Neuf milliards en 2050, et moi, et moi, et moi... Dossier / Le Point 1952, 11/02/2010 Par Émilie Lanez Vertige. Nous sommes 6,8 milliards d’humains à nous partager la Terre. Nous serons, demain, bien plus nombreux. La bombe démographique est allumée. Qu’allonsnous boire ? Aurons-nous assez à manger ? Où vivrons-nous ? Des spécialistes répondent. Et de deux ! Chaque seconde, la Terre reçoit quatre nouveau-nés tandis que deux habitants décèdent. Bilan : deux personnes supplémentaires. Le temps que vous relisiez cette phrase, la terre compte déjà six habitants de plus. Huit, dix, douze... Demain, ils seront 200 000 nouveaux venus. Dans une semaine, la Terre aura enflé de 1,5 million d’habitants. Dans les quarante années à venir, la Terre devra abriter, nourrir, donner du travail, de l’air, de l’eau, de la place à 3 milliards de nouveaux habitants. Alors qu’il nous a fallu 7 millions d’années pour être 1 milliard d’humains, nous allons, en l’espace de cent cinquante années, être neuf fois plus nombreux. « La population mondiale aura décuplé en trois siècles, nous vivons une période unique de l’histoire humaine », résume Gilles Pison, directeur de recherche à l’Institut national des études démographiques (Ined). La démographie s’emballe. En 2050, 9 milliards d’humains se partageront un espace exigu, exsangue, pollué... De plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres. Ceux qui doubleront ou tripleront domineront demain numériquement le monde, seront les 5,2 milliards d’habitants qui subsistent dans les pays en voie de développement. Ils augmentent à vive allure, six fois plus vite que le milliard de Terriens qui mangent et prospèrent dans les pays industriels. L’explosion numérique du continent noir a démarré. En 2009, l’Afrique a franchi le cap du milliard de ressortissants. Dingue, alors que ce continent a été saigné par la traite négrière (11 millions d’hommes sortis du continent), meurtri par le paludisme, puis, plus récemment, décimé par l’épidémie de sida. Malgré ces lourdes ponctions démographiques, l’Afrique aura doublé en 2050 ; 2 milliards d’habitants la peupleront alors. Un chiffre, un seul, pour s’en convaincre : le Nigeria met au monde chaque année plus d’enfants que tous les pays de l’Union européenne. La démographie chahute le confort paisible des pays riches. « En 1950, le Sud pesait en nombre d’habitants deux fois plus que le Nord. En 2050, le Sud sera 86 % de plus que le Nord », assène Koichira Matsuura, directeur général de l’Unesco. Si ce diplomate laisse à chacun le soin d’imaginer ce que ces ratios pourraient impliquer, d’autres experts évoquent ce surplus démographique en termes plus brutaux. Comme le général Michael Hayden, directeur de la CIA. En avril 2008, il donne une conférence à l’université du Kansas, pointant la principale menace qui pèse sur les États-Unis : « Les populations du Liberia, du Congo, du Niger, de l’Afghanistan vont tripler. Celles de l’Éthiopie, du Nigeria, du Yémen vont doubler. Et si, dans ces pays, les libertés et autres besoins fondamentaux ne sont pas au rendezvous, ils pourraient être entraînés dans la violence. » C’est dit. La bombe démographique n’offre pas seulement d’impossibles équations à résoudre en termes de nourriture, d’eau, de déchets, elle diffuse également les germes ravageurs du terrorisme ou de l’émigration massive. Que feront demain ces millions de jeunes affamés, contemplant l’Occident vieillissant s’empiffrer et prêcher les bonnes manières ? À l’échelle de l’histoire humaine, la période est vertigineuse, éminemment explosive. La planète déborde. Peut-elle tenir ? Pourrait-elle craquer ? 1
Commençons par les chiffres. Sont-ils justes ? Est-il certain que nous serons 9 milliards ? « À l’échelle de quelques dizaines d’années, les projections des Nations unies ne se sont guère trompées, observe Henri Leridon, démographe français, qui occupait jusqu’au mois dernier la première chaire que le Collège de France consacra au développement durable. Il existe trois hypothèses. Une hypothèse haute selon laquelle nous serions en 2050 près de 11 milliards, une basse autour de 8 milliards et une hypothèse moyenne autour de 9 milliards. En 2008, l’Onu a refait ses calculs et orienté ses projections vers l’hypothèse moyenne. » Cap donc sur 9 milliards, en se consolant avec l’idée que cela aurait pu être pire encore. Et sans perdre de vue que, « pour atteindre ce seuil, il faudra s’astreindre à une politique très volontariste de contrôle des naissances ». Afin de ne pas trop dépasser le seuil, affolant en soi, des 9 milliards, les Nations unies ont changé de ton. Finis les atermoiements conciliants, ménageant les consciences chrétiennes de l’Amérique bailleuse de fonds. Si nous ne voulons être « que » 9 milliards à nous partager la Terre, il va falloir arrêter de faire des enfants. En onusien, cela se dit : « Des modes viables de consommation et de production ne peuvent être atteints et maintenus que si la population mondiale ne dépasse pas un chiffre écologiquement viable. » Écologiquement viable... Depuis l’Allemagne nazie, il était tabou de penser le monde en termes d’espace vital. Aujourd’hui, fracassé par la croissance démographique hallucinante, le tabou implose. On lui a juste trouvé un habillage sémantique plus convenable, on parlera désormais de « surcharge de capacité humaine », ce qui revient à se poser la question de savoir combien d’hommes peuvent vivre ensemble sur Terre. Question simple, réponses fort contrastées.
