Olivier Jarfas
Les formes urbaines : instrument du projet urbain ? A travers l’exemple des opérations d’urbanisme réalisées au Plessis-Robinson de 1990 à 2011
Sous la direction d’Elsa Vivant
Institut Français d’Urbanisme - Master 2 Opérateur & Manager Urbain – 2010/2011
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Résumé Le présent travail s’attache à démontrer qu’une politique concernant les formes urbaines peut constituer un instrument central en matière d’action publique de par ses nombreux apports au processus du projet urbain. Les formes urbaines sont capables de jouer un rôle clé aux différents moments du projet urbain : de la communication (en soulignant une prise de position politique ; en tant que porteuses de valeurs et préfiguration d’une ville meilleure en devenir), au montage opérationnel (en tant que sujet de négociation des acteurs du projet, mais également comme instrument pour attirer les partenaires économiques – promoteurs et commerçants), puis dans la réalisation même de l’opération (comme outil d’idéalisation de la ville et pour optimiser l’attractivité du cadre de vie proposé). L’efficacité de cet instrument à réaliser un projet urbain apparemment proche de l’idéal promis en début du processus, peut alors amener les acteurs à dépasser le strict cadre des opérations d’urbanisme pour porter un discours plus général sur une exemplarité urbaine et un modèle à diffuser. En ce sens, les formes urbaines sont également un instrument politique.
Mots-clés Formes urbaines, projet urbain, instrument, action publique, Plessis-Robinson, régénération, déconstruction/reconstruction, opération d’urbanisme, cité-jardin, projet politique, discours, architecture douce, nouvel urbanisme, mixité sociale, imaginaire, modèle urbain
Avertissement Sauf indication contraire, toutes les cartographies ont été conçues pour le présent travail. Leur utilisation est soumise à l’accord de l’auteur.
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Remerciements
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Je souhaite profiter de l’occasion qui m’est offerte ici pour remercier chaleureusement l’ensemble de celles et ceux qui, directement ou indirectement, par leur aide, leurs apports, ou leur soutien, ont permis la réalisation de ce travail.
A ma directrice de mémoire, Elsa Vivant, pour ses conseils avisés et les justes éclaircissements qu’elle a su m’apporter ;
Au directeur du Master OMU, Philippe Jarreau, pour ses enseignements en tout point uniques et la grande qualité personnelle qu’il a su partager ; A l’ensemble de l’équipe enseignante de l’IFU et tout particulièrement à : Christian Lefèvre, Nadia Arab, Jean-Yves Chapuis, Anne-Laure Engelhard, Jean-Claude Hauvuy, François Benchendikh, Ariella Masboungi, Youssef Diab, Anne Clerval, Camille Gardesse, Flore Bringand, Louisa Baileche ;
A celles et ceux de mes anciens professeurs de Paris 7 qui ont compté le plus : Yankel Fijalkow, Sophie Baudet-Michel, Rafael Gonçalves, Claire Tran, Alain Forest, Camille Scalabrino, Mathieu Arnoux ;
Aux différentes personnes qui ont, dans le cadre de cette recherche, accepté de me recevoir et de m’accorder du temps, leur participation fut tout à fait essentielle. Merci à Xavier Bohl, Hervé Caranobe, Jean-Pierre Clemenceau, François Collin, Vincent Le Gall, Carinne Malfilatre, William Pesson ; A l’équipe de l’OPIEVOY et tout particulièrement à Catherine Hluszko ; A l’ensemble de l’équipe de l’agence HL Architectes Urbanistes ;
A mes parents ;
A mes amies et amis : Christophe, Thomas, Martin, Jean-Baptiste, Bertrand, Marine, Antoine, Antonin, Farzad, Sophie, Damien, Eric, Alice, Fanny. Et bien sûr à Anita.
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Table des matières
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Introduction ....................................................................................................................................14 Un contexte de recherche difficile autour des formes urbaines .................................................15 La forme urbaine : une notion floue ..........................................................................................15 La forme urbaine ne constitue pas une information directement lisible ...................................16 Il faut « dépasser » l’aspect superficiel des formes urbaines pour en révéler les signifiants ...17 La vaine recherche de la « meilleure » forme urbaine ..............................................................19
Les formes urbaines : de l’outil d’analyse à l’instrument d’action ...........................................20 La forme urbaine, un instrument d’analyse de la ville ? ...........................................................20 La forme urbaine, un élément de réponse aux enjeux urbains ..................................................21 Le projet urbain, lieu de révélation des (nouveaux) enjeux territoriaux ...................................21 La notion d’instrument en action publique................................................................................23
Présentation des orientations du travail de recherche .................................................................24 Notre problématique : les formes urbaines, instrument du projet urbain ? ..............................24 Un cas d’étude archétypal : les projets urbains du Plessis-Robinson ......................................25 Notre plan : enjeux d’opinion, enjeux territoriaux et enjeux de pouvoir .................................27 Notre méthodologie : documentation large, visite du site et rencontre des acteurs..................28
1. La forme urbaine : instrument du dispositif communicationnel
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Le projet urbain : instrument de communication(s) ............................................................. 33 Une spécificité robinsonnaise : l’apparition progressive des formes urbaines au centre des dispositifs communicationnels.............................................................................................. 34 Les formes urbaines : un thème au départ inexistant des débats et des communications politiques ..................................................................................................................................34 Trois grandes étapes marquant l’émergence du thème au sein du discours politique ..............34
1.1 Discours et formes urbaines : prises de position politique et urbanistique ............. 36 1.1.1 Les formes urbaines comme instrument de pression politique .................................... 36 Un contexte politique tendu depuis les années 1970 : le conflit entre la ville et l’Office HLM ...................................................................................................................................................36 L’utilisation des formes urbaines au sein de l’argumentaire municipale : recherche d’appuis et instrument de pression ...........................................................................................................38
1.1.2 Le discours sur les formes urbaines ou l’accentuation d’une rupture politique .......... 40 Les formes urbaines : la prise de position comme fondement de la légitimité politique ..........40 Les formes urbaines : instrument de rupture par leur association à une conception politique jugée indésirable .......................................................................................................................42
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1.1.3 De la critique des formes urbaines à la dévalorisation du territoire : le poids de la « prophétie auto-réalisatrice » .............................................................................................. 42 Une dévalorisation intentionnelle du territoire ? .....................................................................42 Une dévalorisation qui ne peut s’expliquer par l’unique besoin de rupture politique mais qui se fonde sur une réelle prise de position urbanistique et architecturale ...................................44
1.2 Les formes urbaines au centre du débat public : une focalisation bienvenue......... 46 1.2.1 Une focalisation sur les formes urbaines de la part de l’ensemble des acteurs ........... 46 La singularité des formes urbaines au centre des débats .........................................................46 Une focalisation qui est également l’effet d’un portage communicationnel important.............48
1.2.2 La focalisation sur les formes urbaines : un moyen d’occultation de certains enjeux/phénomènes ? ............................................................................................................ 49 Une rupture urbanistique radicale ...........................................................................................49 Des enjeux impopulaires occultés par le débat autour des formes urbaines ............................50
1.3 Un instrument pour convaincre : le rôle des formes urbaines dans la construction d’un imaginaire ................................................................................................................... 52 1.3.1 « L’équilibre à retrouver » ou la mise en récit de la ville ............................................ 52 Deux logiques pour concevoir l’action municipale à porter ....................................................52 Le schéma narratif mis en place par la municipalité : la réinterprétation du sens de la ville ..53
1.3.2 Les formes urbaines : de la création d’un imaginaire à la préfiguration d’un idéal .... 55 Donner à voir les formes urbaines pour « vendre » le projet aux habitants ............................55 Une pluralité de dispositifs de mise en avant des formes urbaines ...........................................55 Une communication abondante qui dépasse le cadre des projets pour encenser une certaine conception de la ville ................................................................................................................56 Le beau, l’humain et le village : trois thèmes de l’idéal urbain promu ....................................57
Conclusion ........................................................................................................................... 58
2. La forme urbaine : instrument du montage opérationnel ................................60 Un outil utilisé de manière rationnelle ......................................................................................61
2.1 Un instrument de négociation pour remporter la conviction des acteurs ............... 61 2.1.1 Un instrument de négociation en puissance................................................................. 61 Un instrument de négociation inefficace s’il s’appuie sur la seule conviction de l’élu ...........62 Un argumentaire renforcé par des dispositions règlementaires et des exemples donnés à voir ...................................................................................................................................................62 Une adhésion des acteurs par un intérêt trouvé dans les formes urbaines ...............................64
2.1.2 Les formes urbaines ou la possibilité de s’appuyer sur l’accord des habitants ........... 64 -8-
Un soutien au projet non-obligatoire mais néanmoins primordiale pour sa réussite ..............64 Un rejet important en début de projet .......................................................................................65 Une adhésion aux formes urbaines qui se développe au fur et à mesure de la sortie de terre des opérations ...........................................................................................................................65 La conviction des habitants : instrument du renforcement de la légitimité et du pouvoir de la municipalité ...............................................................................................................................66
2.2 Les formes urbaines pour attirer et convaincre les promoteurs .............................. 67 2.2.1 Une bonne entente favorisée par un contexte favorable .............................................. 67 Une localisation et un cadre naturel favorable ........................................................................68 Un flou règlementaire pour un contexte d’intervention plus libre ............................................68 Des formes urbaines attractives ...............................................................................................73 Une souplesse dans les processus de projet ..............................................................................73 Des bonnes relations avec les principaux acteurs des projets .................................................74 Des temporalités également propices aux projets .....................................................................74
2.2.2 La preuve par les formes urbaines ou l’intérêt d’une « opération exemple ».............. 75 Le dispositif de l’ « opération exemple » : prise de risque minimale et résultats opérants .....75 Une première étape dans le changement de l’image communale .............................................76
2.3 Les formes urbaines au centre de l’attractivité commerciale ................................... 76 2.3.1 Rues et styles de formes urbaines : dispositifs centraux de la vigueur commerciale .. 76 Un contexte commercial très défavorable ...............................................................................76 La rue comme levier central de l’attractivité commerciale .......................................................78 Une attention portée à la qualité des espaces publics propre à attirer les commerçants ........80
2.3.2 Une programmation commerciale adaptée au nouveau cadre ..................................... 81 Une attention portée aux commerces eux-mêmes ......................................................................81 Une évolution commerciale révélatrice d’une évolution sociologique ? ..................................82
Conclusion ........................................................................................................................... 84
3. La forme urbaine : instrument d’un projet de société ........................................86 Du projet urbain au projet de société : la ville vertueuse .........................................................87
3.1 Les formes urbaines en appui de la mixité sociale ..................................................... 87 3.1.1 D’une faible mixité sociale au « grand écart sociologique » ....................................... 87 Un contexte social difficile .......................................................................................................87 Une transformation radicale du discours en matière d’objectifs de peuplement ......................88 Des objectifs plus ou moins affichés tendant à modifier profondément la sociologie communale ................................................................................................................................89
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Des résultats nettement visibles dans l’étude de la sociologie communale ..............................90
3.1.2 De la mixité invisible aux moyens invisibles de mutation de peuplement .................. 96 Diminuer la visibilité des logements sociaux par leur éparpillement sur la commune… ........96 … Ou les faire totalement disparaître en les rendant méconnaissable .....................................96 Le possible renfort de dispositifs « invisibles » ........................................................................97
3.2 Quand la ville se veut rassurante .............................................................................. 100 3.2.1 Les formes urbaines : du repère urbain au prestige apparent .................................... 100 Une double rupture : avec la banlieue et avec l’urbaniste moderniste ..................................100 « Redonner des repères aux habitants » : un élément primordial de l’argumentaire des formes urbaines traditionnelles ...........................................................................................................101
3.2.2 Les formes urbaines : instrument sécuritaire ? .......................................................... 104 Le débat non tranché sur les liens qui unissent urbanisme et sécurité ...................................104 Les formes urbaines : dispositifs de la « ville rassurante » ....................................................105 La non-validité des dispositifs sécuritaires les plus connus (gated communities, enclavement, etc.) .........................................................................................................................................106 L’hyper-aménagement : dispositif sécuritaire permis par les formes urbaines ......................106
Conclusion ......................................................................................................................... 109
4. La forme urbaine : instrument politique ..................................................................112 Le pouvoir politique au service du projet urbain ....................................................................113
4.1 Les formes urbaines : outil d’affirmation de la légitimité et de la crédibilité du Maire .................................................................................................................................. 113 4.1.1 La double figure : du « maire-expert » au « maire-visionnaire » .............................. 113 Un maire conforté dans ses positions, notamment urbanistiques ..........................................113 Le « maire-expert » : la biographie comme fondement de l’expertise ....................................114 Le « maire-expert » : connaisseur et professionnel de l’urbain .............................................116 Le modèle du « maire-visionnaire » ........................................................................................116
4.1.2 Une capacité accrue de prise de décision .................................................................. 117 Le pouvoir étendu mais contraint des maires en matière d’urbanisme ..................................117 Les formes urbaines : instrument de l’accroissement progressif de la capacité décisionnelle .................................................................................................................................................118
4.2 « Faire modèle » : de la ville idéale à une municipalité exemplaire, un projet politique de grande ampleur ............................................................................................ 120 4.2.1 Les formes urbaines pour faire modèle ..................................................................... 120 De l’affirmation d’un idéal à la volonté d’exemplarité ..........................................................120 Les visites de personnalités politiques au centre de la reconnaissance de l’exemplarité .......121 - 10 -
Moyens concrets et moyens symboliques ................................................................................122
4.2.2 Exporter le modèle ..................................................................................................... 123 Les victoires aux concours comme confirmation et médiatisation des opérations réalisées .123 L’évènementiel pour réunir et faire parler du Plessis Robinson .............................................125 La réception de délégations étrangères : faire connaître le modèle à l’international ............127 Les visites organisées et les ouvrages publiés : sensibiliser les étudiants à des méthodes de conception peu abordées au sein des écoles............................................................................127 L’expertise locale proposée à d’autres communes par le biais de la SEM communale .........128
Conclusion ......................................................................................................................... 128
Conclusion générale ..................................................................................................................130 L’instrument d’action publique en remplacement des idéologies ? ........................................131 Les formes urbaines : un nouvel instrument de l’action publique ? ........................................132 Quelques implications de ce nouvel instrument .....................................................................134 Un instrument peu perçu mais en plein développement ? .......................................................135
Bibliographie et sources ..........................................................................................................136 Ouvrages & articles généraux .................................................................................................137 Ouvrages & articles relatifs au cas d’étude ............................................................................139 Documents officiels relatifs au cas d’étude .............................................................................141 Sites internet relatifs au cas d’étude........................................................................................142
Annexes............................................................................................................................................144 Descriptif sommaire des opérations ........................................................................................145 Repérage photographique et cartographique ..........................................................................147
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Table des figures
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Cartographie Carte 1 - Localisation de la commune du Plessis-Robinson au Sud du département des Hauts-de-Seine ........................................................................................................................................................... - 25 Carte 2 – Relevé des terrains qui ont accueilli des programmes de construction de logements depuis 1990 ................................................................................................................................................... - 27 Carte 3 – Le patrimoine de l’OPDHLM au Plessis-Robinson à la fin des années 1980. .................. - 37 Carte 4 – Transports en commun existants et projetés à proximité du Plessis-Robinson ................. - 69 Carte 5 – Infrastructures routières présentes à proximité du Plessis-Robinson................................. - 69 Carte 6 – Localisation des espaces verts sur le territoire communal ................................................ - 70 Carte 7 – Localisation des espaces verts sur un périmètre plus large ................................................ - 70 Carte 8 – Localisation du centre commercial Vélizy 2 ..................................................................... - 77 Carte 9 – Repérage de l’implantation des commerces sur les opérations d’urbanisme récentes....... - 79 Carte 10 – Limites des périmètre IRIS .............................................................................................. - 91 Carte 11 – Hypothèse d’une relative homogénéité sociologique sur les IRIS 109, 104, 102, 105 en 1989 ................................................................................................................................................... - 91 Carte 12 – Composition des logements de l’IRIS 109 ...................................................................... - 92 Carte 13 – Part de la population habitant depuis plus de 5 ans dans le même logement par IRIS .... - 93 Carte 14 – Part de logement sociaux par IRIS .................................................................................. - 93 Carte 15 – Part de la population imposable par IRIS ........................................................................ - 94 Carte 17 – Revenu médian par IRIS .................................................................................................. - 95 Carte 18 – Repérage des principaux objets « repères urbains » sur les trois quartiers conçus de manière traditionnaliste ................................................................................................................................. - 102 Carte 19 – Repérage des espaces de circulation automobiles et piétons ......................................... - 107 -
Illustrations Illustration 1 – Comparaison des formes urbaines présentes au Plessis Robinson............................ - 51 Illustration 2 – Comparaison entre les réalisations « habituelles » des promoteurs et les réalisations de ces mêmes promoteurs au Plessis-Robinson sur la même période .................................................... - 72 Illustration 3 – Photographies comparatives de commerces implantés en dehors et au sein des nouveaux quartiers ............................................................................................................................ - 83 Illustration 4 – Photographies comparatives de logements libres et sociaux. ................................... - 98 Illustration 5 – Photographies de quelques objets « repères urbains » ............................................ - 103 Illustration 6 – Photographies de quelques éléments principaux de l’ « hyper-aménagement » ..... - 108 Illustration 7 – Chronologie sommaire ............................................................................................ - 126 -
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Introduction
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Dans le contexte actuel d’incertitude et de complexification croissante des interventions sur la ville, des outils efficaces, capables d’entraîner l’adhésion ou la confiance des acteurs sont recherchés par l’ensemble des décideurs. Que ce soit pour mener à bien un projet urbain ou pour résoudre un point précis de politique publique, le décideur peut aujourd’hui recourir à une gamme quasi-infinie d’instruments de tous ordres : normes, procédures, budgets, lois, tarifs, modalités de négociation, etc. (P. Zittoun, 2011, p.1). Nous émettons dès lors l’hypothèse suivante : une politique en matière de formes urbaines peut également devenir un instrument central d’action publique. C’est ce que ce travail s’attachera à démontrer à travers un cas d’étude particulièrement révélateur : celui de la ville du Plessis-Robinson. Mais, pour saisir au mieux les enjeux en présence, il faut d’abord surmonter un certain nombre de difficultés de recherche.
Un contexte de recherche difficile autour des formes urbaines
La forme urbaine : une notion floue Première difficulté : malgré (ou justement en conséquence) des recherches menées tout au long des deux derniers siècles, la « forme urbaine » reste une notion relativement floue. Comme le fait remarquer D. Raynaud (1999, p.1), si « la notion de « forme urbaine » est employée régulièrement par les urbanistes, architectes, géographes et sociologues urbains, elle présente cependant « un spectre de significations extrêmement large ». Sans entrer dans une explicitation trop précise – ce n’est pas le propos de ce travail -, une illustration simple peut suffire à donner au lecteur une idée assez précise de ce « spectre » : on peut recourir à la notion de « forme urbaine » aussi bien pour parler de l’insertion d’un bâtiment dans un tracé urbain, que pour caractériser la morphologie d’un quartier ou encore afin de parler - à toute autre échelle - de la forme globale de la ville. Ces différentes dimensions révèlent bien le caractère polysémique du terme « forme urbaine »1, polysémie qui amène chaque auteur à développer sa propre définition du terme, en fonction de son approche et de sa sensibilité.
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On peut noter cependant que, même en langue anglaise où il y a eu tentative de séparer les significations diverses par autant de termes (urban form, urban shape, urban design, etc.), la notion reste floue puisque les usagers de ces termes ne sont pas tombés d’accord pour leur attribuer un sens commun. - 15 -
Pour sa part, ce travail n’a pas la prétention d’apporter de nouveaux éléments ou de s’engager dans une recherche sémantique pour proposer une définition nouvelle de la forme urbaine. La définition assez large que proposent P. Merlin et F. Choay dans leur Dictionnaire de l’Urbanisme et de l’Aménagement (1988, p.367) sera donc reprise ici. En définissant la forme urbaine comme « l’ensemble des éléments du cadre urbain qui constituent un tout homogène », ils restent finalement assez vagues pour englober tout ce qui peut être perçu et utilisé : l’architecture, le tissu urbain, la composition des espaces publics et privés, etc. C’est cet ensemble que nous entendrons par « formes urbaines » dans ce travail.
La forme urbaine ne constitue pas une information directement lisible Deuxième difficulté – en fait une des causes de la première – la forme urbaine « n’est jamais une donnée a priori, elle est toujours construite » (A. Lévy, 2005, p.5). Ou, pour être plus clair encore, « la forme urbaine et son étude dépendent toujours d’un point de vue de départ, d’un regard porté sur la forme, d’une définition préalable qui en délimite le contour et l’approche ». Bien que la forme urbaine soit un objet existant et physiquement perceptible, elle ne constitue pas une information utilisable en tant que telle. Justement du fait de son caractère purement physique, il n’est possible, dès lors que l’on met à distance l’ensemble des domaines de recherche, d’obtenir autre chose que des données se rapportant uniquement au domaine matériel des ouvrages.2 On admet donc avec Marcel Roncayolo (2002) que « l’objet formes urbaines ne peut être saisi que par une démarche transversale, pluridisciplinaire. » Or, c’est exactement ce qu’un rapide tour d’horizon des approches les plus courantes permet de constater. On peut lister avec A. Lévy (2005, p.7) : -
une approche de la forme urbaine comme forme de paysage urbain (espace saisi et perçu dans sa matérialité plastique) : C. Sitte, K. Lynch, …
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une approche de la forme urbaine comme forme sociale (occupation par les groupes sociaux, distribution des fonctions) : Ecole de Chicago, R. Ledrut, …
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une approche de la forme urbaine comme forme des tissus urbains (interrelations des éléments composant le tissu) : P. Panerai, …
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Ce qui constitue par ailleurs l’approche que l’on nomme communément « physicaliste » - 16 -
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une approche de la forme urbaine comme forme des tracés urbains (forme géométrique du plan de la ville, composition urbaine) : R. Unwin,…
L’auteur ajoute également une approche par la dimension environnementale et l’on peut encore compléter cette liste en relevant l’existence d’approches historicistes (les formes urbaines comme patrimoine culturel), techniques (les formes urbaines vues par les méthodes et procédés de construction) ou encore esthétiques (les formes urbaines comme œuvres d’art). Sans doute en existe-t-il encore bien d’autres, ce qui révèle à la fois la prédominance de la transversalité dans l’étude des formes urbaines, mais aussi le caractère construit (c’est-à-dire utilisant les matériaux provenant d’un autre champ de recherche) des informations que peuvent livrer les formes urbaines.
