSTON Stewart Chamberlain,
LE DRAME WAGNÉRIEN, par 1894
vol. iu-i2,
l
3,50
.
LA MUSIQ UE ET LES ARTS PLASTIQUES, par
—
TRISTAN ET ISEULT DE RICHARD WAGNER. par
Lieitmotifs,
Charles Cotar d,
1
EiiNfiST Closson. Iq-12, 1896 et analyse
Étude
du Drame
1,25
.
des
et
3,50
vol. in-12
LES DRAMES MUSICAUX DE RICHARD WAGNER ET LE THÉÂTRE DE BAYREUTH, 3,50 par Henry CO UTAGNE, 1 vol. in-12
DE LA CORRÉLATION DES SONS ET DES COULEURS EN ART, par Albert Cozanet. —,75 {Jean àUdine). In-18, 1897 LA LÉGENDE DE SIGURD DANS L'EÛDA. CURZON, 1 vol. in-12. Nouvelle édition MUSICIENS Mozartéum.
—
UOpèra
HENRI DE
d'Ernest Beyer, par
3,50
—
Mozart et le DU TEMPS PASSÉ Les dernières années de Weber. — Méhul. Hofmann musicien, par HENRI DE CURZON, 1 vol. :
—
3,50
in-li!
CÉSAR FRANCK. — Étude Derepas. In-12, 1897
1,50
L'ŒUVRE LYRIQUE DE CÉSAR FRANCK, BRISÉIS,
GUSTAVE
vie, son enseignement, son œuvre, par
sur sa
pai^
Etienne Destranges.
D'EMMANUEL CHARRIER. — Un chef-d'œuvre inachevé. par ETIENNE DESTRANGE S. In-12, 1897
—
Étude théma—-,50
tique et analytique,
FERVAAL, DE VINCENT D'INDY.
DESTRANGES.
—
Étude thématique
et
2,—
In-12, 1896
ETIENNE
analytique par
1,—
In-l2, 1896
—
LE RÊVE, D'ALFRED BRUNEAU. Étude thématique et analytique de par ETIENNE DESTRANGES. In-12 avec portrait, 1896
LE VAISSEAU FANTOME DE RICHARD WAGNER. par Etienne destranges. In-12, 1897
—
Étude analytique
la partition 1,
thématique
et
i,—
TANNH/EUSER, DE RICHARD DESTRANGES. In-12, 1894
WAGNER.-*— Étude
LES TROYENS, DE BERLIOZ.
—
ETIENNE
par
analytique,
—,75 Étude analytique, par Etienne Destuanqes.
—,75
In-12, 1897
FAVART, L'OPÉRA-COMIQUE ET LA COMÉDIE- VAUDEVILLE aux 17« pa r Auguste font, i vol. gr. in-8 L'ESTHÉTIQUE DE RICHARD WAGNER. J.
G.
FresON,
—
Essais
de
philosophie
18e siècles,
et
lO,— de
L'ARGOT MUSICAL.
—
Curiosités
historiques et philologiques, 1 vol. in-12
par
6,—
LE SENTIMENT RELIGIEUX DANS L'ŒUVRE DE RICHARD WAGNER.
—
Tétralogie.
—
par
ÉMILE GODGET,
avec une introduction de Louis Gallet,
Nazareth. 1 vol. in-12
l'art,
7,—
2 vol. in-12
Tristan
et
Iseult.
—
Pars\fal,
par
—
Jésus de
MARCEL HÉBERT, 3,60
LE DRAME WAGNÉRIEN
LE
DRAIWE WAGHÉHIEN PAR
HOUSTON STEWART CHABIBERLAIN
PARIS LIBRAIRIE FISCHBAGHER (SOCIÉTÉ ANONYME)
33,
RUE DE SEINE, 33
Ck
Je dédie ce livre à
constamment
-pensé
devenu en quelque
Vami nohle
et
en récrivant, sorte
mon
dévoué à qui et
qui
est
collaborateur.
H. S. C.
j'ai
ainsi
AYANT-PROPOS.
L'auteur de ce volume compte en
prochainement un autre, dans lequel
il
publier très
entreprendra
de donner une vue d'ensemble de la vie et de Fœuvre de Richard Wagner. Ce nouveau livre, auquel
présentement, ne sera pas un exposé des
travaille
menus
il
faits
de la vie de Wagner, pas plus qu'une
accumulation des mille observations de détail qu'on peut faire sur son œuvre. L'auteur n'y admettra que qui est essentiel
ce
traiter,
il
;
et,
tout ce qu'il aura choisi de
le
concentrer en un seul fais-
cherchera à
ceau lumineux, qu'on aperçoive d'un seul regard. Il
essaiera de faire tout converger au foyer principal,
au point unique d'où rayonnait
la vie.
Rechercher
sous la multiplicité des aspects l'unité de la cause, et arriver ainsi kinitier le lecteur
à la seule méthode
qui permette de se faire une idée claire et juste de ce
que fut Richard Wagner,
vre
:
sera en résumé
tel
le
et
de ce qu'est son
œu-
but de l'auteur.
Le livre sera ainsi disposé:Pre77î.ière?9arfie (L'homme et
l'artiste)
Wagner temps; seur)
;
1"
La
vie
de
Wagner
;
2° Situation de
vis-à-vis de l'art et de la politique de notre
3^ Ses
drames.
4° Ses écrits; 5"
trine sociale
(la
—
Deuxième partie (Le pen-
Sa doctrine d'Art; 6° Sa doc-
Régénération).
—
Troisième partie
X
AVANT-PROPOS.
(L'œuvre)
;
7°
Bayreuth (l'œuvre accomplie)
dilemme (l'œuvre qui
Wagner (résumé
;
Le
8"
reste à accomplir); 9° Richard
général).
Or, en élaborant cet ouvrage, l'auteur s'est aperçu
heurtait à
qu'il
se
c'est
que
mes
le
exige,
s'il
difficulté
insurmontable
:
donnait au chapitre consacré aux dra-
développement que ce sujet comporte
et
n'y aurait plus aucune proportion entre les
il
différentes parties
semble,
une
—
celui
du
livre, et qu'alors l'effet d'en-
précisément auquel
il
visait,
—
serait perdu. Si, d'autre part, l'auteur n'accordait pas
à ce chapitre l'ampleur nécessaire, d'être clair et
le reste
ne s'imposerait pas à
cesserait
du
l'esprit
lec-
teur avec une autorité suffisante. Car chez Richard
Wagner,
l'artiste est la
base de tout
peut rien comprendre de sa tiques, religieuses, etc.,
si
vie,
l'on n'a
saisi la signification et la portée
le reste
;
on ne
de ses idées poli-
pas d'abord bien
de son
art.
Wagner
a eu l'intention formelle de créer un nouvel art, une nouvelle forme de drame; et
il
semblerait donc qu'il
ne dût y avoir, pour savoir ce
qu'il
a voulu faire,
qu'à assister à des représentations de ses œuvres,
puisque aussi bien maintenant on
les
joue partout.
Malheureusement, dans les conditions actuelles du théâtre, ces
drames ne peuvent
être représentés
que
sur des scènes qui les dénaturent jusqu'à les rendre
méconnaissables, et ne peuvent être exécutés que
par des chanteurs d'opéra, qui ne se doutent
même
On
se voit
pas, la plupart
du temps, de quoi
il
s'agit.
alors forcé d'expliquer théoriquement et de
démon-
XI
AVANT-PROPOS. trer par l'analyse ce
que Wagner a voulu
faire. Cette
tâche, déjà ingrate, se complique de ce fait, qu'on
ne peut se contenter de dire simplement ce que Wagner a fait, mais qu'on est encore obligé, chemin faisant, de déblayer le terrain de tous les préjugés et les
malentendus qui l'encombrent.
Yoilà pourquoi l'auteur, avant de publier le livre
un volume spécial à l'étude du Drame Wagnérien. Pour un grand nombre de personnes, cette question du dont
il
vient de parler, s'est décidé à consacrer
drame wagnérien est la seule qui les intéresse dans Wagner. Ces personnes trouveront ici un exposé de cette question, fait
en toute indépendance d'esprit,
mais d'un point de vue strictement wagnérien. Quant
aux autres, qui ne se contentent pas du développe-
ment d'un point
particulier,
considérer ce volume-ci
l'auteur
comme une
les
prie
de
introduction à
son étude d'ensemble sur Wagner, dans laquelle les
œuvres
dramatiques
seront
mais bien plus brièvement point de vue.
traitées et
à
nouveau,
sous un tout autre
INTRODUCTION
LE DRAME WAGNÉRIEN
INTRODUCTION La chose
essentielle, la seule
absolument indispen-
comprendre Wagner
sable pour
artiste et saisir le
sens de ses œuvres de théâtre, c'est de déterminer la
nature de son génie. Or^ tout, il
et
serait
Wagner fut toujours, et avant
dès sa jeunesse, poète dramatique. Certes,
paradoxal de prétendre que
chez lui qu'un rôle secondaire
comprendre,
comme une
même
l'a
c'est
que
qu'il faut
n'existe
Comme Wagner
que lui-
musicien est l'élément féminin,
par sa nature même, cet élément, condaire, est
musicien n'a
mais ce
musicien
le
des faces du poète.
dit, le
;
le
n'est pas se-
s'il
du moins subordonné,
et,
et
il
ne crée
qu'autant qu'il a été fécondé par l'élément mâle,
le
poète. C'est donc le poète, le poète dramatique, qu'il faut,
avant tout, arriver à reconnaître en Wagner. Ce
sera là le but précis de ce volume, et en la limite
ou
il
même temps
se tiendra.
Lorsqu'on étudie
la vie
de Wagner, on est frappé
de la voir se dérouler en ligne droite, inflexible, ne s'écartant jamais d'une direction unique. C'est que le
caractère de cet
homme
est tout d*un bloc, et
que
LE DRAME WAGNERIEN.
4
dès sa jeunesse
il
tend vers un but qu'il ne perdra pas
de vue un seul instant. Mais nulle part cette unité ne se révèle d'une façon aussi transparente, aussi con-
vaincante, que dans ses œuvres d'art.
Que
l'on con-
sente seulement à faire abstraction de quelques détails superficiels
qui pourraient empêcher d'aperce-
voir nettement l'ensemble, et
Ton s'apercevra tout
de suite que les œuvres de
Wagner forment une
série
unique
et
me
ininterrompue. Yoilà ce que je
propose de démontrer en premier
lieu.
Lorsque ce
point sera suffisamment établi, je passerai à l'exa-
men de chaque œuvre en particulier. Mais cet men ne portera que sur le drame lui-même, en
exatant
que drame. Toute autre considération sera écartée; et tous
mes
efforts
tendront à faire saisir ce point
essentiel, que, vis-à-vis de la nouvelle conception
drame que nous devons à Wagner, nous avons sur ce qui
est l'essence
les notions
du
que
même du drame
doivent subir de profondes modifications.
Nous verrons que pour Wagner le point de départ fut le drame que jamais il n'a voulu ni cherché autre chose que le drame; et que s'il s'est servi d'abord de la forme de l'opéra, c'est uniquement ;
parce qu'il avait besoin de tout un appareil scénique et
musical pour la réalisation de ses conceptions dra-
matiques, et que pendant un certain temps
que
cette
forme
même
il
a cru
de l'opéra se trouvait être la
forme correspondant à ce
qu'il voulait faire.
verrons ensuite que la marche
même
Nous
de sa person-
nelle et intime évolution artistique l'amena à recon-
O
INTRODUCTION. naître que ce vers quoi
il
tendait, c'était
un
art
nou-
veau, et le conduisit à découvrir les principes fonda-
mentaux de
Un
cet art.
chapitre sera ensuite consacré à l'étude de ces
principes, et on y verra qu'il ne s'agissait pas d'une
réforme de l'opéra, mais bien d'une conception toute nouvelle du drame.
On
reconnaîtra aussi qu'il n'est
possible de comprendre et d'apprécier pleinement les
œuvres de
la
première période, qu'en
les envisa-
geant du point de vue de cette nouvelle conception car
si l'artiste
n'avait pas encore, au
moment où
;
il
composa ces premières œuvres, la pleine conscience du but auquel il tendait, ces œuvres n'en restent pas moins les étapes qui l'ont conduit à réaliser plus tard en pleine conscience ce qu'il avait d'abord cher-
ché tout d'instinct.
Dans
le
troisième chapitre, je passerai à l'examen
particulier,
mais sommaire, de ces œuvres de
la pre-
mière période. Je montrerai que ce sont de vrais drames, quoiqu'il
soit parfois difficile
de leur recon-
naître cette qualité tout d'abord, en partie à cause
de cette forme de l'opéra que leur a donnée Wagner, et
en partie à cause de certaines hésitations, de
certaines fluctuations, dans l'emploi
modes
des différents
d'expression.
J'examinerai ensuite plus en détail, dans un quatrième et dernier chapitre, les grandes œuvres de la
seconde période.
Ici,
Wagner
nouissement de son génie, pleinement,
et, afl'ranchi
il
était
dans tout l'épa-
se possédait
lui-même
de toutes entraves,
il
créa
LE DRAME WAGNERIEN.
6
drame commen-
enfin complètement et en toute conscience le
vers lequel déjà
cement de son
il
allait d'instinct
activité
depuis
artistique. Je
le
m'attacherai
surtout à montrer que le poète, en créant une nouvelle
forme de drame, avait non seulement
le droit
de s'écarter des règles du genre admises jusqu'à
mais
qu'il
ouvert à
était forcé, et
y.
l'art
dans lequel,
que
d'ailleurs
il
lui,
a ainsi
dramatique tout un monde nouveau,
comme
il
le dit
lui-même,
poétique trouve un champ inépuisable
Par contre, toutes
création
».
les considérations techniques,
de quelque ordre qu'elles puissent clues de ce volume.
« la
Wagner
être,
seront ex-
a enrichi nos
moyens
d'expression musicaux et poétiques par l'invention
de procédés nouveaux. Mais la meilleure qu'il n'est plus
preuve
maintenant essentiel de s'arrêter à
des considérations sur ce sujet, c'est que ses découvertes dans le
domaine de l'harmonie, de
mentation et de dans
le
même,
la versification, sont déjà
domaine
l'art
public, tandis
que
le
l'instru-
passées
drame
lui-
nouveau, au service duquel furent faites
ces innovations d'ordre secondaire, est resté jusqu'à ce jour sans influence réelle, et
lement incompris.
même
presque tota-
CHAPITRE APERÇU
PREMIER
HISTORIQUE
und Mensch schreite neuen Welt entgegen.
Als Kuenstler ich einer
Comme
artiste
et
comme
homme, je chemine vers un monde nouveau,
Richard Wagner.
CHAPriRE PREMIER
APERÇU
HISTORIQUE
Pour comprendre l'œuvre de Wagner, deux conditions priment toutes les autres
que Wagner fut avant tout poète dramatique, mais
temps que son
il
et
faut reconnaître
il
:
par-dessus tout un
faut observer en
instinct de poète
même
dramatique
était
d'une nature toute spéciale, puisque la parole le
son musical
et à
lui
égal,
titre
et
semblaient tous deux nécessaires, à l'expression
de
sa
conception
poétique. Enfant, c'est la poésie qui la poésie
passionnait, surtout
épique et la poésie dramatique.
grandes visées, C'est
A
l'âge de
une tragédie à et il y travailla avec ardeur pendant là un fait très caractéristique. Il nous
quinze ans environ,
deux ans.
le
il
se mit à écrire
montre que déjà l'adolescent cherchait à couler ses rêves dans
le
moule précis
et
net de la parole, et
qu'en outre, en les incarnant dans des personnages, il
ressentait le besoin de pouvoir les évoquer plus 1.
LE DRAME WAGNERIEN.
10
parfaitement devant ses yeux. C'est donc un voyant
Wagner, c'estnon pas seulement un simple
que nous apercevons tout de à-dire
un
vrai poète, et
musicien. Pour
vent que qu'à
le
l'état
suite en
musicien, en
le
monde
effet,
il
arrive sou-
plastique et visuel n'existe guère
nébuleux, et cela fut
le
cas pour plusieurs
compositeurs des plus remarquables. Chez Wagner,
au contraire,
le
tout premier effort poétique lui
fit
chercher l'expression qui frappe à la fois la vue et la pensée.
Mais lorsque cette tragédie fut terminée,
homme
le
eut le sentiment que sa conception
jeune
drama-
tique ne pouvait être pleinement réalisée qu'avec le
concours de la musique. Précisons
la signification
de
ce sentiment, qui est d'autant plus caractéristique
que Wagner, à
époque, ignorait
cette
même
le
pre-
mier mot de toute théorie ou de toute pratique musicale.
Le point de départ, drame,
est,
la base,
nous l'avons
dit,
de ce premier essai de
une conception poétique,
dramatique. Cette conception se traduit tout d'abord sous la forme logique qu'exige
temps que sous l'œil;
c'est-à-dire
conditions
la
l'esprit,
forme qui doit
qu'il
lui
faut
le
en
même
plus frapper
comme premières
de vie la parole et l'incarnation sur la
scène. Mais son contenu émotionnel, passionnel, est tel
que l'intention
et le
but du poète ne sauraient se
manifester complètement sans la collaboration de
nous
dit
:
«
la
toute-puissante
musique. Et lorsque Wagner
Je ne doutais pas
un instant de pouvoir
U
APERÇU HISTORIQUE. écrire
moi-même
indispensable
cette
(1) », je crois
dans
risés à voir
musique, que j'avais reconnue
que nous sommes auto-
une preuve
cette naïve confiance
éclatante de la nécessité organique de cette musique.
Ce début du poète adolescent nous révèle déjà
Wagner
La façon dont
tout entier.
il
conçoit les
choses, et la richesse de ses dons naturels s'y mani-
une précision
festent avec
Wagner
n'avait pas, en
et
une netteté absolues. talent de ces
naissant, le
enfants prodiges qui font de la musique avant de savoir lire ou écrire
que sous
le
chez lui
poème
le
son génie musical ne s'éveille
;
souffle printanier de la
pas conçu
n'est-il
poésie. Aussi
comme un
livret
destiné à une œuvre musicale; dans la pensée du poète, c'est d'abord une tragédie déclamée, et ce n'est
que lorsqu'elle
est terminée qu'il s'aperçoit
cette tragédie exige le
concours de
la
musique,
que
et
ne
sera parfaite qu'avec ce concours.
Ce qui caractérise
donc ne
qu'il est
l'est
en
Wagner au premier
même
pas devenu par la réflexion
et c'est là
précisément
chef, c'est
temps poète et musicien.
le
;
il
né
est
Il
ainsi,
don tout personnel
qu'il
tient des dieux.
Mais toutes ces considérations ne sont encore que
(1)
Ich traute
mir ohne
ailes
Bedenken
noethîge Musik selbst schreiben zu koennen.
zu, (I.
9.)
dièse
so
— Toutes
les citations faites sans autre indication sont extraites dés
œuvres complètes Leipzig.
de
Wagner,
éditées chez
Fritzsch,
.à
LE DRAME WAGNÉRIEN.
12 superficielles.
que Wagner
Car on pourrait se contenter de croire
fut
un musicien de à
le classer
l'avoir le
génie, et en
même temps
génie, ce qui amènerait simplement
parmi
les
phénomènes
les plus rares et
curieux de chacun de ces deux arts, de
les plus
poésie
un poète de
et
de la musique.
On
vraiment compris. En
la
serait loin ainsi de
ce qui caractérise
effet,
génie de Wagner, ce n'est pas la dualité de talents
disparates, mais au contraire l'unité d'inspiration,
grâce à laquelle deux
sommes
modes d'expression, que nous
habitués à considérer
comme
distincts et
presque contraires, sont indissolublement
pour ne plus former que
lui,
seul être, d'un seul et qu'il est essentiel
même
les
cien; et
tout
il
en
deux parties d'un
organisme. Et
Wagner
de comprendre.
poète et en outre musicien, mais
liés
il
c'est cela
n'est
pas
est poète-musi-
serait plus simple et plus correct de dire
bonnement
qu'il est poète,
sans y ajouter aucun
autre'mot. Tout vrai poète n'est-il pas en effet musicien? N'est-ce pas la musique de la phrase qui peut
donner à pas
la
celle-ci sa
puissance d'évocation? N'est-ce
musique intime des vocables qui peut impri-
mer aux
paroles une valeur dépassant leur acception
logique? La musique de
Wagner
n'est pas
autre
chose que cette musique du poète. Seulement, chez lui, elle
la
a pris
un développement immense, grâce à
nuance spéciale de son génie,
et
grâce aussi à
révolution de l'harmonie et de la musique instru-
mentale, devenues un organisme souple et parfait, et qui n'attendaient plus que l'arrivée du poète qui
APERÇU HISTORIQUE.
13
s'emparerait d'elles pour en faire une partie inté-
grante du langage poétique. Chez Wagner,
il
y a au
fond de toute inspiration poétique nn désir immense et indéfinissable,
musical
«
le
de qualifier de
droit
ce désir qui engendre le
poème.
parfum qui s'exhale des d'un arbre, et qui nous révèle
feuilles
», et c'est
Sa musique, et
qu'on a
c'est le
des fleurs
ainsi la
sève invisible pénétrant tous les tissus et leur don-
nant
la vie et la croissance.
J'aurai bientôt Foccasion de revenir sur ce sujet
avec plus de détails.
On ne
saurait trop y insister,
car là est la clef de toute l'œuvre de l'instant,
il
suffit
d'avoir clairement
tout premier essai de
Wagner
Wagner. Pour que ce
établi
enfant contient déjà
des preuves incontestables de la nature toute spéciale
de son génie. Le second essai de ces années d'adolescence fut tout aussi caractéristique. Sous la double influence de Goethe et de Beethoven,
Wagner
à composer un
«
dont
simultanément
les
drame pastoral
»
il
se mit
écrivait
paroles et la musique, sans se
demander
laquelle de ces
procédait
de l'autre
deux parties de son
partie.
Ces
preuves
travail
étaient
d'autant plus précieuses à établir, que bientôt après cette
époque de l'adolescence commença toute une
période confuse
,
pouvant
prêter
à des malen-
tendus.
C'est affaire
par quel
aux biographes de Wagner d'exposer
enchaînement
de
circonstances
il
fut
LE DRAME WAGNERIEN.
14
amené, quelques années à peine après
cette
première
tragédie, à devenir chef d'orchestre et compositeur
d'opéras. Ce qu'il importe de constater la plupart des
malentendus
empêchent toute
œuvres de Wagner, datent de comprises entre 1834
Wagner vécut
cette courte période, s'agit
elle. Il
soixante-dix ans
l'intuition sûre
reprise consciente de c'était
des années
et 1849.
de transition, de crise
mouvementé de
saine des
et
il
;
ne fut musicien
de profession que pendant quinze ans période
que
qui, aujourd'hui encore,
appréciation juste
ou plutôt se fondent sur
c'est
ici,
;
;
c'était le
c'était
sa
passage
de l'adolescent à
la
soi-même par l'homme mûr
;
donc, en somme, justement ce qu'il y eut de
moins important et de moins caractéristique dans sa vie et cependant cette courte période a suffi pour que presque tout le monde, paresseux à rejeter une ;
opinion une fois admise, appliquât à tout jamais à
Wagner
l'étiquette
de musicien et de compositeur
Ne pourrons-nous donc jamais nous défaire de cette sotte manie de tout vouloir étiqueter? Ou, si l'on y tient comme à une chose sacrée, pourquoi ne pas choisir alors une formule qui soit un peu en harmonie tout au moins avec l'aspect le plus général d'opéras.
d'une carrière? Pourquoi, classer
si l'on
Wagner dans une
perd-on de vue ce
fait
seconde moitié de sa
vie, et
l'exil,
il
veut à tout prix
catégorie
capital
quelconque,
que dans toute
malgré
les privations
la
de
n'accepta plus jamais une charge de chef
d'orchestre, ne consentit plus jamais à écrire ce que
15
APERÇU HISTORIQUE. nous appelons un opéra,
et
connut de meilleurs temps ses grandes œuvres, tout, sauf de diriger si
l'on
ficiel
que plus tard,
et qu'il
lorsqu'il
put enfin monter
se chargea littéralement de
il
lui-même l'orchestre? Car
enfin,
accorde tant d'importance à l'aspect super-
des choses, de quel droit peut-on affecter de
ne pas tenir compte des
faits les
plus patents, de ne
pas voir ce qui crève les yeux? C'est en vertu de ces préjugés,
hasarde à parler de Wagner en tout le
monde haussera
que
si
quelqu'un se
le qualifiant
aussitôt les épaules
de poète, :
«
Gom-
ment donc, poète? objectera-t-on mais Wagner était un musicien, un chef d'orchestre, un compositeur ;
d'opéras
!
»
Et chacun croit sentir d'instinct que c'est
là tout l'opposé
du poète.
Ce qui est venu appuyer une façon de voir aussi fausse, c'est
que pendant
qu'il traversa,
la
Wagner lui-même s'imagina
foi qu'il écrivait
de bonne
des opéras, dans Tacception cou-
rante de ce mot. Mais cette erreur où
même, ne
de transition
période
il
était
sur
lui-
parvint cependant pas à retarder sensi-
blement son évolution. Son génie poétique exigeait la
collaboration
du chant
et
scènes consacrées à l'opéra
dont
il
avait besoin.
Il
put
de l'orchestre, et les lui
même
offraient seules ce
croire
un moment
y trouverait les conditions exigées par son idéal du drame. Il se mit donc à l'œuvre. Mais chaque
qu'il
nouvel
effort qu'il tenta le
pas dans la voie où
il
fit
avancer d'un nouveau
allait enfin arriver
à la pleine
LE DRAME WAGNÉRIEN.
16
connaissance de soi-même
et
de la nouvelle forme
de drame qu'il devait créer. C'est précisément
par
moyen
le
dans ces premières œuvres, et
de ces premières œuvres, qu'il réussit
à s'apercevoir peu à peu de l'erreur où
put donc ainsi mieux
et qu'il
il
et plus
tombé,
était
complètement
se libérer de cette erreur. Mais l'enseignement fut
pour
lui cette
que
première période, nous est tout aussi
nécessaire à nous-mêmes qu'ille lui fut àlui. Nous aussi,
nous n'arriverons à saisir parfaitement la signification et la
portée des grandes œuvres de sa maturité, que
nous commençons
par l'étude réfléchie des
de début, que
nous parvenons
qu'elles
si
ne sont pas purement
opéras. Toutes les œuvres de
même
Fées jusqu'à Lohengrin,
et
œuvres
à comprendre
simplement des
Wagner, depuis s'il
si
les
apparaît évident
qu'elles ont gardé la vieille forme^ ou,
pour mieux
formule de l'opéra, se distinguent pourtant
dire, la
déjà profondément des opéras de Gluck, de Mozart,
de Weber, des Italiens, en ce sens que dans cette
maigre enveloppe qu'est s'efî'orce
rait
la vieille formule, le
poète
de faire entrer un contenu qu'elle ne sau-
embrasser sans éclater de tous côtés. Ce
fait
apparaît d'autant plus nettement qu'on examine ces
œuvres une à une écrites,
et
dans l'ordre
où
elles furent
parce qu'alors on remarque une* progression
constante et logique dans un sens déterminé, qui n'a rien de spécialement musical, ce qui n'aurait pas lieu si
on n'avait devant
soi
que des opéras, mais ce
APERÇU HISTORIQUE.
17
qui s'explique de soi-même aussitôt que l'on s'aperçoit
qu'on assiste aux tentatives d'un poète cherchant
à créer sur la scène gination,
drame pressenti par son imade drame qui se distingue de
le
une sorte
tous les genres connus par l'importance exception-
qu'y conquiert la
nelle
musique
connexité à établir entre la parole
et
par l'intime
et la
musique.
Mais je reviendrai plus loin en détail sur ce sujet. Je tiens cependant à établir dès maintenant que je
ne cherche nullement une querelle de mots. Que l'on désigne,
lement
si
les
l'on veut, sous le
nom
d'opéras non seu-
premières œuvres de Wagner, mais aussi
Pour moi, toutes ces questions
Tristan et Parsifal.
d'appellation sont absolument indifférentes. Mais ce
qui a une importance véritable, c'est l'idée qu'il y a
à se faire de la vraie nature de toutes ces œuvres. Si
donc
je
m'en
tiens
au
nom
de drame, c'est que j'es-
time qu'il faut faire servir les mots à mieux réunir les notions et
les
choses similaires, et à mieux sé-
parer les choses dissemblables. Et ainsi, en appelant des
drames toutes
les
œuvres de Wagner, dès
la
première, je les distingue nettement de ce qu'on appelle d'ordinaire l'opéra, car elles n'ont avec cette catégorie d'œuvres que des ressemblances tout à fait superficielles; et je les classe avec les
œuvres de
théâtre auxquelles elles sont apparentées par leur
essence la
même, par
l'intention de leur auteur, et par
mot opéra crée une mot drame mène sur le
nature de son génie. Bref,
confusion, tandis que
le
le
chemin d'une compréhension plus approfondie,
et
LE DRAME WAGNERIEN.
18 c'est là le
motif primordial pour lequel je préfère
celui-ci à celui-là.
que Wagner
C'est entre 1833 et 1848
huit premières œuvres.
Il
écrivit ses
en composa toujours deux
presque simultanément, avec un intervalle de cinq ans environ entre chaque série de deux. Ces huit
drames forment donc quatre fense d'aimer^ Rienzi et hseuser
et
Lohengrin^
le
la
séries
:
les
Fées et
la
Dé-
Hollandais volant^ Tann-
Mort de Siegfried
et
Fré-
déric Barberousse.
Quand un examen un peu que dans chaque série tent,
les
attentif
aura montré
deux œuvres
dans un certain sens,
et
se
complè-
dans un autre sens
sont presque contradictoires, on aura acquis la conviction qu'il n'y a pas là
un
effet
du hasard. Ce qui
confirme singulièrement cette supposition, c'est d'apercevoir que cette sorte d'antagonisme, déjà très
marqué dans
les
deux premières œuvres,
les
Fées et
Défense d'aimer^ devient dans les deux derniers
la
drames l'état
(de l'année 1848, et tous les
de projets
détaillés), Frédéric
deux restés à
Barberousse et la
Mort de Siegfried^ l'antithèse absolue
entre
une
un drame destiné à être déclamé. Impossible de douter qu'un phénomène aussi éviœuvre musicale
et
dent et aussi régulier ne
soit le résultat
d'une cause
profonde, qui reste cependant tout d'abord un peu
énigmatique.
Pour indiquer au lecteur dans quel sens
il
faut
chercher la clef de cette énigme, je dirai qu'il s'agit ici
d'un conflit entre
le
poète et
le
musicien. Mais je
APERÇU HISTORIQUE.
19
supplie tout de suite qu'on ne prenne pas cette
mation trop à avant dans
ne doit servir qu'à nous
la lettre. Elle
orienter, en attendant
que nous ayons pénétré plus
le sujet.
Retenons uniquement chez conflit
affir-
dans
la
Wagner
le
du
fait
période qui va jusqu'en 1848. Nous
verrons plus loin que par la nature de l'inspiration
dramatique les œuvres créées alors se rattachent toutes
intimement aux suivantes, celles-ci
une
série unique.
caractérisent, les
rieures
:
l'*
et,
en ce sens, forment avec
Deux
distinguent des
œuvres
posté-
leur forme, qui leur est imposée par les
conventions de l'opéra
;
2° l'hésitation
des moyens d'expression pour
Pour moi,
traits toutefois les
la question,
le
dans
le
choix
contenu poétique.
en ce qui touche la forme, est
tout à fait secondaire. Ce qui est intéressant, c'est de voir le poète chercher cette union intime de la
sique et de la parole, qui est le
le
mode
plus parfait, sans connaître encore
cette fusion.
Il
mu-
d'expression le secret
de
en résulte toute une série d'oscilla-
tions dans les proportions et les rapports de la poésie et
de la musique, depuis Rienzi,
le
drame musical
par excellence, jusqu'à la tragédie déclamée et sans
musique aucune, Frédéric Barberousse. Ici encore je ne puis, pour le moment, que procéder par affirmations. Mais
le
lecteur saisira toute
la
portée de ce que je viens de signaler, lorsqu'il saura quelle révélation vint mettre titudes
du maître
fin,
en 1848, aux incer-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
20
Nous avons vu que chez Wagner,
drame,
le
qu'il le concevait, exigeait la coopération
de la poésie
et de la
musique. Une question se posait à
d'abord:
comment fondre ensemble
ces
tel
lui tout
deux langages
de façon à ce qu'ils ne forment plus qu'un mode d'expression unique et parfaitement harmonieux, et sans
pour cela
affaiblir ni
les
l'un
ni
l'autre,
mais en
imprimant à chacun d'eux, au contraire, un nouvel essor? le
Il
semble bien, en
problème doive
Wagner ne
effet,
se poser ainsi. Et jusqu'en 1848,
demanda pas
se
à première vue, que
autre chose. Jamais
il
ne douta un seul instant que cela ne fût toujours possible d'unir la parole à la musique. Pas une seule fois jusqu'à cette date
pure théorie, ce
«
donc toutes
les
qu'il
problème une Gluck
même
»
n'exigeant pour ainsi
simplement technique.
Il
accep-
idées de drames qui se présen-
talent à son esprit, et
œuvres
ne se posa une question de
comment
dire qu'une réponse tait
il
il
cherchait ensuite, dans les
composait, à résoudre pratiquement
le
fois posé.
s'était
posé
manière.
Il
la question
crut
identiquement de
l'avoir
la
résolue en faisant
porter tout son effort à allier consciencieusement l'un à l'autre le son et la parole ainsi, et
il
;
mais
il
n'aboutit
ne pouvait ainsi aboutir à autre chose
qu'à une réforme de l'opéra, et non pas à donner
naissance à une nouvelle forme de drame. Mozart,
dans ses incomparables opéras, avait été plus loin
:
21
APERÇU HISTORIQUE. plus d'une fois
il
même
avait côtoyé et
maine de Part nouveau; mais
atteint le do-
ne
ni lui ni son public
s'en étaient jamais doutés, de sorte qu'il n'en put
rien résulter.
Wagner ressemble
que plusieurs
fois,
approcha de tait
à Mozart en ceci,
poussé par son seul
la réalisation parfaite
déjà vivre en lui
;
et n'est-ce
ner
lui,
était,
il
de ce qu'il sen-
pas là
génie? Mais ce résultat ne pouvait Mozart,
instinct,
le
propre du satisfaire.
le
;
Wag-
pu
écrire
avait été exclusivement musicien
avant tout, poète. Jamais
n'a
il
de musique sur un livret donné, parce que son inspiration
musicale émanait toujours d'une concep-
tion poétique.
On
voit
donc
qu'il
encore da-
diffère
vantage de Gluck, car pour celui-ci toute
la
question
mieux possible, sur un livret d'avance préparé, chaque mot à chaque note, tandis que, pour Wagner, la conception poétique est une et était
de marier
le
indivisible avec la conception musicale, et paroles et
musique
même
jaillissent de la
source. Précisément
parce qu'il découvrait et sentait cette unité dans son
âme, on comprend aisément certain
temps que pour
la réaliser
d'art destinée à la scène, la
qu'il ait
il
lui
pu
à réfléchir
;
il
de ses
de trouver
suffirait :
Gomment
musique? Cepropres œuvres lui donna
peut-on unir ensemble la poésie et l'inégalité
la
pensa d'abord que cette inégalité
était
due en partie à cette forme conventionnelle de péra à laquelle il
il
un
dans une œuvre
réponse technique à cette question
pendant
croire
était forcé
de se soumettre
;
l'o-
mais
s'aperçut enfin qu'il y avait encore à cela une rai-
LE DRAME WAGNERIEN.
22
son plus profonde, et c'est en 1848, justement, qu'il le découvrit.
Après avoir terminé Lohengrin^ cette œuvre toute saturée de musique,
Wagner
s'était
mis avec ardeur
à travailler sur un nouveau sujet de drame déric Barberoiisse. Mais à
son travail,
mesure
:
Fré-
qu'il avançait
dans
comprenait de plus en plus vivement
il
œuvre n'exigeait pas le concours de la musique, ce qui, pour lui, revenait à signifier qu'elle que
cette
ne devait pas comporter de musique. Et subitement
une
clarté se
fît
jusqu'à ce jour
dans son esprit s'était
il
il
:
mal posé
le
s'aperçut que
problème à ré-
soudre, et qu'il ne s'agissait pas de chercher
ment
«
com-
musique peuvent s'unir l'une à l'autre pour aboutir à un mode d'expression plus haut et plus parfait », mais bien de se demander «
la poésie et la
quel est
le sujet
qui a besoin d'un
sion aussi sublime, et qui en
dans l'œuvre
d'art
mode
d'expres-
conséquence l'exige
prétendant à en être une représen-
tation parfaite ». Voilà le vrai
problème
y avait à poser. Quant à se demander comment cette union qu'il
pourra être réalisée, ce n'est qu'une question secondaire, et qui sans doute
ne comporte pas de réponse
dogmatique.
On
voit quelle différence de principe sépare les
deux façons d'envisager teur d'y réfléchir
compte tout à «
un
la
question. Je prie le lec-
instant,
fait exact.
Car
pour s'en rendre un
c'est
de cette question
:
Quel genre de sujets nécessite ce mode d'expres-
sion
?
»
que
naquit la forme
de drame la plus
APERÇU HISTORIQUE. parfaite,
une forme
qui, à
23
vérité,
la
extérieurement des autres par
le
distingue
se
choix d'un nou-
veau mode d'expression, mais qui s'en distingue surtout dans sa nature intime, par
le
contenu poé-
tique qui exige ces nouvelles combinaisons. Aussitôt
problème clairement posé,
le
Comment l'homme
qui, dix
la solution fut trouvée.
ans auparavant,
déjà donnée tout instinctivement dans volant, aurait-il
comme une auquel
un
il
pu maintenant
l'avait
Hollandais
le
hésiter?
Il
eut donc
révélation subite et éclatante du but
avait toujours tendu
:
«
Tout ce qui, dans
sujet de drame, a-t-il écrit, s'adresse à la raison
seule, ne peut s'exprimer
mesure que d'un autre
le
que par
la parole
contenu émotionnel grandit,
mode
;
le
mais, à
besoin
d'expression se fait sentir de plus
en plus nettement, et
il
arrive
un moment où
gage de la musique est seul adéquat à ce
le lan-
qu'il s'agit
d'exprimer. Ceci décide péremptoirement du genre
de sujets accessibles au poète-musicien, ce sont les sujets d'un ordre
purement humain^
de toute convention
On peut
»
(1).
affirmer sans exagération que ces paroles
constituent le premier titre de ration.
En
et débarrassés
elles
gît le
Wagner à
notre admi-
drame nouveau,
« l'art
de
l'avenir ».
Nous avons vu que ce sont les réflexions que lui suggéra le drame de Frédéric Barberousse qui dessil-
(1)
Voir le texte allemand de cette citation au bas de la
note de la page 51.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
24 lèrent les
pour
yeux du maître. L'année 1848 devint
point culminant de sa vie, qui se trouve là
lui le
divisée en
ainsi
deux périodes nettement distinctes l'une de
l'autre. Chacune
de ces deuxpériodes comprend trente-
cinq années. La première est la période où l'artiste est
encore inconscient; la seconde, celle où
il
est désor-
mais pleinement conscient. Wagner, lui-même,
le
déclare nettement dans une lettre adressée à Liszt
en 1851
«
:
dit-il,
mon Lohengrin^ que j'ai enfin distinctement où me conduisait le chemin
et ensuite
compris
mon Tannhœuser,
C'est en revoyant
en achevant
qu'un instinct inconscient m'avait porté à choisir. »
On a souvent partagé trois
groupes
le
:
œuvres de Wagner en
les
premier, comprenant JRienzi et les
œuvres antérieures kRienzi;
second^
le
volant^ Tannhseuser et Lohengrin
On
ce qui vint après Lohengrin. trois
manières
»
;
le troisième, tout
appelle cela « les
de Wagner. Mais cette classification
ne répond à rien, ni dans
nature des œuvres en
la
question, ni dans la vie du maître.
Wagner
et
Hollandais
le
La
carrière
d'une
son évolution artistique furent
extrême simplicité. Ce cliché des
« trois
apporte une confusion inutile, et
il
nos idées. Pour peu qu'on se donne
au fond des choses, on voit
le
manières
la
peine d'aller
fin, et
un des
traits les plus
ligne
cela sans
moindre déviation.
Cette belle unité, cette absolue rectitude, être
y
génie dramatique de
droite depuis son enfance jusqu'à la et sans la
»
pourrait fausser
Wagnerse développerconstamment suivant une aucune interruption
de
remarquables
me
paraît
qu'il
y
ait
APERÇU HISTORIQUE.
25
à signaler en Wagner, et peut-être la preuve la plus irréfutable de sa grandeur. Sans doute, les inventeurs
du
cliché des
«
trois
manières
quelques raisons toutes
»
ont pu s'appuyer sur
superficielles,
mais
c'est
justement parce que ces raisons sont uniquement superficielles
et
n'ont donc aucune
valeur,
qu'il
convient de ne point s'y arrêter. Par contre, la division de la vie et de l'œuvre de
périodes est vraiment réel et d'une
Wagner en deux répond à un
utile, car elle
importance exceptionnelle, et
cine ainsi dans la
mémoire
maître, qui lui-même
la date capitale
nous
dit
:
«
elle
fait
enra-
de la vie du
Le jour où
renonçai en pleine connaissance de cause à
je
mon
projet de drame sur Frédéî^ic Barberousse^ j'entrai dans une nouvelle et décisive période de mon évolution, tant la
comme
artiste
que comme homme.
C'était
période du vouloir artistique conscient dans une
voie complètement nouvelle, où j'étais entré, poussé
par une inconsciente nécessité, mais, vers
comme
artiste et
un monde nouveau
et sur laquelle désor-
comme homme, (1851)
je
chemine
(1) ».
(1) Ais ich den Friedrich Rothbart mit vollem Wissen und Wollen aufgab, hatte ich eine neae und entscheidende Période meiner kuenstlerischen und menschlichen Entwicklung angetreten, die Période des bewussten Kuenstlerischen WoUens auf einer vollkommen neuen, mit unbewusster Nothwendigkeit von mir eingeschlagenen Bahn, auf der ich nun als Kuenstler und Mensch einer neuen Welt
entgegenschreite. (IV, 390.)
LE DRAME WAGNÉRIEN.
26
Je n'irai cependant pas prétendre que ces
deux
périodes soient séparées par une ligne mathéma-
Une
tique.
brusque, survenant du jour
transition
au lendemain,
était
évidemment impossible. Tout
d'abord, après l'heure où tout s'était soudain illu-
miné d'un jour nouveau pour
le
poète, de nouvelles
idées dramatiques l'assiégèrent; mais
il
était alors
comme
aveuglé par cette lumière nouvelle qui l'inon-
dait, et
aucun de ces projets n'aboutit à une réalisa-
tion.
Nous possédons
toutefois,
dans Wieland
le
For-
geron et Jésus de Nazareth, de précieux témoignages de
l'activité
du maître à
Wagner
Mais
cette
époque.
ressentit bientôt l'impérieux besoin
de se recueillir. Pendant deux ou trois ans,
que méditer sur vel art dont
il
la signification et la portée
même. Ce taux
:
lui
il
fit
du nou-
fallait
Avant de créer une nouvelle
se
posséder pleinement soi-
fondamenl'Œuvre d'aride
fut là l'origine des trois traités
VArt
et la
Révolution (1849),
V avenir (1850), et enfin Opéra et
Drame
(1851).
peut dire de ces ouvrages que ce furent des loques. Qui, d'ailleurs, aurait cette
ne
devait la révélation à vingt années
d'efforts ininterrompus.
œuvre,
il
pu
les
On
soli-
comprendre à
époque? Et nous savons aussi que personne ne
les comprit. Ensuite,
cation à mes amis^
dorénavant
il
où
Wagner il
écrivit
Une Communi-
déclarait explicitement
que
ne s'adresserait plus à ses contempo-
rains en général, mais à ses amis seulement, c'est-à-
APERÇU HISTORIQUE.
27
dire à ceux qui étaient disposés à s'engager avec lui
dans
la voie qui conduisait à
un
art
nouveau. Et ce
n'est qu'après avoir publié cette déclaration formelle,
travaux dramatiques.
qu'il reprit enfin ses
pour
J'insisterai
remarquer que ces écrits pour théoriques qu'ils soient,
faire
dont je viens de parler,
n'en forment pas moins partie intégrante de la pro-
duction artistique du maître. Car c'est dans ces écrits
conscience de lui-même et qu'il se
qu'il prit pleine
rendit
de cet
un compte exact de art,
que jusqu'alors
ou pressentir. Et
il
la nature et de la valeur il
que deviner
n'avait fait
est certain que,
nous
ne pouvons nous former une idée juste
Wagner
de ce que fut
et de ce qu'est
nous
aussi,
complète
et
son
art,
qu'en
étudiant attentivement ces écrits. Quoique la forme
de drame créée par
Wagner
soit le
produit logique et
naturel des formes anciennes, tant poétiques que
musicales, velle si
on
il
n'en est pas moins vrai que cette nou-
forme de drame ne pourra vivre lui
que
et croître
prépare un terrain favorable. Et l'on n'y
arrivera qu'en
comprendre
le
comprenant exactement,
et
en faisant
plus possible à tous, quelle est la
nature de cet art et quel but
il
se propose.
Wagner
chemine vers un monde nouveau » aussi nulle part, dans le vieux monde, son art ne trouve réunies «
:
toutes les conditions qui lui permettraient de s'épa-
nouir; elles lui font
même
surtout défaut là où
généralement réduit à se produire, sur
il
est
les scènes
d'opéra, où l'on ne voit guère que des parodies de ce
que Wagner a voulu
faire.
Quant au théâtre de Bay-
LE DRAME AVAGNÉRIEN.
28 reuth,
il
ne peut évidemment donner que des aperçus
approximatifs de ce que
maître a rêvé d'atteindre.
le
Force nous est donc de ne point négliger
l'initiation
théorique que nous apportent ces écrits dans lesquels
Wagner nouvel
temps
s'est
pour ainsi dire
art. D'ailleurs, ce le
initié
lui-même à son
point d'arrêt est en
même
meilleur point de vue d'où l'on puisse aper-
cevoir tout ce qui le précéda dans la carrière du
poète-musicien, et aussi tout ce qui
le suivit.
Le chapitre suivant sera donc consacré à l'étude
sommaire des principes établis par ces écrits théoriques de Wagner. Ce n'est que lorsque nous aurons
drame wagoeuvres une aune,
ainsi acquis des idées très nettes sur le
nérien, que nous examinerons les et toujours
conscient. les
de ce
même
Nous verrons
œuvres de
la
point de vue de l'artiste alors indiscutablement
que
première période sont l'aspiration
constante du poète vers une forme de drame prévue, pressentie, mais clair
non encore
entendement logique
reconnu ce ciation
période.
fait,
large
saisie ni ;
et
saine des
le
dès que nous aurons
nous aurons jeté
et
embrassée par
la
base d'une appré-
œuvres de
la
seconde
CHAPITRE H LA THÉORIE DU DRAME WAGNERIEN
Erlœsung dem Erlœser Rédemption au Rédempteur !
Richard Wagner.
CHAPITRE
II
L4 THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN
Le but des réflexions auxquelles Wagner
se livra
entre les années 1848 et 1852, et qu'il consigna dans
volumes
les trois
d'art de V avenir.
Opéra
—
cette nouvelle
Il
Drame, peut être
forme
mesurer son étendue limites. J'insiste
s'agit
:
doit-il
de déterminer
d'art
et d'en
rance sont arrivés
le
défini par
quel genre de choisir
le terrain
pourra prospérer, de fixer
exactement
les
comme
sur
là-dessus, parce que là
bien d'autres points,
l'Œuvre
la Révolution,
poète-musicien peut-il et
pour ses drames?
où
et
et
résument toutes
ces mots, qui les sujets le
fArt
:
mauvais vouloir
à complètement
et
lïgno-
dénaturer les
eux-mêmes. Jamais Wagner n'a tenté de construire un « système » théorique, abstrait. C'est
faits
poussé par une puissance tout instinctive tible,
et
après des années de tâtonnement,
découvrit une nouvelle forme de drame. Et ce
que
et irrésis-
l'artiste seul
—
et
non pas
le
il fit
qu'il
alors
théoricien
—
LE DRâME WAGNÉRIEN.
32 pouvait faire
:
monde nouveau et
y posa
il
les
parcourut dans tous
il
sens ce
les
qui venait de se révéler à son génie,
premiers jalons,
de repère qui désormais
lui
premiers points
les
permettraient,à
bien qu'à ceux qui viendront après
lui,
lui,
aussi
de s'orienter
sûrement dans ce domaine nouveau. On comprend quelle différence fondamentale
il
y a entre l'esthéti-
cien raisonneur, procédant par déductions abstraites,
met sa puissante raison au service de son génie, non pas pour imposer des lois à l'art, et r,artiste qui
mais pour établir
et
son for intérieur
sait
C'est Il
il
uniquement
formuler clairement ce qu'en
là ce
déjà et possède pleinement.
que Wagner a
fait.
faut cependant reconnaître que ce qui constitue
ainsi à nos
yeux
la meilleure qualité de ses écrits,
un charme que ne possèdent pas les réflexions purement abstraites sur Fart, est en même temps ce qui peut les empêcher ce qui leur
donne une valeur
et
de servir complètement à une première initiation.
Pour qui a déjà pénétré
l'idée
de Wagner, ces traités
sont une source inépuisable d'enseignements celui qui les
mais
aborde sans rien savoir encore aura
souvent quelque peine à parce que
;
s'y reconnaître,
Wagner procède en
artiste et
précisément
non pas en
théoricien. Sa dialectique estforte, mais enchevêtrée; il
passe quelquefois par un élan
si
brusque d'un
ordre d'idées à un autre, sinon tout opposé au moins très
éloigné, qu'il
suivre.
Il
n'est pas toujours facile
de
le
pourra aussi arriver qu'une question secon-
daire soit traitée avec une prodigieuse abondance de
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. détails, et
83
que tout de suite après, un point essentiel
ne se trouve indiqué qu'en quelques lignes
aucun commentaire. Mais
dès qu'on
et
s'est
sans
rendu
compte de cela dans Wagner, tout ce qu'il dit appail posraît aussitôt extraordinairement lumineux ;
sède à un rare degré
l'art
de condenser les idées les
plus vastes dans les phrases les plus concises.
Il
trouve des formules qui montrent en quelques mots toutes les faces
dune question même
plexe, et qui ouvrent en
la plus
même temps
sur
com-
elle
des
horizons sans limites, semblables en cela à certains
de ses motifs musicaux. Mais ce sont précisément ces
formules qui prêtent aux plus fâcheux malentendus,
ou
même
incompréhensibles.
homme Mon
Et
n'a jamais été
pris que
bonnement
qui semblent à certains tout
si
c'est
qu'aucun
pour cela
peu compris ou
si
mal com-
Wagner.
but, dans ce chapitre, est de
donner en peu
de mots une idée aussi nette que possible des prin-
fondamentaux sur lesquels repose la nouvelle forme de drame conçue par Wagner. Si je m'astreicipes
gnais à suivre servilement la marche de ses écrits, je n'aboutirais certainement pas au résultat que j'espère atteindre, et cela
pour
les raisons
donner. J'échouerais également, tout à fait complet,
si
si
que
je visais à être
je cherchais à être trop méti-
culeusement exact, ce que je considère tout aussi souvent
un défaut qu'une
donc simplement tâcher d'exposer wagnérien,
telle
je viens de
que mon esprit se
comme
étant
qualité. Je vais l'idée
l'est
du drame
représentée.
LE DRAME WAGNERIEN.
34
Je m'appuierai partout sur
l'autorité
mais j'exposerai ses idées à
ma
je sacrifierai
même mes
tout,
manière à moi
»
:
la danse, la
autres ne sont que des
«
remarquer
ici
le geste,
le
que par
dans
drame antique.
mot de danse,
le
la plus
l'œil
Telle
il
faut
large acception
mimée
du
et s'adressant
du spectateur.)
Les siècles ont modifié
et élargi les
pression dont l'homme dispose obéissant à un
tout,
du concours
est à peine besoin de
(Il
terme, c'est-à-dire toute action
directement à
et la poésie; les
artifices ». C'est
V Œuvre d'art de V avenir.
entendre
d'ordre pure-
que Wagner expose en détail dans
est la doctrine
faire
«
musique
de ces trois arts que naquit
et
et clair.
n'y a que trois arts qui soient
ment humain
;
préférences intimes,
au désir d'être avant tout simple
Il
de Wagner,
et la
;
moyens
d'ex-
musique, sur-
intime besoin de l'humanité,
de chétive qu'elle était au début, a acquis peu à peu
une puissance extraordinaire. vrai qu'aujourd'hui,
comme
Il
n'en reste pas moins
toujours, la vraie forme
de drame, la forme parfaite, ne peut être réalisée que
par
le
concours de ces trois arts
humain
».
La
«
d'ordre purement
vérité de cette proposition ressort avec
d'autant plus d'évidence qu'on a une notion
plus
un drame parmot drame signi-
nette de ce que peut être et doit être fait. Il suffira
fie «
action
»
de se rappeler que ;
et
une action
le
n'est parfaite qu'autant
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. qu'elle
35
met en mouvement l'homme considéré dans
sa totalité.
Pour se
faire
une idée qu'on puisse facilement con-
cevoir de ce qu'il faui entendre par cette expression
:
l'homme considéré dans sa totalité, on est obligé de se représenter l'homme comme un composé de deux parties
nettement distinctes
doué de pensée logique impressionnables sit
et
par
;
et
d'un côté, l'homme
:
de sens matériellement
de l'autre côté, l'homme qui sai-
l'intuition, et
qui se manifeste parle sentiment
par l'émotion, sans que
l'œil puisse
jamais
le
per-
cevoir, ni la raison l'atteindre. Cette conception de la nature
humaine n'infirme en
rien l'idée de l'unité
de l'individu. Tous les penseurs du monde, quelle
que
soit la différence
des termes qu'ils ont employés,
ont reconnu la coexistence de ces deux côtés de la
nature humaine. D'ailleurs, dans ce livre-ci,
blème philosophique que
le
pro-
pourrait soulever cette
question ne nous concerne pas
;
c'est
en artistes que
nous nous trouvons vis-à-vis d'un phénomène que nous constatons, sans vons mieux « Il
y a un
faire
le discuter.
que de
homme
Et
ici
nous ne pou-
citer les paroles
extérieur et
de Wagner:
un homme
intérieur,
La vue et l'ouïe sont les sens qui révèlent l'homme à l'artiste. Par la vue, l'artiste perçoit l'homme extérieur par Fouie, l'homme intérieur » (1). Mais dit-il.