« Toute naissance évitée permet au monde de mieux respirer » Les plus virulents se recensent parmi ceux qui considèrent que la Terre est déjà en surchauffe. Malcolm Potts, directeur du centre Santé, démographie et développement durable de l’université de Californie, établit un lien causal entre progéniture et pollution, grâce auquel il conclut que « toute naissance non désirée évitée permet au monde de mieux respirer ». Cette formule efficace résume ce que des dizaines, des centaines de scientifiques échafaudent. La démographie galopante serait responsable et coupable du réchauffement climatique. Brian O’Neill, climatologue du Centre pour la recherche atmosphérique, a ainsi calculé que si nous parvenions à nous limiter à 7,9 milliards d’habitants en 2050, cela permettrait d’économiser 2 milliards de tonnes de CO2. Ce lien s’apparente à une variante contemporaine de la théorie malthusienne. Ce pasteur anglais avait calculé que les Anglais allaient bientôt mourir de faim, trop nombreux pour se contenter des récoltes de pommes de terre existantes. Aujourd’hui, les néomalthusiens exhument leur prédicateur en modifiant les termes de l’apocalypse promise. La surpopulation nous tuera, mais pas uniquement de faim. Nous mourrons empoisonnés par une agriculture intensive, dopée aux produits chimiques, nous mourrons en inhalant du gaz carbonique et de l’ammoniac, nous mourrons dans des mégalopoles polluées, construites sur des étendues de forêts abattues. Il faudrait d’urgence cesser de peupler la planète, afin de la laisser respirer en paix. Moins nombreux, plus heureux ? Les néomalthusiens recrutent volontiers parmi certains écologistes et nourrissent le Web de slogans radicaux. « Moins d’émetteurs, moins d’émissions », ou « plus de préservatifs, moins de CO2 », scande l’Optimum Population Trust. L’association Démographie Responsable distribue une affichette sur laquelle figure une planète coiffée d’un préservatif, accompagnée du slogan « Je préserve la planète, je me contente de deux enfants ». C’est dit. Et cela peut paraître d’une lumineuse clairvoyance. Comment ne pas penser qu’en réduisant le nombre d’humains sur Terre on ménage notre écosystème ? La réponse est toutefois un brin plus complexe. Oui, la natalité est un des facteurs du réchauffement climatique. « Freiner la croissance démographique contribuerait à réduire les gaz à effet de serre » , affirme le Fnuap (Fonds des Nations 2
unies pour la population). Cette agence onusienne a donc orchestré une ardente campagne de lobbying qui réclame les moyens financiers de stabiliser la natalité afin de réduire la pollution sur Terre, reprenant à son compte l’équation « moins d’émetteurs, moins d’émissions ». « Il n’y a pas d’investissement dans le développement qui coûte si peu et qui apporte des bénéfices immenses et de si vaste portée », s’égosille ainsi Thoraya Ahmed Obaid, directrice exécutive. Sa conviction est d’autant plus urgente que l’agence fait face à un effondrement de ses financements. Elle recevait 723 millions de dollars en 1995, elle n’en perçoit plus que 338 millions aujourd’hui. Une chute brutale due au retrait des États-Unis, qui rechignent à financer des campagnes de contraception qui pourraient être considérées comme une apologie de l’avortement. Le Fnuap reçoit l’appui de divers organismes, confirmant ses analyses chiffrées. La London School of Economics s’est ainsi amusée à calculer que 7 dollars dépensés en planning familial permettent d’économiser 1 tonne de CO2 par an dans le monde. Il faudrait dépenser 32 dollars en technologies vertes pour le même résultat. Le planning familial est donc un sage investissement. Et un secteur dont l’activité pourrait être profitablement élargie : 200 millions de femmes dans le monde n’ont aucun moyen de contrôler leurs naissances, leur donner des contraceptifs coûterait 3,9 milliards de dollars par an, « ce qui pourrait économiser 52 millions de naissances , estime l’Earth Policy Institute, think tank écolo-pessimiste, dirigé par l’économiste américain Leister Brown. Il est rare qu’une si petite dépense ait autant de résultats. » Les Nations unies considèrent que dans les 49 pays les plus pauvres, dit « groupe des 49 », 40 % des grossesses seraient non désirées. Là où les femmes ont en moyenne 5 enfants, seules 20 % des femmes arrivent à espacer leurs naissances ; 80 % d’entre elles n’ont aucune maîtrise de leur fécondité.