Il faut « dépasser » l’aspect superficiel des formes urbaines pour en révéler les signifiants Comme on vient de l’esquisser, les formes urbaines ont avant tout une qualité purement physique et sont de ce fait trop souvent considérées au mieux comme dignes d’une étude purement physique et matérielle, au pire comme des objets superficiels incapables de révéler quelque enjeu ou problématisation que ce soit. Nous partageons donc l’avis de L. Viala (2005, p.8) lorsqu’il regrette que « la finalité de nombre de recherches actuelles se [focalise] simplement sur l’identification ou la caractérisation des formes inédites […] sans chercher à comprendre le sens de la forme de la ville actuelle ». Nous retrouvons d’ailleurs cette même idée chez A. Lévy (2005, p.4) puisqu’il renvoie pour les deux finalités (identification simple ; compréhension du sens) à la distinction opérée par C. Lévi-Strauss « entre ethnographie et ethnologie, entre description et explication ou interprétation ». Ces chercheurs font clairement état d’une tendance à ne voir dans les formes urbaines qu’un élément collatéral, en marge des enjeux des opérations d’urbanisme et non-porteur de problématiques en soi. Mais d’où vient cet état de fait ? Nous proposons deux hypothèses, qui bien qu’insuffisantes, peuvent donner des premières clefs de compréhension de cette tendance. On est face à une difficile lisibilité des liens entre architectures/formes urbaines et comportements sociaux. Il n’y a, à notre connaissance, pas eu d’étude en ce domaine qui ait été réellement concluante. Si, aujourd’hui, de grands principes émergent (suppression des dalles au profit de la rue, fin des grandes barres et tours d’immeubles, résidentialisation des - 17 -
espaces privés de ces ensembles,…), ce sont très souvent les motivations sociales et politiques, renvoyant notamment à des questions de peuplement (G. Baudin, P. Genestier, 2006) qui l’emportent sur un réel diagnostic de l’ « efficacité » de telle ou telle forme urbaine. Dans ces conditions, il paraît bien incertain (ou même inutile) pour un maître d’ouvrage d’une opération d’urbanisme de s’appesantir trop longuement sur la définition des formes urbaines alors même que celles-ci ne permettent pas de prévoir de manière avérée les comportements qui seront engendrés, les usages qui en découleront. Une telle incertitude débouche naturellement sur l’idée qu’il n’y aurait pas de lien de cause à effet entre forme urbaine et comportements sociaux. Autrement dit, on a tendance à aboutir assez vite à l’idée selon laquelle les formes urbaines ne jouent un rôle que très marginal dans la vie et la réussite d’un projet urbain. Mais, au-delà de cette incertitude et sur un tout autre plan, il a déjà été souligné que les formes urbaines avaient un caractère purement physique, c’est-à-dire visuel dès lors que l’on parle de perception ou de communication autour d’un projet urbain. Gageons que cette surexploitation des formes dans les images et communications produites lors des phases avancées de conception urbaine entraîne un phénomène de « spécialisation » où l’aspect visuel des formes urbaines, devient un élément de marchandising du projet3 et annule ou efface toute possibilité d’en comprendre les signifiants autres que communicationnels. L. Viala (2005, p.5) résume très bien cette opposition émergente : « Au final, la question du statut de la forme reste en suspens. Soit elle conserve son sens premier, celui des apparences, l’autorisant à témoigner du fait urbain, soit elle revêt son sens philosophique et devient une catégorie de la pensée donnant accès à l’être de la ville. » Mais dans ce cas, se demande l’auteur « en quels termes la forme peut-elle dire la ville ? » C’est une des interrogations auxquelles nous tenterons d’apporter des éléments de réponse tout au long de ce travail.
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On peut penser aux images produites dans le cadre de la consultation du Grand Paris, images qui ont été largement relayées par la presse et qui ont joué sans doute un rôle crucial dans la formation d’une opinion positive autour du projet. Les images ont souvent servi d’illustrations pour révéler certains grands enjeux (densification urbaine, constructions plus hautes, lien à retrouver avec le fleuve/ avec l’océan…) ce qui n’est pas toujours le cas pour des projets de plus faible dimension où les images, reprenant les formes urbaines à venir, sont uniquement produites pour laisser imaginer ce que sera le futur quartier. - 18 -
La (vaine) recherche de la « meilleure » forme urbaine Dernière difficulté, qui résulte des précédentes (la forme urbaine est une notion polysémique ; la forme urbaine est une donnée construite ; la forme urbaine est souvent considérée comme un élément superficiel) : les recherches menées n’ayant pas abouti à des avancées unanimement reconnues, les idéologies et mouvements de pensée se sont emparés de la thématique de la forme urbaine. Comme le souligne L. Viala (2005, p.9), « les formes architecturales ou urbaines ne sont jamais neutres ». Une forme résulte en effet toujours d’un choix et on parle d’ailleurs bien de « parti pris » architectural ou urbanistique. Or, puisqu’il y a un choix à faire et peu d’éléments permettant de prendre la décision la plus juste (car sur quoi pourrait-on bien se baser si les recherches menées n’étaient pas concluantes ou applicables ?), elle va naturellement se prendre suivant une appréciation ou une conviction. Dès lors, les mouvements de pensée urbanistiques vont jouer un rôle éminemment actif, en défendant leur conviction que les modèles de formes urbaines qu’ils promeuvent sont les meilleurs. Sans revenir ici sur l’ensemble de ces mouvements qui sont généralement bien connus, citons simplement ceux dont on trouve une trace claire sur notre site d’étude : le concept de cité-jardins théorisé par Ebenezer Howard, le zoning et les barres issues du fonctionnalisme et notamment de la Charte d’Athènes, jusqu’à l’Architecture Douce et sa spécificité traditionnaliste et vernaculaire porté par François Spoerry ou encore au New Urbanism, courant proposant de redynamiser les liens sociaux en accordant plus d’importance aux espaces publics. De manière générale, on est clairement face à un « engouement normatif » (D. Raynaud, 1999, p.13) qui aboutit au fait que loin d’être « un instrument d’analyse de la ville », la forme urbaine est davantage utilisée « comme slogan à des fins pragmatiques ou idéologiques ». Cet état de fait représente selon nous une difficulté supplémentaire pour quiconque tente de penser la ville à partir des formes urbaines. D’autant plus que cette confrontation permanente des idéologies ne s’avère pas forcément constructive – puisqu’aucune position n’est arrêtée – et donne davantage l’impression4 d’un retour cyclique à des procédés et solutions plus anciens. Les leaders de ces mouvements continuent de débattre et de proposer chacun leurs solutions pour des villes meilleures et de meilleures formes urbaines. Cela nous semble poser un problème essentiel : qu’entend-on par « meilleur » (car, basiquement, il ne semble pas y avoir 4
On pourrait oser, pour donner une idée schématique du phénomène, un parallèle entre ces processus cycliques d’emprunt aux procédés plus anciens en aménagement et les phénomènes de modes vestimentaires adoptant et rejetant à intervalles irréguliers des solutions plus anciennes. - 19 -
d’accord sur ce qui serait « meilleur ») et surtout est-on réellement capable de définir de manière universelle la ou les formes urbaines qui nous semblent meilleures ? Il nous apparaît au contraire que la mise en garde de P. Merlin (1988) : « l’objet urbain n’est pas abstrait, universel, idéaltypique mais concret, localisé et spécifique » est encore d’une grande actualité.
Les formes urbaines : de l’outil d’analyse à l’instrument d’action
La forme urbaine, un instrument d’analyse de la ville ? Dès lors que nous avons identifié ces écueils qui sont, pour nous, autant de pièges dans lesquels risque de tomber le chercheur, que reste-t-il à dire des formes urbaines ? Nous faisons le pari avec G. Ritchot (1985) que l’on peut envisager « l’espace de la ville [autrement que] comme un simple ensemble de formes » et révéler plutôt les « processus qu’elles incarnent ». Ou, comme l’écrit R. Ledut (1984) : « La réalité sociale a des Formes diverses et des Sens multiples. » Il nous apparaît que les formes urbaines doivent compter au rang des émanations de cette « réalité sociale » - et de la réalité politique, pourrions-nous ajouter. Ce point semble suffisamment admis pour ne pas avoir à insister particulièrement sur sa véracité. Les formes urbaines font partie intégrante des modèles d’organisation des différentes sociétés et de ce fait concourent à leur bon fonctionnement. Elles sont liées ou renvoient à un contexte géographique et historique déterminé puisqu’elles servent avant tout à répondre à des besoins ou à des aspirations spécifiques. Et puisque ces besoins et aspirations évoluent dans le temps, les formes urbaines sont vouées à se transformer de la même façon. Plus synthétiquement, on peut simplement avancer le fait que la complexité des formes urbaines renvoie à la complexité des sociétés humaines et de leur évolution. Pourtant, malgré cette complexité, un pari supplémentaire est fait dans ce travail : nous croyons en effet qu’il est possible d’établir un lien entre les formes urbaines et les enjeux auxquels sont confrontées les villes. Il ne s’agit bien évidemment pas de « faire parler » les formes urbaines et d’extrapoler en partant de simples observations sans se rattacher à des faits concrets. Bien au contraire, nous émettons l’hypothèse qu’une relation peut exister entre les formes urbaines et les enjeux que rencontre une ville, et que l’étude de l’un peut éclairer l’autre.
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Pour vérifier cette hypothèse, l’étude s’orientera non pas sur des formes urbaines disparates présentes sur un site ou dans un quartier mais s’attaquera aux formes urbaines mobilisées lors d’opérations d’aménagement. Cela pour des questions pratiques et d’efficience des résultats puisque se pencher sur le cas de telles opérations (type réalisation d’un nouveau quartier en ZAC) permet : -
Une délimitation spatiale : les limites choisies ne sont pas arbitraires mais celles correspondant à l’opération.
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Une délimitation temporelle : s’attaquer à un quartier dont le bâti et les formes urbaines renvoient à des époques différentes d’urbanisation rend complexe sa lecture. Au contraire, la lisibilité des formes urbaines employées lors d’un projet unique et limité dans le temps est bien plus grande puisque les constructions sont conçues comme un ensemble.
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Un nombre limité et restreint d’acteurs : même si l’on est aujourd’hui à une période de complexification des jeux d’acteurs avec une multiplication des partenariats de toutes sortes, il est toujours plus facile de dresser la liste des acteurs concourant à la réalisation d’une opération unique que de faire l’inventaire de ceux ayant eu de près ou de loin une influence sur l’évolution des formes urbaines d’une partie de ville.
Il semble qu’en respectant ces critères, il devient possible d’analyser les liens entourant formes urbaines et enjeux urbains puisque l’on se place en position d’observer un objet unique, ayant été porté par un nombre limité d’acteurs avec un nombre limité de discours produits.
La forme urbaine : un élément de réponse aux enjeux urbains Cela a été dit plus haut, les formes urbaines répondent à des besoins et aspirations qui apparaissent au sein de nos sociétés. En ce sens, elles ne doivent pas être uniquement considérées comme des émanations naturelles mais surtout comme des productions rationnelles, logiques et adaptées pour résoudre une ou plusieurs exigences. Ce lien très étroit est clairement identifié par A. Lévy (2005, p.3), notamment : « Les nouvelles formes de relégation et la fragmentation questionnent le lien social, l’étalement et la mobilité croissante se heurtent aux nouvelles préoccupations environnementales, la problématique du « développement durable » […] interroge les formes urbaines du futur. » Les enjeux sociétaux
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apparaissent donc clairement chez ces auteurs comme des raisons directes (problèmes à résoudre) dans la conception et la détermination des formes urbaines (solutions produites). Trois hypothèses de travail sont ici faites concernant le lien qui unit enjeux urbains et formes urbaines : -
Le choix des formes urbaines mais aussi l’ensemble des processus aboutissant à ce choix puis l’ensemble des processus de mise en œuvre de ce choix peuvent être révélateurs d’enjeux (proclamés ou dissimulés). Le choix doit pouvoir être éclairé par la prise en compte de ces à-côtés et en étudiant le comportement et la rationalité des acteurs. Il s’agit d’étudier les actions que ces derniers mettent en place face aux enjeux qu’ils auront identifiés.
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Le ou les discours mis au point pour accompagner la réalisation des formes urbaines souhaitées sont eux-mêmes porteurs de sens et font partie intégrante d’un dispositif plus global visant à rassembler et convaincre autour du projet.
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Enfin, nous partons du postulat, que nous tenterons de démontrer, que les formes urbaines peuvent se révéler efficaces pour répondre aux enjeux détectés.
Le projet urbain : lieu de révélation des (nouveaux) enjeux territoriaux Le contexte et les interventions urbaines tendent vers une complexification accrue et renvoient ainsi à une lisibilité plus difficile des formes urbaines. C’est pourquoi il a paru plus judicieux de se pencher sur des formes urbaines conçues dans un cadre unique, celui d’un projet urbain. Puisque cette notion sera mobilisée tout au long de l’exposé, il semble important de la définir sommairement. G. Pinson dresse du projet urbain un portrait assez complet. Pour l’auteur, le projet urbain est un « nouvel instrument d’action publique […] inventé dans les années 1980 et 1990 ». On est donc face à un phénomène récent, apparu depuis la décentralisation et qui, s’il sert à « faire prospérer les situations pluralistes » (G. Pinson, 2006, p.3) doit aussi permettre de sauvegarder une rationalité optimum dans la conduite d’une opération d’aménagement. Mais, très rapidement, on se rend compte que la notion est en réalité multidimensionnelle : le terme recoupe à la fois l’idée d’une « requalification [ayant] pour vocation d’impulser des transformations d’une partie ou de l’ensemble de la ville, de sa forme physique, de sa base
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économique, mais aussi de son image » (G. Pinson, 2005, p.2) ; et un mode d’action particulier : la démarche de projet. Comme pour les formes urbaines, on est donc en présence d’une notion polysémique, qui renvoie ici à la fois à un objet et à un processus. Signalons aussi que pour l’auteur, la notion renvoie à deux orientations principales. D’abord, les projets urbains « font de l’urbanisme […] un outil d’activation du développement économique, alors qu’on [le] concevait jusque-là comme [un] outil de régulation ». Le terme de « projet » révèle d’ailleurs bien ce passage de ce qu’on pourrait appeler un urbanisme de planification à un urbanisme stratégique, dans lequel c’est d’abord l’efficacité du choix qui est mise en avant. D’autre part, le passage en mode projet serait marqué par le passage d’une « approche quantitative [à] l’apparition de préoccupations plus qualitatives liées à un souci nouveau d’attractivité du territoire. » Ces rappels permettent de replacer dans leur contexte plus global les projets urbains analysés dans le cadre de ce travail. Car c’est de projets urbains qu’il sera question, en tant qu’opérations produisant des formes urbaines mais aussi comme lieux de révélation des enjeux d’un territoire.
La notion d’instrument en action publique G. Pinson (2005, p.2) écrit également à propos du projet urbain qu’ « il n’est pas uniquement un espace ou une séquence d’action, il est aussi un instrument, autrement dit un mode d’action. » Il mobilise, ce faisant, tout un pan de la recherche actuelle concernant les instruments de l’action publique. En introduction d’un ouvrage majeur de ce courant de recherche5, P. Lascoumes et P. Le Galès développaient l’idée selon laquelle : « l’action publique est un espace sociopolitique construit autant par des techniques et des instruments que par des finalités, des contenus et des projets d’acteur. » (2005, p.12) Ils posaient ainsi les bases d’une recherche dépassant « les approches fonctionnalistes qui s’intéressent avant tout aux objectifs des politiques publiques » pour s’attacher aux instruments permettant de réaliser ces objectifs. Deux précisions sont néanmoins nécessaires pour comprendre le travail de ces chercheurs. D’abord, ceux-ci ont une conception élargie des instruments d’action publique (IAP). Comme 5
P. Lascoumes et P. Le Galès, Gouverner par les instruments, 2005 - 23 -
le révèle P. Zittoun (2011, p.1), « le concept d’ « instrument » a souvent été utilisé pour désigner un ensemble relativement hétérogène d’objets. On y trouve tout à la fois des moyens d’action, des moyens de connaissance, des procédures, des techniques, des outils, des budgets, des lois, des tarifs, des modalités de négociation, etc. » C’est pourquoi G. Pinson peut parler du projet urbain comme d’un instrument de l’action publique. La définition qu’en donnent P. Lascoumes et P. Le Galès est, de fait, très large. Pour eux : « un instrument d’action publique constitue un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur. » (2005, p.13) En clair, cela signifie que tout moyen dont peut se saisir la puissance publique pour agir, « matérialiser et opérationnaliser [son] action » est susceptible d’être considéré comme un instrument. Mais, et c’est là la deuxième précision qu’il faut apporter : les instruments eux-mêmes, en tant que dispositifs, ne sont pas le point central de ces études. L’objet de recherche des auteurs de ce courant s’articule bien davantage autour de « l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils […] Il s’agit de comprendre les raisons qui poussent à retenir tel instrument plutôt que tel autre, mais d’envisager également les effets produits par ces choix. » (P. Lascoumes, P. Le Galès, 2005, p.12). Le présent travail s’engage sur les traces de ces chercheurs pour témoigner du fait que l’action publique se réalise aujourd’hui par des instruments, compris comme tels par la puissance publique.
Présentation des orientations du travail de recherche
Notre problématique : les formes urbaines, instrument du projet urbain ? Dans cette situation et de l’ensemble des réflexions qui viennent d’être balayées, une problématique semble émerger. Nous avons vu que les enjeux urbains et les manières de les aborder ont changé (apparition du projet urbain). Nous avons également signalé que les formes urbaines sont d’une part liées aux enjeux urbains, d’autre part que ce lien peut être discerné et étudié. Enfin, nous avons montré que la capacité de la puissance publique à apporter des réponses aux enjeux actuels pouvait être abordée par la question des instruments
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d’action publique. Cela conduit alors à se demander en quoi les formes urbaines sont un instrument au service du projet urbain ?
Un cas d’étude archétypal : Les projets urbains du Plessis-Robinson La ville du Plessis-Robinson s’est très vite imposée comme un cas d’étude capable de nourrir cette problématique. Pourtant, si l’on revient un peu en arrière, vers la fin des années 1980, la ville ne se démarquait pas particulièrement de la situation des autres communes de même rang. Avantageusement localisé en couronne parisienne (voir la carte 1), dans le sud du département des Hauts-de-Seine (92), le Plessis-Robinson (25 000 habitants) possède un potentiel fort pour bénéficier des dynamiques franciliennes et départementales (attractivité forte du territoire, proximité du bassin d’emploi, etc.). Pourtant, à la fin des années 1980, la commune est clairement en décalage par rapport à ces dynamiques : la forte part de logements sociaux (plus de 65%), l’état de dégradation de ce patrimoine social, des marges de manœuvre très limitées en font une des communes les plus pauvres des Hauts-de-Seine.
Carte 1 - Localisation de la commune du Plessis-Robinson au Sud du département des Hauts-de-Seine (les limites communales sont indiquées en traits fins ; les limites départementales en traits plus épais)
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L’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante à la suite des élections municipales de 1989 (les communistes cèdent leur place à la droite) va augurer de bouleversements majeurs pour la ville et notamment d’une « frénésie » de la construction (voir la carte 2) avec pas moins de quatre grandes opérations d’urbanisme et de nombreuses autres réalisations en diffus sur la ville. La réalisation de ces projets urbains a accompagné et permis un renversement de la dynamique communale. Trois principaux éléments font de ce terrain un bon cas d’étude : -
L’importance des projets urbains : on peut estimer que pratiquement 20% de la surface communale a été construite ou reconstruite ces 20 dernières années ce qui représente des opérations très vastes. Depuis le début, la nouvelle municipalité appréhende le projet urbain comme l’instrument fondamental pour transformer la ville.
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Le style de formes urbaines adopté (que l’on peut considérer comme traditionnaliste avec des influences fortes des courants de l’Architecture Douce, du Régionalisme et du Nouvel Urbanisme). Ce style nous intéresse, non en raison de son aspect insolite6, mais parce que son choix est central pour l’efficacité de l’instrument « formes urbaines »
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Les discours et le fort portage politique des questions de formes urbaines par la municipalité, et relayé par d’autres acteurs. Ce portage politique va jusqu’à la publication d’un livre du Maire défendant ses choix urbanistiques, mais aussi l’organisation d’un événement « Journées Européennes de l’Architecture et du Paysage Urbain » pour promouvoir les solutions adoptées au Plessis-Robinson.
Dans cette évolution, l’utilisation de l’instrument « formes urbaines » a donc clairement été le déclencheur d’une nouvelle dynamique. Aux dynamiques existantes en 1980 (et que connaissent les autres villes alentours) s’ajoute une dynamique formelle, propre à notre cas d’étude. Or, si les dynamiques formelles sont présentes dans l’ensemble des actions de régénération urbaine7, elles sont pour les trois raisons qui viennent d’être mentionnées (20% du territoire communal touché, choix d’un style spécifique, portage politique très important) particulièrement présentes au Plessis-Robinson.
6
Jugé comme tel en tout cas dans la plupart des articles que nous avons pu lire. Les opérations ANRU, notamment, passent le plus souvent par une réécriture morphologique des espaces et un remodelage des éléments bâtis. Voir par exemple ce qui est fait sur le quartier de Mireuil à La Rochelle. 7
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Carte 2 – Relevé des terrains qui ont accueilli des programmes de construction de logements depuis 1990 (les constructions réalisées et achevées en 2011 sont indiquées en rouge ; celles en cours en jaune)
Pour ces raisons, cette commune constitue un cas que l’on pourrait qualifier d’extrême, un cas archétypal. Pour ces mêmes raisons et parce qu’un archétype est toujours un élément idéalisé mais représentatif de ce qui existe ailleurs (cependant de manière moins développée), l’analyse qui est menée ici ne doit pas être vue comme propre au cas d’étude et inexploitable ailleurs. Au contraire, l’ensemble du cadre d’analyse mis en place peut et doit être confronté à d’autres projets urbains pour révéler sa pertinence.
Notre plan : enjeux d’opinion (discours produits), enjeux territoriaux (réalisations exécutées) et enjeux de pouvoir L’approche que nous choisissons vise à révéler cet aspect archétypal avec une situation qui va se trouver bouleversée par l’utilisation de l’instrument « formes urbaines ».
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C’est pourquoi il nous semble important de partir de la situation incertaine postélectorale (1989) pour étudier comment la municipalité a exploité les formes urbaines dans sa communication pour parvenir à convaincre et à gagner l’opinion. Cela pose, comme nous le verrons, plusieurs questions, notamment celle de l’occultation d’autres enjeux, derrière l’imaginaire créé autour des formes. Car c’est bien un imaginaire que tente de créer la municipalité, associée à d’autres acteurs, pour revaloriser la ville, d’abord dans les esprits. Mais loin de rester dans les images et l’imaginaire, les projets et les formes deviennent vite concrets, réels et répondent alors à d’autres enjeux. C’est l’objet des deux parties suivantes qui étudient la faculté des formes urbaines à apporter des réponses à des enjeux aussi divers que l’attractivité commerciale, l’évolution du peuplement, l’amélioration du cadre de vie, la sécurisation de l’espace, etc. Nous verrons que loin d’être « gadgets », les formes urbaines sont en mesure de jouer un rôle central dans les dispositifs de réponse à ces enjeux. La seconde partie portera sur l’utilisation de l’instrument « formes urbaines » en phase de montage opérationnel, alors que la troisième partie s’attachera aux réalisations, aux projets achevés. Pourtant ces dispositifs et ces actions resteraient limités s’ils n’étaient pas puissamment portés par les pouvoirs publics. Là encore, et contre toute attente, nous constaterons que les formes urbaines peuvent jouer un rôle en donnant une assise politique à leurs porteurs. Plus encore, elles peuvent constituer un projet politique et donner une crédibilité forte à celui ou celle qui saura y recourir efficacement. Ces liens entre formes urbaines et enjeux de pouvoirs ont donc toute leur place au sein d’une quatrième grande partie.
Notre méthodologie : documentation large, visite du site et rencontre des acteurs Afin de réaliser ce travail, notre méthode de recherche s’est orientée dans trois directions différentes et complémentaires : consultation de documents, observations sur site et rencontres avec certains des principaux acteurs ayant pris part aux opérations. Les documents8 que nous avons pu consulter sont de plusieurs types. Certains de ces documents traitent directement de notre site d’étude :
8
On peut retrouver l’ensemble de ces documents dans la partie « Bibliographie et Sources » (page 114 et suite) - 28 -
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Des documents techniques : plan local d’urbanisme, dossiers de création et de réalisation des opérations, cahiers de directives urbaines.
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Des documents administratifs : délibérations de conseils municipaux, rapports de la Cour des Comptes.
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Des documents de communication : journaux municipaux (pour la période allant de 1966 à 2011), divers magazines d’information municipaux ou départementaux, documents de consultation pour la population, publications portant sur les opérations d’urbanisme réalisées.