;
(1) Der Mensch ist ein aeusserer undinnerer. Die Sinne-, denen er sichals kuenstlerischerGegenstand darstellt; sind
36
LE DRAME WAGNÉRIEN.
.
entre ces deux facultés de la vue et de l'ouïe,
une
Tentendement
faculté médiatrice, c'est
tendement
est le trait d'union entre
il
(1).
existe
L'en-
l'homme extérieur
l'homme intérieur; et la fonction par laquelle l'entendement touche au monde des sens, ou en d'autres mots à l'art, est l'imagination. Ces considérations et
conduisent à reconnaître dans l'homme, considéré soit
comme
œuvre
artiste créateur,
une
d'art,
et l'imagination,
soit
comme
sujet d'une
trinité
de facultés
dont
rigoureux parallélisme avec
le
la trinité des arts « d'ordre
:
vue,
la
l'ouïe
purement humain
danse, la musique, la poésie, n'est que
», la
le résultat
de leur liaison organique. Ceci une fois établi, voici l'idée fondamentale qui
forme «
la base de la théorie
wagnérienne du drame
Lorsqu'il s'agit d'exprimer sans
possibilité de
manifeste dans sa
dem Ohre (1)
mon
détours et sans
malentendus ce que l'homme contient
de plus élevé et de plus vrai,
das Auge
:
faut que
il
totalité. Cette totalité
l'homme se n'existe que
und das Ohr dem Auge stellt sich der aeussere, der innere Mensch dar. {III, 78.)
Comme
:
il
est essentiel
que cet unique paragraphe de
compeu versé dans ces questions faut soigneusement établir une distinction entre la
livre qui côtoie la philosophie abstraite soit bien
pris, je rappellerai au lecteur qu'il
raison et l'entendement. « L'unique dit
Schopenhauer,
est
de savoir
;
fonction de la raison,
et à
l'entendement seul
Ce que la raison a reconnu d'une manière exacte s'appelle vérité ce qui a été reconnu de la même manière par l'entendement s'appelle réalité ». (Schoappartient l'intuition.
;
penhauer, traduction Burdeau.)
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN.
37
cœur et Fentendement s'embrassent et se pénètrent mutuellement mais aucun des trois^ pris isolément, ne saurait suffire à une expression parfaite de l'homme (1) ». On a prétendu par-
lorsque
corps, le
le
;
fois
pouvoir tout suggérer par
aussi tout dire rien
que par
surtout pouvoir révéler tout
la
danse, on a voulu
la
musique, on a cru
l'homme par
poésie.
la
Selon Wagner, on ne peut atteindre ainsi, par chacun de ces arts pris séparément, qu'à des résultats fragmentaires.
Car chacun des trois arts
humain l'ouïe,
«
d'ordre
purement
correspond à une faculté spéciale,
»
ou l'imagination
;
la vue,
et ces facultés, si elles per-
mettent d'exprimer et de faire saisir la nature de l'homme,
et tout ce qu'il
même
y a en cette nature de
ne peuvent y atteindre pleinement qu'à la condition d'être mises en jeu
mystérieux
et d'insondable,
toutes trois ensemble. L'œil est l'organe de
extérieur
;
l'oreille,
l'organe de
et l'imagination est
le
terrain sur lequel
ils
le
trait
l'homme
Wo
intérieur
;
d'union entre les deux,
se rencontrent et s'unissent.
L'art parfait, l'art qui prétend révéler entier, et s'adresser à
l'homme
l'homme tout
l'homme tout entier, exigera
den unmittelbarsten und doch sichersten Ausdruck des Hœchsten, Wahrsten, dem Menschen ueberhaupt Ausdrueckbaren gilt, da muss auch der ganze,vollkommene Mensch beisammen sein, und diess ist der mit dem Leibes= (1)
es
und Herzensmenschen
in innigster,durchdringendsterLiebe
vereinigte Verstandesmensch, allein.
(III,
—
keiner
aber fuer
81.)
3
sich
38
LE DRAME WAGNÉRIEN.
donc toujours ces
trois
uniques modes d'expres-
musique et la poésie. Voilà, sous une forme très simplifiée,
sion: le geste, la
sence
de ridée wagnérienne
la quintes-
du drame. J'admets
parfaitement qu'on discute cette idée, et
même
qu'on
y contredise, mais ce qui est regrettable, c'est que la
plupart de ceux qui prennent la parole soit pour
Wagner,
contre
soit
lui,
ne
la
même
connaissent
pas. *
Voyons maintenant quels rapports
y a entre
il
les
notions que nous attachons d'ordinaire aux mots de
poète et de musicien, et les trois modes d'expression, les trois arts spécifiés plus haut,
dont
Wagner
sou-
haite l'intime union.
Par
mot de musicien nous désignons presque
le
toujours un artiste qui s'adresse uniquement au sens
de l'ouïe,
par conséquent, qui ne cherche qu'à
et,
en nous des émotions, qui ne s'adresse qu'à
éveiller
notre cœur. Quant au poète,
uniquement à gination.
vue en
S'il
être lue,
il
si
son œuvre est destinée
ne peut frapper que l'ima-
est poète dramatique,
même temps
l'oreille est
remarquer que, dans ce faculté
voyons
le
il
la
cas, la faculté d'art,
vue lorsqu'on
poète et
le
l'ouïe,
la
sinon dans la la trans-
n'est pas besoin de
peu une fonction
de
appel à
forgane nécessaire à
mission des paroles, et
plit aussi
fait
qu'à l'imagination; mais on ne
peut pas dire qu'il se serve de
mesure où
il
lit
faire
de l'ouïe rem-
que ne
le
fait
la
un poème. Nous
musicien collaborer dans
les
39
LA THÉORIE DU DRAME WAGNERIEN. deux le
arts de la
premier
dans
le
(ballet) et
de la chanson; dans
s'adressent à la vue et à Touïe
cas, ils
deuxième, à l'imagination
pour ce qu'il
s'agit ici
constater ceci les
danse
:
;
Mais
et à l'ouïe.
de démontrer, il nous suffira de
puisque
le
poète dramatique utilise
moyens d'expression que peuvent
nation et la vue, et que
le
musicien
d'expression offert par l'ouïe,
poète dramatique et
le
l'imagi-
offrir
utilise le
moyen
en résulte que
il
musicien,
s'ils
le
s'unissent
pour créer une œuvre, auront ainsi à leur disposition le
moyen,
la possibilité,
de s'adresser à l'homme
considéré dans sa totalité. Par
union, en
elle
effet, si
moyen de
le
cette
est parfaitement réalisée,
il
y aura communication directe avec l'homme extérieur par le sens de la vue, avec l'homme intérieur par le sens de l'ouïe, et avec l'entendement par la faculté
de l'imagination. Le poète
fait saisir
l'entendement par la parole,
temps
voyant
le «
sonnage
;
il
est
choses à
en
qui évoque la scène et
«
quant au musicien,
est invisible et qui roles. Nous
et
les
il
échappe à
même le
per-
exprime tout ce qui la
puissance des pa-
pouvons donc affirmer que le drame parfait
exige la collaboration
du poète dramatique
et
du
musicien. Cette affirmation nous conduit de la théorie à la
pratique.
Une grave question se dresse alors immédiatement devant nous comment l'unité qu'exige toute :
œuvre
d'art
pourra-t-elle se réaliser effectivement
dans cette collaboration ?
Il
ne
s'agit
pas d'avoir d'un
LE DRAME WAGNÉRIEN.
40 côté
un poème dramatique^
musique.
Il
et,
faut que les trois
de l'autre côté, de
modes d'expression
mimique, poème, musique, ne soient que faces d'une
même
provenant tous
d'un point unique, et
intérieur; le extérieur.
sentir cela
comme comme
poète
de
poète, c'est le musicien
de
étant indivisibles. Le musicien,
l'homme l'homme
:
les trois
chose, qu'ils soient perçus
trois
la
Dans
drame
le
à chaque instant.
absolue,
nous n'aurons
poète et
le
c'est
le
parfait,
il
faudra
qu'une juxtaposition
gêneront l'un
musicien se
pas
n'est
Si l'unité
;
l'autre,
le
et
marcheront de secousse en secousse, cherchant chacun à leur tour h prendre la prééminence, à moins que l'un n'annihile tout de suite définitivement l'autre, comme nous voyons que fait toujours le musicien dans l'opéra.
Il
s'agit
donc de rechercher quelles
sont les conditions requises
pour
que
cette
im-
pression d'unité dans la diversité des aspects, qui est le
phénomène fondamental présenté par
âmes, puisse se manifester dans
les
d'autres termes,
comment
le
poète et
le le
toutes
drame. En musicien
peuvent-ils et doivent-ils collaborer? Telle est la question
un
que nous allons
traiter avec
certain développement. C'est la question fonda-
mentale à résoudre pour
la
mise en œuvre de
la
nouvelle forme de drame conçue par Wagner.
Le poète le «
voyant
est celui qui invente, qui raconte, c'est », c'est «
celui qui a conscience de l'incon-
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. scient
»,
où son
comme
a dit
Wagner;
conduit
effort le
:
prend pour point de départ telligible, et
c'est celui
bref,
c'est
monde
le
41 qui sait
Tartiste qui visible et in-
qui parvient à s'échapper des lois inhé-
rentes à ce monde, et à atteindre des régions de plus en plus élevées, grâce à la puissance de l'imagination. Et quelles sont ces régions? Ce sont celles
du monde émotionnel,
a que par l'imagina-
c II n'y
que l'entendement puisse communiquer avec
tion,
La musique, par contre, ne possède aucun point de contact avec le monde visible et in-
l'émotion
(1) ».
telligible, « elle est litléralement la
autre cette
monde
(2). »
révélation d"un
Qu'on rapproche cette pensée de
phrase de Schopenhauer
:
«
révèle l'essence intime du monde,
Le musicien nous il
se fait
l'inter-
prète de la sagesse la plus profonde, tout en parlant
une langue que
la raison
ne comprend pas.
ne serait plus faux que de croire que
la
Rien
»
musique
soit
produite par limagination; elle se meut dans un
monde dépourvu de formes musique en
est,
n'est
sensibles. Mais,
pas un produit de l'imagination,
par contre,
le
la
elle
plus puissant excitateur, et cela
précisément à cause de son universalité. « De dit
si
là vient,
encore Schopenhauer, que l'imagination est
si
facilement éveillée par la musique, et que nous
cherchons à donner une figure à ce monde d'esprits, (1)
dem (2)
Nur durch
die
Phantasie vermag der Verstand
Gefaehle zu verkehren. (IV. Die Musik
ist
anderen Welt. yVH.
mit
100.)
geradeweges eine Offenbarung aus einer 149.)
42
LE DRAME WAGNÉRIEN.
invisible
pourtant
et
d'une manière de
lui
si
animé,
qui nous
et
pressante. Notre fantaisie
donner chair
parle
s'efforce
de l'incarner
et os, c'est-à-dire
dans quelque image.
Qu'on
si
»
relise attentivement cette dernière phrase,
et
on y découvrira
le
poète et
le
le
rapport qui doit exister entre
musicien. Schopenhauer, avec sa mer-
veilleuse sagacité, a indiqué là clairement ce essentiel, à savoir
que doit naître
le
:
que
de l'émotion musicale
c'est
poème.
Ainsi nous voyons
l'homme
point
intérieur,
—
poète,
le
—
ou disons plutôt
dans chacun de nous, partir
de la base que lui fournissent la vue et l'entende-
ment pour ce qu'on
se construire
un nouveau monde
nomme l'imagination.
;
c'est là
Mais l'impulsion sans
laquelle cela n'aurait pas eu lieu, cet a éveil de
magination
»,
l'i-
ne peut provenir que d'un ardent désir
de l'homme intérieur d'incarner dans des formes sensibles tout l'inintelligible et l'invisible de cet « autre
monde
».
Et nous savons que cet autre monde, pour
inaccessible qu'il soit à l'œil et à l'entendement, n'en
a pas moins
un langage à
lui.
Ce langage est
plus direct que ne peut l'être la «
révèle l'essence intime du
incompréhensible que
parole, puisqu'il
monde
lui
soit ce langage, il
Et,
quelque
considéré au doit
porter
une puissance de conviction supérieure à
que ces règles possèdent
(1)
«
)).
point de vue des règles de la logique,
en
même
(1). »
C'est de la
Eine Sprache die so unverstaendlich
sle
celle
musique
nach den Ge-
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. qu'il s'agit. Toutefois la
s'adresse
musique, ne l'oublions pas,
uniquement à l'homme
intérieur
«
ne saurait parler directement à l'homme
ils
deux, leur
les
»; elle
exté-
«
une com-
rieur ». L'imagination seule peut établir
munication entre
43
un terrain où
offrir
se rencontrent.
On
voit
que
poète se contente de paroles,
le
si
il
ne répond que très insuffisamment à l'impulsion reçue de l'homme intérieur
qu'il a crifier,
est nécessaire
il
crée une
;
pour ne rien
sa-
que l'imagination du poète
œuvre dans laquelle
l'homme
puisse aussi parler sa propre langue
:
la
intérieur
musique.
Je ne voudrais pas que ce que je dis là prêtât à
malentendu. invisible, «
Wagner
Il
est certain
l'homme
que dans tout
intérieur
affirme, c'est
»,
monde
art, le
que
se révèle. Ce
que dans tous
un
à
les arts,
l'ex-
ception de la musique, cette révélation n'a lieu qu'in-
comme
directement,
par réflexion. Dans
drame
le
une
parlé, par exemple, le miroir réfléchissant est
surface agitée et trouble, qui fait dévier dans tous les
sens les rayons de l'émotion primitive
;
l'âme ne
peut se révéler que par les longs détours de la
lo-
gique du langage, et par les conclusions que nous tirons
yeux.
nous-mêmes des
On ne
voit
faits
donc pas
là
se passant
devant nos
l'image réelle qu'aurait
pu donner autrement l'impulsion première, on n'en voit
même
pas distinctement l'image réfléchie
setzen der Logik
ist,
tout
eine ueberzeugendere Noethigung
ihrem Yerstaendnisse ne Gesetze
;
in sich schliessen
sie enthalten. (VII. 150.)
muss,
aïs
eben
zu je-
LE DRAME WAGNÉRIKN.
44
au plus peut-on
la deviner.
Dès que l'homme intéde lui-même,
rieur a acquis la pleine conscience cette
forme
d'art
devra exiger que
ne saurait donc
le
poète
le laisse
lui suffire, et
il
concourir pour sa
part à la réalisation de Toeuvre, dans sa langue particulière, la
musique, qui est par excellence
la révé-
latrice de l'âme. Si la
musique
n'était
vraiment qu'une forme de
combinaisons mathématiques, prétendu,
Mais
il
il
me
n'y aurait plus
comme
ici
certains l'ont
rien à se demander.
semblerait oiseux d'entamer une discus-
sion à ce sujet
:
ne possédons-nous pas
le
gnage direct de notre propre cœur, qui nous la
musique exprime nos émotions,
tout ce qui dépasse la parole.
donc en face d'un vrai problème répondre à ce
«
désir »
qu'elle
dit
que
exprime
Nous nous trouvons :
comment devra-t-on
insatiable qu'éprouve
musique, de s'incarner dans des formes s'unir à des êtres réels,
témoi-
pour
les
visibles,
la
de
enlacer, pour les
pénétrer de son souffle, et les transporter ainsi dans ces régions de l'émotion où les choses visibles ne
sauraient atteindre à elles seules
?
Pourvoir jusqu'où
l'homme peut s'égarer dans ces questions, sous l'influence d'une civilisation tout extérieure et dénuée d'instinct artistique,
nous n'avons qu'à considérer ce
qu'est l'opéra, car l'opéra est tout simplement une
chose monstrueuse. Nous y trouvons d'un côté une
musique absolue,
c'est-à-dire
une musique qui n'a de
rapports qu'avec l'homme émotionnel,
un poème sur lequel
cette
musique
et,
de l'autre,
est artificielle-
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN
45
ment greffée, et qui s'adresse uniquement et exclusivement à la raison, aussi bien par le choix des sujets que par
comme
la
façon dont
le ferait
ils
sont traités, absolument
n'importe quel drame parlé.
A
l'ex-
ception de certains épisodes lyriques qui surgissent
de temps à autre, entre le
poème
il
la
et
montrer combien il
n'y a aucun rapport organique
musique. Et pour achever de
cette
forme
est bâtarde et fausse,
de faire observer encore que dans l'opéra la
suffit
musique
est le dehors de l'œuvre, elle en est la parure, tandis que, tout
ainsi dire
par son essence intime, destination, partout et
elle
pour
au contraire,
ne doit avoir d'autre
toujours, que d'être
l'âme
même,
le
elle est
appelée à concourir. Et justement cette der-
nière réflexion nous indique
le
chemin
exiger de lamusique qu'elle fournisse de livret
le
sein
personnages
1'
«
et
;
il
faut au contraire que le
même les
de la musique^
nous
émotion
quelconque, ainsi qu'on semble
tendre dans l'opéra naisse dans
qu'il
On ne peut
faut suivre pour résoudre le problème.
pour un
œuvre où
frisson intime de vie, de toute
il
l'at-
poème
faut que les
événements 'avec lesquels
captive la raison, et les images avec lesquelles fascine l'œil, soient enfantés par le désir de intérieur. C'est celui-ci, et avec lui la
sont
ici
»
il
il
l'homme
musique, qui
les maîtres, c'est leur volonté qui doit s'im-
poser. Jamais
le
poète et
le
musicien ne pourront
collaborer utilement avant d'être pénétrés de cette vérité fondamentale, car ce n'est qu'à cette condition qu'ils
pourront produire un drame dans lequel les 3.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
46
modes d'expression formeront une
divers
véritable
unité organique.
Dans
le
drame
musique met notre
ainsi conçu, la
âme en communication
directe avec l'âme
nage en scène, dont nos facultés de
tendement nous révèlent
l'aspect
tinée.
Ces facultés nous
rieur,
la
musique
:
vue
physique
et
de l'en-
et la
des-
dévoilent l'homme exté-
Thomme
Et encore
intérieur.
uniquement l'homme intérieur que
n'est-ce pas
musique nous
la
révèle, c'est aussi tout l'univers invi-
sible, c'est-à-dire tout ce qui
la
la
du person-
dans
le
monde dépasse
portée de la raison, et qne notre âme, sans pouvoir
l'exprimer par des paroles, pressent derrière chaque
événement
et
par delà chaque phénomène. Bref, la
musique révèle
ce
que contient d'éternel,
nellement indicible,
la
devant les yeux et devant
En réponse à posée ils
:
Gomment
collaborer?
très net la
«
:
la
le
»
évoquée par
fable
poète et
le
nous avons donc
poème
doit naître
musique. Mais ce n'est
d'éter-
la poésie
la raison.
question que le
et
là
nous nous étions musicien peuventétabli
dans
un principe
le sein
même
de
encore qu'un principe.
nous faut chercher une formule plus pratique, quelque chose dont la raison de l'artiste puisse se
Il
prévaloir, et qui lui serve
à discerner clairement
toutes les conditions que devra remplir cette nouvelle
forme de drame, car on doit a priori supposer qu'elles seront fort différentes de celles qui régissent les
autres œuvres de théâtre. Pour arriver à établir cette
formule, nous allons retourner à Richard Wagner.
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN.
47
C'est de l'histoire de son évolution artistique personnelle,
que ressortira
le
mieux
la solution
que nous
cherchons. *
Il
importe d'affirmer catégoriquement que
l'idée
d'une forme parfaite de drame, l'idée du drame issu
de la musique, sance.
Wagner en
n'est pas vrai,
Il
—
sister sur ce point, ait été
il
a eu l'intuition de nais-
— je trouve nécessaire d'inque Wagner
n'est pas vrai
conduit à sa conception de l'œuvre d'art de
l'avenir en tentant la réforme de l'opéra.
pas en d'aller
Ne
serait-ce
une véritable aberration de jugement, s'imaginer que l'idéal suprême de l'art puisse effet
remaniements pratiqués sur une
être le produit de
monstruosité
que Fopéra. Nous avons
telle
vu dans
le
Wagner
concevait déjà
chapitre précédent, que, dès le
le
d'ailleurs
jeune âge,
drame d'une façon con-
forme au point de vue général que je viens d'exposer. Dès le début, nous voyons son imagination poé-
véhémence jusque dans ces régions du monde émotionnel où la pensée et le mot et dès le début nous se fondent dans la musique tique s'élancer avec
;
sentons sourdre cet océan intérieur de l'émotion musicale, qui voudrait se répandre dans des formes
communiquer
pour
visibles,
l'homme extérieur et le ravir
avant tenait
lui
à
ne
soi.
et
comme
l'avait senti, c'est le
caractérise et
;
avec
pouvoir ainsi mieux Tentraîner
Sentir cela
des dieux
directement
et
c'est cela
jamais personne
don que Wagner précisément qui
le
donne à sa physionomie de poète une
LE DRAME WAGNÉRIEN.
48
empreinte
si
personnelle.
péties de sa vie,
Wagner
A
travers toutes les péri-
a toujours voulu composer
des drames, et jamais autre chose aussi
il
a voulu que le
drame
fût
;
mais toujours
une œuvre
s'adres-
sant à l'homme tout entier, aussi bien à l'homme intérieur qu'à
l'homme
extérieur.
Quant à savoir quelles étaient
les conditions néces-
forme de
saires à la réalisation pratique de cette
drame, cidée
y
c'était là
si
fallait
une chose qui ne pouvait
être élu-
facilement. Pour s'en faire une idée nette,
il
de longues réflexions. Mais tout d'abord
vinrent les essais pratiques, ou, en d'autres mots, les
exemples, pouvant fournir matière utile à réflexion.
Wagner
fut
obligé
de produire
en
tâtonnant les
œuvres qui guideraient ensuite sa pensée peut raisonner dans
le vide, et
;
car on ne
en art la pure abs-
Wagner
traction ne peut être d'aucun secours. très versé dans toutes les littératures,
était
connaissait
il
à fond tous les auteurs dramatiques, depuis les Grecs jusqu'à Shakespeare sait
;
d'autre part
il
connais-
également bien toute cette merveilleuse musique
moderne qui atteint son point culminant dans Beethoven. Tout cela pouvait servir à élargir son esprit et à
fortement asseoir son jugement, mais cela ne
lui
fournissait pas les éléments utiles à la solution
du
problème
qu'il cherchait.
dant lesquelles
il fit
Les quelques années pen-
métier de chef d'orchestre
tièrent à tout ce qui a été fait l'opéra. C'était assez il
pour
lui
n'y avait rien à espérer.
dans
le
l'ini-
domaine de
montrer que de ce côté
Même
les miracles d'un
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. Mozart ne faisaient qu'augmenter
la
49
confusion. Wag-
ner dut donc créer lui-même une série d'œuvres par lesquelles et dans
lesquelles
chercher, et qui
conduisirent jusqu'au seuil de la
le
science. Et enfin vint le
pont durable entre
maine son
et à sa
moment
pour jeter un hu-
la nature
de joindre l'une à l'autre indis-
était nécessaire
il
où,
deux parties de
les
qu'il s'agissait
solublement,
pût continuer de
il
de faire appel à la rai-
puissance analytique. Une définition nette
et précise, une
formule pratique, était nécessaire. C'est
au moment où
il
dans toute
était
1848, au milieu de sa vie, que
de
la force
Wagner
l'âge,
en
trouva cette
définition et cette formule.
donne
Je
ici
en entier
qu'un fragment dans
le
le
passage dont je n'ai
chapitre précédent
;
et,
cité
pour
rendre plus sensible la succession des arguments, je les note
par des chiffres.
La musique exprime uniquement des émotions
« 1.
et des
sentiments
:
notre langage parlé, quoiqu'il
n'ait
pas été primitivement l'organe de l'entende-
ment
seul, l'est
peu à peu devenu et n'a plus maintenant d'autre fonction quant au contenu émotionnel ;
qui s'en est détaché, c'est la musique qui l'exprime
désormais avec une puissance incomparable. revanche, ce que à
lui seul, c'est
le
d'indiquer avec précision le sujet
tion et le sentiment atteignent
En
une
le sujet
de
dans lequel l'émosignification pré-
La puissance expressive du langage musidemande donc un complément, qu'elle trouvera
cise.
cal
2.
langage musical ne saurait faire
l'émotion et du sentiment,
—
—
3,
LE DRAME WAGNÉRIEN.
50
dans
le
pouvoir de caractériser avec netteté tout ce
qu'un sentiment ou une émotion peut contenir aussi de personnel elle
ne peut l'acquérir qu'en
parlé. —
—
de particulier.
et
le
langage musical
terrain d'union avec le langage parlé
où tous deux peuvent
terrain
le
au langage
ne peut donner
5. Toutefois, cette alliance
comme
Et ce pouvoir,
s' alliant
de bons résultats qu'autant que
prendra
4.
être considérés
une certaine mesure comme apparentés; cette
dans
faut que
il
union se fasse au pointprécis où, dans le langage
parlé, se manifeste le besoin impérieux d'un
d'expression
allant droit
aux
sens. —
mode
Or, ceci
6.
dépend uniquement du sujet (littéralement du contenu de ce qu'il y a à exprimer), de la mesure dans :
laquelle ce sujet se transforme d'un sujet s'adressant
à l'entendement seul en un sujet s'adressant à l'émo-
Un
tion.
ment
sujet (de drame) qui s'adresse à l'entende-
seul ne peut s'exprimer que par le seul langage
parlé; mais
à mesure que
le
mode
grandit, le besoin d'un autre fait sentir
contenu émotionnel d'expression se
de plus en plus nettement, et
moment où
le
langage de
la
à ce qu'il s'agit d'exprimer. ces prémisses
:)
musique
—
Ceci décide
7.
il
arrive
est seul
un
adéquat
(Conclusion tirée de
péremptoirement du
genre de sujets accessibles au poète-musicien, ce sont les sujets d'un ordre purement humain et débarrassés de toute convention (1). » (A
(1)
sind
un autre
endroit,
Das in der musikalischen Spràche Auszudrueckende
nun aber
einzig Gefuehle
und Empflndungen
:
sie
LA THÉORIE DU DRAME "WAGNÉRIEN.
Wagner
ajoute
signification
A une citer,
:
que
51
débarrassés de tout ce qui n'a de
«
comme forme
historique ».)
première lecture du passage que je viens de
Fargumentation ne paraîtra peut-être pas encore
absolument
claire
.
Comme
il
lui arrive
souvent de
le
von unsrer, zum reinen Verstandesorgan gewordenen AVortsprache, abgeloesten Gefaetilsinhalt der
drueckt den
reinmenschlicîien Sprache ueberhaupt,in vollendeter Fiielle
Was
somit der absoluten musikalischen Sprache fuer sich unausdrueckbar bleibt, ist die genaue Bestimmung des Gegenstandes des GefQehles und der Empfindung, an wel-
aus.
chem dièse selbst zu sicherer Bestimmtheit gelangen die ihm nothwendige Erweiterung und Ausdehnung des musikalischen Sprachausdruckes besteht demnach im Gewinne :
Vermoegens, auch das Individuelle, Besondere, mit kenntliclier Schaerfe zu bezeichnen, und dièses gewinnt sie nur in ihrer Vermaehlung mit der Wortsprache. Nur aber des
dann kann dièse Vermaehlung eine erfolgreiche
sein,
wenn
Sprache zu allernaechst an das ihr Befreundete und Verwandte der Wortsprache anknuepft; genau da hat die Verbindung vor sich zu gehen, wo in der Wortsprache selbst bereits ein unabweisliches Verlangen
die
musikalische
nach
wirkUchem,
sinnlichem
Gefuehlsausdrucke
sich
nach dem kundgiebt. Diess bestimmt Inhalte des Auszudrueckendea, in wiefern dieser aus einem Verstandes= zu einem GefuehlsiDhalte wird.Ein Inhalt, der einzig dem Verstande fasslich ist, bleibt einzig auch nur der Wortsprache mittheilbar; je mehr er aber zu einem Gefuehlsmomente sich ausdehnt, desto bestimmter bedarf er auch eines Ausdruckes, den ihm in entsprechender Facile endlich nur die Tonsprache ermœgUchen kann. Hiernach bestimmt sich ganz von selbst der Inhalt Dessen, was der Wort-Tondichter auszusprechen hat es ist das von aller Konvention losgelœste ReinmenschUche (IV, 388.) sich aber
einzig
:
.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
52 faire,
Wagner a sous-entendu une partie de son argu-
mentation, pour arriver plus
peu inattendue, à
vite, et
la conclusion.
Il
d'une façon un a négligé d'in-
diquer la mineure de son syllogisme,
formuler ainsi
:
aurait
il
pu
la
tout ce qui est d'un ordre purement
humain s'adresse à l'émotion;
et tout ce qui est
con-
vention n'a de sens que pour l'entendement. Les
deux points essentiels à retenir ressortiront cependant avec assez d'évidence pour qui voudra bien relire ce
en
passage
premier
et l'approfondir.
Wagner y
établit
que l'union organique entre
lieu
la
parole et la musique ne peut avoir lieu que dans un certain genre de sujets est ce genre de sujets. c'est
en
effet très
',
et
il
Cela paraît très simple, et
simple
;
mais
l'œuf de Christophe Colomb, établissant
ces principes,
problème de
le
il
c'est
comme pour trouver.
En
avait résolu
le
fallait le
Wagner
la collaboration
cien. C'est là
détermine ensuite quel
du poète
et
du musi-
point de départ de sa découverte
d'une nouvelle forme de drame.
Dans
le
chapitre précédent, nous avons vu quelles
sont les influences immédiates qui conduisirent
Wag-
ner à faire cette grande découverte, ce sont les impressions qui le frappèrent pendant qu'il écrivait Fredéric Barberousse.
Le lecteur comprendra mieux main-
tenant pourquoi ce sujet historique eut une influence si
décisive sur son évolution artistique, tandis que
Tannhœuser
et
Lohengrin^ qui ne touchent que très
vaguement à l'histoire, n'avaient pas suffi à porter complètement la lumière dans son esprit.
LA THEORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. Mais ce point,
53
— la nécessité de ne choisir que des
purement humain, et de rejeter tous ceux qui auraient comme base, ou même comme simsujets d'un ordre
ple appui de l'action
que ce vie,,
de ce qu'il y a de conventionnel dans la
soit
— ce point est tellement important,
et je crois si
voir saisi pleinement,
de façon à
essentiel de
le
imposer sans retour rer
formant l'âme de l'œuvre, quoi
une dernière
la conviction,
fois la patience
que
du
je vais implo-
lecteur,
pour un
dernier commentaire à ce qui précède.
C'est
l'homme
intérieur,
posent cette condition que sujet d'un ordre «
c'est
la
musique,
le sujet choisi doit être
purement humain
qui
un
».
Nous avons vu, par la notion que nous nous sommes faite de ce que doit être un drame parfait, la nécesque l'homme intérieur vienne y apporter son concours, avec son langage spécial, qui est la sité
musique. Or, pour l'homme intérieur, rien n'existe de tout ce qui, dans l'humanité, n'est que forme historique,
convention
sociale,
Ce
arbitraire.
sont
là
choses que l'entendement et la raison peuvent seuls connaître.
musique
La preuve indiscutable en
est tout à fait
est
que
la
impuissante à représenter
n'importe quel objet perçu par
le
sens de la vue, ou
La musique exprime uniquement des émotions et des sentiments » dit Wagner. « La musique n'exEt Schopenhauer a dit aussi prime jamais le phénomène, mais uniquement l'esdéfini
parla logique.
«
,
:
LE DRAME WAGNÉRIEN.
54
sence intime du phénomène. tiendra pas d'émotion, un
»
Un
sujet qui ne con-
phénomène qui sera
tout
entier en surface, n'offriront donc aucune prise à la
musique.
A
cette affirmation,
nements et se
les plus
on peut objecter que
les évé-
passionnants peuvent se produire
produisent en
quotidiennement sur
effet
le
on peut encore se
terrain des conventions sociales;
demander pourquoi, si la musique exprime l'essence intime de tout phénomène, elle ne doit pas être en conséquence considérée
comme exprimant
l'essence intime de chacun des
phénomènes
aussi
faisant
événement historique quelconque. Ces objections, formulées un peu à la légère, ainsi d'ail-
partie d'un
leurs que les idées très souvent fausses que certains
wagnériens se sont dait par ces
mots de
faites de ce «
que Wagner enten-
purement humain
ont con-
»,
aux plus fâcheux malentendus, tant parmi
duit
les
du
prétendus adeptes que parmi les adversaires
drame wagnérien. On a affirmé que Wagner voulait
restreindre à la mythologie le choix des sujets.
Le simple examen des reur de cette
mythologique
faits suffit
opinion traité
:
à démontrer
l'unique
sujet
l'er-
vraiment
par Wagner, l Anneau du Nibe-
lung, a été choisi par lui avant qu'il ne s'occupât de
Frédéric Barberousse et des questions de théorie.
Plus tard,
dans Il
les
il
ne mit sur
la
scène que la légende,
et,
Maîtres-Chanteurs^ la simple vie bourgeoise.
va sans dire qu'on peut trouver partout,
tous les genres de sujets, ce que
et
dans
Wagner entend par
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. son expression qu'il
loi
côté
le
«
:
établit à cet
purement humain
de
».
La
égard ne contient en réalité
aucune restriction quant au choix des
Tengouement
55
sujets. Aussi,
nos compositeurs, tant français
qu'allemands, pour les fables tirées de mytlies celtiques ou germaniques, est assez niais,
s'ima-
s'ils
ginent par là entrer dans les idées de Wagner. Car ce
que Wagner entend
signifier,
drame auquel collabore lité
le
musicien,
il
que,
dans
le
y a impossibi-
fondamentale à exprimer tout ce qui n'est que
formel et conventionnel. Que son sujet où bon chera de et
c'est
lui
le
semblera
la perfection
poète choisisse donc
son drame n'appro-
:
qu'autant qu'il aura su saisir
mettre vigoureusement en relief ce qui constitue
la partie «
nements
purement humaine
qu'il
»
dans la suite d'évé-
voudra montrer; qu'autant
qu'il
aura
réussi à écarter les intrigues basées sur des conventions sociales,
et les actions
exigeant des
commen-
taires historiques.
La raison de ce qui précède est bien simple, et évidente. Nous avons vu que la base, l'origine du drame wagnérien, et,
c'est l'ardent désir
de l'homme intérieur,
par suite, de la musique, de s'incarner dans des
formes visibles
et tangibles. Mais,
but du vrai poète
n'a-t-il
de tous temps,
le
pas été aussi de faire sentir,
à travers les formes sensibles qu'il offrait à l'imagination, tout ce qui dépasse le cas individuel et accidentel, c'est-à-dire tout ce qui est d'ordre
main
? Si
maintenant
les
purement hu-
deux parties dont
posé l'homme souhaitent venir à
la
est
com-
rencontre l'une de
LE DRAME WAGNÉRIEN.
56
Tautre, et s'embrasser et se fondre
comment
le
complètement,
pourraient-elles faire, sinon en choisis-
sant l'unique terrain qui leur soit accessible à toutes
deux, Il
le
y a
tions
;
subit.
terrain des sujets d'ordre
purement humain?
un jeu mutuel de restrictions et de condichacune des deux parties en impose et en La poésie ne pourra se fondre dans la musique, ici
qu'autant qu'elle ne contiendra pas d'éléments non assimilables.
Quant à
musique, nous savons que
la
son but est de nous faire sentir
la part d'éternelle
vérité qu'il peut y avoir dans le fait
nous dans
éphémère, de
peut y avoir d'universel mais, si dans le drame ces
faire saisir ce qu'il le
cas individuel
;
faits
sont en réalité tout à fait éphémères, c'est-à-dire
s'ils
sont uniquement historiques, et
si le
cas indivi-
duel ne contient que de l'arbitraire et de la convention, la
musique deviendra absolument impuissante
à les pénétrer. Nous n'aurons alors que ce que tous les
opéras nous offrent
:
d'un côté, un drame indé-
pendant; de l'autre côté, de il
n'y aura pas entre les
organique. Si
le
la
musique absolue;
deux un
et
lien véritablement
musicien s'appelle Mozart, ou Beetho-
ven, ou Gluck, nous entendrons une musique admirable, chaque fois qu'une situation « d'ordre
humain» par
purement
arrive à se dégager des intrigues imaginées
le librettiste et
n'ayant de sens que pour l'enten-
dement; mais nous n'en serons que plus déconcertés, lorsque bientôt après nous nous trouverons soudaine-
ment replongés dans une situation où la coexistence des paroles et de la musique ne pourra plus être que
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÉRIEN. tout à fait arbitraire et inexplicable.
que pour que former dans
le
le
il
donc
musique arrivent à drame un organisme unique, pour que
les
est indispensable
sein de la
voit
les paroles et la
qu'elles ne soient
chose,
On
57
musique;
deux faces d'une que ce drame
pour cela
et c'est
pourra contenir que l'essence
soit
même
né dans qu'il
ne
purement humaine
«
»
des phénomènes, débarrassée de toute convention et
de tout ce qui n'est qu'aspect historique transitoire.
De
ce principe découle
une conséquence de
haute importance, c'est que
le
drame
se trouve re-
même
des person-
porté à l'intérieur, dans l'âme
nages.
Nos
la plus
idées sur ce qu'on est convenu d'entendre,
par ce qu'on appelle
«
action dramatique
à subir une modification profonde.
On
»,
voit
ont
ici
que
la
part des événements extérieurs, des événements qui
remplissaient la
majeure partie du drame parlé,
doit être réduite le plus possible
;
tandis que tout ce
qui se passe au fond du cœur des personnages mis
en scène, tout ce que faire deviner,
le
poète ne peut que décrire ou
deviendra dans
la véritable « action ».
le
drame wagnérien
Appuyée sur
la
connaissance
exacte de la situation, connaissance que nous devons
à nos facultés de la vue et de l'entendement tachant à l'action
scénique,
la
s'at-
musique nous ré-
commupersonnages. On
vélera la vie intérieure et nous mettra en nication
que
directe avec
l'âme des
domaine superficiel de cette nouvelle forme de drame est strictement limité, il possède voit
si
le
par contre à l'intérieur une puissance infinie d'exten-
LE DRAME WAGNERIEN.
58
au poète tout un monde de
sion, et qu'il offre ainsi
ressources insoupçonnées jusqu'à ce jour.
On remarquera enfin qu'en déterminant avec
préci-
sion quel ordre de sujets est accessible à la nouvelle
forme de drame que nous avons par là
même
nous avons
répondu, non seulement d'une façon
mais
suffisante,
définie,
même
complètement, à
la question
que nous nous étions posée sur
le
vent s'accorder mutuellement
poète et le musicien.
purement théorique, de l'examen même que nous
Et notre réponse n'a pas puisqu'elle
avons
fait
est tirée
le
concours que doi-
été
de la nature propre de chacun des moyens
d'expression que l'homme possède à sa disposition.
Quant à rechercher
et à
donner des règles techniques,
qui légifèrent cette union intime de la poésie et de la
musique, nous avons déjà due de
Wagner
serait peine per-
comprendra en outre
pourquoi
avait déjà presque résolu dans ses
difficile
l'eût
que ce
le faire.
Maintenant on
ce
dit
problème, avant
même
œuvres
que sa raison
conduit à reconnaître clairement où était la
vérité, la vérité si
simple
et
pourtant
si
cachée. C'est
que, à rencontre de ce qui a lieu pour les opéras,
auxquels on veut quelquefois assimiler
les
œuvres de Wagner, ces œuvres étaient
premières toutes,
et
de la musique, et
dès la première, nées dans
le sein
que toutes
poète avait créées étaient
les
formes que
façonnées selon
le
souhait de l'homme intérieur.
même temps
Mais on comprendra en
men
raisonné qu'il
le
fit
que par l'exa-
des conditions requises par
LA THÉORIE DU DRAME WAGNÊRIEN. la nouvelle
forme de drame
Wagner donna
qu'il travaillait
à créer,
à sa propre puissance créatrice une
base bien plus solide que celle que là fournie la
59
lui avait
jusque-
simple intuition. Et c'est cette connais-
sance raisonnée,
qui,
en l'affranchissant des der-
nières hésitations, transfigura son œuvre.
CHAPITRE
111
LRS DRAMES ANTร RIEURS A
1848.
Das Verstaendniss meiner Absicht ward mir deutlicher
zur
immer Haupt-
sache. Percevoir d'une faรงon distincte le but vers lequel je tendais,
devint de plus en plus pour
moi la chose
essentielle.
Richard Wagner.
CHAPITRE
m
LES DRAMES ANTERIEURS A 18 48
Plaçons-nous maintenant au point de vue de la connaissance raisonnée du drame wagnérien, pour
un coup
jeter
d'œil rapide sur les
œuvres de Wagner
antérieures à 1848, puisqu'elles constituent juste-
ment
les étapes qui
conduisent
le
maître à cette con-
La critique que nous en ferons n'aura de commun, ni avec les louanges, ni avec les
naissance. rien
blâmes qu'on leur décerne d'ordinaire. Notre unique but est de suivre l'évolution
du poète-musicien.
Nous considérerons comme un progrès chaque pas le
rapprochant de
dans
la
l'idéal
auquel
seconde moitié de sa
chaque pas
il
vie, et
devait atteindre
comme un
recul
l'en éloignant.
J'espère que les chapitres précédents auront suffi
à convaincre j'avançais
Wagner forme de
le
dans
lecteur de
la
l'introduction,
s'est servi
justesse
à
savoir
de ce que :
que
pendant un certain temps de
l'opéra, c'est
uniquement parce
si
la
qu'il avait
LE DRAME WAGNÉRIEN.
64
besoin, pour la réalisation de ses conceptions dramatiques, de tout l'appareil scénique et
pouvait
Topera, et que d'ailleurs
lui offrir
pondant à ce
qu'il voulait faire. Je
une querelle de mots,
crut
ne cherche pas
je le répète, et je
ne songe
pas à nier que dans ses premières œuvres ait
il
pendant un certain temps, que cette forme de l'opéra se trouvait être la forme corres-
aussi,
même là
musical que
de bonne
Wagner
cru écrire des opéras, dans
foi
le
sens
habituel de ce mot. Mais ce que j'affirme, c'est qu'il est impossible de saisir la portée de ces la
œuvres de
première période, considérées tant en elles-mêmes
que par rapport à l'évolution artistique du maître,
même
on ne reconnaît pas que par leur essence elles se distinguent
lons
si
nettement de ce que nous appe-
ordinairement des opéras,
faut partir pour tout
examen
et c'est
de là qu'il
sérieux qu'on veut en
faire.
Dans
la
première œuvre,
toute
comme
les
Fées^
nous
un motif « d'ordre purement humain » l'idée de la rédemption par l'amour. L'intrigue proprement dite est toute
trouvons déjà
base de
l'action
:
secondaire. Et par
premier ouvrage,
rédemption «
;
elle
un curieux hasard,
dans ce
la musique^ qui conduit à l'idée
est
la
puissance
l'essence divine dans l'être mortel
Par
c'est,
la faute d'Arindal,
de
miraculeuse,
».
Ada, sa femme, a été chan-
gée en pierre. Arindal a déjà combattu les monstres
LES DRAMES ANTERIEURS A 1848.
65
do l'enfer et a porté la déroute parmi leurs rangs,
en invoquant
femme?
tombé à
».
Mais
comment
mauvais enchantement qui pèse sur
faire cesser le
sa
l'amour vainqueur
«
désespère d'y parvenir, lorsque, déjà
Il
terre,
entend une voix divine l'exhorter
il
:
— «ODieu,qu'entends-
« Saisis ta
harpe
je, s'écrie
Arindal; oui, je possède en moi une force
)),lui dit-elle.
divine, car je connais la puissance des sons
harmo-
nieux, l'essence divine que renferme l'être mortel Il
!
»
chante, et aussitôt celle qui n'était plus que pierre
redevient vivante, et se précipite dans ses bras. Cette œuvre, dont la première représentation n'eut
mort du maître, a quelque chose de
lieu qu'après la
prophétique. N'est-ce pas déjà l'annonce du drame
dans lequel
wagnérien,
la
musique, affranchie de
toute entrave, rend la vie à des formes pétrifiées et
révèle l'essence
divine incluse
en toutes choses?
Mais ne nous attardons pas à cette considération. L'essentiel, c'est de reconnaître cette
œuvre,
une œuvre
/es
«
que nous avons dans
Fées^soiis les apparences d'un opéra,
née dans
le sein
de la musique
».
Cependant, pour bien comprendre ce qui caractérise les Fées^
même temps
il
est indispensable de considérer
l'œuvre qui fut créée par
médiatement après l'idée
de
la
:
la
Wagner im-
Défense d'aimer. Là
rédemption par l'amour
en
aussi
est l'idée fonda-
mentale du drame, rédemption de l'homme pécheur par la vierge chaste. Et après avoir constaté cette
grande
affinité
dans
l'idée
première, ce qui frappe
aussitôt notre attention, c'est cependant le contraste 4.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
66
Wagner
absolu qu'il y a entre les deux œuvres.
lui-même en
fut frappé plus tard, et
compare
l'on
la
Défense d'aimer et
il
écrivit
les
Fées^
« Si
:
il
est
comment un produire dans un
impossible de parvenir à comprendre
revirement
temps
si
si
complet a pu se
Wagner,
restreint ». Mais, quoi qu'en dise
nous croyons justement avoir trouvé
le secret
revirement. Car ce que nous constatons cette
première série de deux œuvres,
nous retrouverons dans j'ai
le
poète et
le
les suivantes, et ce
musicien
dans
ici,
c'est ce
essayé de qualifier en disant que c'est
entre
de ce
que
que déjà
« le conflit
».
Sans doute nous trouvons dans ces deux ouvrages, dans une mesure à peu près égale, cet instinct qui porte
Wagner
à ne rechercher que ce qui est «d'ordre
purement humain», le
ou, en d'autres mots, à rechercher
seul terrain sur lequel la poésie et la
musique
peuvent se rencontrer pour ne plus former qu'une unité organique
;
mais ce qai manque encore abso-
lument, c'est la connaissance raisonnée du but à poursuivre.
A chaque
instant le jeune
auteur se
heurte à des difficultés qui proviennent, soit de ce qu'il
pèche contre cette
loi
fondamentale du drame
chanté, soit de la forme musicale à laquelle
il
nécessaire de s'astreindre. Dans
cas, le
le
premier
croit
poète prétend imposer au musicien une tâche à laquelle celui-ci ne saurait suffire ; dans le second cas, le
musicien coupe les ailes au poète. Examinons de
près ce conflit entre
Dans
les
le
poète et
le
musicien.
Fées nous trouvons un
poème
diff'us
et
67
LES DRAMES ANTERIEURS A 1848.
peu
clair.
Evidemment, dans
la
pensée de
l'auteur,^
musiqae qui devait à peu près tout seule. On s'en aperçoit même dans les
c'est la
faire à
elle
détails,
car la langue et la versification sont peu soignées,
comme
si
Fauteur n'y attachait pas une grande im-
portance. Dans la Défense d'aimer^ tout au contraire,
nous trouvons une action ressante,
et
claire,
bien conduite, inté-
une langue soignée
et forte. C'est
une
pièce qu'on pourrait très bien jouer sans musique.
Et
est à
il
remarquer que l'élément comique, qu'on
ne retrouve plus chez
Wagner que dans
les
MaUres-
Chanieurs^ y joue un rôle considérable, et dans des
scènes très
réussies. Bref, le premier
plus souvent l'impression d'un libre tto devant
fait le
simplement servir de prétexte à que la
le
la
musique, tandis
second est une comédie écrite avec verve,
musique ne devait servir qu'à en accentuer
lure. et
poème nous
On ne
saurait nier que les sujets
même indépendamment
et
l'al-
eux-mêmes,
de leurs qualités intimes,
ne soient en partie cause de ce curieux phénomène les
Fées sont écrites sur un conte de Gozzi
la
;
:
Dé-
fense d'aimer est tirée d'une comédie de Shakespeare.
Mais je ferai remarquer que ce choix est déjà par
lui-même
significatif, et aussi
Wagner procéder avec une remanier les sujets comme toutes pièces de
que nous voyons déjà parfaite indépendance, il
lui
nouveaux ressorts
plaît,
créer de
d'action, de telle
sorte qu'on ne peut guère attribuer qu'une très mi-
nime importance à
cet ordre d'influences.
Il
y a une
autre explication à donner de ces diff'érences. Dans
LE DRAME WAGNÉRIEN.
68 les
peut pas dire que fité,
est la était
le
musicien en
ait
réellement pro-
car nous avons vu que là où le poète ne
çonne
et
On ne
Fées, le poète a été frustré de sa part.
»
pas suffisamment son œuvre, la musique
première à en
œuvre des Fées de l'idéal de Wagner,
souffrir. Cette
donc restée bien en arrière
c'est
« fa-
pour cela que, sentant d'instinct
de son premier poème,
il
les défauts
choisit tout naturellement
pour son second drame un sujet qui garantissait au poète une part prépondérante. Mais cette réaction
mena
œuvre
trop loin, puisqu'il en résulta une
tout compte
fait,
ne semble pas exiger de
la
le
qui,
musique.
Tout ce que nous venons de voir est très simple
mais nous n'en
sommes encore pour
qu'aux considérations de surface.
Il
ainsi
faut
;
dire
pousser
plus avant, pour tirer de ces deux premiers essais tout l'enseignement qu'ils comportent, et y trouver
un moyen d'initiation à plusieurs points essentiels du drame wagnérien. Nous nous apercevrons que dans faible
les
Fées, qui sont certainement l'œuvre la plus
des deux, l'œuvre dont les contours sont
plus noyés et
le
le
plus imprécis, l'idée fondamentale
du drame, Tidée de la rédemption par l'amour, n'en ressort pas moins bien plus puissamment que cela n'a lieu dans la Défense d'aimer, œuvre pourtant vigoureusement dessinée
Comment
et toute
remplie par l'action.
expliquer cela? Tout simplement en re-
marquant que la conception générale des Fées répond beaucoup mieux que celle de la Défense d'aimer à la loi
que nous connaissons, qui veut que
« le
genre
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
69
de sujets accessibles au poète-musicien, ce soient les sujets d'un ordre
rassés de toute
purement humain,
convention
».
Or, dans
débar-
et la
Défense
un rôle préfaiblesse du drame,
d'awiei\ les conventions sociales jouent
pondérant,
et c'est ce qui fait la
en tant que drame wagnérien. Dès les toutes pre-
mières œuvres nous voyons donc par
la
pratique la
confirmation de ce point essentiel, formulé seule-
ment bien des années plus
qm puisse un
sujet,
tard,
que
la seule
exprimée dans cet art, c'est ce
être
en forme
la partie «
chose
qui, dans
purement humaine
».
Nous avons encore un second enseignement, presque aussi important
que
le
premier, à tirer de l'étude
de ces œuvres. Dans
la
dépasse souvent
niveau qu'elle atteint dans
le
Défense d'aimer, la musique les
uniquement parce que le poème est mieux fait. Qu'on remarque ceci le poème est meilleur, techniquement la musique est aussi en progrès, Fées, et cela
:
et
cependant l'œuvre est moins bonne, parce que
fusion
du poème
et
de la musique
est,
la
de par la
nature du sujet, rendue plus fréquemment impossible.
Mais de ce que, dans
musique grâce au
est
la
Défense d'aimer^ la
devenue meilleure en maints endroits,
poème lui-même, nous devrons conclure
musique sera toujours d'autant plus libre et puissante, que le poète aura frappé plus nettement que et
la
plus vigoureusement l'œil et l'entendement du
spectateur.
D'ailleurs on
peut constater la
même
chose en comparant entre elles différentes parties d'une
même
partition. (Des
deux qui nous occupent
LE DRAME WAGNÉRIEN.
70
des Fées^ seule, a été publiée.) Plus uae
celle
ici,
scène est conçue selon les formules de l'opéra, moins la
musique
remarquable. Et Tinverse est tout
est
delà
aussi vrai; je citerai principalement la scène
qui est d'une grande beauté. Mais on
folie d'Arindal,
verra dans toute la partition, que le
poète brise
le
moule
chaque
fois
que
traditionnel, la voix et l'or-
chestre sont aussitôt traités avec une maîtrise qui
pressentir le puissant poète-musicien de plus
fait
tard.
Les rapports qui existent entre
la troisième
œuvre
de Wagner, Rienzi^ et les deux précédentes, sont
si
intimes, qu'on ne saurait distinguer nettement les traits si
auxquels Rienzi doit son caractère
Ton n'a pas auparavant étudié
Défense d'aimer. Dans Rienzi^
les
Wagner
si
marqué,
Fées et la s'efforce de
réunir les tendances contradictoires que nous avons
notées dans
dans
la
les
deux premières
Défense d'aimer
vementé
;
comme dans
nifeste de tout
^
le
les
exprimer par
lit
Comme
moul'intention est mamusique. La consé-
drame Fées^
œuvres.
est touffu et
quence est qu'à côté des qualités de chacune des
deux premières œuvres, nous retrouvons également ici
leurs défauts, et exagérés encore.
Le défaut du poème de que
la «
convention
»
là
Défense d'aimer^ c'était
y jouât le rôle principal, la et des coutumes. Dans Rienzi^
convention des
mœurs
c'est l'intrigue
historique, la convention
sous une
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848. autre forme, qui
main
qu'on peut trouver à
»
motif
étouffe le
«
7l
purement hu-
base de la conception
la
dramatique. Le principal défaut des Fées^ ignorance dans laquelle se trouve
double
cien, qui ne sait pas encore
cale
le
musi-
que l'expression musi-
ne s'applique qu'aux seuls sujets d'ordre pure-
ment humain, la
c'est la
et qui
poème
perfection du
nouissement
non plus n'a pas encore vu que
libre et
est indispensable à
entier de son art, et
l'épa-
que
les
imperfections du poème, loin d'être dissimulées par la
musique, seront au contraire aggravées par
Dans Rienzi
elle.
ce défaut d'équilibre est encore plus
^
considérable. Le poète entend ne renoncer à rien des
progrès réalisés par le
dans
lui
la
Défense d'aimer; mais
musicien veut prendre sa revanche d'y être resté à
l'arrière-plan
entière
;
liberté,
et, il
tout en laissant au poète la plus s'affirme
maintenant lui-même
partout en maître, et imprime à Rienzi
par excellence d'œuvre musicale.
