Comment reussir une filiere agricole

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COMMENT REUSSIR UNE FILIERE AGRICOLE

CIPB Le Conseil des Investisseurs Privés au Bénin est une Association regroupant des entrepreneurs ayant investi de manière significative au Bénin. Emanation de tous les secteurs et de tous les métiers, le CIPB a pour objectifs: - De promouvoir un espace favorable à l'investissement et à l'emploi - D’accompagner l'Etat dans ses réformes - D’optimiser les ressources locales.

Avril 2008 © Propriété du CIPB, Immeuble Kougblénou, 85, avenue Steinmetz, 03 BP 4304 Cotonou, Bénin, www.cipb.bj

Comment réussir une filière agricole, avril 2008, © CIPB

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Introduction Comme on le sait, les pouvoirs publics béninois sont animés par l’ambition de faire de notre pays l’une des premières puissances agricoles du continent africain. Dans cette optique, se sont tenues récemment plusieurs rencontres intéressantes sur la question de la promotion de nouvelles filières agricoles. Ainsi, lors d’un atelier organisé le 7 mars dernier par l’Ambassade des Pays-Bas sur le lancement d’un nouveau projet sur le coton béninois, Monsieur Bernard AGBO, Conseiller Technique au ministère de l’Agriculture, a fait un exposé relatif aux douze filières sur lesquelles réfléchit actuellement le gouvernement béninois. Au cours de la même semaine, dans le cadre d’une mission post-crédit à la société FLUDOR BENIN, une équipe de la Banque Africaine de Développement s’est penché sur les possibilités d‘investissements dans le secteur agricole. Elle s’est intéressée aux filières à fort potentiel industriel et aux conditions de leur succès, en tirant leçon de l’expérience de cette entreprise. Dans le même temps, le Conseil Economique et Social s’est aussi saisi de cette question de la diversification des filières agricoles au Bénin. Pour sa séance de travail du 12 mars 2008, le Conseil a sollicité la contribution de Monsieur Roland RIBOUX, en sa qualité de Président de la Commission du développement des nouvelles filières agricoles, des énergies renouvelables et des produits « bio », de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin. Vous trouverez, ci-après, un condensé de l’intervention de Monsieur RIBOUX, Président du CIPB, devant la Commission du Développement Rural et de l’Environnement du Conseil Economique et Social. Patrick Lecompte / Gnona Afangbedji Service Communication du CIPB.

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COMMENT REUSSIR UNE FILIERE AGRICOLE Résumé de l’intervention de M. Roland RIBOUX, président de la Commission du Développement des Nouvelles Filières Agricoles, des Energies Renouvelables et des Produits BIO de la CCIB, devant la Commission du Développement Rural et de l’Environnement du Conseil Economique et Social, durant sa séance du 12 mars 2008.

I - TIRER LES LEÇONS DES REUSSITES ET DES ECHECS La réussite de la filière palmiers à huile en Malaisie Dans les années 70, la Malaisie souhaitait se diversifier hors de l’hévéa et de l’étain. Le choix du gouvernement s’est porté sur le palmier à huile (à cette époque, la Malaisie produisait 200.000 tonnes d’huile de palme). Le gouvernement a commissionné un groupe de consultants qui a diagnostiqué que la Malaisie n’avait aucune chance de réussir dans le palmier à huile sauf à résoudre un certain nombre de problèmes. Ces problèmes ou obstacles ayant ainsi été identifiés, le gouvernement s’est appliqué à les résoudre un par un ; c’est comme cela que la filière a été lancée. Les principes : •

Le privé s’occupe de la production de la matière première, de la transformation de la matière première en huile brute puis raffinée, qu’il commercialise ;

l’Etat quant à lui fournit un cadre : cadre foncier, attribuant des terres arables à de petits fermiers (et les leur retirant s’ils sont incompétents), laissant opérer les grandes plantations industrielles ; cadre fiscal incitatif à l’investissement et à la production et désincitatif à l’exportation de produits sans valeur ajoutée ; cadre technique et commercial avec un énorme effort de recherche financée par l’Etat et un cadre d’appui commercial particulièrement puissant (l’Etat certifie les entreprises, rédige des contrats types de vente d’huile à l’exportation, entretient à l’étranger des ‘‘ambassades’’ du Malaysian Palm Oil Board, etc.).