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Des données informatives : données INSEE et par IRIS de la commune.
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Des écrits de recherche : le mémoire d’une étudiante de l’Institut d’Urbanisme de Paris
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Des écrits de vulgarisation : articles de presse, sites internet d’information locaux, blogs divers.
En matière de recherche, nous avons donc trouvé peu d’éléments se rapportant directement à notre site d’étude. Les ouvrages et articles consultés concernent donc principalement des acquis théoriques ou l’étude de cas pratiques ayant des enjeux communs avec notre propre site d’étude. On trouve ainsi plusieurs grands thèmes dans les écrits consultés : -
Les formes urbaines et leurs études
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Le projet urbain
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L’instrumentation en action publique
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Les phénomènes d’attractivité et de valorisation d’un territoire
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Le phénomène de gentrification
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Le rôle du privé dans les opérations d’urbanisme
Les différentes approches offertes par ces thèmes nous auront permis, du moins l’espéronsnous, d’acquérir une vision assez globale des phénomènes, des interactions et des enjeux urbains actuels pour dégager des éléments intéressants de notre propre étude. Les visites du site auront rendu possible une familiarisation avec l’ensemble de la ville et de ses habitants. Si les opérations d’aménagement au centre de notre recherche ont été privilégiées, nous avons également parcouru les autres quartiers du Plessis-Robinson. Enfin, les rencontres avec certains des acteurs concernés par les opérations ont été extrêmement enrichissantes. N’ayant la possibilité de rencontrer qu’un nombre limité de
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personnes, nous avons choisi de privilégier la diversité des fonctions et des positions au détriment d’un approfondissement sur un point particulier. Nous pensons néanmoins que cette variété apporte une richesse réelle et permet un meilleur croisement des informations9. Nous avons donc rencontré : Trois acteurs institutionnels : -
Carinne Malfilatre, responsable du service urbanisme de la ville du Plessis-Robinson
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Hervé Caranobe, responsable de la communication et des relations publiques, chargé de mission à la SEMPRO (Société d’Economie Mixte Locale)
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Jean-Pierre Clemenceau, secrétaire général de l’Office Public Départemental de l’Habitat des Hauts-de-Seine
Un acteur associatif : -
François Collin, président de l’association de riverains P.L.E.S.S.I.S.
Deux concepteurs : -
Xavier Bohl, architecte-coordonnateur sur l’opération Cité Jardin phases 3&4 et architecte d’opération
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William Pesson, architecte et membre du jury pour la Fondation Philippe Rotthier ayant remis un prix à la ville du Plessis-Robinson pour ses opérations d’urbanisme.
9
L’analyse –parfois critique- des échanges ayant eu lieu lors de ces entretiens ne doit en aucun cas être perçu comme un jugement à l’égard de la véracité des propos des personnes rencontrées mais comme un simple rapprochement de leurs paroles avec des informations provenant de sources différentes.
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1. La forme urbaine : instrument du dispositif communicationnel
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Le projet urbain : instrument de communication(s)
Les projets urbains font partie des dispositifs communicationnels les plus usités par les municipalités. Ils sont tout autant une action concrète (réalisation/ aménagement d’une portion
de ville),
qu’un affichage médiatique :
démonstration de l’activité (du
« volontarisme ») municipale, promotion de valeurs, proposition d’une vision de ce qu’est la ville et de ce vers quoi elle doit tendre. Comme le résume M. Guidère (2000), avec le projet urbain, « le territoire a fait irruption dans le domaine de la communication ». A ce titre, plus que l’opération d’aménagement elle-même, c’est l’ensemble du dispositif mis en place autour qui peut être considéré comme relevant de l’outil communicationnel. Présentation publique du projet en mairie, concertation publique, exposition, pose de la première pierre, brèves de chantier dans les journaux locaux, inauguration et événements organisés, etc. : chacune des étapes du projet offre des possibilités multiples de médiatisation. Cela ne relève donc pas du hasard si C. Tiano (2004, p.1) souligne « une nette inflation des discours sur les opérations : discours des élus, points de vue des architectes, couverture médiatique… ». Il est normal en effet que les projets urbains, instruments d’organisation de l’action à acteurs multiples, fassent l’objet d’une communication de la part de chacun des acteurs impliqués.10 C’est un état de fait que l’on peut lire aisément au Plessis-Robinson à travers la communication municipale. Si l’on prend les journaux municipaux les plus anciens auxquels nous avons eu accès (1966), il apparaît que les opérations publiques de constructions comportent dans un premier temps deux acteurs majeurs : Etat et commune. Cette situation va largement évoluer avec la prise d’importance des collectivités locales (département, région), du privé (promoteurs), de structures mixtes (SEM) et bien sûr de la société civile. On est donc aujourd’hui, pour un projet urbain donné, face à des communications multiples qu’il importe de mettre en regard pour en comprendre le sens et les enjeux.
10
Même si, comme le note l’auteure un peu plus loin, il n’est pas évident que ces différentes communications se recoupent et soient cohérentes entre elles. - 33 -
Une spécificité Robinsonnaise : l’apparition progressive des formes urbaines au centre des dispositifs communicationnels
Les formes urbaines : un thème au départ inexistant des débats et des communications politiques Dans ce contexte pluraliste, les projets urbains récents du Plessis-Robinson offrent deux originalités. D’abord, les différents acteurs proposent des lignes communicationnelles très proches avec des discours semblables et cohérents. Ensuite, la prédominance d’un thème dans l’ensemble de ces communications: celui des formes urbaines. Axer le discours sur cette thématique est loin d’être anodin. Comme il a été introduit précédemment, rares sont les projets urbains pour lesquels la question des formes urbaines est particulièrement développée dans le dispositif communicationnel. On ne trouve que rarement une description poussée des éléments urbains structurants.11 Ou autrement dit, on ne s’en sert pas ou peu pour vendre le projet. L’exemple du Plessis-Robinson permet de voir une évolution de l’approche en la matière. Du milieu des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980, on ne trouve pas, dans la communication municipale, de discours particulier sur les formes urbaines du Plessis. Cela peut d’abord sembler normal, puisqu’aucune opération d’urbanisme de grande ampleur n’est programmée. Mais c’est en réalité assez notable au vu du fait que la ville possède un patrimoine urbain remarquable : la plus grande cité-jardins d’Ile-de-France. Si les aspects sociaux (vie des habitants, jardins-ouvriers, etc.) sont mis en avant, les formes urbaines particulières de ce patrimoine n’apparaissent pas dans les discours.
Trois grandes étapes marquant l’émergence du thème au sein du discours politique Or ce n’est qu’au milieu des années 1980, au moment où la réhabilitation de cette cité-jardins devient le centre du débat politique, que l’on remarque l’apparition progressive de la question des formes. D’abord par la prise de conscience dans le discours de la municipalité que, dans le cadre de la réhabilitation à venir, l’urbanisme particulier de la cité-jardins est à protéger. Ainsi 11
On trouve généralement aujourd’hui beaucoup plus de détails sur les aspects écologiques des projets, les normes de construction auxquels ils répondent, les enjeux environnementaux qu’ils accompagnent. - 34 -
l’on trouve dans le journal municipal de septembre 1983 ce que sera la position de la municipalité pour les années à venir : « Robert Gelly [le maire] insiste sur le fait qu’en dehors des bâtiments et de l’environnement, d’ailleurs à sauvegarder, ce qu’il faut c’est une véritable reconstruction interne ». Une réhabilitation intérieure des appartements, tout en conservant les caractéristiques des espaces extérieurs, c’est une première étape dans la reconnaissance des qualités des formes urbaines de la cité-jardins. Une deuxième étape est franchie avec les questions que va soulever le projet de création d’un ensemble de 350 logements sociaux au Nord de la ville. L’enjeu des formes urbaines va alors monter en puissance avec un questionnement sur leur capacité à créer un cadre de vie agréable et une image valorisante : « Nous [la municipalité] ne voulions pas n’importe quel projet. L’image du logement social est très dégradée dans notre pays et c’est logique. […] Les tours, les barres se sont multipliées, abritant des centaines de familles sans que soient pris en compte les problèmes de qualité de vie. […] Aussi dès le départ nous avons posé quelques principes : Nous voulions respecter l’urbanisme traditionnel du Plessis. » (janvier 1985). Dès lors, et avec le choix de l’organisation d’un concours d’architectes pour lancer le projet, ce sont les formes urbaines qui vont primer pour la promotion de ce nouveau quartier. « L’échelle humaine »12 des nouvelles constructions (elles ne devront pas dépasser 4 étages), la prise en compte de la déclivité naturelle du terrain, la présence d’une place centrale « pôle d’animation du quartier » et bien sûr une « architecture de qualité » à travers « la volonté de créer la diversité, de personnaliser chaque bâtiment » en utilisant des toitures en pente et des façades différentes. On le voit, les formes urbaines sont ici considérées comme capables de rattacher le nouveau quartier à la ville en établissant une continuité et en reprenant les qualités urbaines de la cité-jardins, mais aussi en donnant une image valorisée du logement social. Dernière étape que l’on pourrait souligner dans le processus de prise d’importance de la question des formes dans le discours de la municipalité : l’idéalisation. Les formes urbaines traditionnelles du Plessis-Robinson (c’est-à-dire celles de la cité-jardins) ne sont plus seulement d’une qualité dont il faut s’inspirer - un modèle -, mais deviennent l’idéal même de ce que l’on peut construire. Ainsi, comme il est écrit, assez naïvement, dans un journal municipal de la même année : « Les cités-jardins représentent l’image de ce que les urbanismes voudraient recréer s’il ne subsistait pas de contraintes foncières et financières. »
12
Plessis Info, Janvier 1985 - 35 -
Ces différentes étapes marquent l’arrivée de la question des formes urbaines au centre des dispositifs communicationnels et des débats politiques. Mais soyons plus précis : nous avons parlé de prise de conscience de la part de la municipalité quant à la possible utilisation des formes urbaines comme élément communicationnel. Mais est-ce vraiment une prise de conscience ? N’est-ce pas plutôt une prise de position ?
1.1 Discours et formes urbaines : entre prise de position politique et urbanistique
1.1.1 Les formes urbaines comme instrument de pression politique
Un contexte politique tendu depuis les années 1970 : le conflit entre la ville et l’Office HLM Si la thématique des formes urbaines tarde à apparaître au Plessis-Robinson, elle n’en est pas moins devenue très rapidement un élément central et a notamment constitué une carte à jouer dans les rapports de force qui ont pu opposer la municipalité communiste aux autres acteurs. L’étude des rapports de force entre la municipalité et l’Office HLM, rapports qui sont souvent allés jusqu’à l’affrontement public, illustre assez clairement ce propos. Sans entrer dans une analyse approfondie des raisons de ces rapports politiques, deux principaux points de conflit sont néanmoins à considérer. Premier point : l’étendue du parc social sur le territoire communal (voir la carte 3). A la veille des élections municipales de 1989, la ville compte 65 % de logements sociaux (soit un peu plus de 5000). Ce chiffre important est dû à la réalisation, au cours de la première moitié du XXe siècle, de l’une des plus grandes cité-jardins d’Ile-de-France sous l’impulsion d’Henri Sellier. La politique menée par la municipalité communiste a renforcé encore ce trait avec la réservation régulière de terrains pour l’implantation de logements sociaux13 et le renvoi systématique des promoteurs privés14. Cette importance du logement social15 incite la
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Plessis Info Spécial Bilan, 1970 : « A chaque fois que cela nous a été possible, la politique de la municipalité a été de favoriser au maximum la réalisation de programme HLM par la réservation de terrain. » 14 Plessis Info Spécial Bilan, 1989 : « Nous sommes convaincus que le besoin le plus urgent en matière de logement, ce sont des logements sociaux, confortables à prix abordables, accessibles à tous. C’est pourquoi, - 36 -
municipalité à demander à l’Office HLM le droit de siéger au Conseil d’Administration, requête qui sera toujours refusée. La situation s’envenime à tel point que le contingent municipal d’attribution, déjà bas16, est finalement supprimé17 après l’arrivée de Patrick Balkany à la tête de l’OPDHLM en 1985.
Carte 3 – Le patrimoine de l’OPDHLM au Plessis-Robinson à la fin des années 1980 (sauf Bois-Brûlé). La cité-jardins (divisée en une partie haute et une partie basse) constitue la réalisation la plus ancienne. Les quartiers Albert Thomas, Le Plateau, Edouard Herriot et Le Loup Pendu ont été réalisés entre 1950 et 1970. Enfin, l’ensemble du Bois-Brûlé est une réalisation municipale qui date de la fin des années 1980.
Deuxième et principal point d’achoppement entre ces deux acteurs : l’état de délabrement avancé et le manque d’entretien du parc social. Les logements, modernes à l’époque de leur construction, ont mal vieilli18 : la cuisine constitue le seul point d’eau, les pièces sont trop
nous combattons toutes les opérations spéculatives, tous les projets des promoteurs d’implanter des résidences de luxe pour quelques privilégiés. » 15 Plessis Info, Bulletin spécial L’avenir de notre ville, janvier 1985 : « Le Plessis-Robinson est la ville qui comporte le plus grand nombre de logements de l’OPDHLM (5000 sur 30 000). » 16 Plessis Info, Bulletin spécial L’avenir de notre ville, janvier 1985 : « Le contingent communal porte sur environ 800 logements (soit 14% de l’ensemble). » 17 Plessis Info, septembre 1986 : « Seul l’Office possède la maîtrise des logements sur la ville, il n’existe plus de contingent communal. » 18 Entretien avec Jean Pierre Clemenceau (secrétaire général de l’OPDH 92) - 37 -
petites, les murs sont en mauvais état suite à cinq années sans chauffage durant la guerre, etc. Les travaux envisagés s’annoncent très lourds et coûteux : le choix d’une reconstruction interne des logements, hypothèse d’abord envisagée, s’annonce plus coûteuse encore qu’une démolition/reconstruction à laquelle la municipalité communiste va devoir se résoudre durant l’année 198619. A ces deux raisons principales, il faut ajouter une opposition politique très forte, la municipalité étant communiste et le Conseil Général des Hauts-de-Seine, principal représenté au sein de son office, un bastion de la droite. Devant le refus de l’OPDHLM de céder aux exigences municipales (être représenté ; obtenir une réhabilitation des logements), la situation s’envenime très vite et des conflits ouverts apparaissent. La municipalité met en place des pétitions pour demander l’entretien du parc social puis, devant l’absence de réponse favorable de la part de l’OPDHLM, requiert la restitution de l’ensemble de ce parc et la création d’un Office Municipal HLM, requête éconduite cette fois par le préfet. Le conflit sera tout de même allé jusqu’à un encouragement aux locataires à ne plus payer leur loyer 20, au titre qu’ils n’ont pas à débourser d’argent pour des logements non entretenus et « déjà rentabilisés ».
L’utilisation des formes urbaines au sein de l’argumentaire municipale : recherche d’appuis et instrument de pression Nous avons déjà signalé que la communication autour des formes urbaines était apparue petit à petit au Plessis-Robinson, avec les premiers développements des questions touchant à la réhabilitation du parc social. Or, puisque c’est bien dans ce cadre-là que naît la communication municipale sur les formes urbaines, c’est en toute logique que cette communication va prendre une tournure engagée et partisane. Les formes urbaines sont dès lors réquisitionnées pour venir appuyer l’argumentaire municipal. Cela va bien sûr passer par les journaux municipaux mensuels, diffuseurs habituels des faits et pensées de la municipalité, mais également par un autre moyen plus rarement
19
Plessis Info, Septembre 1986 : « La cité haute : tout en préservant le caractère architectural de l’ensemble : reconstruction progressive d’un certain nombre de bâtiments. » 20
Plessis Info, Mars/Avril 1982 : « A quoi sert-il dans ces conditions de payer des loyers pour de tels logements déjà amortis depuis longtemps ? » - 38 -
employé : l’organisation d’une exposition. Celle-ci a pour objet21 les cités-jardins d’Ile-deFrance et plus particulièrement celles du Plessis-Robinson et leur état de dégradation, avant de passer en revue certaines hypothèses de réhabilitation et de donner à voir des références de travaux de réhabilitation réalisés ailleurs. L’exposition présentant les formes urbaines du Plessis-Robinson est dès lors conçue comme un outil de communication politique par la municipalité. Cette communication politique nous semble jouer sur deux axes différents : 1- Donner du crédit à la municipalité en tant que protectrice des formes urbaines communales. Se ranger derrière l’héritage d’Henri Sellier, ancien président de l’Office Départemental des Habitations à Bon Marché de la Seine et créateur de la Cité-jardins du Plessis-Robinson, permet de faire valoir l’héritage de la Gauche française et donc de jouer sur le clivage politique. D’autre part, cela positionne la municipalité comme force de proposition dans le débat en exposant des hypothèses de réhabilitation imaginées. 2- Faire pression sur l’OPDHLM en élargissant le cercle des contestataires. Ici, plusieurs logiques sont à l’œuvre. D’abord la possibilité d’attirer des personnes extérieures à la commune en organisant une exposition qui porte sur l’ensemble des cités-jardins d’Ile de France.22 Dépasser le strict périmètre des résidents pour révéler au plus grand nombre la situation Robinsonnaise – si l’exposition comporte bien une partie plus généraliste, elle est avant tout un manifeste ayant pour objet une situation très locale - permet d’élargir le cercle potentiel de sympathisants et de soutiens. Ensuite, l’exposition a évidemment pour but de montrer l’inaction de l’OPDHLM : que ce soit en révélant la situation de dégradation ou l’éloignement des conditions optimales qui seraient une application des propositions municipales. La tenue de l’exposition vise donc également à présenter l’Office comme un acteur irresponsable, passif et indifférent aux difficultés que peuvent rencontrer ses locataires.
L’organisation d’une exposition portant sur les formes urbaines dans leur état réel et potentiel, tout comme les discours engagés de la municipalité sont autant d’outils visant à mettre sous pression l’OPDHLM pour parvenir à une évolution de sa position. Il est à noter que cette pression communicationnelle se fait à l’encontre d’un service public ne possédant pour sa part
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Plessis Info, Novembre 1984 Et notamment les habitants de Châtenay-Malabry, ville voisine qui possède également une vaste cité-jardin. - 39 -
pas d’organe communicationnel aussi développé et ne pouvant donc pas répondre ou présenter ses propres arguments. Pourtant l’utilisation des formes urbaines comme moyen de pression trouve vite une limite : utilisé comme outil de clivage politique et non pour favoriser le dialogue (les souhaits de la municipalité en matière de réhabilitation semblaient plus orientés par une prise de position idéologique que par une réflexion réaliste, notamment en matière de coûts) l’outil se grippe et se retourne contre son initiateur. En effet, l’acteur non-communiquant mais qui possède le pouvoir décisionnel final, l’OPDHLM, prend les décisions unilatéralement et l’acteur communiquant, la municipalité, ne peut que contester ces décisions et se placer en posture de victime. Nul doute que cela n’a pas joué en sa faveur et explique en partie les résultats de l’élection municipale de 1989.
1.1.2 Le discours sur les formes urbaines ou l’accentuation d’une rupture politique
Les formes urbaines : la prise de position comme fondement de la légitimité politique Les formes urbaines vont rester un instrument de pression politique tout au long des quatre mandats de Philippe Pemezec, maire élu en 1989. Mais - ce point sera étudié en deuxième partie- l’instrument va muter progressivement pour devenir un instrument de discussion, tout en gardant cet aspect revendicatif déjà présent sous la municipalité communiste. Du point de vue de la communication, les mois et années qui suivent l’élection de Philippe Pemezec sont, comme souvent dans ces cas-là, caractérisés par un besoin de légitimité du candidat. Ce besoin prend ici sa source dans trois éléments principaux : le maire est jeune (33 ans) et inexpérimenté ; il n’a gagné qu’avec 57 voix d’avance23 ; élu sur une liste RPR, il devient le premier maire engagé politiquement à droite, de ce « bastion communiste »24. Élu sur un programme de rupture, c’est sur ce principe que se basent les premières décisions et les premières communications. Deux axes se dessinent. Le premier est assez habituel : c’est celui de la critique du soi-disant « immobilisme »25 de la municipalité précédente pour mettre 23
Ce que les opposants vont utiliser comme argument jusqu’aux élections suivantes. Par exemple : tribune du Parti Socialiste, Petit Robinson, avril 1991 : « Elu par surprise et avec un très faible écart de voix […] » 24 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.20 25 Petit Robinson, Octobre 1989 - 40 -
en valeur ses propres réussites. Les crédits obtenus dès les premiers mois pour la rénovation de la cité-jardins (35 millions de francs chaque année durant 7 ans) sont largement mis en avant comme une réussite et surtout une rupture dans l’efficacité de la gouvernance : « En deux mois, nous avons obtenu plus qu’il n’a jamais été obtenu en 20 ans »26, affirmation évidemment contestée par l’opposition27. Mais c’est le second axe qui nous intéresse tout particulièrement : le maire porte dès le départ un regard très sombre et très dépréciatif de ce qui constitue à l’échelle communale l’élément marquant en termes de formes urbaines : la cité-jardins. Pour lui, celle-ci est « sinistrée, dangereuse, inconfortable et insalubre »28, les constructions sont « massives et rectilignes »29, les « barres s’enchaînent comme des vagues le long des rues »30, les perspectives sont « staliniennes »31. Cela fait de la cité-jardins un « ghetto »32 qui donne au visiteur « une première impression brutale, voire désespérante »33 du Plessis-Robinson, « ville sinistrée »34 caractérisée par un « mal de vivre »35. Si ces termes pourraient paraître anodins dans la bouche d’un passant quelconque, ils le sont beaucoup moins lorsqu’ils sont prononcés par un maire fraîchement élu et largement répétés dans les diverses communications municipales. Cette prise de position urbanistique est d’autant plus singulière qu’elle comporte un risque de mécontenter les nombreux habitants de la cité-jardins (qui représente 25% du parc de logements de la ville)36. Elle est à contre-courant de la posture de la municipalité précédente qui défendait ce patrimoine. Et surtout, elle se fait à l’encontre de la valeur reconnue de ce patrimoine, valeur qui se manifeste par l’inscription de la totalité de la cité-jardins à l’Inventaire des Sites depuis 1986.37
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Petit Robinson, Juin 1989 Petit Robinson, Juin 1989 : « Les 35 millions de francs prévus en 1989 étaient déjà en grande partie programmés avant les élections municipales et rappelons qu’en 1988, l’Office avait déjà dépensé 30 millions dans la réhabilitation. » 28 Petit Robinson, Février 1990 29 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.14 30 P. Pemezec, Bonheur de ville, p. 24 31 Petit Robinson, Février 1990 32 Petit Robinson, Février 1990 33 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.14 34 Petit Robinson, Mai 1989 35 Petit Robinson, Janvier 1990 36 Petit Robinson, Février 1990 37 Petit Robinson, Février 1990 27
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Les formes urbaines : instrument de rupture par leur association à une conception politique jugée indésirable Dès lors que cette position n’est pas la plus facile à adopter, il convient de s’interroger sur les objectifs attendus. Deux grands objectifs semblent se dessiner. Premièrement, décrier la cité-jardins à travers son état et ses formes urbaines, c’est rompre politiquement avec un urbanisme qui se veut social et rejeter ainsi symboliquement l’ensemble des valeurs attachées à cette pensée, historiquement plutôt de gauche et plus proche des principes défendus auparavant par les communistes. Ce que le maire essaie de faire, en associant la cité-jardins aux communistes, c’est d’accréditer l’idée que, de même que la cité-jardins est révélatrice d’un certain fonctionnement, d’un certain type de pensée urbanistique qui a abouti à la situation de dégradation et de ghettoïsation que l’on connaît en 1989, les mouvements politiques tels que le socialisme et le communisme qui ont engendré cette cité-jardins sont inefficaces pour répondre aux aspirations et aux besoins des personnes. C’est donc bien une rupture politique qui est soulignée à travers la rupture et la dépréciation urbanistique. Deuxièmement, le regard dévalorisant porté sur les formes urbaines de la cité-jardins a pour but de préparer l’opinion publique à sa prochaine disparition. Ce sont plus de 1900 logements qui sont appelés à être détruits, un nombre extrêmement important donc, et qui font partie de l’identité et de l’histoire robinsonnaises. Insister sur des aspects négatifs liés à l’urbanisme de la cité-jardins devient alors un moyen de faire partager ce besoin de démolition par la population et, peut-être même, de tenter de rassembler des adhérents au projet. L’objectif serait dès lors d’obtenir un appui populaire ou du moins de limiter l’opposition à la démolition de la cité-jardins.