Si
le
l'on
caractère désirait
caractériser Rienzi d'une façon brève, on pourrait dire
que parmi toutes
celle qui
œuvres de Wagner, c'est appelée un « drame musi-
les
mérite d'être
que Wagner a plus tard énergiquement protesté contre l'emploi de cette dénomical ».
On
sait
nation pour désigner la nouvelle forme de drame qu'il
créait. Elle est
devenue d'un usage courant
pour désigner ses dernières œuvres, depuis tan jusqu'à Parsifal.
«
Cette
expression,
Tris-
a pour-
Wagner, ne saurait signifier autre chose qu'un drame qui existerait d'abord en tant que
tant dit
LE DRAME WAGNÉRIEN.
72
drame,
et
qu'on mettrait ensuite en musique.
Mais
»
justement ces mots se trouvent définir exactement le
caractère spécial de Bienzi. Car
trouvé un motif
forme
la
d'ordre purement
«
base de l'œuvre,
nous
—
drapé dans tous
est présenté
poète
que
les
le
machinerie, et de
bien de la
la
sujet
oripeaux de
musicien est chargé par
la scène.
réaliser » le drame,
« Il
pour
le
ainsi
en est résulté une fort belle
œuvre, qui est surtout intéressante par ce le
la
en musique toute cette énorme
de mettre
dire, sur
de
dans des formes toutes conven-
l'histoire et enserré
tionnelles,, et
le
qui
»
moins vrai que ce
n'est pas
il
humain
la délivrance
de l'individu pour
patrie, le sacrifice
communauté,
—
poète a bien
si le
fait.,
que
musicien y a épuisé tous les moyens dont dispose musique. Et le vieux Spontini ne se doutait pas
de la justesse de ce qu'il affirmait, lorsqu'il après avoir entendu Rlenzi
homme
:
de génie, mais déjà
Dans Rienzi,
Ce
« il
Wagner
disait,
est
un
a plus fait qu'il ne
musique avait vraiment plus fait qu'elle ne peut faire. Aussi pour l'étude de Wagner, et pour la connaissance de ce dont est capable la musique dramatique et de ce dont elle peut
faire. »
est incapable, cette
la
œuvre
est
de première impor-
tance. Je crains qu'on ne l'apprécie pas généralement
à sa valeur.
Ce qui constitue appréciation
de
le
principal obstacle à une saine
Bienzi,,
c'est
l'opinion
reçue
que
œuvre date d'une époque où le musicien, chez Wagner, l'emportait encore sur le poète. Il y a, d'un cette
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848. côté, des
73
gens qui regrettent que Wagner se dans de nouvelles voies
plus tard égaré
;
soit
de l'autre
gens qui prétendent que Rienzi n'est pas
côté, des
digne de fixer leur attention, que
le vrai
Wagner ne
reconnaît pas encore. Ces deux façons de voir
s'y
sont également fausses. Il il
est certain
que lorsque Wagner composa Rienzi,
avait l'intention formelle d'écrire
spectacle, une
œuvre qui
un opéra à grand
lui ouvrirait l'accès
des pre-
mières scènes de l'Europe. Beaucoup de détails de l'œuvre
s'expliquent
par
considération,
cette
et
n'ont pas d'autre raison d'être. Mais, en vérité, une critique qui se contenterait de noter ce fait super-
ne nous avancerait guère dans notre entente
ficiel
wagnérienne,
de l'œuvre d'œil jeté
en arrière sur
tandis qu'un seul les
coup
Fées et sur la Défense
d'aimer, nous fait reconnaître que Rienzi n'est pas
seulement une troisième œuvre, mais que
même temps sité
la troisième étape
logique indiscutable,
dont
il
en
— étape d'une néces-
— franchie par
musicien dans sa recherche de
c'est
la
le
poète-
forme de drame
portait en lui l'intuition, et qu'il n'arrivait pas
encore à parfaire.
La nature même du génie implique une sante
si
puis-
contrainte intérieure, que les circonstances
extérieures, les
hasards de la
vie,
peuvent être
la
cause de détours nombreux dans la voie suivie, mais
que jamais décisive. Et le
ils
n'exercent une influence
c'est
vraiment
précisément lorsqu'ils paraissent
plus puissants, qu'il importe au critique de voir 5
LE DRAME WAGNÉRIEN.
74
plus loin qu'eux, d'écarter tout ce qui est accidentel,
pour arriver à dérant ainsi
clairement l'essentiel. En consi-
saisir
nous y voyons
Rienzi.,
preuve cons-
la
tante de l'effort tout intuitif de l'artiste à combiner la supériorité
du poème, que présentait déjà
musique qui
avait caractérisé
Fées
les
Dé-
ample de
fense d'aimer^ avec l'épanouissement plus la
la
;
nous
et
constatons que la résultante de ces efforts quelque
peu contradictoires,
c'est la
prédominance marquée
prise par le musicien. * ¥
Pour
•¥
complètement encore
saisir plus
cation de Bienzi dans l'évolution rien,
il
A
que il
faut ajouter à ce coup d'œil en arrière l'étude
le
époque.
Hollandais volant était presque achevé.
ajoute
«
:
Autant que je sache,
accompli dans un autre endroit, le
même
peine avais-je terminé Rienzi^ nous dit Wagner,
si
court espace de temps.
qualifie
il
la vie
»
Et
d'aucun
revirement aussi subit
artiste n'offre l'exemple d'un
«
signifi-
du drame wagné-
de l'œuvre qui naquit à peu près à la «
la
Hollandais
le
juste opposé de Rienzi
».
»
A un
volant
:
Le lecteur qui m'a
suivi jusqu'ici ne sera pas déconcerté par cette opposition, et
il
de certains
n'ajoutera aucune créance
auteurs
différence entre
ces
qui
prétendent expliquer la
deux œuvres en
à l'ardent désir qu'aurait
eu
l'Allemagne à l'époque où
il
volant^
tandis que
à l'opinion
Wagner de écrivit
Rienzi aurait été
l'espoir d'un succès parisien.
l'attribuant
Un
le
revoir
Holla^idais
conçu dans
simple petit
fait,
"75
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
démontrer
d'ailleurs, suffit à
tions
Wagner
que
c'est
:
volant avant d'avoir jamais
à l'époque où et lorsqu'il
volant^
fît
Hollandais
vu
Paris, et
précisément
par des rêves de gloire;
première esquisse du Hollandais
la
n'avait pas
il
le
conçut
était attiré
y
il
l'inanité de ces asser-
écrit la moitié
de Rienzi. L'ardent désir qui
fit
de la musique
naître
le
Hollandais
volant après Rienzi^ c'était tout simplement
le
désir
d^ créer un drame plus parfait. Et nous constatons ici
exactement
le
même phénomène
que nous avons
déjà constaté pour la première série de deux œuvres;
avec cette seule différence, que l'opposition entre les
deux drames
est, cette fois,
encore plus marquée,
plus abrupte. Le Hollandais volant n'est autre chose
qu'une puissante réaction contre tout ce qu'il y avait d'erreur et d'insuffisance dans Rienzi.
On peut donc
le
mettre en parallèle avec
fense d'aimer et le classer
poète l'emporte sur
Mais
On
il
le
le
une réaction du poète contre musicien. Mais
ici, le
Dans
Hollandais volant est
la
la
les
Défense d'aimer,
empiétements du
poète emploie des moyens tout
Défense d'aimei\
de rechercher naïvement les
bon drame parlé vers
un
le
malentendu.
avant tout, ainsi que l'avait été
tenté
œuvres où
sans crainte de paraître tomber dans
une formule, affirmer que
différents.
les
Dé-
musicien.
s'agit d'éviter tout
peut,
parmi
la
;
dans
le
il
s'était
qualités
con-
d'un
Hollandais volant^ c'est
tout autre but qu'il tend, et c'est en traçant
d'étroites limites à son
œuvre que
le
poète impose
LE DRAME WAGNÉRIEN.
76 ici
sa volonté au musicien,
si
bien que les qualités
drame sont déjà des qualités de « drame wagnérien». Si donc je classe le Hollandais volant de son
avec
la
Défense d'aimer, c'est parce que j'estime que la
tendance générale de l'auteur, son désir de rétablir l'équilibre
ces
au
du poète, rapproche en
profit
deux œuvres l'une de
être question de
l'autre. Mais
comparer
les
il
effet
ne saurait
poèmes. Tout au con-
traire, ce qui constitue le principal intérêt
du Hol-
landais volant, c'est de voir l'auteur y abjurer sou-
dainement toutes
où
les erreurs
l'avait
entraîné
l'exemple du drame parlé.
Une
action trop
touffue, et
une importance exa-
gérée accordée aux détails historiques
:
voilà, si
on
considère Rienzi du point de vue du drame wagnérien, les
deux vices radicaux
qu'il présente.
Le Hol-
landais volant réagit contre ces défauts en réduisant l'action extérieure à son expression la plus simple, et
en la plaçant en dehors de tout cadre historique. Et il
faut avouer que pour ce
drame
les circonstances
extérieures ont été bien fâcheuses, car primitivement le
Hollandais volant
ne devait former qu'un seul
acte (voirYII, 160, et IX, 318),
et, si
nous l'avions sous
cette forme, le vrai caractère de l'ouvrage pourrait
apparaître bien plus nettement qu'aujourd'hui, où
on en a
un opéra en
en y ajoutant des choses qui ne faisaient point partie de la confait
ception première. Mais,
présentement,
moins
le
trois actes,
même
sous
la
forme
qu'il
a
Hollandais volant n'en reste pas
la plus courte et la plus
simple de toutes les
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
œuvres de Wagner.
en tant que
Et,
conventions
les
sociales et Thistoire n'y jouent presque il
faut admettre que
rieur à Tannhœuser
des drames de d'ailleurs
vrai
la
le
77
aucun
rôle,
Hollandais volant est supé-
rapproche
et à Loherigrin^ et se
seconde période. Ce poème eut
une influence décisive sur Wagner.
Il
est
que deux fois encore Wagner s'essaya à des sujets
historiques,
Sarrasme
la
Barberousse
et Frédéric
^
car la connaissance raisonnée de sa nouvelle forme
de drame
manquait encore
lui
caractéristique, c'est qu'il l'état
ainsi,
d'ébauche c'est
;
mais ce qui
abandonna ces œuvres à
ne les exécuta point. Et
et
que l'expérience
s'il
même
agit
acquise par
qu'il avait
bonne
ses propres travaux le guidait déjà dans la voie,
est
sans qu'il s'en rendît compte tout à
fait
clairement.
D'un autre coté, quelles fautes le
est facile de voir par suite de
il
poème du Hollandais
volant n'attei-
gnait pas encore l'idéal vers lequel tendait
Tout d'abord ce poème contient lui
ont été
les
faire
il
y
après coup pour en faire un
ajoutés
a
poète.
hors-d'œuvre qui
opéra, et qui masquent l'idée primitive
Mais
le
chose
autre
remarquer que
cette
de
plus
si
grandiose.
intéressant à
surcharge, due unique-
ment aux circonstances extérieures
Wagner lui-même a appelé « la Dans ce poème du Hollandais
:
ce
c'est
que
timidité
du poète
».
volant^
en
le
effet,
poète n'a pas osé donner à la vie émotionnelle tout le
développement que
l'action,
tel
était
le
le sujet
comportait. Simplifier
précepte
d'expérience
donné
LE DRAME WAGNÉRIEN.
78
par rexamen de l'unique
Défense d'aimer et de Rienzi, et
la
Wagner
de
souci
former à ce précepte. Sans
tement compte, naquît
dans
«
le
qu'il s'en rendît bien net-
musique
sein de la
ne comprenait pas encore, c'est velle
que
déjà
exigeait
il
de se con-
devait être
son poème Mais ce qu'il
».
que dans
forme de drame vers laquelle
il
la
nou-
tendait, après
qu'a été écarté tout ce qui dans la vie est purement conventionnel, tout
reste,
le
vraiment humain, dans
sens absolu du mot, peut
le
s'étendre d'une manière
et doit
Gela,
c'est-à-dire ce qui est
Wagner
presque
Et c'est pour cette
l'ignorait encore.
seule raison que les motifs
«
illimitée.
d'ordre purement hu-
main M qui constituent la base de ce magnifique poème, n'ont été qu'esquissés, et n'ont pas reçu auraient mérité d'avoir. le développement qu'ils
L'homme pas eu s'était
intérieur, et
par suite la musique, n'ont avaient droit. Le poète
la part à laquelle ils
dérobé trop
empêchait ainsi Et en
effet,
la
le
ne s'apercevait pas
tôt, et il
musicien de prendre
musique dans
nous montre identiquement le
poème. Le poème, en
les
le
qu'il
l'essor.
Hollandais volant
mêmes
défauts que
se restreignant strictement
un sujet « d'ordre purement humain »^ rappelle les œuvres de la maturité et la musique de même,
à
;
par la sévère unité de
sa
structure
Mais d'un autre côté, au peu accordé dans
le
poème à ici
de développement
la vie intérieure,
une certaine sécheresse dans tatons une fgis de plus
thématique.
la
répond
musique. Nous cons-
ce que nous
avons déjà
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
79
observé pour les trois premières œuvres, c'est que la poésie et la musique s'imposant mutuellement des
même
conditions, deviennent par là
de Fautre. C'est là un des points
solidaires l'une qu'il est le plus
pour comprendre l'œuvre de
essentiel de bien saisir
Wagner. Il
nous reste à signaler dans
landais volant
la
musique du Hol-
deux progrès bien évidents,
et
qui
furent d'une importance décisive. C'est d'abord la
symphonique, qui
netteté de la structure
moins
due
claire
que
par
n'est ren-
épisodes inutiles
les
drame en
ajoutés après coup pour transformer ce
opéra
;
c'est ensuite
la justesse
et
la
vigueur avec
lesquelles est traitée la voix chantée, la déclamation, qui,
dans
presque
le rôle
le
du Hollandais,
niveau où
elle arrive
atteint quelquefois
dans V Anneau du
Nibelung.
En résumé,
le
Hollandais volant constitue un pro-
grès énorme, un grand pas en avant dans
chemin
le
qui conduisait à la nouvelle forme de drame. Mais l'équilibre
entre
loin d'être
atteint,
le
poète et et si
le
le
Hollandais volant nous
paraît se rapprocher du vrai
niment plus que Rienzi^ est
dû en partie à
ce
il
musicien est encore
drame wagnérien
infi-
faut reconnaître que ceci
que dans Rienzi
le
poète et
le
musicien, chacun de son côté, s'avancent sans reconnaître aucunes limites, tandis que dans
le
Hollandais
volant chacun a usé d'abnégation vis-à-vis de l'autre.
Rienzi est l'œuvre d'ivresse, cien croit triompher
dans laquelle
de tous les obstacles
le ;
le
musi-
Hol-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
80
drame austère où
landais volant est le
le
poète s'est
tracé de tous les côtés des limites infranchissables.
Les différences
qu'il
peut y avoir entre cette œuvre
et Rienzi^ sont
loin
d'être,
généralement,
de l'ordre de celles qu'on observe
comme on
le
prétend
quelquefois entre des œuvres de diverses périodes
dans
la vie
d'un artiste. Tout au contraire, ces deux
œuvres sont
si
étroitement liées,
qu'on ne peut
s'expliquer ni les qualités, ni les défauts du Hollandais volant^
on ne l'envisage pas à côté du drame
si
de Rienzi créé à la
démontrer
fît
Cette
époque. Ce qui achève de
qu'il n'y avait là
fondamentale, qui
même
œuvre
que
c'est le fait
suite à cette
seconde qu'à
n'existe
aucune transformation le
drame
projet de
série, ce fut laSarrasine. l'état
de projet détaillé;
pour indiquer qu'elle n'aurait
cela suffit cependant
pas été un nouveau pas en avant, mais simplement un effort
de réaction, de réaction très prononcée, et
cette fois
dans une direction dont aucun progrès
nouveau n'aurait pu
sortir,
car,
après
la simplicité
sévère du Hollandais volant^ c'était maintenant un sujet historique
dans cette
dans toute son exubérance.
esquisse
d'ailleurs
fort
belle,
Il
n'y a,
qu'une
chose qui soit d'un intérêt majeur pour nous, c'est de constater que
Wagner l'abandonna.
Après une nouvelle interruption de plusieurs années,
Wagner créa cette
les
deux dernières œuvres complètes de
première période
:
2'annhœuser et Lohengrin.
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
81
Ce qu'il faut noter avant d'en aborder l'étude, c'est
que
quatre premières œuvres, celles que nous
les
venons d'examiner, sont
— à l'exception d'une unique
toute intérieure, et que, insuffisante
très
et
d'une évolution
le résultat
représentation
de
Défense
la
— elles se sont suivies sans que l'expérience
d'aimer^
pratique de représentations fût venue exercer une sur l'esprit de l'auteur. Par
influence quelconque contre,
il
du Hollandais
Rienz'i et
ces il
y a les représentations à grand bruit de
deux drames
y a en
même
de tout un
et la
volant^ entre la création de
conception de Tannhœuser. Et
temps, et par là-même, l'effondrement
monde
Les années passées à
d'illusions.
Paris avaient été pleines de privations et d'amer-
tumes mais ;
la vie
ne commence à être vraiment
tra-
gique pour Wagner, qu'à dater de son retour en
Allemagne, de sa
la
nomination
représentation de ses œuvres et de à l'emploi de
chef
d'orchestre
Dresde. C'est là que se manifesta subitement à
à lui
la contradiction absolue qui existait entre l'opéra et la
forme de drame vers laquelle
le
pain
lui avait
il
amertumes en
A
il
l'étranger,
se disant
il
Paris, n'avait
découvrait tout-à-coup que
tout lui manquait, là où art.
A
tendait.
manqué; en Allemagne,
plus ce souci, mais
pour son
il
avait pensé tout trouver il
s'était
consolé de ses
que ses compatriotes
prendraient; rentré en Allemagne,
il
le
com-
ne rencontra
tout au plus qu'un enthousiasme fondé sur des malen-
tendus. Mais personne ne
témoignait
le
le
comprenait, personne ne
moindre désir de
le
comprendre. Et 5.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
82 autour de
lui
ne trouvait qu'une conception de
il
l'art
tout à rencontre de ses plus intimes convictions. Le
poète-musicien qui rêvait l'éclosion d'une forme de
drame
aux plus sublimes conceptions
se rattachant
de la poésie et de la musique, et les dépassant en
profondeur
et
en intensité, ne trouvait pour
le servir
que des scènes d'opéra, des chanteurs d'opéra, tout
un monde qui trop naturellement Désormais,
Wagner
se savait
se
moquait de
absolument
lui.
isolé.
Ces obstacles, cependant, ne purent interrompre son évolution vers la nouvelle forme de drame
on ne voit mieux
s'efforçait de créer. Et nulle part
qu'ici
qu'il
quelle force puissante contraint chaque vrai
génie à marcher dans la voie que sa nature intime lui
détermine.
Wagner repousse
gloire et celles
même
les séductions
de la richesse, et
son chemin, tout
se fraie
il
droit, vers le
but où
de la
quand le
por-
tent ses aspirations, à travers les mille obstacles qu'il rencontre. Et si les
événements de ces années
de lutte exercent malgré tout sur
lui
une influence
notable, cette influence elle-même aide à le rappro-
cher de son but. Elle se manifeste de deux façons
:
y a d'abord l'expérience pratique que l'auteur acquit en faisant représenter ses œuvres; et il y a ensuite la connaissance approfondie qu'il y gagna
il
de ce que nous entendons dans notre vie publique
moderne par
ce
mot
:
l'art, c'est-à-dire la
sance de l'ensemble des conditions
théâtres, acteurs,
un poète qui veut « réaliser » conception. Le résultat de l'expé-
public, que rencontre
une œuvre de sa
:
connais-
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
83
rience pratique, de l'essai de ses œuvres sur la scène,
que ses idées sur ce qui devait être
fut
la nouvelle
forme de drame, mûrirent avec une extrême rapidité.
La vue
immédiate du théâtre
directe et
conditions
d'existence lui
sance absolue du genre
«
fît
de ses
et
comprendre
l'insuffi-
opéra «et des scènes vouées
à ce genre, et fut cause que plus tard
se détourna
il
résolument de tout cet art de luxe qui ne subsiste
que
«
cet
pour
délassement des ennuyés
le
bref, de
»,
devenu une industrie, qui domine noire
art,
époque.
Il
reconnut que
c'est là la
négation de tout
art élevé et de tout idéal. Ce sont ces faits qui expli-
quent l'énorme progrès qui
le conduisit, fort
temps après avoir esquissé
la
peu de
Sarrasine^ à créer ses
premiers chefs-d'œuvre, Tannhœuser QiLoheyigrin. Toutefois, pour bien saisir la signification de ces
deux œuvres dans leur sens propre, détails
le
la vie
il
de Wagner, et par
faut préciser avec
là
même
un peu plus de
caractère de la période où elles furent
conçues. Elles datent de ce qu'on pourrait appeler le point
culminant de
la
vie
de Wagner,
de la suprême
période de crise. Je neveux pas parler extérieure que traversa
qui
finit
par la fuite et
Wagner
l'exil.
ici
de la crise
à cette époque, et
Ce n'est pas
le lieu
insister; et d'ailleurs je crois pouvoir affirmer crise
intérieure
amplement à cial
elle
de
l'artiste,
la
crise
que
d'âme,
la
suffit
seule à expliquer le caractère spé-
de ces œuvres. La vie entière de
centrait en
d'y
Wagner
une préoccupation unique
:
le
se con-
drame
qu'il
84
LE DRAME WAGNÉRIEN,
portait en son
cœur
et
qu'il voulait réaliser.
Toutes
ses pensées, tous ses rêves, tendaient à ce but.
Il
y
touchait du reste; à chaque instant,
il
croyait l'at-
teindre définitivement, et cependant
il
ne possédait
pas encore la connaissance raisonnée de ce voulait,
maître.
qu'il
n'en dominait pas encore la forme en
il
souffrait de cet état jusqu'au désespoir, et
Il
jusqu'à un désespoir qui aurait pu lui être
fatal, si,
bientôt après l'achèvement de Loheyigrin^ ne fût sur-
venue se
la
grande découverte de l'année 1848. On ne
trompe peut-être pas en attribuant l'ébranlement
permanent de sa santé, après cette date, à l'effort presque surhumain qu'il fit, et à l'état d'agitation indicible où. il resta pendant cette époque. Et c'est de cette époque que datent Tannhœuser et Lohengrin,
On
que
voit
deux à deux,
les six et
premières œuvres ont surgi
que chaque
série de
deux naquit
dans une période bien distincte des autres. Les Fées et la
Défense d'aimer sont de la période de pleine
insouciance; Rienzi et
le
Hollandais volant sont de
la période d'ambition, de
hœuser la
et
Lohengrin sont
période
de
désir de la gloire écrits
désespoir.
en pleine
Mais
ceci
pas, je le répète, que ces deux dernières se rattachent
intimement à
ne constituent
Wagner
la
suite
;
Tann-
crise,
dans
n'empêche
œuvres ne
celles qui précèdent, et
logique
de l'évolution de
vers la découverte d'une nouvelle forme de
drame. Le
fait
le
plus caractéristique à cet égard,
c'est l'opposition entre les
deux drames, opposition
,
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
que nous retrouvons
ici
comme nous
85
l'avons déjà
drames précédents. En effet, si l'on compare entre eux Tannhœuser et Lohengrm^ on aperçoit entre ces deux œuvres un
remarquée dans
les
contraste frappant;
et, si
on
les étudie
sous
le
rapport
de Fidéal ultérieur de la nouvelle forme de drame,
on voit qu'elles se complètent l'une
que
c'est là le seul
moyen d'arriver aune
parfaite de ces œuvres,
de
même
intelligence
que de
précèdent. JNous avons un groupe: le
l'autre. Je crois
la
celles qui
Défense d'aimer,
Hollandais volant et 7'annhœusei\ dans lequel la
poésie prédomine, et
un autre groupe
Rienzi et Lohengrin, dans lequel la part la pluslarge.
poète-musicien,
d'une
il
le
:
musicien
Fées^
les
s'est fait
Pour comprendre l'évolution du
faut
constamment
œuvre quelconque d'un
tenir en regard
de ces groupes
l'œuvre correspondante de l'autre. Cette comparai-
son permettra de se faire une idée meilleure des
œuvres où de
le
poète prédomine, et
ici,
par conséquent,
Tannhœuser. Car ces œuvres ont précisément
d'autant moins été comprises, qu'elles s'éloignent
manifestement davantage du genre sait
que plus une idée dramatique
nos chanteurs C'est
et notre public
pour ce motif que
les
«
opéra
»
;
et
on
est accentuée, moins
savent s'y retrouver.
œuvres dans lesquelles
l'élément lyrique est plus prononcé
:
les
Fées, Rienzi^
Lohengrin, ont de tout temps été plus en faveur que les
autres auprès du public. Mais lorsque, grâce à
ces
œuvres plus populaires, nous avons réussi à mieux
comprendre
celles
qui
le
sont moins, lorsque, par
LE DRAME WAGNÉRIEN.
86
exemple, nous avons bien saisi les idées puissamment
dramatiques de TannJiœuser
nous découvrons alors que
et
du Hollandais
le plaisir
pris jusque-là à des œuvrestelles
volant^
que nous avions
que Rienzi eiLohen-
grin était tout superficiel, et que nous n'avions nulle-
ment saisi l'intention de l'auteur .Nous nous apercevons que
la popularité
de Rienzi et de Lohengrin est fondée
sur un malentendu auquel ne conduisent que trop
facilement les représentations ordinaires, qui faussent
systématiquement
poétique. Le fait
l'idée
d'avoir
compris cela nous aide puissamment à pénétrer plus avant dans
pour cela
le secret
de l'œuvre wagnérienne
qu'il est si
;
important de connaître
et c'est les rap-
ports de contraste et de complément qui existent entre Tannhœuser et Lohengrin. Si,
en
même
temps, nous jetons un coup d'œil en
arrière sur la Défense d'aimer et les Fées.,
rendrons compte de tout verrons combien
chemin parcouru,
le
Wagner
s'est déjà
nouvelle forme de drame rêvée par
mière série de deux drames, absolue entre
presque
le
poète et
comme deux
nous nous
le
et
nous
rapproché de
lui.
Dans
la
la
pre-
y avait une opposition musicien, qui luttaient
il
ennemis.
Ici,
par contre,
le
poète de Tannhœuseresi tellement saturé de l'atmos-
phère de
la
musique,
lion et n'écrit plus
qu'il
ne conçoit plus une situa-
un mot que
pénétrer de part en part;
et
la
musique ne puisse
on remarquera que
les
quelques incontestables faiblesses de Tannhœuser proviennent surtout des concessions que
le
musi-
cien a cru devoir faire de place en place aux vieilles
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848. formules de l'opéra. Nulle part
poète n'en est
le
responsable. Quant à Lohengrin^
87
pour peu qu'on
approfondisse cette œuvre, on y verra que
le
poète
au contraire n'a pas toujours suffisamment soutenu le
musicien, qu'il s'est trop
fié
à
lui, qu'il lui
a laissé
à accomplir une part de sa propre tâche. Si
coup
on embrasse Tannhœuser d'œil,
et
Lohengrin d'un seul
on voit donc qu'au fond Wagner avait
déjà trouvé la solution du problème de son drame,
mais pratiquement cette solution chercher, puisqu'on tion de ces
peut juger de
ne
deux œuvres qu'en
que chacune
restait encore à
d'elles, prise
la
perfec-
les juxtaposant, et
isolément, montre encore
quelques vestiges de cette tendance à développer un côté
de l'œuvre au détriment de l'autre, qui avait
imprimé un caractère
si
particulier
aux premiers
essais.
Quant à l'objection qui voudrait attribuer la différence entre Tannhœuser et Lohengrin à la différence
même
des sujets,
elle n'a
aucune valeur. Car
qui fut caractéristique, ce fut précisément
des sujets, leur nature foncière,
Wagner le
le
choix
le
ici,
ce
genre
fait
par
de ce genre de sujets^ et la manière dont
poète-musicien les façonna pour les rendre pro-
pres à leur destination. Si l'équilibre entre et le
le
poète
musicien n'est pas encore parfait, c'est la preuve
que l'auteur ne dominait pas encore complètement ses
sujets
de drame, ou, pour parler plus claire-
ment, ne dominait pas encore en maître son propre génie.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
88
Le but de ce
livre
n étant pas de
faire
une critique
mais bien de provoquer à des réflexions nouvelles sur les principes fondamentaux des œuvres de Wagner, d'où la compréhension de ces œuvres détaillée,
découle ensuite d'elle-même, je pourrais à la rigueur, à l'égard de Tannhœuser et de Lohengrin^
conten-
je viens de dire. Cependant je crois bien
ter de ce
que
faire en
insistant encore
bien saisir
me
le
un peu sur
ce sujet. Car
fond des rapports qui existent entre
Tannlueuser et Lohengrin^ bien voir ce qui distingue
ou ce qui rapproche ces deux œuvres l'une de tre, c'est
velle
comprendre par
là
même
l'idée
l'au-
de la nou-
forme de drame, qui doit englober en une unité
organique
poème
le
et la
musique.
Qu'on veuille bien assister un jour, dans un de nos meilleurs opéras à une représentation de Tannhœuser^ et le Il
lendemain à une représentation de Lohengrin.
arrivera certainement que sur tout esprit libre de
préventions, la représentation de Lohengrin fera une
impression plus profonde. Eh bien, j'affirme que ce sont justement les faiblesses
nous plaît
font préférer; et que
la
de cette œuvre qui si
Tannhœuser nous
moins, c'est à cause de ses qualités. Je m'expli-
que. Dans Lohengrin^ la musique esta
tel
point pré-
pondérante, et la conception poétique se meut pres-
que tout où
le
temps sur un
la parole se dissipe
que,
si
l'on
terrain
si
voisin
du point
immédiatement en émotion,
supprime en outre, comme
c'est l'habi-
tude dans nos théâtres, les parties du drame où cela n'a pas lieu,
il
reste alors
un ensemble capable de
^
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848. produire à
l'oreille
sans qu'on
ait le
une impression
le
agréable,
très
moins du monde à
du magnifique drame que
se
89
préoccuper
poète voulait faire surgir
devant nous. Mais avec Tannhœuser^ceci n'est pas possible. Il
y a bien çà
et là,à travers l'œuvre, des
purement lyriques, qui ont
passages
son succès auprès du
fait
public et l'ont rendue presque populaire; mais le
poète est quand
même
ici
maître absolu, c'est
qui «façonne» tout, puissamment et avec passion.
lui
On
a beau pratiquer coupures sur coupures, on n'arrive
pas à se débarrasser de
lui
mais
;
sitôt que,
sans
pouvoir l'écarter complètement, on arrive cependant,
par
la
mauvaise interprétation habituelle de l'œuvre,
à obscurcir l'action, la musique perd en
même temps
tout sens et toute beauté. Je n'oserais point affirmer
que Wagner
ait
jamais conçu un drame plus gran-
diose que celui de Tannhœuser
œuvre
si
;
rend cette
et ce qui
hautement instructive pour une étude de
du maître,
l'évolution
c'est
précisément cette formule
d'opéra que malgré tout elle affiche, et ces morceaux qu'elle contient écrits selon les règles de l'opéra.
s'aperçoit tout de suite
ceaux n'ont,
comme
et la représentation
que
tels,
cette
formule
comme
mordrame;
et ces
aucun sens dans
ce
de TannJueuser ne peut arriver à
nous intéresser qu'autant que nous ne sons plus
On
formules
et
comme
les reconnais-
airs d'opéra, et
qu'au contraire, en les écoutant, nous ne cherchons à percevoir que les premiers efforts
maladroits auditeurs
— d'un
nouvel
art.
— parfois un peu
C'est
ainsi
que
les
de Tannhieuser à Bayreuth en 1891 furent
LE DRAME WAGNÉRIEN.
90
œuvre leur
forcés d'avouer que cette
était restée
complètement inconnue jusqu'au jour où Bayreuth la joua. «
A Tàge
Jamais
je l'ai
je n'ai
conçu
Wagner
de soixante ans,
écrivait
:
vu représenter le Tannhœuser loi que
» (IX, î^53).
avait senti, nous
dit-il,
Du reste, en «
que
cette
arrêt de mort, et que dorénavant
à espérer du théâtre
moderne
composant,
œuvre
était
il
son
il
n'avait plus rien
» (1).
Celui qui profé-
c'était le poète,
rait ces paroles,
le
le
poète qui se
voyait absolument isolé, et qui pensait que jamais
son œuvre ne serait représentée
telle qu'il l'avait
conçue. Et croit-on que la position du musicien fût différente? Ce serait n'avoir encore rien compris à l'idée
fondamentale de
l'art
wagnérien. Maintenant
que nous sommes au seuil de l'époque où tout devait s'illuminer aux yeux de Wagner, il nous faut le redire
une dernière
fois.
Wagner, en parlant de Lohengrm^ Graal, dit pris
:
« Il
première
ment à
la
il
» (2).
et,
tout en confessant sa
retourne, anéanti, dans sa solitude Cette idée s'applique
merveilleuse-
musique dans Lohengrin. De toutes
œuvres de Wagner, Lohengrin (1)
chevalier du
reconnaît qu'il n'est pas encore com-
mais seulement adoré;
nature divine,
le
Mit diesem
Werke
beaucoup
la
mein Todesurtheil nun nicht mehr auf
schrieb ich mir
vor der modernen Kunst konnte ich
Leben hoffen.
est de
les
:
(IV, 344.)
(2)
Nicht verstanden, sondern nur angebetet, kehrt-er,mit
dem
Gestaendniss seiner Goettlichkeit, vernichtet in seine
Einsamkeit zurueck.
(IV. 363.)
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848. plus populaire
;
donc incontestable qu'on
est
il
91 l'ad-
mire, mais la comprend-on? Question d'ailleurs inuet ironique.
tile
Car
si
que, on comprendrait
l'on
comprenait cette musi-
Wagner lui-même, on
aurait
jusqu'au fond de son âme. Si on comprenait
vu
clair
la
musique de Lohengrin^ on représenterait Tannla clef qui
ouvre à la
est si cachée,
que celui-là
hœuser d'une autre façon. Car
compréhension de Lohengrin
seul peut la trouver qui a pénétré jusqu'au fond de l'art
wagnérien. Quelques mots à ce sujet
Dans Lohengrin^
le
trait
:
d'union entre l'homme
l'homme extérieur, c'est la vue plutôt que l'entendement. La fable que l'imagination évoque ici à nos yeux est telle, que l'homme logique est vite
intérieur et
transporté à l'extrême limite de son horizon, où lui fait traverser le
la
le
pont dont parlent
les
pont qui conduit dans l'autre monde,
musique. Plus tard, lorsque
l'art
brahmanes, le
monde de
poète-musicien
le
voudra nous détacher complètement du monde de la logique, pour nous plonger entièrement dans celui de la musique,
comme
par exemple dans Tristan
et
commencera par faire converger avec persistance sur un point unique toutes nos pensées et toute notre puissance d'imagination l'homme exté-
Isolde,
il
;
rieur sera en quelque sorte fasciné
comme par une
force irrésistible, et dès lors
docilement par-
tout où grin,
il
l'homme
il
ira
intérieur le conduira.
n'y a pas trace de ce procédé
;
Dans Lohenle
poète indi-
que seulement en quelques traits le chemin qu'il faut suivre si bien que ceux qui n'ont pas compris, ;
LE DRAME WAGNÉRIEN.
92
OU qui ne possèdent pas
la divination instinctive de
l'intention de l'auteur, ne voient
dans cette œuvre
qu'une pièce à spectacle, avec accompagnement d'une
musique que le
fort
c'est la
douce
et agréable. Ils
musique qui
dit ici
ne se doutent pas
presque tout ce que
poète avait à dire.
L'exemple de ces deux dernières œuvres de
la
première période nous est donc un précieux ensei-
gnement pratique sur cette collaboration du poète et du musicien dont nous avons étudié la théorie au chapitre précédent. On peut soutenir que Tannhœuser et Lohengrin sont la vraie pierre de touche
du drame wagnérien, car pour comprendre
ment
ces
d'elles
deux œuvres
il
parfaite-
faut compléter chacune
par quelque chose que celui-là seul possède,
qui connaît bien l'idée fondamentale de cette nouvelle
forme de drame. C'est pour Lohengrin que
Teffort
personnel du spectateur doit être
grand bien qu'admiré partout, ce drame ;
compris nulle part,
même,
et
il
que
c'est-à-dire
effort
la
Tannhœuser. Là, il
le
sens, et c'est à l'in-
chaque spectateur de
le
Il
soi-
meilleure représentation
pour compléter dans sa pensée
n'a fait qu'ébaucher.
n'est guère
ne s'explique pas de
possible ne saurait en révéler tuition poétique de
plus
le
ce
n'en est pas de
faire
un
que Wagner
même
pour
poète a rempli toute sa fonction,
a tout dessiné d'un trait vigoureux, et sans négliger
aucun
détail.
elle suffire
que
le
Aussi uiie représentation parfaite peut-
à nous révéler directement
poète
l'a
conçu.
le
drame
tel
93
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
Avant dépasser à l'étude des œuvres de
seconde
la
période, c'est-à-dire de la période de création consciente de
drames selon
au moins mentionner
la
forme nouvelle,
les quatre
grandes esquisses
Deux
qui datent de l'époque de transition. elles
la
:
Mort de Siegfried
je voudrais
et Frédéric
d'entre
Barberousse
ont précédé immédiatement l'époque où furent découverts les principes du nouveau drame autres datent d'immédiatement après
Jand
le
Forgeron
:
;
les
deux
ce sont W'ie-
et Jésus de Nazareth.
Wagner, s'apercevant de
l'impossibilité de jamais
obtenir sur nos scènes d'opéra une représentation
du Tannhœuser
qu'il
avait rêvé,
doive nous surprendre à
le
il
n'y a rien
qui
voir ensuite s'occuper
d'un simple drame parlé. Et ce qui devait
le
con-
duire à écrire une œuvre sans musique, ce n'est pas
seulement l'impossibilité de
faire saisir
le
drame,
dans ses œuvres, au public qui s'obstinait à n'y voir
que de
la
musique d'opéra, mais
c'est surtout la
conséquence qui découle de ce premier
fait, c'est la
pensée que jamais on ne comprendrait sa musique,
que jamais on n'en soupçonnerait
la signification.
Toutefois, ceci n'est encore que l'aspect extérieur de la question.
La il
lutte
intérieure avait plus
ne s'agissait
là
d'importance, car
de rien autre que de résoudre
le
problème de l'œuvre d'art de l'avenir. Comment faire pour que ce rêve prît corps? Même ces puissantes
LE DRAME WAGNÉRIEN.
94 créations,
Tannhœuser
fourni la réponse
Lohengrin^ n'avaient pas
et
attendue.
comme
Et,
Wagner chercha simultanément de deux
côtés. Cette
aboutit d'un côté à une
résultat fut qu'il
fois, le
toujours,
œuvre purement musicale,
la
Mort de Siegfried^
et
de l'autre côté à un drame parlé, Frédéric Barbe-
Dans
rousse.
le
premier chapitre,
amena
antithèse fut la circonstance qui si
dit
j'ai
que
cette
la solution
longtemps cherchée du problème à résoudre. Ce
fut grâce à la netteté absolue de cette antithèse,
Wagner était
s'aperçut d'abord que le problème lui-même
mal formulé. Car pourquoi
la
Mort de Siegfried
musique, tandis que Frédéric Bar-
exigeait-elle de la
berousse ne pouvait pas en admettre?
en chercher
fallait
mêmes, drame.
que
tels Il
que
le
Evidemment
il
cause dans les sujets eux-
la
poète les avait façonnés pour
le
en découlait immédiatement cette consé-
quence, qu'il nefallaitpas commencer par se demander «
comment
le
à la création
poète et
le
du drame
musicien peuvent concourir
»,
mais
avant tout cette autre question jets de
drame qui exigent
musicien? »
Wagner,
le
qu'il fallait se :
Quels sont les su-
concours du poète
Poser nettement
c'était
«
poser
question,
la
déjà la résoudre
:
«
et
du
pour
Le genre de
sujets seuls accessibles au poète-musicien, ce sont les sujets d'un ordre
purement humain,
de toute convention, signification
Ce c'est
qu'il
que
et
débarrassés
de tout élément n'ayant de
comme forme
historique
».
ne faut pas non plus négliger de noter,
que lorsque Wagner abandonna définitivement
95
LES DRAMES ANTÉRIEURS A 1848.
Frédéric Barberousse, pour se vouer à la forme de
drame dont raisonnée,
il
il
possédait désormais la connaissance
abandonna également son projet
Mort de Siegfried.
Il
la
:
quil retint cette figure
est vrai
de Siegfried, parce qu'elle était d'un ordre purement
humain,
et qu'il rejeta
définitivement celle de Fré-
déric Barberousse, parce que l'intérêt qu'elle pré-
sente est
lié
à une foule de circonstances historiques
qui sont hors du domaine de la nouvelle forme dra-
matique dait
les
mais aucune des deux esquisses ne répon-
aux exigences de
rejeta faire
;
donc toutes
les
cette nouvelle forme, et
deux.
Il
remarquer, parce qu'on
biographies de
Wagner
était
les
important de
le
généralement dans
lit
qu'il
il
abandonna Frédéric
Barberousse et choisit Siegfried, et cela n'est pas vrai.
Le Siegfried de plus tard n'a que
commun
avec celui de l'esquisse dont
lution de
Wagner vers une
l'avait la
nom
le
de
s'agit. L'évo-
il
nouvelle forme de drame
conduit au-delà de ces deux projets, qui sont
dernière manifestation de la lutte, que nous avons
suivie depuis son origine, entre le poète et le cien. Et ce qui est
circonstance,
musi-
vraiment caractéristique dans cette
c'est
justement
le
fait
que Wagner
écarta les deux projets.
Ensuite vinrent les deux grands projets de drame
qu'on trouve dans les écrits du maître
Forgeron
et Jésus de
nombre des plus écrites,
et
:
Wieland
le
Nazareth. Tous les deux sont du
belles choses
que Wagner
aucun des admirateurs de
ne devrait négliger de
les
lire.
ait
ses
jamais
œuvres
Mais je n'insisterai
LE DRAME WAGNÉRIEN.
96
pas là-dessus, car, pour
le
but restreint de ce volume,
leur intérêt consiste surtout en ceci, qu'ils sont dans
un rapport
Wagner C'est
établit les principes
dans
ment, que sur
le
dans laquelle
étroit avec la série d'études
la joie et le
papier
du nouveau drame...
l'enthousiasme du premier mo-
maître semble avoir jeté ces ébauches ;
qu'en les voyant qu'il
et ce n'est
s'a-
perçut de toute la portée de sa découverte, et qu'il sentit le besoin de se retirer
champ de lir
la création artistique,
sa pensée.
«
pour mieux recueil-
Je suis plus riche en projets, que je
puissance pour les mener à bien
n'ai de
alors
pour quelque temps du
Wagner
»,
écrit
à un ami. C'est que toutes ses forces
étaient absorbées par le soin d'ériger le
de l'œuvre d'art de l'avenir,
monument
drame wagnérien,
le
me
dans
les trois écrits
celle
de ses créations dramatiques, les trois écrits
que
dont la valeur
déjà signalés
j'ai
:
paraît égale à
/'Ar^ et la révolution ^V Œuvre
d'art de Vaven'n\ Opéra, et
Drame.
Dans l'introduction à ce volume, j'ai dit qu'il n'est possible de comprendre et d'apprécier pleinement les œuvres de la première période, où l'artiste n'avait pas encore lui-même nettement conscience du but
que
on
auquel
il
vue de
cette conception toute nouvelle
Wagner
tendait,
devait
si
enfin
œuvres sont justement
Wagner
les envisage
trouver,
du point de
du drame que
car ces premières
les étapes qui
ont conduit
à réaliser plus tard, en pleine conscience, ce
LES DRAMES ANTÉRIEURS A ]848.
cherché tout instinctivement.
d'abord
avait
qu'il
L'examen rapide qu'on vient de cet esprit, et
on
ports,
mais
le
il
lire
a été fait dans
est possible que, sous
d'autres rap-
trouve très fragmentaire et insuffisant
drame,
Wagner
vers
une nouvelle forme de but spé-
et je serai satisfait si j'ai atteint le
que
je m'étais fixé.
évolution, c'est sentielle, tant
là,
Car saisir
la
au demeurant,
pour
la
marche de
cette
la seule chose es-
connaissance de Wagner, que
pour
la
cette
première période. Je crois que, lorsqu'il
d'art,
;
ne s'agissait que de mettre en lumière cette
il
évolution de
cial
97
compréhension de chacune des œuvres de
il
importe de ne pas se perdre dans
le détail.
Tâcher à découvrir de nouveaux horizons rendre accessibles à tous, peut être de quelque
c'est cela
utilité.
s'agit
et à les
uniquement qui
Libre ensuite à chacun de
s'approcher davantage,pour voir plus minutieusement tout ce qui mérite d'être regardé de près. Je tiens enfin à faire les
remarquer tout spécialement que tous
jugements critiques émis sur ces œuvres de
la
première période, n'ont de valeur à mes yeux qu'autant que ce sont des jugements portés
vue de
la
conception ultérieure du drame wagnérien,
qui est pour moi la chose qui faire
du point de
de la
«
domine
tout.
Quant à
critique absolue »,je n'y ai point songé
un seul instant, et d'autant moins que je suis d'avis, avec Wagner, que « le critique d'art qui part de son point de vue abstrait pour juger
fond rien du tout
;
l'artiste,
ne voit au
car l'unique chose qu'il puisse 6
.
LE DRAME WAGNERIEN.
98
apercevoir, c'est sa propre image, reflétée
miroir de sa vanité
Wagner pas
le
»
Après avoir étudié sirent
dans
série
la
d'œuvres qui condui-
à pas à la connaissance raisonnée
d'une nouvelle forme de
drame, nous allons main-
tenant considérer de ce
même point de vue les œuvres
de
les quatre
le
la
seconde période,
grands drames que
maître écrivit dans la seconde moitié de sa vie,
après la courte interruption (1848 à 1851) des années
consacrées à établir les principes du nouvel
art.
CHAPITRE
IV
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
Fassen wir zunaechst eine bestimmteAbsichtin das Auge, die
Wurzel des ersehnten schoenen Baumes der Zukunft zu erkeanen haben. wir
als
Envisageons d'abord, un nettement déterminé
:
but
ce sera
le point d'où s'élèvera le bel
arbre de l'avenir vers lequel
vont nos désirs-
RiCHARD Wagner.
CHAPITRE
IV
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848
Dans
«
l'avenir,
la il
grande
et
universelle
œuvre
d'art de
y aura éternellement du nouveau à inven-
ter (1) ». C'est
en nous inspirant directement de ces
paroles de Wagner, que nous nous mettrons sur la voie la meilleure pour continuer d'étudier ses œuvres, celles de la
seconde période, que nous allons main-
tenant passer en revue. Je n'ai nullement
le
dessein
de dresser une sorte de catalogue de toutes les beautés qu'elles renferment. Cela ne serait d'aucune uti-
Quant aux interprétations
lité.
aux commentaires
et
savants qu'on pourrait faire à leur sujet, n'auraientils
pas toujours
le
défaut de ne faire qu'aboutir^
après mille détours, et d'une manière encore bien imparfaite, au but que l'œuvre d'art à elle seule atteint directement et sans effort?
(1)
In
dem
Ne
convient-il pas
grossen allgemeinsamen Kuustwerk der Zu-
kunft wird ewig neu zu erflnden sein. 6.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
102
mieux en présence de artistes
:
et
nous ne
l'artiste
de rester nous-mêmes
serons qu'autant qu'écartant
le
dès l'abord toute prévention, nous chercherons à
au cœur de l'œuvre que nous voulons
aller droit
pénétrer, c'est-à-dire,
ici,
aller droit
au drame. Nous
y verrons l'artiste à l'ouvrage, et il nous suffira de l'avoir vu pour nous convaincre par nous-mêmes de cette vérité
:
que pour l'œuvre
d'art de l'avenir, la
source de l'invention ne tarira jamais.
y a vraiment lieu d'être stupéfait de
Il
notre éducation, lorsqu'on constate le
l'inanité
nombre
de
infini
de malentendus auxquels on se heurte en présence
d'un cas artistique aussi clair pourtant, et aussi fa-
Wagner. Il semble même que les malentendus augmentent à mesure qu'ils devraient le moins exister par exemple, au sujet des drames de sa maturité. A l'exception d'un très petit nombre de gens intelligents, nous ne trouà pénétrer, que
cile
l'est le
cas de
:
vons, d'un côté, que de stupides adorateurs, qui sous l'impression produite par ces
tombent
le
écrasés;
et,
front dans la poussière,
comme à demi
de l'autre côté, des gens dont
le
goût
incroyablement hébété, que ces miracles de
est si l'art
œuvres grandioses
ne font aucune impression sur eux,
et
qu'ils
n'arrivent à y voir que de l'excentricité et de l'aberration.
Pour
être juste,
il
faut dire qu'il y a encore
un
troisième groupe, celui des gens qui au fond de leur
cœur admirent vraiment d'avis et
que l'enthousiasme
qui, par
crainte
ces œuvres, mais qui sont est
chose de mauvais ton,
d'être ridicules, entretiennent
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
103
soigneusement l'anémie de leur cœur. Tout cela est
Nous avons appris beaucoup de choses, mais nous semblons avoir oublié de réfléchir
bien attristant.
à la façon dont on
Jamais âme
d'artiste
Richard Wagner, il
conduire avec le génie.
ne fut plus indépendante
dans son indépendance
plus fière
comme
doit se
et
il
son
art. Celui
dont
la
de l'aimer,
lui
vue artistique n'est pas
nette et franche, ne saura pas reconnaître
Wagner
gieuse grandeur de
de
hommes libres, d'art comme lui, qui
soient capables de le comprendre et et
l'âme
n'y a que des
passionnés
l'était, et
que
et
;
et celui
dont
la le
prodi-
cœur
comprendra jamais qu'aucune grandomaine de l'art, ne saurait constituer
n'est pas fier ne
deur, dans
le
une barrière infranchissable. Ces opinions, je
les
exprime
ici,
pour tâcher de
bien faire ressortir les deux dangers qu'il y a à éviter dans l'étude des chefs-d'œuvre les panégyriques, :
Les panégyriques sont évidemment
et la critique.
sans la moindre faire
un
utilité, puisqu'ils
seul pas en avant dans
ne nous font point la
compréhension
des œuvres. Mais ce que nous entendons habituel-
lement
par
le
mot
critique, est tout aussi inutile,
car l'unique résultat qu'on en ce qui dans
sieur X...
une œuvre
tire, c'est
d'apprendre
ou déplaît à un monquelconque. Ces deux procédés du panéplaît
gyrique et de la critique sont
et
lement tout à
au contraire, dans
fait
cas qui nous occupe
stériles. Si
resteront éternelle
ici, nous nous plaçons au point de vue indiqué par Wagner, nous prendrons pour
LE DRAME WAGNÉRIEN.
104
point de départ son idée du drame né dans
sein
le
de la musique, idée qui est en elle-même et sans comparaison possible son plus beau
titre
de gloire. Con-
comme
sidérant ensuite les œuvres de sa maturité
premiers essais de création artistique dans ce
les
nouveau genre, dans cet
que,((
à inventer
art,
il
des preuves vivantes
doit toujours y avoir
d'utile.
même
doit tout de
comme
alors vraiment
»,
quelque chose
fiance
et
du nouveau
nous pourrons faire
Conduits par "Wagner,
— qui
nous inspirer une tout autre con-
que ses panégyristes ou ses
critiques,
— nous en plus.
verrons notre horizon s'étendre de plus
D'après Fexemple que nous fourniront ses œuvres,
nous constaterons que ce nouvel gions jusqu'ici inaccessibles,
moyens d'expression dont
le
art atteint
maître lui-même n'a
tenté d'utiliser qu'une partie, on pourrait
une ils
faible partie, car par leur
semblent
illimités.
de
dispose
qu'il
et
des ré-
nombre
même
et leur
dire
nature
nous aper-
Par contre-coup
cevrons de mieux en mieux les éternelles beautés que
renferment
les
œuvres de Wagner
;
nous serons de
plus en plus persuadés qu'il faut y voir, toute
œuvre
d'art
dans
suprême, une véritable révélation,
car elles prennent est au-delà
comme
leur source dans
du monde de
la logique, et
un monde qui bien à l'abri
de nos petites critiques ou de nos éloges. C'est
que
donc
le
genre d'étude que je viens d'indiquer,
je vais tenter
dans
les
pages suivantes. Mais
encore je ne donnerai que des indications. Tout effort consistera à tâcher
d'amener
le
ici
mon
lecteur à pen-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. ser par lui-même, à le mettre sur le
105
chemin d'obser-
vations qu'il pourra faire lui-même, car je
une méthode qu'on pourra
me
puisque je
suivrai
qualifier de fragmentaire,
contenterai de choisir dans chaque
œuvre un ou deux points qui
m. 'auront
paru être
les
plus caractéristiques, et que je laisserai complètement le reste
de côté. Si en effet on prétendait faire une
étude un peu complète, dans
le
sens que j'ai indiqué,
des quatre drames de la seconde période, drait plusieurs
volumes comme
Quant à ce
celui-ci.
qui concerne la terminologie, je prie qu'on
mette de continuer à j'ai
me
y fau-
il
me
per-
servir des expressions dont
déjà fait usage dans les chapitres précédents.