Les surprenantes leçons du modèle chinois Seulement, ce lobbying du Fnuap, bras armé du concert des nations, échoue. Aucun démographe ne participe aux travaux du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), aucun ne fut invité à la table du sommet de Copenhague. Un scandale ? Même pas. « La démographie n’est pas le levier d’ajustement sur lequel on peut peser à court terme, elle n’a pas sa place à Copenhague », commente Gilles Pison. Freiner le nombre d’enfants que met au monde un couple est une affaire infiniment plus subtile que ne le donnent à penser les grands tableaux de chiffres et de courbes, dont se nourrit notre peur eschatologique. Revenons un instant sur l’exemple archiconnu de la natalité chinoise. Ce géant mondial, qui abritera 1,45 milliard de Chinois en 2050, est en réalité un pays dont la natalité baisse. La Chine a connu son maximum de croissance humaine en 1968 (taux de croissance annuel de 2,7 %) ; depuis, sa fécondité ralentit inexorablement. En 2004, son taux de croissance annuel n’était plus que de 0,7. Un effondrement. Soit, mais alors pourquoi y aura-t-il 1,5 milliard de Chinois sur Terre dans quarante ans ? Parce que ce sont les naissances d’hier qui font les enfants d’aujourd’hui. Les centaines de millions de femmes mises au monde dans les années 60 sont devenues mères vers les années 2000 ; elles ont eu moins d’enfants que leurs propres mères, et ces enfants en feront eux-mêmes moins ; seulement, en la matière, la décrue est naturellement lente. Elle s’observe sur trois, quatre générations. Les démographes appellent cela l’inertie démographique, et ce phénomène irradie toute l’Asie. « Il ne faudrait pas attribuer à la politique de l’enfant unique tout le mérite de la baisse des naissances en Chine. La loi et la mise à disposition de contraception ne suffisent pas. Ce qui fait durablement chuter la fécondité d’un pays, c’est le développement socio-économique et l’instruction des femmes », poursuit Gilles Pison. Ainsi, tandis que les familles chinoises se voyaient durement interdire d’avoir les enfants qu’elles auraient possiblement désirés, des pays voisins, comparables, pratiquaient un laisser-faire total en la matière. Et obtenaient de meilleurs résultats. L’Iran, musulman et archaïque, a vu sa fécondité 3
s’écrouler de 7 enfants par femme, dans les années 80, à 1,8 aujourd’hui. Le Vietnam, la Thaïlande, la Corée du Sud vivent le même effondrement des courbes et des familles, parce que ces nations ont découvert le confort, la prospérité, la satiété alimentaire, la scolarisation massive... C’est la richesse d’une nation qui enraie sa fécondité. Aujourd’hui, cette volonté de maintenir sa progéniture à un chiffre économiquement supportable paraît être la volonté de toute l’humanité. Car voici la rare bonne nouvelle de ce dossier : la population décroît. En 1950, une femme faisait 5 enfants en moyenne. Aujourd’hui, à l’échelle du monde, elle n’en a que 2,75. Elle en aura 2,05 passé 2050. Même dans le groupe maudit des 49, le taux de fécondité s’est effondré de 4,63 à 2,41. Seulement, l’inertie démographique est importante. Avant de décliner, la population va exploser.
