PLACE DES LIBERTES PUBLIQUES ET MESURES POLICIERES D’ORDRE PREVENTIF DANS UN ETAT DE DROIT COMME LE BENIN
« Le premier état que l’homme acquiert par la nature et qu’on estime le plus précieux de tous les biens qu’il puisse posséder est l’état de liberté » 1 Ce faisant, l’homme dans la société est en quête de sa liberté. Il veut vivre dans un Etat où sont garanties les libertés naturelles. Cet idéal recherché a amené « toutes les constitutions pratiquement et leurs préambules à rendre hommage aux libertés publiques en les énumérant ou en faisant référence comme s’il s’agissait d’un culte et de rituels sans lesquels la formulation d’un régime politique serait incomplète… » 2 L’Etat de droit où régneront les libertés publiques devient un souci pour tout citoyen. Quant à la loi qui, selon Claude Albert Colliard, n’est rien d’autre que « l’acte public et solennel de la volonté générale »3, elle doit être un élément de base pour les libertés publiques. Pour apprécier la problématique des libertés publiques dans la mise en œuvre des mesures policières d’ordre préventif au Bénin, il est impératif de définir les concepts de « libertés publiques » et « mesures policières d’ordre préventif » dans un Etat de droit, et d’en arriver à préciser les libertés publiques reconnues par la constitution du 11 Décembre 1990. « LIBERTES PUBLIQUES » ET « MESURES POLICIERES D’ORDRE PREVENTIF » DANS UN ETAT DE DROIT En abordant cette problématique, les citoyens se posent des questions dont celle– ci : Quelle volonté autonome le citoyen peut-il exprimer s’il n’est pas à l’abri de l’arbitraire, et comment peut-on mettre en œuvre les mesures policières d’ordre préventif si les droits de l’homme et les libertés publiques ne sont pas garantis ? Les libertés publiques doivent être prévues par des textes précis et garanties par des organes fonctionnant de manière efficace. La loi, fondement des libertés publiques dans un état de droit Pour être libre, il faut d’abord agir selon la loi. La loi est la définition même de la liberté car la liberté est ce que la loi dit. L’encyclopédie universelle (IB.ID) définit la liberté civile comme « le droit de faire tout ce que les lois permettent ». La loi devient donc fondatrice des libertés publiques parce qu’elle est « l’expression de la volonté générale ». Elle est générale parce qu’elle est la même pour tous. Tous les citoyens doivent pouvoir respecter ce qu’ils ont eux-mêmes décidé de commun accord. Ils sont les seuls à pouvoir en donner les limites car, pour Bela Farago, « les limites mêmes sont constitutives des libertés »4, et la liberté « est le droit de faire tout ce que les lois n’interdisent pas »5.
Reprise de la première phrase du « Contrat social » de Jean-Jacques Rousseau, par HEYMANN-DOAT (Arlette), Libertés publiques et Droits de l’homme, pp. 13 et 14. 2 COLLIARD (Claude-Albert), Libertés publiques, Dalloz, Paris 1989, p. 25. 3 ROUSSEAU (Jean-Jacques), Du Contrat Social, p. 148. 4 FARAGO (Bela), L’Etat des libertés, Aubier, 1981. 5 SOULIER (Gérard), « Le sens de la déclaration des droits de l’homme », in Le français aujourd’hui, Nº 62 Juin 1988. 1
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Un Etat qui se veut démocratique doit avant tout garantir les libertés publiques qui ont pour fondement la loi. Il convient de signaler que l’importance des libertés publiques dans un Etat de droit s’explique par la place qu’a toujours occupée la liberté pour l’homme. Les hommes ont toujours lutté pour le respect de leur dignité. C’est ce qui, dès lors, a abouti à l’élaboration d’une série de textes de portée universelle ou régionale garantissant les libertés publiques : - la charte des Nations Unies signée le 26 Juin 1945 à San Francisco ; - la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 Décembre 1948 ; - les divers pactes de 1966 et la charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de 1981. Tous ces instruments avaient comme but unique d’aider les Etats à assurer le respect des droits et libertés des citoyens. La notion d’Etat de droit proclamée par les Etats ne pourrait avoir son sens que si elle accorde une place de choix aux libertés publiques véritables car, pour Claude Le Clercq, « Il n’y a de libertés publiques véritables au sens juridique que dans un Etat de droit »6. Les mesures policières d’ordre préventif dans le respect des libertés publiques Depuis plus de deux siècles, l’Etat de droit avec comme conséquence le principe de la légalité a construit un rempart