1.1.3 De la critique des formes urbaines à la dévalorisation du territoire : le poids de la « prophétie auto-réalisatrice »
Une dévalorisation intentionnelle du territoire ? Mais le regard dépréciatif du Maire sur la cité-jardins et la commune mérite d’être encore analysé au regard d’une approche par les processus de dévalorisation/revalorisation. Nous - 42 -
reprendrons pour ce faire la grille de lecture proposée par C. Tiano (2010, p.1). L’auteure identifie deux différents types de variables pour estimer la valeur d’un territoire : des variables quantifiables et d’autres intangibles. Pour faire simple, les variables quantifiables sont celles qui sont utilisées dans les divers palmarès existants comparant des valeurs économiques (les prix immobiliers, du foncier, etc.), sociales (part de population imposable, part des catégories socioprofessionnelles, revenu médian, etc.) ou pratiques (surface d’espaces verts par habitant, kilomètres de pistes cyclables, etc.). Dans notre cas d’étude, le discours de la municipalité entend principalement se baser sur trois types de variables. D’une part, sur les variables quantifiables que nous venons d’évoquer : part de logements sociaux, part de ménages non-imposables, solde migratoire, poids du commerce, taux de chômage, etc., variables qui indiquent globalement une situation défavorable pour la ville. D’autre part, la municipalité s’appuie sur la variable non pas quantifiable, mais néanmoins tangible, qu’est l’état de délabrement des constructions : cette lecture, objective (puisque se basant sur des éléments relevés vérifiables du type : état du bâti, des logements, des installations de chauffage, etc.) est également assez défavorable à la cité-jardins et à tout projet de réhabilitation. Pourtant, de la même façon que C. Tiano se demande si « la ville ne vaut que par ces valeurs quantifiables ? » (2010, p.3), la plupart des chercheurs relèvent « l’insuffisance des valeurs quantitatives de la ville à rendre compte de ce que vaut la ville » (2010, p.3). Les valeurs quantifiables, si elles permettent d’établir des comparaisons objectives en sélectionnant les mêmes variables ne disent pas tout de la ville. Sont en effet occultés l’ensemble des valeurs intangibles : « affectives, sensibles, d’usage » (2010, p.4), les dimensions symboliques et « l’imaginaire attaché à un lieu » (2010, p.4). Mais le propre de ce type de variable est d’être intangible et donc entièrement lié à la subjectivité du sujet qui le porte. C’est dans cette catégorie que l’on peut classer le troisième type de variable que formule la municipalité : la valeur urbanistique. Cette fois, l’analyse est donc totalement subjective et s’appuie sur la lecture que fait le maire des qualités urbaines et architecturales du site : pour caricaturer, celle d’un nouvel arrivant sur la ville avec de fortes prédispositions à développer un sentiment de rejet à l’égard de ce type d’urbanisme : ayant passé sa petite enfance à la campagne, il subit à sept ans le « choc du déracinement »38 et « échoue dans une HLM » où il « subit cet environnement » et connaît un sentiment de « révolte ». C’est donc au regard de ce parcours que le Maire qualifie la situation du Plessis-Robinson et qu’il conclut sur « un constat 38
Et citations suivantes : P. Pemezec, Bonheur de ville, p.11 - 43 -
catastrophique »39. Pour autant, puisqu’on se place dans le domaine de l’intangible et du subjectif, cette valeur donnée, extrême soit-elle, est recevable. On ne peut par contre s’empêcher de penser que la parole des habitants et usagers aurait été, dans un certain nombre de cas, bien différente. Cela est d’autant plus important que, face à des variables quantifiables défavorables, un discours reposant sur des variables intangibles, mais favorables, aurait permis d’enclencher un processus de revalorisation. Mais ce n’est pas le choix qui est fait et un dernier élément que l’on peut emprunter à la grille de lecture de C. Tiano permet d’apporter une réponse, ou du moins d’émettre une hypothèse, pour expliquer cette décision de dévaloriser encore davantage le territoire. C. Tiano se penche sur le travail de Jean-François Staszak qui analyse à Détroit le mécanisme de « prophétie auto-réalisatrice », c’est-à-dire la manière dont une définition fausse d’une situation suscite un nouveau comportement qui la rend vraie40. Au Plessis-Robinson, rien d’exactement comparable pour ce qui est de la cité-jardins : l’analyse de la municipalité, si elle est particulièrement sombre et défavorable, s’appuie pour autant en grande partie sur des éléments objectifs et réels. Mais nul doute que le mécanisme de la « prophétie autoréalisatrice » joue néanmoins un rôle : en déclarant la ville « sinistrée », elle le devient sans doute encore un peu plus, symboliquement du moins.
Une dévalorisation qui ne peut s’expliquer par l’unique besoin de rupture politique mais qui repose sur une réelle prise de position urbanistique et architecturale. C’est l’étape suivante, celle de la reconstruction de la cité-jardins qui offre le cadre d’analyse le plus riche. Lancé suite au constat de l’impossible réhabilitation de la grande majorité des
39
P. Pemezec, Bonheur de ville, p.25 Jean-François Staszak (1999) montre que les causes économiques et culturelles ne sont pas suffisantes pour expliquer la fuite de la population blanche dans les suburbs, et l’installation de la population noire dans le centreville historique de Détroit. Il faut en effet « interroger leur imaginaire, analyser les discours et les images qui participent à sa construction »(J.-F. Staszak, 1999, p.16). Or, l’analyse de cet imaginaire révèle la présence de plusieurs points relevant du phénomène de prophétie auto-réalisatrice et notamment (J.-F. Staszak, 1999, p.21) : - Une évolution négative du centre : le départ des classes moyennes et des activités précipite le centre dans la crise, justifiant a posteriori le départ de celles-ci ; - La ségrégation se fonde sur une vision négative et raciste des Noirs, qu’elle enferme dans les quartiers où règnent la misère et les problèmes sociaux, légitimant a posteriori la politique de ségrégation ; - La middle class blanche des suburbs ne considère pas qu’elle vit dans une agglomération, ce qui induit des comportements qui déstructurent le tissu urbain, lui font perdre sa cohérence, ce qui a posteriori leur donne raison. 40
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logements41 de la cité-jardins, un concours d’architectes a lieu qui aboutit à la désignation d’un projet lauréat. Or ce projet, même s’il constitue une solution au problème de logement, déplaît au Maire. Dès lors, il ne va pas hésiter à dévaloriser ce projet de reconstruction comme il a porté un discours dépréciatif sur la cité-jardins antérieure. Dès le choix du lauréat, il « met en garde les différents partenaires sur certaines erreurs architecturales et urbanistiques du projet, qu’il estime trop brutal et risquant de mal vieillir »42. Il réitère ses critiques au moment où sortent de terre les premiers bâtiments : « Déjà la cité-haute n’était pas une vraie citéjardins. Le résultat du concours de la nouvelle cité, le choix architectural et la programmation s’éloignent encore davantage de l’équilibre idéal. »43 Ce discours est donc encore une fois clairement dépréciatif et ne peut qu’entraîner une dévalorisation du projet et du quartier réalisé. Et la remise d’un prix pour cette réalisation44 ne l’empêche pas de regretter durant son allocution que ce prix ne lui soit pas plutôt remis pour un autre projet communal, conforme celui-là à ses attentes urbanistiques45. De tout cela, nous pouvons tirer une hypothèse, qui sera vérifiée par la suite, concernant cette capacité de la municipalité à dévaloriser un projet, un quartier, voir l’ensemble de la ville. Si l’opposition et le besoin de rupture claire pouvait expliquer cette attitude dans les premiers temps, la poursuite de cette position sur le projet de reconstruction où le terrain politique est pacifié ne peut s’expliquer qu’en posant l’hypothèse suivante : ce sont les aspects architecturaux et urbanistiques, les formes urbaines qui sont au centre des prises de position du Maire. Dès lors que les formes ne correspondent pas à ses attentes, elles n’ont pas droit de cité sur le sol communal ou sont vivement critiquées. Au contraire, les opérations réalisées suivant des formes qui correspondent (liées au courant du Nouvel Urbanisme, de l’Architecture Douce, du Régionalisme) sont, elles, puissamment portées par la municipalité.
41
Pour des raisons techniques (les murs porteurs ne l’auraient pas supporté), pratiques (les pièces étaient sousdimensionnées) et financières (il était plus coûteux de réhabiliter que de démolir et de reconstruire du neuf) 42 Petit Robinson, Mai 2001 43 Plessis Magazine, n° 14/15, été 1993 44 Prix de l’Aménagement urbain 1992 créé par le Moniteur des Villes 45 Petit Robinson, Décembre 1992 - 45 -
1.2 Les formes urbaines au centre du débat public : une focalisation bienvenue
1.2.1 Une focalisation sur les formes urbaines de la part de l’ensemble des acteurs
La singularité des formes urbaines au centre des débats La prépondérance de ces formes urbaines est assez frappante aussi bien dans les débats que dans l’ensemble des communications qui sont faites. A partir de septembre 1989, soit à peine quatre mois après l’arrivée de la nouvelle majorité, la question des formes urbaines devient un objet central de revendication et de contestation. Pourquoi ? Deux explications se dégagent. La première d’entre elles, tient au style même de ces formes urbaines. Nous l’avons indiqué, le maire s’attache à faire réaliser des opérations dans un style particulier que l’on pourrait classé comme culturaliste ou traditionnaliste. Trois grandes opérations sont conçues et réalisées au Plessis-Robinson correspondant à ce style : le Quartier Bois des Vallées (19911995), le Cœur de Ville (1991-2002) et les dernières phases de la reconstruction de la Citéjardins (2001-2009)46. Plus précisément, les architectes engagés sur les opérations se réclament de trois courants principaux, très proches et compatibles : l’Architecture Douce, le Régionalisme et le Nouvel Urbanisme. Il ne semble pas opportun (ni réalisable) d’analyser en profondeur les ressorts et les principes liés à ces courants architecturaux et urbanistiques dans le cadre de ce travail. Nous signalerons simplement que le Régionalisme, tout comme l’Architecture Douce –courant créé par François Spoerry, concepteur bien-connu de Port-Grimaud- font appel à l’architecture vernaculaire, locale et traditionnelle. Ces courants, ainsi que le Nouvel Urbanisme, sont en rupture radicale avec les courants fonctionnalistes ou moderniste datant du deuxième tiers du XXème siècle. Comme l’écrit François Spoerry son ambition est « de faire une architecture qui soit à l’opposé de l’architecture brutale, agressive et médiocre »47. La pensée de Le Corbusier et l’architecture moderne sont pour lui faits de « théories aberrantes qui ont fait des
46 47
Voire chronologie et description sommaire des opérations en Annexe (p.124) F. Spoerry, L’architecture Douce ,p.19) - 46 -
millions de malheureux. »48 L’Architecture Douce « [tourne] le dos à ce langage et à ces règles […] en tentant de rétablir l’harmonie, l’équilibre des villes et des paysages par le choix résolu d’un « urbanisme de la continuité »49. Ce rétablissement passe dans la pratique par une utilisation des « formes urbaines classiques » et contextualisées. Cela passe au Plessis Robinson par des rues, des places, des venelles, un alignement du bâti, des toits d’ardoises, des tourelles, un encadrement des fenêtres, des corniches, etc. : un vocabulaire urbanistique et architectural qui se veut emprunter à la tradition francilienne. L’ensemble des concepteurs des trois opérations mentionnés plus haut se réclament de cette pensée : François Spoerry bien sûr (pour le Cœur de Ville), mais aussi Xavier Bohl (architecte-coordonnateur sur les dernières phases de la reconstruction de la Cité-Jardins) et Nada et Marc Breitman (architectes du quartier Bois des Vallées). Il est utile d’expliquer très brièvement les raisons qui font des réalisations de ces courants des objets remarqués. En effet, les réalisations qui naissent de ces styles, bien qu’elles aient la volonté de « se fondre dans le paysage »50 sont paradoxalement très remarquées et loin de passer inaperçues. Cela tient à deux impressions qui peuvent être provoquées par ce style. Une impression de prestige tout d’abord, puisque les réalisations sont généralement empruntées à ce qui est censé être un « âge d’or » pour ses concepteurs. Ainsi les constructions réalisées au Plessis-Robinson ne sont pas de simples reproductions de constructions réalisées au XIXe siècle, mais doivent évoquer le meilleur de cet « âge d’or » en en reprenant et synthétisant les codes. En ce sens, elles se veulent manifestes d’un style plus ancien, et en opposition avec les styles plus récents. La seconde impression rejoint la première en ce sens qu’elle touche au décalage temporel visible à travers ces réalisations. Tout un chacun est capable de se rendre compte que les formes urbaines réalisées sont affiliées à une époque plus ancienne, tout en étant neuves. Il semble donc qu’un sentiment d’artificialité puisse apparaître dans ces conditions.51 Ces différentes remarques se vérifient tout à fait au regard des discours qui animent le débat public. Dès septembre 1989 donc, après une interview du Maire à France-Soir Ouest où il détaille les projets qu’il souhaite mener, l’opposition socialiste fait du style d’urbanisme souhaité son cheval de bataille. Elle se demande s’il va falloir « débaptiser Le Plessis 48
F. Spoerry, L’Architecture Douce, p.28 Et suivant : F. Spoerry, L’Architecture Douce, p.124 50 Petit Robinson, Novembre 1990 51 Nous nous basons, pour cette hypothèse sur la récurrence des termes « artificiel », « pastiche », « décor », « Disneyland », « France-Miniature », que nous avons pu trouver dans différents articles, au cours des entretiens et sur les forums. 49
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Robinson [pour] Plessis-Port Grimaud »52. L’association P.L.E.S.S.I.S demande de son côté aux robinsonnais s’ils veulent une « Venise francilienne ? »53 Durant les années suivantes, sous couvert de ne pas « juger du style de l’architecture retenue »54, l’opposition socialiste tient sur ce sujet un discours dont l’ensemble des éléments sont réunis ici : « […] cet ensemble lourd et prétentieux [a] peu de rapport avec l’architecture légère et aérienne vantée par le maire. Ce qui frappe, c’est d’abord le caractère factice d’immeubles plantés autour de la mairie comme un décor de théâtre. Ce projet est l’expression de la volonté d’un concepteur mégalomane »55 La contestation autour des formes urbaines va même prendre une tournure beaucoup plus conflictuelle avec la publication d’un bulletin du Parti Socialiste évoquant l’architecture d’une opération comme « architecture néo-fasciste »56. Sur une note moins conflictuelle, signalons encore que c’est la singularité des formes urbaines adoptées au Plessis-Robinson qui est mise en avant, dans un certain nombre de publications et de communications externes à la ville : pour ne prendre que deux exemples, une enquête intitulée « Un maire pour quoi faire ? »57 réalisée en 1992 et l’article « Le Plessis-Robinson : Le pastiche primé »58, datant de 2009, axent tous deux leur message sur la question du style urbanistique et des formes urbaines, question qui fait selon eux la particularité de la politique menée.
Une focalisation qui est également l’effet d’un portage communicationnel important Le style particulier des formes urbaines explique donc en partie que ce sujet soit au centre des débats. Pourtant, une deuxième explication - plus politique - peut venir compléter cette première remarque : si les formes urbaines tiennent une position si importante dans les débats, c’est aussi parce qu’elles bénéficient d’un portage puissant de la part de la majorité municipale.
52
Petit Robinson, Septembre 1989 Petit Robinson, Juin 1990 54 Petit Robinson, Avril 1994 55 Petit Robinson, Avril 1994 56 Petit Robinson, Décembre 1999 57 Votre Logement (Journal du 1%), n°58 janvier-mars 1992, pp 4-13 58 Traits Urbains, n°28 janvier-février 2009, pp 53-54 53
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Sur le plan communicationnel, ce portage se traduit par un nombre important d’articles produits (on trouve pratiquement un article traitant de près ou de loin des formes urbaines dans chaque communication municipale, quand cela ne fait pas l’objet d’une couverture). Pour prendre un exemple lié à un débat public, dans les articles traitant de la concertation autour du projet de Cœur de Ville, la question des formes urbaines est particulièrement soulignée. On apprend ainsi que Philippe Pemezec a rencontré en octobre une vingtaine d’associations pour leur présenter le projet et que « les points essentiels de cette concertation ont porté sur les locaux associatifs et la qualité architecturale du projet. »59 Un mois plus tard, au terme de la concertation, même discours mais en plus développé : « Philippe Pemezec a rencontré […] les représentants de cinquante associations. […] Ils sont à 68,4% tout à fait favorables, considérant le projet « très beau », « séduisant » et « cohérent ». Certaines associations ont été séduites par le caractère villageois et la qualité architecturale du Cœur de Ville »60. Telle que présentée dans la communication municipale, la question des formes urbaines prend donc une place tout à fait centrale : elle semble en fait monopoliser les échanges entre les acteurs. Que cela soit vrai ou non, les formes urbaines font donc l’objet d’un portage communicationnel très important (nous reviendrons dessus plus tard), aussi bien dans les articles, éditoriaux et tribunes de la majorité que par une mise en exergue de leur présence au sein des débats publics et politiques qui ont lieu. Il semble donc tout à fait logique, dans ce contexte, que les formes urbaines soient vues comme un élément de choix à attaquer pour les opposants.
1.2.2
La
focalisation
sur
les
formes
urbaines :
un
moyen
d’occulter
certains
enjeux/phénomènes ?
Une rupture urbanistique radicale Nous avons émis un peu plus tôt l’hypothèse que le choix et l’insistance sur les formes urbaines, ou plus précisément sur un style de formes urbaines particulièrement attendu, ne tenaient pas que d’une prise de position politicienne mais également d’une réelle prise de 59 60
Petit Robinson, Octobre 1990 Petit Robinson, Novembre 1990 - 49 -
position urbanistique. Celle-ci est singulière et radicale et son fort portage entraîne son omniprésence dans les discussions, aussi bien du côté de la majorité (qui défend sa position) que des opposants (qui l’attaquent). C’est bien une focalisation sur ce sujet qui ressort de l’étude des différents documents municipaux. Cette focalisation semble bien « normale » dans le sens où les projets de la municipalité paraissent très éloignés de la situation robinsonnaise : le Maire propose la construction d’un centre-ville dans un style francilien traditionnel du XIXe siècle, alors qu’une grande partie de la surface communale est occupée par un urbanisme « fonctionnaliste » (voir l’Illustration 1) Qui plus est, les projets sont très éloignés de l’ensemble des réalisations urbanistiques qui se font à cette période61. Il paraît donc logique que la majorité ait à défendre un projet aussi singulier et que l’opposition s’en saisisse pour attaquer la majorité.
Des enjeux impopulaires occultés par le débat autour des formes urbaines Pourtant, nous émettons l’hypothèse que cette singularité des formes urbaines projetées ne suffit pas à expliquer la focalisation sur ce thème et qu’il y a en fait au moins une autre raison à cette focalisation : un intérêt que trouverait la mairie à occulter, ou du moins faire passer au second plan, un certain nombre d’enjeux identifiés et de phénomènes. Nous reviendrons plus tard sur le constat précis que dresse la nouvelle municipalité de l’état de la ville à son arrivée. Quelques lignes du livre de Philippe Pemezec 62 peuvent en donner une idée assez fine pour le moment : « Le Plessis-Robinson, 21 000 habitants, la taille d’une sous-préfecture, un centre-ville léthargique, 75% de logements sociaux, seulement une soixantaine de commerces survivant péniblement face aux coups de boutoir des centres commerciaux périphériques, 80 % d’évasion commerciale, […] une situation financière en quasifaillite –la commune devant emprunter pour faire face à ses dépenses de fonctionnement »
61 62
Avec quelques exceptions évidemment : le centre urbain de Val d’Europe, Port Cergy, etc. P. Pemezec, Bonheur de ville, p.26 - 50 -
Illustration 1 – Comparaison des formes urbaines présentes au Plessis Robinson, celles qui sont mises en avant par la municipalité communiste au milieu des années 1980 et celles promues par la nouvelle municipalité. Cette évolution, visible sur les plans masses par un retour progressif à l’îlot, correspond à un renversement urbanistique radical.
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Face à un tel constat, la municipalité détermine assez vite un certain nombre d’objectifs : démolir et reconstruire le patrimoine social, engager une mixité sociale inversée par l’arrivée de nouveaux habitants plus aisés, construire à l’endroit du stade un centre-ville capable de redonner un élan commercial, augmenter les impôts, faire baisser les charges de personnel, etc. Dans l’ensemble, ce sont donc des mesures qui peuvent paraître largement impopulaires, soit qu’elles demandent une plus grande rigueur, soit qu’elles détruisent des éléments de patrimoine existant, soit encore qu’elles reposent sur des « opérations immobilières pour riches »63. Dans ce contexte tendu, la mise en avant des formes urbaines peut donc également être analysée sous l’angle d’un sujet visant à occulter les enjeux et le plan d’action municipal. Présenter le style de forme urbaine choisi comme le point principal à retenir des projets urbains, c’est aussi écarter ou limiter les oppositions qui pourraient naître sur d’autres thèmes peut-être moins défendables comme la transformation sociologique attendue.
1.3 Un instrument pour convaincre : le rôle des formes urbaines dans la construction d’un imaginaire 1.3.1 « L’équilibre à retrouver » ou la mise en récit de la ville
Deux logiques pour concevoir l’action municipale à porter Convaincre qu’un projet est adapté aux besoins d’une ville peut passer par deux logiques différentes. La logique la plus courante consiste à analyser d’un côté la situation communale (à l’aide de statistiques mais aussi d’informations plus qualitatives) et en déduire les orientations de projet. Pour prendre un simple exemple, si la commune souffre d’un chômage important, il peut être intéressant de développer ou de créer une zone d’activités. La deuxième logique, que l’on retrouve moins souvent, consiste à prendre du recul, regarder l’évolution de la commune à long terme et en tirer une trame à partir de laquelle sera bâti le projet. Par exemple, si une commune a longtemps constitué un lieu d’accueil pour
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Petit Robinson, Juin 1990 - 52 -
l’immigration, la municipalité pourra s’appuyer sur ce passé pour orienter la programmation commerciale ou de loisirs vers des thèmes ethniques ou internationaux. Ces deux logiques, qui correspondent à des niveaux de lecture différents de l’évolution d’une commune ne sont bien sûr pas forcément en opposition. Au Plessis-Robinson, par exemple, on retrouve ces deux logiques dans l’argumentaire communal de défense des projets. Sont ainsi mis en avant les besoins identifiés et actualisés par la municipalité mais également une trame temporelle plus longue, remontant en fait jusqu’à la création de la commune, qui va être mise en récit au service des projets. Cette fois encore, la grille d’analyse rejoint celle de C. Tiano (2010). Pour l’auteure, la mise en récit peut se définir par « l’émergence d’un schéma narratif dans les discours des acteurs du projet ». Or, on constate effectivement au Plessis-Robinson l’émergence et même assez vite la prédominance d’un tel schéma narratif dans les discours. Ce schéma narratif propose en fait une relecture de l’histoire communale, largement réinterprétée. L’analyse de cette réinterprétation, des éléments qui sont mis en avant, ou au contraire éludés est révélatrice et en totale continuité avec le choix des formes urbaines.
