Comment combattre le blanchiment d’argent au Bénin ? LA NATION N° 4833/Jeudi 24 Septembre 2009.
Bien souvent, il nous arrive de voir des personnes devenir, du jour au lendemain, de grands riches ou, en tout cas, changer radicalement leur train de vie. S'il y en a qui gagnent leur argent à la sueur de leur front, il s'en trouve aussi qui ne lésinent pas sur les moyens illicites pour se bâtir une fortune. Généralement, on considère que l'argent gagné de la sorte n'est pas «propre». Aussi, leurs détenteurs s'acharnent-ils à en faire des usages plus ou moins illicites, afin d'échapper aux soupçons. Les techniciens de la matière parlent alors de blanchiment d'argent. Quels sont les modes opératoires du phénomène qui est considéré comme tentaculaire dans notre sous-région? Que prévoit la législation béninoise pour le combattre? Par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI Le Bénin, comme plusieurs pays de l'Afrique de l'Ouest, a été ces dernières années, en proie au phénomène de blanchiment de capitaux. Situation qui a préoccupé les autorités au plus haut niveau, qui ont fini par doter le pays d'une loi censée favoriser la répression du fléau. Il s'agit de la loi N°2006-14 du 31 octobre 2006 portant lutte contre le blanchiment des capitaux. Mais si on soupçonne trop facilement parfois des individus ou structures de s'adonner à cette activité, que faut-il entendre par blanchiment de capitaux? C'est l'article 2 du titre préliminaire de la loi considérée, qui nous en donne une idée. Ainsi, aux termes de cet article, on peut considérer comme constitutifs de blanchiment de capitaux, «la conversion, le transfert ou la manipulation de biens, dont l'auteur sait qu'ils proviennent d'un crime ou d'un délit ou d'une participation à ce crime ou délit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite desdits biens, ou d'aider toute personne impliquée dans la commission de ce crime ou délit à échapper aux conséquences judiciaires de ses actes». De même, «la dissimulation, le déguisement de la nature, de l'origine, de l'emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ou de droits y relatifs dont l'auteur sait qu'ils proviennent d'un crime ou d'un délit, tels que définis par les législations nationales des Etats membres ou d'une participation à ce crime ou délit» s'analysent en blanchiment de capitaux, selon le même article. Par ailleurs, il y a blanchiment de capitaux lors de « l'acquisition, la détention ou l'utilisation de biens dont l'auteur sait, au moment de la réception desdits biens, qu'ils proviennent d'un crime ou d'un délit ou d'une participation à ce crime ou délit ». La loi précise aussi que le blanchiment est constitué « même si les faits qui sont à l'origine de l'acquisition, de la détention et du transfert des biens à blanchir, sont commis sur le territoire d'un Etat membre ou sur celui d'un Etat tiers ». Enfin, l'article 3 de la loi érige en infraction blanchiment de capitaux « l'entente ou participation à une association en vue de commission d'un fait constitutif de blanchiment
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capitaux, l'association pour commettre ledit fait, les tentatives de le perpétrer, l'aide, l'incitation ou le conseil à une personne physique ou morale, en vue de l'exécuter ou d'en faciliter l'exécution. » Il se dégage de ce dernier pan de la définition, qu'autant les individus, les groupes d'individus que les sociétés et autres structures dotées de la personnalité morale, peuvent se rendre coupables de blanchiment de capitaux. Mais comment se manifeste concrètement cette infraction, notamment en Afrique de l'Ouest? Une infraction aux multiples facettes On doit au Groupe Intergouvernemental d'Action contre le Blanchiment d'Argent en Afrique de l'Ouest (GIABA), d'avoir établi les typologies du blanchiment d'argent orienté spécifiquement vers le secteur immobilier dans la sous-région. Selon le rapport du GIABA, «l'Afrique de l'Ouest se caractérise par des économies informelles qui abritent des économies parallèles ou alternatives fortes fondées sur des flux financiers en monnaies locales ou en devises ». Cette réalité peut être constitutive de terreau fertile au développement du blanchiment de capitaux. A ce propos, note le rapport, « il est courant, dans les Etats membres du GIABA, de voir des individus payer en espèces pour l'achat de biens immobiliers sans susciter le moindre soupçon ... ». Or, «Les paiements en espèces, les chèques et les virements télégraphiques sont les instruments monétaires le plus souvent utilisés par les délinquants dans le cadre de leurs transactions immobilières ». Et, poursuit le rapport, « il est manifeste que les transactions impliquant le paiement d'importantes sommes d'argent en espèces ne laissent aucune trace susceptible d'être exploitée dans le cadre d'un audit, ce qui fait de ce secteur un domaine à haut risque qui attire les délinquants en les incitant à investir les revenus qu'ils tirent du trafic de drogue, par exemple, et à utiliser les profits générés par l'investissement de fonds d'origine illicite pour la commission de nouvelles infractions ... ».
