REFORME DE LA FILIERE COTON BENINOISE
Le Conseil des Investisseurs Privés au Bénin est une Association regroupant des entrepreneurs ayant investi de manière significative au Bénin. Emanation de tous les secteurs et de tous les métiers, le CIPB a pour objectifs: - De promouvoir un espace favorable à l'investissement et à l'emploi - D’accompagner l'Etat dans ses réformes - D’optimiser les ressources locales.
Décembre 2008. © Propriété du CIPB, Immeuble Kougblénou, 85, avenue Steinmetz, 03 BP 4304 Cotonou, Bénin, www.cipb.bj
Réforme de la filière coton béninoise, décembre 2008, © CIPB
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REFORME DE LA FILIERE COTON BENINOISE LECONS A TIRER DE L’ EXPERIENCE D’IVOIRE COTON
Les récentes indications sur la prochaine campagne cotonnière (2008-2009) du Bénin font ressortir, une fois de plus, que notre pays ne parvient pas à tirer de ce secteur (l’un des deux piliers, avec le port de Cotonou, de l’économie nationale) tout le parti qu’il peut en tirer. Il nous a paru pertinent d’aller regarder comment les choses se passent dans le Nord Ouest de la Côte d’Ivoire, là où le groupe Industrial Promotion Services (West Africa) S.A., en abrégé IPS (relevant des projets patronnés par Son Altesse l’Agha Khan) a entrepris de relever le défi de la privatisation du secteur coton en Côte d’Ivoire. Celle-ci, intervenue en 1998 à la demande pressante de la Banque Mondiale, a consisté en la cession, par la CIDT (société contrôlée par l’Etat, en partenariat avec la CFDT) d’une partie de ses actifs regroupés en trois lots, ceux de : •
la région Nord Ouest, comprenant : - les usines de Boundiali 1, Boundiali 2 et Dianra - les Directions Régionales de Boundiali et d’Odienné
•
la région Nord Est, comprenant : - les usines de Korhogo 1, Korhogo 2 et Ouangolo - les Directions Régionales de Korhogo et Ferkessédougou
•
la région Centre demeurant contrôlée par la ‘‘CIDT Résiduelle’’ avec : - les usines de Bouaké, Mankono, Zatta et Séguéla - les Directions Régionales de Bouaké, Bouaflé, Katiola, Seguéla et Mankono
La région Nord Ouest a finalement été attribuée le 23 août 1998 au Consortium IPS WA et la Société Paul RHEINART AG, qui a créé, pour son exploitation, la société Ivoire Coton, dont le capital est réparti actuellement comme suit : •
59%
Cotton Invest (groupe IPS - l’Agha Khan)
•
25,5%
Reinhart AG
•
15%
DEG (filiale de KFW)
•
0,5%
Divers
Le cahier des charges de la privatisation prévoyait que l’encadrement des producteurs, à partir du 1er août 2000, serait assuré par les nouveaux propriétaires des usines, dans leurs zones respectives. Avant cette date, conformément au cahier de charges, l’encadrement serait réalisé exclusivement par la CIDT. Par ailleurs, était installé un comité tripartite, comprenant les Producteurs, les Sociétés cotonnières et l’Etat, chargé pendant cette période de transition, d’un certain nombre de missions, dont la mise en place d’un mécanisme de fixation de prix d’achat du coton graine, la création de deux associations, l’une regroupant les producteurs et l’autre, les sociétés cotonnières. Il s’agissait là d’une première étape, qui aurait dû être suivie par la privatisation de la ‘‘CIDT Résiduelle’’, une fois que l’expérience des deux blocs cédés se serait avérée un succès. Les choses ne se sont finalement pas passées ainsi, du fait de la crise cotonnière (chute des cours de la fibre à l’international) et de la crise politique.