Le schéma narratif mis en place par la municipalité : la réinterprétation du sens de la ville Nous reprenons avec C. Tiano (2010, p.8) la structure du schéma narratif élaborée par Vladimir Propp (1965). Celui-ci constate l’existence de cinq moments principaux. Nous reprenons ici ces cinq grands moments identifiés en les reliant à l’histoire robinsonnaise relue par la municipalité. Premier moment, l’état initial, qui renvoie à « une situation de relative prospérité ». Au Plessis-Robinson, trois éléments principaux représentent cet « âge d’or »64 : les grands hommes qui ont résidé sur la commune et marqué son histoire : Colbert, d’Artagnan, Hachette., ses fermes et ses guinguettes, elle menait la vie tranquille d’un village de province. »65 , le symbole même de cet idéal étant constitué par : « le village et le clocher que chaque Français porterait au fond de son cœur »66 que l’on pourrait selon le Maire retrouver « autour de la Mairie et de la vieille église ».
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Petit Robinson, Juin 1990 Petit Robinson, Janvier 1995 66 Et suivant : Petit Robinson, Mars 1994 65
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Vient alors le deuxième moment, celui du bouleversement. Au Plessis-Robinson, « l’achat de la moitié [du territoire communal] par l’Office HBM de la Seine a transformé cette belle histoire : une cité-jardins est née, mais les champs de blé ont disparu, remplacés par une citédortoir »67, « cet acte de vente signe l’acte de décès du village. »68 Troisième temps, la dynamique de déclin. Les causes de ce déclin sont claires aux yeux de la municipalité : « la commune [a] connu en 1945 deux fléaux : la prise de pouvoir par le parti communiste et l’urbanisation sauvage de l’après-guerre. »69 Ce déclin se poursuit tout au long de la seconde partie du XXe siècle puisque « le parti communiste […] maintient volontairement cette commune en situation de paupérisation. » Quatrième temps, la situation est « enrayée par la force équilibrante que constitue le projet de revalorisation » (C. Tiano, 2010, p.9). Au Plessis-Robinson, ce sont les projets urbains qui jouent en premier lieu ce rôle réparateur : ainsi le Cœur de Ville est « un véritable quartier de ville, tel qu’il se serait développé naturellement au XIXe et au XXe siècles si Le PlessisRobinson avait connu une croissance normale ».70 Les formes urbaines permettent donc de venir en quelque sorte reprendre le développement de la commune à l’époque où celui-ci est encore jugé positif (l’« âge d’or » de l’état initial). De même que l’histoire communale, relue par la municipalité, fait globalement l’impasse sur le XXe siècle, les projets urbains vont venir concrétiser cette affiliation à l’ « âge d’or » et cette impasse sur les développements urbanistiques plus récents. Cette nouvelle dynamique permet d’entrevoir un état final fait « d’attractivité économique, sociale et symbolique ». (C. Tiano, 2010, p.9). Cette approche est particulièrement intéressante puisqu’elle permet d’identifier une dynamique imbriquant la relecture de l’histoire communale et les formes urbaines des projets. La relecture et l’interprétation donnent en effet à voir la manière dont la municipalité conçoit et communique sur l’évolution communale. Or, comme le souligne C. Tiano (2010, p.9), « la mise en récit n’a pas pour seule utilité la diffusion d’une image avantageuse, elle constitue aussi un outil de la construction du sens à la fois pour le projet et pour le pan de ville revalorisé. » La mise en récit qu’opère la municipalité constitue donc une clé pour comprendre les raisons du choix des formes urbaines, mais aussi plus globalement pour 67
Petit Robinson, Janvier 1995 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.23 69 Et suivant : P. Pemezec, Bonheur de ville, p.25 70 P. Pemezec, Bonheur de ville, p. 47 68
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comprendre le sens donné aux projets. Ceux-ci ne répondent donc pas qu’à des impératifs contextualisés mais prennent une place dans la longue histoire de la commune comme éléments équilibrants, réparateurs et capables de rapprocher la ville de l’idéal qui est souhaité pour elle par la majorité municipale. Implicitement ou explicitement, c’est d’ailleurs ce qui est présenté dans les nombreuses grandes rétrospectives71 qui paraissent dans les journaux municipaux.
1.3.2 Les formes urbaines : de la création d’un imaginaire à la préfiguration d’un idéal
Donner à voir les formes urbaines pour « vendre » le projet aux habitants Les débats se focalisent sur les formes urbaines, en grande partie parce c’est une volonté des deux principaux intéressés : la municipalité qui veut exposer son projet (et peut être occulter d’autres questions, comme nous l’avons souligné) et les opposants qui veulent s’attaquer à la municipalité à travers ses projets. Mais un autre enjeu, encore plus évident, est également à la base de la vaste communication qui est faite autour des projets urbains : la nécessité de convaincre la population de leur utilité et de leur justesse. Or, très rapidement, il apparaît que donner à voir les futures formes urbaines est un instrument très efficace pour remporter l’intérêt du public et même son adhésion. En effet, montrer les formes urbaines, c’est donner à voir l’aspect le plus vendeur du projet : directement compréhensibles (sous forme de dessins, de maquettes), elles préfigurent ce que sera le projet et lui permettent, en quelque sorte, d’exister par avance dans les esprits.
Une pluralité de dispositifs de mise en avant des formes urbaines Pour ce faire, c’est un dispositif assez impressionnant qui est mis en place. En plus des réunions de présentation et des expositions organisées dans le cadre des concertations, de nombreuses communications reviennent sur la présentation des formes urbaines du projet. On trouve ainsi de nombreuses esquisses, des perspectives réalisées par les concepteurs qui sont largement relayés par les journaux municipaux et même au sein d’un local (« Expoville ») qui 71
Par exemple : une sur l’ensemble de l’année 2000 (Petit Robinson), une en 2009 (Plessis-Magazine) - 55 -
propose presque sans interruption durant une vingtaine d’années, de venir découvrir les projets. Des maquettes d’une taille très importante sont également réalisées (3.50m x 2.50m pour le Cœur de Ville, 11m x 3 m pour les dernières phases de la Cité-jardins) et exposées en ce lieu. Enfin, pour ce dernier projet, des films de présentation en trois dimensions sont réalisés. Tout est donc fait pour que les Robinsonnais se forgent une opinion positive des projets à venir et ce en grande partie par le biais des formes urbaines. Autre élément qui donne à penser que le style d’urbanisme et d’architecture est au moins aussi important à montrer pour emporter la conviction des habitants que les enjeux sous-jacents des projets : la grande place accordée aux concepteurs au sein de la communication municipale. Les trois principales équipes de concepteurs (Nada et Marc Breitman pour le premier quartier « Bois des vallées »72, François Spoerry pour le Cœur de ville73 et Xavier Bohl pour les dernières phases de la Cité-jardins74) sont interviewées à de nombreuses reprises, que ce soit pour présenter leur projet ou, fréquemment, pour défendre le style architectural et le parti pris urbanistique.
Une communication abondante qui dépasse le cadre des projets pour encenser une certaine conception de la ville Ce parti pris est d’autant plus mis en avant et convaincant que, par le biais des images comme à travers les discours des concepteurs, c’est plus qu’un simple projet urbain, c’est un idéal qui est promu. On relève en fait deux éléments qui se trouvent idéalisés dans les discours et qui forment un ensemble: l’urbanisme traditionnel d’une part et ses réalisations d’autre part. Première surprise : en effet, ce ne sont pas seulement les projets qui sont idéalisés mais les principes d’urbanisme même qui les produisent. Cette position est celle du Maire : « La force de l’architecture classique, c’est qu’elle est harmonieuse et universelle, dans le sens où elle plaît au plus grand nombre parce qu’elle éveille chez la plupart d’entre nous des valeurs d’équilibre et d’humanité. C’est comme la musique de Mozart, comparée à celle de Boulez. »75 C’est également la position qui est défendue par les concepteurs, notamment Marc Breitman : « L’architecture traditionnelle est celle de l’avenir parce que c’est celle qui ne
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Notamment dans le Plessis Magazine n°18, hiver 1994/95 Notamment dans le Petit Robinson, Novembre 1990 74 Notamment dans le Plessis Robinson Magazine n°1, Avril 2004 75 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.67 73
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vieillit pas. L’architecture moderne s’attache à des modes donc, par définition, elle passe de mode. L’architecture traditionnelle, elle, est éternelle, parce qu’inscrite dans notre culture. »76 La juxtaposition, à côté de ces discours, d’images des projets et de photographies de constructions « modernistes » passablement délabrées du Plessis-Robinson laisse à penser qu’il y aurait en effet deux types de vision de la ville que tout oppose, surtout la qualité du résultat.
Le beau, l’humain et le village : trois thèmes de l’idéal urbain promu Les réalisations de ce type d’urbanisme sont également fortement idéalisées. Trois genres d’idéal en lien avec trois champs lexicaux différents peuvent être relevés : le beau, l’humain et le village. Une ville, un quartier réussi pour le Maire, c’est d’abord une réalisation qui doit être belle : « je crois que le BEAU est indispensable à la vie. »77 Le qualificatif de « beau » devient dès lors ce qui caractérise les réalisations de style traditionnel et les différencie des autres. Ainsi, attaqué sur le caractère passéiste des réalisations, le Maire répond : « On me reproche de faire du beau. Eh bien, je l’assume totalement, parce qu’il n’y a pas de raison que le beau soit réservé aux Parisiens et aux Versaillais. »78 Cette position est particulièrement critiquée par l’opposition qui compare le beau à l’imposition d’une « architecture officielle [qui] réglerait donc désormais tous les problèmes de ségrégation sociale, spatiale et économique. »79 « Le simplisme au service d’un nouveau dogme » conclut-elle. Il est vrai qu’en tenant une telle position (l’architecture et l’urbanisme traditionnel, c’est le beau), la municipalité entame un processus de valorisation de ses propres opérations qui rompt avec le reste du territoire communal. Une ville, un quartier réussi pour le Maire, c’est ensuite une réalisation « à échelle humaine »80. En fait la ville prend un caractère doublement humain : d’une part elle est faite pour l’homme, pour « le mariage de l’humain et de l’urbain »81, d’autre part, sous la plume du Maire, elle a un fonctionnement qui relève du monde du vivant, qui la rend humaine et 76
Petit Robinson, Mars 1999 Plessis Magazine n°5, non daté 78 Petit Robinson, Novembre 2006 79 Et suivant : Petit Robinson, Novembre 2006 80 Petit Robinson, Mars 1993 81 Petit Robinson, Avril 2001 77
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compréhensible. Ainsi la ville précédant la mise en place des opérations d’aménagement est « malade »82 et frappée de « mort lente ». Les opérations, en « ouvrant l’ère de la guérison », permettent à la ville de « retrouver son âme et battre au rythme de ce nouveau cœur, un centre-ville à visage humain. »83 La ville est donc doublement humaine : sa santé doit être bonne pour que les habitants puissent s’y sentir bien, mais, pour que sa santé soit bonne, une « opération de chirurgie esthétique s’impose »84, cette opération passant par des créations urbanistiques et architecturales, elles-mêmes « à échelle humaine. » Dans la continuité de cette « échelle humaine », il apparaît que la ville réussie doit en fait être… un village. Nous nous référerons sur ce point à C. Colomb (2006, p.4) qui elle-même travaille sur des écrits de Hoskins et Tallon (2004) analysant le concept d’ « idylle urbaine » lié à la Renaissance Urbaine au Royaume-Uni. Ces auteurs étudient les implications et les raisons du recours que peuvent avoir aussi bien la puissance publique que les promoteurs à l’imagerie issue du village. Nous avons déjà signalé que c’était largement le cas au Plessis avec une insistance sur une architecture villageoise et le besoin de retrouver « le village que chaque Français porterait au fond de son cœur. »85 Les chercheurs montrent que le recours à ces images tient en fait à deux argumentaires différents : « des arguments urbanistiques (qualité de l’urbanisme et de l’architecture) et [des arguments] culturels ([…] socialisation de l’espace public symbolisé par le café). » (C. Colomb, 2006, p.9). Pour les auteurs, c’est de toute façon « une vision idéalisée de l’urbanisme traditionnel des villes d’Europe », idée à laquelle nous souscrivons : même s’il est possible de recréer un environnement urbain typique de cette époque, cela ne rend pas pour autant réalisable de retrouver automatiquement les mêmes comportements sociaux. C’est pourtant un des messages sous-jacents véhiculés par cette « idylle urbaine » aux tonalités villageoises.
Conclusion En introduction de ce travail était formulé le souhait que l’analyse qui est faite ici du cas d’étude du Plessis-Robinson puisse servir et être utile à d’autres chercheurs abordant les 82
Et suivants : Petit Robinson, Février 1990 Petit Robinson, Octobre 1989 84 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.27 85 Petit Robinson, Mars 1994 83
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questions que posent les formes urbaines. Dans ce cadre, une brève explicitation des grands questionnements et de la grille d’analyse utilisée dans cette première partie peut s’avérer profitable. En fait, quatre grands axes sont apparus déterminants. Tout d’abord, la question du contexte urbain : quel est le contexte urbain dans lequel apparaissent ces formes urbaines ? Y a-t-il des antécédents, des formes urbaines remarquables déjà présentes ? Au Plessis-Robinson, la citéjardins constitue un patrimoine qui, détruit ou non, doit forcément être pris en compte par les décideurs. Deuxièmement, la question du contexte politique : il s’agit de comprendre dans quelle mesure les décisions des acteurs sont motivées par des questions politiques et dans quelle mesure elles le sont par des questions urbanistiques. Nous avons vu en effet pour notre cas d’étude que, si l’on pouvait dans un premier temps analyser la prise de position des acteurs (refus des formes urbaines présentes, promotion de formes urbaines en totale rupture) comme une prise de position politique, il fallait rapidement la considérer plutôt comme une prise de position purement urbanistique, déconnectée des impératifs politiques. Troisièmement, la question qui concerne la manière de montrer les formes urbaines retenues. Font-elles simplement partie de la communication qui entoure le projet ou deviennent-elles un dispositif central de la communication ? Et dans ce cas, avec quel(s) outil(s) et pour quel(s) résultat(s) ? Nous avons vu, pour notre cas d’étude, la « débauche » de moyens qui est mise en place pour donner à voir au mieux et au plus grand nombre les projets. Nous répondrons à la question du résultat dans la partie suivante. Enfin, et nous avons terminé par ce point : peut-on déceler une ou plusieurs idéologies/modes de pensée sous-tendus et qu’est ce qui peut en être déduit sur les attentes des décideurs vis-àvis des formes urbaines du projet ? Le Plessis-Robinson a permis d’étudier la mise en place d’un récit de la ville et de son évolution mais également d’une idéalisation forte des moyens de mise en œuvre des projets : une mission primordiale est confiée aux formes urbaines, celle de réussir à développer la ville et améliorer le cadre urbain de ses habitants tout en renouant avec des usages traditionnels.
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2. La forme urbaine : instrument du montage opĂŠrationnel
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Un outil utilisé de manière rationnel A la lecture de ce travail ou de la communication municipale, le lecteur a peut-être pu en conclure que le choix des formes urbaines était finalement une affaire de goût. Nous avons insisté de notre côté sur l’idéalisation que faisaient les acteurs de ce choix et le lecteur a pu lire dans le livre du Maire que François Spoerry –le concepteur du Cœur de Ville – avait dessiné ce quartier « non avec sa raison mais avec son cœur ».86 Pourtant, et si ce choix comporte bien en effet une dimension culturelle ou même émotionnelle, il semble qu’il soit également, et même avant tout, un choix rationnel. C’est ce que les deux prochaines grandes parties (La forme urbaine : instrument du montage opérationnel ; La forme urbaine : instrument du projet de société) tenteront de démontrer : si les formes urbaines sont bien « dessinées avec le Cœur » au Plessis-Robinson, elles n’en ont pas moins été mûrement réfléchies.
2.1 Un instrument de négociation pour remporter la conviction des acteurs
2.1.1 Un instrument de négociation en puissance Tout projet urbain se réalise aujourd’hui dans un cadre pluraliste avec des discussions et des échanges entre les acteurs impliqués qui ont lieu tout au long de la vie du projet. Ces discussions deviennent vite, puisque chaque acteur tente de faire pencher les orientations du projet de son côté, des négociations. Or, en matière de projet urbain, il semble qu’à peu près tout puisse se négocier : une participation, une parcelle, une infrastructure, un contrat d’entretien, un délai, etc. Dans ce contexte, une des particularités du Plessis-Robinson est de donner à voir des négociations qui portent sur les formes urbaines de projets. Trois exemples sont particulièrement éclairants et complémentaires, deux négociations se déroulant en phase préparatoire d’un projet et l’autre ayant lieu alors même que le projet est engagé et avancé. Les trois exemples concernent par contre les mêmes acteurs, à savoir principalement la ville et l’Office Public Départemental HLM et, de manière moins directe, l’État et le Département des Hauts-de-Seine. 86
P. Pemezec, Bonheur de Ville, p.47 - 61 -
Un instrument de négociation inefficace s’il s’appuie sur la seule conviction de l’élu Une fois décidé que la quasi-totalité de la cité-jardins ferait l’objet d’une démolition et d’une reconstruction, une consultation internationale d’architectes est lancée par l’OPDHLM pour « construire la cité-jardins du XXIe siècle ». Des dizaines d’équipes se présentent et trois87 sont retenues pour concevoir chacune un projet qu’elles présentent en mai 1990. Pourtant la découverte de ces projets semble être une vive déception pour la municipalité (« C’est une véritable catastrophe à mes yeux, ils incarnent tout ce que je ne veux pas pour ma ville. »88). En effet, l’un des trois projets ne respecte tout simplement pas le cahier des charges en proposant de construire des tours de douze étages, le deuxième projet présente « une terrifiante barre d’immeuble de 300 mètres de long ». Le troisième étant perçu par la municipalité comme « le moins mauvais des trois. » Dans ce contexte, le Maire ne peut pas faire annuler le concours. Celui-ci a coûté trop cher (chacune des trois équipes a reçu un million de francs) et présente un caractère trop urgent (nécessité de reloger la population de la cité-jardins) pour que l’on puisse l’invalider, d’autant plus que la Municipalité ne fait alors pas partie des financeurs ni du concours ni des travaux. Le Maire tente alors d’entamer directement avec les architectes une négociation ayant pour objet les formes urbaines: « je cherche des modifications possibles et les fais venir à la mairie tous les trois jours. » Mais cette négociation ne mène finalement à rien, le maire n’ayant pour seul argument que son intime conviction que « cela va particulièrement mal vieillir. » Dans cette situation, le projet n’est pas retouché et les travaux démarrent finalement en 1992.
Un instrument renforcé par des dispositions règlementaires et des exemples donnés à voir Cinq ans plus tard, en 1997, le projet, déjà bien avancé (deux des quatre phases ont été réalisées), est arrêté. La raison : de multiples malfaçons sont apparues et font l’objet d’un conflit entre les architectes et l’Office. La municipalité profite de cette situation pour remettre en cause la suite du projet en s’appuyant sur une double argumentation :
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Equipes Alluin-Mauduit, Ciriani et Roth Et suivants : P. Pemezec, Bonheur de Ville, p.70 - 62 -
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Un argumentaire reposant sur des éléments de politique de la ville : Le PlessisRobinson a signé une Convention Ville-Habitat ET PACTE 92 qui lui accorde des modalités différentes pour la construction de logements sociaux et notamment leur dispersion sur le territoire communal (alors que le projet les concentre)
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Un argumentaire reposant sur les formes urbaines : maintenant que les bâtiments sont sortis de terre, les critiques du Maire sur une « architecture carcérale » sont mieux entendus, surtout que celui-ci peut s’appuyer sur les premiers exemples d’opérations traditionnalistes qui se réalisent en face.
Cette fois, la discussion est concluante pour la majorité municipale puisque les travaux sont définitivement arrêtés. La question des formes urbaines seule n’aurait, cette fois encore, sûrement pas suffi à convaincre, mais son addition aux différents textes signés par la municipalité en matière de politique de la ville constitue un argumentaire qui fait finalement pencher la balance. Trois ans plus tard, en 2000, un dernier cas de figure permet de prendre la mesure de l’évolution et de la prise d’importance de l’argument forme urbaine. Les travaux étaient arrêtés et il s’agissait de relancer les phases 3 & 4 car il restait encore 21 hectares en friches. Or, on constate qu’à ce stade, la question des formes urbaines ne se pose plus de la même façon dans les discussions. Car si le nouveau départ qui est donné au projet est bien l’occasion d’un « bras de fer »89 entre la municipalité et l’Office c’est pour des raisons principalement financières. En réalité, le Maire impose pour le marché de définition qui va être lancé : -
Les formes urbaines : elles devront être dans la continuité du Cœur de ville, situé juste à côté et alors pratiquement terminé
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La mixité : le nouveau quartier sera caractérisé par une mixité sociale
Dans ce contexte, les formes urbaines ne sont plus réellement un objet de discussion, le Maire laissant entendre que, si les deux conditions ne sont pas remplies, le terrain serait tout simplement classé en espace vert inconstructible. Ce sont dès lors l’aspect financier et le nombre de logements sociaux qui vont faire l’objet de tractations entre les parties.
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Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) - 63 -
Une adhésion des acteurs par un intérêt trouvé dans les formes urbaines Mais pourquoi, outre le fait que cela soit imposé par le Maire, les formes urbaines ne fontelles plus naître de débat ? Nous émettons l’hypothèse que cela vient d’un intérêt que trouve l’Office à construire selon ces modalités esthétiques. Cet intérêt peut avoir pour origine trois éléments. Une promesse d’une moindre dégradation du patrimoine et d’un besoin d’entretien plus limité (en 2011, les bâtiments des phases 1 & 2 de la reconstruction de la Cité-jardins avaient déjà été réhabilités deux fois, alors que les bâtiments du Cœur de Ville ne l’avaient pas été une seule fois). Ensuite, au regard de la politique volontariste en direction de l’accession à la propriété menée par l’Office, des constructions réalisées dans le style traditionnaliste peuvent représenter une valeur patrimoniale et donc une valeur à la vente plus importante. On peut donc espérer un meilleur retour sur investissement à terme. Enfin, de telles réalisations valorisent le travail et l’image de l’Office Départemental de l’Habitat. Ce dernier point est d’ailleurs une constante dans les projets qui ont lieu au Plessis-Robinson : les événements liés à la réalisation des constructions (inauguration, pose de la première pierre, etc.) ont tendance à rassembler l’ensemble des partenaires. Pour l’inauguration du quartier Bois des Vallées, par exemple : « la présence à la conférence de presse de tous les partenaires du projet – la S.A. d’HLM, Immobilière 3F, le constructeur HDI, le groupe Quillery – est la preuve que l’on peut trouver des volontés et des moyens pour réaliser, même pour des logements sociaux, une opération répondant à toutes les exigences de qualité et d’esthétique. »90 Ainsi les partenaires des projets – signe révélateur – souvent représentés par leur directeur général, trouvent un intérêt de valorisation de leur structure. Gageons qu’avec cette potentialité-là à la clé, la question de la forme urbaine constitue déjà un élément de négociation mieux accepté.