En outre, le rapport du GIABA relève que les fraudes peuvent porter indifféremment sur l'utilisation abusive des tontines, véritables systèmes informels de microcrédit, l'utilisation (de professionnels non financiers et autres véhicules juridiques) qui se trouve facilitée « lorsque la société appartient entièrement à des délinquants ou est totalement contrôlée par ces derniers », ou encore sur les systèmes de prêts hypothécaires, et l'acquisition des biens immobiliers pour dissimuler des activités illégales. Ce dernier procédé permet en effet aux délinquants et aux gangs, selon le GIABA, « d'introduire des fonds illicites dans le système, de tirer des bénéfices des fonds illicites et d'en jouir ... ». Au regard de toutes ces considérations, le GIABA invite à être particulièrement attentif aux transactions dans lesquelles il existe des signes où il est certain que les parties n'agissent pas en leur nom propre et essaient de dissimuler l'identité du véritable client; autant que les transactions qui commencent au nom d'un individu et sont finalisées au nom d'un autre sans aucune explication logique au sujet du changement de nom. Sont logées à la même enseigne, les opérations dans lesquelles «les parties ne prêtent pas véritablement attention aux caractéristiques du bien immobilier, ne semblent pas particulièrement intéressées par l'obtention d'un meilleur prix pour la transaction ou l'amélioration des modalités de paiement, font montre d'un fort désir de conclure la transaction rapidement, sans aucun motif valable apparent ou manifestent un considérable intérêt pour les transactions immobilières dans certaines zones, sans pour autant s'inquiéter du prix à payer, celles dans lesquelles les parties sont étrangères ou considérées comme non résidentes aux termes de la législation fiscale, et ayant pour seul but un placement de capitaux... ». C'est dire combien la manifestation de l'infraction peut être complexe, rendant du coup sa détection et sa sanction plus difficiles. Mais la législation béninoise ambitionne de la traquer. Prévention et répression au travers de la loi 2006-14 Conscient que le meilleur moyen de combattre un mal pourrait être d'éviter qu'il survienne, le législateur béninois, à travers la loi 200614 du 31 octobre 2006 portant lutte contre le blanchiment des capitaux, a entendu poser des balises pour empêcher ou limiter la commission de l'infraction. Cette loi met ainsi l'accent sur le respect de la réglementation des changes (article 6), impose des mesures d'identification des clients, qu'ils soient occasionnels ou fidèles, par les organismes financiers, de même que l'identification de l'ayant droit économique par les mêmes organismes (articles 7,8 et9). Mieux, la loi exige une surveillance particulière de certaines opérations. Ainsi « tout paiement en espèces ou par titre au porteur d'une somme d'argent, effectué dans des conditions normales, dont le montant unitaire ou total
est égal ou supérieur à cinquante millions (50.000.000) de francs CFA » et « toute opération portant sur une somme égale ou supérieure à dix millions (10.000.000) de francs CFA, effectuée dans des conditions inhabituelles de complexité et/ou ne paraissant pas avoir de justification ou d'objet licite » doivent faire l'objet d'un examen particulier de la part des structures ou personnes (physiques OU morales) compétentes. Ces structures et personnes doivent se renseigner, dans certains cas, sur l'origine et la destination des sommes d'argent en cause, ainsi que sur l'objet de la transaction et l'identité des personnes impliquées. Ce après quoi « les caractéristiques principales de l'opération, l'identité du donneur d'ordre et du bénéficiaire, le cas échéant, celle des acteurs de l'opération sont consignés dans un registre confidentiel, en vue de procéder à des rapprochements, en cas de besoin » (article 10 dernier alinéa). Puis, à toutes fins utiles, la loi impose la conservation des documents et leur communication. L'article 11 stipule ainsi que « sans préjudice des dispositions plus contraignantes, les organismes financiers conservent pendant une durée de dix (10) ans, à compter de la clôture de leurs comptes ou de la cessation de leurs relations avec leurs clients habituels ou occasionnels, les pièces et documents relatifs à leur identité. Ils doivent également conserver les pièces et documents relatifs aux opérations qu'ils ont effectuées pendant dix (10) ans à compter de la fin de l'exercice au cours duquel les opérations ont été réalisées ». La communication des documents vise, aux termes de l'article 12 dernier alinéa, à « permettre la reconstitution de l'ensemble des transactions réalisées par une personne physique ou morale et qui sont liées à une opération ayant fait l'objet d'une déclaration de soupçon ... ». Une autre mesure de prévention concerne les casinos et établissements de jeux. A leur propos, la loi a édicté, entre autres, une obligation de « justifier