Le résultat : la Malaisie est devenue le premier producteur mondial d’huile de palme, avec 13 millions de tonnes produites chaque année.

L’échec de la filière coton au Bénin Lorsque le Bénin, au début des années 90, a décidé de privatiser sa filière, il ne l’a pas fait dans le but d’accroître sa production et encore moins de faire de cette filière la locomotive du développement du Bénin (qu’elle aurait pu être), mais pour obéir aux injonctions de la Banque Mondiale de privatiser (mot magique de l’époque). Même dans ce contexte, le gouvernement ne s’est pas entouré des conseils de consultants pour assurer un développement harmonieux de la filière en prenant simplement l’injonction de la Banque Mondiale pour une contrainte supplémentaire parmi d’autres, à intégrer dans un plan stratégique d’ensemble. La privatisation s’est faite par petits bouts : les intrants, quelques usines d’égrenage, puis d’autres. Lorsque la situation est devenue proprement ingérable, une interprofession a été imaginée pour tenter de mettre un peu d’ordre. Depuis, on ne cesse d’invoquer la discipline, le bon sens, la gouvernance, l’autorité d’Etat, etc... Pendant ce temps, la filière régresse, les producteurs souffrent et le pays n’émerge pas, malgré tous les efforts du Président de la République.

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Les leçons L’Etat doit avoir une vision à long terme sur le secteur qu’il veut développer ; il doit avoir étudié et fait étudier en toute impartialité les tenants et aboutissants de la filière qu’il veut lancer/relancer : forces, faiblesses, opportunités, menaces, etc. De ce travail de réflexion doit sortir un plan stratégique qui sera mené sans fléchir ; ce plan stratégique devra respecter les règles ci-après : •

L’Etat doit assurer un cadre global favorable au décollage de la filière, en particulier législatif (problèmes fonciers, relations contractuelles avec les producteurs, etc.) et fiscal ;

L’Etat doit laisser les opérateurs privés en position de jouer leur rôle de gestion de la production et de la relation clients/fournisseurs et fournisseur/client, base de l’activité économique ; il ne doit interposer dans les circuits économiques des commissions toutes puissantes ou impuissantes, faire dépendre leur rentabilité d’arrêtés ad hoc ou de procédures d’habilitation complexes et arbitraires. Rien de plus compliqué que la relation égreneur/producteur au Bénin, passant par l’AIC, la CSPR, le Ministère ; rien de plus simple que la relation planteur/usinier en Malaisie, aussi simple que la relation producteur/SONAPRA jadis ;

L’Etat doit conserver la maîtrise du cadre technique et commercial : à lui revient la recherche scientifique pour l’amélioration continue des matières premières, la formation des encadreurs (aussi longtemps qu’elle n’est pas prise en charge par les privés), la définition de normes assurant un label aux productions nationales, l’assurance qu’il y a une chaîne de l’hygiène (laboratoire, entrepôts frigorifiques le cas échéant) et de la commercialisation (port ou aéroport capable d’évacuer la production nationale) ;

L’Etat doit assurer la protection de la filière : élaborer et imposer des normes de qualité et d’hygiène qui assurent la compétitivité des produits nationaux aussi bien à l’import contre l’invasion de produits frelatés qu’à l’export pour la promotion du label ‘‘made in Bénin’’ ; selon le cas, s’assurer que les services de douane et de l’hygiène appliquent rigoureusement la loi aux produits concurrents importés ; ou au contraire, s’assurer que les forces de l’ordre et la douane n’entravent pas l’exportation des produits pour prélever leur dîme.