2.1.2 Les formes urbaines ou la possibilité de s’appuyer sur l’accord des habitants
Un soutien au projet non-obligatoire mais néanmoins primordiale pour sa réussite Informer les habitants sur les projets à venir et les écouter est aujourd’hui un impératif, c’est l’objet principal des différentes concertations et grandes consultations qui se déroulent à 90
Petit Robinson, Janvier 1995 - 64 -
chaque fois qu’un projet urbain naît dans l’esprit des décideurs politiques. Mais, si le fait d’informer et d’entendre les réclamations de la société civile est inscrit dans la loi, il n’est par contre pas obligatoire, ni de prendre en compte ces revendications, ni d’avoir une majorité de citoyens acquis au projet pour pouvoir le lancer. Pourtant, avoir le soutien des habitants est important : déjà cela permet de peser sur l’échiquier politique en arguant du soutien populaire au projet, ensuite cela offre la possibilité d’avoir une image de « maire à l’écoute de ses citoyens », comprenant leurs besoins et leurs attentes, ce dernier point devant permettre de se faire réélire.
Un rejet important en début de projet L’évolution de l’attitude des habitants du Plessis-Robinson vis-à-vis des formes urbaines proposées par le Maire suit ce processus. Et ce sont les trois points que nous avons relevés qui expliquent selon nous l’utilisation importante de dispositifs de sondage et de télé-sondage auprès de la population. Car la situation en 1990 n’est guère favorable. Le cahier d’observations mis à disposition des citoyens lors de la concertation du projet Cœur de Ville montre une coupure claire. 47.3% des remarques sont en effet défavorables et révèlent qu’une moitié de la population « désapprouve énergiquement [le] style d’architecture. »91 52.3% sont favorables et mettent eux, en avant : « la hauteur et la qualité architecturale des futures constructions, l’architecture de François Spoerry qui est à l’échelle humaine et le respect de l’environnement immédiat. »
Une adhésion aux formes urbaines qui se développe au fur et à mesure de la sortie de terre des opérations La réalisation des premiers bâtiments des quartiers Bois des Vallées et Cœur de Ville (et la communication très importante qui est faite autour, décrite en première partie de ce travail) va largement faire évoluer ces positions. Une enquête réalisée en 1996 auprès de 322 habitants de tous les quartiers donne des résultats très différents : à la question du type d’environnement urbain qu’ils préfèrent, ils répondent :
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Et suivant : Petit Robinson, Novembre 1990 - 65 -
41 % préfèrent la rue du Bois des Vallées 34% préfèrent le centre-ville de François Spoerry 8% préfèrent la place de l’auditorium de Lionel Carli 7% préfèrent la rénovation de la Cité-jardins d’Alluin-Mauduit 6% préfèrent la réhabilitation de la cité-basse 1% préfèrent l’îlot-test Ce qui donne tout de même 75% d’opinions favorables aux formes urbaines proposées par l’architecture et l’urbanisme traditionnalistes. Ce chiffre est d’autant plus important qu’au cours du même sondage, à la question « Pensez-vous que l’architecture de votre ville a une influence sur votre qualité de vie ? » 79% des sondés répondent oui et 18% répondent non. Les sondés sont donc doublement convaincus, et de l’importance des formes urbaines, et que la majorité municipale effectue les bons choix en la matière. A l’occasion d’une consultation à mi-mandat, en novembre 2004, les chiffres ont encore évolués. En matière d’architecture que les habitants souhaitent voir construire : 52.96 % se prononcent pour des quartiers d’architecture classique (type Cœur de ville) 6.26 % se prononcent pour des quartiers d’architecture moderne (type ancienne citéjardins) 33,13 % se prononcent pour des quartiers mêlant les deux architectures Le style traditionnaliste bénéficie donc depuis la sortie des premières opérations d’un appui important de la part de la société civile. Or, cette évolution de l’opinion permet à la municipalité d’entreprendre deux démarches.
La conviction des habitants : instrument du renforcement de la légitimité et du pouvoir de la municipalité La première va consister à s’appuyer sur cette opinion favorable pour peser, comme dit précédemment, sur l’échiquier politique. Le souhait de changer de style d’architecture pour les phases 2 & 3 de la reconstruction de la Cité-jardins offre un bon exemple de cette attitude : après la prise de connaissance des résultats du sondage de 1996, le Maire explique que : « Fort de ce soutien, j’ai écrit il y a quelques jours à M. le préfet des Hauts-de-Seine pour lui
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demander de réunir toutes les parties concernées par cette Cité-jardins afin […] de corriger le tir. »92 La seconde consiste, une fois que cette conviction est assez forte, à associer la population et même l’opposition aux décisions en matière de formes urbaines. Ainsi en 2001, alors que trois nouvelles équipes ont été sélectionnés pour élaborer chacune un projet pour les deux dernières phases de la Cité-jardins, le vote est soumis à la population et donne les résultats suivants : Equipe Xavier Bohl 63.4 %, Equipe Léon Krier 30 %, Equipe Antoine Grumbach 3.3%. Et la municipalité de conclure : « c’est le projet de Xavier Bohl qui l’a emporté très largement, aussi bien auprès des élus, des techniciens, du jury que de la population Robinsonnaise. »93 Dans cette situation, même l’opposition municipale fait partie des jurys des concours pour le choix des architectes, avec à la clé des votes souvent à l’unanimité94. Cela fait dire au maireadjoint délégué à l’urbanisme de l’époque, Gérard Podvin, qu’ « il y a longtemps qu’il n’y a plus de guerre sur l’urbanisme au Plessis-Robinson. »95 Ce contexte permet à Philippe Pemezec d’expliquer qu’il « préfère convaincre plutôt que d’imposer. »96 Sans oublier bien sûr que, pour convaincre, il a d’abord dû imposer ses choix. Emporter la conviction de la population sur la question des formes urbaines, c’est donc obtenir un soutien et pouvoir s’en servir pour assurer la bonne marche des projets. Nous avons vu que, dans le cas robinsonnais, les formes urbaines représentaient un outil efficace pour remporter cette adhésion. Mais, il ne suffit pas de convaincre les habitants, encore faut-il pouvoir séduire les deux autres types d’acteurs dont la présence fait grandement défaut en 1989 : les promoteurs et les commerçants.
2.2 Les formes urbaines pour attirer et convaincre les promoteurs
2.2.1 Une bonne entente favorisée par un contexte favorable Il peut sembler étrange de parler de contexte favorable au promoteur dans une ville où il n’existait en 1988 qu’une seule agence immobilière97 et qui comptait 65% de logements 92
Petit Robinson, Février 1996 Petit Robinson, Novembre 2001 94 Petit Robinson, Janvier 2004 95 Petit Robinson, Février 2003 96 Le Plessis Robinson Magazine, Avril 2004 93
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sociaux. Pourtant, six éléments peuvent être relevés (dont trois liés aux formes urbaines) qui vont jouer un rôle favorable pour attirer les promoteurs et les convaincre de travailler au Plessis-Robinson.
Une localisation et un cadre naturel favorable Premier élément, qui a peu à voir en réalité avec la politique communale : la commune est favorablement localisée. Située dans le sud des Hauts-de-Seine mais à proximité néanmoins de Paris, la ville bénéficie d’un grand potentiel pour profiter des dynamiques présentes sur le territoire francilien, autant en termes de proximité aux emplois que de besoins en logements. La commune est accessible,
bien reliée au reste du territoire tant pour ce qui est des
transports en commun (Carte 4, p.62) que des infrastructures routières (Carte 5, p.62). Enfin, et c’est un point largement mis en valeur dans la communication municipale et dans celle des promoteurs : la ville compte sur son territoire (Carte 6, p.63) et à proximité immédiate (Carte 7, p.63) des espaces naturels en grand nombre. La ville peut en effet se targuer d’avoir 24,25 m² d’espaces verts par habitant, un des chiffres les plus élevés pour une commune située aussi près de Paris.
Un flou règlementaire pour un contexte d’intervention plus libre Deuxième élément, cette fois totalement en lien avec la politique de la municipalité : le contexte règlementaire apparaît comme particulièrement favorable. Le parti communiste, pensant bloquer les projets du Maire et « mettre un coup d’arrêt à la spéculation immobilière »98 dépose un recours pour motif de non-compatibilité du POS au Schéma Directeur de la région Ile-de-France de 1976. Pourtant, à la suite d’un revirement de la jurisprudence administrative, ce n’est pas le POS précédent (1985) qui entre en application mais le Règlement National d’Urbanisme99. La majorité municipale note elle-même en 1992
97
Entretien avec François Collin (président de l’association de riverains P.L.E.S.S.I.S.) Petit Robinson, Septembre 1992 99 La situation est en fait un petit peu plus complexe : deux zones font l’objet de ZAC (Cœur de Ville et Bois des Vallées) et la ville possédait 2 POS couvrant deux zones distinctes. Le POS n°2 qui ne concerne que la Citéjardins reste valable, c’est le POS n°1 qui concerne tout le reste de la ville qui est annulé. C’est donc quand même la quasi-totalité de la surface communale qui est concernée par le Règlement National d’Urbanisme 98
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Carte 4 – Transports en commun existants et projetés à proximité du Plessis-Robinson (la ville est principalement desservi par le RER B, un tramway en cours d’aménagement devrait accroître dans les années à venir l’accessibilité communale)
Carte 5 – Infrastructures routières présentes à proximité du Plessis-Robinson (elles permettent une accessibilité intéressante aux grands pôles : Paris, La Défense, Vélizy-Versailles, Orly sans créer de coupure urbaine.)
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Carte 6 – Localisation des espaces verts sur le territoire communal (les plus importants étant le Parc Henri Sellier au centre de la commune, la Vallée des Loups au sud, le bois de la Garenne au nord, et l’étang Colbert. On constate néanmoins que les nouvelles opérations intègrent elles aussi leur lot d’espaces verts)
Carte 7 – Localisation des espaces verts sur un périmètre plus large (on constate que le Plessis-Robinson fait partie d’une zone s’étendant sur les Hauts-de-Seine et les Yvelines où les espaces verts sont très importants)
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que le passage à ce régime « est beaucoup plus dangereux »100 et qu’il « réunit toutes les conditions pour donner libre cours à la spéculation immobilière » Mais, si elle est crainte dans un premier temps, le regard que porte la majorité municipale sur cette invalidation semble changer puisque, comme le note un membre de l’opposition en 1997, « on peut s’interroger sur les lenteurs de la mise à jour du nouveau POS »101. Il explique par ailleurs que « le maire peut en profiter pour imposer ses vues ». En fait, il n’y aura pas de nouveau POS et c’est un Plan Local d’Urbanisme qui est finalement approuvé et entre en application le 29 juin 2004, après 12 ans d’instabilité réglementaire donc. Et le maire, détenteur du pouvoir d’accorder les permis de construire, semble en effet profiter de ces conditions avantageuses « pour défendre la qualité architecturale. »102 A ce titre, il explique qu’en plus des prescriptions du POS avant son annulation, les projets des promoteurs qui sortent de terre devront « respecter […] quelques règles classiques d’architecture : formes simples et élégantes, façades travaillées dans le détail, couleurs discrètes. » La municipalité a donc clairement profité de cette situation réglementaire pour y inclure des considérations liées aux formes urbaines. Nous émettons ici l’hypothèse, non vérifiée, que les promoteurs en ont également profité : peut-être par une application moins stricte des coefficients d’occupation des sols, peut-être par des droits à construire plus haut, etc. Une enquête auprès des promoteurs, que nous n’avons pas eu le loisir de réaliser, aurait permis d’infirmer ou d’affirmer cette hypothèse. Ce qu’on constate néanmoins, c’est qu’un certain nombre d’immeubles sortent de terre entre 1992 et 2004, principalement aux entrées de ville103 : du collectif de standing dans l’immense majorité qui respecte, il est vrai, un souci de correspondre aux critères de la municipalité en matière d’architecture.
100
Petit Robinson, Septembre 1992 Et suivant : Petit Robinson, Juin 1997 102 Et suivant : Plessis Magazine, n°14/15, été 1993 103 Entretien avec François Collin (président de l’association de riverains P.L.E.S.S.I.S.) 101
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Illustration 2 – Comparaison entre les réalisations « habituelles » des promoteurs (opérations de moins de dix ans dans plusieurs grandes villes françaises) et les réalisations de ces mêmes promoteurs au Plessis-Robinson sur la même période
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Des formes urbaines attractives Cela nous amène à notre troisième élément : pourquoi ce style architectural intéresse-t-il les promoteurs ? (voir l’Illustration 2) Ne constitue-t-il pas un surcoût bien inutile ? Là encore, une enquête serait nécessaire pour obtenir une réponse complète. On peut néanmoins avancer quelques éléments de réponse. Xavier Bohl nous livre un premier indice104 en expliquant que, si les promoteurs ne réalisent pas davantage d’opérations dans ce style, c’est à cause des architectes et des concepteurs qui seraient « très complexés » de dessiner ce genre de projet. Les promoteurs, eux, « ne demandant qu’à construire comme ça. » En fait, deux intérêts semblent se dessiner pour les promoteurs. Premièrement, la rentabilité serait égale ou meilleure : construire dans le style traditionnaliste serait 5 à 7% plus cher105 mais il est probable que le prix de vente de ces réalisations soit aussi un peu plus élevé. Deuxièmement, les lots partiraient plus facilement, « le taux de réussite en bulle de vente étant plus élevé »106. Le style de forme urbaine souhaité par la municipalité du Plessis-Robinson irait donc dans le sens des intérêts des promoteurs.
Une souplesse dans les processus de projet Quatrième élément d’un contexte favorable et qui tient à l’attitude de la municipalité : une grande souplesse est souhaitée à toutes les étapes du projet. Deux exemples, pris à des moments différents illustrent ce propos. En matière de définition du projet, la majorité municipale après avoir sévèrement critiqué le principe du concours d’architectes (qui l’a empêché en 1991 d’apporter des modifications au projet de rénovation de la Cité-jardins) défend le principe du marché de définition. Brièvement, un tel marché permet de faire appel à des concepteurs et d’élaborer avec eux le projet à venir. Ainsi, même après la désignation par un jury de l’une des équipes, le projet n’est pas arrêté mais peut être retouché et modifié à n’importe quel instant. Cette souplesse permet également au promoteur d’entrer en négociation avec les autres partenaires pour obtenir ou revoir tel ou tel élément. La définition du projet – et donc du programme au sein de la ZAC Cœur de Ville – offre un autre exemple de l’attitude souple de la municipalité. En discussion avec un seul promoteur au 104
Entretien avec Xavier Bohl (architecte-coordonnateur des phases 3&4 de la reconstruction de la Cité-Jardins) Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 106 Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 105
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départ, Franco-Suisse, le programme de la ZAC prévoit 680 logements107. Puis, au fur et à mesure de l’évolution de l’intérêt d’autres promoteurs et de la possibilité grandissante de libérer davantage de terrains, le projet évolue. Cette écoute des besoins et des attentes des promoteurs est si importante que ce ne sont pas moins de 17 Plan d’Aménagement de Zone (PAZ) qui sont consécutivement élaborés pour la ZAC Cœur de Ville, avec un programme qui évolue largement en fonction des besoins et intérêts des promoteurs. C’est ainsi que d’un promoteur intéressé au départ, six vont finalement participer à la réalisation de l’opération, qui passe alors de 680 à 1200 logements.
Des bonnes relations avec les principaux acteurs des projets Le cinquième élément qui fait du Plessis-Robinson un terrain favorable à l’implantation des promoteurs est la capacité de la municipalité à instaurer une confiance dans le projet et une bonne entente entre les partenaires. Cette bonne entente est particulièrement à signaler parce qu’elle s’inscrit en totale rupture avec les pratiques de la municipalité précédente. Cela crée donc un « choc de confiance » qui se manifeste notamment par deux faits : le partenariat avec l’Office Départemental HLM permet de racheter leurs terrains 108 pour « pratiquement rien »109 et ceci alors même que la vente de terrains « n’est pas dans les habitudes de l’Office. »110 Deuxième illustration : la confiance qu’accorde le promoteur Franco-Suisse, premier à lancer des réalisations au Plessis-Robinson, et qui va entraîner la venue des autres promoteurs.
Des temporalités également propices aux projets Enfin, sixième et dernier élément, la question de la temporalité est également à prendre en compte. Hervé Caranobe, chargé de mission à la SEM locale, tient un discours très clair sur la question : les opérations du Plessis-Robinson sont sorties au bon moment. La Cité-jardins, par exemple, si elle avait été réalisée deux ou trois ans plus tard 111 ne « se serait pas vendue, ou pas au même prix ».
107
Entretien avec François Collin (président de l’association de riverains P.L.E.S.S.I.S.) L’Office possédait plus de 40% du foncier du Plessis-Robinson (P. Pemezec, Bonheur de ville, p.52) 109 Entretien avec Carinne Malfilatre (responsable du service urbanisme de la ville du Plessis-Robinson) 110 Entretien avec Jean-Pierre Clemenceau (secrétaire général de l’OPDH 92) 111 En 2010 donc, durant la crise financière 108
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L’ensemble de ces éléments disparates, bien que n’ayant pas tous la même importance ni la même source était à signaler pour comprendre globalement le contexte et l’évolution de l’intérêt des promoteurs pour cette ville.
2.2.2 La preuve par les formes urbaines ou l’intérêt d’une « opération exemple »
Le dispositif de l’ « opération exemple » : prise de risque minimale et résultats opérants Parmi les dispositifs qui ont pu être mis en place pour attirer les promoteurs, l’un d’eux fut particulièrement efficace et concerne la question des formes urbaines. Ce dispositif, c’est l’idée d’une « opération-exemple », c’est-à-dire le lancement d’une réalisation de taille modeste qui permet de limiter les risques pour la puissance publique comme pour les promoteurs et dont les résultats permettront de lancer, si tout fonctionne comme prévu, l’opération plus massive. Une opération au Plessis-Robinson en est tout particulièrement l’illustration: la ZAC Bois des Vallées, aménagée entre 1991 et 1995 et dont le programme comporte 150 logements de gendarme, 80 logements sociaux, du locatif libre et de l’accession à la propriété et un foyer pour jeunes travailleurs handicapés. C’est la première réalisation qui sort de terre dans le style traditionnaliste et elle veut dès le départ « donner l’exemple »112 Pour la municipalité, c’est « une opération qui se veut exemplaire, à la fois par la façon dont elle fut montée et par l’intérêt architectural qu’elle représente. »113 En fait, on comprend assez vite qu’un des objectifs de cette opération est de donner à voir, de « préfigurer par son style et son organisation [le] futur « Cœur de ville » qui lui fera face. » Cette opération est donc autant une réalisation en elle-même (répondant à des besoins et à un programme) qu’une réalisation pour les autres et tout particulièrement pour les habitants et les promoteurs. Ces derniers peuvent en effet se rendre compte grâce à cette opération : -
du style attendu ;
-
de la rentabilité : grâce au foncier très peu cher, malgré les formes urbaines qualitatives attendues, et malgré la part de logements sociaux, l’opération n’est pas un gouffre financier ;
112 113
Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) Et suivant : Petit Robinson, Janvier 1993 - 75 -
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de l’intérêt des acheteurs potentiels pour ce territoire et pour ce type de bien.
Une première étape dans le changement de l’image communale L’opération, qui n’a pas été un franc succès au départ114, s’est finalement bien vendue et a permis de combler en partie –pour les acheteurs comme pour les promoteurs- le défaut d’image de la ville, ce qui a largement servi les opérations suivantes. Car si l’opération Bois des Vallées est la première à sortir, c’est aussi la première à faire parler du Plessis-Robinson. L’opération va trouver un écho important dans la presse, avec des articles tantôt favorables, tantôt moins, comme dans le journal Libération qui aurait115 réalisé un feuilleton « une page par jour sur ce qui est en train de se passer au Plessis-Robinson, dans la volonté de montrer du doigt […] les défenseurs de l’architecture classique ». Mais, note le Maire, cette couverture médiatique, même parfois défavorable, a permis « à l’inverse de l’effet recherché », de créer « un surcroît d’estime, pour ne pas dire une vague d’intérêt ». Les formes urbaines adoptées dans cette première opération auront donc là encore, participé au changement d’image de la commune et permis, par leur médiatisation, d’accroître l’intérêt de la commune aux yeux des promoteurs.
2.3 Les formes urbaines au centre de l’attractivité commerciale 2.3.1 Rues et styles de formes urbaines : des dispositifs centraux de la vigueur commerciale
Un contexte commercial très défavorable La situation de l’activité commerciale au Plessis-Robinson à l’arrivée de la nouvelle municipalité est très nettement défavorable. Deux, voire trois grandes raisons sont diagnostiquées. Tout d’abord, la présence d’un pôle commercial majeur, le centre commercial Vélizy 2 accessible en moins de dix minutes en voiture (carte 8). Ce pôle commercial, affichant l’un des meilleurs chiffres d’affaires d’Europe draine la population à plusieurs kilomètres à la 114 115
Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) P. Pemezec, Bonheur de ville, p. 83 - 76 -
ronde et notamment celle du Plessis-Robinson. C’est ainsi que jusqu’au début des années 2000, la ville compte moins de 70 commerces (pour 21 000 habitants), avec des commerces de base comme les boulangeries qui font faillite116 et un chiffre d’évasion commerciale impressionnant : 80%. Seul 1 achat sur 5 s’effectue sur la commune, le reste se répartissant principalement entre Vélizy 2 et un pôle secondaire de commerce : le centre-ville de Sceaux. Ces chiffres sont d’ailleurs confirmés par un sondage réalisé en juin 1998, qui révèle que 70% des Robinsonnais fréquentent le centre commercial de Vélizy 2, 55% seulement le commerce de la ville.
Carte 8 – Localisation du centre commercial Vélizy 2 (et indication de l’accessibilité théorique en 10 minutes)
Deuxième élément diagnostiqué : l’éparpillement des commerces117 sur l’ensemble du territoire communal sans polarisation réelle. Cet éparpillement, qui nuit à leur visibilité et à leur fréquentation, est bien réel : pour preuve les difficultés rencontrées à arrêter la localisation du futur centre-ville (Cœur de Ville). D’abord envisagé à un croisement de deux rues passantes et assez fréquentées du fait du marché, la localisation du centre-ville sera finalement arrêtée quelques centaines de mètres plus loin.118 Cette hésitation est révélatrice de l’inexistence totale d’une polarité commerciale forte.
116
Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) Petit Robinson, Novembre 2000 118 Pour des raisons de place disponible et de topographie principalement 117
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A ce titre, une troisième raison parcourt le discours des politiques, mais beaucoup plus ambivalente. La ville accueille en effet sur trois demi-journées par semaine, dans une structure dédiée, un marché qui est l’un des plus importants du département : 25 000 personnes s’y rendent en moyenne chaque semaine. Les discours concernant la place du marché dans le fonctionnement commercial du Plessis-Robinson restent assez flous : tantôt vu comme une aubaine (car générateur de flux et « principal foyer d’animation du PlessisRobinson »119), il est également perçu comme une « pompe » aspirant le reste des achats qui se font sur la commune. Face à cette situation, le quartier du Cœur de Ville se veut représenter une réponse : parmi ses objectifs figurent en bonne place la volonté de « développer l’animation, l’activité commerciale et les services et plus généralement favoriser le dynamisme économique de la commune. »120 Dans les faits, cet objectif est atteint puisque l’évasion commerciale est revenue à 50% avec le développement de ce nouveau quartier121. Quelles raisons trouver à cette réussite ?
La rue comme levier central de l’attractivité commerciale La trame commerciale du Cœur de Ville repose sur un retour à la rue. Nous avons signalé en première partie le développement d’un imaginaire et même d’un idéal lié à l’urbanisme des centres-anciens des villes européennes : rues étroites, placettes, terrasses de café, etc. Le quartier est le reflet de cet imaginaire et la rue y occupe une place centrale. E. Charmes montre comment « le retour à la rue [est] placé sous les doubles auspices du lien social et du lien spatial. » (2005, p.3) : -
Sur le plan social : la rue est synonyme de lieu de contact, de convivialité, d’espace public vivant et animé
-
Sur le plan spatial : la rue est « une forme organisatrice essentielle du tissu urbain traditionnel, au travers de laquelle les bâtiments se lient les uns aux autres et dessinent un paysage » (E. Charmes, 2005, p.3)
119
Petit Robinson, Octobre 1991 Petit Robinson, Mai 1990 121 Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 120
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Cette double fonction, sociale et spatiale, que propose la rue est dès lors à même de profiter aux activités économiques et notamment commerciales. Deux phénomènes peuvent être identifiés.