Elles ne sont pas très exactes, je le sais bien, mais
continuerai donc à
discours. Je
elles facilitent le
du «musicien
l'homme
parler du
«
poète»
extérieur
»
et
c'étaient
des entités distinctes, et quoique précisé-
ment dans
le
de
«
et
l'homme intérieur
drame wagnérien
cience de leur intime union.
ils
Du
;
et c'est
»,
«
comme
aient pris
reste, cette
tion est justifiée par la différence des
pression
de
»,
cons-
distinc-
moyens
d'ex-
au lecteur à ne pas prendre
chose d'une façon superficielle.
si
la
LE DRAME WAGNÉRIEN.
106
TRISTAN ET ISOLDE.
Dès la
la
première œuvre de
seconde période, de
la
période de pleine conscience, nous nous trouvons
en présence d'une œuvre qui est manifestement
le
produit d'un art nouveau. Si
par exemple l'on compare Tristan
Isolde à
et
lannhœuser^ on apprendra à faire une distinction très nette entre l'intensité de la puissance créatrice
individuelle, la valeur
la
qu'on admirera dans Tannhseuser
que donne à
la
nouvelle forme
connaissance raisonnée
exige,
comme on
des
de drame
conditions
en pourra juger par
et
^
qu'elle
Tristan
Isolde. Cette distinction est très importante,
et
car le
génie et ses dispositions spéciales sont choses toutes personnelles, qui ne peuvent être matière à aucun
enseignement, tandis au contraire que tout
peut être
initié,
par l'étude
et
par
le
monde
la réflexion,
connaissance de cette nouvelle forme de drame tragédie née dans le sein de la musique.
à la :
la
Wagner
a
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. dit
que
la
Tannhœuser
distance entre
et Tristan et
Isolde était plus grande
que
son œuvre de début
Tannhœuser. Or,
fait
qui existe entre le
chemin
par Wagner, tous les artistes pourraient
le faire.
Quel que le
celle
107
soit le
même rapport
et
degré de leur talent
et
de leur génie,
pourrait se produire pour leur évo-
lution individuelle. Certes, l'inspiration poétique, le
génie plastique, ne sont pas
dans
Isolde que dans Tannlueiiser
et
7Vis?ff?î
par la connaissance précise tions
eux-mêmes plus grands et
\
xadl^
raisonnée des condi-
que doit remplir l'œuvre du poète-musicien,
l'auteur a acquis
une maîtrise absolue dans l'emploi
de ses moyens d'expression
;
et cela se
fait
main-
tenant sentir dans la conception générale du drame,
comme dans
le
plus infime détail.
On remarquera que
cette maîtrise se
tout d'abord par une sorte de la fable, qui
se
limites assignées la nouvelle
intérieur, la
trouve
raccourcissement de
renfermée dans
les strictes
augenre de sujets que peut aborder
forme de drame. L'organe de l'homme musique, n'aura donc plus à servir à
des usages pour lesquels d'un
manifeste
n'est point fait.
il
poème contenant de nombreuses
Au
lieu
parties n'exi-
geant point l'expression musicale et qu'on y soumet
malgré
nous avons
tout,
ment de l'âme même de musique. Et
c'est
cial accessible «
d'ordre
ici
un poème
la
musique, enfanté par
pour cela que, dans
à la musique
:
le
purement humain
le
issu
visiblela
domaine spé-
domaine des sentiments
»,
ce
poème
acquiert des
proportions qui dépassent de beaucoup tout ce qu'on
LE DRAME WAGNÉRIEN.
108 avait jamais
osé tenter auparavant. Ce qui frappe
au premier abord, réduction Et
si
;
c'est
donc d'un coté une sévère
de l'autre côté, une extension puissante.
après avoir jeté un premier coup
l'œuvre dans son
examen de le plus, ce
détail, ce
d'œil
sur
ensemble, nous en faisons
un
sera ce qu'on peut appeler avec
musique.
« l'affranchissement de la
assujettie à des lois
contraire, à
Il
Wagner
» Elle n'est
:
plus
imposées du dehors mais tout au ;
chaque instant du drame,
uniquement selon ce que térieure.
nouveau
qui nous frappera de
lui
elle se
commande
donne
l'émotion in-
en résulte une infinité de nuances dans les
rapports de la musique à la parole. Chacun de ces
modes d'expression augmente ou diminue en chaque instant, selon Peut-être est-ce ce faire,
dans
la foule
les besoins
d'intensité,
de la situation.
que nous avons de mieux à
de sujets de méditation
artis-
tique qu'offre Tristan et Isolde^ de prendre justement ces
deux points extrêmes, pour
plus près
:
d'abord
grandes lignes qui organique entre
le
d'un peu
les étudier
poème dramatique, avec
le caractérisent
la parole et le
;
les
ensuite l'union
son musical, c'est-à-
dire le détail de l'exécution, * Y-
On a souvent dit que était la transposition,
le
Tristan et Isolde de
à la scène, du
de Gottfried de Strasbourg. Cela est
Wagner
poème épique faux. Wagner
a utilisé une donnée dont beaucoup de poètes avaient fait
usage avant Gottfried. Ce
celui-ci, ce n'est
guère que
le
qu'il
a
emprunté à
cadre, le côté
purement
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. extérieur de
son drame
l'époque; et
semble avoir emprunté des
il
plus essentiels aux
bien
fort
poèmes
Avant
(I).
forme primitive,
et
noms,
les
:
les
109
costumes, traits
bien
français, qu'il connaissait
tout, c'est
mythe, dans sa
le
avant qu'il ne fût devenu un
roman d'aventures chevaleresques,
qui
doit
avoir
exercé une influence décisive sur Wagner.
Deux
trouverons identiquement
le
même
r Anneau du Nibelung et Parsifal,
dans
la
—
bien caractéristiques,
traits
façon dont
gende de Tristan
Wagner
conservé pour son premier acte ce qui lui a évité davoir à
procédé pour
— sont ^remarquer
a traité
et Isolde: c'est,
cette
le
cadre de Gottfried,
donner une foule d'expli-
c'est,
tails
en second
à
tel
ou
moyen de
monde connaissant
cations, tout le
tel
lieu,
vieille lé-
tout d'abord, qu'il a
cations de détail, et lui a permis défaire
des situations entières au
nous re-
et
comprendre
très brèves indi-
déjà ce
poème
;
que, tout en empruntant des dé-
autre poème, et surtout à sa propre
un poème absolument nouveau, qui n'a plus que le titre de commun avec le poème de Gottfried de Strasbourg. Le poème de Wagner rejette tout ce qui rappelle le roman d'aventures, et il se
imagination,
il
a créé
retranche sévèrement dans les limites des sensations «
d'ordre
même (1)
à
»
;
il
rappelle
par là
vieux mythe et son fond d'éternelle vérité,
Pour plus de
mes
flll^
le
purement humain
détails, je prie le lecteur
articles sar Tristan et Isolde d.a.ns
la.
de se reporter
Revue loagnérienne
année, p. 232 et suiv.) ainsi qu'au beau livre de M. Kuf-
ferath
:
Tristan
et
Yseult (Fischbacher, 1894).
7
LE DRAME AVAGNÊRÎENo
110 et
nous fournit
il
convient que
dont
il
qu'il
a choisi.
Il
le
premier exemple de le
la façon
poète-musicien traite
le sujet
Gottfried de Strasbourg plus de
avait fallu à
onze mille vers pour arriver à la scène du philtre tandis que
Wagner nous
seulement tout ce
raconte en soixante vers
chions des événements précédents. Et
De
que nous sa-
qu'il est nécessaire
tout très complet, en
;
même temps
il
reste malgré
que
très précis.
plus, toute cette histoire n'est pas seulement très
abrégée, mais encore elle est présentée de façon à
concentrer
tout
sur les personnages du
l'intérêt
drame. Ainsi, par exemple, ce n'est pas dans
le
poème de
même. Ce
Gottfried,
n'est pas
comme
de sa blessure,
d'Isolde qui a guéri Tristan
mais
non plus
c'est
mère
la
Isolde elle-
mère qui empêche
la
Isolde de tuer Tristan, mais bien le regard de Tris-
tan lui-même
:
«
er sali
mir
in die
Augen,
seines Elendes
jammerte mich das Schwert — das ;
—
die
liess ich fallen
Morold schlug, die Wunde, gesunde »
sie heilt' ich, dass er
On
dans
voit par ce passage que,
le
:
(1).
drame de
Wagner, Tristan et Isolde s'aiment dès la première rencontre, et non pas, comme chez Gottfried, seule(1) « Il
pitié.
—
mais
la
me
regarda dans les yeux,— et de sa misère,
L'épée, je la laissai
blessure
—
je la
tomber
:
guéris, et
— il
— j'eus
Morold avait frappé, revint à la santé.
»
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
ment après avoir bu
le philtre.
111
L'importance de tous
ces traits ne saurait échapper à personne, et on les
trouve dans
les
vieux poèmes français. Mais tout
peu de chose
ceci est
si
on
compare à
le
Wagner a trouvé de lui-même et poème entier, à ce qui constitue
ce
que
qui transfigure le
levier
le
permet-
drame à Fintérieur », de sorte que dans le drame, à partir du moment où intervient cette invention personnelle à Wagner, « la vie et la mort, toute l'importance et l'existence même du monde extérieur, tout dépend uniquement des mouvements intérieurs de l'àme » (Vil, 164) je veux parler ici du rôle attribué par Wagner dans Tristan
tant de « reléguer le
:
et
Isolde au philtre de MORT(Todestrank) (1).
Ce
philtre de
«
mort
drame de Wagner le fait
que ce
trait
;
»
est le trait
fondamental du
toute l'action repose sur
Et
a presque toujours passé inaperçu
aux yeux des commentateurs de Wagner, exemples
lui.
est
un des
frappants de l'inintelligence invé-
les plus
térée dont nous faisons preuve habituellement en étu-
diant cette œuvre. Par cette seule trouvaille de génie,
Wagner
fait
d'un
lement sensuel,
roman
assez frivole, et superficiel-
sublime poème de Tamour sans
le
espoir, mais aussi sans tache,
(1)
En
français,
comme
en grec,
— et nous ne le
mot
«
philtre
nous en
»,
signifie
un breuvage propre à inspirer l'amour ». Ce mot se traduit en allemand par « Liebes-Trank », soit breuvage d'amour, auquel Wagner oppose le « Todes-Trank », soit breuvage de mort, (au lieu de dire poison). Je crois me conformer à lïnten-
«
:
:
:
tion poétique en disant
:
philtre d'amour, et philtre de mort.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
112
apercevons pas! Cette situation est exposée dans
premier acte avec une clarté veilleuses
;
le
poème y
une puissance mer-
et
revient constamment,
à son point central, dans tout acte et
du troisième
nous en apercevons pas
On comprend
!
comme
du second
cours
le
— et malgré tout
acte,
le
nous ne
qu'il puisse
y avoir des malentendus au sujet d'œuvres comme Tannhœuser et Lohengrin : pour en saisir le vrai sens, il
faut en effet une initiation
prenons pas
le
drame dans Tristmi
en est tout entière à nous, qui nous fait voir en ras, et
mais
;
Wagner un compositeur
suffira
à
le
et
nous
poète dramatique.
et,
par un pur hasard que Tristan
là,
—
ils
vident, en croyant boire
;
Wagner,
c'est
et Isolde
ils
fait
ne parlent que
ils
dans tous,
Chez Gottfried, par exemple,
simple
Aucun d'eux ne
mention d'un philtre de mort
gaene n'est pas
Un
antérieurs à celui de
l'enseigner.
d'un philtre d'amour,
d'opé-
d'aimer fran-
sens de ce philtre de mort?
examen des poèmes
faute
et à l'aveugle obstination
chement et sans arrière-pensée le
nous ne com-
et Isolde, la
nous empêche ainsi de voir
Quel est
si
ont
uniquement le
soif,
boivent.
—
Bran-
trouvent un flacon et
du
vin, a et
le
immédiatement
l'amour apparut et se glissa dans leurs deux cœurs». Et de l'amour né ainsi découle toute une série inter-
minable d'aventures frivoles
et
impudiques, dans
les-
quelles les deux amants, avec l'aide dévouée de Bran-
gaene, se
moquent du
roi
Marke,
et
où nous voyons
Isolde passer sans la moindre gêne des bras de son
royal époux à ceux de son amant, ou quitter celui-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. pour retourner à
ci
celui-là. Certes, les
poème de
français et le
beautés, mais au fond
immoralité révoltante
vieux romans de grandes
Gottfried ont
n'en sont pas moins d'une
ils ;
113
et
on
est bien obligé de con-
venir qu'il n'y a absolument rien d'héroïque
ni
de
tragique dans l'amour de ce Tristan et de cette Isolde
des vieux poèmes, qui sont parfaitement heureux
dans leur ménage à ne vienne
trois, tant
troubler.
les
Alexandre Dumas
M.
Wagner, de
le
Ce
fils,
que rien d'extérieur
sujet,
et
Wagner
Isolde
?
à
non pas à Richard
transporter sur la scène.
Mais que trouvons-nous en réalité dans de
bon
c'était
poème
le
Dès leur première rencontre, Tristan
s'aiment,
et
ils
s'aiment d'une
et
passion
si
intense, que Tristan n'ose pas s'approcher d'Isolde, et
comme
qu'Isolde hait Tristan de ce qu'il la livre
épouse à un autre. Mais leur amour est un amour de héros
jamais la pensée d'une action honteuse
;
âmes candides
n'effleure leurs
de suite
ne voient plus
ils
et
le salut
sublimes
que dans
et tout
;
la
mort.
Aussi lorsque Tristan prend la coupe fatale des mains d'Isolde,
il
peut s'écrier avec
— hoechste foi
Treu'
!
»
fierté
:
«
(C'est l'honneur de Tristan, sa
imparjurée.) Et c'est seulement
première
fois,
et que, se
Tristan's Ehre
alors pour
après que tous deux ont bu
croyant tout près de la mort,
vraiment morts à toute sensualité,
—
ils
c'est
le
la
poison,
sont déjà
seulement
alors qu'ils ont le droit de plonger en toute sincérité
dans
les
mourir
regards l'un de l'autre, et c'est en croyant
qu'ils se
murmurent
:
«
Tristan
!
— Isolde
!
/>
LE DRAME WAGNERIEN.
114
— La avait
mort dévoile toute changé
les
philtres,
que
maîtresse, et voilà cence, livrés
au
«
lieu
fuer kurzen Tod
les
pour sauver
vie à sa
la
héros, sublimes d'inno-
de trouver une mort rapide, sont
à une détresse
détourner d'eux
— Mais Brangaene
vérité.
que rien ne peut
—
(Unabwendbar ewige Noth
>).
!)
éternelle, et
— Quel
sens
d'amour,
le philtre
en tant que philtre damour, peut-il bien avoir
pour Tristan leur
et
amour
magique
ici
pourisolde? Aucun évidemment: pas de ceux qu'un breuvage
n'était
«uffit à faire naître.
Par cela seul qu'ils
avaient cru boire un philtre de mort, c'était bien
pour eux un philtre de mort de leur amour,
et l'aveu
cet
qu'ils
aveu
avaient bu,
que seule
la
mort avait pu leur arracher, ne pouplus ne pas avoir été proféré. C'est donc la mort
certitude de la vait
qui les avait unis dans l'amour, et c'est l'amour qui les vouait
désormais à la mort. On comprend qu'Isolde
dise au second acte «
:
Der uns vereiat,
den ich lass'
dir bot,
ihm uns
weih'n,
dem suessen Tod
!
» (1)
Toutefois, le philtre d'amour a aussi chez
Wagner
un sens profond, puisqu'on peut y découvrir rire
mélancolique de la vérité et de
mêlées
amour (1)
:
le
tel
monde
que
Celle qui
nous à
elle,
est incapable de
—
je
sou-
l'ironie entre-
comprendre un
celui de Tristan et d'Isolde
nous a unis, — et que à la douce mort.
le
t'offris,
;
il
ne pos-
—
vouons
115
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
moyen de juger de
sède aucun
l'héroïsme
la vie le déconcertent.
une
« explication »
s'expliquer. lui
même
importe
lui offre
matérielle de ce qui ne peut pas
demande pas davantage,
n'en
Il
le
Par contre, il se dé-
pour peu qu'on
clare parfaitement satisfait,
les con-
qui donne
tradictions apparentes d'une passion
mépris de
;
l'étrangeté ou
même
et
peu
l'insignifiance
de cette explication. La fidèle Brangaene parle du «
du
secret
famour de
philtre
avec la pleine conviction que
»
Tristan et disolde est
noble roi Marke s'écrie
le
:
Da
«
«
son œuvre
hell
mir ward ent-
was zuvor ich nicht fassen konnt', wie dass ich den Freund frei von Schuld da fand
selig,
huellt,
C'est
donc
le
mépris où
philtre
d'amour qui sauve
les auraient
» et
!
les
!
^>
(l)
héros du
tenus inévitablement tous
ceux qui n'auraient jamais pu
les
comprendre, mais
qui sont pleinement satisfaits de l'explication que leur fournit l'incident lors
persuadés que
voilé ».
Aujourd'hui
suffit à
presque tout
«
du
philtre, et qui restent dès
tout leur a été clairement dé-
encore le
la
même
explication
monde.
Je crois qu'il est inutile d'insister, et que le lec-
teur admettra facilement que j'avais raison en affir-
mant que le philtre de mort est le moyen dont se sert Wagner pour reléguer toute l'action à l'intérieur, de
(1)
telle
sorte qu'à partir
Dès que
me
fut clairement dévoilé ce
pu comprendre, quelle nocent mon ami
n'avais
!
du moment où intervient
fut
ma
joie
que jusque-là
je
de trouver in-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
116
cet incident, le
ce qui se passe
drame
est
désormais tout entier dans
dans lame de Tristan etd'Isolde. Une
première conséquence de cette conception fut que
Wagner
dut inventer toute la suite. La
acte, et les
deuxième
et
fin
du premier
troisième actes en entier,
forment un poème tout à fait nouveau, qui ne présente presque aucune analogie avec
le
Tristan etisolde des
autres poèmes, ni dans les traits généraux ni dans les détails. C'est la
nature
même
de la nouvelle forme
de drame instaurée par Wagner, qui exigeait une fa-
çon toute nouvelle de concevoir
Nous touchons
ici
et d'écrire ce
de nouveau au fond
poème.
même
de
notre sujet. Par quoi ce drame wagnérien se distingue-t-il des autres
Par
art ?
le fait
formes de drame,
et de tout autre
que l'homme intérieur se manifeste
directement, dans la musique, et que ce qui se passe
en
lui
devient donc la partie la plus importante de
Vaction. L'épopée, la légende, le roman, ou toute
autre ancienne forme, ne peuvent que décrire cette vie intérieure
;
et ce
que nous montre
ce ne peut être autre chose
mouvements
que
les
drame parlé, symptômes des le
intérieurs, soit par la parole, qui résulte
de lafaçon dontles états de l'âme se réfléchissent dans
l'entendement, soit par les mouvements du corps et l'expression des physionomies, que l'œil peut perce-
Quant à la musique prise isolément, la musique absolue, on pourrait la comparer à un regard qui flot-
voir.
terait sans corps
mirable, mais en
dans
l'air,
conception peut-être ad-
même temps presque
monstrueuse,
car c'est là le mystère fondamental de la nature hu-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
117
— mystère qu'on ne peut que constater, sans discuter, — que jamais une âme ne puisse se mani-
maine, le
un corps,
fester sans
et
que
l'idéal le plus
sublime
ne puisse se concevoir sans une base matérielle et visible. Or,
fère
dans
drame wagnérien
le
le
poème con-
un corps àla musique. Ce corps, nos yeux
çoivent sur la scène,
et,
de plus,
il
l'aper-
est saisissable par
grâce aux explications de la
notre entendement,
parole. Mais puisque dans cette nouvelle forme de
drame l'âme parle en outre directement à la
musique,
n'est-il
l'âme, par
pas de toute évidence que
les lois
de construction de ce nouveau genre de drame doivent être
absolument différentes de genres? Tristan
les autres
celles qui régissent
et Isolde
nous
offre juste-
ment le premier exemple de cette nouvelle structure. Dans ce drame, nous voyons d'abord la trame des événements converger rapidement vers un point unique;
c'est ainsi
que nous avançons jusqu'au par-
vis de l'âme invisible, et dès lors le poète, qui a à sa
disposition, outre le langage des paroles, celui de la
musique, peut nous faire pénétrer dans cette âme
nous
la révéler.
et
Libre de toutes entraves, grâce à la
précision mathématique de son point de départ, laisse l'émotion seule s'épanouir de plus
il
en plus,
jusqu'au point où tout ce qui est individuel se sent
fondre et
«
se perdre
dans l'haleine
infinie
de l'âme
Nous avons ici l'exécution littérale de ce que Wagner avait précédemment énoncé avec clarté dans son livre Opéra et Brame: «Le poète prend
universelle
».
de nombreux faits épars,
tels
que
la raison les
con7.
LE DRAME WAGNÊRIEN.
118 çoit,
des actions, des sentiments, des passions, et
les fait
converger vers un seul point qui puisse faire
naître Témotion. est
il
de se saisir
La lâche du musicien, par contre, d'un tel point, d un tel centre, pour
partir de là et aller jusqu'au complet
de son contenu émotionnel
(1) ».
épanouissement
— La mort,
en enve-
loppant de son ombre Tristan et Isolde, les a détachés complètement et pour toujours de ce
monde de
conventions nécessaires et de mensonges inévitables «
Wer
:
des Todes Nacht
liebend erschaut,
wem
sie ihr tief
Geheimnis vertraut, des Tages Luegen,
Ruhm und Ehr' Macht und Gewinn, so schimmernd hehr, wie eitler Staub der Sonnen sind sie vor dem zersponnen Pour eux, (1)
et aussi
» (2).
pour nous spectateurs,
le
monde
Der Wortdichter draengt unendlich zerstreute, nur
dem
wahrnehmbare Handlungs =, Empflndungs = und Ausdrucksmomente auf einen, dem Gefaehle moeglichst erkennbaren Punkt zusainmen wogegen nun der Verstande
;
Tondichter den zusammengedraengten, dichtea Pankt nach
seinem voUen Gefuehlsinhalte zur hoechsten Quelle auszudehnen bat (IV, 174.) la nuit de la mort,— et a pu sonder (2) Poar qui a aimé — son profond mystère, les mensonges du jour, — honfortune et pouvoir, — ont beau resplendir neur et gloire, — comme une vaine poussière de rayons, — la nuit les en-
—
—
—
gloutit.
:
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. visible n'existe
presque plus;
il
119
n'y a plus de réel que
ce qui se passe
dans lame des deux héros, de Tris-
tan et d'Isolde
;
que
Tristan,
ces deux
«
âmes
tout
le
reste n'est plus,
des fantômes du jour
».
comme
— Mais dans
se passe l'action la plus dévorante, la
plus passionnée, que l'on puisse imaginer tragique de ceux qui sont désormais nuit
contre
»,
dit
le
«
«
la lutte
:
voués à la
jour», qui les tient cependant
encore emprisonnés, jusqu'à leur délivrance dans la
mort.
C'est là
contenu du deuxième
le
et
sième acte. Aucun autre genre de drame que
wagnérien ne pourrait se telle
action, parce
du
troi-
drame proposer de montrer une
qu'aucun autre
moyens d'expression nécessaires à
le
ne possède les cette
En le mo-
tâche.
effet,
comme
ment
arrive bientôt, où, selon la pittoresque expres-
sion
de
l'action devient toute intérieure,
Wagner lui-même,
guère autre chose que de tel
drame
aurait-il
la
«
il
ne se passe plus
musique
donc pu être
traité
».
Gomment un
sans musique
?
Mais parla musique justement nous en devenons les témoins, et par la musique cette action arrive à nous
toucher plus directement que n'eût pu
le faire
n'im-
porte quelle autre récitée et mimée. C'est ici la seule fois
que devant nos yeux Wagner
a ainsi complètement transporté une action à l'intérieur, qu'ill'y a reléguée, pourrait-on dire. Tristan et
Isolde en est d'autant plus intéressant
pour l'étude
de ce qui constitue l'essence du drame wagnérien.
Le principal enseignement que nous devons tout d'abord en
tirer,
c'est de
comprendre
la nécessité
LE DRAME WAGNÉRIEN.
120
des profondes modifications qu'il nous faut
faire
subir aux notions que nous attachions jusqu'ici au
mot
dH action.
Et c'est avant tout une extension très
grande que nous devons donner au sens de ce mot. C'est ce qu'il
réfuter
faut maintenant expliquer, pour
un des malentendus
presque tout Il
me
le
les plus
enracinés chez
monde au sujet du drame wagnérien.
est indispensable
de posséder là-dessus des idées
justes et d'une parfaite clarté. *
Jusqu'à maintenant,
le
drame
n'a
évidemment pos-
sédé que deux moyens de nous rendre témoins d'une action
:
nous
faire connaître les
tendement chez
les
mouvements de
l'en-
personnages, et nous montrer
les
mouvements du corps. Il s'en ajoute un troisième dans le drame wagnérien rendre sensibles pour notre âme les mouvements de l'âme des personnages. Le drame antique, quoi qu'on ait pu dire, n'avait pour but que de faire connaître les mouvements de :
l'entendement. Ilestvraiqu'ony faisait de la musique,
mais
il
suffit
de comparer la structure du drame chez
Eschyle à celle du drame chez Euripide, et on s'aperçoit aussitôt
que
la part
de valeur dramatique laissée
à cette musique s'est très vite amoindrie. Cela n'eût
pas été possible,
si la
musique
avait été
un facteur
du drame. Le chant du chœur, en tant que musique, n'a sans doute eu qu'une importance semessentiel
blable à celle qu'avait la danse de ce
même chœur
:
produire sur les spectateurs une impression de solen-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. nilé,
]21
mêlée de souvenirs religieux. Mais en somme
la
musique ne concourait pas à l'action proprement dite; elle était
un élément
lyrique, formant à la vérité
partie indispensable
du
spectacle,
une
mais restant à
Le rôle
côté et en dehors de l'élément dramatique.
de la vue était encore plus insignifiant. Qu'on veuille bien considérer par exemple une tragédie
VAntigone de Sophocle
;
telle
que
pas une seule des scènes
profondément émouvantes que
cette tragédie a
si
pour
but de faire connaître, ne se passe devant nos yeux! C'est
uniquement par
le reflet
de ce qui s'accomplit
derrière la scène, tel que nous
l'apercevons dans
l'entendement des principaux personnages
et
de leur
entourage, que nous avons la notion de la véritable
acùon. Nous avons les récits des messagers, les épan-
chements de cœur des héros avons
aussi, décrite
dans
et leurs disputes;
les
nous
chœurs, l'impression
que produit tout cela sur l'entourage; mais, toujours et
partout, c'est la parole seule, c'est-à-dire l'en-
tendement, qui nous révèle
le
drame
Laforme moderne de drame, qui
(1).
atteint son point
culminant dans Shakespeare, se distingue du drame antique surtout en ceci, qu'aux notions fournies par l'en-
tendement s'ajoutent les notions fournies par la vue. Au lieu du masque, nous avons les traits animés du visage; au lieu des récits: les événements, qui se
passent devant nos yeux. Cette modification consti(])
La tragédie
française,
gédie grecque par
le
génie
quoique très distincte de la tradifférent des deux peuples, ne
si
contient cependant aucun principe foncièrement nouveau.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
122 tuait,
du point de vue de
tant.
C'est qu'en
effet tout
impression des sens, plexe et suggestive
l'entendement
immédiate l'œil.
et
soi
impor-
sur une
art se fonde
— mais toujours indirecte — qu'on ajoutait
la
de
sensualité
irrésistiblement convaincante de
si
Ce progrès éloignait
et le rendait
très
à la sensualité très com-
et,
voici
,
un progrès
l'art,
pour
le
drame de
la littérature,
ainsi dire plus artistique.
que ce changement dans
le
drame
Il
va de
même
en-
traîna une modification dans les notions concernant l'action
dramatique, et
c'est ainsi que,
d'une façon
drame moderne se différencia complètement de celle du drame antique. Mais je ne veux attirer l'attention du lecteur que sur un seul point, et faire remarquer que l'adjonction de ce nou-
générale, la structure du
vel élément d'impression
pouvoir dévoiler que
cependant avoir
la
comme
:
la vue,
qui semble
surface des choses, devait
principal résultat de donner
au drame un sens beaucoup plus profond, de rendre plus intime
En
!
ne
effet,
le
puisque nous nous
trouvons désormais en communication plus immédiate
avec les personnages, puisque maintenant les
événements extérieurs
se passent devant
n'aperçoit-on pas tout
nos yeux,
de suite que ces
événe-
ments extérieurs peuvent doQC, sans préjudice pour le drame, être moins prodigieux et moins extraordinaires: et
que
l'intérêt
pourra donc se concentrer
dans une mesure plus large sur ce qui se passe dans l'âme invisible
?
Tout d'abord cette conclusion
peut sembler paradoxale, mais, pour peu qu'on y
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. réfléchisse,
on verra bien qu
ment déduite du
fait
elle n'est
123
que logique-
de cette intervention de l'im-
pression visuelle dans l'œuvre dramatique. La mul-
des scènes et des personnages, consé-
tiplication
quence directe du rôle que joue maintenant la vision, a en
pour résultat de jeter plus de lumière sur
effet
des personnages. Dans
la vie intérieure
le
drame
antique on se bornait à raconter les événements, et cette partie extérieure
du drame, malgré
qu'elle ne
aux yeux des spectateurs, en deve-
fût pas présentée
nait presque forcément la partie principale, car le fait tait
même
qu'on n'était pas appelé à
des récits
mais dès que
nombreux
la voir nécessi-
et qui fussent saisissants
;
événements se passent devant nos
les
yeux, ils deviennent aussitôt moins importants que ce qui se passe au fond de l'âme des personnages qui en sont les fauteurs. Et ainsi ce sont les événements intérieurs,
si
l'on
invisible, qui
peut dire, les mouvements de l'âme
prennent dans
le
drame une place de
plus en plus grande. Et on peut affirmer que, d'une
façon générale,
le
poète consacre maintenant à peu
près autant de place à montrer et à décrire ces états
de l'âme, qu'il était obligé d'en accorder dans
drame grec aux événements que
la notion
extérieurs.
On
voit
le
donc
de ce qu'il faut entendre par action
dramatique se trouve du
même
coup
élargie
et
approfondie. Ces considérations nous conduisent à
une conclusion
très importante,
que nous pouvons
formuler en disant que sans V adjonction de directe des choses
comme élément
la
vue
d'impression dans
le
LE DRAME WAGNÉRIEN.
124
drame, jamais
le
drame n aurait pu s' attaquer aux
tragédies de Vâme^
aux tragédies
telles
vraies
que ffamlet,
par exemple, dans lesquelles les éyénements extérieurs passent tout à fait au second plan. Or,
Wagner
dement pas
ici
et
ajoute à ces deux éléments de l'enten-
de la vision, celui de
l'ouïe.
ne
Il
s'agit
de Foreille en tant que simple véhicule de la
du sens de
parole, mais bien
la
musique, du sens
par lequel l'âme se manifeste à l'âme avec une précision et avec
une puissance de conviction immédiate
qu'on ne saurait décrire. Grâce à l'adjonction de vue, nir
un une
comme
sujet
celui de
Hamlet
avait
pu
la
four-
action dramatique d'une beauté parfaite, ce
qui aurait été d'une impossibilité absolue dans la
forme grecque du drame. Wagner nous progrès
de
même
nature,
un mais bien plus grand fait faire
encore, car, à l'entendement qui reflète et décrit, et
à la vue qui manifeste et convainc,
de
lations
la
musique,
—
il
ajoute les révé-
révélations
mettent en communication directe avec invisible, le
monde dans
chacun de nous. traiter,
dans
même
n'aurait
n'aurait
le
Il
le
monde
lequel est plongée l'âme de
s'ensuit qu'on peut
maintenant
drame, des actions qu'un Shakespeare
pu aborder, ou que tout au plus pu que vaguement indiquer. L'exemple
plus parfait
et
le
et le
il
le
plus concluant qu'on en puisse
donner, c'est précisément ce Tristan
second
qui nous
et Isolde^
où
le
troisième acte sont remplis de l'action
la plus dévorante, conduisant jusqu'à la mort, action
cependant qui reste tout à
fait intérieure.
Un
Sha-
120
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
kespeare, pour montrer les souffrances de Tristan et
dlsolde,
nombre
aurait
obligé
été
d'imaginer un certain
d'intrigues et de scènes, de telle façon que
de la série de ces événements fortuits nous puissions conclure à Tétat de l'àme des deux héros; et
n'eût
il
guère pu faire autrement que de faire mourir Tristan
par Tépée, traire, a
par
et Isolde
le
poison.
Wagner, au con-
pu concentrer toute sa puissance
créatrice
sur la seule et unique et vérUable action. Dans
le
second acte nous voyons l'amour tragique parcourir avec une rapidité vertigineuse duit au point où la le
le
chemin qui
le
mort s'impose, inéluctable
;
con-
dans
troisième acte nous assistons à la lutte entre
le
corps et Tâme, et finalement à la victoire de l'àme, qui, et
dans,
«
mort d'amour
la
s'échappe de ce
Je crois avoir
»,
prend son
monde de misères
et
vol,
de douleur.
résumé dans ce qui précède
ce qu'il
y avait de caractéristique à dire sur les grandes lignes du drame de Tristan et Isolde. Le lecteur qui prendra ces considérations générales pour point de départjtrouvera dans ce drame une mine inépuisable
pour
la
méditation artistique. Mais je prierai mainte-
nant qu'on veuille bien transition de l'étude
me
suivre et passer sans
du poème dans son ensemble à
l'étude d'un détail de l'exécution, à savoir
:
les rap-
ports qu'il y a entre la parole et la musique, la façon
dont
elles s'adaptent l'une à l'autre. Rien, je crois,
n'est plus propre
que
cet
examen à nous
faire aper-
126
LE DRAME WAGNERIEN.
cevoir ce que
j'ai
musique
»
dans
appelé
«
rafFranchissement de la
drame wagnérien
le
;
car nous ver-
rons que l'intensité de l'expression musicale varie à
chaque instant,
et
que
des phrases varie de sens inverse ces deux
;
de
l'intensité
même
telle sorte
de la valeur logique
constamment, mais en que
moyens d'expression
la
combinaison de
se trouve produire
instrument unique, d'une extrême délicatesse, et
un
dis-
posant de ressources presque illimitées. Nous verrons rapports organiques existent
aussi quels intimes
entre ces variations dans l'expression et Vaciion
l'atmosphère dans
c'est
qui
:
laquelle celle-ci se meut,
détermine à chaque instant la mesure dans
laquelle chaque élément particulier doit concourir à
l'expression générale
et c'est aussi l'intention
;
du
poète, qui parfois s'adresse plus spécialement à la
vue, d'autres fois à l'entendement, et enfin d'autres fois àl'àme.
Les combinaisons possibles sont
lement en nombre dire
que
«
infini, et
Wagner
littéra-
avait raison de
dans l'œuvre d'art de l'avenir,
la source de
l'invention ne tarira jamais ».
Au
fond, dans cette étude des rapports entre la
parole et la musique,
il
s'agit
d'une chose très simple.
Mais toutes ces questions nous sont tellement étrangères,
nous comprenons
fondamentale qu'il
si
peu ce qui
et caractéristique
est la base
du drame wagnérien,
n'est pas facile d'en parler sans s'exposer à
toutes sortes de malentendus. J'en ai fait maintes fois
déjà
l'expérience.
commencer
Et c'est
pourquoi je veux
ce court aperçu sur les rapports entre la
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
127
parole et la musique par une série de citations tirées
des écrits de Wagner, et qui peuvent servir de base
à une entente vraie de la question. Peut-être n'apercevra-t-on pas tout de suite
le
rapport de chacune de
nous occupe, mais
ces citations avec le sujet qui
la
suite de ce chapitre le fera voir.
Wagner I.
dit
:
L'unité de l'action est la conséquence néces-
«
saire de ce qu'elle doit
mais
il
former un tout
intelligible
;
n'y a qu'une chose qui puisse la rendre intel-
ligible, et ce
n'est ni le temps, ni l'espace
de temps et l'unité de
l'unité
lieu),
(lisez
:
mais V expres-
sion (1). II.
c(
Un
drame qui
sujet de
d'expression, c'est-à-dire
exigerait
qui forcerait
deux modes le
poète à
s'adresser tantôt à l'entendement, tantôt à l'émotion, serait tout à fait
dépourvu d'unité.
qu'une action unique sans rupture d'expression
soit
d'unité, tel,
que
il
—
Donc, pour
capable de se manifester
faudra choisir un
la plus vaste
conception née
dans l'entendement du poète puisse être niquée intégralement kVémotion
mode
commu-
(2).
Handlung bedingt sich aus ihrem nur durch Eines kann sie aber diesen verstaendlich kundgeben, und dièses ist nicht Raum und Zeit, soadern der Ausdruck.{l\, 253.) (2) Ein Inhalt, der einen zwiefachen Ausdruck bedingen wuerde, d. h. einen Ausdruck, durch den der Mittheilende sich abwechselnd an den Verstand und an das Gefuehl (1)
Die Einheit
verstaendlichen
der
Zusammenhange
zu wenden haette, ein
;
solcher Inhalt
koennte ebenfaUs
LE DRAME WAGNÉRTEN.
128 III.
« Ainsi les arts (poésie, musique, mimique),
réunis dans un but
de perpétuelles
commun,
variatioiîs,
se
manifesteront avec
quelquefois tous ensemble,
d'autres fois à deux, ou bien encore
ment, selon
un seul
isolé-
exigences de Faction dramatique,
les
qui seule devra décider de la mesure et du degré d'in-
que chacun, en chaque instant, doit posséder.
tensité
Parfois la
mimique
immobile,
comme pour mieux écouter l'entendement
s'arrêtera, le
débattre une question
;
personnage restera
d'autres fois Ja volonté don-
nera à sa résolution l'expression immédiate du geste;
ou bien encore ce sera la musique seule qui sera chargée de traduire
le
torrent des sentiments,
de l'émotion; ou enfin
il
le
frisson
arrivera que les trois arts,
étroitement enlacés,
devront tous trois ensemble
concourir à révéler
drame
le
(1).
nur ein zwiespaeltiger, uneiniger sein. — Den Ausdruck, der als ein einziger auch einen einigen Inhalt ermoeglichen wuerde, bestimmen wir als einen solchen, der eine umfassendste Absicht des dichterischen Yerstandes am entsprechendsten dem Gefuehle mitzutheilen vermag. (IV. 246, 247.) (1)
So,
im
werden gemeinsam, bald zu nach Beduerfniss der einzig Maass
wechselvollen Reigen
sich ergaenzend,
die vereinigten Schwesterkuenste bald
zweien, bald einzeln, je
und Absicht gebenden dramatischen Handlung, sich zeigen und geltend machen. Bald wird die plastische Mimik dem leidenschaftslosen Erwaegen des Gedankens lauschen; bald der Wille des entschlossenen Gedankens sich in den unmittelbaren Ausdruck der Gebaerde ergiessen
kunst
die
Stroemimg des
Ergriflfenheit allein
in
Gefuehles,
;
die
bald die Ton-
Schauer
der
auszusprechen haben; bald aber werden
gemeinsamer Umschlingung
aile
drei
den Willen des
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. IV.
La
«
129
base indispensable de toute expression
artistique qui vise à la perfection est la parole
V. « La musique est langage parlé (2). VI.
commencement
Le point central qui
«
matique, c'est
mélodie qui
VIL
le
«
(1).
du
et la fin
vivifie l'expression dra-
vers déclamé par l'acteur, avec la
le
propre
lui est
Dans l'œuATe
occupera une tout
(3).
musique
d'art de l'avenir, la
que dans l'opéra
autre place
elle ne se développera dans toute son moderne ampleur que là où elle doit avoir la toute-puissance; :
mais, par contre, partout où
langage dramatique
le
devient de toute nécessité, la musique devra lui être
subordonnée. Or,
musique possède justement
la
faculté de se plier insensiblement
langage, sans être obligée de
complètement;
aux exigences du
se
taire
peut donc laisser
elle
à la parole, sans cesser de Drama's zur unmittelbaren
,
lui
la
le
servir
elle-même
champ
d'appui
»
libre (4).
koennenden That erheben.
(IV, 187.) (1)
Die unerlaessliche Gruvdlage eines vollendeten kuenst-
lerischen Ausdruckes (2)
Die Tonsprache
ist die Spractie. (IV. 2ô2.) ist
Anfang und Ende der Wortsprache.
(IV. 114.) (3)
Der lebengebende Mittelpunkt des dramatischen Aus-
druckes (4)
In
ist
die
Versmelodie des Darstellers. (IV. .237.) der Zukunft hat die Musik durch-
dem Kunstwerk
aus eine andere Stelle zu
Oper
:
nur
da,
wo
sie
erhalten, als in der
die vermoegendste
ist,
modernen
hat sie sich in
voiler Breite zu entfalten, dagegen aber ueberall, die dramatische Sprache das Nothwendigste
dieser
volikommea unterzuordnen.
—
ist,
wo
z. B.
hat sie slch
Gerade die Musik
LE DRAME WAGNÉRIEN.
130
Voici maintenant les conclusions que nous pou-
vons
tirer de ces paroles
Il faut,
dans
de
Wagner
:
forme de drame instituée
la nouvelle
par Wagner, que Vexpression. constitue l'unité
du drame, ou, en d'autres mots, que
même
le
même
drame
lui-
agisse par la force d'une expression unique.
Ce but sera
atteint, si le
Vémotion seule, des sujets
et
poète s'adresse toujours à
par conséquent
d'un ordre purement
«
complètement éliminée
la part
s'il
ne
humain
traite
que
où
soit
»,
des conventions. Mais
puisque J'unité ainsi comprise n'est ni formelle, ni schématique,
et qu'elle consiste
dans
le
fait
de con-
de communiquer à l'émotion seule toute une
fier,
conception poétique,
il
est évident
que
cette
commu-
nication devra autant que possible épuiser le sujet,
pour cela des
et nécessitera
variations^ en
nombre
indéfini, et selon les exigences de l'action dramatique,
des différents arts appelés à concourir au but poursuivi par l'artiste.
La
base de toute expression artis-
tique n'en reste pas parlé,
nous
dans
cri,
le
le
moins
la
parole. Le langage
savons, a son origine dans
son musical
le
simple
mais lorsque, après avoir
;
parcouru toute l'étendue de
la
pensée humaine,
il
veut exprimer ce qu'il y a de plus sublime dans
l'homme, et
il
il
vient se fondre de
faut en conclure que
si
nouveau en musique; la parole est
la
base
aber besitzt die Faehigkeit, ohne gaenzlich zu schweigen,
dem gedankenvollen Elemente lich
anzuschmiegen, dass
laesst,
waehrend
sie
sie
dennoch
der Sprache sich so unmerkdièse fast allein
gewaehren
sie unterstuetzt. (III. 189.)
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. indispensable de l'expression sique, qui est le
131
dramatique,
commencement
et
mu-
la
Y aboutissant^ la
racine et la couronne, de la parole, doit donc occu-
per dans
le
drame
rimportance de ses
que le
\e
donne
la place à laquelle lui
droit
de ses origines. C'est dire
fins et
point central de l'expression dramatique sera
point où la langue parlée se marie à la langue
musicale, et où ces deux langues, en se fondant l'une
dans
l'autre, créent l'expression la plus claire et la
plus convaincante qu'on puisse imaginer, le
—
vers chanté par l'acteur.
c'est- à-dire
De ces prémisses
il
musique ne se taira jamais complètement, puisqu'elle est pour ainsi dire le sein maternel où le drame puise sa vie, et puisque c'est dans la résulte que la
musique que
se
réalise
cette
unité
d'expression
s'adressant à l'émotion seule, que nous avons recon-
nue indispensable
;
mais
tensité expressive de la
varier
il
en résulte aussi que
musique pourra
continuellement, surtout dans
et
que ce rapport
est tel,
que
si
devra
son rapport
avec l'intensité de valeur du langage parlé. dire
l'in-
l'un
On peut
quelconque
de ces deux facteurs principaux de l'expression dra-
matique augmente de valeur, fait
même.
Pour
me
l'autre
servir
empruntée aux mathématiques, duit en expression reste le
diminue par
d'une
comparaison
je dirai
même
;
si
le
que
le
pro-
donc l'un des
facteurs augmente, l'autre diminue. Entre les deux
extrêmes, où l'un ou l'autre domine presque absolu-
ment, d'innombrables états intermédiaires sont possibles,
on
le
conçoit facilement, et nous en possédons
LE DRAME WAGNÉRIEN.
132
des exemples sans nombre dans l'œuvre de Wagner.
—
Il
du «
important de faire observer, à propos
est très
de
rôle
beauté
»
parole, qu'il ne
la
s'agit
pas
ici
de la
plus ou moins grande de la langue, ni de
nombre plus ou moins grand de mots: uniquement du contenu des mots en notions^
l'emploi d'un il
s'agit
de
et
la
valeur relative, pour F entendement,
phrases entre les
des
Et c'est surtout à ce sujet que
elles.
malentendus abondent.
On remarque généralement
trop peu
tous les poètes le contenu des phrases
La cause de
varie constamment. variation, c'est
que
la parole a
que chez en notions
cette perpétuelle
une double fonction
pour tous ceux qui écrivent sans demander cours de la musique
poème
:
d'un côté,
à l'entendement,
que cela
lui
est
et,
elle
le
con-
communique
le
d'un autre côté, autant s'adresse aussi à la
possible, elle
perception musicale. Shakespeare est tout particu-
lièrement riche à cet égard, et toute traduction de son
méconnaissable n'est-ce pas
:
œuvre
c'est
pour cela que
la mutile et la
priver ses phrases de leur musique,
comme
leur couper les ailes grâce aux-
quelles elles s'élèvent jusqu'aux régions invisible
rend
du monde
où seule l'âme peut avoir accès. Mais com-
bien plus puissant est
le
poète-musicien, soit qu'il
veuille surcharger sa phrase de
notions précises et
d'images, soit au contraire qu'il veuille en atténuer le
sens jusqu'à
le faire
presque s'évanouir
nous d'examiner chez Wagner
Wagner nous
les
!
Contentons-
deux cas extrêmes.
a enseigné tout à l'heure que
la
133
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
musique peut au besoin être pour le langage parlé comme un appui qui le soutienne, et même lui donne de force; et nous trouvons en
plus
drame wagnérien, lorsque Faction
effet
l'exige,
dans
le
un lan-
gage qui surpasse en précision, en concision
en
et
puissance, tout ce à quoi pourrait atteindre un poète privé du concours de la musique. Cela vient de ce
que
langue, dans cette nouvelle forme de drame,
la
n'est plus obligée,
comme dans
l'ancienne forme, de
s'adresser simultanément à la réflexion et au sens
musical, et qu'elle est afî'ranchie de la nécessité de décrire et de paraphraser des émotions et des senti-
ments, puisque la musique est là justement pour remplir cet emploi
domaine qui
elle
;
peut donc se restreindre au
propre, ety accomplir des choses
lui est
prodigieuses. Elle peut être, par exemple, d'une concision
extrême dans
d'une précision absolue
le récit,
lorsqu'il s'agit de caractériser
une scène ou un per-
sonnage, d'une intensité rare lorsqu'il faut exprimer
un sentiment.
J'en
exemples
de Tristan
tirés
donnerai et
que dans l'œuvre de Wagner elle se
compose devaient
c'est le contraire qui
a
tout à Isolde.
On
les divers
se
a prétendu
éléments dont
gêner mutuellement
lieu, et c'est
même
drame
gner en force
et
il
le
la concision et
musique vient en aide à s'agit
mu-
langage y puisse gaen vigueur. Mais ce n'est pas seu-
parlé,
lement du côté de la
que
;
une des
premières conséquences de l'adjonction de la sique au
des
l'heure
de fuir l'abstrait,
de la précision que
la parole, c'est aussi là
le
où
logique, le précis, là où 8
LE DRAME WAGNÉRIEN,
134 il
faut chercher à atteindre àcet autre
monde
qui est
inaccessible à la raison et à l'entendement, et auquel
on ne peut justement arriver que par de subtiles associations d'idées, et surtout en faisant appel à la
musique. Le poète, privé de l'appui de et qui
veut cependant atteindre à ce
musique
la
même
but, ne
peut que se mouvoir dans des limites bien étroites, car pour
peu
de les dépasser,
qu'il tente
plus à se faire
«
comprendre
».
il
n'arrive
mu-
Mais quand la
sique intervient, nous révélant d'une façon parfaite ce qui se
passe
dans
le
l'entendement, et avec
monde
émotionnel, alors
lui l'imagination et la parole,
peuvent s'abandonner sans crainte à
cette
suprême
volupté de la poésie, qui est de se perdre dans
monde
le
émotionnel. Le poète avait délivré la musique
de toute chaîne dans
musique qui délivre l'affranchit
le
le
drame, maintenant
des lois arbitraires de la raison, ;
l'homme
aussi, est libre maintenant, et, sans il
la
poète de toute entrave, elle
brise les liens de la logique
le retenir,
c'est
elle
extérieur, lui
que rien doive
peut abandonner sa parole aux inspi-
rations de l'extase, l'extase dût-elle ne
lui
inspirer
que des exclamations ou des balbutiements sans suite logique, et il sera quand même « compris ». Il suffit
de mettre en lumière chacun de ces caô ex-
trêmes, pour faire
admettre
série indéfinie d'états
la
intermédiaires.
viens d'exposer théoriquement,
il
d'une
possibilité
ne
me
Ce
que
reste
plus qu'à l'appuyer par quelques exemples de
extrêmes mêmes, pris dans Tristan
et Isolde.
je
donc ces
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
Prenons d'abord un cas où tique proprement dit est de
où
musique
la
donc
doit
135
drama-
langage
« le
première nécessité,
subordonnée
être
lui
et ».
Dans aucune œuvre de Wagner nous ne trouverions
un exemple plus frappant que
que nous donnent
dlsolde au premier acte
les paroles
mir verloren» «
celui
Mir erkoren,
«
:
Ces paroles, qu'Isolde doit pronon-
(1).
cer d'une voix sourde, le regard immobile fixé sur
Tristan
»,
contiennent et expriment
drame tout
le
entier. Elles disent Ja seule chose essentielle qu'il ait
y à dire sur tout ce qui fut et tout ce qui est la vie
même temps
des deux héros, et elles font en inévitable, le
sentir l'avenir
avenir possible.
seul
nous
D'ailleurs ce terrible avenir
pres-
est révélé
immédia-
cœur d'Isolde. Elle prononce « Tod geweihtes Haupt Tod geweihtes Herz (2) » en désignant Tristan du geste au mot « Haupt », et en se désignant elle-même au mot
tement après,
tel qu'il se reflète
dans
:
le
!
!
«
Herz
on
». C'est,
le voit, la
aux seuls mots essentiels précise.
et qui
évoquent une image
Point d'articles, point d'adjectifs, point de
prépositions, rien que ce qui
poète n'est pas contraint, parlé, à
réduction de la phrase
traîner
les
est indispensable.
comme dans
émotions en
étendre, à les délayer, pour les
(1)
Mais dans
le
Le
drame
longueur, à les
expliquer
;
tout au
—
perdu pour moi. mort! — Cœur voué à la mort! » texte allemand il n'y a ni préposition, ni ar-
Elu poar moi, Tête vouée à
(2) «
le
ticle. La traduction Mort voué cœur » !
la
littérale
serait
:
«
Mort vouée tête!
—
LE DRAME WAGNERTEN.
136
contraire, l'émotion toute -puissante force la parole à dire en aussi la
peu de mots que possible
que ces phrases sont produisent dans
le
sobres de paroles, qu'elles
si
drame une impression
parable,
si
sicien,
ne pourrait pas
il
on ne
lors
décisive. Mais
rayonne
la
si le
si
incom-
mu-
poète n'était pas
les écrire ainsi,
comprendrait pas.
le
elles constituent
il
peu que
le
parole peut exprimer. Et c'est précisément parce
Ici,
parce qu'a-
au contraire,
point central du drame, d'où
« le
lumière de l'expression dramatique
»,
et
en est ainsi grâce au concours de la musique.
Celle-ci s'efface d'abord
musique
« la
devant
la parole;
se plier insensiblement
du langage, sans complètement,
nous voyons
aux exigences
être obligée de se taire
et laisser le
champ
libre à
elle-même la parole,
sans cesser cependant de lui servir d'appui effet,
à ce moment, l'orchestre se
tait
».
En
presque com-
plètement, et les paroles sont déclamées avec une
expression
si
parfaitement simple,
si
dépourvue de
toute recherche, qu'elles nous semblent plutôt parlées
que chantées,
et, que
nous entendons clairement
chaque mot prononcé. Et cependant en ce moment, où
la
musique semble
la parole, c'est
musique le
s'effacer
précisément
se sont
là
pour laisser dominer
que
embrassées l'une
parole
et
la
l'autre, c'est
là
la
point précis où la pensée, qui aspire à se fixer dans
une expression immédiate,
et l'émotion, qui
cherche
à saisir une forme visible, individuelle, s'unissent et se fondent l'une
dans l'autre! Caria musique avait
discrètement suivi
la
simple déclamation de ces pa-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. rôles, et c'est celte
mélodie qui
137
lui fournit le
thème
musical sur lequel s'étage toute l'immense symphonie
«
!
Le vers du poète, avec tout son contenu de
pensée, se déverse pour ainsi dire devant nous dans
un motif musical
Un
autre
»
(1).
moyen que possède
la
langue pour
s'af-
firmer avec énergie, et agir tout à la fois sur l'enten-
dement
et sur
l'émotion,
c'est
de recourir à des
phrases nettement scandées d allitérations. Tristan et
nouveau l'exemple
Isolde nous en offre de
frappant
:
c'est le «
serment d'expiation
»
le
phis
que Tris-
tan prononce au premier acte, lorsqu'il prend des
mains d'Isolde
la
coupe avec
r?'eu'
r^îstan's
Elend
poison.
—
« Tristan's Elire
hoechste
le
:
—
kuehnster Troiz.
Trag desHerzen's;
Traam
der
Ahnung
:
ew'ger Trauer einz'ger ïVost,
Vergessens guet'ger Trank!