contre l’autosuffisance du pouvoir policier. L’activité de police, comme toute activité, s’exerce dans le respect de la légalité. Mais, s’agissant de mesures de police, le juge contrôle plus particulièrement : - le but poursuivi. Le juge censure toute mesure de police qui n’a pas pour but le maintien ou le rétablissement de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité ou de la moralité publiques. Une mesure de ce genre est entachée de détournement de pouvoir. (C.E., 12 novembre 1927, Bellescize : mesure de police prise dans un but financier) ; - les motifs. Ce sont les circonstances de fait et de droit qui ont incité l’autorité administrative à prendre une mesure de police. Ces circonstances doivent faire apparaître une menace à l’ordre public. Si tel n’est pas le cas, la mesure de police est illégale ; - les moyens, le contenu ou l’objet de la mesure de police. Pour Hauriou : “ Il ne faut pas confondre le but de la police avec les droits de la police qui sont les moyens qu'elle a le droit d'employer. La fin ne justifie pas les moyens, même en matière de police, et le but ne crée pas nécessairement le droit. ” Comme on le constate dans la plupart des pays du monde, les mesures de police constituent généralement une atteinte aux libertés publiques. C’est pourquoi depuis les conclusions du Conseil d’Etat français du 10 Août 1917, nous avons gardé la formule du commissaire de gouvernement français Corneille qui a pu résumer l’esprit de contrôle des pouvoirs de police en ces termes : « la liberté est la règle, la restriction de police, l’exception. » (C.E., du 10 Août 1917). Selon le commissaire du gouvernement français Corneille dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 Août 1907, il faut établir un compromis entre deux nécessités : celle de maintenir l’ordre public et celle de ne pas porter atteinte aux libertés publiques et individuelles.
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LECLERCQ (Claude), Les libertés publiques en Afrique Noire. 2
Mais, comme on le constate souvent, les termes du compromis varient selon la nature des circonstances. Ce qui nous amène à dire que la dialectique de l’ordre et de la liberté paraît instable. Dans cette instabilité permanente, il est indispensable que la mise en œuvre des mesures policières d’ordre préventif se fasse dans le strict respect des libertés publiques. Mais, quelles sont les libertés publiques reconnues dans la constitution béninoise du 11 Décembre 1990 ? LES LIBERTES PUBLIQUES RECONNUES PAR LA CONSTITUTION DU 11 DECEMBRE 1990 L’une des caractéristiques de la constitution béninoise du 11 Décembre 1990 est la place de choix qu’elle consacre aux droits et devoirs des citoyens. Cette situation qui n’est pas un fait de hasard est liée à l’histoire politique et constitutionnelle mouvementée du Bénin. La reconnaissance des libertés publiques annoncée à la Conférence nationale des Forces vives de la Nation7 et suivie par les constituants béninois n’a été que la prise en compte effective des aspirations profondes de la population muselée par un régime marxiste à parti unique. Déjà réaffirmé dans le préambule, tout le titre II de la constitution est réservé en particulier aux droits et devoirs du citoyen. Une classification dite classique nous permettra de mieux comprendre quelques droits et devoirs reconnus au Bénin. Il s’agit des droits et devoirs de la 1ère, 2ème et 3ème génération. a- Les droits de la 1ère génération : Le droit à la Vie : reconnu par l’article 15 de la constitution. “Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne.” Pour protéger cette liberté ainsi que cette sécurité et garantir l’intégrité physique et morale de la personne, la constitution du Bénin dans son article 18 a : « Interdit la torture, les peines et châtiments inhumains cruels et dégradants. » A cela, il a été ajouté : La liberté de pensée, d’expression, d’opinion, de religion, de conscience reconnue par l’article 23 ; le droit d’élire (article 6) ; la liberté de Presse (article 24) ; la liberté de réunion, d’association, de cortège, de manifestation (article 25). b- les droits de la 2ème génération : Ce sont les droits économiques, sociaux et culturels : Nous avons : Le droit à l’Education (article 8,13) ; Le droit à la Santé (article 8) ; Le droit à la Formation professionnelle (article 8) ; Le droit au Travail (article 8) ; Le droit de grève (article 31) ; Le droit de développer sa culture (article 8, 10, 11). c.- Les droits de la 3ème génération :