Carte 9 – Repérage de l’implantation des commerces sur les opérations d’urbanisme récentes. (En rouge : le marché ; en orange : les moyennes surfaces, locomotives commerciales ; en jaune : les rez-de-chaussée commerciaux ; en pointillés bleus : les parkings souterrains)
D’abord, la rue est morphologiquement « plus adaptée que les espaces libres des grands ensembles au mélange fonctionnel » (E. Charmes, 2005, p.19) Ce phénomène est assez connu pour qu’il suffise de signaler qu’en effet, la rue entraîne une canalisation des flux, notamment piétons, et permet de ce fait une meilleure visibilité et une meilleure chalandise au commerce. Au Plessis-Robinson, la rupture avec l’éparpillement commercial est consommée avec le Cœur de Ville qui propose sur une rue un linéaire commercial continu, à peine interrompu par
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les entrées des logements (carte 9). Cette concentration, qui se fait sur une trame allant du très resserré (rue étroite) à des espaces plus dégagés (places et placettes) offre sur une distance réduite (200 mètres environ) un parcours commercial complet. Pour renforcer encore le dispositif de cette trame urbaine, les rues du Cœur de Ville sont bien reliées aux rues des quartiers environnants afin de permettre une accessibilité et un parcours piéton optimisés. Enfin, si les voitures ne sont pas encouragées à circuler directement dans ce quartier, elles passent néanmoins en périphérie avec une vue sur le quartier et les commerces, augmentant la visibilité de ces derniers.
Une attention portée à la qualité des espaces publics propre à attirer les commerçants L’autre phénomène tient moins aux formes urbaines qu’à leur traitement. Le caractère très qualitatif des aménagements publics réalisés ainsi que des bâtiments donne un aspect prestigieux au quartier. La municipalité avait préparé le terrain avec un sondage datant de juin 1998 réalisé auprès des Robinsonnais. Ce sondage donnait deux indications intéressantes. D’abord sur une attente en matière de commerce de proximité : en effet, 82.2% des sondés envisageaient d’effectuer leurs futurs achats au sein du Cœur de ville (alors non encore réalisé), ce qui entraînerait pour 62.9% des sondés un changement dans leurs habitudes d’achat122. Mais surtout, à la question : « Le cadre et le décor agréable vous feraient-ils changer d’habitude pour venir faire vos courses dans le Cœur de ville du PlessisRobinson ? », les résultats sont les suivants : 57 % : oui
35% : sans réponse123
8% : non
Ces résultats et cette question ont ceci d’intéressant qu’ils révèlent et préfigurent aussi bien de l’ambition de la municipalité que du résultat obtenu. En effet, si le système de rue est au cœur du dispositif de relance de l’attractivité commerciale, c’est la qualité urbaine du Cœur de Ville qui est perçue comme capable d’inciter les clients potentiels à fréquenter ce lieu. Ainsi, avant d’être un lieu d’achat, le Cœur de Ville doit être un lieu agréable. Le témoignage, dans le journal municipal, d’un commerçant nouvellement arrivé en ville est instructif sur ce point. En ce qui concerne les raisons de son choix d’y installer son commerce,
122 123
Petit Robinson, Octobre 1998 Petit Robinson, Novembre 1998 - 80 -
il explique qu’il « considère le Cœur de Ville comme un nouveau vecteur de clientèle. »124 Cette déclaration est particulièrement intéressante : elle laisse en effet entendre que ce commerçant considère la qualité urbaine du Centre-ville comme un vecteur de fréquentation en soi.
2.3.2 Une programmation commerciale adaptée au nouveau cadre
Une attention portée aux commerces eux-mêmes Avec l’implantation de commerces en rez-de-chaussée sur les deux dernières phases de la Cité-jardins et l’évolution des habitudes d’achats des Robinsonnais, l’évasion commerciale qui était passée de 80% (fin des années 1990) à 50% (vers 2005) est finalement tombée aujourd’hui à 20%. Ce sont en tout une soixantaine de commerces qui se sont ajoutés aux soixante-dix déjà présents sur la commune. Une enquête approfondie sur les éléments de montage opérationnel lié à l’implantation des commerces reste à faire. Un entretien auprès de membres du cabinet de consultants AIC, qui a conseillé la SEMPRO (la SEM communale) sur la programmation commerciale du Cœur de Ville, serait sur ce point éclairant. Cela n’empêche pas dès à présent de soulever quelques remarques et interrogations. Le rôle joué par la SEMPRO dans la partie commerciale de l’opération est tout à fait notable. Plusieurs structures ont été créées pour gérer l’implantation du commerce au sein des différentes opérations125. La société Hibou Aménagement a été spécialement créée pour gérer l’implantation d’un café dans le centre-ville. La structure Cité-jardins Commerce a, pour sa part, permis de racheter l’ensemble des rez-de-chaussée commerciaux de la Cité-jardins pour y implanter les commerces choisis. La SEM locale, « bras armé de la municipalité »126 a donc été amenée à agir très concrètement sur le plan commercial. Deuxième élément remarquable, le recours très tôt, et assez régulièrement, aux contrats de type PPP (Partenariat Public-Privé) qui permettent aussi bien de construire un parking sous-
124
Petit Robinson, Avril 1998 Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 126 P. Pemezec, Bonheur de ville, p. 49 125
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terrain pour accueillir les clients en Cœur de Ville, que de rénover et d’entretenir la halle du marché municipal.
Une évolution commerciale révélatrice d’une évolution sociologique ? Enfin, la question de la programmation commerciale est tout à fait centrale : les commerces qui sont aujourd’hui présents faisaient-ils partie d’un projet de renouvellement commercial sur la ville ? Il existe en effet une réelle différence qualitative entre les commerces des nouveaux quartiers et ceux présents depuis plus longtemps (illustration 3). Si la « locomotive commerciale » du Cœur de Ville, un Champion, reste assez modeste, elle appartient cependant à une autre typologie que la moyenne surface la plus proche, mais située à l’extérieur des quartiers récents, un Leader Price. Mais cette différence est surtout visible dans les petites surfaces qui sont tantôt composées de commerces chics (traiteurs, restaurants gastronomiques, etc. dans les quartiers récents) et tantôt de commerces plus modestes (restaurants asiatiques, épiciers, pizzerias, etc. dans les autres quartiers). Cet écart est donc à questionner et notamment au regard : -
de l’intervention de la puissance publique : la gestion des rez-de-chaussée d’immeubles sur les nouvelles opérations par des structures issues de la SEM communale suffit-elle à expliquer cet écart ?
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de la sociologie des quartiers : le commerce est-il un révélateur fiable des écarts sociologiques entre nouveaux et anciens quartiers ? Les indices que délivre la troisième et prochaine partie de ce travail vont dans ce sens.
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Illustration 3 – Photographies comparatives de commerces implantÊs en dehors et au sein des nouveaux quartiers
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Conclusion Dès lors qu’il apparaît clairement que les formes urbaines ne répondent pas (ou pas seulement) à une question de goût des acteurs mais engagent leur rationalité en tant qu’outil d’intervention, quatre questionnements principaux émergent en ce qui concerne l’approche des formes urbaines utilisées dans le montage opérationnel d’une opération d’urbanisme. Se pose d’abord la question de la place que prennent les formes urbaines dans les échanges entre les partenaires du projet. Est-ce un élément invisible (leur question ne se pose pas), un élément intouchable (au moins un des acteurs impose un choix, cela semble être le cas pour notre terrain d’étude) ou un élément de négociation (plusieurs partenaires participent à la définition des formes urbaines) ? Le cas d’une négociation a cet avantage qu’il oblige les acteurs à formuler clairement ce qu’ils proposent et aide à comprendre pourquoi ils le proposent. Dans un contexte de prise d’importance de la société civile en tant qu’acteur à informer et avec qui dialoguer, mais aussi comme représentant potentiellement un poids politique important, les formes urbaines peuvent participer aux échanges qui ont lieu avec les personnalités politiques. De l’imposition d’un choix par le politique à la participation des habitants à des ateliers de design urbain, il existe aujourd’hui toute une gamme de possibilités permettant de faire des choix et de veiller à ce que ces choix conviennent aux électeurs. Il est donc utile de se demander si les choix faits vont dans le sens d’une tentative de séduction de l’électorat (et de quel électorat ? et à quel terme ?) ou de participation des habitants à un dispositif de démocratie locale. Dans une situation de contrainte économique et de concurrence renforcée entre les territoires, il est primordial de parvenir à attirer les acteurs économiques : ceux présents dans le montage du projet urbain, au premier rang desquels les promoteurs, et ceux intéressés pour s’y implanter, notamment les commerçants. Les formes urbaines peuvent dans les deux cas participer de cette attraction en allant dans le sens des intérêts de chacun. L’exemple des projets urbains du Plessis-Robinson permet de voir que ces intérêts peuvent se rejoindre puisque ce qui représente un meilleur investissement pour le promoteur constitue une vitrine plus attirante pour le commerçant.
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Toujours dans cette optique d’optimisation de l’attractivité d’un territoire, les formes urbaines peuvent jouer un rôle d’amélioration de sa visibilité ou même entraîner sa médiatisation si les formes sont suffisamment surprenantes ou originales. L’amélioration de l’image de la commune, ou même le choc de confiance (comme ce fut le cas au Plessis-Robinson) qui peut en découler, sont des avantages très précieux pour la réussite de la suite du projet ou des projets à venir.
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3. La forme urbaine : instrument d’un projet de société
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Du projet urbain au projet de société : la ville vertueuse La quatrième et dernière partie étudiera dans le détail la notion d’idéal et d’exemplarité à l’œuvre dans les projets du Plessis-Robinson. Cet idéal prend deux aspects principaux en ce qui concerne les formes urbaines : une forme communicationnelle telle qu’elle a été entrevue en première partie (l’idéal correspond à l’état final de la mise en récit de la ville ; il se crée à travers une promotion de valeurs positives qui lui sont associées) et une forme « réelle » c’està-dire par la mise en place concrète de mesures visant à réaliser cet idéal. Les modalités de cette mise en place font l’objet de cette troisième partie. Les mesures peuvent être de tous ordres, mais seront ici principalement présentées celles qui relèvent de décisions prises en matière de formes urbaines ou appartenant à ce large domaine que représente la politique de la ville.
3.1 Les formes urbaines en appui de la mixité sociale 3.1.1 D’une faible mixité sociale au « grand écart » sociologique
Un contexte social difficile Avec 65 % de logements sociaux en 1989127, la ville du Plessis-Robinson possède un parc social et une part de personnes logées en HLM particulièrement forts pour les Hauts-de-Seine. « Deux habitants sur trois occupent un logement appartenant à l’OPDHLM »128 annonce le Maire. D’autre part, les logements sociaux sont à cette époque pratiquement tous concentrés au même endroit : sur le haut Plessis, avec la cité-jardins et les ensembles plus récents construits alentour (carte 3, p.33). Cette concentration est jugée « excessive »129 par la municipalité puisqu’elle serait « source de désordres sociaux. »
127
Nous retenons ici le chiffre avancé par Hervé Caranobe et François Collin et non les 73 où75% proposé par le Maire 128 Petit Robinson, Février 1990 129 Petit Robinson, Octobre 1990 - 87 -
C’est à partir de ce double constat que vont s’élaborer les objectifs de la majorité municipale en termes de peuplement, objectifs plutôt flous par ailleurs si l’on en retrace les grandes lignes. Les objectifs de peuplement qui font l’objet d’une communication municipale concernent principalement le choix d’attirer au sein des trois projets urbains comportant une part de logement libre (Bois des Vallées, Cœur de Ville, Cité-jardins en phase 3 & 4) une population plus aisée que celle présente traditionnellement sur le haut-Plessis.
Une transformation radicale du discours en matière d’objectifs de peuplement Or, on constate en premier lieu une évolution du discours et des enjeux en la matière. En 1990, le Maire donne une interview au journal Le Parisien, au cours de laquelle il explique que « Ici [au Plessis-Robinson], 70% de mes concitoyens habitent un logement social. Ce n’est pas cela que je veux changer. C’est leur qualité de vie, leur confort. Je ne veux pas casser, révolutionner ni changer la population. »130 Il s’agit alors très clairement de garder la même base de population ce qui signifie : -
ne pas chercher à attirer particulièrement une population extérieure ;
-
ne pas contraindre, malgré les travaux de reconstruction de la Cité-jardins, une partie de la population à s’en aller.
Ces engagements vont très rapidement disparaître. La municipalité avance successivement deux arguments : Premièrement, il existe une demande en matière de logement non satisfaite sur la ville. Le Maire n’envisage pourtant pas de construire plus de logements sociaux puisque la commune « supporte déjà les charges de 70 % de HLM. »131. Il avance au contraire l’idée que « construire des logements intermédiaires et des logements en accession à la propriété [permettrait de] libérer des logements sociaux pour ceux qui en ont besoin » en diversifiant l’offre de logement. L’argument consiste donc à dire qu’en construisant des logements à un prix de vente ou de location plus élevé, on favorise en fait le logement social en créant une offre adaptée à chaque niveau de revenu.
130 131
Le Parisien, n° inconnu, Janvier 1990 Et suivant : Petit Robinson, Avril 1994 - 88 -
Le deuxième argument, affiché comme l’objectif n°2 du second mandat du Maire, va faire l’objet d’un portage bien plus important. « Pour [contenir la pression fiscale], il n’y a qu’une solution réaliste, il faut augmenter le nombre de parts. Ce qui veut dire en clair ouvrir la ville à de nouvelles entreprises et à de nouveaux habitants. »132 L’argument économique est ici avancé : la ville a besoin d’accueillir une population (imposable) pour éviter une nouvelle hausse d’impôts. C’est d’ailleurs à peu près la manière dont la question se trouve formulée dans un sondage réalisé en juin 1998 auprès de la population robinsonnaise. A la question « Pour que les impôts locaux baissent, seriez-vous prêt à accepter l’arrivée de nouveaux habitants ? Près de deux tiers des répondants le souhaitent, 19 % n’ont pas d’avis ».133
Des objectifs plus ou moins affichés tendant à modifier profondément la sociologie communale En fait, la stratégie de la majorité municipale apparaît en quelques occasions de manière beaucoup plus claire. Ainsi, dès 1994, le Maire explicite son objectif : « Ce qui est capital pour moi, c’est d’arriver à modifier ce chiffre de 67% de logements sociaux, car c’est une vraie contrainte économique pour la ville ».134 Quelques années plus tard, cet objectif est en voie d’être atteint : « nous détenions en 1989 une sorte de record de France du logement social, lequel a été ramené au chiffre beaucoup plus équilibré de 50% »135 Le Maire note tout de même que cela est encore « deux fois et demie au-dessus du plancher fixé par la loi SRU (20%). En fait, on est clairement dans un processus de « mixité à l’envers »136 avec un objectif final qui n’est pas connu. Pour l’INSEE, la commune comptait en 2008 41.4% de logements sociaux, chiffre qui est amené à diminuer avec les opérations en cours. Mais, outre cette question de la diminution de la part du parc social, deux questions font polémique. La première concerne le nombre de logements sociaux sur la commune. Pour la municipalité, si la part de logements sociaux a baissé au regard du total des logements robinsonnais, le nombre, lui, n’aurait pas diminué depuis 1989. Une enquête approfondie serait nécessaire pour valider ou invalider ce point. Signalons simplement trois éléments. Lors des phases 3 & 132
Petit Robinson, Juillet-Août 1995 Petit Robinson, Novembre 1998 134 Petit Robinson, Avril 1994 135 Et suivant : Petit Robinson, Avril 2009 136 Entretien avec Carinne Malfilatre (responsable du service urbanisme de la ville du Plessis-Robinson) 133
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4 de la reconstruction de la Cité-jardins, une âpre négociation a permis au Maire de diminuer le nombre de logements sociaux, logements qui ne semblent pas avoir été reconstruits ailleurs depuis. L’opposition socialiste avance le chiffre de 540 logements qui auraient été supprimés au total. Enfin, d’après l’INSEE, la ville compterait en 2008 144 logements sociaux de moins qu’en 1999. Si ces indications sont justes, ce serait ainsi bien plus d’une centaine de familles qui n’auraient pas été relogées sur la ville. La deuxième polémique concerne les populations nouvellement arrivées sur le territoire communal et habitant les logements réalisés lors des opérations d’urbanisme récentes. Le discours sur ce point est pour le moins schizophrénique. Le discours du Maire laisse clairement entendre que, puisque la stratégie de peuplement répond à un besoin économique et financier pour la ville, c’est une population imposable qui est attendue. « Imposable » pouvant être compris comme « aisée » au vu des prix de l’immobilier. Pourtant c’est un aspect qui est relativisé par Carinne Malfilatre, l’adjointe à l’urbanisme. Pour elle, « faire rentrer des riches n’a jamais été un but »137. De la même façon, l’ouverture à une population extérieure semble minorée puisque les opérations d’urbanisme ont surtout donné lieu à « beaucoup de mouvements internes à la commune. Le phénomène de desserrement a beaucoup joué et nous n’avons pas gagné tant de population. »
Des résultats nettement visibles dans l’étude de la sociologie communale Un examen rapide des évolutions du peuplement grâce aux données infra-communales (IRIS)138 permet de vérifier la véracité du discours des acteurs. L’IRIS 109 (Anatole France) contient le Cœur de Ville. L’IRIS 106 (Wallon) contient les phases 1 & 2 de la Cité-jardins reconstruite. Les IRIS 102 (Albert Thomas – Marché) et 104 (Architecte) contiennent les phases 3 & 4 de la Cité-jardins reconstruite.
137
Et suivant : entretien avec Carinne Malfilatre (responsable du service urbanisme de la ville du PlessisRobinson) 138 Données IRIS 2007 - 90 -
Carte 10 – Limites des périmètre IRIS
Carte 11 – Hypothèse d’une relative homogénéité sociologique sur ces IRIS (109, 104, 102, 105) en 1989 avant les opérations
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Pour autant, constatant un décalage (les changements les plus récents concernant les dernières phases de reconstruction de la Cité-jardins n’apparaissent pas), nous considérerons l’utilisation des données IRIS de la façon suivante : l’IRIS 109 correspondant, entre autres, au quartier du Cœur de Ville, est la seule référence fiable pour constater les changements sociologiques réalisés. Les caractéristiques de cet IRIS avant la construction du Cœur de Ville devaient en effet être similaires aux caractéristiques actuelles des IRIS 102, 104 et 105 (carte 10). La part de la population arrivée récemment dans son logement (carte 13) montre que le périmètre du centre-ville connaît les plus grosses mutations : plus d’un habitant sur deux résidait quelque part ailleurs 5 ans auparavant. Les 49% d’anciens résidants s’expliquent par la présence sur la partie ouest du périmètre IRIS 109 de l’ensemble HLM constituant le quartier du Loup Pendu (carte 12). Cette résidence explique également que l’on retrouve sur la carte 14 (part de logements sociaux) le chiffre de 29 % pour cet IRIS alors que le Cœur de Ville ne comporte que 12 % de logement sociaux.
Carte 12 – Composition des logements de l’IRIS 109 (en bleu : logements sociaux datant des années 1960-1980 ; en rouge : quartier Cœur de Ville ; la partie nord, grisée : logements mixtes, privés et sociaux)
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Carte 13 – Part de la population habitant depuis plus de 5 ans dans le même logement par IRIS
Carte 14 – Part de logement sociaux par IRIS
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Carte 15 - Part de la population imposable par IRIS
Carte 16 - Part de cadres supĂŠrieurs par IRIS
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Carte 17 – Revenu médian par IRIS
Les données fournies par les IRIS sont assez nettes pour pouvoir constater un décalage important entre le quartier du Cœur de Ville et les autres périmètres constituant le hautPlessis. Le quartier du centre-ville possède un taux élevé de populations imposables (carte 15). Et les 84.4 % obtenus de l’harmonisation des taux du Cœur de ville et de l’ensemble du Loup Pendu situé sur le même IRIS laissent à penser que ce taux est même plus fort pour les seuls ménages du Cœur de Ville. Les données concernant les catégories socioprofessionnelles, et notamment la part de cadres supérieurs (carte 16), vont dans le même sens : avec 42%, le secteur du centre-ville est en rupture très nette avec les cités HLM situées au sud du Plessis-Robinson et qui plafonnent à 5 ou 8 %. Enfin, la comparaison des revenus médians (carte 17) souligne cet écart très important avec un quartier centre-ville (34 000 €) plus proche de la moyenne haute (40 000 €) que des quartiers populaires (20 000 €). Ces données permettent de confirmer qu’une stratégie de peuplement est bien à l’œuvre au Plessis-Robinson pour attirer une population aisée, et que cette stratégie semble porter ses fruits. Au risque de renforcer le « grand écart »139 sociologique robinsonnais.
139
Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) - 95 -
3.1.2 De la mixité invisible aux moyens invisibles de mutation du peuplement
Diminuer la visibilité des logements sociaux par leur éparpillement sur la commune… Pour accueillir des populations imposables, encore faut-il pouvoir les faire venir. Or les attirer demande de proposer un cadre social adéquat que les grands ensembles du haut-Plessis risquent de gêner fortement. De même, pour aller dans le sens de la mixité sociale voulue par la municipalité et limiter les concentrations de logements sociaux, un certain nombre d’instruments d’action sont à mettre en place. Nous identifions trois instruments utilisés. Deux de ces instruments, dont l’un concerne directement les formes urbaines, permettent de rendre la mixité sociale invisible. Rendre la mixité sociale invisible peut tout d’abord passer par un éparpillement du parc social sur l’ensemble du territoire communal (voire au-delà). C’est dans ce sens que la ville rentre en discussion avec l’État dès 1990140 pour la signature d’une Convention Ville-Habitat, convention qui sera signée en juillet 1993.141 Cette convention va largement dans le sens des objectifs de la municipalité puisqu’elle pose comme principe la mixité et permet, pour atteindre une plus grande homogénéité, de limiter le nombre de logements sociaux à construire dans une zone, si celle-ci en compte déjà une part importante. Cet outil va puissamment fonctionner au moment de la reconstruction des phases 3 & 4 de la Cité-jardins pour permettre à la ville de faire construire 250 logements sociaux à la place des 810 initialement prévus.142
…Ou les faire totalement disparaître en les rendant méconnaissable Mais rendre la mixité sociale invisible peut passer par un autre outil plus efficace encore et basé sur les formes urbaines. « Pourquoi le logement social devrait-il être moins beau que l’immeuble privé ? » s’interroge le Maire.143 Question à laquelle il répond par un objectif qui est effectivement mis en place dans les opérations d’urbanisme récentes (Bois des Vallées,
140
Petit Robinson, Septembre 1990 Petit Robinson, Septembre 1993 142 Petit Robinson, Mai 1997 et Janvier 2003 143 Et suivants : P. Pemezec, Bonheur de Ville, p.80 141
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Cœur de Ville, phases 3 & 4 de la Cité-jardins) : « une esthétique partagée par tous ». Deux éléments apparaissent dans son discours comme raisons de cette prise de position. D’abord, le constat qu’il fait d’une différence qualitative très importante entre les programmes publics et les programmes privés : « d’un côté des formes anachroniques, des façades pauvres, des couleurs agressives, de l’autre, des formes harmonieuses, des détails architecturaux, des couleurs pastel. » Or, cette différence n’a pas lieu d’être puisqu’il n’est pas plus cher, selon lui, de construire des bâtiments comme ceux du privé. Ensuite, la valeur sociale qui est rattachée à cette distinction évidente entre ceux qui résident dans le parc social ou le parc privé. Pour Philippe Pemezec, la réalisation d’opérations de logement social sur la base d’une architecture empruntée au privé doit servir et non desservir (comme actuellement) ses occupants144. A ces deux raisons avancées, une troisième peut être ajoutée. Construire l’ensemble des logements sociaux et privés dans le style du privé revient à donner l’impression (puisque la distinction habituelle est encore largement ancrée dans les esprits) que le secteur ne comporte que du logement privé. Ou pour le dire autrement, les logements sociaux – devenus invisiblesne risquent plus de dévaluer le quartier (illustration 4).
