Interview sur la loi de finances 2010

Page 1

LOI DE FINANCES 2010 L’ETAT DEVRAIT AIDER A QUITTER L’INFORMEL Le projet de loi de finances pour la gestion 2010 est en étude au niveau de l’Assemblée nationale. Actuellement, la Commission des Finances et des Echanges de l’Assemblée a démarré les audiences publiques. Pour comprendre les innovations de cette loi appelée aussi budget de l’Etat, nous avons rencontré Monsieur Serge PRINCE AGBODJAN, Juriste Fiscaliste, qui nous apporte, dans cette interview, quelques éléments sur le volet Fiscalité de ce projet de loi de finances gestion 2010. Journal le Matin : Cher Monsieur, le projet de loi de finances pour la gestion 2010 est en étude au niveau du Parlement. Quelles sont les innovations fiscales que ce projet apportera si la loi était votée. Serge PRINCE AGBODJAN : Lorsqu’on parle de loi de finances, il faut s’attendre aux impôts et taxes. Mais, je vais d’abord – pour votre rubrique Droit et Devoir - définir ce qu’est une loi de finances. Une loi de finances est une loi votée par le Parlement ou l’Assemblée nationale, qui prévoit les recettes et les dépenses de l'État pour une année. Cette loi autorise la perception des recettes par l'État et doit être votée par l’Assemblée nationale avant le début de l'année de référence. Cette loi fixe la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. En ce qui concerne notre constitution du 11 décembre 1990 en vigueur, notamment en son article 110, « l'Assemblée nationale vote le budget en équilibre. Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée à la date du 31 décembre, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». Et lorsqu’on parle d’ordonnance, les Béninois savent que c’est le chef de l’Etat, le président de la République qui est compétent pour prendre cette initiative. Vous convenez avec moi que dans un pays où l’on évoque à tort ou à raison que notre budget est essentiellement fiscal, on doit s’attendre à de nouvelles taxes. Eh bien, le projet de loi de finances en étude à l’Assemblée n’a pas échappé à cette situation. Sans faire peur aux lecteurs, je puis dire que le projet s’il était voté a prévu d’autres nouvelles taxes ou redevances. C’est d’ailleurs pourquoi les opérateurs économiques grognent déjà, d’autant plus que, l’année dernière, l’Etat avait fait des avancées en ce qui concerne l’amélioration de l’environnement fiscal au Bénin JLM : Voulez-vous nous dire que le projet qui est en étude actuellement a prévu d’autres taxes et impôts en ces moments difficiles pour les citoyens ? SPA : je suis bien attristé de vous dire Oui. Il faut reconnaître que l’Etat béninois est aussi en crise. Il est question de plus en plus de baisse de recettes. Malheureusement, l’Etat pour s’en sortir a aussi pris des mesures, à mon avis, un peu 1