L’Etat doit assurer la promotion du produit : non seulement par une labellisation assurant la qualité, mais aussi par un effort à l’international : action diplomatique lorsque le produit est menacé par des produits concurrents subventionnés, actions proprement commerciales en attendant que des opérateurs économiques soient assez puissants pour prendre le relais.

En bref, l’Etat devra avoir mis en place : •

Un cadre législatif ;

Des agents compétents et formés, idéalement regroupés dans une agence ;

Des laboratoires ;

Une infrastructure de transport et de stockage (non pas étatique, mais par concertation avec des privés forcément intéressés à s’insérer dans un projet bien ficelé de développement d’une filière) ;

Tout un arsenal de mesures d’accompagnement de la filière dans son développement jusqu’à ce que les privés soient devenus assez puissants pour se prendre en charge dans le cadre constamment mis à jour (adaptation aux circonstances) par l’Etat.

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II - QUELLE FILIERE CHOISIR ? De ce qui a été dit plus haut, il ressort que réussir une filière n’est pas une mince affaire ; cette entreprise demande un énorme investissement en matière grise et nécessite que de nombreux cadres compétents (donc ayant été sélectionnés et formés) s’y consacrent entièrement ; ceci exclut automatiquement l’idée de lancer plusieurs filières simultanément. Comme il n’est jamais bon d’être mono produit, on peut cependant avoir pour objectif de lancer une autre filière une fois qu’on aura réussi la première, etc. Maintenant, sur quelle filière se concentrer ? Quoiqu’on choisisse, toujours, on devra faire attention aux mêmes problèmes : •

Y a-t-il un marché, une demande solvable ?

Y a-t-il une concurrence qui a des avantages que nous n’avons pas : une main-d’oeuvre moins chère, des subventions, des équipements déjà largement amortis et une recherche puissante qui donne toujours un train d’avance, etc. ?

Avons-nous les moyens de donner à la filière projetée le cadre dont elle a besoin ?

Examinons quelques spéculations : •

Les fruits et légumes (pour notre propre consommation, ils sont actuellement importés des pays voisins) ;

Les productions assurant la suffisance alimentaire ;

Les fruits tropicaux en vue de leur exportation vers les marchés du Nord ;

Des légumes en contre saison par rapport aux pays du Nord également en vue de leur exportation ;

Des produits ‘‘bio’’ en vue de l’exportation ;

Les plantes comme le jatropha ou le ricin, à lancer dans des zones non encore cultivées ou mieux dans des zones où des plantes alimentaires pousseraient mal.

Si le gouvernement veut se saisir de l’une de ces spéculations pour en faire la promotion dans le cadre d’une filière, il devra en passer par toutes les étapes vues plus haut ; s’il se décide, il devra mettre en œuvre le plan stratégique avec toutes ses composantes : cadre législatif et réglementaire, protection de la filière, développement des compétences, création d’infrastructures (laboratoire, logistique, commercialisation), etc.

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III - QUE FAIRE DES FILIERES QUI ONT RATE ? Manifestement, l’Etat n’est pas parvenu à développer trois filières importantes pour le Bénin dans le cadre de la mondialisation : le coton, la crevette, l’ananas. Se dire « nous avons raté le coton, ou la crevette, ou l’ananas, lançons-nous dans la mangue ou le poissonchat » serait une erreur mortelle. Si l’on n’a pas été capable de gérer une filière déjà familière, on sera forcément incapable de gérer la filière nouvelle. Par ailleurs, abandonner à leur sort les filières évoquées correspond non seulement à une démission, mais également à un suicide. La filière coton, à elle seule, fait vivre la moitié de la population béninoise ; ne pas la réformer signifie abandonner à son sort cette partie de la population. Il convient donc d’appliquer à ces trois filières les principes évoqués plus haut : non seulement on sortira ainsi de la médiocrité une partie substantielle de la population béninoise, mais on aura développé une méthodologie pour ‘‘réussir’’ d’autres filières agricoles (et même d’autres filières industrielles ou de services).

Roland RIBOUX Président du CIPB

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