La clemence fiscale fait perdre des milliards a letat

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AFRIQUE

La clémence fiscale fait perdre des milliards à l’Etat PARIS, 23 fév (IPS) - La mauvaise gouvernance et la persistance de l’industrie de l’évasion fiscale permettent le détournement de milliards de dollars de bénéfice non imposé de l’Afrique, chaque année. Pendant les 25 dernières années, les recettes fiscales dans la plupart des pays africains n’ont même pas réussi à atteindre l’objectif peu élevé de 15 % de produit intérieur brut, beaucoup moins que la moyenne de 35 % des pays riches, selon un rapport récent de la section africaine du Réseau pour la justice fiscale (TJN). Intitulé "Imposez-nous si vous pouvez – pourquoi l’Afrique doit-elle se lever pour la justice fiscale", le rapport condamne principalement la mauvaise gouvernance, que ce soit au niveau africain ou international, et l’industrie de l’évasion fiscale. Le Réseau pour la justice fiscale est une organisation internationale indépendante qui fait le plaidoyer en faveur de la réglementation fiscale. "Aujourd’hui, 80 % des exportations africaines se composent de matières premières. Les gouvernements africains dépendent fortement des apports de ressources provenant de ces produits mais la plupart sont exonérés d’impôts", souligne le rapport publié le 14 février. Les compagnies multinationales qui opèrent au niveau des économies africaines, y compris celles des pays les moins avancés, bénéficient des exonérations fiscales massives de la part des agents d’impôts qui manquent de moyens, qui sont ineptes ou simplement corrompus, selon Khadija Sharife, principale auteure du rapport. "Les multinationales utilisent les mêmes systèmes de secret dont dépendent les trafiquants d’être humains et de la faune, les vendeurs d’armes, les dictateurs et les régimes autocratiques afin de survivre et de prospérer", a-t-elle expliqué à Inter Press Service (IPS). Les exonérations fiscales, les périodes de grâce et les reports, les faibles taux de redevances ridicules payées par les sociétés qui exploitent les ressources naturelles abondantes du continent et l’accès à moindre coût à l’eau, au bois et à la terre se traduisent en argent détourné des caisses vides des Etats africains. Le Réseau pour la justice fiscale donne l’exemple d’un accord conclu dans l’Etat éthiopien de Benishangul Gumuz. Une exonération de l’impôt sur le revenu des sociétés pendant cinq ans a entraîné une perte fiscale annuelle estimée à 12 millions de dollars pour le trésor. De même, selon l’estimation du réseau, au Kenya voisin, le gouvernement n’arrive à collecter que 35 % de l’impôt sur le revenu des sociétés que la loi nationale a exigé. "L’Office des recettes du Kenya emploie à peu près 3.000 agents fiscaux et de douane pour servir une population de 32 millions d’habitants. Le Pays Bas, comme exemple d’un pays de l’OCDE, emploie 30.000 agents fiscaux et de douane pour une population de 10 millions d’habitants", note le rapport. L’OCDE est l’Organisation de coopération et de développement économiques représentant les pays riches. Les gouvernements africains ont une longue histoire en matière d’octroi de concessions fiscales aux privilégiés, indique-t-il. "La célèbre Pierre de Rosette, créée en 196 avant JC, 1


était un accord offrant une exonération fiscale aux prêtres, et certaines réductions aux militaires et autres classes dirigeantes, y compris les commerçants approuvés par le roi", selon le réseau. Selon 'Global Financial Integrity' (Intégrité financière mondiale), un programme du 'Center for International Policy' (Centre pour la politique internationale) basé aux Etats-Unis, qui étudie les flux transfrontaliers d’argent illégal, le stock cumulatif de flux financier illicite provenant d’Afrique s’élevait à 854 milliards de dollars entre 1970 et 2008, ou une trentaine de milliards de dollars chaque année. En conséquence, le fardeau des impôts pèse sur le citoyen africain. Comme les frontières font partie des quelques points de collecte efficace d’impôt, les tarifs sont rigoureusement appliqués, ce qui freine l’intégration économique régionale. Pendant la sécheresse grave qui a frappé la corne de l’Afrique en 2005, au moment où les gouvernements de la région demandaient de l’aide alimentaire, il a fallu plus de trois mois à certaines autorités pour supprimer l’impôt à l’importation pour les produits alimentaires dont on a désespérément besoin. "Des données, des chiffres et des analyses sont difficiles à trouver, ce qui rend la question absente des journaux et qui la cache à la vigilance des gouvernements africains", a déclaré Alvin Mosioma, coordonnateur du bureau Afrique du Réseau pour la justice fiscale depuis Nairobi, au Kenya. "La société civile africaine a porté la question au niveau de l’Union africaine en août dernier et nous avons fait pression sur la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique", déclare Mosioma. "La nécessité d’une meilleure gouvernance fiscale est identifiée, mais elle a encore besoin d’une insistance soutenue", ajoute-t-il. Les 16 pays qui composent la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), ont commencé à travailler sur les taux minima d’impôt et de redevance pour les industries minières, pétrolières et de gaz. Mais l’initiative a connu un ralentissement, selon Mosioma. Ce qui est plus inquiétant, certains pays africains semblent être tentés d’utiliser ou de devenir des paradis fiscaux eux-mêmes, ce qui faciliterait encore plus l’évasion des bénéfices. "L’utilisation de l’Ile Maurice, qui pratique le secret bancaire, par 'New Reclamation', une société sud-africaine exploitant les diamants au Zimbawe avec la 'Mining Development Corporation' dans le cadre de leur entreprise commune, est très instructive", a soutenu Sharife. "Malgré la nature du parti au pouvoir, la ZANU-PF, que les diamants soient classés comme 'des diamants de sang' ou non, les sociétés qui utilisent l’Ile Maurice le font parce qu’elles veulent accéder à des services tels que le secret bancaire et l’exonération fiscale", a-t-elle expliqué. "Les gouvernements qui vendent la souveraineté pour agir comme des paradis fiscaux ont leurs mains tachées de sang", a conclu Sharife. Hilaire Avril Publié par Inter Press Service News Agency, le 03/03/2011

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