La Conférence Nationale des Forces vives de la Nation tenue à Cotonou du 19 au 28 février 1990 a été un haut lieu de la prise de la décision souveraine de démocratisation du Bénin et des respects des droits de l’homme. 7
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La caractéristique fondamentale de ces droits réside dans leur nouveauté. Etant une nouvelle catégorie de droits dans toute l’histoire constitutionnelle du Bénin, ces droits encore appelés “Droits Novateurs” sont la conséquence de l’évolution du combat des mouvements écologiques européens et aussi une réaction contre les tentatives de stockage et d’enfouissement des déchets nucléaires et chimiques menées par plusieurs gouvernements africains. Il s’agit du droit à un environnement sain et satisfaisant, durable et favorable au développement (Article 27, 28, 29, 74). A cela, nous ajoutons: - le droit au Développement en vue de son épanouissement tant matériel, temporel que spirituel (article 9). De cette reconnaissance, nous pouvons constater que la constitution béninoise a voulu assurer au citoyen béninois une protection complète et étendue, tenant compte des trois catégories de droits aujourd’hui reconnus par la communauté internationale. Les libertés fondamentales ainsi reconnues sont formulées d’une façon telle qu’il ne serait pas facile au législateur, par exemple, d’en réduire leur champ de jouissance. Les droits ont clairement été annoncés. C’est le cas du droit à la vie, à la sécurité, à l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Ce faisant, les tribunaux judiciaires ont une compétence totale, immédiate et exclusive pour prévenir, faire cesser et réparer les irrégularités grossières portant atteintes aux libertés publiques fondamentales. Malgré la reconnaissance certaine des libertés fondamentales par la constitution béninoise du 11 Décembre 1990, il existe toujours des tentatives de violations ou d’abus par les détenteurs de l’autorité. C’est le cas de l’abus des mesures policières d’ordre préventif. De ce fait, il faut reprendre Claude-Albert Colliard qui affirme que “Le régime des libertés publiques doit comporter des garanties.” Même si les libertés publiques sont reconnues dans la loi fondamentale du Bénin, quelles sont les garanties que détiennent les citoyens quant aux respects de ces libertés ? LES GARANTIES QU’OFFRE LA CONSTITUTION BENINOISE DU 11 DECEMBRE 1990 DANS LA MISE EN ŒUVRE DES MESURES POLICIERES D’ORDRE PREVENTIF AU BENIN
En suivant Montesquieu dans L’Esprit des lois : « Il faut que le pouvoir établi pour le bien commun ne débouche sur un absolutisme attentatoire aux libertés individuelles »8. Pour mettre en pratique cette réflexion, la constitution béninoise du 11 Décembre 1990 a prévu plusieurs garanties dont deux plus importantes feront l’objet de notre analyse. Il s’agit de deux garanties importantes : - la séparation des pouvoirs : moyen de protection des individus face aux abus des mesures policières d’ordre préventif ; - la Cour Constitutionnelle : garante des libertés publiques. LA SEPARATION DES POUVOIRS
: MOYEN DE PROTECTION DES INDIVIDUS FACE AUX ABUS DES MESURES
POLICIERES D’ORDRE PREVENTIF
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CHANTEBOUT (Bernard), Droit Constitutionnel et Sciences politiques, pp. 106-107. 4
Dans un Etat de confusion de pouvoirs, il ne peut plus exister de liberté car toutes les décisions proviennent d’une seule et unique personne. Elle sera la seule à détenir le monopole de toutes les décisions de l’Etat. De ce fait, nous pouvons dire avec Montesquieu que « lorsque dans la même personne ou le même corps de la magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. »9 Ce qu’il faut donc éviter afin de protéger les libertés publiques, c’est la puissance d’un homme ou d’un corps. Comme nous l’avons déjà précisé plus haut, la séparation des pouvoirs permet d’éviter leur concentration entre les mains d’un seul dirigeant. En effet, la concentration des pouvoirs est source d’abus. La seule manière d’éviter cet abus est le fait que les différents pouvoirs soient confiés à des institutions distinctes et spécialisées. Cette nécessité transparaît dans la déclaration des droits de l’homme de 1789 en ces termes : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ».10 C’est pourquoi, au cours des assises de la Conférence nationale du Bénin il avait été recommandé le principe de la séparation des pouvoirs comme fondement de la nouvelle société politique.