difficiles. D’abord, les opérateurs économiques qui sont vraiment les acteurs qui permettent à l’Etat de fonctionner, auront des difficultés si la loi était votée. Dans le projet de loi, on parle de mesures reconduites, des nouvelles mesures et des ressources. J’insisterai sur les nouvelles mesures qui intéresseront nos lecteurs. D’abord, à l’article 9 du projet de loi de finances, il est dit que, pour compter du 1er janvier 2010, il est institué une redevance sur les communications GSM. Elle comprend deux composantes : - la composante redevance relative à l’appel international entrant, à raison de 15 francs CFA la minute ; - la composante redevance relative aux autres appels sur chaque réseau, à raison de 2 FCFA la minute. Ce qui veut dire que, si la loi est votée, même si le citoyen échappe à la composante appel international entrant, il doit communiquer en interne donc il paiera 2 FCFA la minute sur sa communication. A cette redevance, on peut ajouter la Taxe de Développement Locale (TDL) prévue par les articles 1084 quinter-1 qui est applicable aux produits agricoles, forestiers, animaux, halieutiques, miniers et autres recettes de l’exploitation des sites touristiques. Nous pouvons également ajouter l’article 573 qui impose aux prestataires de services et à tous les opérateurs économiques dont les activités ne contiennent ni vente ni promesse de livrer des marchandises, denrées ou objets mobiliers, un droit d’enregistrement de 1%. JLM : Est-ce que ces nouvelles dispositions n’auront pas des répercussions sur les professionnels ou les opérateurs économiques ? SPA : Mais oui. De mon avis, ce projet de loi de finances compliquera la vie aux opérateurs économiques car, on y constate beaucoup de restrictions, pour ne pas dire, la mise en cause même des acquis, puisque les opérateurs économiques du secteur formel ont un cadre de concertation avec le ministère des Finances. JLM : Pourquoi parlez-vous de complication et de mise en cause ? SPA : Au lieu de persévérer dans la politique d’affaiblissement du pouvoir discrétionnaire de l’inspecteur des Impôts, source d’abus et de corruption, la loi de finances en étude a plutôt renforcé ce pouvoir discrétionnaire. C’est le cas de l’article 246 nouvel alinéa 5, du projet de loi de finances pour la gestion 2010. Cet article qui, après étude du projet, pouvait être considéré comme la seule et unique facilité accordée aux opérateurs économiques dans ce projet de loi de finances, devient à la lecture de la dernière phrase qui le compose, une source d’abus et de corruption. En effet, selon l’alinéa 5 de l’article 246 nouveau, « toutefois, à compter du 1er janvier 2010, les remboursements de la TVA s’effectueront dans les 2


quinze jours suivant la réception des demandes y relatives, à concurrence de 75%. A la fin de leur instruction, les soldes validés pourront êtres remboursés aux entreprises bénéficiaires. En cas de surplus de remboursement, la TVA remboursée à tort est mise au rôle avec exigibilité immédiate. La liste des entreprises pouvant bénéficier de cette facilité est établie par la Direction Générale des Impôts et des Domaines au début de chaque année en fonction de leur situation fiscale. Pourquoi une liste, et quelles sont les critères de sélection des opérateurs économiques ? Cette possibilité offerte à l’Administration fiscale peut engendrer des abus et même la corruption parce que le code général des Impôts n’a pas accordé ce privilège de remboursement de la TVA à tous les opérateurs économiques. Selon l’article 243 de ce code, ce sont les producteurs, les assujettis qui réalisent, pour plus de leur chiffre d’affaires annuel, des opérations d’exportation ou des opérations assimilées, et des assujettis qui acquièrent des biens d’investissement ouvrant droit à déduction pour une valeur supérieure à 40 000 000 FCFA au cours du bimestre concerné. Que va faire encore une liste, puisque la procédure de remboursement en cash est actuellement effective et se fait sans une liste des opérateurs économiques ? Cela apparaît donc comme une procédure de trop, puisqu’aucun remboursement ne se fait sans une instruction rigoureuse des services de la Direction des Impôts et des Domaines. A cela, il faut ajouter d’autres mesures qui, me semble-t-il, ne permettront pas aux opérateurs économiques qui sont dans l’informel de continuer le processus de formalisation déjà démarré par la loi de finances passée. L’exemple de la disposition 4 alinéa 11 de la loi de finances gestion 2009, qui est une mesure en matière de création des entreprises nouvelles, vient d’être recadré en défaveur des opérateurs économiques. Dans l’article 4 nouveau à l’alinéa 11 de la loi de finances 2009, les entreprises nouvelles régulièrement créées sont exonérées d’impôts au titre de leur première année d’activités. La première année n’étant pas spécifiée par le législateur, l’entreprise qui est créée en Août 2008 bénéficie des exonérations pendant 1 an, soit jusqu’en août 2009. Or, dans le projet de loi de finances gestion 2010, l’article 11 stipule : « Au sens des dispositions des articles 4, 59 et 1011 annexe 1 et 1084-10 du code général des Impôts, est entreprise nouvelle celle créée durant l’année fiscale en cours et la première année d’activités est celle allant de la date de création au 31 décembre de la même année… » Donc, l’entreprise qui est créée en Août 2010 jouira de ces exonérations jusqu’en décembre 2010, et non jusqu’en Août 2011, et l’entreprise qui est créée le 31 décembre 2010 ne bénéficiera d’aucune des avantages accordés aux nouvelles entreprises. A mon avis, cette disposition est restrictive par rapport à celle prise l’année dernière, car elle n’encourage pas la création d’entreprises ni l’élargissement de l’assiette fiscale. 3