L’école est le meilleur des contraceptifs Avec la richesse économique, l’instruction des mères est le deuxième levier permettant de réduire les naissances. Ainsi, il fut calculé qu’une femme qui n’est jamais allée à l’école aura 4,5 enfants. Si elle a suivi l’école primaire, elle n’en aura que 3. Si elle va au collège, elle n’en fera que 1,9, et si elle poursuit jusqu’au lycée, elle ne mettra que 1,7 enfant au monde. Pourquoi ? Parce que plus les femmes sont scolarisées, plus tardivement elles se mettent en ménage et donnent le jour à une descendance. Or plus une femme vient tardivement à la maternité, moins elle aura d’enfants dans sa vie. Ensuite, le niveau d’instruction donne à ces femmes les moyens d’accéder à une offre de contraception et leur permet de remplir des emplois offrant quelques ressources, qu’elles ne souhaitent pas gaspiller dans trop de bouches à nourrir... Ce que les démographes réclament donc, ce n’est pas tant d’obtenir un strapontin pour crier au feu au sommet de Copenhague, mais qu’il soit massivement investi dans la scolarisation, variable aux répercussions démographiques patentes. La fragilité des politiques démographiques, outre l’inconvénient éventuel moral qu’elles ont à être privatives de liberté, se mesure également à leurs conséquences paradoxales. Si la dictature chinoise a permis d’éviter environ 300 millions de naissances - ce qui fut certainement un bienfait -, elle eut pour effet induit de favoriser l’avènement d’une classe moyenne avide de consommer, obnubilée par le bien-être matériel de cet enfant tant désiré, si rare. Du coup, ces familles chinoises à trois têtes sont d’énormes émetteurs de gaz à effet de serre. Car la consommation d’énergie per capita est plus élevée proportionnellement pour un petit foyer que pour un grand foyer. Plus les familles se réduisent, plus elles polluent. Ce qui permet à The Lancet, revue scientifique britannique, d’annoncer qu’ « un divorce pollue plus qu’une naissance ». Évidemment, tout cela pose un sacré problème à ceux qui réfléchissent aux contours futurs de la Terre. Car, si tous les pays s’enrichissent et mangent à leur faim ce qu’il faut évidemment moralement souhaiter -, tous auront moins d’enfants - ce qui serait une heureuse nouvelle -, mais tous vont alors consommer plus, polluer beaucoup, exploiter trop, épuiser notre planète nourricière. Ce qui nous amène à envisager l’explosion démographique en termes d’empreinte écologique, chiffre qui quantifie l’impact de chaque humain sur l’écosystème. Combien consomme-t-il, pollue-t-il, évacue-t-il de déchets, occupe-t-il d’espace ? Avec ce chiffre, on aboutit à l’évidente conclusion que les bébés des pays riches sont plus destructeurs pour la planète que les enfants affamés des pays pauvres. « L’empreinte écologique d’un Américain est dix fois plus élevée que celle d’un Béninois ; cela veut dire que la population américaine est pratiquement équivalente aux 3 milliards d’habitants subsistant selon le mode frugal des pays pauvres », écrivait récemment, dans Le Monde, Stéphane Madaule, maître de conférences à Sciences po. Or les pays en voie de développement connaissent une croissance rapide, très émettrice en carbone, terriblement lourde d’empreinte écologique. Donc l’équation « moins d’émetteurs, moins d’émissions » est trop sommaire. 4
« Le danger n’est pas la population, mais l’hyperconsommation » « La population n’est pas le mal en soi, mais elle est un facteur multiplicatif. Le vrai problème, c’est la structure de la consommation » , observe Hervé Le Bras, démographe. « La voie de l’hyperconsommation pour tous, celle que la moitié de l’humanité prend actuellement, s’avère une trajectoire sans issue. Dans ce cas, il faudrait cinq ou six planètes pour retrouver un certain équilibre. La question centrale n’est pas celle de la croissance démographique des pays du Sud, mais plutôt de la diffusion à une grande partie de l’humanité d’un mode de consommation à l’occidentale, si destructeur pour l’environnement » , conclut Stéphane Madaule. Ce constat fait consensus. « On ne sauvera pas la planète en essayant de réduire la population, un objectif hors de portée à court terme. En revanche, nous devons changer radicalement de modes de consommation » , ajoute Gilles Pison. Le démographe Henri Leridon tire la même sonnette d’alarme. Si nous voulons vivre ensemble jusqu’au pic vertigineux des 9 milliards, nous devons changer aujourd’hui même de mode de vie. Et cesser d’engloutir de la viande.