Dich
/rink' ich
sonder
Wank
» (2)
So zu sagen vor unseren Augen ergiesst sich der gedankenhafte Wortvers eines dramatischen Darstellers in (1)
faut remarquer que Il Wagner, dans Opém et Drame eût conçu Tristan et Isolde.
ein musikalisches Motiv. (IV, 231.) ces paroles ont été écrites par
longtemps avant (2)
même
qu'il
C'est l'honneur de Tristan,— sa foi
— Et son cœur; — rêve
imparjurée
!
malheur — sa folle audace — Mensonge du du pressentiment — d'un deuil éternel — seule consolation, — doux breuvage d'oubli — je te bois sans regret ». :
!
:
!
8.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
138
Dix fois l'allitération sur Tristan résonne
nos oreilles;
à.
du nom sept images diffé-
son
le
et
initial
rentes évoquent à nos yeux l'âme, les souffrances et
du héros
le sort
Ce que
deuil, consolation, breuvage.
ne
puissance de suggestion que possède
Au
tération dans cette langue.
syllabes de
lieu d'une simple
images
les
rime
fait la
le
radical des mots,
musique de
l'alli-
d'appuyer sur
lieu
que
flexion, ainsi
finale, elle fait ressortir le
les
qui
lecteur
le
pas l'allemand peut difficilement s'imaginer,
sait
c'est la
les
mensonge, rêve,
audace,
fidélité,
:
et,
au
voyelles, elle rattache
unes aux autres par ce qu'on pourrait
appeler la rime des consonnes fondamentales. La
langue en acquiert une énergie tique
sur
lesquels j'attire
français, sans pouvoir
et
un charme poédu
l'attention
me
charger de les
lecteur dé-
lui
crire.
Passons maintenant à des exemples de l'extrême contraire, à l'examen d'un
où
cas
paroles doi-
les
vent être libérées de tout asservissement aux la logique, et
nous révéler saisissant
musique
le
plus
que
d'Isolde avant sa
expression
poète a pu sans hésitation s'abandonner cette extase.
Les paroles ne sont
plus qu'un dernier balbutiement qu'il
le
c'est celui
atteignant son
l'extase
de
capable de
L'exemple
sens des mots.
aux inspirations de avant
seule
est
les dernières paroles
C'est ici
ultime, et
la
que nous puissions trouver,
nous offrent mort.
le
où
lois
ne se perde
y'âme universelle»
;
et
«
de fentendement
dans l'haleine
moins
le
infinie
de
langage logique peut
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
139
exprimer ce qui se passe dans l'âme d'Isolde,
suffire à
plus au contraire
langage de la musique est en
le
pouvoir de l'exprimer victorieusement. Je m'abstiens
de citer le
et
de traduire ce passage, parce que ce qui
caractérise c'est l'atténuation progressive
du sens
des phrases, et qu'il est impossible de rendre cette
Comme
particularité en français.
cela est d'ailleurs
cas pour beaucoup d'autres passages de
le
ef /so/c?e,
Tristan
toute traduction, en rendant le texte bien
plus précis, Taltère à tique ne peut
même
point que l'intention poé-
tel
plus être devinée. Ce
dont on
peut se rendre compte sans connaître Tallemand, c'est la
façon dont
ici
dans toute son ampleur parole et les autres
la
«
musique
se développe
dont
domine
», et
elle
moyens d'expression.
la
de-
Elle
vient en effet presque la seule interprète, à partir de
moment suprême
ce
mort des
oii
le
deux amants.
drame s'achève par Elle
contribue
la
d'ailleurs
elle-même dans une grande mesure à l'atténuation
du sens logique des phrases, en nous empêchant par exemple, par
le
simple déploiement de sa force
dynamique, de percevoir nettement certains mots, et
en en défigurant d'autres,
soit
parce qu'elle
appuyer longuement sur certaines syllabes, que sur d'autres
elle fait
donner de
la
«
parce
ici
que pour
couleur à l'expression, produire un
retentissement de mots
(1)
fait
exécuter à la voix tout un
dessin de sons. Le langage n'est plus «
soit
(1) ».
Farbigen Ausdruck,zur nur toenenden Wortphrase.
»
LE DRAME WAGNÊRIEN.
140
Un exemple
aussi
tout
quoique
caractéristique,
du sens logique des
très différent, de l'atténuation
phrases, et de la persistance de la parole, qui arrive
à ne plus guère servir que de véhicule à la voix hu-
maine,
cond
c'est le
premier chant de Brangaene au se-
amants que
acte, lorsqu'elle avertit les
va bientôt
la nuit
finir.
«
Einsam wache nd
in der Nacht,
wem
der
Traum
der Liebe lacht,
hab' der Einen
Ruf
in Acht,
den Schlaefern
die
Sctilimmes ahnt,
bange zum
Erwachen mahnt
La les
(l)
»
(1).
structure de ces vers est telle que
même
si
on
déclamait très distinctement, on ne les comprenCe passage, tout
comme
est intraduisible, car si l'on
comme
l'ont
fait certains
français soit correct
coup l'intention
un mauvais mot
et
celui dont altère
j'ai
toute
parlé plus haut,
intelligible,
on
construction,
la
traducteurs, pour
que
sacrifie
et l'impression poétiques. Voici
à
mot qui pourra donner une
le
du
texte
même
cependant idée appro-
chée du texte allemand aux lecteurs qui ignorent l'allemand: à qui le rêve — de « Solitaire veillant dans la nuit,
—
l'amour
rit,
dormeurs horte,
h
-
—
faites à la seule
— voix
— malheur prévoit, —
En allemand,
la
attention,
inquiète au
—
—
qui aux
réveil ex-
construction est correcte,
très enchevêtrée et très obscure.
mais
LES DRAMES POSTÉRIEURS cirait
141
1848.
pas sans peine à une première audition. Or, qui doit les dire est placée très loin, au fond
l'actrice
de
.\
la scène, et
plus, la
reste invisible
musique
des tenues sans l'orchestre
est écrite fin
aux spectateurs
pour
faire faire
de
;
à la voix
sur chaque syllabe, pendant que
déploie toutes ses ressources. Aussi la
voix fait-elle
ici
presque l'impression d'un
de
cri
détresse inarticulé. Ce point est celui qui se trouve
diamétralement opposé à cet autre où Isolde disait Élu pour moi,
«
—
que souvent dans
perdu pour moi le
!
»
drame wagnérien
— Car la
règne absolument seule, ou que d'autres
:
bien
musique
fois elle
ne
s'adjoigne que la vision pour préciser l'action, on ne
peut cependant pas conclure de ces cas qu'ils soient l'opposition antithétique à la précision de la parole;
tandis qu'au contraire c'est bien cette opposition que
manifeste
langue
qu'ici la
tribue
passage que je viens de signaler, puis-
le
— l'organe de l'entendement — condramatique, et qu'elle n'est
à l'expression
cependant rien de plus que ce dont parle dit «
il
Wagner dans son
qu'il
nous plonge dans
grâce auquel l'autre cet autre la
monde
monde fait
cri
de détresse
Beethoven^ cet
s'ouvre
d'où nous parle
voix humaine ne se
«
le
rêve,
devant nous,
musicien
(1). » Ici
entendre que pour que
nous ressentions jusqu'au fond du cœur que
(1)«
dont
et
état de
»
la
pa-
der uns in den traumartigen Zustand versetzt, in
welchem uns jene andere Welt aufgeht, aus Musiker zuuns spricht. » (IX, 93.)
welctier der
142
l,E
rôle s'est tue
que part
«
;
elle est ce
le silence
C'est à dessein ici
DRAME WAGNÉRIEN. que Wagner a appelé quel-
sonore
que je
me
(1)
».
suis contenté d'apporter
ces seuls exemples de cas extrêmes. Tout d'abord
me manque pour
la place
sujet fort compliqué,
et, de
en détail ce
traiter tout
plus, ne m'étant proposé
pour but dans ce volume que
d'éveiller des idées et
d'indiquer le chemin à suivre pour arriver à com-
prendre
que j'ai
les intentions de
Wagner,
je crois
dit doit suffire. Plus le lecteur
cette relation entre la parole et la
que ce
méditera sur
musique dans
le
drame wagnérien, plus il pénétrera l'œuvre tout entière, et mieux il la comprendra. Car c'est là que s'accomplit ce qu'on pourrait appeler le c'est
dans ce domaine de l'union entre
«
miracle
»,
la parole et
musique que, tout en continuant à voir le monde dans lequel s'agite et vit l'être humain, nous pénéla
trons en
même temps
dans cet autre monde inté-
Nous voyons naître le musique, ce qui ne nous
rieur auquel nous aspirions.
poème dans le sein de la empêche pas de reconnaître très clairement que Wagner a raison lorsqu'il affirme que la parole est la
base indispensable de toute expression artistique,
et
notamment de
la
musique. L'une
et l'autre s'im-
posent mutuellement des conditions,
et
par consé-
quent en subissent toutes deux l'une de
l'autre, ce
qui est la crois
(1) «
loi
de toute unité organique et vivante. Je
que nulle autre œuvre de Wagner n'est mieux das laut erkiingende Schweigen. »
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
que Tristan
faite
compréhension de et
pour nous
et Isolde
cette
143
initier à la
union organique de
la parole
de la musique, car nulle autre ne présente au
même
degré,
dans un aussi petit espace, des
et
exemples de toutes
combinaisons possibles. Je
que de cas extrêmes, mais
n'ai parlé ici
peu de
les
pour trouver dans Tristan
travail
d'un
suffit
il
et
Isolde
tous les cas intermédiaires imaginables. Ainsi
l'alli-
marquée quelquefois, l'est aussi souvent beaucoup moins, et souvent enfin elle disparaît tération, très
complètement. et
Il
même
en est de
de l'assonance.
de la rime finale
En y regardant de près
par exemple
s'apercevra est très
marquée,
aux seuls mots
c'est
que
que
essentiels,
son contenu;
à
la
là
où
en assonances
nent pleines
;
et
on
l'allitération
phrase est réduite
aux mots- sommets, dont
chacun doit frapper pour s'enfoncer dans des spectateurs
on
de la phrase
verra que cette apparence extérieure
répond toujours strictement
,
tandis que plus
en rimes,
le
texte est riche
et plus celles-ci
et sonores, plus la
l'esprit
devien-
phrase perd en pré-
cision, et plus sa signification
pour l'entendement
devient vague et flottante. Et
ce qu'il est le
essentiel de constater, c'est
que
la
musique
plus
est unie
indissolublement à cette vie vibrante de la parole, qu'elle en suit toutes les pulsations, et
deux
elles
forment, pourrait-on dire,
deux ventricules d'un compris alors
cela, et
même
bien saisi
le
qu'à elles
comme
les
cœur. Quand on a bien jeu de cet organisme,
on comprend aussi ce que Wagner entend
LE DRAME WAGNÉRIEN.
J4l
par cette Uni lé d'expression
mière condition à
Dans
la
le
et
du drame.
la réalisation parfaite
j'ai
essayé de montrer de quelle
poète peut s'assimiler un sujet et
drer, afin de le rendre propre à être utilisé velle
pre-
première partie de cette étude rapide sur
Tristan et Isolde,
façon
comme
qu'il exige
le
réengen-
pour la nou-
forme de drame qu'a voulu instituer Wagner
nous avons vu que
le
sion qu'il nous faut donner au sens de l'expression «
action dramatique
».
Dans
comment
tenté d'exposer
;
point essentiel est l'exten-
seconde partie,
la
la parole
et la
:
j'ai
musique
s'unissent et se fondent l'une dans l'autre, de manière
à ne plus former qu'un organisme unique, veilleux
«
organe d'expression
drame
la vision, révèle le
Dans
les études
œuvres suivantes,
» qui,
le
mer-
avec l'aide de
ainsi conçu.
que je vais consacrer aux ce sera de
trois
nouveau de considé-
rations analogues que nous nous occuperons.
Je m'efforcerai de grouper ce que
chaque drame, sous pour
cette
les
mêmes
à dire pour
j'ai
titres
que
étude de Tristan et Isolde
:
j'ai
choisis
je traiterai
d'abord de la conception générale du poème, de la
manière dont
la
donnée première a
pour devenir apte à «
wagnérien
»
;
et
être
accueillie par le
j'examinerai en
quelques-unes des questions trait
été façonnée
drame
second lieu
complexes qui
au rapport de la musique à
la parole,
ont
rapport
qui dans chacun de ces trois derniers drames se pré-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
145
sente à nous sous un nouvel aspect. C'est ainsi que
nous pourrons
le
mieux nous
initier
aux innom-
brables possibilités d'expression que recèle ce nouvel art,
dans lequel
à inventer
».
« il
y aura éternellement du nouveau
LE DRAME WAGNÉR1EN
146
LES MAITRES-CHANTEURS
Nous avons
étudié, à propos de Tristan et Isolde,
la modification
que
la
musique
fait
subir à l'essence
de tout drame, c'est-à-dire à Faction, tant en ce qui
concerne concerne
la la
conception
poétique
,
qu'en ce
mise en œuvre du drame sur
qui
la scène.
Cette étude nous sera très utile pour nous initier à l'intelligence
occuper:
les
du drame qui va maintenant nous
Maîtres-Chanteurs. Le héros de l'œuvre,
Hans Sachs, trouve souvent,
il
événements qui remplissent gaie
et si bariolée,
nous par sa mimique est pas
est vrai,
cette pièce d'une vie si
l'occasion de et
au cours des
se
manifester à
par ses paroles mais
moins certain que
;
la véritable
il
n'en
action, qui
consiste en tout ce qui se passe au fond de l'âme de
Hans Sachs, ne peut nous être révélée que par la musique. Le « vrai drame » dans les Maîtres-Chanteurs^ le drame que le poète avait en vue, n'existe que dans la musique et par la musique. Mais commençons par examiner le choix du sujet,
LES DRAMES POSTERIEURS A 1848. choix
car ce
comme quelque avait dit
de personnes
chose de déconcertant. Wagner nous
Le poète-musicien ne peut aborder que
«
:
à beaucoup
apparaît
147
des sujets d'un ordre purement humain, et dégagés
de toute convention.
Et de cette phrase, beaucoup
»
drame wagnérien ne pourrait mythe et la légende. C'est là une erreur
avaient conclu que le traiter
que
le
profonde, et je
me
Chanteurs
revenir, et de
déjà signalée
l'ai
,
mais
Maîtres-
les
fournissent une occasion excellente d'y
montrer avec évidence
qu'il
y a
là
une
erreur.
Le principe que Wagner entend phrase que nous venons de
établir
relire, c'est
du poète-musicien ne peut
dans cette
que
le
drame
se baser sur rien de con-
ventionnel, qu'il s'agisse de conventions sociales ou
A
d'autres.
ce
drame, ce ne sont pas
qui peuvent servir de pivot, le cas
pour
le
drame
comme
les
conventions
cela est souvent
parlé. Et c'est la nature
même
de la musique qui empêche qu'il en soit ainsi. Mais cela
n'empêche pas que ce qui
humain ne puisse toujours
;
c'est
et
est d'ordre
purement
ne doive se retrouver partout
seulement
affaire
au poète
de
et le
mettre à nu. Et puisque l'amour de la convention est
un des
traits les
humaine,
il
plus
ineffaçables de
acquiert par là
trouver aussi sa place dans
même le
la
nature
la possibilité de
drame. Les Maîtres-
Chanteurs nous prouvent que telle était bien la façon
de voir de Wagner.
Ils
nous montrent quelle huma-
nité profonde, quelle vie intense,
nous pouvons découvrir
là
bonne ou mauvaise,
même
où nous serions
LE DRAME WAGNÉRIEN.
148 peut-être
le
moins tentés de
soupçonner
la
:
dans
la
petite bourgeoisie d'une petite ville de province. Et c'est
les
dans ce milieu que Wagner a
événements d'un drame, qui
ment sublime, une
dans
tragédie
une œuvre vrai-
pouvait seul accomplir. Autrefois, en
des rois
était
comme
la
mu-
les
cours
pour ses personnages,
lieu d'action
comme
des puissants de la terre, car c'était
de donner de la couleur au
poète
effet, le
presque forcé de choisir
ou, tout au moins, de ne prendre
poème
l'âme des personnages dans
et
héros que
seul
le
moyen
de manifester
des événements
présentassent un intérêt suffisant. Et
un
plus
le
un miracle qu'un poète-musicien,
l'art,
dramatique
sens
le
un nouveau miracle de
élevé du mot. Voilà
sique et de
est
se dérouler
fait
si,
par hasard,
être de naissance vulgaire vient à jouer
prépondérant dans l'un de ces drames,
qui
c'est
un
rôle
presque
toujours uniquement parce qu'il s'élève au-dessus
à prendre
de sa condition première
et qu'il arrive
une part considérable aux
affaires de l'Ëtat. Wagner,
au contraire, dans
les Maîti^es -Chanteurs
pas un seul instant petites gens, et
il
l'étroit
domaine de
^
ne quitte la vie
n'en réussit pas moins à créer un
caractère vraiment sublime,
un des caractères
plus admirables
jamais
scène. rêt
Et
si
des
qui
aient
nous prenons un
si
paru
les
sur la
puissant inté-
au cordonnier nurembergeois Hans Sachs, ce
n'est pas qu'il soit en
tragiques l'action
événements
tout
entière
rien ,
est
car
mêlé à de grands justement
purement
chez
intérieure.
et lui
Ce
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
149
qui caractérise Hans Sachs, c'est la grandeur d'âme.
Dans
Maîtres-Chanteurs nous assistons à la der-
les
nière grande victoire qu'il remporte sur lui-même
renoncement courageux, conscient
le
simple ouvrier nous aussi grand
apparaît
que n'importe
aussi
:
et fier; et ce
imposant
et
héros.
quel glorieux
d'hommes qu'a créées Wagner, aucune ne surpasse celle de Hans Sachs, et peut-être même aucune ne l'égale, car Hans triomphe de l'amertume elle-même, et, comme l'a dit Wagner, Parmi
«
les
figures
son âme, calmée
atteint la sérénité
et apaisée,
suprême d'une douce et suave résignation
» (1).
— Pa-
rallèlement à cette action tout intérieure s'agite tout
un monde
affairé
grandeur de Sachs
et
enjoué;
et la salue
le
peuple devine
la
avec enthousiasme,
mais comment pourrait-il se rendre compte de ce qui se passe dans cette âme? Et même parmi les êtres qui
forment son entourage, pas un ne peut se
douter de la lutte intérieure que soutient cet homme, ni de son lui
héroïque grandeur. Quelques-uns ont pour
de l'antipathie, d'autres plus ou moins de sympa-
thie, certains
reste pas
l'admirent
moins
isolé,
reste toujours tout
jeune
et
tout-à-fait
homme
mais
il
n'en
comme
seul,
le
vraiment supérieur. Une
innocente vierge, Eva, est l'unique personne
qui ait parfois
(1) «
et l'aiment,
comme
l'intuition
de ce qu'il peut
beruhigtund beschwicMigt erreicht es die aeusserste
Heiterkeit einermilden p. 105.)
und
seligen Résignation
)>
{Fragmente,
LE DRAME WAGNERIEN.
150 être.
Comme
mais
cette
un éclair soudain jetait pour elle une lumière éphémère sur le monde invisible, elle semble voir jusqu'au fond du cœur du grand solitaire, et elle pousse alors un cri d'angoisse et de douleur, le
si
impression est vite oubliée,
veut la nature, elle retourne
de son radieux bonheur
La
véritable action
du drame étant tout intérieure,
il
la
révèle,
est vrai, de la
vision.
Hans Sachs ne parle de lui-même qu'une seule et
encore très brièvement. C'est dans
au moment où tous
troisième acte,
que
» (1).
puissant concours,
le
ainsi
s'enivrer au soleil
musique presque seule qui nous
c'est la
avec
«
et,
sonnages sont ivres de leur bonheur
fois,
le quintette
du
les autres per:
« Vor dem Kinde lîeblich hehr, mocht' ich gern wohl singen doch des Herzeos suess Beschwer ;
galt es
zu bezwingen.
Abendtraum dran zu deuten wag' ich kaum. »
es
war
Même dans
ein schoener
les
;
[2,)
deux grands monologues qui nous
révèlent l'âme profonde et contemplative de Sachs,
nous n'entendons pas une parole qui nous dise sa propre plainte. Par contre, la musique ne cesse de nous
la dire, et de la
façon la plus émouvante. Ainsi,
(1)
Paroles d'Eva, au troisième acte des Maîtres-Chanteurs.
(2)
«
Devant l'enfant exquise
chanter.
— Mais la
Fétoufïer.
—
y repenser.
»
et
—
pure
douce plainte de
mon
Ce fut un beau rêve du soir
;
j'aurais
cœur,
—
il
voulu fallait
— et j'ose à peine
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. par exemple, au premier acte la
lorsque Sachs prend
:
défense de Walter contre les Maîtres
acte
:
pendant son dialogue avec Éva
gnement du fait naître
«
Schusterlied
dans
le
»
;
151
au second
;
et
l'accompa-
puis, les émotions
cœur silencieux de Sachs
que
cette belle
nuit de la Saint-Jean, et qu'on sent s'exhaler pleine-
ment de duction
l'orchestre si
;
par dessus tout,
enfin,
l'intro-
pathétique du troisième acte, ainsi que les
scènes qui suivent entre Sachs et Éva. Le ce qui se passe
ici, le «
drame
vrai
fait est
», c'est
que
quelque
chose qui est à peine concevable à l'entendement,
et
qui échappe à la parole. Car ce n'est pas dans des actions d'éclat que se révèle la grandeur d'âme de
Hans Sachs, mais bien dans
les faits insignifiants
la vie quotidienne. Et cette lutte intérieure, le
de
renon-
main d'Éva, au dernier bonheur que la vie pouvait lui offrir, ce n'est pas une de ces luttes où l'âme est déchirée par l'assaut de l'homme extérieur, de l'homme sensuel, contre l'homme intérieur non, un homme tel que Sachs ne pouvait avoir un seul instant l'idée d'arracher ou même seulement de disputer la jeune fille à son amant; et la lutte qu'il soutient est une lutte toute intérieure, contre sa cement à
la
:
—
propre douleur. Voilà
conflit tragique, voilà les
le
profondeurs du cœur humain dans lesquelles nous conduit
le
drame wagnérien
dans Parsifal^
—
«
victoire. «
suprême d'une douce
Erloesung
dem
et,
— comme plus tard
la lutte aboutit
du héros, mais à sa sérénité
;
Erloeser
!
»
et
non pas à
Son âme
la chute
atteint la
suave résignation.
»
LE DRAME WAGNÉRIEN.
152
drame des Maîtr es -Chanteur s. Comm.eni une telle action aurait-elle pu être rendue sensible autrement que par la musique? Un homme comme Hans Sachs est nécessairement un isolé, il n'y a Tel est
le
donc personne autour de quer;
d'autre part,
et,
qui puisse nous l'expli-
lui
un Hans Sachs qui
aurait à
s'analyser lui-même et à s'attendrir sur son sort
et.
sur les perfections de son âme, ne serait plus Hans Sachs. Donc, la musique seule pouvait exprimer cette action. Et
cependant
même n'aurait pu et
il
est clair
le faire
sans
que
le
la
musique
elle-
secours de la parole
de la vision.
Une chose le conflit
très frappante
dans ce drame,
dramatique conduise non pas à
héros, mais à sa victoire. Et qu'un tel
c'est
que
la chute
du
dénouement
quis par le
un des plus grands résultats acdrame wagnérien, résultat qui est dû
à la nature
même
soit possible, c'est
musique Avant
de la musique, en tant que
est l'organe de
même
Thomme
nouvelle possibilité, et
cette
intérieur.
que Wagner eût
œuvre de sa seconde période,
première
écrit la
reconnu
il
avait déjà
il
avait tenté
donner corps dans une esquisse de drame, les Vainqueurs. Ce poème, dont le cadre
chute
:
vers la rédemption, par tragique, c'est-à-dire
le
la
Le
lui :
emrésumé
était
renoncement. Toute chute de tout vrai
héros, a pour véritable cause immédiate intérieur.
de
intitulée
prunté aux légendes bouddhiques, peut être ainsi
la
conflit extérieur n'en est
un
conflit
qu'un symp-
tôme. La lutte a lieu entre l'homme extérieur, doué
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
153
d'un sensualisme puissant, et l'homme intérieur,
doué d'une
sensibilité et d'un
degré de conscience
exceptionnels. L'antinomie entre ces deux côtés de
au moins à
la nature existe chez tous les êtres,
mais pour ceux chez qui
latent,
cette contradiction
s'exaspère jusqu'au point de devenir et tragique,
il
un
conflit aigu
deux issues possibles
n'y a que
l'état
néantissement de l'homme extérieur dans
l'a-
:
la morf,
ou bien sa sujétion à l'homme intérieur, resté vainqueur.
drame parlé
Le le
premier cas
;
ne
que
pouvait représenter
la tragédie aboutissait nécessaire-
ment à l'anéantissement du héros, à sa mort. Car le triomphe de l'homme sur le monde est un acte d'abnégation, de renoncement, de sainteté, et ce qui se
passe
ici
ne laisse à peu près plus rien à dire
représenter aux
pour
la
vue
;
le
et, sans la
musique,
le
drame
tel
que
le
poète ne possède
conçoit le
Wagner point
sublime auquel l'homme puisse parvenir, « victoire
».
Par
cette action.
capable de nous montrer sur la scène
de la
à
yeux, rien pour l'entendement ni
aucun moyen de rendre sensible contre,
ni
le
le
est
plus
moment
Les Maîtres- Chanteurs en sont
le
premier exemple. Or, cette grande et belle est en
«
action » invisible, qui
elle-même indépendante de toute limitation
d'époque, de pays^ de milieu, milieu d'un
monde de
etc.,
petites gens,
se
déroule au
où chacun
est
tout affairé et occupé à poursuivre avec énergie ses
propres petits intérêts personnels. 9.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
154
—«
Wahn, Wahn
Ueberall
Hans Sachs en
s'écrie
Wahn
—
(1).
Dans
ce milieu,
limites que
d'autres
imposées de tous côtés par
conventions. C'est ainsi
bienveillante de
!
»
le constatant.
l'égoïsme effréné ne connaît celles qui lui sont
!
du moins que l'âme sage
Hans Sachs entend
les et
les conventions.
Mais toute convention est chose essentiellement arbitraire, et,
comme
le trait distinctif
de toute vraie ori-
ginalité, de tout génie, est la nécessité innée de se
développer dans
même,
lité
génie, et
que
et
le
sens déterminé par cette origina-
de s'exprimer de
non d'une autre façon,
les barrières
la
façon qu'exige ce arrivera toujours
il
dressées par les conventions contre
l'égoïsme général viendront arrêter l'essor de l'originalité et poser des entraves la
au génie;
que
convention devient odieuse. Une convention n'a
évidemment de raison
d'être
que dans des conditions
strictement déterminées, et pour lieu particuliers, tandis «
et c'est là
tue l'essence
même
et
un
que ce que Wagner appelle
fond purement humain
le
un temps
»,
est
ce
qui
consti-
de l'humanité, ce qui plane au-
dessus des différences superficielles de temps, de de climat, au-dessus des conditions historiques
lieu,
ou autres, en un mot ce qui procède directement de
(1)
Ces paroles de Hans Sachs sont difficilement tradui-
sibles
— Le sens — Partout illusion
en français.
illusion
!
!
approximatif est »
:
« Illusion,
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
donc
la source divine. Si
se contenter de mettre
dans
frein
au lieu de
aux excès de l'égoïsme
des intérêts, se dressent devant les
la lutte
phénomènes
un
les conventions,
155
d'ordre
purement humain pour
les
em-
pêcher de se manifester, elles ne peuvent plus nous paraître qu'odieuses ou ridicules.
Le drame parlé prenait
comme
tions
conven-
très souvent les
base de toute
ou bien
l'action,
il
en
faisait le roc contre lequel venait se briser le héros.,
Le poète-musicien ne saurait faire de même, parce que la musique n'est pas en état d'exprimer une apparence et je prie
fortuite,
une convention
ma
phrase,
cependant très bien
montrer tout ce
même
vention, en
lois qui,
—
il
faire le
y a une chose que peut poète-musicien
lois
c'est
de
y a de purement
comme par exemple
effet,
:
humain dans convention. L'amour de la con-
qu'il
de la
formuler des
—
—
d'avance qu'on m'excuse pour l'aspect pa-
radoxal de
le fait
spéciale,. Mais;
le
sur tout^ sur la morale,
besoin de l'art, etc.,
par leur origine, ne peuvent avoir qu'une
valeur relative, mais que nous nous plaisons à qualifier
de divines, d'éternelles, d'immuables,
cela, qui établit une constante confusion
forme passagère
et le
—
tout
entre la
contenu éternel, provient d'une
disposition profonde de notre nature et universelle-
ment humaine. Et c'est précisément ment humain dans toute convention, je puis
m'exprimer
convention
ainsi,
ce fond
pure-
c'est- à-dire, si
la négation
que chaque
recèle en elle-même, c'est cela que
Maîtres-Chanteurs nous présentent. C'est pourquoi
Jes
ici
LE DRAME WAGNERIEN,
150 les
conventions ne nous paraissent pas cruelles, mais
seulement
Notre rire met à nu leur nullité;
risibles.
comique nous libère d'elles, et ainsi il justifie leur présence dans le drame du poète-musicien.
le
L'ensemble du drame conduit
le
spectateur à une
conviction semblable à celle qui s'est formée dans
l'âme de Hans Sachs. Sachs ne condamne pas les
conventions avec amertume, mais il
sait reconnaître
en tout
le
il
voit par delà, et
fond purement humain,
juger de la valeur réelle de chaque chose, sans se Et lui-même,
laisser leurrer par les apparences.
est tellement au-dessus de tout ce qui l'entoure,
il
que
cela peut lui devenir tout à fait indifférent de se
conformer aux
ou de
lois et
s'y soustraire.
aux conventions de son monde, Il
choisit toutefois de s'y con-
former, car ce n'est qu'ainsi qu'il peut faire du bien.
En considérant
les
choses sous ce jour, nous arri-
vons à comprendre que qui a
dans
fait les
la vraie
introduire tout ce
raison dramatique
monde de conventions
Maîtres-Chanteurs, c'est de nouveau
le seul
souci de nous faire pénétrer plus profondément dans la
grande âme du héros. Car après que nous avons
tant
ri
de ces excellents
«
Meister
exhorte dans ses dernières paroles
«
Sachs nous
»,
à ne point
priser les maîtres, et à honorer leur art!
Sachs voit
baroque
et
ici
plus loin que l'apparence
:
»
C'est
méque
dans cet art
rebutant des bourgeois pédants,
il
recon-
naît encore la saine origine populaire et le fond d'hu-
manité;
il
comprend que dans
la poésie et de l'art
le
désarroi général de
allemands vers
la fin
du
xv*^ siè-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. cle, ce
157
sont encore ces braves gens, malgré toute
l'absurdité des conventions auxquelles
ils
sou-
se
mettent, qui ont sauvé ce qui formait l'essence de
l'àme
germanique. Et
pourquoi, parlant au
c'est
peuple rassemblé pour la fête de dit ces paroles
« Si
:
la Saint-Jean,
nous honorons
et
encourageons
les efforts des maîtres allemands, l'empire
nous n'en conserverons pas moins
ler,
allemand.
»
lui
il
peut crou-
le saint
art
Ce drame des Maîtres-Chanteurs^ on
le
par l'apothéose de tout ce qu'il y a en art de purement humain, débarrassé des entraves appor-
voit, finit
tées par les
coutumes
et les conventions, et des dif-
formités qui s'ensuivent.
Après avoir
justifié l'introduction
des conventions
drame des MaîtresChanteurs^ il est utile de s'arrêter encore un instant à examiner cet élément comique. Nous constaterons alors que, par cettie œuvre des Maîtres-Chanteurs ^Wagner a ouvert tout un champ nouveau à la comédie. et de l'élément
comique dans
Le penseur qui a jeté
le
le
plus de lumière sur la
nature du comique en général, et sur tous les genres qui
le
font naître ainsi que
l'humour,
la bouffonnerie,
Schopenhauer lumineuse lui
(l)
tom.
qu'il
emprunter
clate
(1).
le rire, c'est-à-dire
l'ironie, l'esprit, etc., c'est
Je renvoie le lecteur à cette théorie
en a
faite,
et je
cette constatation,
jamais qu'à
la constatation
me
225 et suiv.
contente
que
« le
ici
de
rire n'é-
soudaine d'une dis-
Voir la traduction [Burdeau, tome II, p.
sur
I,
p.
64 et suiv.
;
LE DRAME WAGNERIEN.
158
manque absolu de rapport
proportion ou d'un
un concept
réels suggérés, de quelque
et les objets
façon que ce
par ce concept
soit,
;
et
il
chose que l'expression de ce contraste bien
en
là,
entre
effet, l'origine
n'est autre
» (1).
Et c'est
du comique, dans
la cons-
tatation d'un état de non-convenance (on dit en alle-
mand
:
Inkongruenz) entre une pensée logique
et
un
objet perçu par les
sens ou par l'imagination. Qui
ne voit alors qu'avec
le
drame wagnérien une source
nouvelle de comique nous est ouverte portion ou
manque de rapport
le
est d'ordre
purement humain
dirai-je
turel »,
qu'affectionnait
Dans
artificiel ?
pour
me
Wagner, les
qui n'est que
éternellement na
«
d'une expression
servir
et ce
la dispro-
entre tout ce qui
et ce
conventionnel, entre ce qui est
:
qui est accidentel ou
comédies vraiment géniales d un
Aristophane, d'un Shakespeare, d'un Molière, nous constatons souvent la tendance qu'ont ces grands
poètes à concevoir et à présenter jour,
élevée
ce
qui
de
le
est
évidemment
guère faire davantage tion étroite
la
comprendre. Mais
moins évident que dans
le ridicule
manière il
sous ce la
plus
n'en reste pas
drame parlé on ne peut qu'opposer à une convenle
une convention plus
large. Par contre,
Das Lachen entstôht jedesmal aus nichts Anderem als aus der ploetzlich wahrgenommenen Inkongruenz zwischen einem Begriff und den realen Objekten, die durch ihn, in (1)
irgend einer Beziehung, gedacht worden waren, und es ist selbstebennur der Ausdruck dieser InkongrueDz. {Die Welt als
Wille und Vorstellung^
I,
p. 70.)
LES DRAMES POSTERIEURS A 1848. dans
la nouvelle
forme de drame, où
nous met en relation directe avec de toutes choses, avec
monde
le
la
la
159
musique
base invisible
intérieur,
immuable
nous apercevons immédiatement
et éternel,
la futi-
que convention, car nous embrasser d'un pouvons seul coup d'œil l'abîme
lité de tout ce qui n'est
infini qui sépare tout ce
humain de
peut-être là
le plus achevé auquel
Dans
que convention
ce qui n'est
traire. C'est
qui est d'ordre purement
comique le plus haut drame puisse atteindre.
le
Banquet, de Platon, i'auteur
le
et qu'arbi-
le
Socrate à Aristophane que
le
nécessairement être aussi
fait dire
et
par
vrai poète tragique doit le
meilleur auteur co-
mique. Je pense que cette opinion repose sur une façon de concevoir celle qui
le
comique, se rapprochant de
peut atteindre sa pleine expression dans
drame du poète-musicien. Une chose c'est
que
mée par
cette le
le
très frappante,
opinion se trouve justement confir-
cas des deux plus grands génies drama-
tiques de race germanique
:
Shakespeare
et
Wagner.
Et peut-être leur parenté ne se révèle-t-elle nulle part aussi clairement que traiter le
là,
dans leur façon de
comique. Mais précisément à ce sujet notre
ignorance générale de
wagnérien
la
est la cause de
vraie
nature du drame
malentendus
qu'il
importe
de dissiper.
Le poème des Maîtres- Chanteurs rappelle Shakespeare, dit-on, et c'est là une remarque qui a été faite mais ce n'est encore qu'une remarque superficielle et ne conduisant à aucune pensée nou-
très souvent,
LE DRAME WAGNÉRIEN.
160 velle.
que ce
Qu un critique hargneux vienne à objecter poème ne peut vraiment être comparé à ceux
de Shakespeare,
nous
il
faudra bien
lui
donner
raison, et nous ne serons pas plus avancés qu'aupa-
ravant. Non, ce qu'il faut comprendre, c'est que la vraie parenté avec Shakespeare n'existe que lorsque
l'œuvre est considérée dans son intégrité
:
poème
et
musique. Car c'est la musique qui exprime et révèle tout le côté
purement humain du drame,
c'est-à-dire
toute la partie avec laquelle doit contraster l'enche-
vêtrement des mesquines intrigues. Le vrai comique
dans
les
Maîtres-Chanteurs n'est pas dans les faits et
gestes de Beckmesser, David, et autres personnages,
drame n'est dans le roman d'amour entre Eva et Walther ce n'est que lorsque l'âme admirable de Hans Sachs se dresse devant notre âme que le drame apparaît, et que nous pouvons ainsi ressentir la disproportion (Inkonpas plus que
le vrai
:
âme
gruenz) qu'il y a entre cette l'entoure,
^
existe, tel
que
et le
ce n'est qu'alors
poète
Passons maintenant à
du rapport entre
le
l'a
la
me
que
monde le
comique
son et la parole, je prie
contenterai,
unique sujet qui frappe
qui
musique. Pour ce qui
j'ai dit
parlant de Tristan et I solde; Je
le
conçu.
teur de se rappeler ce que
même.
et
ici^
les
le
le
est
lec-
à ce propos en
principe reste
le
de traiter un seul et
yeux dans
les
Maîtres-
Chanteurs plus que dans n'importe quel autre drame
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. de Wagner,
et qui
portant de
la
nous
un
initiera à
161
côté très im-
technique de la nouvelle forme de
drame. Puisque dans
les
Maitres-Chanieurs la convention
occupe une place considérable, et puisque, d'un autre côté
(comme nous
n'existe
musique
l'avons
aucun rapport et les
vu au chapitre
direct et nécessaire entre la
formes conventionnelles, une ques-
—
tion va se poser inévitablement, j'en
voulais venir
—
:
comment
où
et c'est là
sera-t-il possible
musique ne retombe pas dans l'arbitraire et vide dont le drame wagnérien a justement pour
que le
II), il
la
but de la sauver? Et sil faut qu'au milieu de ce jeu arbitraire des sons, l'àme
de Hans Sachs nous soit quelle impression
parfois dévoilée par l'orchestre, cela
nous produira- t-il lorsque, subitement,
manifestera à nous?
Au premier abord
semble insoluble.
Si le
cependant résolu,
c'est
jamais existé Ici,
tel qu'il se
nous voyons
le
ce
lui le
se
problème
Wagner
poète-musicien
que pour
elle
l'a
problème n'a
présente à nous après coup.
génie à l'œuvre.
Wagner était mort en ne nous laissant que le poème seul des Malti^es-Chanteurs nous n'aurions Si
,
jamais pu soupçonner ce que l'œuvre complète peut seule nous révéler. L'œuvre complète, en effet, peut
seule nous montrer que le vrai rieur, qu'il se
fond en musique,
loin de constituer
une
mosphère qui entoure tière, et
drame et
difficulté, est
et
est tout inté-
que
la
musique,
au contraire
l'at-
pénètre l'œuvre tout en-
qui en fait l'unité. C'est que pour
le
poète-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
162
musicien, l'âme de Hans Sachs, ou, en d'autres mois,
musique, fut justement
la
drame.
que tout provient,
C'est de là
où tout aboutit
et c'est là aussi
de là enfin que rayonne la
c'est
;
point de départ du
le
lumière qui doit transfigurer toutes vaines et fugitives.
souvent se
les
apparences
musique paraît jouer des héros secondaires du drame, se Il
s'ensuit que la
jouer de leurs discours et de leurs gestes. Et c'est en effet ce
qu'elle
Que
fait.
chose? Mais ce n'est pas et accidentelle
;
la
pourrait-elle faire
musique qui
autre
est arbitraire
ce n'est pas elle qui a été ajoutée
après coup, sans être nécessaire
ce sont
:
au con-
traire les conventions, les préjugés, les disputes, les
des bons bourgeois de Nuremberg, qui sont arbitraires et accidentels. La symphonie, par contre, est d'une unité si parfaite, si rires, les fêtes, et toute la vie
merveilleuse, qu'elle
dans
l'histoire
hostiles à
que
c'est
Wagner
sont
cette unité
est la
les
musiciens les plus
eux-mêmes
forcés de l'admi-
dans
le
véritable
même
de composition qui les stupé-
conséquence directe de
drame
l'action n'a de sens
de
que
l'art, et
un prodige unique
Mais ce que ces musiciens ne comprennent pas,
rer.
fie,
de
constitue
toute la
;
car de
l'unité
même
qu'il
y a
que toute
que par rapport à Hans Sachs,
musique du drame ne
doit son
origine, sa forme, et son sens, qu'à la façon
l'âme de Sachs conçoit
le
monde
dont
qui l'entoure, à sa
large sympathie, à'sa noblesse de cœur, à sa gaieté,
à sa philosophie...
Pour mieux
faire ressortir l'unité de cette
énorme
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. partition,
on a
163
été jusqu'à prétendre qu'elle provient
thème unique. J'avoue ne pas avoir surtout la patience qu'il faudrait pour
tout entière d'un la curiosité, ni
contrôler l'exactitude de cette assertion. Et d'ailleurs
aucunement nécessaire de le faire, car il suffit que nous ayons aperçu le point de vue où s'est placé le poète, et que nous ayons compris la simplicité il
n'est
et l'unité sévère le reste le
de sa conception dramatique. Tout
en provient. C'est
on ne saurait trop
d'elle,
répéter, que découle l'unité de la
son admirable
clarté. C'est
du centre
symphonie
même
tion dramatique, c'est-à-dire de la grande
de
et
l'ac-
âme de
Hans Sachs qui embrasse tout et comprend tout, que la musique se déverse sur tout, même sur les choses mesquines elle
et triviales;
et c'est à cette
source d'où
provient qu'elle doit la vertu d'idéaliser, pour
ainsi dire, la vie bourgeoise quotidienne, et de
révéler partout et en toutes choses le fond
ment humain ». On a quelquefois
affirmé que
se rapprochaient, plus
que
toute
pure-
Maîtres- Chanteurs
les autres
vantes de Wagner, de la forme
une observation
les
«
nous
œuvres
sui-
de l'opéra. C'est là
superficielle
nulle part, au contraire, on ne peut
et
fausse, car
mieux constater
que dans cette œuvre des Maîtres-Chanteurs quel abîme sépare le drame wagnérien de Popéra. Le grand trait distinctif entre l'un et l'autre, nous l'avons vu,
c'est la position
S'agit-il
de l'opéra
:
de la musique dans l'œuvre.
nous avons une série de mor-
ceaux de musique indépendants l'un de
l'autre,
ou
LE DRAME WAGNÉRIEN.
164
qui sont tout au plus quelquefois artificiellement reliés
entre eux par le retour de certaines mélodies ou
par d'autres
artifices,
semble d'une œuvre nité,
que du
mais qui ne constituent
et
ne tirent leur semblant d'u-
d'avoir été rapportés à
fait
l'en-
une série ou
parallèle d'événements, qui, eux, se développent
doivent se développer, suivant une
Dans
le
drame wagnérien, au
suite logique.
contraire, et
dans
le
drame des Maîtres- Chanteurs plus visiblement sinon plus profondément que dans les autres, la musique ^
forme
le
tout ce qui l'idée «
de l'œuvre
centre est
c'est elle qui
;
exprime
essentiel, ce qui est éternel,
dramatique;
c'est elle, comme dit
qui donne l'âme au corps
enveloppe ensuite tout
»
Schopenhauer,
et c'est cette
;
et qui
le reste
dans
âme
infuse
qui
aux
plus petites choses une vie intense.
Le point de départ du poète Sachs. L'émotion
si
complexe
est
et
l'âme de Hans
cependant très in-
dividuelle que le poète ressent en contemplant cette
personnalité, et qu'il désire nous communiquer, se cristallise
en une unité musicale
;
celle-ci
nous révèle
l'âme de l'homme que nos yeux et notre entende-
ment perçoivent sur
la
scène
;
et,
par
là,
cette unité
musicale, sans rien perdre de ce qui fait son essence, devient une partie animée du drame, et nous révèle toutes les émotions de l'âme invisible. Mais
comme
ce qui se passe dans l'âme invisible est indissoluble-
ment
lié
aux événements extérieurs
musique acquiert par ce sur tout
le
monde
fait le
visible.
et visibles, la
pouvoir de s'étendre
Une
liaison organique
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
165
d'un cùté, et les paroles, les
s'établit entre les sons,
gestes, les événements, de l'autre côté.
Le poète peut
donc ainsi investir de musique des choses qui, par
pu en recevoir
tout autre procédé, n'auraient jamais
qu'artificieusement et artificiellement.
La suprématie de
musique,
la
organique qui s'ensuit entre
et l'intime liaison
différents
les
modes
d'expression qui concourent au drame, voilà ce qui distingue nettement de l'opéra et ce qui lui
donne
le
drame wagnérien,
caractère d'un art nouveau.
le
L'étude des Maîtres-Chanteurs est particulièrement utile
pour
Qu'on
ment
reconnaître.
le
me
permette maintenant de résumer briève-
les réflexions
que
essayé de suggérer au
j*ai
lecteur au courant de cette étude
sur
Maîtres-
les
Chanteurs. I.
—
Il
est possible de trouver
des sujets de drame
«
dans tous
d'ordre purement
Les limites que se tracera
le
domaines
humain
».
poète-musicien ne con-
cernent que ce qui doit être présenté l'essence et le fond
les
même du
comme
drame, mais
étant
elles
ne
concernent nullement sa forme extérieure. IL
— Plus
encore que dans Tristayi
ritable action,
quement
dans
les
intérieure. Les
et Isolde, la
Maîtres-Chanteurs
donné mais ;
pensée la
est uni-
événements extérieurs four-
nissent à l'âme l'occasion de montrer influe sur la
,
vé-
et les actes
dans
somment
elle
ou
cas
tel
tel
musique seule nous révèle ce qu'est
LE DRAME WAGNERIEN.
166
l'âme et ce qui se passe en
elle,
c'est-à-dire le vrai
drame.
— Dans l'âme de Hans Sachs
III.
une
victoire.
miner par
Et qu'un
la lutte aboutit
à
conflit tragique puisse se ter-
de l'homme intérieur, au lieu
la victoire
de conduire à l'anéantissement
et à la
mort, c'est là
un progrès dû au drame wagnérien. IV.
— Les conventions elles-mêmes peuvent fournir
au drame des éléments V.
«
d'ordre purement
— La disproportion ou
port [Inkongruenz) entre
que nous révèle
la
le
le
soit,
».
manque absolu de rap-
fond de pure humanité
musique,
quelque ordre que ce
humain
et les conventions,
de
ouvre au comique un do-
maine nouveau.
— La musique
VI.
est l'atmosphère
l'action puise sa vie. C'est
dramatique c'est
donc
dans
la
dans laquelle
musique que
l'idée
trouve son expression la plus haute,
elle
qui constitue par excellence l'unité
de l'œuvre.
VIL
—
La musique exprime l'ame des principaux personnages. En le faisant, elle idéalise tout l'entourage que leur donne le hasard; et ce n'est pas là un -
procédé arbitraire, puisqa'en nous montrant tous les
événements
et tous les
phénomènes
l'âme de ces personnages, plus complètement sur
le
elle
ne
reflétés
fait
domaine de
dans
que rester
la seule véri-
table action dramatique. VIII.
que
la
— Ces diverses considérations nous montrent merveilleuse unité de structure des partitions
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
167
de Wagner, y compris l'emploi de ce qu'on appelle les motifs
fondamentaux, n'est nullement l'expres-
sion d'un formalisme musical, mais bien la consé-
quence directe de l'action, telle
IX.
que
l'unité
l'artiste l'a tout
— Enfin tout ce qui
preuve irréfutable renté entre
le
poétique et dramatique de d'abord conçue.
précède nous fournit
qu'il n'y a
la
aucune espèce de pa-
drame wagnérien
et l'opéra; et, si l'on
tient à les rapprocher, le seul résultat
que pourra
avoir la comparaison, ce sera de montrer que l'un est
en tout,
et toujours, tout juste le contraire
de l'autre.
168
,
DRAME WAGNERIEN
LE
L'ANNEAU DU NIBELUNG
Richard
Wagner
a entrepris à deux reprises dif-
drame
férentes de traiter sous forme de
gendaire des Eddas
qu
il
;
la
première
traversa en l'année 1848
;
la
fois,
le cycle lé-
avant la crise
seconde
fois,
après
l'achèvement de ses œuvres théoriques fondamentales,
en 1852. La comparaison de ces deux travaux
sur
sujet des
le
Eddas peut nous
très grand, tant
pour nous
faire
être d'un secours
mieux connaître
d'une façon générale ce qu'est la nouvelle forme de
drame
instituée par
Wagner, que pour nous faire le vrai drame dans
découvrir plus nettement quel est la
seconde rédaction
On
Eddas dans
elle figure
sous ce
esquisse d'un drame '
l'Anneau du Nibelung.
trouve la première version de
sujet des
où
:
le
Wagner
second volume de ses
titre ».
brasse identiquement la
:
« le
Mythe des
sur
écrits,
JSibelungs^
Cette première version
même
que V Anneau du Nibelung.
Elle
série
le
em-
d'événements
commence par
le
vol
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. de
l'or
finit
169
dont Albérich forge l'anneau magique, et
elle
par la mort de Siegfried et de Bruennhilde. Et
cependant
les
deux œuvres sont absolument
diffé-
rentes l'une de l'autre. La première esquisse n'est en
somme
qu'un essai, fort habile d'ailleurs, de mettre
mythe des Nibelungs, mais tel que les Eddas nous l'ont transmis. Dans la seconde version, au contraire, le mythe ancien ne nous est plus présenté tel quel le cadre extérieur du poème peut à la scène
le
:
rester
sensiblement
le
même, mais
véritable
la
Nous
action a été reportée toute entière à l'intérieur.
avons déjà
quand
il
constaté
s'est agi
de Tristan
et
l'emploi
de transporter à
Isolde
même
du la
procédé
scène les sujets
et des Maîtres- C hem teur s
avons d'ailleurs vu précédemment que
nous
et
;
la
c'est là
condition fondamentale qu'exige la nouvelle forme
de drame.
Ce second poème n'a de
commun
avec la première
esquisse, et avec les vieilles légendes, que
général, et
il
cadre
le
forme donc une œuvre entièrement
nouvelle. Pour qu'on s'en convainque facilement, je vais, sans
m' arrêter cependant aux
détails,
mention-
ner un à un au moins les points essentiels par lesquels les deux versions diffèrent l'une de l'autre. I.
—
Nulle part, dans la première version,
question
d'une
«
malédiction de l'amour
d'après les propres paroles de
Wagner,
drame, jusques
d'où découle tout
le
mort de Siegfried,
c'est cette
et
u
n'est
il
le
».
Or,
motif
y compris
la
pensée, que celui-là seul
qui renonce à l'amour acquerra tout pouvoir sur 10
no
LE DRAME WAGNÉRIEN.
For
Quelle différence plus considérable pourrait- il
)).
y avoir puisque celle-ci est à la hase même du drame, et que ce qui fait le fond de V Anneau du Nibelung^ n'est II.
la
même
pas indiqué dans
la
première esquisse
?
— Une conséquence forcée de cette différence à
base
même du
esquisse
le
drame,
c'est
l'amour
conflit entre
«
que dans
première
la
et
»
l'or
ne
peut pas se présenter. Aussi nous ne trouvons dans ce premier travail aucune des scènes dans lesquelles ce conflit se manifeste.
exemple, le
lutte
la
début, c'est
le
Nous ne trouverons pas par
engagée à propos de Freia
:
dès
Trésor que réclament les Géants
Fafner ne tue pas Fasolt;
ils
;
vivent tranquillement
un draDieux Wal-
tous les deux en faisant garder le trésor par
même, dans
gon. De
le
Crépuscule des
^
traute ne viendra pas supplier Bruennliilde de rendre
l'anneau aux Filles du Rhin. III.
—
Dans
cette
souvent invoqué,
comme
première esquisse, Wotan est
c'est vrai,
chef des Dieux,
sonnage principal dans
il
mais
n'est
l'est
il
uniquement
nullement un per-
l'action.
Dans
ce premier
poème, Wagner parle généralement de l'ensemble des Dieux,
comme
ou Nibelungs,
et
ne rencontrerons
il
parle de l'ensemble des Nains
des Géants. Par conséquent, nous là
aucune des grandes scènes de
Wotan, que nous trouvons dans V Anneau du Nibelung
:
Wotan
Bruennhilde
et
Mime, Wotan
[la
T^a/%ne,
et Alberich,
2® acte),
Wotan
Wotan
et
et Erda,
Wotan et Siegfried. L'unique exception est la scène de Wotan et Bruennhilde qui clôt le dernier acte de
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. Watkyrie
la
punition de
la
:
171
Bruennhilde. Quant
aux scènes des Nornes et de Waltraute, où il n'est question que de Wotan, dans V Anneau duNihelung^ ce sont de simples récits dans la première version.
—
lY.
La
faute des Dieux
«
»,
dans
esquisse, c'est qu'en volant l'anneau «
l'oisif
dragon.
ils
des Nibelungs, sous
l'âme
la liberté,
Ils
première
la
ont enterré
le
ventre de
ont dérobé sa puissance àAlberich,
sans que ce soit pour atteindre un but élevé,
et Al-
berich a donc raison lorsqu'il les accable de ses re-
proches
—
»
205.)
(II.
mort de Siegfried et la restitution de l'Anneau aux Filles du Rhin ont expié cette faute, V.
les
Lorsque
la
Dieux sont réintégrés dans leur ancienne situa-
du monde, et un chœur entonne « Règne seul, ô père, ô louanges de Wotan tion de maîtres
:
tout-puissant
les
roi
».
— Dans une apothéose, Bruennhilde, redevenue
VI.
Walkyrie, traverse les cieux pour conduire Siegfried
aux Dieux, de qui nelle lices
»,
pendant
sans
fin ».
elle
proclame
qu'elle Et,
en
« la
puissance éter-
promet à Siegfried
même
«
des dé-
temps, Aiberich
et les
Nibelungs redeviennent heureux, affranchis du joug de l'Anneau,
du Rhin.