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L’entité qui avait repris la zone Nord Est (LCCI) a finalement fait faillite en 2006 et ses usines ont été réparties de la manière suivante : •
Ivoire Coton : usine de Mbengué
•
OLAM : usine de Ouangolo
•
Coopérative Yebé Wognon (M. KONE) : usine de Korhogo 1 et Korhogo 2
Par ailleurs, sont apparus dans le paysage cotonnier : 1. En 2002, à Korhogo, l’usine de la SICOSA SA, joint venture entre Louis Dreyfus et URECOS CI, une union de coopératives ; 2. en 2004 à Bouaké, l’usine de la société DOPA, créée par des filateurs nationaux et animée par un Monsieur Patrick LEDE. Ces unités nouvelles, sans zone affectée, ni cahier de charges, n’ont pas manqué de brouiller le paysage. Enfin, la CIDT Résiduelle est restée en l’état, non privatisée. Voyons maintenant comment s’est comportée Ivoire Coton dans cet environnement. Tout d’abord, les chiffres de la zone Nord Ouest, depuis la date de prise en charge des producteurs par les repreneurs (1er août 2000). Campagne
2000-2001 2001-2002 2002-2003 2003-2004 2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008
92.837 tonnes 132.632 tonnes 154.833 tonnes 78.688 tonnes 147.128 tonnes 134.558 tonnes 79.014 tonnes 45.863 tonnes
A première vue, les résultats, en dent de scie, sont typiques de nos pays ballottés par les évènements politiques, économiques et climatiques. Mais au-delà de ce constat, nous autres Béninois avons tout à gagner à nous poser la question suivante : comment cette société a-t-elle pu subsister, rebondir et peut-elle s’apprêter à le faire à nouveau, alors que : 1. sa voisine, LCCI, a fait faillite ; 2. le coton est une spéculation tout à fait secondaire en Côte d’Ivoire ; 3. la zone où Ivoire Coton est implantée a tous les ‘‘désagréments’’ attachés à sa présence dans la zone des ‘‘rebelles’’.
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On peut distinguer deux phases dans la stratégie d’Ivoire Coton vis-à-vis des producteurs de sa zone. 1.
En 2001, les mauvais chiffres de la campagne 2000-2001 (92.837 tonnes de coton graine contre 132 032 tonnes pour la campagne précédente) amènent Ivoire Coton à développer un nouveau concept, celui ‘‘d’Encadrement Participatif par Objectif’’. Trois principes sous-tendent ce concept : a.
on apporte un soutien technique agricole de qualité en utilisant le relais des coopératives ;
b.
on fixe des objectifs, d’activité et de production aussi bien aux producteurs individuels qu’à leurs groupements (les Organisations Professionnelles Agricoles) ;
c.
on fixe un objectif plancher (‘‘point mort’’ de 100.000 tonnes) au-delà duquel on partage le profit avec ceux qui y sont concourus, en cas d’atteinte des objectifs fixés.
Par ailleurs, un ensemble d’actions sociales sont lancées. a.
Hydraulique villageoise : Ivoire Coton s’occupe de la remise en état et de l’entretien de 800 pompes : • la société achète et stocke les pièces détachées ; elle les vend à prix coûtant aux villageois dont elle a assuré la formation ; • la construction de l’enclos relève du village ; • le puits est géré par le village (exemple : contribution de 5 FCFA par bassine).
b.
Les ‘‘cases de santé’’ : • il s’agit de relais dispensaires : un bâtiment de 20m2 avec un lit pour le malade ; • les murs sont construits par les villageois ; la toiture est réalisée par Ivoire Coton qui apporte l’équipement et donne une première dotation de médicaments d’une valeur de 300.000 FCFA ; • Ivoire Coton assure la formation de deux jeunes du village aux premiers soins : une plaie, le paludisme, les maux de ventre, etc. ; ces jeunes sont disponibles dans la ‘‘case’’ le matin avant 8h et le soir après 17h ; • il y a actuellement 125 ‘‘cases de santé’’ dans de gros villages éloignés de tout centre de santé officiel.
c.
L’éducation (programme démarré en 1994 avec la CIDT) • Ivoire Coton assure des cours d’alphabétisation en langue locale (le dioula) qui permettent, en 90 jours, de savoir lire, écrire, compter ; • L’opération, réalisée avec l’appui de l’Institut de la Linguistique Appliquée (ILA) à l’université de Cocody, a touché à ce jour plus de 150 villages dans la zone d’Ivoire Coton ; • Ivoire Coton édite des brochures en français et dioula qui permettent de diffuser de l’information sur les meilleures pratiques culturelles.
Grâce à cela, la production repart avec 154.832 tonnes obtenues en 2002-2003, 147.128 tonnes en 2004-2005 et 134.558 tonnes en 2005-2006 (la contre performance de 2003-2004 où seulement 78.688 tonnes ont été produites était due à la crise politique).
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2.
En 2007, les chiffres replongent (79.014 tonnes produites lors de la campagne 2006-2007). Les causes sont multiples : a.
l’arrivée des deux usines n’ayant pas de zone affectée conduit à des comportements bien connus au Bénin où des producteurs vendent leur récolte à un autre qu’à celui qui a financé leurs intrants, ce qui pénalise les producteurs sérieux, piégés par la caution solidaire ;
b.
a baisse du prix de la fibre et la hausse de celui des intrants, en faisant se tasser le prix du coton graine au producteur, découragent ce dernier.
La Direction d’Ivoire Coton repense alors de fond en comble l’Encadrement Participatif par Objectif. 1.
Désormais, l’interlocuteur de la société n’est plus seulement la coopérative, mais également le producteur individuel ; la caution solidaire est donc supprimée.