Le dilemne des quatre F Un Américain avale 100 kilos de viande par an, un Français 70 kilos et les habitants de la moitié de la planète, moins de 10 kilos par an. Seulement, ces pays du Sud se développant, leurs ressortissants aimeraient que leurs assiettes s’alignent sur notre régime alimentaire. Leur demande de viande a crû de 150 %, celle de lait de 60 %. La perspective de devoir remplir 9 milliards de ventres en 2050 paraît donc relever du pur cauchemar planétaire. La Terre peut-elle y faire face, alors que la famine est endémique ? Allons-nous mourir de faim ? Les agronomes répondent en chœur. Oui, la Terre peut nourrir allègrement 9 milliards d’habitants. « Nous mangerons, nos enfants mangeront, la planète aura de quoi nourrir », explique ainsi Marcel Mazoyer, professeur en évolution et différenciation des systèmes agraires à Paris-XI, membre d’Agro Paris Tech. Cet agronome, qui représenta la France au comité de programme de la FAO, est formel. « La production agricole est aujourd’hui largement excédentaire, le système capitaliste dispose de ressources en terres et de capacités techniques largement suffisantes pour nourrir au moins 10 milliards d’humains. » Marc Dufumier, agronome, professeur en développement agricole à Agro Paris Tech, confirme cet optimisme scientifique. « Pour qu’un humain soit correctement nourri, il lui faut 2 200 calories par jour. Pour produire cette quantité journalière, il faut 200 kilos de céréales par an. Or la Terre en produit aujourd’hui l’équivalent de 330 kilos par humain. » Ce qui signifie tout de même qu’il va falloir que nous, les riches, les bien nourris, nous nous mettions drastiquement au régime : 2 200 calories, c’est près de la moitié des 4 000 que nous avalons ! Et si la Terre produit aujourd’hui trop pour 6 milliards de bouches, cela ne signifie pas pour autant qu’elle parviendra à produire suffisamment pour remplir 9 milliards de bouches en 2050. La production agricole doit en effet augmenter de 70 % d’ici à 2050. « On cultive aujourd’hui 1,5 milliard d’hectares, explique Marc Dufumier, il reste 4,2 milliards d’hectares de terres cultivables non exploitées. » Ces terres en réserve se trouvent en Afrique (des savanes et steppes qui restent en friche parfois dix-huit ans, faute d’engrais, de fumier, etc.) et en Amérique latine. L’Asie n’a que 20 % de terres cultivables à conquérir, alors qu’elle peine grandement à alimenter sa population. La Chine, par exemple, dispose de 9 % des terres arables, alors qu’elle abrite 25 % de l’humanité. Si l’Europe remettait demain en production les terres qu’elle maintient en jachère pour faire grimper les cours, elle produirait l’équivalent de ce que l’Afrique importe chaque année. « Ces terres ne sont ni pauvres, ni en forêt, ni trop arides, ni inondées. Elles ne sont pas exploitées par les 800 millions de paysans dans le monde qui n’ont ni outils attelés ni outils manuels pour les travailler », analyse Marc Dufumier . En conséquence de quoi, 1 hectare donne 1 000 kilos de céréales en Afrique, 4 000 en Asie, 7 500 en Europe, jusqu’à 10 000 aux États-Unis. « Pour nourrir le monde, il faut 5
que les paysans pauvres gagnent leur vie de la terre », reprend Marcel Mazoyer. Ce qui imposerait une révision drastique des prix agricoles, une refonte totale des barrières douanières, une révolution radicale de l’économie de marché. On en est loin.
La planète vieillit trop vite Finalement, le défi énorme que pose la démographie encore galopante n’est pas tant du côté de la famine. Ce qui affole les experts, c’est notre vieillissement ahurissant. La planète Terre a le front frippé. On connaît le refrain pour les pays riches, du Nord, où les plus de 60 ans seront deux fois plus nombreux en 2050. Mais, dans les pays du Sud, les moins bien lotis, ce vieillissement est encore plus rapide. Les seniors ne vont pas doubler en quantité, ils triplent déjà. « Comment répondre au vieillissement quand font défaut les systèmes de protection sociale ? » s’interroge le directeur général de l’Unesco, Koichira Matsuura. « Le Nord n’a qu’à ajuster un système existant, le Sud n’a rien prévu ; or, dans les pays d’Asie, d’Amérique latine, le vieillissement est à l’oeuvre, à très grande vitesse » , ajoute Gilles Pison. Une conséquence du développement socio-économique, des progrès sanitaires, un progrès, donc. De plus en plus nombreux, et surtout de plus en plus vieux. On y court. Car si, passé 2050, la population mondiale déclinera, elle ne cessera jamais de vieillir.
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