Filles
traire, la
femme
— Dans la seconde version,
mort de Siegfried
le
halla
».
»,
à lui enseigner
«
une «
ce
Bruennhilde lance de sa main
feu dans le burg resplendissant de »...
les
au con-
sert « à faire voir à
lumière éternelle
la
qui est bon au Dieu «
enchanter à jamais
qui retourne
la
Wal-
Repose, repose, ô Dieu! » Et elle-même,
LE DRAME ^YAGNÉRIEN.
]72
Wotan-femme,
ferme derrière
«
elle
les'
portes
grandes ouvertes de l'éternel Devenir, pour entrer
dans l'on
pays de son choix, dans
le très saint
ne connaît plus ni désir ni
Après avoir indiqué tales qui font de ces
différences
les
le
pays où
illusion... »
deux drames
fondamen-
semblables en
si
apparence, deux œuvres cependant absolument distinctes, tails
et
est inutile d'insister sur les
il
nombreux
dé-
qui viennent accentuer encore ces différences,
quelques-uns sont aussi
dont
tiques, tels
femme,
et.
que ce
soit
core, de
Mime On
!
que
le
fait,
très caractéris-
pour Siegmund, d'avoir une
pour Siegfried, de tuer Hunding, au lieu
Siegmund qui
le tue
forger son épée
«
;
pour Siegfried en-
sous
la direction
de
»
etc., etc.
voit
que
l'empreinte
la
première version porte clairement
de la période où
Wagner
n'avait pas
nouvelle forme
encore reconnu la vraie nature de
la
de drame, ni la manière dont
poète doit y envi-
sager son rôle.
Certes,
c'était
le
déjà une œuvre de
génie d'avoir su condenser en un drame clair et intéressant tout ce fouillis de vieux mythes, mais faut bien recoanaître pourtant que cette
œuvre
il
ré-
pond moins encore aux conditions essentielles du drame wagnérien, que ne le faisait déjà par exemple Tannhccuser.
S'il
n'avait pas eu fait cette
esquisse,
Wagner
pour en
faire
eiit-il
plus tard
un drame?
C'est ce
première
choisi ce sujet
qu'on ne peut
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 18 18.
mais
savoir,
il
173
paraît évident qu'il l'eût sans
doute
conçu d'une tout autre façon. La manière dont
poèmes épiques de
traité les
il
a
Tristan et Isolde et de
Parsifal ne justifie-t-elle pas cette supposition? Mais il
possédait cette première esquisse,
comme il
la
et
la
il
prit
point de départ, ou, disons plus exactement,
conserva
comme
VAnune œuvre
cadre, lorsqu'il entreprit
neau du Nibelung, qui devint de ce
fait
aussi foncièrement différente de Tristan
et
Isolde
que
des Maîtres-Chanteurs ^Qi qu'on peut regarder comme le
type d'une troisième variété de drame accessible
au poète-musicien. Mais comment transformer «
première
la
le
version
poète
en
pu drame
a-t-il
un
-
humain », qui appelât et justiconcours de la musique? Presque rien n'a
d'ordre purement
fiât
été
le
changé à
la suite
des événements, mais
le
poète
a transporté à l'intérieur, dans les profondeurs de l'âme humaine, tout ce qui constitue la action.
Le vrai drame ne consiste plus dans
véritable les aven-
tures que l'épopée décrit avec une telle surabon-
dance de
détails,
il
est
dans l'évolution intérieure,
invisible. Et tout ce qu'il
— par
ya
là
d'éternellement vrai,
opposition à l'arbitraire de la parole et de
— c'est
musique qui l'exprime c'est-àdire que la musique occupe dans le drame la place qu'il lui revient de droit en sa qualité de mère du drame, et d'art suprême. Voyons quels moyens le
l'image,
la
;
—
poète a employés pour rendre cela possible.
Tout d'abord
drame,
il
il
a changé les principes moteurs
du
a remplacé les luttes que suscitait l'ambi10.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
174
tion des personnages et leur rivalité, par
un
conflit,
tout intérieur, entre la soif de la puissance et le désir
d'aimer
:
qui renonce à l'amour,
« Celui-là seul
peut subjuguer
le
monde
».
Et puis, ce conflit, qui
revêt une forme différente chez chacun des person-
nages,
dans est
a su
il
le
d'un unique personnage,
l'âme
supérieur
qu'en
concentrer avec toute sa grandeur
à
tous
conflit
lui le
embrasse l'humanité
autres,
les
de
Wotan, qui sorte
telle
acquiert une signification qui entière,
et
qui conduit à la
chute d'un monde. Et c'est là la nouvelle action dra-
matique dans r Anneau du Nihelung. Le drame com-
mence par Wotan,
et
le
il
rêve de «puissance éternelle »-quefait
se termine par
halla et la mort des Dieux. Il
ce
.
. :
l'embrasement de «
Wal-
Repose, repose, ô Dieu
!
»
faut cependant reconnaître que la structure de
drame, en raison de
sa
forme quasi-épique,
beaucoup plus compliquée que peut donc être plus
tant trer
la
utile
qu'ainsi
des autres.
Il
de Fétudier d'assez près, d'au-
nous
plus avant dans la
wagnérien, en
celle
est
même temps
continuerons à
péné-
connaissance du drame
que nous apprendrons à
mieux comprendre cette grande tragédie de Wotan. Remarquons tout d'abord la manière dont Wotan disparaît de la scène, au cours de la tétralogie. Dans VOr du Rhin^ où il s'agit de créer l'image visible par laquelle se manifestera au regard et à l'entendement
l'âme de Wotan, scène. tels
«
que
Wotan ne
quitte presque pas la
Le poète prend de nombreux la raison les perçoit,
faits épars,
des actes, des senti-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. ments, des passions, point unique.
»
et
il
les fait
175
converger en un
Ce point unique est
l'âme
ici
Wotan, qui apparaît clairement comme étant
de le
centre de tout ce qui se passe et de tout ce qui se
prépare. sifs
;
accomplit par lui-même des actes déci-
Il
mais ce qui
est bien plus caractéristique encore,
c'est
que tout ce qui se passe, sans exception,
vers
lui, et
que par l'impression produite
ce n'est
événement acquiert un
sur son âme, que chaque
sens précis, une
afflue
signification nette, par rapport à
l'ensemble de l'action. Ce premier drame place donc clairement
Wotan devant nos yeux comme
— Dans
de la tragédie. qui est
le
principal
servant à ce
mot
plie
»,
dirons-nous en con-
d'acteur son acception étymologique
c'est aussi lui qui
mais
héros
Walkyrie^ c'est encore lui
la
acteur
«
le
occupe
le
;
plus longtemps la scène,
y a déjà presque la moitié du drame rempar des événements, dont il est la véritable il
cause lointaine, c'est vrai, mais auxquels toutefois il
ne participe qu'indirectement.
—
Dans Siegfried,
nous n'apercevons Wotan qu'une seule acte, et ce n'est plus
à
fait indirecte qu'il
fluence
sur
le
désormais que d'une façon tout exerce encore une certaine in-
cours des événements
personnage delà pièce, Siegfried, ne pas, et ne sait rien de cide des Dieux, ce
accords de la loin,
fin
chaque
fois à
— Enfin,
lui.
n'est
le
:
connaît
dans
que pendant
principal
le
le
les
même
Crépusderniers
que son image nous apparaît au
lorsque l'incendie de la Walhalla éclaire
de ses lueurs. Mais
il
n'est
mêlé qu'une seule
le ciel
fois à
LE DRAME WAGNÉRIEN.
176
raction, et encore d'une façon très
lorsque Waltraute vient supplier
indirecte
Bruennhilde de
rendre l'anneau aux Filles du Rhin,
Wotan
parle de
muet
fried, n'ont
elle
lui lin,
Mais ni les Gibichungs, ni Sieg-
seulement
pressentiment
le
qu'il
rapport entre leur sort et celui de Wotan. de la tétralogie,
qu
et
sur son trône, attend la
« qui,
et solennel ».
c'est
:
Wotan
s'éloigne de nos
y
ait
un
— Au cours
yeux de plus
en plus, jusqu'à disparaître complètement. Mais qu'on
ne le
s'y
trompe pas
centre
même
non seulement
:
il
du drame, mais encore, à mesure que
l'action se déroule, elle se concentre
dans son âme,
et arrive
que par
vrai sens
continue à être
de plus en plus
de plus en plus à n'avoir de
Examinons donc
là.
la
marche de
cette action à travers les quatre parties de la tétralogie.
le
Dans VOr du Bhin, où manifestement Wotan joue rôle principal, d'autres personnages peuventcepen-
dant au premier abord paraître presque aussi importants que lui,
comme
par exemple Alberich, les Filles
du Rhin,
les Géants, Loge, etc. Et ce n'est
peu que
Wotan
comme
de
la figure
le
centre
que peu à
se détache clairement
où viennent converger tous
rayons. Nous voyons alors, par exemple, que flit
entre l'or et
con-
l'amour ne se manifeste qu'à partir du
moment où Wotan met conflit
le
les
l'anneau à son doigt; car ce
ne pouvait apparaître en ce qui concerne
Alberich, puisque celui-ci avait librement renoncé à
l'amour. De
même,
la
malédiction qu' Alberich a atta-
chée à son anneau n'est plus connue de personne autre
que Wotan, puisque Loge, qui
la connaissait,dis-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
177
paraît de l'action. Enfin la plainte des Filles
du Rhin
àWotan, ainsique l'exhortation d'Erda, etc. VOr du Rhin avait pu laisser un doute, ce
s'adresse
Mais
si
doute ne serait plus possible dès qu'on aborde
la
Walkyrie.Cd.Y\h nous apercevons avec toute évidence
que le sort de tous
les
personnages dépend de Wotan;
non pas que Wotan
monde
que
le
par les puissances surhumaines, Fricka,
hommes entre eux, et nous sommes témoins,
Bruennhilde, aux luttes des ces luttes elles-mêmes dont
ne sont que
et
son caprice, mais en ce sens que
soit livré à
la part prise
soit tout-puissant,
le
des luttes qui ont lieu dans
reflet
rame de Wotan.
Et ce qui se passe
n'est pas là, doit être considéré
étant des actes de
Wotan, car
quand Wotan
quand même comme
c'est lui qui les a
engen-
L'amour de Siegmuncl et de Sieglinde n'a de sens pour tout le drame que par rapport à Wotan il en est drés.
;
de
même
du combat entre Siegmund
Hunding, du
et
plaidoyer de Fricka pour la moralité, de la protection
accordée par Bruennhilde à Siegmund, se passe et
n'est autre chose
dans son âme,
ce
Was
que
tief
il
« :
conduit
le fils
ici
qui a lieu
un premier
des Nibelungs
:
Erbe,
der Gottheit nichtigen Glanz!
» (1).
— je
te le
le
à
action
ekelt,
zum
Ce qui m'emplit de dégoût
—
la véritable
conflit tragique
le
bénit
mich
dir geb' ich's
Et
lui.
et qui déjà le
renoncement, car
(1)
Rien ne
dans ce drame, qui ne provienne de Wotan
ne se répercute en
tage
etc.
vain éclat de la divinité
!
»
doDne en héri-
LE DRAME WAGNERIEN.
]78
Mais voici que Bruennhilde entre dans
l'action. Or,
Bruennhilde est l'incarnation, pleine de jeunesse
et
de vie, de la volonté de son père. Cette volonté qu'il a de subjuguer
monde
le
par
ténébreuses,
;
et,
de vaincre les puissances des
force
la
armes
et
la
lutte
son expression vivante dans les
héroïque, trouve
Walkyries
et
parmi
celles-ci,
Bruennhilde est par
excellence sa confidente, l'enfant de son cœur. Elle est
Wotan lui-même sous une forme agit
elle
comme lui-même
avec toute la
par
Bruennhilde
dit
«
le
femme,
la
mais
qui
se
sentiment et non par la réflexion.
:
du mir was du
Wotan répond «
agir,
zu Wotan's Willen sprichst du,
sagst
et
de
spontanéité
laisse guider
voudrait
féminine, et
willst. »
(1).
:
Mit mir nur rath' ich,
red' ich
zu
dir.
» (2).
Mais, quoiqu'elles soient tout à fait justifiées,
il
pas nécessaire de s'arrêter à ces observations
n'est
d'un ordre peut-être un peu subtil
;
il
suffit
de faire
observer que dans la scène dont je viens de citer
quelques paroles, Bruennhilde devient C'est à la voloaté
(1) *
—
si
tu
(2) «
à
me
C'est
toi. »
dis ce
ne
même
que tu veux.
de
la confidente,
Wotan que
tu t'adresses,
»
me confier qu'à moi-même
— que m'adresser
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. et
Tunique confidente, de
et
que du
même
coup
elle
« la
179
pensée de Wotan
en devient
Nul personnage du drame ne
» (1),
la continuatrice.
sait, ni
même
seule-
ment ne soupçonne ce qui se passe dans Fâme de Wotan, qui reste aussi solitaire que nous avons vu Hans Sachs le rester, dans les Maîtres- Chanteurs. Nul, d'ailleurs, n'est capable de comprendre Wotan, sans quoi il aurait pu réaliser son rêve de la transformation du monde. «
Was Keinem
in
Worten
ich kuende,
unausgesprochen bleibe es ewig! »
Mais, de
vierge
Éva
même
que, dans
était seule
le
de
lui,
Maîtres-Chanteurs^ la
même
seul être à qui
confier, et de plus elle est
son être à
les
capable de deviner quelle était
l'âme de Hans Saclis,
Bruennhilde est
(2).
ici
la
Wotan
virginale
puisse se
son propre sang,
elle est
réincarné sous les traits d'une jeune
femme. C'est peut-être ici le
des
« récits »
beaucoup
dans
critiqués,
les
moment
de parler de l'emploi
drames de Wagner. On
mais toutes
les critiques
les a
qu'on en
a faites portent à faux, puisqu'elles s'inspirent de (1)
Ce
qu'il faut
l'expression, très
entendre dans VAnneau du Nibelung par
fréquemment employée, de
« la
pensée de
Wotan », c'est le plan grandiose que forme le dieu de un nouvel ordre de choses, dans lequel la puissance
créer (l'or)
n'exclura pas l'amour, et où l'on pourra posséder l'un et l'autre à la fois. (2)
«Ce qu'à personne je ne proclame par des mots,— que Inexprimé — et le reste éternellement »
cela soit
!
LE DRAME WAGNÉRIEN.
180
principes qui ne peuvent s'appliquer au nérien. Pour les récits il
de
marquer d'un seul
Wagner de ceux
qui distingue
trait ce
de la tragédie antique, sur ce fait que, dans
suffit d'attirer l'attention
drame wagnérien,
drame wag-
ce ne sont pas des «
le
messagers
»
qui les débitent, mais tout au contraire des person-
nages importants, dry, C'est
même
ou
dans
que Marke, Gurnemanz, Kun-
tels
héros de l'action, Isolde, Wotan.
les
de celui-ci qu'ils atteignent leur
le rôle
plus important développement
rencontrons un le
«
messager
»
.
:
Une
seule fois, nous
c'est
Waltraute dans
Crépuscule des Dieux; mais Waltraute est la
fille
de Wotan. Jamais, chez Wagner, un personnage de
second ordre n'a un
récit à faire. Ceci suffit
ample-
ment à démontrer que le récit a une tout autre portée dans le drame wagnérien que dans la tragédie.
Dans
faits qu'il
la tragédie, le récit était la description
nous
suite de l'action
connaître pour comprendre la
fallait ;
de
dans
le
drame wagnérien,
les faits
qu'on nous raconte nous sont très souvent connus; et
même
là
la suite des
où
ils
ne
le
sont pas, ce n'est jamais pour
événements en elle-même
qu'il
nous en
communication, mais pour l'impression pro-
est fait
du personnage qui en fait le dans la récit. Ceci est surtout visible pour Wotan Walky rie plions (LYons son grand récit du second acte duite par elle sur l'âme
:
;
dans Siegfried^
en
il
forme de dialogues) y a
dans
le
scène des Nornes et
la
traute
;
fait
un à chaque acte (sous
;
or,
chaque
fois^,
Ci^épuscule des Dieux, le
c'est la
grand
même
récit
il
de Wal-
série d'événe-
LES DRAMES POSTÉRIEURS
ments qui nous principaux
Rhin ; mais le
c'est là
181
1848.
événements dont
est racontée,
mêmes nous
A
les
sont connus grâce à VOr du
précisément ce qui en constitue
poignant intérêt, puisque nous voyons ainsi com-
ment
comment
se modifie,
se transforme, dans le cer-
veau du personnage principal, l'image
qu'il se fait
de
ses actions passées et de ce qui en est résulté. L'action dramatique étant tout intérieure, ce n'est pas
uniquement
le fait
brutal accompli dans
passé qui
l'importance, mais bien surtout l'impression
a de
actuelle qu'en éprouve le
que
le
personnage en scène, ainsi
degré et la nature de l'empire que cette
le
impression exerce sur son esprit.
Nulle
part
la
puissance magique de la musique, lorsqu'elle est
mise au service d'une action dramatique, ne se révèle aussi prodigieuse que dans ces récits, où la part que
prend
le
passé au présent est indiquée avec une pré-
cision presque
mathématique,
assister à toutes les
et
où nous pouvons
combinaisons
et
à toutes les
phases par lesquelles passe cet élément inéluctable,
mais cependant
si
soit à n'être plus
maniable,
le
passé, pour aboutir,
qu'une ombre à peine aperçue, soit
à s'épanouir en un souvenir transfiguré et radieux.
Dans une
Wotan
lettre
à Liszt,
la
effet ce
« la
marche de toute
moment nous
minant de
temps
dit
de la scène où
révèle son sort et dévoile toute son
Bruennhilde, que c'est
pour
Wagner
la
âme à
scène la plus importante
la tétralogie ». C'est
qu'en
conduit au premier point cul-
tragédie dans l'àme de Wotan, en
qu'il constitue la péripétie
même
transmettant 11
« la
LE DRAME WAGNÉRIEN.
182
pensée de Wotan
»
à Bruennhilde, qui en devient
ainsi la continuatrice. Et
admettre que
faut donc logiquement
s'il
devenue l'incarnation de
celle-ci,
pensée, joue désormais
cette
principal sur la scène,
le rôle
on n'en devra pas moins constater que Wotan reste
comme auparavant le
centre du drame. Dans la scène
des adieux de Wotan, à la
de
fin
la
Walkyrie, ce
déplacement du drame, que nous avons déjà vu se faire
dans Tristan
et
Isolde^ et par lequel la véritable
action se trouve transportée dans les profondeurs de l'âme, a lieu encore une fois littéralement devant nos
yeux.
L'
«
infortuné Éternel
propre Volonté les
l'abandonne
yeux de Bruennhilde, où
reflété
son
et
«
son propre
«
se détourne
» ;
il
de
sa
ferme lui-même
il
voyait
cependant
désir insatiable d'espérance
rêve des ivresses que donne l'univers
»
;
et
il
»,
se
sépare à tout jamais du seul être qui connût sa pensée et qui eût
pu la mettre en œuvre.
—Nul n'est moins
enclin que je ne le suis à chercher des systèmes phi-
losophiques dans les œuvres d'art
et
;
il
faut remar-
quer que lorsque Wagner composa ce poème de r Anneau
du Nibelung^
il
ne connaissait pas encore
la
philosophie de Schopenhauer mais je crois pourtant ;
qu'il serait difficile
Wotan dans
de caractériser
d'âme de
cette scène finale de la Walkyrie, plus
exactement qu'en disant que la volonté
l'état
de vivre
».
Le
fait
c'est là « la
négation de
d'aboutir à anéantir la
volonté n'est d'ailleurs nullement
le résultat
d'une
théorie philosophique; c'est une action morale, qui est
du ressort de l'homme
intérieur, et qui n'a
donc en
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. rien à faire avec la raison.
soi
volonté peut être
phiques,
comme
le
La négation de
la
de réflexions philoso-
le résultat
cela est le cas pour le penseur
sa genèse peut aussi être toute
nous
183
;
mais
diff'érente, ainsi
que
constatons chez les saints, ou bien encore
ici
pour Wotan. Schopenhauer enseigne du reste que « la
plupart des
hommes
qui atteignent à la négation
de la volonté arrivent à ce but, non pas par la voie
de la réflexion philosophique sur l'universalité de la douleur, mais simplement par la voie de la douleur
elle-même, directement ressentie, et qui les a menés à la résignation complète le
cas spécial de
gnation est tat de
si
Wotan
purement
Et
».
il
faut dire que dans
qui nous occupe instinctive et
si
la rési-
ici,
peu
le résul-
convictions philosophiques, que le dieu, loin
de persister avec une logique rigide dans la ligne de conduite qu'il devrait suivre après avoir renoncé à vouloir, va jusqu'à
recommencer plus tard à
à exercer une intluence décisive sur
le
agir et
cours des
événements.
Dans Siegfried^ Wotan «
Zu schauen kam
nicht 2u schaffen.
Et en
fait,
ich,
» (1)
comme
transportés dans l'âme
de Wotan, et c'est avec ses yeux que nous
contemplons maintenant
(1) «
:
nous spectateurs, nous nous sentons,
en quelque sorte,
même
dit
Je suis
la
continuation d\ine ac-
venu pour regarder,
et
non pour
agir
».
LE DRAME WAGNÉRIEN.
184
dont
lion
il
départ, mais qui
point de
est, lui, le
maintenant se déroule sans connaître et
sans que
Wotan
le
dieu y
ait
se réjouit à la
cette origine,
encore une part directe.
vue de Siegfried,
le
—
joyeux hé-
ros ingénu. Et dans la scène avec Erda, au troisième acte,
nous atteignons
la véritable action,
second point culminant de
le
—
c'est-à-dire
—
joue dans l'âme de Wotan,
du drame qui
lorsque celui-ci re-
nouvelle son acte de renoncement, non plus
amertume,
se
avec
mais au contraire avec une
cette fois,
joie sereine. C'est là la vraie négation de la volonté «
Was
:
wildem Schmerze
in des Zwiespalt's
verzweifelnd einst ich beschloss, froh '
On
und freudig frei ich nun aus
fuehre
!
» (l)
pourrait comparer la première négation à celle
de Tristan, la seconde à celle de Hans Sachs. Mais ici
comme au second
encore, absolument
Walkyrie, la péripétie
même temps
produit en
se
qu'on est arrivé au point culminant,
acte de la
et elle
est la
cause de toute une nouvelle série d'événements tra-
comme
giques. C'est que, la volonté
je l'ai dit, la négation de
chez "Wotan n'a pas une cause philoso-
phique. Dans sa négation elle-même, c'est encore volonté qui prédomine
pas de
(1)
«
j'avais
heur
la résignation,
Ce que dans
la
;
et,
cette négation^ ce n'est
comme
chez les penseurs ou
douleur cruelle de Tincertitude.
naguère désespérément voulu,
— Je laccomplis
la
—
avec joie
librement aujourd'hui.
»
et
—
bon-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1S48. les saints, c'est plutôt il
un
non-vouloir
«
veut ne pas vouloir. (A^o/o
»
185 positif
:
= îîo» z^o/o.) Et c'est pour-
quoi cette volonté négative rencontre des obstacles
comme elle en rencontrait lorsqu'elle prétendait pétrir le monde à sa façon. La première fois que Wotan avait renoncé à sa volonté, 'c'était de tous cotés,
Bruennhilde qui avait recueilli cette volonté dans son
cœur noble
passionné
et
;
mais Wotan, au
lieu de
— ce que doit faire — quiconque cesse de vouloir, avait immédiatement laisser les choses suivre leur cours,
reconnu, dans
l'acte
mund,sa propre
«
de Bruennhilde protégeant Sieg-
pensée
»
renaissant dans un autre
cœur, sa propre volonté surgissant à nouveau après qu'il avait cru l'anéantir il
s'était élevé
;
et alors,
sans miséricorde,
contre lui-même, contre son second
moi. L'être qu'il aimait
le
plus au monde,
il
le
nit sur
un rocher
crut
plonger, dans un sommeil éternel, et
le
détourna de
lui
désert,
il
le
plongea, ou du moins
le
se
il
pour toujours. Mais maintenant,
dans Siegfried^ après que nesse,
ban-
«
devant l'éternelle Jeu-
Dieu se retire avec délices
», la
crainte l'en-
vahit de ce qu'accomplira sa propre volonté, c'est-àdire
Bruennhilde,
son long sommeil.
pêche
Siegfried
lorsque Il
Siegfried l'éveillera
faut alors à tout prix qu'il
d'éveiller
prendras pas ce chemin
Bruennhilde.
», lui crie-t-il,
en
«
de
em-
Tu ne
le lui in-
Tépée de victoire
terceptant avec sa lance.
Mais
du jeune héros brise
lance éternelle, gage de la
domination
»
.
Et
« la
«
Wotan ne peut
»
arrêter Siegfried
dans sa marche victorieuse, parce que Siegfried ce
LE DRAME WAGNÉRIEN.
186
n'est autre chose
que sa propre jeunesse, réincarnée
dans toute la plénitude de sa force,
parce que cette
et
jeunesse est «vierge encore de toute envie n'a si
connu
Wotan
trompé en croyant un instant pouvoir
s'est
Erda «
qu'elle
de l'amour. Mais
ni le désir de l'or ni celui
retenir Siegfried, disait à
», et
se trompait tout autant
il
lorsqu'il
:
Bnienntiilde
sie
weckt hold
der Held
sicti
:
wachend wirkt dein wissendes Kind erloesende Weltenthat.
» (1)
Dès que Bruennhilde sort de son long sommeil, elle
veut tout d'abord,
cette « tivité
il
pensée de Wotan
est vrai, resaisir à
comme
»
le
but de son ac-
:
«
Siegfried
Siegfried
!
siegendes Licht dich
Ich
liebt'
denn mîr
!
!
immer
;
allein
erduenkte Wotan's Gedanke
Mais avant qu'elle rerait le
(1) «
et à le
Bruennhilde,—
son réveil
—
pu accomplir
elle
le
(2)
l'acte
héros viendra, qui
qui libé-
Siegfried, Siegfried
Wotan.
aimé »
;
—
!
car à
la réveillera
— ton enfant
accomplira,
Tacte qui sauvera
je t'ai toujours
sée de
ait
»
monde, l'amour de Siegfried a envahi son
monde, (2) «
nouveau
monde
le
—
seule
—
qui comprend
».
triomphante lumière
moi
:
—
apparut
la
!
—
pen-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
cœur avec une impétuosité qu'aucun
Une dernière
foiS; elle le
« liebe
il
:
von mir.
» (1)
vainc sa résistance aussi facilement
avait vaincu celle de
Wotan
souvenir de la
le
«pensée de Wotan». Remarquons que pétie est, elle aussi, la
qu'il
son premier baiser
et
;
dans l'âme de Bruennhilde
efface
frein n'arrête.
dich
Lind lasse
mais
supplie
187
cette péri-
conséquence d'un acte de
Wotan. Dans sa colère, le dieu avait frappé son enfant, cette incarnation de sa
pouillant de la divinité a
Denn
propre
en la dé-
»,
:
so kehrt
der Gott sich dir ab
:
so kuesst er die Gottheit
et si
pensée
«
jamais un mortel
von
dir. '(2)
l'éveillait, elle
devait l'aimer
d'un amour de mortelle. Mais en perdant sa virginité,
Bruennhilde perd sa « science divine
perd sa force
:
«
Des Wissens bar
—
doch des Wunsches
an Liebe
reicti
voll,
—
doch ledig der Kraft.
(1) « (2) «
Aime-toi,
— et
Car ainsi se
détourne —
Privée de savoir,
d'amour,
— mais
» (3)
renonce à moi.
ce baiser te ravit-il la divinité. (3) «
», et elle
—
de toi
»
le
Dieu
:
—
ainsi par
»
mais pleine de
pauvre de pouvoir.»
désir
;
—
riche
LE DRAME WAGNÉRIEN.
188
Elle n'est plus
plement
«
femme
la
de Siegfried; les désirs de Sieg-
fried sont maintenant sa
passion
elle s'écrie
de Wotan )),mais sim-
la volonté
dans
loi, et
le délire
de
la
:
« Fahr' hin, Walhall's
leuchtende Welt
!
Goetter-Daemm'rung, dunkle herauf
» (1)
!
Le quatrième drame de «
Goetterdaemmerung
»,
approximativement par encore
le
:
le
la tétralogie est intitulé
qui peut être
ce
traduit
Crépuscule des Dieux, ou
Déclin des Dieux
.
Ce
titre
peut nous être
d'un enseignement précieux. Dans ce drame, en effet,
Wotan ne
suffit
paraît plus sur la scène, mais le titre
à nous prévenir qu'ici aussi l'action principale
passe dans l'âme, désormais silen-
est celle qui se
Wotan. Dans
cieuse, de le récit
la
scène des Nornes et dans
de Waltraute, l'image du dieu est évoquée à
nos yeux
:
<"
So
sitzt er,
hehrem Sitze stumm und çrnst
auf
Il
;
n'a pas oublié Bruennhilde «
Da brach
» (21
:
sich sein Blick,
er gedachte, Bruennhilde, dein. »
—
(3)
monde resplendissant Loin de moi, Walhalla, Crépuscule des dieux, couvre tout de ton ombre. » (1) «
(2) «
Ainsi
— siége-t-il —
sur son auguste trône,
!
—
— muet et
grave. » (3) «
à toi
!
Et son regard se voila, »
— car
il
pensait, Bruennhilde,
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
Nous sentons avec quelle impatience retour de ses corbeaux «
Kehrten
—
le
sie einst
ziirueck,
nocti einmal
zum
letzten Mal
—
laechelte ewigder Gott
Le héros du drame a beau sible
attend
:
mit guter Kunde
dann
il
189
»
(1).
être désormais invi-
musique nous révèle son âme avec une inet une puissance de persuasion qui défient
la
:
tensité
toute description.
Quant aux événements qui se pas-
sent maintenant sur la scène,
viennent tous se
ils
rapporter à l'enfant de Wotan, à son second moi, à
Bruennhilde, qui, dépouillée de sa divinité et de sa science surhumaine, se trouve dès Jors livrée au sort le
plus lamentable. Mais tout ce qui arrive est la con-
séquence fatale des actes accomplis précédemment par Wotan. Ainsi l'ennemi de_ Siegfried, Hagen, qui qui
le
rend infidèle à Bruennhilde
tue, est le
fils
d'Alberich, à qui
fois l'anneau; et c'est
Pour que
agit.
à
Wotan ;
et
du drame par rapport
la continuité
Hagen dans un rêve dès
la perte
rend à Bruennhilde « S'ils
revenaient
de
la «
les
l'or.
un jour
—
Filles
— la
second
le
du Rhin
La mort de
science divine
une fois pour pour l'éternité. »
alors encore
sourirait
à l'instigation de son père qu'il
au troisième acte
mentent sur
(1)
Wotan arracha autre-
ressorte clairement de toute Faction, Albe-
rich apparaît à acte
et qui ensuite le
»
se la-
Siegfried ;
et
après
avec un bon message, dernière fois
—
le
11.
—
dieu
LE DRAME WAGNÊRIEN.
190
mort
cette
rendre Tor aux
Walhalla
accomplir
peut
elle
du Rhin,
Filles
rédempteur,
l'acte
jeter
et
dans
la
tison qui allume l'incendie où périssent
le
les dieux.
—
Mich
«
mussLe
der Reinste verrathen, dass wissend wuerde ein
Ces mots contiennent
1
»
(1)
sens de toute l'action
le
dans ce dernier drame de
Weib
la tétralogie.
Bruennhilde
accomplit la volonté de Wotan, non pas son pre-
mier projet d'une conquête héroïque de l'univers,
mais sa volonté d'anéantir toute volonté Eines nur will
«
Das Ende
Das Ende
Le cœur nant,
il
icti
:
noch,
!
!
« (2)
pensée ne font plus qu'un mainte-
et la
n'y a plus de lutte intérieure
;
le
dernier
héros a péri, et Bruennhilde aussi ne peut plus que vouloir la mort. Elle rend l'anneau aux Filles du Rhin «
Weiss ich nun, was
Ailes
Ailes
:
Ailes weiss ich ailes
Ruhe Moi,
(1) »
qu'une
femme
(3)
'c
:
frei
Ruhe, du Gott
fallut
—
que
le
!
!
» (3)
plus pur
me
trahît
—
pour
acquit la toute-science. »
—
La fm! la fm » ne veux plus qu'une chose — Tout, tout! — je sais Le sais-je, ce que tu veux? — tout m'est devenu clair — Repose repose, ô Dieu !»
(2) « .Je
tout
il
frommt ?
:
ward mir nun
!
dir
!
:
!
!
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
191
Et lorsque Siegfried, et Bruennhilde, et Hagen, et tous, ont disparu, voici
tragédie,
que
le
héros suprême de la
Wotan, nous apparaît de nouveau, son auguste trône,
bile assis sur
lement, encore une
pour
fois,
la dernière fois », pen-
consume la lui-même Wotan, avec tous
Walhalla, les dieux, et
et
ses rêves et toutes ses pensées. Et de
musique qui nous révèle nous
qu'elle
Cependant l'exprimer
nouveau
âme
cette
c'est
sublime. Ce
ne saurait être traduit en paroles.
dit
le
immo-
et souriant éternel-
dant que l'incendie active ses ravages
la
«
maître lui-même a tenté une fois de
:
Ew'gen
Ailes
Ende,
sel'ges
gewann?
wisst ihr, wie ich's
Trauernder Liebe Leiden
tiefstes
schloss die
enden
sali icli die
analyse
Cette
demment
Augen mir auf
que
je
Welt
;
»(1)
viens
de faire
fragmentaire; mais aussi je
toute
poursuivi qu'un seul but en l'entreprenant
que V Anneau
Wotan
;
est évi-
du Nibelung
n'ai
montrer
:
est bien la tragédie
car cette façon de concevoir ce
drame
de
est la
base indispensable de toute appréciation juste à porter sur lui, et le fl) «
La bienheureuse
savez-vous
—
Mon
fmir
le
commencement de fin
— de
comment j'y parvins ?
intime souffrance
monde.
»
toute véritable
tout ce qui est éternel —,
— Par
— m'ouvrit
le deuil
les
yeux
de l'amour. :
—
je vis
LE DRAME WAGNÉRIEN.
192
compréhension de
—
(le fait est
ticité)
œuvre colossale. D'ailleurs peu connu/mais j'en garantis l'authencette
— Wagner a sérieusement songé à un certain
moment
à changer
le titre
de sa tétralogie pour l'ap-
peler Wotayi. Si,
après avoir bien saisi
ce drame, nous
quisse,
faite
cadre ces
nous reportons à
première
mêmes légendes, nous pouvons nous
es-
fait
par
le
rendre
maître dans
court intervalle de quatre ans environ qui sépare
la conception des si
la
par Wagner, d'un drame ayant pour
compte de l'énorme chemin le
sens et la portée de
le
deux poèmes. Mais d'un autre côté
nous examinons ce qui
se passe sur
d'aujourd'hui et la façon dont
ils
nos théâtres
représentent l'An-
neau du Nibelung, nous sommes forcés de reconnaître qu'ils n'ont pas encore
mier pas dans
seulement
cette voie suivie par
pas davantage, tions n'a
fait
le
Wagner,
le
pre-
et que,
public qui admire ces représenta-
seulement l'ombre d'une idée de ce que
drame wagnérien. Et nulle part, on ne s'en aperçoit mieux qu'à propos de r Anneau du Nlbelung, si bien que le manque d'intelligence dont on fait preuve, quand il s'agit de cette oeuvre, peut peut bien être
le
arriver à être très riche en enseignements pour véritable observateur.
Par exemple,
il
est partout
d'usage de représenter isolément une partie
conque de que
les
de sens,
la tétralogie
:
c'est se
le
quel-
résigner à n'avoir
fragments d'une action qui dès lors n'a plus et se trouve être ainsi
ou sans fm. Et pourquoi
sans
commencement
d'ailleurs n'en
agirait-on
LES DRAMES POSTERIEURS A 1848. pas
Ton ne considère pas
ainsi, si
comme
belung
la tragédie
de
193
F Anneau
du Ni-
Wotan? On arrive
alors
à regarder les quatre parties de la tétralogie sim-
plement comme une
série d'épisodes tirés de
renfermées, sans nécessité, sous un
et
Quel rapport y
mund
a-t-il
et Sieglinde
en
titre
général.
effet entre l'histoire
d'un
côté,
et,
TEdda,
de Sieg-
de l'autre côté,
Alberich et les Filles du Rhin? ou encore entre les
Gibichungs
Waelsungs? Mais dès qu'on
et les
sage les choses de cette manière,
envi-
est curieux de
il
remarquer qu'on n'arrive plus à s'expliquer Wotan. Impossible de comprendre ce qu'il veut, ni pourquoi il
intervient à chaque instant.
nage superflu, épisodique surtout
semble
il
matique!
Il
)}
« qu'il
et
Il
paraît
un person-
encombrant. Et puis
manque absolument de
dra-
sera donc logique qu'on fasse tout
le
possible pour l'éliminer à force de coupures dans le
drame Rhin
;
Wotan
:
souvent donc on ne joue pas du tout VOr du
et
dans
la
Walkyrie on réduit
et Fricka, si
la
scène entre
bien que ce qu'ils disent n'a plus
de sens. Quant à la scène suivante, la scène entre
Wotan
et
Bruennhilde, où
culminant de tout moitié
(1).
Wotan
et
très
{!)
le
Wagner
voyait le point
drame, on n'en conserve que
On fait de même pour la Mime au premier acte de
scène
la
entre
Siegfried
;
et
souvent aussi on retranche complètement au Dans tous
les
grands théâtres d'Allemagne, sans ex-
ception, on coupe tout ce qui va de la page 108 à la page 118
de
la partition
pour piano,
traçant la lutte qui
c'est-à-dire tout le passage re-
se livre dans
l'âme de Wotan, et sa
j
LE DRAME WAGNÊRIEN.
194
second
et
au troisième acte
Wotan. Dans
le
Crépuscule des Dieux, enfin, on sup-
prime presque toujours
que
scènes où paraît
les
scène des Nornes, ainsi
la
celle de Waltraute.
La
plaisanterie,
souvent
d'acteurs qui aurait joué
de cette troupe
citée,
Hamlet en
biffant le
rôle
d'Hamlet, a donc cessé d'être une plaisanterie et est
devenue aujourd'hui un fait patent, qui se renouvelle tous les jours pour la tragédie de Wotan. Et cela se produit dans la patrie
même du
poète
:
qu'y
a-t-il
d'étonnant à ce que l'étranger suive l'exemple donné; tout d'abord par l'Allemagne? Mais j'avoue que ce fait,
à cause de son énormité
plaisir, car
je
même, me
fait toujours!
ne puis m'empêcher de croire que
cela finira par attirer l'attention sur la signification
Wagner comme auteur dramatique. En effet, si] les œuvres de Wagner sont des opéras, il faut conve-j nir que ce sont de bien mauvais opéras; et VAnneam
de
du Nibelung en particulier monstruosité. Dès 1876 un avait
est tout
simplement une]
critique des plus connus]
demandé qu'on pratiquât d'immenses coupures!
dans cette œuvre,
qu'on la réarrangeât ensuite]
et
de façon à la faire tenir dans une soirée de la durée] déclaration solennelle
:
«
veux plus qu'une chose,
Je
—
renonce à la
Fin
!
mon
œuvre,
la Fini »
—
— On
je n( sait
qu'à ropéra de Paris on ne respecte pas mieux la pensét
de Wagner, qu'elle
pas plus d'ailleurs, à
n'a été
un
des différents poèmes de
l'idée la
de vue,
Wagner dues à Victor Wilder mieux fait pour donner
qui sont bien ce qu'il y a de
Wagner
autre point
respectée dans les traductions françaises
plus fausse possible.
et
d(
195
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
habituelle des opéras. Les passages qu'il trouvait
d'une réelle disait-il,
un
«
fort
je
;
en
très bel opéra,
uns des autres. C'est
les
»,
on en formerait,
les
mettant à la suite
beauté lyrique
une chose dont
là
ne crois pas du tout que cela puisse former
un bel opéra; mais je dois avouer que
ainsi
je doute
ce critique,
du moment où
l'idée
ne se doutait pas
il
de
qu'il
y a une tragédie de Wotan, était en elle-même tout à
logique. Ajoutons-y cette seconde affirmation,
fait
—
déjà entendue à propos de Tristan
—
qui se répète pour Parsifal, raît^
et Isolde^ et
que ce qui nous pa-
à nous, être l'action la plus émouvante^ c'est-à-
dire tout ce qui passe
ne semble pas
«
dans
les
dramatique
profondeurs de l'âme, dont
à ce critique
»
nous venons de parler, non plus qu'à ses pareils nous aurons
et
ainsi bien
mieux précisé
le sujet
;
de
la controverse, qu'en laissant s'entrechoquer inuti-
enthousiasmes
lement
les
voyons
qu'ici
musicien
position absolue.
Le critique ne
Il
et critique se
pas occupé de la vie de
ni de son évolution artistique;
idées formulées par
Wagner
;
il
:
Wagner
n'a pas étudié les
il
sur la nature de la
mu-
drame tentée par
sique et sur la nouvelle forme de lui
trouvent en op-
est utile de préciser ce cas
s'est
Nous
et les antipathies.
considère au contraire toutes les manifesta-
tions de l'art d'un point de vue préalablement arrêté et
purement théorique
;
il
met
sa conscience à ne
jamais se départir de cette règle
qu'il s'est fixée,
à ne jamais s'abandonner à l'émotion qu'une œuvre
naïvement entendue pourrait
lui
procurer. Mais ce
LE DRAME WAGNERIEN.
196
point de vue,croii Cet
il?
homme
le critique
évidemment
se dit
sur une scène de théâtre on
un opéra;
est
but; tout
le
2° or,
fait
de
la
ceci
faire de la
1°
:
lorsque
musique, l'œuvre
dans un opéra,
le reste n'a
que prétexte à
considère tout, quel est-
la
musique
est
de raison d'être qu'en tant
musique
quant à
3^
;
la
mu-
sique elle-même, elle est exclusivement une jouis-
sance des sens, une caresse pour l'a
dit le
célèbre critique
arabesque de sons
oppose à ces vantes
:
comme
musical Hanslick,
et rien
»,
l'ouïe, ou,
de plus.
—
•
«
une
Wagner
trois propositions les trois thèses sui-
1° « Je n'écris
plus d'opéras
;
comme
et
je
ne veux pas inventer un mot arbitraire pour dési-
gner mes œuvres, je
les appelle des
drames, parce
qu'au moins ce terme indique clairement
vue auquel
il
auquel je vise
faut se placer pour »
(1).
—
musique
le
but
dire le
moyen
où
est
qu'on a
ceci,
le
but
tombé fait
le
de la
but de l'œuvre, alors qu'elle ne doit être
que l'un des moyens d'expression le
point de
comprendre
2° « L'erreur
genre de l'opéra consiste en
le
même
;
el
que, par contre,
de ce qu'il s'agit d'exprimer, c'est-à-
drame, n'a plus été considéré que d'expression
» (2).
—
3°
«
comme un
De l'œuvre du
da ich keînen will(1) « Jch schreibe keine Opern mehr kuerlichen Namen fuer meine Arbeiten erfinden will, so nenne ich sie Dramen, weil hiermit wenigstens am deutlichsten der Standpunkt bezeichnet wird, von dem aus Das, :
was
ich biete,
empfangen werden muss
dem Kunstgenre
». (IV.
417.)
der Oper bestand darin, dass ein Mittel des Ausdruckes (die Masik) zum Zwecke, der Zweck des Ausdruckes (das Drama) aber zum (2) «
Mittel
Der Irrthum in
gemacht war
». (III, 282).
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
197
y a à tirer une révélation nouvelle sur l'essence même de la musique (l)..- Cette
grand Beethoven
il
musique symphonique ne peut nous apparaître autrement que comme une révélation venant d'un autre
monde; et vraiment elle nous révèle, entre les phénomènes de tout ordre, des rapports qui n'ont rien de
commun
avec ceux qui sont perçus par l'entende-
ment logique;
et elle
de persuasion,
elle
une précision
dispose d'une
si infaillible,
la
puissance
s'impose à notre sentiment avec
que
la raison logique
est toute déroutée et désarmée;.... ce
moderne de
telle
en
développement
musique répond à un profond besoin
intérieur de l'humanité, etc. »
(2)
a affirmation contre affirmation la contradiction directe
;
On
voit qu'ici
chacune
il
y
d'elles est
de l'autre. Mais au fond ce
n'est pas trois questions qu'il y a à débattre
:
il
n'y
en a qu'une, et c'est celle qui a trait à ce qui constitue l'essence
même
de la musique. La musique est-elle
simplement un jeu d'arabesques sonores, ou bien Ans dem grossen Beethoven war eine ganz neue Erkenntniss des Wesens der Musik za gewinnen ». (VIII, 317). symphonische Musik muss uns geradesweges (2) Dièse als eine Offenbarung aus einer anderen Welt erscheinen und in Wahrheit deckt sie uns einen von dem gewoehn(1)
«
;
lichen logischen
Zusammenhang
Zusammenhang durchaus verschiedenen der
Phaenomene
der Welt auf, der mit der
ueberwaeltigendsten Ueberzeugung sich uns aufdraengt und
unser Gefuehl mit einer solchen Sicherheit bestimmt, dass die logisirender Vernunft vollkommen dadurch verwîrrt
und entwaffnet der
Musik
ist
wird;... mit dieser
einem
tief
modernen Entwicklung
innerlichen
Menschheit entsprochen worden.
Beduerfnisse der
» (VII, 149,
150.)
LE DRAME ^YAGNÉRIEN.
198
monde ? Car
est-elle la révélation d'un autre
ment
musique ne peut jamais
la
arabesque de sons
qu'une
«
drame drame
wagnérien
», il
s'écroule
réelle-
si
être autre chose
que
est clair
le
puisque ce
aussitôt,
musique est la révélation directe d'un autre monde, et que par elle nous pouvons donc atteindre dans la nature huque
se fonde sur la conviction
la
maine à des régions où ne sauraient nous venir ni
le
langage de
la
faire par-
raison, ni la vision exté-
La musique est donc pour Wagner un des moyens d'expression du drame,
rieure des êtres et des choses.
et
son but est de servir au drame, dont
elle est d'ail-
— Mais
leurs le facteur le plus important.
dent que la dialectique la plus serrée trancher cette question; car
si,
dans
le
il
est évi-
ne saurait
plus profond
mon cœur, j'ai l'impression qu'une certaine musique me révèle un autre monde, si je sens qu'elle met mon moi invisible — cette partie de ma personnalité de
—
qui échappe à la raison logique
monde invisible et comment pourrait-
tion directe avec tout cet autre
indéfinissable qui nous entoure,
on prétendre
me
prouver logiquement que je
pas cette impression,
que Il
en communica-
et
que
je
n'ai
ne ressens point ce
je dis ressentir?
m'est d'ailleurs tout aussi impossible de prou-
me
révèle
vraiment quelque chose. Quant à ceux à qui
effecti-
ver
moi-même
vement
la
musique ne révèle
ne sauraient
que
les
à autrui que la musique
goûter dans
fragments où
la
rien,
il
va de
soi qu'ils
une œuvre de Wagner
musique
est
pour
ainsi dire
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. plutôt
superficielle,
où
n'accuse par exemple
elle
qu'un vague sentiment lyrique, ou bien où fait
la
que seryir à
la
danse
199
et à la
chanson
;
ne
elle
mais plus
musique devient la révélation d'un monde invisible^
et plus elle
s'exprime dans
le
sens précis de sor in-
time nature, avec la force de persuasion qui lui est propre, moins alors cela est d'une telle insister.
pourront
ils
la
comprendre
;
et
évidence, qu'il est innutile d'y
— Là est l'explication de cet éternel reproche
qu'on adresse aux œuvres de Wagner, de contenir tant de parties
«
non dramatiques w.Non point qu'on
ose nier que l'action la plus intense et la plus
gnante ne
soit celle qui se
poi-
passe dans les profon-
deurs de l'âme, ni qu'on veuille nier que ce qui se passe sur la scène ne soit que le
symptôme
visible de cette
action intérieure; mais ce qu'on nie, c'est que
cette
action intérieure puisse être rendue sensible autre-
ment que par sonnages sur
les paroles et le la scène.
Chaque
mouvement des fois
per-
donc que Wagner,
après avoir captivé en nous l'homme logique, par
l'entendement la route
et
par
la vue,
pour nous indiquer ainsi
où nous devons nous engager, nous plonge
ensuite dans
les
profondeurs de l'àme invisible,
en nous révélant par
la
musique
la véritable action
qui s'y poursuit, on s'écrie alors que cela n'est plus
dramatique! Et en ne
effet,
pour ceux à qui
la
musique
révèle rien, cela n'est pas dramatique, et ne peut
pas
le paraître, puisqu'ils
action.
Mais
ne perçoivent plus aucune
on peut au contraire affirmer, avec
une précision presque mathématique, que dans VAn-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
200
neau du Nibelung, plus un passage est généralement
comme non-dramatique,
considéré
et
supprimé aux
représentations, plus ce passage est important pour
drame dans la pensée du poète. Il arrive pour V Anneau duNibelung exactement la même chose que Wagner avait constatée lui-même pour Tcmnhœuser
le
:
«
on élimine autant que possible
chose superflue..
uniquement sur
.
et
le plaisir
drame,
comme
de l'œuvre repose
succès
le
le
que prend
le
public à cer-
tains détails lyriques». Mais la conséquence de tout ceci, c'est qu'aujourd'hui,
sous
le
nom
ce sont de véritables monstruosités
de Wagner,
que nous présen-
tent les premières scènes d'Europe. J'ai
cru devoir développer
ces considérations,
ici
parce que je crois qu'un exemple pratique, celui
sort subi par V Anneau
du
théâtres, peut aider aussi les
comme
du Nibelung sur nos
bien les adversaires que
amis du drame wagnérien à préciser
de principe qui est à la base
de
cette
la
question
conception
d'une nouvelle forme de drame.
Passons maintenant au détail de l'exécution, tant
pour
le
poème que pour
concerne
musique.
— Pour ce
qui
l'allitération, qui est le trait caractéristique
du poème, de
la
je prie le lecteur de se reporter à l'étude
Wagner
:
Opéra
et
Drame^ où
le
maître a traité
ce sujet sous tous les aspects qu'il peut présenter.
Je ne pourrais écrit.
Je
me
ici
que retranscrire ce que Wagner a
contenterai de rappeler qu'il dit de cette
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. rime entre
consonnes radicales, qu
les
elle
201 constitue
un merveilleux instrument poétique pour rattacher
«
unes aux autres et les lier en faisceaux
les idées les
que,
et
«
» (1),
en reliant ainsi entre elles les émotions les
plus diverses, elle nous aide à élargir notre façon
de les concevoir, et à les regarder
comme
unies par
des liens d'affinité d'ordre purement humain
»
(2).
Quant à ce qui concerne d'une façon générale rapports entre la parole et
les
la
qu'à se reporter à ce qui a été dit
de Tristan ici
et
musique,
il
n'y a
plus haut à propos
Isolde.ie voudrais seulement examiner
d'un peu près certain aspect spécial de ces rap-
ports qu'on peut étudier dans V Anneau du Nibelung
mieux que dans les autres drames wagnériens. Mais je dois faire remarquer d'avance qu'il ne faut pas interpréter d"une façon trop formelle ce que
j'ai
à
dire à ce sujet. Si l'on jette
un coup
d'œil d'ensemble sur TA??-
neau du Nibelung^ on est frappé de ce que qui existe entre la parole logique et vélatrice, est
le
rapport
musique ré-
la
vraiment très ditïérent suivant qu'on se
trouve en présence de l'une ou l'autre
des
quatre
Nous savons que dans cette quespas de la plus ou moins grande quantité
parties de Toeuvre. tion ce n'est
(1)
« eine
macht (2) «
».
allumfassende
(IV. 166.)
die entferntest
von sich abliegenden Empfmdungen
zu verbinden weiss, und rein menschliche, zur (IV, 166.)
und allverbindende Wunder-
sie
dem
Gefuehle
als
verwandte,
umfassenden Aufnahme zuweist.
»
LE DRAME WAGNÉRIEN.
202
de phrases et de mots qu'il y a lieu de se préoccuper, mais bien de la valeur plus ou moins consi-
dérable de ce qu'ils
signifient,
et
de l'importance
accordée à la parole dans la représentation de l'œuvre sur la scène. Pour ce qui concerne la musique, c'est l'intensité de
Pour ne
l'expression qu'il faut examiner.
que j'entends par que
»,
crètement
la
d'Isolde.
Au
déclamation, et j'ai expliqué pourquoi
du troisième
;
tandis au contraire qu'à la
acte, à
paroles ne sont plus
la
mort
que des
où
d'Isolde,
les
exclamations sans
musique exprime avec une préci-
suite logique, la et
l'exemple
quand elle dit: « Elu pour moi^ perdu la musique ne fait alors que suivre dis-
cela devait être ainsi
sion
ici
acte,
pour moi
fin
encore
là,je rappelle
donné plus haut des paroles
j'ai
premier
aucune obscurité sur ce
laisser planer
une puissance incomparables tout ce qui
reste inaccessible
aux mots. Or,
si
l'on
parcourt
VAnneau du Nibelung dans son ensemble, on ne
manquera pas d'apercevoir des
différences profondes
entre chacune des quatre parties, pour ce qui con-
cerne
le
rapport de la parole à la musique. Dans
VOr du Rhin^ Dans
la
la
parole joue un rôle prépondérant.
Walkyrie, la musique s'affirme avec beau-
coup plus d'indépendance, non seulement dans scènes lyriques, où cela est parfaitement
mais aussi dans
les
les
normal,
scènes dramatiques, où nous
voyons encore cependant des parties où limportance de la parole prédomine, et d'autres enfin où lutte
pour
ainsi dire entre la
musique
il
y a
et la parole*
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
Dans
les
deux premiers actes de Siegfried^
un équilibre c'est
musique
parfait entre la
203
règne
il
et la
parole
;
pourquoi, dans un certain sens, on a pu dire de
Siegfried que c'était par excellence l'œuvre
clas-
sique de Wagner. Quant au Crépuscule des Dieux^ c'est
une immense symphonie de la
l'autre, c'est
entendu, dans
le
;
presque d'un bout à
musique absolue
«
»,
mais, bien
sens dramatique que ce mot com-
porte lorsqu'on envisage les choses du point de vue
de Wagner.