2.
Le système est complètement informatisé ; chaque producteur est individualisé et a son dossier de suivi, en particulier pour son ‘‘crédit intrants’’.
3.
On assure au producteur un revenu minimum garanti. Dans sa relation avec le producteur, Ivoire Coton considère l’exploitant agricole global et pas seulement le cotonculteur. La société lui alloue une enveloppe ‘‘crédit intrant’’ sur la base de 70% de sa recette coton prévisionnelle (cette enveloppe est fixée par campagne). Ceci permet à l’exploitant de faire du vivrier ; Ivoire Coton se montre même disposée à soutenir les producteurs de sa zone sur des spéculations comme l’anacardier.
4. Les itinéraires techniques sont supervisés par les encadreurs d’Ivoire Coton se répartissant entre : • 150 conseillers agricoles ; • 50 techniciens spécialisés dans les principales activités que sont l’association agricultureélevage, l’alphabétisation fonctionnelle, la recherche et développement Ces encadreurs se voient attribuer des objectifs et leurs primes de campagne sont payées en fonction de l’atteinte des objectifs fixés selon les critères ci-dessous : a.
objectif de production de coton graine arrêtés avant la fin des semis, les surfaces semées servent de base à l’octroi des principaux crédits agricoles ;
b.
taux de réalisation de la production par rapport aux prévisions par comptage capsulaire (réalisé en octobre) ;
c.
taux de remboursement des crédits.
A noter que dans la zone d’Ivoire Coton se trouvent 50.000 cotonculteurs potentiels sur 105.000 hectares (actuellement 20.000 producteurs plantent sur 40.000 hectares). Aujourd’hui, le point mort est à 1,3 tonne à l’hectare, avec une subvention gouvernementale aux intrants de 50%, telle qu’elle a été accordée la campagne 2008-2009. Comme on le voit, la relation égreneur-producteur en Côte d’Ivoire, dans cette région Nord Ouest où l’égreneur, dans l’esprit des projets patronnés par Son Altesse l’Agha Khan, s’implique dans une optique de partenariat avec le cotonculteur et de développement à long terme, est aux antipodes de celle qui prévaut au Bénin, où égreneur et producteur ne se connaissent pas (seules les faîtières y dialoguent). Cette relation a permis à la région Nord Ouest de vivre et même prospérer trois ans de suite malgré l’absence de l’Etat.
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Pour l’approvisionnement en intrants, l’appel d’offre est lancé sous l’égide de l’APROCOT-CI (l’interprofession), mais c’est ensuite chaque société cotonnière, comme Ivoire Coton, qui négocie directement l’achat des intrants avec les fournisseurs ; les intrants sont finalement mis en place par Ivoire Coton qui affrète les camions nécessaires pour cela. Quelles leçons tirer pour la filière coton béninoise de l’expérience du groupe Agha Khan en Côte d’Ivoire ? 1. La privatisation par région, qui rend la société d’égrenage responsable de l’encadrement, aboutit à une gestion au plus près, qui s’adapte sans cesse aux circonstances et où est récompensée la performance (aussi bien celle des producteurs que celle des encadreurs). Ivoire Coton a anticipé sans cesse et pris des risques financiers ; plusieurs années durant, elle a utilisé sa propre trésorerie pour anticiper sur une subvention européenne en ce qui concerne le prix du coton graine et récemment sur l’achat des intrants dans l’attente de la subvention de l’Etat. On est bien loin de la lourde machine administrative de la filière béninoise qui peine chaque année à démarrer et ne peut jamais anticiper quoi que ce soit. 2. La réussite de la privatisation dépend du choix de ceux à qui on confie les zones cédées. Trois points nous paraissent fondamentaux : a. Le groupe auquel appartient Ivoire Coton n’est pas à la recherche de ‘‘coups’’ financiers, mais a une vision sur le très long terme ; b. Ivoire Coton, par son actionnariat, a une solidarité financière qui lui a permis de traverser des périodes difficiles (c’est-à-dire d’absorber des pertes), typiques d’une activité cyclique comme celle du coton ; c. Le groupe IPS a su confier Ivoire Coton à des hommes passionnés par leur métier, qu’ils connaissent par cœur, et qui ont su se donner à fond. 3. L’égreneur doit maîtriser de bout en bout la chaîne qui va de la mise en terre de la graine de coton à l’exportation de la fibre ; c’est la contrepartie du fait qu’il prend le risque économique sur le paysan. 4. L’autorité de régulation de l’Etat doit être très forte et impartiale. Son rôle est particulièrement important pour écarter les ‘‘voyous’’, ceux qui veulent prendre la graine chez des producteurs auxquels ils n’ont pas avancé le crédit intrant.
Roland RIBOUX Président du CIPB
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