JLM : Avez-vous d’autres éléments d’appréciation à ce sujet ? SPA : Bien sûr. Actuellement, le code général des Impôts admet une définition lato sensu de la notion d’« entreprise immatriculée ». C’est du moins ce qui résulte assez clairement de la loi de finances pour la gestion 2009. L’admission d’une définition large de la notion d’« entreprise immatriculée » se comprend aisément et s’explique sans doute par le fait que l’institution d’un système d’identification fiscale au Bénin est récente ; elle date d’un an à peine et ne peut devenir une réalité sur toute l’étendue du territoire béninois que progressivement. Mais, le projet de loi de finances gestion 2010 restreint la notion d’« entreprise immatriculée » en la réduisant à l’« entreprise immatriculée à l’IFU ». Ainsi, une entreprise immatriculée à l’INSAE ne sera plus considérée comme une entreprise immatriculée au regard du fisc. La tendance de l’Administration fiscale à restreindre la notion d’« entreprise immatriculée », à ne plus reconnaître l’immatriculation des entreprises à l’INSAE au même titre que l’immatriculation à l’IFU, est manifestement précoce, un an à peine après l’institution de l’IFU. Elle pénalisera, en outre, toutes les entreprises qui sont immatriculées à l’INSAE et qui sont en instance d’immatriculation à l’IFU. Par exemple, ces entreprises seront passibles de l’AIB, non plus au taux de 1% mais au taux de 5%. N’est-ce pas une autre occasion donnée aux opérateurs économiques de rester dans l’informel ? Je pense que cette réforme est à faire, mais la faire aussi précipitamment peut générer d’autres conséquences. Il faut, à mon avis, que dans ce projet de loi à l’étude on n’aille pas tout de suite à la généralisation mais qu’on l’exige à ceux qui bénéficient des avantages de l’Etat, par exemple. Cela, parce que la réforme de l’IFU a été purement et simplement abandonnée au Sénégal au vu des problèmes que cela a engendrés. Une autre contradiction est à relever dans le projet de loi de finances pour la gestion 2010. En effet, modifié par la loi de finances gestion 2009, l’article 42 du code général des Impôts prévoit que toute cessation de l’exercice d’une profession, toute cession d’une charge ou d’un office et tout transfert de clientèle sont soumis à la déclaration préalable à faire auprès de la Direction Générale des Impôts et des Domaines « trois mois avant la cessation » par le titulaire de la profession, de la charge ou de l’office. Paradoxalement, le dernier paragraphe de l’article 251 du même code inséré après modification dans le projet de Loi de finances gestion 2010 dispose toujours que « les cessions ou cessations d’activités, qu’elles soient totales ou partielles, font l’objet d’une déclaration dans les mêmes délais que pour le commencement des opérations », c’est-à-dire, dans les vingt jours suivant le commencement des opérations. Il y a donc lieu de procéder à une harmonisation des dispositions des articles 42 et 251 du CGI, en ramenant à trois mois le délai de déclaration prévu par le dernier paragraphe de l’article 251 du CGI. JLM : Face à tout cela, que préconisez-vous ? 4


SPA : Je pense que ce projet de loi doit être rediscuté pour analyser les conséquences de cette loi. Aussi, l’Etat ne doit-il pas se mettre dans sa situation de crise et de baisse des recettes pour prendre des mesures difficiles en ce moment où il serait mieux de tout faire pour l’élargissement de l’assiette fiscale. Il faut que ceux qui sont dans l’informel trouvent des raisons de sortir de cette situation. Au lieu de prendre des mesures pour contraindre ceux qui sont dans l’informel d’y rester, l’Etat devrait faire le contraire. Pour finir, il est à mentionner que la taxe spéciale de Réexportation (TSR) a été revue à la baisse, passant à 4 % ad valorem si la loi était votée.

5


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.