— Pour
reconnaître la vérité de ce que
je viens de dire, il est naturellement nécessaire de ne
pas s'arrêter à de certains passages qui, pris isolément, sembleraient
me
contredire
;
mais
il
faut admettre
que dans un organisme aussi vivant que les divers
éléments qui
totale
font
le
que
j'ai
dit,
drame,
contribuent à l'expression
dans une mesure qui peut
varier à chaque instant. ce
le
Il
doit
et
ne s'agissait donc, dans
que de l'impression générale pour
chacune des quatre parties de
y a un grand intérêt à préciser cette impression, parce que, chez
la tétralogie.
Wagner, les modifications dans
d'expression sont toujours intimement
marche de
l'action
dramatique, de
l'étude de l'un de ces
telle
les
Il
moyens
liées
à la
sorte que
deux sujets contribue toujours à
élucider l'autre. C'est pour cette raison quCjdans l'exa-
men qui va suivre, je serai forcé à chaque instant de me reporter au drame lui-même et ainsi l'étude ;
du rapport entre
la parole et la
musique nous aidera
à pénétrer plus profondément cette tragédie
Wotan que
je n'avais
de
encore pu faire qu'esquisser.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
204
VOr du Rhin qu'on aperçoit le plus clairement combien est justifié ce que j'ai dit et le peu de goût pour cette œuvre témoigné par le dans
C'est
;
On
public en est déjà une preuve.
en général peu
est
sensible aux beautés de la langue dans
ou bien encore on l'entend ne peut l'apprécier.
extrêmement
belle,
mal déclamer, qu'on
si
Quant à
on
de Beethoven. Enfin, de toutes
est liée si inti-
tellement partie, que,
œuvres de Wagner,
le
plus mal; car, pour
qui conviendrait à cette musique,
le style
faudrait prendre pour point de départ ce que
appelle
le
«
point central d'où rayonne
l'expression dramatique
teur
Or,
».
elle est
les
rOr du Rhin qu'on joue
trouver
musique,
reste aussi incomprise qu'un quatuor
l'isole, elle
c'est
la
mais sa beauté
mement à la parole, et en forme si
VOr du Rhin;
comment
:
le
il
Wagner
la vie de
vers déclamé par
l'ac-
espérer cela d'un chanteur
d'opéra? — Et maintenant, qu'on veuille bien réfléchir à ceci
c'est
:
dans VOr du Rhin qu'est posée
de toute la tragédie de
ments qui ont la fin
lieu
au cours de
du Crépuscule
qui se passe
ici
;
Wotan
—
des Dieux^ c'est ici
;
— tous
les
la tétralogie,
la
base
événe-
jusquà
sont la suite de ce
que naît
« la
pensée
»
de Wotan, et qu'ont leur origine tous les conflits qui lui
déchirent l'âme jusqu'à ce qu'il
monde
»
;
— c'est
ici
que
la
«
voie finir le
musique, dont
le rôle est
de constituer l'unité actuelle et vivante de l'œuvre entière,
«
crée plastiquement les motifs élémentaires,
qui deviennent, en s'individùalisant de plus en plus
dans leur
développement,
les
supports des
ten-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. clances passionnelles
du drame dans toutes
205 ses rami-
fications, et des caractères qui s'y
manifestent
Comment donc comprendre
vrai
r Anneau
du Nihelung^
si
mal représenté, ou bien pas du tout
?
le
si
Mais la raison qui
justement de
Ce qui caractérise
on ne
fait
lOr du Rhin^ ou encore qu'on ne je viens
drame
dans
du Rhin n'est que
L'Or
même
» (1).
le
représente
le
qu'on joue mal
joue pas du tout,
la
donner tout à l'heure.
la
Walkyrie^ c'est la manière
catégorique dont les différentes scènes qui composent cette œuvre se distinguent les unes des autres
sous
le
rapport de l'expression. Avant tout,
est
il
indispensable de bien saisir la portée du premier acte vis* à- vis Il
me
entier.
semble qu'on pourrait comparer des scènes
que l'ensemble de
telles la
du drame
celles
du premier
acte,
dans
Walkyrie^ aux scènes où se faisaient entendre
les récits des
messagers dans
grecque
la tragédie
la tragédie française. Certes, ce sont là
et
des parties
intégrantes et nécessaires du tout, et souvent elles
contiennent des beautés de premier ordre
;
mais on
n'en doit pas moins reconnaître qu'elles n'ont qu'un
rang de subordonnées dans matique
;
car,
la véritable action
pour Wagner
comme pour
dra-
tout vrai
grand poète, depuis qu'Eschyle a écritson Prométhée^ la véritable (1)
action c'est la lutte intérieure qui se
die plastischen
immer
Natur-Motive
aufstellt
,
Avelche in
individueilerer Entwickelimg zu den Traegern der
Leidenschafts-Tendenzen
der
weitgegliederten
und der in sich aussprechenden Charaktere werden (VI, 377.)
Handlung
sich gestaltea 12
LE DRAME WAGNÉRIEN.
206
passe dans l'âme invisible. Ce que les messagers
racontent n'a d'importance que par l'impression que produit leur récit
et si
;
Shakespeare a changé cela
pour nous montrer s'accomplir
mêmes,
événements eux-
les
de nous faire saisir d'une façon
c'était afin
.
encore plus immédiate l'influence que devaient avoir ces événements, et de nous faire ainsi pénétrer plus
profondément encore dans l'âme de ses héros. Le
drame wagnérien
sur le
a,
drame shakespearien,
l'immense avantage, non seulement de pouvoir nos yeux ces épisodes
se dérouler devant
faire
décisifs,
la puissance d'association
mais encore, en vertu de
inhérente à la musique, de pouvoir les relier d'une
façon intime
au drame
particulier à
entier, et en
cette action intérieure qui en est l'âme.
Nous savons
déjà que ce miracle ne peut guère s'expliquer par le
moyen des mots
;
nous ne pouvons que
pendant que
Ainsi, par exemple,
dépeint,
comme
le constater.
musique nous
la
seule elle peut le faire, l'amour de
Siegmund et de Sieglinde, elle n'en évoque pas moins sans cesse pour nous la figure de Wotan, quoiqu'au cours de fois fait
l'acte
mention de
il
ne
des liens
qui les
quoiqu'aucun des
celui-ci, et
personnages que nous voyons
n'ait
rattachent au
que nous soyons sans parti
connaissance
dieu.
pris, et
sions libre cours à notre émotion, le
pas une seule
soit
Pour peu
que nous
comme
l'a
lais-
voulu
poète, nous sentirons que, grâce à cette puissance
musique, l'âme du héros est tou-
miraculeuse de
la
jours présente,
même
lorsque
le
héros n'est pas
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848 devant nos yeux
;
et
que par
même, par
là
cette émotion, et sans qu'il y ait à faire
207 le fait
aucun
de réflexion, ce qui ne semblait être qu'un
épisode se trouve être indissolublement
gamé
à l'action totale. Mais ce
l'atmosphère spéciale
la
amal-
au drame par
relié
même
simple
lié et
dont l'entoure la
mais de plus, grâce à ce
effort
pas tout. Non
n'est
seulement l'épisode se trouve
de
musique,
pouvoir magique
musique, il continue lui-même à vivre dans
de
la suite
du drame. Sans qu'il soit nécessaire de nous souvenir d'une manière détaillée de l'influence que tel ou
épisode a pu avoir sur
tel
l'action intérieure, ceX épisode
être
un des éléments
le
développement de
continue cependant à
constitutifs de l'action, et
ne cessons jamais de sentir
nous
a joué et
le rcMe qu'il
conséquences se prolongent, en se rami-
dont
les
fiant,
jusqu'à la conclusion du drame. Dans la vie,
ce fut
un moment qui exerça une influence une
pour toutes déterminée
miné qui «
le
:
c'est
donc un thème déter-
rappellera désormais dans la symphonie.
sommes
Grâce à ces thèmes mélodiques, nous
initiés
d'une façon constante aux secrets les plus
profonds de l'intention
nous qu'elle se réalise rien, le souvenir
poétique,
» (1).
de ce
«
An
Dans
et le
c'est
diesen melodischen
le
devant
drame wagné-
qui précède et
timent de ce qui doit suivre, (1)
fois
passé et
le l'
pressen-
avenir, pla-
Momenteu werden wir zu
steten MitwisserndertiefstenGehelmnisse der dichterischen
Absicht, zu unmittelbaren
wirklichung.
«
Theilnehmern an
deren Ver-
LE DRAME WAGNÉRTEN.
208 lient
constamment sur
pendant
l'action
déroule sur la scène. Mais revenons à Si l'on
tende
le
qu'elle se
la
Walkyrie.
ne connaît pas VOr du Rhin et qu'on en-
premier acte de
la
Walkyrie^ on ne pourra
Wotan
jamais se douter que l'ombre de
s'étend sur
on y verra uniquement une scène d'amour, que beaucoup de personnes jugeront, et
toute cette scène
;
alors avec raison, être d'une immoralité outrageante;
premier drame, on a tout
tandis que
si l'on
de suite
pressentiment que tout ce qui se passe
le
connaît
le
maintenant doit être l'œuvre de Wotan, lui,
et
que
c'est
qui cherche à étouffer la voix de sa
"Wotan,
conscience et à se tromper lui-même sur ce qu'il y a
de criminel dans cet amour entre frère sans cesse,
la
musique accentue en nous
et
sœur. Et,
ce pressen-
timent, et nous remplit d'angoisse jusqu'à ce qu'enfin ;
la
grande scène entre Fricka
Wotan vienne
et
nous révéler avec précision, quand Fricka
Wotan
:
«
Toi seul tu
voyons Wotan en
les
prédominer,
—
Ici
et
donc
l'âpreté
que nous
c'est la parole qui doit
soudaine du lyrisme
du second, nous donne
une secousse semblable à celle que ressent Wotan.
Wotan veut dominer le
règne de
le
monde,
la « moralité »,
mais toute puissance
à
une solution autre qu'une
et cette transition
du premier acte à
»,
dit
avec lui-même et acculé à
lutte
l'impossibilité de trouver
solution tragique.
excitas
tout
—
compte y établir au sens suprême du mot; et
et toute loi
il
ne peuvent avoir en
dernier ressort qu'une origine criminelle, caria seule vraie morale
—
et
il
ne s'agit pas
ici
de la morale
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
—
conventionnelle
l'amour (voir
est
Epître aux Corinthiens^ chap. XIII),
la
209
première
celui-là seul
et
qui a maudit l'amour, peut acquérir la puissance.
Wotan, cependant, cherche à ce sujet, car
se
tromper lui-même à
est conscient de la
il
noblesse de ses intentions
:
«
pureté et de la
Mon courage ambi-
tionne la puissance..., mais je ne voulus pas pourtant
répudier l'amour
»
cette contradiction: «
ma
voilà où aspire cre «
entend
il
;
»
il
;
Siegmund «
so
un héros
est réellement
et Sieglinde n'est
Was
fut,
voudrait se convain-
hors de toute protection divine
entre
triompher de
Ce qui jamais encore ne
pensée
que Siegmund
même
libre,
que l'amour
», et
pas criminel.
Schlimmes
schuf das Paar, das liebend einte der Lenz
?
» (1)
Mais, dans son dialogue avec Fricka,
de se rendre à l'évidence
me tromper moi-même remarquer que entre
c'est
Siegmund
il
est forcé
usé de ruse pour
Et qu'on prenne soin de
»
!
:
« J'ai
précisément l'amour tragique
et Sieglinde, qui
nous montre jus-
Wotan les désirs contradicdans son âme et c'est là, au point
qu'où ont déjà conduit toires qui s'agitent
;
de vue dramatique, ce qui avait motivé les couleurs ardentes de la musique au premier acte.
(1) «
Quoi de
l'amour a unis
si
le
mal
—
ont-ils
printemps
?
donc
fait,
—
ceux que dans
» 12.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
210
« in eig'ner Fessel
fing ich micli
:
—
ich unfreiester Aller
!
»
—
(1).
Ce n'est que maintenant que nous nous rendons
compte de tout ce gique dans ce
qu'il
y a de profondément tra-
conflit qui déchire l'àme
de Wotan; et
après que notre cœur a été souverainement la
première scène,
et
ému par
que, par la seconde, notre
raison a été pleinement convaincue, nous atteignons alors le premier point culminant
du drame, dans
grande scène avec Bruennhilde, d'abord dans
le
domaine de
la raison
senter à lui-même sa grande
«
Wotan,
oti
la
resté
pour se repré-
pensée
»,
descend
ensuite peu à peu dans les profondeurs les plus
cachées de son âme, pour aboutir enfin à prendre résolution du renoncement absolu. la
musique
est
Ici, la
la
marche de
vraiment très intéressante à suivre
tout d'abord « elle s'efface et se
soumet à toutes
;
les
exigences de la pensée, de façon à laisser percevoir très distinctement toutes les paroles
développe peu à peu,
elle
»
;
puis elle se
augmente d'instant en
instant sa force expressive,jusqu'à finir par s'affirmer
comme
étant la révélation toute-puissante de tout ce
que les paroles ne sauraient pas
d'((
action
»
dire.
dans cette merveilleuse scène, où, par
une lente progression, toutes Dans mes propres entraves moins libre de tous! »
(1) «
le
Ceux qui ne voient
les facultés
de l'homme
— je me suis pris — moi, :
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
211
sont mises à contribution pour arriver à créer une
impression d'ensemble qui soulève
— ceux qui trouvent
l'être,
qui précède et ce qui
deux
êtres qui se
drame wagnérien
intention.
dramatique
«
sous prétexte que là
donnent des baisers,
êtres qui se battent, le
suit,
plus
emporte tout
et
et ici
— ceux-là peuvent n'est
ya
deux
se dire
que
je viens d'in-
diquer, la musique, pendant tout le reste
au
il
décidément pas créé à leur
— A partir du moment que
acte, se maintient
» ce
même
du second
niveau. Car la résolution
que prend Bruennhilde, lorsqu'elle vient annoncer à Siegmund sa mort, n'est que la contre-partie de celle que venait de prendre Wotan dans dente agit,
;
scène précé-
la
Wotan
bien encore la volonté de
c'est
mais conduite par l'amour,
pensée: «la pensée que, moi,
mais seulement sentie
et
je
qui
non plus par
n'ai
la
pas pensée,
».
wie mein eig'ner Rath nur das Eine mir rieth — zu lieben was du geliebt. »
«
Il
est évident
que seule
la
—
(1)
musique pouvait expri-
mer des mouvements de l'âme aussi profonds. — Au début du troisième acte, nous avons de nouveau une scène épisodique, qui nous montre encore une fois
un
fait
ses
s'accomplissant parce que
filles,
les
Wotan
l'a
voulu
Walkyries, conduisent des héros à
:
la
Walhalla. (1)
Gomme ma propre réflexion
«
chose
:
—
aimer ce que tu aimas.
— ne me »
conseilla qu'une
LE DRAME WAGNÉRIEN.
212
dass stark
«
zum
Streit
uns faende der Feind, hiess ich eiich Helden
Il
que depuis
est vrai
Wotan
mir schaffen
» (1)
prononça ces paroles,
qu'il
déjà accompli l'acte de renoncement, et
a
qu'il s'est écrié «
:
Eines nur will ich noch,
das Ende... das Ende
Mais
ici,
sur
le
!
(2).
rocher
Walkyries,
des
l'acte
qu'avait voulu sa volonté doit s'accomplir; et ce qui se
déroule sous nos yeux, ce n'est autre chose que
complissement de
la «
ne faisons que voir
musique
pensée
et
»
de Wotan.
nous
Mais combien
entendre.
du second
est différente de celle
Ici,
l'ac-
acte
!
la
Le
langage parlé n'existe pour ainsi dire plus du tout, et
dès lors la musique ne peut exprimer que des
sentiments d'un ordre tout à rence est à peu près la
fait
même
entre le fait de contempler
général.
que
La
ditTé-
celle qui existe
un paysage
et celui
de
chercher à pénétrer jusqu'au plus profond d'un re-
gard humain.
—
La dernière grande scène,
nous montre Wotan
et
celle qui
son second moi vis-à-vis l'un
de l'autre, a un caractère tout particulier en ce qui
concerne
{!)
le
rapport entre la musique et la parole.
Afin que puissants pour la lutte
nemi, (2) «
— je
vous ordonnai de
Je ne
me
—
nous trouvât
l'en-
créer des héros.
veux plus qu'une chose,
— la
fin
—
la fin!
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
On a
l'impression presque
chaque instant
se pénétrer
213
enivrante de les voir à
mutuellement de plus en
plus, car le rapport qui les lie varie d'une façon
mais
grande
constante
;
difficulté
de cette scène, que Liszt lui-même jugea
c'est là ce qui constitue la
tout d'abord incompréhensible. Par contre, c'est là aussi le secret de l'impression extraordinaire qu'elle
produit, lorsqu'elle est bien interprétée. Dans une lettre
adressée à Liszt,
pleinement plus
la
Wagner
pour
«
une déclamation qui
intelligente,
être
scène exige la déclamation
saisie, cette
même temps
a dit que
la plus discrète et la plus
en
soit
approfondie
».
C'est qu'ici, en effet, la parole et le son musical for-
ment que,
si
bien un seul organisme, un tout inséparable,
même
si
l'intensité relative de l'un et
varie à chaque instant, tous
deux n'en restent pas
moins indissolublement
l'un à l'autre.
la
pensée a
liés
les
émotions,
même
gagner toute
;
comme inversement pour
les plus
indicibles, l'intelligence fit
A peine
reçu son expression, qu'elle se ré-
t-elle
sout aussitôt en émotion
'
de l'autre
la série
profondes
et les plus
— grâce à la lucidité que
lui
des situations ayant précédé,
— trouve sans effort les simples paroles que ces émotions comportent. Et
qu'une pareille scène ce
drame
:
pour que
se fondre en
qu'elles se et
une
il
est facile
n'ait la
de comprendre
pu avoir lieu plus
pensée
telle unité,
et l'émotion il
était
tôt
dans
pussent
indispensable
fussent auparavant définies, délimitées
déterminées avec une précision absolue.
On peut
dire
—
sous certaines réserves
—
des
LE DRAME WAGNÉRIEN.
214
deux premiers actes de Siegfried^
qu'ils
forment de
nouveau un grand « épisode », et dans ce sens on peut les comparer au premier acte de la Walkyrie. Toutefois, ce qui les caractérise, c'est que le
Wotan, apparaît dans chacun de ces deux
héros, actes,
vrai
en contemplateur
pler, et
non pas pour
:
—
agir. »
«
—
Je viens pour contemIl
en résulte que
l'épi-
sode se trouve rattaché d'une manière intime à tion principale. Le dialogue entre
nous montre avec
Mime
et
la dernière évidence à quel point
la situation entière est l'œuvre
même
Wotan
l'ac-
de la rencontre de
du dieu;
Wotan avec
il
en est de
Alberich, qui
nous baisse d'une façon poignante l'impression que tous les événements auxquels nous assistons n'acquièrent leur signification pleine et entière que par
rapport à l'âme de Wotan. C'était là
par lequel cet «"épisode
»
le seul
moyen
pouvait servir à préparer
le
troisième acte, où le vrai drame atteint son second
point culminant, dans la scène entre et c'était là la raison d'être
Qu'on
me
Wotan
et Erda;
des deux premiers actes.
permette de signaler en passant
le
parallélisme parfait qu'il y a entre la structure de Siegfried et
celle
de
la
Walkyrie
:
dans
les
deux
y a d'abord un long « épisode «, et cet épisode conduit à une crise décisive dans l'âme de
drames
Wotan.
il
Cette
série d'événements,
augmentée dès
Wotan, vient aboutir à conduit aussi chez elle à une crise et
lors de la nouvelle action de
Bruennhilde, et
à une action décisives. C'est la contradiction entre l'action de
Wotan
et celle
de Bruennhilde qui cons-
215
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. titue la péripétie
d'où découle toute une nouvelle
suite d'événements.
Ce parallélisme dans traîne nécessairement
l'emploi
et
dans
d'expression. Mais
conception poétique en-
la
un certain parallélisme dans
la succession des
faut
il
modes
divers
remarquer que
l'épisode,
dans Siegfried, est tellement différent par sa nature de celui de
la
Walkyrk^
entre cet épisode et le et
d'une importance
la
combinaison des
sion qu'utilise le difiée. Il faut
et surtout
drame de Wotan
si
trois
drame
la vision
Enfin,
comme
est si intime
doit s'en trouver toute
mo-
observer avant tout que cet épisode
comme un
doit jouer ici le
drame
l'était celui
rôle
il
considérable.
s'est enrichi
Walkyrie^ la musique dispose
ici
de
en résulte
est plus avancé, et
trésor d'expression musicale la
rapport
grands éléments d'expres-
Walkyrie, mais de l'ordre épique,
que
le
considérable, que forcément
n'étant pas de l'ordre lyrique, la
que
que
le
de toute
de ressources
bien plus abondantes, ce qui lui permet
— quelque
paradoxal que cela puisse paraître au premier abord,
— de
s'exprimer d'une façon plus discrète, car
le
sens de chacune de ses phrases étant maintenant
bien nettement déterminé,
elle
peut exprimer d'une
façon plus concise les sentiments les plus compliqués et les plus indéfinissables,
dont
la signification
dans
drame n'en est pas moins d'une rigoureuse précision. Une conséquence directe de cette possibilité,
ce
c'est la grâce infinie et
toute la
musique ayant
Texquise légèreté qu'atteint trait
au jeune Siegfried, mu-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
216
sique qui s'unit sans effort aux vers du poète, tout
comme
en paraissant voltiger
Wotan
des paroles. L'âme de
monie avec tout avec calme, et
en se jouant autour est en parfaite har-
ce qui se passe sur la scène
le
cœur rempli d'une
c'est
:
joie auguste,
contemple l'enfant plein de gaieté,
et les nains
envieux. Ce qu'il contemple, et ce qu'il
est^ c'est ici
qu'il
au fond identiquement
même
la
chose
—
!
Il
est
donc tout naturel que nous trouvions dans ces deux premiers actes un équilibre parfait entre éléments d'expression
:
la
les divers
la parole
vision,
et la
musique. Chacun de ces éléments conserve bien son caractère distinctif, mais aucun d'eux ne prédomine
d'une façon spéciale. Leur ensemble en acquiert un caractère d'harmonie très simple, et calme, et claire, et
pondérée, qui donne à ces deux premiers actes
un cachet tout et
particulier dans l'œuvre de
Wagner,
qu'on ne saurait peut-être mieux qualifier, en
effet,
que par
le
mot:
«
classique
».
Mais dès les pre-
mières mesures de l'introduction au troisième
nous
voici transportés
Puisque c'est
acte,
dans un tout autre monde.
la véritable action est l'action
intérieure,
toujours la musique qui en sera la propre révé-
latrice, et elle est
d'expression
donc
ici
sans restriction
le
mode
plus puissant. Yoilà pourquoi elle
le
éclate triomphante, dès
que Wotan
agit,
au lieu de
continuer à contempler, et dès qu'il renonce solen-
nellement à sa
donner
le
«
pensée
monde avec
»,
à son rêve, pour
«
aban-
délices à l'éternelle Jeunesse »
;
voilà pourquoi elle continue à être l'élément prédo-
.
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
2l7
minant, lorsque Wotan, redoutant tout à coup les
entraînements de son propre cœur, symbolisé par Bruennhilde, tente de barrer à cent »
le
et voilà
chemin qui conduit à
pourquoi enfin
«
Bruennhilde
cette
a encore
elle
adoles-
l'éternel
grand
le
;
rôle,
lorsque Bruennhilde, domptée par la folle impétuosité
de Siegfried, rejette loin d'elle toute sa
divine
science
«
»
Goetter-Daemm'rung,
«
dunkle herauf
NacM
!
der Vernichtung,
neble herein!
» (1)
Ces paroles finales de Siegfried indiquent avec précision
le
sens de ce qui va suivre. Tout
puscule des Dieux n'est que
immense
seule et
apparaisse pas,
drame dans
il
serait faux de dire
Wotan
est encore
Siegfried. D'ailleurs
ici,
Bruennhilde, qui est disparition de
ou
le
les
c'est le
un épisode, le
second moi de Wotan,
la «
la
pensée
».
La passion le désir
(1) «
—
A
de
musique
l'exception des quatre scènes
— couvre tout de ton l'anéantissement, — répands tes nuages
Crépuscule des Dieux,
Nuit de
la
scène entraîne
— l'amour, la haine, l'envie, la vengeance, — et voilà aussi pourquoi la seule reste,
seule subsiste.
premier
personnage principal. Mais de
le
deux premiers actes de
Wotan lui-même de
elle la disparition
n'y
que dans
sens où nous avons ainsi appelé
acte de la Walkyrie^
avec
drame
Cré-
déroulement d'une
catastrophe. Quoique
total ce dernier
le
le
le
!
13
où
ombre »
!
LE DRAME WAGNÉRIEN.
218
Ton nous dant
Wotan
décrit
la fin », et
où
«
muet
et solennel, et atten-
la parole est
appelée à préciser
l'image évoquée à nos yeux, on peut dire que tout
Crépuscule des Dieux est une symphonie
le
nous montre
,
qui
de l'anéantissement envelop-
la nuit
pant de ses nuages toujours plus sombres l'âme de
Wotan. J'ai
parlé au début de cette étude sur l Anneau du
Nibelung des deux poèmes qu'imagina successive-
ment Wagner sur une observation ici
à ce sujet
:
ces légendes des Eddas.
qu'il est
Dans
le
Il
y a
de toute nécessité de faire
Crépuscule des Dieux, à l'ex-
ception des quatre scènes dont je viens de parler tout à l'heure
—
scènes des Nornes, de Wal-
les
traute,
d'Alberich,
poème
est
et la
scène de la
fin
— tout
le
emprunté textuellement à la première esquisse, qui date, je le rappelle, de Tannée 1848. Ainsi le drame final de l'Anneau du Nibelung est donc, pour les paroles, de la première période artis-
du maître, tandis que
tique
les trois autres
drames
de la tétralogie datent de l'époque de pleine conscience. Par
Dieux
contre,
la
musique du Crépuscule
des
œuvre de Wagner;
ne
est l'avant-dernière
elle
commencée que plus de vingt ans après l'achèvement du poème Et il faut bien reconnaître que cette unité entre les paroles et la musique que nous pou-
fut
!
vons
constater
dans Tristan
Maîtres- C hauteurs
^
dans
et
Parsifal,
et
trois
premières parties elles-mêmes de
gie,
elle
n'existe
nullement
ici,
dans
Isolde^
dans
le
dans la
les
les
tétralo-
Crépuscule
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
pour
des Dieux^ sauf toujours
les quatre
219
scènes con-
cernant directement Wotan, et qui du reste, pour cette raison, se distinguent à les autres.
Mais
le
fait
première vue de toutes
même
que Wagner se
soit
contenté de l'ancien poème, et n'ait pas jugé utile
un nouveau, n'est-il pas une preuve concluante du peu d'importance qu'il attachait aux paroles de ce drame final, et une preuve que nous d'en écrire
avons raison de voir dans
le
Crépuscule des Dieux
une immense symphonie ? Tout en ayant un point de départ diamétralement opposé à celui de Beethoven,
Wagner
se rencontre ici avec lui, avec le
Beethoven
des plus grandes œuvres, où la musique atteint à
une
limite
où
chez Wagner,
elle
devient du drame, tandis qu'ici,
drame
le
atteint à
une
limite
où tout
:
raison, entendement, parole, vision, se fond entière-
ment en musique. Et voilà pourquoi Wagner a pu conserver le poème primitif; et l'on peut dire des paroles dans
le
Crépuscule des Dieux ce que
Wagner
lui-même a dit de la Missa solemnis de Beethoven « Le texte ne doit pas être compris dans son sens :
immédiat,
pour
la
il
n'est utilisé
que comme base d'appui
voix humaine, et au point de vue du sens
il
n'a pour but que de réveiller les impressions que
produisent en nous les symboles bien connus. pourrait d'ailleurs dire exactement la
du
rôle de la vision
même
symphonie ne
grand drame ne
chose
dans tout ce dernier drame.
Ce qu'il faut bien remarquer cependant, cette
On
»
c'est
serait pas possible, si
l'avait
—
que
tout le
précédée. C'est seulement
LE DRAME WAGNERIEN.
220
maintenant, quand l'action a
manière absolue à
reléguée d'une
été
l'intérieur, et
que
le
héros ne
paraît plus sur la scène, parce que sa seule vue suffila
contem-
plation de l'âme incommensurable où nous
sommes
rait à
nous troubler, en nous arrachant à
désormais tout à maintenant,
que
fait
la
plongés,
—
c'est
seulement
musique devient absolument
toute-puissante. Et, même chez
Wagner, nous ne rencontrerons nulle part ailleurs une émancipation de la musique aussi complète que nous la pouvons trouver «
ici.
On
voit à quelle notion nouvelle sur
musique absolue
»
rien. Ce n'est plus
nous conduit la
le
une
drame wagné-
musique absolue dont nos
esthéticiens disent orgueilleusement qu'elle ne peut
jamais, de quelque façon que ce
mais
c'est
au contraire
la
soit,
rien exprimer;
musique qui
drame, à exprimer absolument
arrive, par le
tout.
*
Par suite de la manière dont on nos scènes d'opéra,
le
représente sur
l'Anneau du Nibelung est une
œuvre absolument incomprise
et
méconnue, aussi
bien par presque tous ceux qui l'admirent, que par tous ceux
qui
la
dénigrent.
Puisse cette rapide
esquisse aider à faire désirer de la mieux connaître et
de la mieux comprendre.
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848
221
PARSIFAL
De tous
les
drames de Wagner, Parsifal
dont la structure est tion est
Dès le début,
la plus claire.
résumée en une seule phrase
passion,
un
«
simple
»
acquerra
le
par
:
savoir
«
complira l'œuvre de la rédemption
(1)
est celui
(1).
Les premiers poèmes connus qui ont
la
l'ac-
com-
», et
ac-
Cette phrase
trait à la
légende
de Parsifal et du Saint-Graal sont de langue française. Mais
en France
le
souvenir de ces légendes paraît s'être à peu
près effacé, ainsi que les notions elles-mêmes qui
maient
la
raduction de l'expression notions, les
«
der reine Tbor
mots ont disparu. Ainsi
çais caractérisaient Parsifal par le
respond littéralement il
le
les
mot
mot allemand
:
:
»,
âge qui comprennent ce
forcé de traduire « der reine « le
pur et
« simple »,
for-
fol
»,
etc. J'ai
parce que ce
Thor
choisi
mot
mot »
de
:
car, avec les
vieux poètes fran-
auquel cor-
nicelot,
Thor. Aujourd'hui,
n'y a guère que les personnes versées dans la
moyen
en
base; voilà ce qui rend presque impossible toute
litté
nicelot
;
rature du
et
on
est
par « le pur simple traduire «
Thor
»
»,
par
sert encore dans plusieurs pro-
vinces françaises à désigner à peu près ce qu'on entendait
LE DRAME WAGNÉRIEN.
222 indique
même
avec précision
des trois actes {(
simple
«
savoir
le
:
dans
le
est excitée
»
;
premier, la compassion du
dans
le
par la compassion
»,
contenu de chacun
le
;
second, et
dans
il
acquiert le
le
troisième,
héros, compatissant, ayant acquis le « savoir
»,
accomplit l'œuvre de rédemption.
Pour ce qui
est
du célèbre poème épique Pars? ?;«/,
de Wolfram von Es ch nbach, on peut affirmer qu'il a surtout été utile à
Wagner en
lui
évitant d'avoir à
donner de nombreuses explications sur
C'est ce
légende,
que son auditeur en con-
puisqu'il pouvait supposer naissait les traits
la
généraux
et le
caractère principal.
que nous avons déjà constaté pour Tristan mais
et Isolde;
pant, car
cas est encore bien plus frap-
ici, le
n'y a presque aucune connexité entre
il
drame de Wagner et la légende d'où s'en rendra compte d'autant mieux
il
l'a tiré.
le
On
qu'on ne se
contentera pas d'une simple comparaison des deux
œuvres entre
elles
;
mais qu'on se donnera aussi
la
peine de rechercher les influences poétiques qui ont conduit
Ce
le
maître à écrire son Parsifal.
au premier
qui,
coup d'œil
,
distingue du
poème épique de W^olfram von Eschenbach le drame de Wagner, c'est que le « Saint-Graal » en constitue le point central,
—
le
Graal et tout ce qui
l'entoure, c'est-à-dire le roi, eu proie à des tortures
physiques
et
morales, et les chevaliers, qu'envahit
autrefois par « nicelot » d'y rattacher
;
mais
constamment
tique qu'il comporte.
le lecteur
tout le sens
le
ne doit pas oublier profondément poé-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. désespoir. Tout d'abord, nous
d'Amfortas
souffrances
sommes témoins
ensuite,
;
d'une façon explicite ce qu'est
223
le
nous apprenons
comme
Graal, (ou,
cheva-
dit Parsifal, qui est le Graal), quels sont ses liers,
des
quels sont ses ennemis, et quelle lutte est en-
gagée entre
les
uns
et les autres; et ce n'est
que toute notre attention a
qu'après
été concentrée sur le
comprenons avec quelle impatience on attend la venue du rédempteur promis, que Parsifal apparaît. Et au cours du drame, nous Saint-Graal, et lorsque nous
n'apercevons
le
héros qu'aux trois
vie qui sont décisifs
pour
L'épopée, par contre,
le sort
du
moments de
sa
Saint-Graal. —
commence par un récit
détaillé
de la jeunesse de Parsifal, de ses aventures, de son
mariage
et lorsque enfin le
;
héros arrive au burg du
Graal, le récit de tout ce qui s'y passe et la description des souffrances sait
du
roi sont
si
confus, qu'on ne
jamais bien au juste où l'auteur veut en venir.
Ce n'est qu'au quatorze vers, qu'il
commence
core nous dit-il qu'elle
nomme poème
«
soixante-douzième
du Graal, et ensimplement que c'est « une pierre »,
doit être
à nous parler
de grande valeur
»,
et
qu'on la
La plus grande partie du ensuite consacrée au récit des nombreuses
« lapis
est
mille
exilis ».
aventures chevaleresques qui
conduisent Parsifal
jusqu'à la cour du roi Arthur.
Ces aventures rem-
plissent le
temps
très long qui s'écoule jusqu'au jour
où Parsifal se retrouve enfin au burg du Graal, il
guérit Amfortas en lui posant la question
oncle, qu'avez-vous ?»
:
et «
— On voit donc qu'au fond
où
Mon il
ya
LE DRAME ^YAGNÉRIEN.
224
bien peu de parenté entre les deux poèmes
;
et
il
était
bonde se débarrasser l'esprit dès le début de toute idée préconçue d'une prétendue
«
dramatisation» de l'épo-
pée de Wolfram, car cela ne peut que nuire à
la
préhension du drame de Wagner,
si clair.
simple et
si
Ce qui, par contre, présente un réel intérêt, de
qui
constater les liens
comc'est
unissent Parsifal diux
autres drames du maître, non seulement à Jésus de
Nazareth^ et aux tout à V Anneau
Vainqueurs^
du Nihelung
mais encore
et sur-
et à Tristan et Isolde.
Ce
point est d'autant plus important à préciser, qu'on a
souvent prétendu que Parsifal occupe une position isolée
dans l'œuvre de W^agner, que
mis en dehors des limites de
là le
l'art, etc. 11
poème
s'est
n'est pas né-
cessaire d'exposer en détail les traits de caractère qu'il le
peut y avoir en
commun entre
Rédempteur, ou Ananda
le
Parsifal et Jésus
pur, daAs
queurs. Ils sont de toute évidence. Et
il
les
Vai?i-
est d'ailleurs
bien plus intéressant pour la compréhension exacte
de Parsifal, d'examiner ce qui rattache ce r Anneau
du Nibelung
Ce qui constitue et Isolde, c'est
la
première
que
fois
ainsi qu'à Tristan et Isolde.
qui unit Parsifal à Tristan
le lien
la figure
dessus quelques détails
de Tristan
de Parsifal apparut pour
au poète pendant
qu'il travaillait à
Wolzogen nous donne
Tristan et Isolde. M. de
du Saint-Graal,
:
«
dit-il, devait,
et Isolde, arriver
se tordait
là-
Parsifal, à la recherche
dans
le
troisième acte
en pèlerin à Karéol, pen-
dant que Tristan, en proie à toutes l'amour,
drame à
les tortures
désespérément sur son
lit
de de
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. mort. » Et
que Wagner avait déjà noté
paraît
il
22d
mélodie de Parsifal,
pèlerin, qui répondait
ht
la
aux
plaintes désespérées de Tristan niant la vie et de-
mandant
le
pourquoi de
La
l'être.
figure de Parsifal
comme contraste à celle de Tristan. Et en 1856, Wagner disait à Liszt « Il vous faudra d'abord avoir compris mon Tristan^ et vous
fut
donc d'abord imaginée
:
comprendrez ensuite bien mieux
les
Vainqueurs.
»
Ces mots prouvent à quel point l'idée de mettre à la
scène
le saint, la
ment,
jaillit
déjà conçu
rédemption parfaite,
directement de ce
drame du
le
fait
que
désir et
renonce-
le
poète avait
le
de la mort par
La première esquisse de Parsifal, nous dit M. Tappert, se terminait par un chœur, où ces paroles l'amour.
devaient se faire entendre Gross
«
ist
Groesser
Mais
der Zauber des Begehrens, Kraft des Entsagens.
ist die
ne faut pas oublier que
il
et Isolde «
:
est
le
lui-même, ainsi que
ce
dit
l'a
».
complémentaire qui a inspiré Parsifal.
parenté indirecte Parsifal
(1)
;
mais
il
Il
de l'Anneau
Or, c'est cette partie
la
y a donc
entre
première conception là déjà
V Anneau
comme une
du Nibelung
y en a encore une autre,
« Puissante est la
sante, la force
W^agner,
qui concerne les figures de
Siegfried et de Bruennhilde
du héros
(1)
drame de Tristan
comme une sorte d'acte complémentaire
du Nibelung^ pour
»
magie du désir;
du renoncement.
—
et
et
bien
mais plus puis-
» 13.
LE DRAME WAGNÉRIEN.
226
plus profonde, qui ne concere pas tant la figure
héros que
Ce
conception fondamentale du drame.
constitue cette parenté, c'est que, dans
qui
l'idée
que
la
de Wagner,
le
du
Saint-Graal ce n'est autre chose
« le
Trésor des Nibelungs idéalisé»
légende est pour
lui
(II,
une forme moderne
et
de l'ancienne légende de l'Or du Rhin. fait inutile
de discuter
cette idée est justifiée,
importe de savoir, lorsqu'en 1848
drame sur
le
il
ici
ou
c'est
sur
si elle
que
194). Cette
chrétienne
Il
est tout à
le
point de savoir
ne
l'est
si
pas; ce qu'il
poète l'avait déjà
le
ébaucha sa première esquisse d'un
mythe des Nibelungs. Ce
fait suffît
à lui
seul à démontrer au lecteur la réalité et l'importance
du rapport qui
Parsifal à V Anneau du Nibelung.
lie
Entreprendre de
le
démontrer autrement, c'est-à-
dire par des séries de
rapprochements entre
drames, ce serait bien long,
les
deux
cela n'entraînerait
et
d'ailleurs pas sans doute aussi facilement la conviction,
que
suffît
à le faire la connaissance du fait que
je viens de signaler.
dans
la
On comprend maintenant que
pensée du poète, Pa?'sifal fut
directe de V Anneau
la
continuation
du Nibelung^ ou plutôt une œuvre
strictement parallèle
à
celle-ci,
qu'elle lui était antithétique. Et
il
en ne
même
s'agit
temps
pas
coïncidences fortuites, ni d'interprétations forcées
maître a rendu lui-même
si
de
ici :
le
indubitable son intention
d'un parallélisme dans l'antithèse, qu'on ne peut s'étonner que d'une chose, c'est qu'un fait aussi significatif ait
que
pu passer inaperçu
l'Or (l'anneau) est le
jusqu'ici.
De
même
centre du premier drame,
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
même
de
Graal est
le
lui-même
l'a dit
maintenant
la
:
«
le
centre du second.
227
Wagner
La recherche du Graal remplace
lutte
pour l'Or
». Il
a aussi ajouté
:
La voix qui sort du tombeau de Titurel n'est autre que la voix de Wotan, chez qui s'est brisée la volonté «
de vivre. hilde
sur
Pour montrer
»
et
Kundry
(qui,
le
parallélisme entre Bruenn-
elle
aussi, traverse les airs
un cheval magique), Wagner a forgé pour
ci le
nom
celle-
On
de Gundryggia, qui signifie Walkyrie.
pourrait multiplier ces exemples de parité dans des détails caractéristiques. Et tandis
que Parsifal arrivant
à Karéol près de Tristan mourant, ne nous aurait
l'homme plein de compassion, du renonciateur, et de l'homme tourmenté par le désir et mourant d'amour, le drame àQ Parsifal opposé au drame de V Anneau du Nibelung^ nous montre toute une conception du monde opposée aune fourni que
le
contraste de
autre conception du monde. Je ne le
me sens
nullement
goût d'exposer d'une manière plus détaillée ce que
je viens d'indiquer ici
brièvement; d'ailleurs la seule
chose indispensable est de connaître l'intention du poète, car
il
n'y a besoin de rien de plus pour aider
à l'intelligence des deux œuvres.
' -
'
Ce qu'il y a de très curieux à remarquer, c'est la manière dont Wagner a réalisé son intention dramatique. Parsifal se distingue profondément deTristan etisolde et
de V Anneau du Nibelmig
;
il
de vue de la structure, qu'avec
n'a d'affinité, au point les
Maîtres-Chanteurs.
,
LE DRAME WAGNÉRIEN.
228 déjà
J'ai
observer que toute la situation nous
fait
est indiquée de la façon la plus explicite avant
que nous apercevions Parsifal héros apparaît,
ne
il
domaine du Graal
le
même quand
n'intervient
vouloir qu'il est entré dans
le ;
il
et
après avoir prononcé les
quelques paroles qui le caractérisent comme il
devient pour
le
le
cours des événements. C'est
le
savoir et sans
le
et,
fait qu'être là, et
d'aucune façon dans sans
;
même
reste
du premier
acte
«
simple
»
un specta-
muet de ce qui se passe devant lui. Parsifal commence donc par où Wotan avait fini, par la con-
teur
templation
et
:
il
finira
par
l'action.
Mais ce rapport
entre la contemplation et l'action, qui est la caractéristique
du drame pris dans son ensemble,
se pré-
sente ainsi, non seulement pour l'ensemble du drame,
mais encore pour chaque acte en particulier. Chaque fois nous sommes d'abord mis en présence d'une situation qui s'est créée tout à fait en dehors de Parsifal, et
même
dont ce héros ignore
est alors conduit
par
le sort,
l'existence;
il
y à son insu, et jusque-là
son rôle est donc entièrement passif;
et ce n'est enfin
qu'après avoir subi l'impression qui doit se dégager
de ces situations, que naît en
par laquelle
il
Au premier Parsifal la
acte, lorsque
le
le
il
brise son arc et
le jette loin
comme
l'action dé-
ce qui apparaît
dans cet acte
symbole,
Gurnemanz reproche à
mort du cygne, des larmes viennent aux
lui, et c'est là
cisive
l'émotion intérieure
sera conduit à l'action visible.
yeux du jeune héros, de
lui
;
mais en
symptôme
réalité ce n'est là
que
visible, de l'action intérieure
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
drame
et invisible constituant le véritable
compassion dans l'âme du
la
regard
«
» ([)
«
simple
du cygne mourant qui a
pour
la
première
dans
le
cœur de Tadolescent
fois ce
timent a été excité en
sentiment de et,
;
lui, le
229 l'éveil
:
de
C'est le
».
fait naître
compassion
la
aussitôt que ce sen-
voici
devenu
le
témoin
de souffrances bien autrement cruelles que celles du
cygne
« l'affreuse
:
détresse des chevaliers
tourments d'Amfortas,
» (2), les
les plaintes deTiturel,
voix sort du tombeau pour supplier laisse pas mourir, sans l'assistance
«
dont
qu'on ne
du Sauveur
»
;
la le
et,
par-dessus tout, l'angoisse qui s'empare des cœurs en
présence de«
1'
objet sacré», le Graal, centre de toute
l'action, et qui apparaît
et
comme
sons
le
«orphelin».
maintenant
délaissé
— Au second acte nous saisis-
sens dramatique de toutes ces scènes aux-
quelles Parsifal avait assisté en L'acte
comme
commence de nouveau,
partie qu'on pourrait appeler
nous voyons
les
il
spectateur muet. est vrai,
par une
purement descriptive
puissances des ténèbres attirer
:
l'a-
dolescent ingénu dans leur cercle magique et méditer sa perte; nous
le
voyons lui-même s'abandonner sans
méfiance aux caresses des Floramyes (3)
et
aux baisers
du den Blick?» (2) « die Brueder dort in grausen Noethen. » (Ce sont les paroles que prononce Parsifal au second acte, lorsqu'il parle de ce qu'il a vu dans le temple du Saint- Graal.) (1)
«
(3) Il
Sieh'st
est
presque inutile de
faire
remarquer, tant cela est
évident, que
Wagner
que dans
Maîtres-Chanteurs, en y introduisant des chœurs.
les
n'a pas plus dérogé à ses principes ici
LE DRAME WAGNÉRIEN.
230
de Kundry; nous
sommes enfin témoins de l'accomplis-
sement de
qui a une importance décisive, c'est-
l'acte
à-dire de l'acte de Parsifal, repoussant la tentatrice.
Mais la véritable action, c'est la succession des états
d'âme par lesquels passe Parsifal pour acquérir le «savoir
»
et cette action-là se relie de la
;
manière
la plus
intime aux événements du premier acte. Le premier frisson de désir sensuel qui traverse son
cent réveille croit
même
le
cœur inno-
souvenir de la blessure d'Amfortas
;
il
d'abord que c'est aussi sa propre chair et cette
illusion qu'il a eue l'amène à
comprendre que ce
n'est ni d'une blessure de son
qui saigne
;
propre corps, ni de la blessure d'Amfortas,
mais bien du criminel désir
souffre,
dans son cœur
vivre
dans
cœur de
le
et
tous les
douleur qui l'étreint
fait
voit le
a senti
quïl aperçoit maintenant
hommes. Et
voilà
même
que ce n'est
plainte d'Amfortas qu'il entend, mais
Sauveur
qu'il
qu'il
« la
que
plus la
plainte
Bientôt, la nature entière la lui répète
».
monde
l'illusion », car
la
du ;
il
entier « plongé dans les ténèbres de
lui-même a enfin acquis
le «
savoir
».
Son regard désormais voit par delà les mirages de son propre cœur,
Dans
les
deux
collectivité,
et
cas,
du cœur de tous
il
s'agissait de
les êtres
dépeindre
;
l'état
et
il
recon-
d'âme d'une
de décrire une situation générale, qui acquiert une
dramatique par la façon dont le héros réagit vis-à-vis d'elle. Le drame wagnérien exige un nombre depersonnages aussi restreint que possible mais c'est justement signification
;
chœurs,
pour cela que loin de proscrire les un chœur ne forme qu'une seule
et
il
les appelle, car
unique individualité.
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. naît
comme unique but de la vie, dont
de Dieu,
<c
:
mich
aus schuldbefleckten Haenden la «
la plainte
et d'obéir à la voix qui lui crie
erloese, rette
Apporter
«
lamentations se font entendre
les
dans son âme»,
d'écouter
231
!
»
(1).
rédemption au rédempteur
la tâche qu'il doit accomplir.
On
que
voit
la
voilà
»,
compas-
sion pour Amfortas n'a été qu'une chose toute secondaire
mais pour pouvoir accomplir son œuvre de
;
rédemption,
il
manque
à Parsifai
la plénitude
du
«savoir». Ce qu'il ignore encore, ce sont ses ennemis,
Klingsor et Kundry, qui
eux
« qui
sacrée
», et
s'est
révèlent.
Il
apprend par
a pu oser blesser Amfortas avec l'arme
dans quelles mains se trouve maintenant
cette lance sanctifiée
finissent
le lui
même
par
par
lui
le
sang du Seigneur. Et
remettre cette lance.
ils
— On
souvent montré surpris de ce que Parsifai
n'ait
pas eu à conquérir la lance dans un combat héroïque; mais, en faisant ce reproche au poète, on oublie que
dû tout d'abord prendre d'assaut et sans château de Klingsor, et qu'il a mis en fuite
Parsifai a
armes
le
tous les chevaliers qui
le
défendaient. Le héros a
donc donné des preuves suffisantes de puisque sans cette première lutte
pu approcher de fait
la lance.
il
courage,
n'aurait jamais
Mais ce qui réduit tout à
à néant l'objection faite à ce passage du drame,
c'est (1) «
de remarquer que l'action intérieure constiDélivre-moi, sauve-moi
crime !»
— des
mains
souillées par le
LE DRAME WAGNÉRIEN.
232
tuant la fin du second acte est d'une nature gieuse, que tout
prodi-
événement extérieur qui surviendrait
même le plus
alors,
si
héroïque, ne pourrait par compa-
raison que nous sembler mesquin et sans intérêt. Et c'était ce
que
le
poète devait éviter par dessus tout.
Le troisième acte commence, comme
les
deux
autres, par la description d'une situation. — L'action
dramatique se trouvant reportée maintenant tout à fait
à l'intérieur, nous n'apprenons rien sur
innombrables
»
a dû passer pendant les années où
sifal
par
combats
périls, luttes et
monde
le
suffit à
à la recherche
nous dire que cela
nous est donné. De
les
par où Paril
a erré de
du Graal. Un seul vers
fut,
même
«
mais pas un
détail
ne
qu'à la fin du premier
acte Parsifal fut initié à la situation par tout ce qui se passait sous ses yeux, de
même
il
l'est ici
cevant Gurnemanz et en écoutant son résulte
un dernier
et
récit. Il
en
puissant bouleversement inté-
rieur, d'où le héros sort
comme
sanctifié
dernière épreuve, et digne désormais de
prême de
en aper-
par une
l'office
su-
La guérison d'Amfortas et la délivrance du Graal « des mains souillées par le crime », voilà
roi.
l'action
décisive
drame. Mais
ici,
prendre que
la
par laquelle
de nouveau,
il
se termine le
est essentiel de
com-
guérison d'Amfortas n'est qu'un signe
extérieur et visible,
le
symbole, pour ainsi dire, de
la véritable action intérieure.
Amfortas n'a d'impor-
tance qu'en tant qu'il a exercé, sans s'en douter, une influence décisive sur l'évolution tout intérieure qui constitue le drame. Aussi, Parsifal lui dit
:
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
233
Gesegnet sei dein Leiden,
«
das Mitleid's hoechste Kraft
und
Wissens Macht
reinstes
dem zagenThoren Et
cygne, et
le
le
gab. »(l).
baiser de Kundry, et la mort de
Titurel, tout,
au point de vue du drame, n'a
concourir au
— La compassion
cygne, pour
même
but.
simple animal, conduisit à
le
la
sion pour l'homme, et la compassion pour
compassion pour
la
désormais
est
le
le
Sauveur
:
que
pour
le
compas-
l'homme à
« plainte
la
fait
divine
»
ressort de toutes les pensées, de
tous les sentiments, de tous les actes de Parsifal; et
en suivant toujours cette voie
c'est
l'abrupt sentier
dans son cœur
qu'il a
menant au triomphe
le
pu gravir
définitif, et
que
souverain miracle a pu se produire
:
Hoechsten Ileiles Wunder Erloesung dem Erloeser! » (2j. «
Tout «
le
simple
:
drame de »,
Parsifal, c'est cette évolution
qui devient
Vainqueur
le Saint, le
Et c'est là ce qui a nécessité la structure et si
et
dans Tristan
et
Isolde
!
étrange
Dans VAiineau du
intéressante de cette œuvre.
Nibelimg
si
du
^
c'est la
passion du
héros, c'est sa volonté, qui est l'agent moteur et
directeur du drame, tant de l'action extérieure que (1) «
la
Bénie soit ta souffrance
compassion,
—
et la force
!
—
qui les donna au Simple irrésolu. «Miracle du suprême salut
(2)
teur
!
».
car la pleine énergie de
du plus pur
:
savoir,
—
c'est elle
»
—
Rédemption au Rédemp-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
234
de Taction intérieure actes. Mais, seule, la
morale;
la victoire les
les
:
pensées viennent après
contemplation peut conduire à
et c'est
pour
cette raison que,
Maîtres-Chanteurs^ Hans Sachs
comme un
nous
dans
est
montré
esprit porté à la contemplation; à
chaque
son regard s'arrête à considérer
instant,
les
le
monde
qui l'entoure, et c'est ainsi qu'il paradent à voir par delà toutes les illusions, aussi bien par délaies siennes
hommes. Et
propres, que par delà celles des autres
quand, enfin, pour Parsifal,
s'est agi
il
de mettre en
scène la victoire morale sous sa forme la plus absolue,
de montrer
le «
devenir
d'un saint, deux condi-
»
tions devaient primer nettement toutes les autres et
imposer ainsi au drame une forme toute spéciale. fallait tout
d'abord que VimpressionnaMlité fût un
trait distinctif
sensible
;
et
Il
il
du héros
et
fallait aussi
que ce
que
trait
nous fût rendu
la disposition
contem-
plative de ce héros, afin d'acquérir tout son dévelop-
pement, rencontrât des
s?^wa^io?zs
grandeur exceptionnelle, qui qu'au fond le
monde
efi'et
«
ténèbres
des
entier
».
C'est ce
poignantes et d'une
le fissent
plonger jus-
enveloppant d'illusions
que nous trouvons en
dans Par si fal.