LA COUR CONSTITUTIONNELLE : GARANTE DES LIBERTES PUBLIQUES DANS LA MISE EN ŒUVRE DES MESURES POLICIERES D’ORDRE PREVENTIF AU BENIN Instituée par la constitution du 11 décembre 1990 dans son article 114, la Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Se basant sur l’important rôle que lui a dévolu la constitution, la Cour Constitutionnelle apparaît comme un contre-pouvoir important en matière de violation des droits fondamentaux de la personne humaine. Elle est l’unique gardienne de la constitution car elle statue entre autres sur: - la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général, avant leur promulgation ; - la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Composée de sept membres dont quatre sont nommés par le Bureau de l’Assemblée Nationale et trois par le Président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois, la Cour Constitutionnelle du Bénin devrait jouer un rôle prépondérant en matière de garantie des libertés publiques. Elle doit, d’une part, montrer à travers ses décisions que le législateur n’est pas omnipotent et qu’il 9
Montesquieu, De l’Esprit des lois, Livre XI Chapitre 6, page 101. Déclaration des droits de l’homme de 1789, article 16.
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est tenu de respecter la constitution et, d’autre part, que le gouvernement en mettant en œuvre les mesures policières doit respecter les libertés publiques telles que prévues par la loi fondamentale du Bénin. C’est en exerçant cette compétence que la Cour Constitutionnelle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques comme le dispose l’article 114 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990. Mais, est-ce que le citoyen béninois est actuellement protégé lorsque la Cour Constitutionnelle se déclare incompétente pour motif qu’une ordonnance de refus de mise en liberté provisoire, n’est ni un texte réglementaire, ni un acte administratif au sens de l’article 3 alinéa 3 de constitution (DCC EL-07-112) ? De nombreuses décisions de la Haute Juridiction existent et confortent cette thèse qui pourrait, visiblement être assimilée à un « déni de justice ». De graves violations des libertés publiques sont légions dans l’instruction des dossiers au niveau de nos juridictions. De l’officier de police judiciaire en passant par les parquets sous l’autorité du ministre de la Justice, des abus s’observent sous le regard de l’institution qui selon la constitution est « l’unique gardienne de la constitution et l’unique garante des droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ». Les nombreuses décisions d’incompétence et d’irrecevabilité de la Cour Constitutionnelle ne doivent pas être une panacée pour la Haute Juridiction de se refuser de dire le « droit » sur des questions importantes de la vie juridique dans notre pays, notamment des questions liées aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Aussi, le respect des libertés publiques ne doit-il pas se limiter au contrôle du délai de garde-à-vue. Il doit aller jusqu’à la « condamnation » du maintien en détention des citoyens en dehors de toute logique et base juridique. En clair, il est vivement souhaité que la Haute Juridiction ose des revirements à ce niveau car elle reste et demeure pour tous les Béninois la seule institution « garante des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques au Bénin ». C’est également la seule juridiction du Bénin dont la saisine est libre et sans frais pour les citoyens. C’est seulement à ce prix que l’Etat de droit en construction au Bénin aura une visibilité. Serge PRINCE AGBODJAN, Juriste Fiscaliste, CIPB
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