auprès de l'autorité publique, dès la date de demande d'autorisation d'ouverture, de l'origine licite des fonds nécessaires à la création de l'établissement», et de «s'assurer de l'identité, par la présentation d'une carte d'identité nationale ou de tout document officiel original en tenant lieu, en cours de validité, et comportant une photographie dont il est pris une copie, des joueurs qui achètent, apportent ou échangent des jetons ou des plaques de jeux pour une somme supérieure ou égale à un million (1.000.000) de francs CFA ou dont la contrevaleur est supérieure ou égale à cette somme » (article 15). S'agissant de sanctions, l'article 37 de la loi renseigne que « les personnes physiques coupables d'une infraction de blanchiment de capitaux, sont punies d'un emprisonnement de trois (3) à sept (7) ans et d'une amende égale au triple de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment » et que « la tentative de blanchiment est punie des mêmes peines ». Quant à l'article 38, il punit des mêmes peines, « l'entente ou la
participation à une association en vue de la commission d'un fait constitutif de blanchiment de capitaux, l'association pour commettre ledit fait, l'aide, l'incitation ou le conseil à une personne physique ou morale en vue de l'exécuter ou d'en faciliter l'exécution ». Ces peines seront portées au double « lorsque l'infraction de blanchiment de capitaux est commise de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle, lorsque l'infraction de blanchiment est commise en bande organisée, lorsque l'auteur de l'infraction est en état de récidive », les condamnations prononcées à l'étranger étant prises en compte pour établir la récidive (article 39). A tout cela il faut ajouter, selon la gravité des cas, d’autres sanctions facultatives ou spécifiques, et des sanctions plus corsées lorsque l'auteur de l'infraction est une personne morale. L'article 42 prévoit, à cet effet, que « les personnes morales autres que l'Etat, pour le compte ou au bénéfice desquelles une infraction de blanchiment de capitaux ou l'une des infractions ( ... ) a été commise par l'un de ses organes ou représentants, sont punies d'une amende d'un taux égal au quintuple de celles encourues par les personnes physiques, sans préjudices de la condamnation de ces dernières comme auteurs ou complices des mêmes faits» et qu'elles peuvent, en outre, être condamnées à plusieurs autres peines dont «l'exclusion des marchés publics, à titre définitif ou pour une durée de cinq (5) ans au plus, la confiscation du bien qui a servi ou était destiné à commettre l'infraction ou du bien qui en est le produit, le placement sous surveillance judiciaire pour une durée de cinq (5) ans au plus, la dissolution, lorsqu'elles ont été créées pour commettre les faits incriminées ... ». A l'appui de toutes ces sanctions prévues, la loi rend obligatoire la confiscation des produits du blanchiment. L'article 45, explicite à cet effet que «dans tous les cas de condamnation pour infraction de blanchiment de capitaux ou de tentative, les tribunaux ordonnent la confiscation au profit du Trésor
public, des produits tirés de l'infraction, des biens mobiliers ou immobiliers dans lesquels ces produits sont transformés ou convertis et, à concurrence de leur valeur, des biens acquis légitimement auxquels lesdits produits sont mêlés, ainsi que des revenus et autres avantages tirés de ces produits, des biens en lesquels ils sont transformés ou investis ou des biens auxquels ils sont mêlés à quelque personne que ces produits et ces biens appartiennent, à moins que leur propriétaire n'établisse qu'il ignore leur origine frauduleuse ». Enfin, pour donner de meilleures chances à la lutte contre le fléau, le législateur accorde une compétence internationale aux juridictions nationales qui, aux termes de l'article 46, « sont compétentes pour connaître des Infractions ( ... ), commises par toute personne physique ou morale, quelle que soit sa nationalité ou la localisation de son siège, même en dehors du territoire national, dès lors que le lieu de commission est situé dans l'un des Etats membres de l'UEMOA». Le législateur autorise aussi le transfert des poursuites. Cela se traduit par la possibilité pour l'autorité de poursuite d'un autre Etat membre de l'UEMOA, lorsqu'elle estime, « pour quelque cause que ce soit, que l'exercice des poursuites ou la continuation des poursuites qu'elle a déjà entamées se heurte à des obstacles majeurs et qu'une procédure pénale adéquate est possible sur le territoire national elle peut demander à l'autorité judiciaire compétente d'accomplir les .actes nécessaires contre l'auteur présumé ». L'entraide judiciaire est également prévue, de même que l'extradition qui suit, en l'espèce, une procédure simplifiée. Somme toute, le législateur béninois a entendu, au travers de cette loi, combattre le fléau de blanchiment de capitaux. Il reste que cela se traduise dans les actes.