Dans
r Anneau
du Nibelung^
la
pensée de Wotan
embrassait pour ainsi dire tous les enchevêtrements
drame émabranches sortent du
de l'action: tout ce qui se passe dans nait de sa volonté,
comme
les
le
tronc de l'arbre. Dans Parsifal^ au contraire, l'action extérieure, et tout ce qui se déroule à nos yeux, enve-
loppe
le
héros de toutes parts.
On nous montre
toute
LES DRAMES POSTERIEURS A 1848.
235
une armée de nobles cœurs accablés de détresse plongés dans
le
désespoir;
et
soudain, voici Parsifal
et,
amené dans ce milieu. Mais comme une grande impresâme,
il
ne
des actes irréfléchis,
et,
sionnabilité est le trait distinctif de son s'élance pas
à accomplir
quoique son cœur saigne,
reste
il
immobile,
car
l'impression de ce qui se passe, ayant envahi tout son être,
paralyse ses forces. Plusieurs fois nous voyons
chez lui l'homme physique aller presque jusqu'à
perdre conscience, tant l'homme intérieur est puis-
samment révèle.
dominé par ce que son regard lui s'ensuit que Parsifal doit facilement en
agité, et
Il
venir à
l'oubli
soi-même,
de
que son
ensuite
et
regard doit acquérir assez d'intensité pour découvrir à travers
le
phénomène
individuel l'arrière-fond
essentiel et universel dont tout n'est jamais
qu'un symptôme. Tous ces
chologiques nous
drame. Dès
le
sont rendus
individuel
détails psy-
sensibles
dans
le
début nous apprenons que Parsifal a
oublié jusqu'à son a-t-il
phénomène
nom,
et jusqu'à sa
mère età peine ;
retrouvé ce dernier souvenir, qu'il
le
perd de
nouveau devant l'impression produite en lui par la scène du Graal cela nous fait comprendre qu'il ;
oublie tout plus tard pour obéir uniquement à la
voix de Dieu qui aura retenti dans son âme. Pour ce qui est de l'intensité avec laquelle
il
pénètre les choses,
nous en avons un exemple frappant au second lorsque naître le
le «
baiser de
regard
»
Kundry
suffit
acte,
à lui faire recon-
qui séduisit Amfortas, et ensuite
lorsque, se souvenant de la scène
du
Graal, ce n'est
LE DRAME WAGNÉRIEN.
236
plus maintenant la plainte d'Amfortas, m^iis la plainte
même du On
Sauveur
qu'il entend.
voit donc, je l'espère,
dans Parsifal, entoure de
lui être
moins
et
subordonnée,
celui qui se passe
n'hésitera pas
que
si l'action
enveloppe le
vrai
extérieure,
héros, au lieu
le
drame n'en
est
pas
dans l'âme de ce héros. On
non plus à reconnaître que
Parsifal est
plus réellement indépendant, et qu'il est moins
le
jouet des événements, que ces personnages de drame
qui agissent
eux-mêmes ou qui
drent l'action, pour se sentir « les
Wotan, fait
finir
moins
tout au
moins engen-
invariablement ensuite par
libres de tous »,
comme
et la volonté brisée, anéantie. C'est que,
même
que toutes
les
dit
par
le
impressions pénètrent chez
Parsifal jusqu'au fond de l'âme, et
que son regard
est si perçant qu'il saisit le sens éternel des choses,
l'homme riiomme
intérieur
triomphe
non
extérieur, mais encore de
seulement
de
toute apparence
En obéissant uniquement à la voix de Parsifal s'élève de beaucoup au-dessus de tous
extérieure.
Dieu,
ceux qui l'entourent
et qui
voilà pourquoi c'est Dieu roi, et qui lui
jusque-là
semblaient agir sur
lui-même qui
le
lui
;
couronne
donne le gouvernement de tous ceux qui
n'avaient vu en
lui
qu'un spectateur, à
peine digne d'attention, de leur propre sort tragique.
Ici
encore, c'est la puissance miraculeuse et indéfi-
nissable de la
musique qui crée une unité organique
a la réunion du
drame proprement
dit et
des tableaux
237
LBS DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
qui l'entourent. Dès l'introduction, nous entendons la solitude, d'où s'élève, toute
frémissement de
« le
tremblante, la plainte de la compassion et del'amour le trouble, la sainte
:
sueur d'angoisse du jardin des
du Gol-
Oliviers, la divine souffrance et les douleurs
Le poète nous ledit donc lui-même c'est souffrance c?imwe qu'il s'agit ici, et non pas
gotha»
(l).
bien de
la
:
de la souffrance de
ou
tel
tel
homme, Amfortas non
plus qu'un autre. Le grand récit de Gurnemanz, au
premier acte, est
écrit
de façon à établir un lien direct
entre plusieurs des autres thèmes principaux de la
symphonie dans fal,
la
et l'histoire de la Passion
scène du Graal,
la
du Sauveur;
simple présence de Parsi-
muet et contemplateur,
aboutit au
même résultat,
puisqu'à travers la plainte d'Amfortas^ plainte
la
divine... C'est ainsi
particulier, acquièrent
et
une
il
entend,
que l'image,
le
lui,
cas
signification universelle,
mots ne sauraient exprimer; et en même temps c'est ainsi que les événements extérieurs se que
les
trouvent unis d'une manière intime à l'action qui se
passe dans l'âme du héros. *
L'action,
(1) «
dans l'âme du héros, aboutit à
la victoire.
aus Schauern der Einsamkeit erbebt die Klage des
liebenden Mitleides
:
das Bangen, derheilige Angstschweiss
des Oelberges, das goettliche Schmerzensleiden des Golgotha. » (Fragments
posthumes, p.
107.)
Ces paroles de
Wagner
sont tirées d'une note explicative qu'il écrivit pour la Parsifal- Ouverture, lors
fut
donnée au
d'une première audition séparée qui en
roi Louis II.
238
LE DRAME WAGNÉRIEN.
J'ai d'ailleurs
déjà plus haut exprimé ce fait dans les
mêmes
termes, car
c'est,
je crois, la façon la plus
simple et la plus concise d'indiquer la chose avec précision. Mais ce fait ayant justement été la cause
d'un grand nombre de malentendus et de critiques sur
inintelligentes
du symbolisme, s'y arrêter
Chanteurs^
un j'ai
le
mysticisme, la religion, l'abus
etc.,
dans Parsifal,
instant.
—
convient de
il
En étudiant
déjà fait remarquer que
les
Maîtres-
le fait
de pou-
voir représenter la victoire sur la scène est dû à l'acceptation de la
musique comme moyen d'expres-
sion dans le drame. Car l'adjonction de ce nouvel
élément aux éléments anciens, genre nouveau, certes égal à
fondeur
et la
fait
du drame un
la tragédie
par
la pro-
grandeur des sentiments qui en for-
ment la matière, mais qui, de plus, permet de terminer le drame par la victoire du héros, au lieu de le terminer invariablement par sa chute. Mais en ce qui concerne
les
Maîtres-Chanteurs^ l'action dans l'âme
de Hans Sachs est est entourée et
si
discrètement indiquée, et
elle
enveloppée d'une action extérieure
si
mouvementée, que peu de spectateurs remarquent la nouveauté de ce genre de dénouement
gaie
par
et si
la victoire. J'ai
souvent eu l'occasion de
vaincre qu'on n'aperçoit les
le
con-
plus généralement dans
Maîtres -Chanteurs qu'une comédie finissant par
un heureux mariage. Mais pour il
me
ce qui est de Parsifal
est impossible de s'en tirer par des constatations
d'une bonhomie
si
converge vers
héros, et le poète-musicien a prodi-
le
élémentaire. Dans ce drame, tout
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848 gué tout son génie à nous décrire
âme, où
elle doit évoluer.
la
même
netteté et la
la défaite
à la
tations,
victoire ressort
même
clarté
donc
décisifs
avec
ici
que présentait
dans V Anneau du Nibelung. Wotan aspirait
puissance
Parsifal,
La
de cette
la vie
moments
ne nous montre qu'aux
qu'il
239
et
à l'amour, et
perd l'un
il
et l'autre.
sans maudire l'amour, résiste à ses tenet
voue sa vie à Dieu, au lieu de chercher
la puissance,
—
et
il
acquiert la puissance et
l'a-
mour.
On peut
affirmer de la façon la plus formelle que,
à considérer purement
drames de
V Anneau
comme œuvres
du Nibelung
et
d'art
de Parsifal,
il
les
n'y
a pas plus de symbolisme, de mysticisme, de religion,
dans celui-ci que dans
celui-là. Il est vrai
a écrit, trente ans avant Parsifal, que est la
religion
vivante
» (1);
:
«
ne
œ,uvre en particulier. Pour
table
œuvre
d'art est,
d'ordre tout
»
;
telle
Wagner, toute
dans un certain sens,
gion sous une forme vivante
exemple au hasard,
», est
donc pas de
s'agit
telle
«
sous une forme
sensible
l'œuvre d'art
fait général, et qu'il
tout autant
l'œuvre d'art
mais qu'on veuille bien remarquer que
cette expression
à
rendue
«
que Wagner
et,
ou
véri-
« la reli-
— pour prendre un
— la Vénus de Milo sera pour lui
religion
»
que peut
l'être
la
Madone
Sixtine. Aussi, si l'on vient dire
que Parsifal est une
œuvre spécialement religieuse
et
(1)
«
Das Kunstwerk
(IIL 77).
ist die
mystique,
— que
lebendig dargestellte Religion.»
LE DRAME WAGNÉRIEN.
240
pour louer l'œuvre, ou que ce
ce soit
dénigrer,
pour
soit
— on émet là une opinion qui ne
la
peut que
troubler et dénaturer l'impression que doit procurer le
drame en tant qu'œuvre Mais
il
d'art.
demaader pourquoi souvent considéré comme une œuvre
est intéressant de
Parsifal est
si
spécialement religieuse
;
se
car les réponses que nous
pourrons faire à cette question nous mettront sur voie de plusieurs
pour arriver à
ce
observations très utiles à faire
la pleine
wagnérien, ce qui
compréhension du drame Tunique but de
est, je le rappelle,
volume. L'opinion contre laquelle je viens de m'élever
s'appuie sur deux prétextes: d'abord sur
de
la
la victoire,
intérieur sur
le fait
ici
même
de cette victoire remportée par l'homme
l'homme
ensuite sur le
extérieur, et
choix des formes sensibles adoptées pour nous rendre perceptible et évidente cette victoire. Pesons la
valeur de ces prétextes.
Le vrai but de conduire sur
l'homme
présentation
de toute
de l'homme
à la victoire extérieur,
pratique
religion
est clair
il
étant
intérieur
que toute re-
qu'on essaiera de cette victoire rap-
pellera la religion.
Mais
si
l'on
va au fond des
choses, on sera obligé de reconnaître que la représentation de la défaite atteint tout autant
mystique de toute
vie, c'est-à-dire,
de lexpression de Wagner, la seule vraie
dans
les
«
la
le
fond
pour nous servir
source
originelle,
base de toute religion, qui se trouve
profondeurs
les plus sacrées
de l'homme in-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. térieur (1)
Or, précisément, l'art n'a pas d'autre
».
but que de pénétrer jusqu'à ces plus sacrées
d'établir
», et
l'homme intérieur que
sorte
241
et
«
profondeurs
les
une relation directe entre
l'homme
extérieur,
de
telle
cette « source originelle de toute religion »
coule en toute
liberté, et
que
le
cœur
et
la raison
puissent s'y désaltérer pleinement. Mais tandis que
une doctrine positive
toute religion est
dont
le
but est de conduire l'homme intérieur à la
victoire, l'art n'est jamais
qu'une contemplation (An-
schauung, en allemand). Par le
et pratique,
l'art
monde, nous en saisissons
tendons
le
murmure de
nous contemplons
l'essence, et
nous en-
«
source originelle qui
profondeurs
les plus sacrées». Ja-
cette
se trouve
dans
mais
ne peut être autre chose qu'une contem-
l'art
les
plation; dès qu'il prétend devenir une
doctrine,
il
s'adresse à l'entendement et à la raison, et non plus
à l'émotion, et C'est
donc par
il
cesse par là
suite d'un
vient prétendre que victoire,
il
même
si l'artiste
a fait ainsi une
d'être
de
l'art.
malentendu complet qu'on a vu et fait voir la
œuvre spécialement
et
po-
sitivement religieuse. Que la religion se reconnaisse
dans l'œuvrC;
et
que l'œuvre puisse
éveiller en
nous
des sentiments religieux, tout cela est fort naturel
mais cela n'empêche pas que
uniquement parce que
;
a représenté c'est elle
qui
jenen urspruenglichen Quell und einzig richtigen
Sitz
la victoire, c'est
(1) «
si l'artiste
der lleligion,
im
tiefsten, heiligsten
Innern desindividuums.
(VllI, 32.)
14
LE DRAME WAGNÉRIEN.
242 s'est
—
trouvée être l'objet de sa contemplation.
Ce
qui est à peine croyable, c'est que précisément ce sont souvent des personnes contre la représentation
pieuses qui protestent
de
drame. Mais ce qui constitue de leur
opposition,
signalé
j'ai
plus haut
fal
:
le
motif fondamental
encore
plutôt
c'est
ches faits parfois à
le
dans
victoire
la
comme le second Wagner au sujet
ce
que
des repro-
de Parsi-
choix des formes sensibles adoptées pour
le
nous rendre
perceptible et
Voyons donc maintenant
évidente
la
victoire.
que vaut cette seconde
ce
objection.
En parlant des Maîtres-Chanteurs^ j'ai dû montrer que la musique ayant seule le pouvoir de nous révéler l'homme intérieur, elle a donc seule, aussi, le pouvoir de nous dépeindre victoire
et
de nous montrer la
remportée par l'homme intérieur. Et
cela,
il
y a longtemps que la musique le sait, et prouve qu'elle le sait citons avant tout comme exemple les œuvres :
des deux grands il
est évident
poètes»
:
Bach
et
Beethoven. Mais
que ce triomphe de l'âme ne pouvait
être manifesté la
«
dans
le
drame qu'à
partir
du jour où
musique en devint une partie intégrante,
dire à partir
D'un autre
du jour où
côté,
le
drame wagnérien
c'est-à-
fut créé.
nous savons que ce qui distingue
essentiellement le drame des autres formes de c'est qu'il s'adresse
l'art,
à toutes les facultés de l'homme;
quand il s'agit de la forme de drame instituée par Wagner, dans laquelle, ainsi que le maître l'a dit, « ce que la musique accomplit,
et cela est surtout vrai
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1S48. est
rendu perceptible, pour reconnu
ceci étant
ceptible
pour
le
le
regard
(1) »
inévitablement les Parsifal^
il
s'agit
Maîtres-Chanteurs est
un
pour présenter un échapper à
On Bouddha
gion.
s'il
per-
cœur d'un
une forme qui rappellera
conceptions
religieuses?
Dans
de toute autre chose que dans ;
Hans Sachs
tel
est
un
les
sage, Parsifal s'y
prenne
caractère, on ne pourra jamais
la nécessité
sait ;
le
De quelque manière qu'on
saint.
bien,
regard, et compréhensible pour l'en-
ce n'est sous
si
Eh
comment veut-on rendre
vrai,
tendement, la victoire morale dans
homme,
.
243
de
le
rattacher à une reli-
que Wagner avait d'abord pensé au a ensuite arrêté son choix sur le
bolisme chrétien,
c'est
sym-
sans doute qu'il a pensé trou-
ver là pour son drame l'expression la plus poignante et la
plus définitive
qu'il
aura jugé,
de la compassion,
comme déjà il l'avait
fait
et ensuite
pour le choix
des sujets dans ses autres drames, qu'une matière qui est universellement connue
des auditeurs aux-
quels on s'adresse, exige moins de commentaires et d'explications, et est
donc toujours préférable pour
Mais vouloir déduire de ce choix d'un sujet
l'art.
chrétien des intentions dogmatiques, c'est certaine-
ment raisonner Il
est utile,
à faux.
ici,
de se rappeler que dans la pensée
du poète, Parsifal est uni d'une manière intime à V Anneau du Nibelung. Pour lui, et au point de vue du poème, le Graal d'où rayonne la lumière est iden(1) «
im Drama werden
die
Thaten derMusik sichtbar.
»
LE DRAME WAGNÉRIEN.
244
tique au rayonnant Or cet
Or aussi
était
délice », qui, de
«
du Rhin. Pour
pur
»
même
,
et
leur était
il
que
les innocents,
le
«
un
brillant
Graal, « tour à tour
maudit l'amour
veille et dort ». Seul, le fait d'avoir
donné une autre signification de même que dans Parsifal^ un homme, Klingsor, a maudit l'amour pour s'emparer du Graal, et désiré la puissance, lui avait ;
et
conquérir par
lui la
puissance. Si donc l'on désire
rechercher des symboles dans Parsifal,
il
me semble
qu'avant d'aller en imaginer qui restent un peu pro-
blématiques,
faudrait tout d'abord comparer le
il
sym-
bole du Graal à celui de l'Or du Rhin, et comparer aussi la
«
sainte lance
»,
que conquiert
Parsifal, à cette
branche de frêne qui soutenait l'ancien monde lance de Wotan, brisée dans les
dieu par l'enfant de son désir
;
la
mains mêmes du
et qu'il faudrait enfin
rapprocher Parsifal lui-même de Wotan fried
:
et
de Sieg-
l'art
de s'en-
!
Mais
comme
il
serait
dangereux pour
gager dans ces voies du symbolisme ce qu'en a dit
Schopenhauer
souvent être utiles dans valeur pour
l'art; ils
:
!
Rappelons
Les symboles peuvent
«
la vie,
mais
sont pour lui
ils
n'ont pas de
comme
des hié-
roglyphes... Le symbole n'est qu'une variété de légorie, et l'allégorie est
ici
une œuvre
d'art qui
l'al-
prétend
chose que ce qu'elle représente. L'al-
signifier autre
légorie cherche à désigner
une notion,
et
par consé-
quent à distraire l'attention du spectateur de l'image visible,
pour
abstraite,
la
non
porter sur une tout autre notion, visible,
qui
est
complètement en
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. dehors de l'œuvre
d'art...
Une œuvre
valeur réelle que dans la mesure où
résumé,
d'art n'a
il
la vérité est
de
est possible
sa valeur nominale, symbolique
d'oublier
2-15
(1) ».
En
que nous n'avons pas à chercher
de symbole dans Parsifal^
nous ne pouvons
et, si
pas nous dispenser malgré tout d'en découvrir, nous n'avons pas en rechercher le sens. Parsifal est un chrétien, c'est vrai, et
il
se
meut dans un monde
quis à la foi chrétienne certain
que
les
dogmes
;
mais
n'en est pas moins
symboles de
et les
chrétienne constituent un domaine
gion
sible à l'art.
Le domaine de
plus profonde,
où toutes
racines,
profondeurs
«
religion
ces
où
intérieur, ».
Dieux, ne sant
il
coule la
l'art est
la reli-
inacces-
cette région
religions
ont leurs
de
l'homme
source originelle
de toute
Et la Norne, l'a-t-elle
tout ac-
les
sacrées
dans
pas désigné,
Crépuscule
le
elle
aussi,
des
en di-
:
Die Symbole
(1) a
der Kunst aber
ist
moegen im Leben ihr Werth fremd
oft ;
Hieroglyphen anzusehen.. Das Symbol
von Nutzen
sie ist
sind
sein,
ganz wie
eine Abart
der
Kunstwerk, welches etwas es darstellt. Durch die Allégorie soll
Allégorie... eine Allégorie istein
Anderes bedeutet,
immer
ein Begriff
als
bezeichnet und folglich der Geist des
Beschauers von der dargestellten, anschaulichen Vorstel-
lung weg, auf eino ganz andere, abstrakte, nicht anschauliche, geleitet werden, die voellig ausser dem Kunshverk liegt...
lange
die reale
man
Bedeutung des Kunstwerks wirkt nur
die Dominale, allegorische vergisst. » 14.
so
LE DRAME WAGNÉRIEN.
246
«
im kuehlen Schatten
rauscht' ein Quell,
Weisheit raunend
rann sein Gewell'
— Il
:
da sangich heiligen Sinn.
> (1)
convient maintenant de généraliser ces consi-
dérations, et de les étendre à toutes les œuvres de
Wagner
;
car étant donnée l'essentielle différence de
nature entre courent à la
musique et les autres arts qui concréation du drame, le drame wagnérien la
exposé plus que tout autre au danger de voir
est
l'idée
fondamentale sur laquelle
s'appuie déna-
il
turée parles explications symboliques, mystiques, et
y a là un point qu'il faut saisir bien clairement, puisqu'il touche au nœud vital de laforme
autres
;
et
il
de drame créée par Wagner.
Dans toute œuvre
d'art
on cherche à incarner ce
qui est éternel et absolu, sous une forme qui reste
toujours passagère, et plus ou moins accidentelle.
que toute œuvre d'art sera forcément, dans un certain sens, une allégorie et, jusqu'à un certain degré, sa forme sensible se trouvera être un Il
s'ensuit
;
symbole. Mais ce
qu'il faut
que ce côté symbolique,
bien comprendre, c'est
loin d'être le but de Tart,
sera toujours, au contraire, l'inévitable faiblesse qui lui
est inhérente
:
le vrai
but étant précisément de
(1) « A l'ombre fraîche — bouillonnait une source. — Un murmure de sagesse — s'échappait de son onde — là je :
chantais
la sainte vérité. »
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
247
dépasser l'accidentel,
et,
par conséquent, d'anéantir
autant que possible
le
symbole, pour nous faire
mieux
sentir ce qu'il recèle d'
Wagner,
gination, dit
«
éternel
».
L'ima-
«
une image avec
se crée
la
partie superficielle d'une notion, et Tart, se saisis-
sant de cette image
qui ne pouvait avoir qu'une
un tableau
signification allégorique, en fait
embrassant ainsi en
une révélation
(1)
tons avec Schopenhauer et diffère
»
—
Mais
si
nous admet-
Wagner que
absolument par son essence
les autres arts, qu'elle
la
musique
même
de tous
nous donne une image
non symbolique, du monde intérieur
et
de
telle
sorte
que
« les
leur essence le
(2)
»,
éternel,
qu'elle parle
de
nous devrons aussi reconnaître
drame wagnérien
essentielle entre la
et
directe,
autres arts ne parlent jamais
que de l'ombre des choses, tandis que dans
parfait
la notion tout entière, et la transfigurant
y a une différence nature de ce qu'exprime la muil
sique et la nature de ce qu'expriment les autres arts.
La plupart des fausses interprétations qui ont été faites des œuvres de Wagner, proviennent de ce fait; car on voit que dans le drame wagnérien nous avons
(1) «
Die Kunst erfasst
das Bildliche
des Begriffes,
in
welchem dieser sich aeusserlich der Phantasie darstellt, und erliebt, durch Ausbildiing des zuvor nur allegorisch angewendeten Gleichnisses zum vollendeten, den
Begriff
gaenzlich in sich fassenden Eilde, diesen ueber sich selbst
hinaus zu einer Offenbarang» (X, (2)
aber
« Die
278.)
anderen Kuenste reden
vom Wesen.
«
(Schopenhauer.)
nur
vom
Schatten, sie
LE DRAME WAGNÉRIEN.
2-18
à côté de l'allégorie l'accidentel lation.
sens de l'allégorie, à coté de de l'image
l'éternel, à côté
:
Wagner
a
cela signifie...^ la
:
la révé-
:
Là où les musique dit
quelque part:
écrit
autres arts disent cela
le
«
:
Mais notre éducation moderne toute abstraite
est.yy
drame
d'un
qu'à l'audition
et anti-artistique,
fait
de Wagner, voici
chose extraordinaire qui se passe
la
pour beaucoup d'entre nous
:
nos yeux
tendement perçoivent un tableau, nous entendons bien
«
:
dire, afin d'en
« divine vérité
cela
;
la
de l'oublier
et
pleinement
saisir plus
que nous révèle
»,
temps
musique qui proest ! » mais alors au
de percer l'image allégorique
pour ainsi
même
en-
la voix de la
clame souverainement lieu
et
et notre
en
la
symphonie des
sons, nous rapportons au contraire la puissante af-
firmation de
croyons
musique à l'image,
la
trines politiques, et
même
que
sais-je
même
encore
des doc-
!
malheureusement là une erreur très répandue, parmi
nous faut
la
les
adeptes du drame wagnérien.
tout art
;
Wagner
et s'y égarer, c'est
même
l'essence
de
l'art.
sont la mort de
méconnaître
Quant à
et renier
prétendre que
a eu des intentions de ce genre, c'est tout
simplement existe
le
calomnier.
une opinion,
très
répandue
et
fortement
accréditée, qui veut que dans les dernières
de
Il
combattre avec toute fénergie possible,
car de semblables interprétations
Il
nous nous
d'en déduire des symboles, des reli-
le droit
gions, des systèmes philosophiques,
C'est
et
Wagner
soit
œuvres
incarné et soit prêché un système
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
métaphysique
;
celui
249
de Schopenhauer. Ce que je
viens de dire devrait suffire à réfuter cette opinion
mais
;
cette question des rapports entre l'art et la phi-
losophie est assez intéressante pour qu'on s'y arrête
un
instant; je vais
donc l'examiner brièvement dans
un appendice à ce dernier chapitre.
LE DRAME WAGNÊRIEN.
250
ART ET PHILOSOPHIE
de se rappeler
n'est pas inutile
Il
de Kant
:
perspicacité et d'intelligence, que de sa-
quelles
voir
poser
questions
on
raisonnablement
peut
Car enfin cette question que l'on a sou-
» (1).
vent agitée
:
les
une philosophie traire
déjà une grande et indispensable
« C'est
marque de
ces paroles
ici
œuvres de Wagner contiennent-elles ?
est
au bon sens,
en elle-même tellement con-
qu'il
devient bien
difficile
d'y
répondre. Raison de plus, cependant, pour ne pas se soustraire à ce devoir.
Sans avoir besoin d'y avoir longuement
beaucoup de gens sentent artiste a des liens de
Et
si
l'on
d'instinct
parenté avec
que
le vrai
le
réfléchi,
véritable
philosophe.
veut se rendre compte exactement de la
nature de cette parenté, rien n'y aidera mieux que
de comparer entre eux certains
hommes
choisis en-
schon ein grosser und noethiger Beweis der Klugheit und Einsicht, zu wissen, was man vernuenftiger (1)
« Es
ist
Weise fragen
solle. »
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
251
comme par exemple de comparer BeethoKant, et Wagner à Schopenhauer car le rap-
tre tous,
ven à
;
port qui peut exister entre l'œuvre d'art et
le
système
philosophique, est identiquement semblable à celui qui existe entre les génies
mêmes
par qui l'un et
lautre ont trouvé leur expression. Certes, on ne peut
pas prétendre que ce soit une contradiction propre-
ment
dite,
qui existe entre eux; mais
il
faut bien re-
connaître qu'ils sont cependant diamétralement op-
posés
les
uns aux autres, comme
sont les deux
le
comme l'homme
pôles d'un globe, ou, disons plutôt,
femme. Aussi, une œuvre d'art qui serait de la philosophie, en même temps qu'elle est une œuvre d'art, serait une chose aussi monstrueuse que l'est un hermaphrodite. Ce qui établit un lien entre la philosophie et l'art, est
opposé à
la
c'est essentiellement ceci
au penseur une
monde
:
que l'œuvre d'art fournit
image purifiée
et très intense
du
intérieur. Grâce à cette image, le regard pé-
nètre jusqu'au-delà de l'apparence individuelle dont
l'entendement revêt
phénomène
le
;
et le
se trouve en contact avec l'essence sible des choses. logie, la
nant
De
méthodologie,
comme
appui
naturelles, de
a besoin de
les
même,
l'art
penhauer,
que
etc.,
intime et invi-
la logique, la
mathématiques
et les sciences
métaphysique
la plus élevée
la
fait
:
a
les plus
surtout la grandeur de Scho-
c'est d'avoir clairement
a écrit en effet
psycho-
ont été édifiées en pre-
pour atteindre aux notions
profondes. Et ce qui
rité. Il
môme
philosophe
reconnu
Toute œuvre
cette vé-
d'art, à
propre-
LE DUAME WAGNERIEN.
253
ment parler, tend à nous montrer telles qu'elles
tout le
du
sontdansleur
choses
la vie et les
réalité. Mais cette réalité,
monde ne peut la saisir immédiatement, à cause
voile des accidents objectifs et subjectifs qui la re-
couvre. C'est ce voile que dignité et Timportance
l'art
de
déchire
que ce que nous montre
le
monde
La haute
consistent en ce
l'art...
nous procure essentiellement
qu'il
(1)...
la
môme
visible,
chose
mais d'une
manière plus condensée, plus achevée, avec choix réflexion
(2j...
Les œuvres des arts plastiques
matiques contiennent toute sagesse sophie a échoué
si
qu'on a cherché à
l'édifier sur le terrain
les sciences offrent
La philo-
de la science,
l'art (4)... » Je le
répète
:
à la contemplation philosophique
l'image nette et précise du
(1) «
et dra-
longtemps à se constituer, parce
au lieu de choisir celui de
und
(3)...
et
Das Kunstwerk
monde
extérieur, tandis
eigentlich bemueht, uns das Leben
ist
die Dinge so zu zeigen,
wie
sie in
Wahrheit
slnd, aber,
durch den Nebel objektiver und subjektiver Zafaelligkeiten hindurch,nicht von Jedem unmittelbar erfasst werden koennen. Diesen Nebel nimmt die Kunst hinweg. » (II. 404.) (2) «
Der hohe AYerth und die Wichtigkeit der Kunst bedasssie wesentlich das Selbe, nur concentrir-
steht darin...
ter, vollendeter,
mit Absicht und Besonnenheit,
leistet,
was
die sichtbare Welt selbst. » (1.315.) (3)
« In
den Werken der darstellenden Kuenste
Weisheit enthalten. (4) «
Die Philosophie
den, weil
auf
» (II,
dem
man
ist
sie auf
ist aile
464).
so lange vergeblich versucht -wor-
dem Wege
der Kunst suchte.
»
der "Wissenschaft;, statt
(Fragments posthumes.)
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
que
l'art lui offre
l'image lumineuse du
monde
rieur. Et ceci est vrai d'une façon générale
art cfui mérite véritablement le
Mais quand ner,
1° cet art est
:
le
les
inté-
pour tout
d'art.
spécialement de
ne faut pas oublier
il
vantes il
s'agit
il
nom
253
Wag-
de
l'art
considérations sui-
plus universel de tous
;
2°
un ensemble de conditions qui font de lui plus pur 3° le génie merveilleux de Wagner
réunit
l'art le
;
confère à ses œuvres une valeur intensive qu'il n'est
pas facile d'évaluer.
présumer que
les
sagesse
toute
— D'après cela nous pouvons donc
œuvres de Wagner
comme
)>,
dit
«
contiendront
Schopenhauer
cette sagesse, et ce sens le plus
nous seront révélés à un degré de
;
et
que
intime du monde, clarté
insoupçonné
jusqu'à maintenant. Il
que phie
n'en reste pas moins vrai que venir prétendre
œuvres de Wagner
les
est
»,
exemple que Il
aussi
absurde que de dire par
« le
monde
contient une philosophie ».
avoir aucun sens
;
monde,
son du penseur se construise le
monde
;
ce
que cette propositionne peut
car la philosophie n'a pas d'exis-
tence ailleurs que dans est le
contiennent une philo-
tout
est de toute évidence
monde
«
aille
le
cerveau du philosophe
et rien
de plus
monde
contient le
et
que
le
la rai-
d'abstraction en abstraction et
un système,
cela ne concerne en rien
cerveau qui fonctionne est tout sim-
plement un de ses phénomènes; le
;
;
et
on ne peut dire que
contient une philosophie, qu'en tant qu'il
l'homme qui
s'est créé cette philosophie. Or,
rapport qui existe entre l'œuvre d'art et
la
philoso15
.
LE DRAME WAGNÊRIEN.
254
phie, est tout à fait analogue à ce rapport entre le
monde
et la philosophie.il se
excite en
nous
le
goût de
fournissant un aperçu du
peut que l'œuvre d'art
la pensée, et que,
monde
nous
intérieur plus lu-
mineux qu'aucun autre ayant précédé, et nous faisant ainsi pénétrer plus profondément le mystère du monde, elle soit donc, par l'impression qu'elle nous laisse, comme un point de départ pour notre cerveau, qui reprend alors sa fonction normale, et peut arriver ainsi à se forger toute une chaîne de notions abstraites,
comme
n'importe quelle
il
peut s'en forger en prenant
base. Mais vouloir déduire de ce
processus, que cette chaîne gisait toute forgée
dans
l'œuvre d'art, ou simplement que tous ses éléments s'y trouvaient épars, c'est vraiment là trop de modestie
de la part de qui ne la doit en réalité qu'à soi-même.
Non, cher philosophe, ce que tu as créé
œuvre propre, tiste, lui, n'a
et
pas
non pas fait
là,
c'est ton
celle d'un autre.
Car l'ar-
autre chose que de voir l'uni-
vers; voir étant pour lui la fonction normale, la tienne est
Ce soit
qu'il
de periser
.
comme
!
y a de curieux,
c'est
que ce malentendu
survenu tout particulièrement au sujet de Wag-
ner et de Schopenhauer, qui auraient semblé devoir
y échapper plus que personne, puisque leurs écrits prouvent qu'ils ont tous les deux reconnu le plus clairement du
monde
quelle barrière infranchissable
sépare l'abstraction de l'intuition* L'art, a dit
« l'art,
Wagner,
cesse,
au fond, d'être de
toutes les fois que, par la réflexion, nous l'envi-
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. sageons
comme
Schopenhaiier, en sa qua-
tel » (1).
de philosophe, consacre naturellement de plus
lité
amples développements à ce que
255
soit
dans
la
traite, quelles
pratique
sujet.
l'utilité
11
écrit
:
«
Quelle
de la notion abs-
qu'en soient les applications, la néces-
fécondité dans les sciences, elle n'en reste
sité et la
pas moins éternellement
stérile
pour
l'art.
Tout au
contraire, l'idée — (au sens platonicien du mot) — est la source véritable et
unique de toute œuvre d'art
digne de ce
nom
ment chose
d'intuition (de contemplation), ce qui ne
(2)...
Or
les idées sont essentielle-
saurait être épuisé par des déterminations précises.
On ne peut donc intuitive, qui est
communiquer que par la voie celle de l'art... La simple notion les
abstraite est,
au contraire, quelque chose que
pensée
pleinement à
suffit
saisir,
épuiser...; vouloir l'exprimer
un détour bien
c'est faire
d'art,
tomber dans
l'art,
sans en connaître
donc à l'examen d'une œuvre... à travers
le but... Si
la richesse des
procédés artistiques, nous voyons
genommen, von da an Kunst Kunst in unser reflektirendes Be-
Die Kunst hoert, genau
zu sein
auf,
wusstseîn «
dans une œuvre
inutile, c'est
jouer avec les ressources de
(2)
à déterminer, à
que nous blâmions tout à l'heure, de
cette faute,
(i) «
la
Der
wo
tritt.
sie
als
»
Begriff, so nuetzlich er fuer das
Leben und
so
brauchbar, nothwendig und ergiebig er fuer die Wissenschaft
ist, ist
fuer die Kunst ewig unfruchtbar.Hingegen
ist
wahre und einzige Quelle jedes
die aufgefasste Idée
die
aechten Kunstwerks.
» (I. 277.)
LE DRAME WAGNERIEN.
256
percer peu à peu, et enfin apparaître au grand jour, la
notion abstraite, précise, limitée, froide et sèche...,
nous ressentons du dépit quoi
c'est
de vouloir,
et
du dégoût... Voilà pour-
une entreprise à
comme on
l'a
la fois
indigne et sotte
tenté plusieurs fois de nos
ramener un poème de Shakespeare ou de
jours,
Goethe à une vérité abstraite, que ces poètes sont sensés avoir
eu
le
pensée qui fut contemplée avant de passerpar la force
(saisie
la réflexion,
par l'intuition)
a,dans l'œuvre
de nous émouvoir, et
chose impérissable... » (1) «
d'énoncer... Seule la
dessein
d'art,
devient ainsi
une
(1).
Die Ideen aber sind
wesentlich ein Anschauliches
und daher,in seinen naeheren Bestimmungen, Unerschoepfeines ?olchen kann dalier nur auf dem Wege der Anschauung geschehen, welches der der Kunst ist... Der blosse Begriff hingegen îst ein vollkommen liches. Die Mitiheilung
Bestimmbares...,ein Solches durch einKunstwerkmittheilen
zu wollen,
ist
ein sehr unnuetzer
Umweg,
ja,
gehoert zu
dem eben
geruegten Spielen mit den Mitteln der Kunst, ohne Kenntniss des Z\veckes-..Wenn wir nun bei Betrachtung eines Werkes,... durch aile die reichen Kunstmittel hindurch, den deutlichen, begrenzten, kalten, nuechternen Begriff durchschimmern und am Ende hervortreten sehen... so empfmden wir Ekel und Unwillen... Daher ist es ein so unwuerdiges, wie albernes UnterDehmen, wenn man, wie heut zu Tage oefter versucht worden, eine Dichtung Shakespeare's oder Goethe's zurueckfuehren will auf eine abstrakte waere...
Wahrheit, deren Mittheilung ihr Zweck gewesen Nur das Gedachte, was geschaut wurde, ehe es
gedacht war, hat bei der Mittheilung (im Kunstwerke) an-
regende Kraft und wird dadurch unvergaenglich... et suiv.)
» (II,
p. 466
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
On
257
pourrait continuer à citer des pages entières
de Schopenlïauer qui soient dans ce sentiment sur la
nature et
le rôle
de
l'art,
car elles abondent dans
son œuvre. Après tout ce que Schopenlïauer a ainsi écrit, n'est-il
pas piquant,
un peu décourageant,
et
de penser que ce soit sa philosophie, à
qu'on
lui,
prétende retrouver dans des œuvres d'art? et que ces œuvres oà on veut la retrouver soient précisé-
ment
les
drames de Wagner
?
Mais je ne veux pas terminer sur une simple tique négative
;
et puisqu'il
est
cri-
que nos
essentiel
idées sur ce sujet soient très précises, je vais essayer
d'exprimer sommairement ce par quoi philosophie
me
et
l'art
paraissent reliés l'un à l'autre.
C'est tout d'abord par le sujet auquel tous les
se trouvent voués, je veux dire le
Nous savons que plus elle
devient abstraite
pour
l'art, c'est
la
;
monde,
deux
l'univers.
la philosophie s'élève, plus
et,
d'un autre côté,
le
progrès,
de rejeter de plus en plus tout ce
qui est accidentel; et la musique, en particulier, ne s'applique plus qu'à ce qui constitue la base
de la
vie, à ce
alliage.
Il
qui
même
en est l'essence, pure de tout
en résulte que
l'art et la
philosophie s'élè-
vent tous les deux au-dessus des brumes de tout ce qui est limité et accidentel; et
gion sereine, où l'autre, Ils
et
ils
se
:
atteignent une ré-
trouvent en face l'un de
où leurs regards doivent se rencontrer.
ne sauraient cependant
l'autre
ils
au contraire, plus
se fondre
l'un
dans
la raison s'est clarifiée
suivant la voie de l'abstraction, plus
elle est
en
éloignée
258
LE DRAME WAGNÉRIEN.
de l'intuition artistique
;
et,
d'un autre côté, plus
l'art
a su se débarrasser de l'arbitraire et des conventions, plus
du concours de la manifeste sous la forme de pure
se trouve affranchi
il
raison, et plus
il
se
intuition.
On peut donc
sophie et
l'art
d'être, plus
affirmer que plus la philo-
deviennent ce
qu'il est
de leur essence
nous sommes forcés de reconnaître en
eux deux phénomènes diamétralement opposés de la nature
humaine
;
mais cela ne
les
de se comprendre mutuellement L'art, affranchi
du concours de
empêchera pas d'autant mieux.
aura une
la raison,
vision intuitive bien plus claire de ce qui constitue l'essence de la raison
;
et ce qu'il
l'expliquera pas, en vérité, mais
Quant à
la raison
;
aura vu,
nous
il
le
il
ne nous
montrera.
nul mieux que Schopenhauer ne
nous a montré jusqu'à quelle lumineuse connaissance de l'essence de
l'art elle
peut atteindre.
Voilà donc un premier point de contact entre et la philosophie.
Il
mentionné plusieurs
y en a un second. Je fois,
et
il
l'art
l'ai
déjà
ressortira de
lui-
même
assez clairement à seulement rappeler que
l'art «
contient toute sagesse
véritable est
une image
», et
que l'œuvre
d'art
purifiée et condensée
du
monde même. On peut dire des œuvres d'art vraiment sublimes que ce sont des 7'évclations. Jamais le calcul ni le jeu le plus savant des
combinaisons n'au-
nous-mêmes, en leur présence, nous avons soudain une vision toute nouvelle du monde, et l'intuition de rapports que jamais autrement nous n'aurions soupçonnés. Le philosophe raient
pu
suffire à les créer; et
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. pourra donc puiser de d'art.
ries
Non pas que
que
le
la sagesse
dans
celles-ci « contiennent
penseur en déduira
tiennent, c'est plus et
259
les »
œuvres
les théo-
mais ce qu'elles conmieux que les théories elles;
mêmes, c'est une sagesse qu'on ne saurait peut-être mieux qualifier qu'en la proclamant « une révélation de
la sagesse divine ».
Ou
plutôt non, l'œuvre d'art
ne contient pas cette sagesse, mais gesse
même.
cette sa-
Et c'est de cette sagesse qu'on peut
entendre la voix éloquente par ner,
elle est
les
œuvres de
Wag-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
260
RÉSUME ET CONCLUSION
Pour terminer
cette brève étude des
œuvres de
la
seconde période de Wagner, jetons maintenant un
coup d'œil d'ensemble sur père avoir convaincu
le
les résultats acquis. J'es-
lecteur que
œuvres que nous avons examinées matique,
et lui avoir fait
temps qu'on ne peut
les
est
nettement
comprendre
chacune des
un poème dra-
saisir
en
même
et les apprécier
qu'en les considérant de ce point de vue. Nous avons constaté que pour cela
il
faut avant tout et par-dessus
tout se rendre compte d'une manière approfondie
rôle de la
donné
le
musique dans
concours de
la
le
drame
;
car,
du
étant
musique, devenue l'agent
le
plus puissant de l'expression dramatique, les notions
que nous attachions au mot
a
action
des modifications profondes. Et
»
doivent subir
comme
la
musique
se manifeste sous des conditions toutes différentes
de celles qui ont fourni les règles des autres genres
où
elle était aussi
appelée à concourir, ces règles ne
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848.
peuvent donc pas être appliquées à juger
261
le
drame
wagnérien. Il
est aussi très
gage
important de constater que
et la partie scénique,
le lan-
grâce à leur intime fusion
avec la musique, se trouvent maintenant placés dans
de tout autres conditions de vie qu'auparavant
;
si
bien que tout jugement fondé sur des théories faites
drame parlé porte à faux, si on veut l'appliquer aussi au drame wagnérien. Le rôle de la musique dans le drame, et la notion
pour
le
nouvelle qu'il convient d'attacher à l'expression tion dramatique, ce sont ces tais
deux points que
donné pour tache de mettre en
une seule
et
même
qu'ils
ac-
je m'é-
Comme ils même principe,
relief.
découlent tous les deux d'un seul et
on voit maintenant
:
peuvent aussi se ramener à
condition
;
car en m'efforçant de
mettre en lumière ce que je juge être la véritable action dans chacun des j'ai
dû montrer que
drames que
j'ai
étudié le détail,
;
et,
comme
lYistan et Isolde et pour f Anneau
dû alors reconnaître que chaque prend un grand développement, une nécessité dramatique. Reprenons encore une des deux
traits
examinés,
cette véritable action ne peut se
manifester que par la musique
que
j'ai
fois
par contre, lorsje l'ai
fait
pour
du Nibelung^
fois
que
la
j'ai
musique
c'est qu'elle obéit à
séparément chacun
principaux qui distinguent
le
drame
wagnérien des autres formes de drame.
Le premier
trait
forme de drame,
qui caractérise cette nouvelle
c'est
donc
le rôle
qu'y joue la
mu-
LE DRAME WAGNÉRIEN.
262
comme
siqueo C'est là ce qui lui impose,
que
exclusivement
l'action soit
celle
absolue,
loi
qui se
passe
dans l'homme intérieur, dégagé de l'influence des conventions
des formes qu'entraîne
et
Avec toute autre action, est
le
concours de
milieu.
le la
musique
quelque chose de purement arbitraire,
n'est là
que comme un simple agrément, sans
partie intégrante
au contraire,
du
Dans
tout.
mesure précise où
l'action
elle
ne
elle-même
la
l'exige.
du nouveau drame,
s'adresse à toutes les facultés
il
et grâce
et
du drame, que dans
trait caractéristique
façon dont
humaines,
drame wagnérien,
le
une nécessité dramatique;
participe à la manifestation
Le second
faire
la musique, qui révèle la vie intérieure,
invisible, est
c'est la
et qui
à laquelle
il
intéresse et captive
l'être tout entier.
y a encore à faire une remarque Tout occupé de préciser le rôle de la mu-
Et à ce sujet, très utile.
il
sique, je n'ai guère
pu dans
volume
ce
traiter aussi
longuement qu'il l'aurait fallu des autres parties organiques du drame. On a vu cependant, par quelques exemples probants, que
très différent ici de ce qu'il est
du drame
;
et
est
dans d'autres formes
sans pour cela rien perdre de sa force
ni de la variété de ses
moyens.
Comme
cela a lieu
musique elle-même, le rôle du langage parlé strictement subordonné à l'intention fondamen-
pour est
du langage parlé
le rôle
la
tale et créatrice, qui est l'idée poétique. Il
même du l'effet
rôle de
la
vision. Depuis
en est de
l'ensemble
scénique jusqu'au moindre geste de l'acteur,
de la
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. vision joue maintenant,
lorsque cela est
263 utile,
un
beaucoup la portée de ce qu'elle pourrait atteindre privée du concours de la musique. Car dorénavant un lever de soleil, un
rôle considérable, dépassant de
clair
de lune, une fête populaire,
tableau, ne sont plus
comme dans
ou tout autre
l'opéra
un simple
prétexte à divertir nos regards pendant qu'on nous fait
entendre une musique quelconque
;
mais tout au
contraire, leur signification dramatique, c'est-à-dire l'influence
qu'ils
exercent sur l'âme
des person-
nages, nous est révélée précisément par la symphonie qui enveloppe le tout et en crée l'unité sensible et
de
rir
telles
une grande importance dans
Le milieu ambiant en est de et
la
;
scènes peuvent donc ainsi souvent acqué-
même
le
cours de l'action.
corps avec l'âme invisible.
fait
du geste,
et
Il
en général des attitudes
du mouvement des personnages. Non seulement musique les souligne, lorsque le drame leur donne
de l'importance, mais
elle les relie
à l'action d'une
manière intime, en leur prêtant toujours une fication
nette et précise. Toute
peut ainsi se passer en silence
et
signi-
une longue scène être cependant très
saisissante.
On ne m'accusera
plus d'être paradoxal,
firme que dans les œuvres de
en vérité comprendre ni la
mise en scène, ni
le
la
si j'af-
Wagner on ne
musique, ni
peut
la poésie, ni
jeu des personnages, ni rien,
à moins de consentir d'abord
à tout considérer du
point de vue de Vaction dramatique.
Et l'on
reconnaîtra
aussi
que Wagner nous a
LE DRAME WAGNÉRIEN,
264 laissé
non seulement une
mais encore
et
série
d'œuvres admirables,
surtout qu'il a créé un genre de
drame absolument nouveau, recelant des innombrables, infinies,
et
dans lequel
l'invention ne tarira jamais ». s'attache à l'étude
du
«
En
possibilités
source de
« la
effet, l'intérêt
qui
drame wagnérien est loin œuvres de Wagner. Si »
d'être épuisé par l'étude des
du
—
drame wagnérien » est juste, et je crois pouvoir affirmer que les drames de Wagner nous l'idée
«
ont fourni une preuve suffisante de la justesse de cette idée,
— c'est toute une immense région nouvelle
ouverte au génie de l'homme
et puisqu'il
;
y est
appel à toutes les facultés humaines, à toutes cultés d'émotion et d'expression,
der
s'il
sera désormais possible de créer de nou-
suprême en dehors de forme de drame créée par Wagner.
Où
et
les fa-
on peut se deman-
velles oeuvres d'art
velle
fait
quand verrons-nous
puissant génie que Richard
cette
se produire
nou-
un aussi
Wagner? Dieu
seul le
c'est y a une chose qui est certaine que jusqu'à ce que l'idée-mère de son œuvre renconsait.
tre
Mais
un
il
:
terrain fertile, jusqu'à ce que les artistes et le
public la
comprennent
l'acceptent,
et
qu'elle arrive à constituer l'atmosphère
respire leur vie artistique,
de
Wagner ne
jusqu'à ce
dans laquelle
— jusque-là
les
œuvres
seront elles-mêmes jamais vraiment
vivantes. Ce que nous possédons aujourd'hui n'est
qu'une ombre. Car
mène
le
simple
fait
à rien, et l'imitation des
employés par
le
d'admirer ne nous
moyens
extérieurs
maître est chose plutôt funeste. C'est
LES DRAMES POSTÉRIEURS A 1848. Vidée,
ridée
drame,
qu'il
d'où est sortie
forme de
la nouvelle
nous faut nous approprier
ne pouvons
le
mêmes, pour
la voir ainsi clairement,
265
et
;
nous
qu'en la repensant par nous-
faire
de nos
pro-
pres yeux. Tant que nous n'agirons pas ainsi, nous
ne pouvons pas prétendre
la
posséder
;
nous ne
et
saurions davantage prétendre posséder les œuvres qui ont été créées sous l'empire de cette idée, et qui vivent en
elle. *
On comprend maintenant pourquoi ce volume porte le titre tout à fait général de Drame Wagnérien. :
C'est
que
mon
intention n'a nullement été de présen-
au lecteur un commentaire des œuvres de théâtre
ter
de Richard
Wagner
aptes que moi
;
:
d'autres écrivains y sont plus
et j'avouerai
même ne
médiocre intérêt aux savantes études
nous donner sur ce
sujet,
exactement
érudits, j'ai taché
le
peuvent
l'art.
J'ai
cherché à
contraire de ce que font ces
de découvrir quel était
le
point
de cette nouvelle conception du drame que
vital
nous devons à Wagner restât pas
de
qu'ils
parce qu'elles n'ont que
de très lointains rapports avec faire ici
prendre qu'un
la vie
et
pour que
purement théorique,
la vivifier
dans
;
cette étude
ne
et stérile, j'ai tenté
par tout ce qui pouvait servir à l'éclairer
de Wagner, dans ses écrits et dans ses
œuvres. Nous avons vu ainsi cette nouvelle forme de
drame par
croître et mi'irir depuis la tragédie
Wagner
composée
enfant, jusqu'à Tristan et Parsifal.
avons examiné
la
Nous
conception théorique que s'en 16
fit
LE DRAME WAGNÉRIEN.
266 le
maître après qu'il eut découvert la forme parfaite,
par l'élan souverain de son génie, aidé de l'expérience acquise au cours de la réalisation de la pre-
mière série de ses œuvres de théâtre. Ensuite l'exa-
men
de ces premières oeuvres nous a été de la plus
grande
utilité, puisqu'ici
nous avons pu voir
tre hésiter et chercher, et
une sorte de tier le
;
maî-
que nous avons assisté à
conflit entre le
musicien-poète
le
poète-musicien et
et c'est peut-être là ce qui
peut
le
ini-
plus sûrement à une connaissance approfondie
du drame wagnérien. Les quatre grands drames de la maturité nous ont enfin fourni toute une série de commentaires à Texamen de cette conception wagnérienne du drame, définie dans les trois premiers chapitres. C'est en voyant cette idée-maîtresse à l'œu-
vre sur des sujets de nature très diverse, que nous
avons pu l'examiner sous toutes ses faces,
et cher-
cher ainsi à la faire devenir pour nous une chose
pour ainsi dire plastique,
réelle, vivante.
Et initier à cette conception artistique et vivante
du drame wagnérien,
tel était
m'étais proposé.
FIN
le
seul but que je
.
TABLE DES
MATIÈRES
Pages
Dédicace
VII
IX
Avant-propos
LE DRAME WAGNÉRIEN
3
Introduction
3
Chapitre
P^.
—
Apei^gu historique
Les premiers essais de «
Kapellmeister
» et
7
Wagner
,
9
compositeur d'opéras.
13
Les premières œuvres et la lutte entre poète et le musicien
le
16
Le problème central du drame wagnérien..
20
La solution du problème Les deux périodes à distinguer
23
chez
Wagner Les
Chapitre
II.
24 26
écrits
- La théorie du Drame Wagnérien.
29
.
Idées générales
Musicien
et
La part de
31
poète
38
l'intuition, et la part
de
la ré-
flexion
Les sujets
47 «
d'ordre
purement humain
»
(non-conventionnels) peuvent seuls servir
au drame wagnérien
Chapitre
III.
—
Les
49
drames de Wagner anté-
rieurs à 1848
61
Les Fées et la Défense d'aimer
64
RiENzi et LE Hollandais volant
70
TABLE DES MATIERES.
268
Lk Sarrasine
80
Tannh.euser et Lohengrin
§0
La mort de Siegfried
Chapitre IV.
—
Barberousse
93
et JÉSUS DE NAZARETH..
95
et Frédéric
WiELAND LE FORGERON
Les Drames de Wagnei' posté-
rieurs à 1848
99
Introduction
101
Tristan et Isolde
:
Remarques préliminaires
106
L'action dramatique
108
Les rapports entre la parole
Les Maîtres-Chanteurs
et la
musique.
.
125
:
L'action dramatique La convention et l'élément comique
146
La musique. Résumé sommaire
160
153
165
L'Anneau du Nibelung
:
Les deux versions
168
L'action dramatique
173
Les théâtres
Parsifal
192
et la critique
Les rapports entre
la
parole et la musique.
201
:
Origines du
poème
221
227
L'action dramatique
Le mysticisme,
le
symbolisme,
l'allégorie et
237
la religion
Paris.
v
Art et Philosophie
250
Résumé
-t>0
—
et
Conclusion
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