Le possible renfort de dispositifs « invisibles » Pour parachever ces dispositifs de mise en place d’une mixité sociale idéale – une mixité rendue invisible –, d’autres moyens apparaissent et permettent d’aller plus loin dans la mutation sociologique entamée. Nous appelons ces moyens « invisibles » car leur mise en œuvre et leurs effets sont difficiles à percevoir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le propos ici, ne repose que sur des hypothèses plus ou moins appuyées. La variation du niveau de loyer constitue un premier élément. Les loyers des locataires de l’ancienne cité-jardins reposaient sur des baux anciens. Avec la reconstruction, les loyers auraient augmenté à tel point145 qu’une partie de la population n’aurait eu d’autre choix que de demander à s’installer plus loin.
144
P. Pemezec, Bonheur de Ville, p.61 Entretien avec François Collin (président de l’association de riverains P.L.E.S.S.I.S.). Pour lui, on passe au moment de la reconstruction de 150 €/mois pour un trois pièces à plus de 150 €/mois par pièce avec la nouvelle Cité-jardins. Les prix actuels seraient de 950 €/mois pour un 4 pièces. Cela est légèrement au-dessus de la 145
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Illustration 4 – Photographies comparatives de logements libres et sociaux. La qualité architecturale est similaire.
fourchette de prix que nous donne Jean-Pierre Clemenceau (secrétaire général de l’OPDH 92) puisqu’il parle de 430 €/mois pour un 2 pièces. - 98 -
Dès 1989, la mise en place d’une offre en accession sociale à la propriété offre à certains locataires la capacité d’acheter leur logement à un prix plus bas que le marché 146. L’offre connaît une augmentation importante depuis la nomination de la commune comme ville-pilote sur ce domaine par Nicolas Sarkozy, alors Président du Conseil Général des Hauts-de-Seine. La mise en place de l’accession sociale à la propriété peut avoir une incidence, d’une part sur le peuplement en limitant les mouvements de populations, mais surtout sur les comportements147 avec une vigilance accrue des propriétaires à la bonne tenue de l’immeuble. Dernier de ces trois moyens « invisibles » pour agir sur le peuplement : la gestion des attributions. La municipalité précédente, à qui l’on avait retiré son contingent d’attributions, se plaignait que l’on n’attribue au Plessis-Robinson que des « cas sociaux »148. La municipalité actuelle partage cette vigilance et obtient le rétablissement du contingent communal. Mais, et c’est révélateur de l’intérêt et de la forte utilisation de ce moyen, elle va plus loin en : -
obtenant un droit de regard sur toutes les attributions de l’OPDHLM149 ;
-
rachetant systématiquement, et même à prix fort (jusqu’à 45 000 euros/ appartement150) le contingent d’attributions des autres financeurs.
Ces éléments donnent à penser que, plus qu’une simple vigilance pour « l’équilibre sociologique, si précaire, des cages d’escaliers »151, c’est une véritable sélection qui s’opère et que, loin de récupérer « toute la misère du monde »152, la ville se dote d’une capacité à capter les profils sociologiques identifiés comme les plus avantageux.
146
Environ 20% plus bas : Petit Robinson, Février 2005 Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 148 Plessis Info, Février 1986 149 Petit Robinson, avril 1994 150 Petit Robinson, Mars 2006 151 Petit Robinson, Février 2002 152 P. Pemezec, Bonheur de ville, p.80 147
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3.2 Quand la ville se veut rassurante
3.2.1 Les formes urbaines : des repères urbains au prestige apparent
Une double rupture : avec la banlieue et avec l’urbanisme moderniste Un objectif fondamental du style de forme urbaine traditionnaliste tel qu’appliqué au PlessisRobinson est de donner des repères aux habitants en renouant avec des artefacts anciens censés faire partir d’un patrimoine culturel commun. A été évoquée en première partie de ce travail l’image récurrente qui sert de terreau à l’ensemble de ces courants : l’urbanisme traditionnel des villes européennes en tant que paysage urbain idéal et créateur de liens sociaux perdus aujourd’hui. Le programme est donc, quoiqu’on en dise, d’une part teinté de nostalgie, et d’autre part suspicieux, voire opposé à certaines des grandes évolutions récentes de la société. Cette mise au point permet d’éclairer quelques-unes des prises de position de la municipalité et des concepteurs des projets récents du Plessis-Robinson. Le choix des formes urbaines donne en effet lieu à une prise de position forte sur le sens qui leur ait donné : marquer la rupture avec ce qui caractérise la banlieue. La lecture qu’en font les décideurs/concepteurs se base principalement sur deux éléments de critique. Première critique : la banlieue a longtemps constitué un terrain d’expérimentation pour « les architectes fous »153, qui portent de ce fait « une très lourde responsabilité dans les déséquilibres sociaux. » Ces déséquilibres sociaux sont vus comme amplifiés voire même créés par les « expérimentations » urbanistiques du XXème siècle. La raison première des émeutes qui touchent la France en 2005 est dès lors à rechercher dans l’urbanisme et si le Plessis-Robinson a été plutôt épargné par les violences, c’est parce que « nous expérimentons depuis quinze ans : détruire l’urbanisme de cité pour revenir à un urbanisme de ville et retrouver une mixité sociale et urbaine. »154 Déficit urbanistique et misère sociale, c’est bien en crise que la banlieue apparaît à travers le discours de la municipalité.
153 154
Et suivant : Petit Robinson, Juin 1993 Petit Robinson, Décembre 2005 - 100 -
Deuxième critique, conséquence de la première : ces « expérimentations » architecturales et urbanistiques auraient mené à une perte des repères urbains habituels. La lecture qu’en fait la majorité municipale est on ne peut plus claire : « Depuis les années 60, le concept urbain à la mode en Ile-de-France était celui des villes nouvelles. Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, St Quentin-en-Yvelines, se sont développés sur un mode horizontal : pas de centre, tissu urbain peu dense, séparation des fonctions d’habitat, de loisirs et de travail. Assez vite, les habitants de ces villes nouvelles, se sont rendu compte que ce principe d’urbanisme fonctionnait mal : l’absence de centre engendrait la perte de repères, l’architecture donnait un sentiment de tristesse et de monotonie, la séparation des fonctions entraînait le mal de vivre. »155 Ces quelques lignes laissent entrevoir le sens que donne la municipalité aux projets robinsonnais : renouer avec des repères urbains qui « se sont forgés dans la durée »156 mais aussi se démarquer clairement du reste de la banlieue. Pour le Maire, l’opération du centreville marque par exemple « la création, à l’aube de l’an 2000, d’un Cœur de Ville à l’architecture traditionnelle, organisé non pas autour d’un centre commercial et d’un fast-food mais au pied d’un clocher et de la mairie. »157 Mais si le clocher et la mairie sont des éléments centraux en matière de repères urbains, la définition qu’en font municipalité et concepteurs est beaucoup plus large : rues étroites, placettes, horloge, vitrines, terrasses de café, arches, colonnes, toitures en pente, mansardes, ferronneries, corniches, la pierre de taille, la brique, le mobilier urbain, etc. (carte 18 et illustration 5).
« Redonner des repères aux habitants » : un élément primordial de l’argumentaire des formes urbaines traditionnelles Il apparaît donc que ces repères urbains doivent fonctionner comme des repères identitaires : en faisant le lien avec un héritage culturel censé rassembler l’ensemble des habitants, les repères urbains sont l’élément fondateur d’une identité communale et distinctive du reste de la banlieue. Ou, comme le dit lui-même Xavier Bohl : « un village sans clocher, c’est un village sans Dieu et sans chef. Il faut exprimer le fait que ce soit une communauté qui vive là. »158
155
Petit Robinson, Mars 1999 Petit Robinson, Mars 1994 157 Petit Robinson, Janvier 1999 158 Entretien avec Xavier Bohl (architecte-coordonnateur des phases 3&4 de la reconstruction de la Cité-Jardins) 156
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Carte 18 – Repérage des principaux objets « repères urbains » sur les trois quartiers conçus de manière traditionnaliste
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Illustration 5 – Photographies de quelques objets « repères urbains »
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Cette identité commune, cette communauté serait dès lors la base d’une ville rassurante. Pourtant, et alors que le Plessis-Robinson bénéficie d’un certain engouement159 expliqué par les décideurs comme une envie forte parmi la population française de retrouver des repères urbains, nous émettons une autre hypothèse. Il est possible en effet que ces repères urbains ne soient pas, ou pas seulement, compris et interprétés comme tels par les arrivants et les habitants mais soient davantage pour eux des signes de prestige. Une enquête approfondie auprès de la population serait nécessaire pour obtenir des éléments de réponse fiable. Pour le moment, seul le discours d’un riverain160 a pu être analysé et celui-ci révèle clairement que pour lui, les formes urbaines présentes ont avant tout pour intérêt de « flatter l’ego » de ceux qui y habitent. Si cette hypothèse s’avérait vraie, il serait nécessaire d’entamer une relecture du travail architectural et urbanistique réalisé au Plessis-Robinson pour tenter de comprendre les fondements véritables (repères urbains ou outils de prestige ?) des formes urbaines réalisées.
3.2.2 Les formes urbaines, instrument sécuritaire ?
Le débat non tranché sur les liens qui unissent urbanisme et sécurité Pour que la ville soit rassurante, encore faut-il qu’elle soit – ou qu’elle donne l’impression d’être – sûre. Sur ce point encore, les formes urbaines sont amenées à jouer un rôle prépondérant. La relation entre urbanisme et sécurité fait l’objet d’un débat ininterrompu depuis bientôt un siècle. Les premiers travaux empiriques remontent aux années 1920 lorsque les sociologues de l’Ecole de Chicago montrent l’influence de l’environnement urbain sur les comportements des usagers (C. Loudier-Malgouyres, B. Vallet, 2010, p.2). Aujourd’hui, la plupart des écrits vont dans le sens d’un lien établi entre les formes urbaines et les manifestations d’insécurité. C. Colomb, qui travaille sur la « Renaissance Urbaine » au Royaume-Uni constate l’existence d’un « postulat d’un lien positif entre forme urbaine et comportements individuels et sociaux » (C. Colomb, 2006, p.29) dans le discours de l’ensemble des acteurs. Les pays anglo-saxons sont à la pointe du développement de cette pensée avec l’existence de 159
Révélé notamment par les prix de l’immobilier : la ville étant devenu la 29e ville de France où les loyers sont les plus élevés (Observatoire Clameur, 2007) 160 Entretien avec François Collin (président de l’association de riverains P.L.E.S.S.I.S.) - 104 -
programmes tels que le CPTED (Crime Prevention Through Environmental Design) qui propose des principes d’aménagement applicables pour réduire « les opportunités de passage à l’acte du délinquant potentiel » (C. Loudier-Malgouyres, B. Vallet, 2010, p.2). C. Colomb note cependant que les réflexions en ce domaine manquent encore d’un appui suffisant sur des données empiriques.
Les formes urbaines : dispositif de la « ville rassurante » Au Plessis-Robinson, aucune enquête sérieuse ne permet d’envisager une réflexion empirique sur la question. Les seuls chiffres de la délinquance, apparemment en baisse sur l’ensemble de la période161 ne suffisent pas à établir un lien avec la réalisation des opérations d’urbanisme. Un sondage, réalisé en 2000 auprès de 1545 foyers robinsonnais délivre pourtant une information importante. Dans ce sondage, portant uniquement sur les questions d’aménagement et de sécurité, il apparaît que pour 41 % des habitants, les formes urbaines représentent la raison principale du sentiment de sécurité qu’ils éprouvent dans leur commune. Ce chiffre est éloquent car s’il n’établit pas de lien entre urbanisme et sécurité, il montre qu’un lien très fort existe entre formes urbaines et sentiment de sécurité. C’est au regard de ce chiffre qu’une relecture peut être faite des textes des auteurs précédemment mentionnés. C. Colomb (2006, p.23) identifie deux mécanismes de contrôle social de l’espace : -
les mécanismes dits « hard » : comme l’instauration d’une police municipale ou d’un système de vidéo-surveillance. Il est à noter que ces deux mécanismes ont été mis en place au Plessis-Robinson, chacun à des moments où les actes de délinquance étaient déjà reconnus comme en diminution ou bas162. Dans ces conditions, il est possible de s’interroger sur les objectifs du recours à ces mécanismes : limiter l’insécurité ou développer le sentiment de sécurité ?
161
Petit Robinson, Mars 2003 Pour la vidéo-surveillance : « Cet été, nous avons également lancé une réflexion sur la mise en place d’un dispositif de vidéo-protection sur quelques points sensibles de notre ville. Nous sommes bien conscients que Le Plessis-Robinson […] est une des communes les plus tranquilles des Hauts-de-Seine. » Petit Robinson, Septembre 2009 Pour la police municipale : « Les chiffres officiels nous classent parmi les communes les plus sûres du département […] La ville va se voir dans l’obligation de prendre à sa charge la création d’une force de police municipale. » Petit Robinson, Octobre 1993 162
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Les mécanismes dits « soft » : parmi lesquels les formes urbaines. Comme le révèle le sondage, celles choisies pour les opérations récentes au Plessis-Robinson rassurent les usagers. Comment l’expliquer ?
La non-validité des dispositifs sécuritaires les plus connus (gated communities, enclavement, etc.) C. Loudier-Malgouyres et B. Vallet (2010, p2-4) font une lecture des logiques actuelles à l’œuvre au sein des processus de conception urbaine. Ils montrent que l’inquiétude principale aujourd’hui, telle qu’elle apparaît dans les recherches, concerne la « fermeture généralisée de la ville » avec la figure médiatisée des gated communities. Cependant, pour les auteurs, cette crainte n’est à l’heure actuelle pas fondée : les ensembles fermés ont constitué moins de 3% des logements individuels construits en Ile-de-France entre 1992 et 2006. Deux autres processus à l’œuvre passent, eux, beaucoup plus inaperçus. Le premier de ces processus concerne la réalisation d’ensembles à morphologie enclavée. « Il n’est pas besoin de fermetures pour engendrer privatisation et entre soi » expliquent les auteurs. 40% des espace consacrés à l’habitat individuel en Ile-de-France seraient d’ores et déjà configurés sur les modèles de l’impasse ou de la raquette, « et donc conçus pour éviter le passage public. » Ce processus morphologique ne se retrouve pas au Plessis-Robinson où les opérations récentes sont toutes largement ouvertes au passage.
L’hyper-aménagement : dispositif sécuritaire permis par les formes urbaines Le deuxième processus à l’œuvre, par contre, correspond assez précisément à notre cas d’étude. Les concepteurs, sous la pression des décideurs politiques, auraient tendance de plus en plus, à créer des espaces publics « hyper-aménagés ». Cet « hyper-aménagement » se caractérise par trois ambitions majeures. La conception doit permettre de supprimer ou limiter au maximum les espaces vides, les dents creuses qui pourraient faciliter les comportements délinquants. On retrouve cette idée au Plessis-Robinson, aussi bien dans les discours que dans les faits. Dans les discours, le thème apparaît dès 1991 : « Ce que l’on remarque c’est que c’est le vide qui crée le malaise. Quand les jeunes descendent de leur immeuble dans la rue, qu’ils se retrouvent dans cet espace vide - 106 -
sans animation ni commerce, ils se regroupent en bandes et ils commencent à tagger ou à casser, par ennui ou désespoir. »163 Dans les faits, il n’est pas difficile de s’apercevoir que les opérations urbaines présentent peu d’espaces libres. Le Cœur de Ville et le quartier Bois des Vallées, présentent du fait de leur densité une continuité bâtie remarquable. La Cité-jardins, moins dense, ne comporte néanmoins –selon la volonté du Maire164- aucun recoin ni espace qui ne serait pas visible depuis les logements (illustration 6). Ensuite, si ces espaces restent des lieux de passage, une différenciation des flux est largement prônée. La ville « hyper-aménagée » est aussi pour les auteurs « la ville de l’hyper-mobilité, une ville passante mais sans frottement ». Ces considérations se retrouvent sur notre cas d’étude, dans l’attention et la différenciation forte opérée entre les espaces piétonniers et ceux destinés à la voiture (carte 19).
Carte 19 – Repérage des espaces de circulation (rouge : mixte automobile+piéton ; vert : uniquement piéton) 163 164
Petit Robinson, Janvier 1991 Entretien avec Carinne Malfilatre (responsable du service urbanisme de la ville du Plessis-Robinson) - 107 -
Illustration 6 – Photographies de quelques éléments principaux de l’ « hyper-aménagement »
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Ces deux ambitions conduisent, selon les auteurs, à un troisième objectif, rarement révélé : limiter les tentatives d’appropriation et de détournement des espaces. Pour caricaturer, s’il est possible de se promener librement dans l’ensemble des espaces publics de la ville, il n’est plus possible d’y faire quoi que ce soit d’autre. Les auteurs concluent d’ailleurs que fabriquer de la ville « hyper-aménagée » « permet de rendre acceptable la coexistence de groupes sociaux différenciés, précisément parce qu’il n’existe plus de lieux d’interactions, de lieux à risques ». Ce dernier élément est d’autant plus à interroger que C. Colomb (2006, p.30) révèle qu’au sein de la réflexion autour de la « Renaissance urbaine » et notamment dans le travail de Richard Rogers165, les idées d’espaces publics et d’environnements urbains de qualité sont associées à celle d’une « citoyenneté active ». Le modèle de la ville « hyper-aménagée » et des formes urbaines induites est donc sans doute à réinterroger au regard de cette considération : quelle(s) liberté(s) pour l’usager ?
Conclusion En tant qu’instrument d’intervention sur la ville et le contexte urbain, les formes urbaines peuvent concourir à atteindre des objectifs et réaliser certaines ambitions, aussi idéalisées et inatteignables puissent-elles paraître. Et puisqu’un projet urbain d’envergure est aussi quelque part un projet de société, les formes urbaines ont plusieurs rôles à jouer, six sont ici passés en revue. Les formes urbaines se révèlent capables de préfigurer un idéal de société souvent mentionné par les élus : une société plus égalitaire. L’attribution des mêmes formes urbaines pour le traitement des logements privés et sociaux est une action très forte dans ce sens. A noter cependant que, si les formes urbaines permettent de gommer les différences visibles, cela ne suffit pas pour pouvoir parler d’une société égalitaire (qui nécessite obligatoirement une égalisation financière et culturelle). Pour les mêmes raisons, les formes urbaines peuvent donc également constituer un outil de maquillage ou de dissimulation de certains faits. Donner aux logements sociaux la même 165
Architecte, qui dirige le groupe de travail sur la ville « People make cities but cities make citizens » et qui collabore activement à la réflexion de la « Renaissance Urbaine » - 109 -
apparence qu’aux logements privés, c’est offrir à leur occupant une plus grande qualité de vie mais c’est aussi les faire disparaître du paysage urbain. Les formes urbaines peuvent être utilisées pour faire naître ou développer un sentiment identitaire ou d’appartenance à un lieu/ à une communauté. La mise en œuvre d’un tel processus est à interroger : à quelle identité fait-on référence ? Est-ce une posture d’ouverture ou de fermeture ? Ce sentiment d’appartenance peut-il être partagé ou concerne-t-il une communauté définie ? Il en va de même pour la constitution par les formes urbaines de repères urbains. Quels sont ces repères et à quel type de société renvoient-ils ? A quel point laissent-ils transparaître les ambitions et les valeurs communales ? Les formes urbaines, puisqu’elles constituent l’aspect visuel de la ville sont ce qui est d’abord perçu par le passant ou le nouvel arrivant. A ce titre, les formes urbaines peuvent être utilisées pour « présenter » la ville de façon plus ou moins attractive. Les choix en matière de formes urbaines doivent être examinés à l’aune de cette considération : quel message la ville veut-elle faire passer en choisissant tel ou tel type de forme urbaine ? Est-on dans une posture modeste ou dans une démonstration de prestige ? Et comment les habitants vivent-ils et intègrent-ils cette posture ? Enfin, au regard de la question d’un traitement plus ou moins sécuritaire de l’espace, les formes urbaines amènent à s’interroger sur le type de comportement des citoyens qui est souhaité par la municipalité : les formes urbaines encouragent-elles une « citoyenneté-active » par des espaces configurés pour l’interaction sociale ou au contraire limitent-elles les possibles appropriations et détournements de l’espace public ?
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4. La forme urbaine : instrument politique
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Le pouvoir politique au service du projet urbain Puisque le projet urbain constitue le cadre et l’objet de recherche de ce travail, une approche par le domaine politique est tout à fait nécessaire. Qu’est-ce en effet qu’un projet urbain si ce n’est un projet politique, porté par des élus et avec potentiellement des objectifs politiciens à terme (réélection, obtention d’une charge plus élevée dans la hiérarchie, etc.) ? Si le projet urbain bénéficie de la qualité du portage politique qui dépend directement du Maire, ce dernier peut également espérer tirer un certain nombre de bénéfices de la réalisation d’un projet urbain. Ces bénéfices peuvent prendre plusieurs formes : ils peuvent être désintéressés (sentiment d’avoir « fait évoluer le territoire » dans le bon sens, etc.), intéressés (obtenir la satisfaction et la conviction des habitants et électeurs, etc.) ou purement personnels (avoir son nom associé au projet, etc.). Nous avons vu que le traitement de la question des formes urbaines pouvait largement contribuer à la réussite du projet. Nous soumettons ici l’hypothèse selon laquelle, les formes urbaines peuvent également contribuer à la réussite de l’élu en illustrant les bienfaits de sa gouvernance. Et renforcer encore, de fait, la solidité des projets portés.
4.1 Les formes urbaines : outil d’affirmation de la légitimité et de la crédibilité du Maire
4.1.1 La double figure : du maire-expert au maire visionnaire
Un maire conforté dans ses positions, notamment urbanistiques Il n’est pas inutile de rappeler qu’au tout début de son aventure municipale, Philippe Pemezec part de rien, ou presque. Victorieux en 1989 avec 57 voix d’avance et largement inexpérimenté, sa légitimité et sa crédibilité en tant que Maire sont minimales. Vingt-deux années et trois élections municipales plus tard166 (des législatives ont aussi été gagnées entre-temps), Philippe Pemezec n’est plus vraiment inquiété sur son territoire. Les 166
Dont une contre une figure politique nationale, Marie-Georges Buffet en 1995 - 113 -
élections sont immanquablement gagnées au premier tour, avec 68% des suffrages en moyenne. Quel maire, ayant à son bilan la démolition de plus de 1000 logements et une ville en chantier pendant pratiquement deux décennies d’affilée, peut-il se targuer d’un tel résultat ? Une fois encore, nous émettons l’hypothèse que les formes urbaines ont directement à voir avec ce renforcement de la légitimité et de la crédibilité du premier magistrat de la ville. Comment le démontrer ? Les études de satisfaction ne sont pas très révélatrices à ce sujet. Si une étude menée auprès de la population robinsonnaise en 1998 révèle que 92% des sondés sont satisfaits du bilan de la municipalité167, les causes précises de cette satisfaction ne sont pas connues. Ainsi, la hausse limitée des impôts sur la commune, la valeur des biens qui a beaucoup augmentée, la propreté des rues sont autant de raisons qui peuvent expliquer ce chiffre. Les votes fournissent également un indice bien faible pour juger de l’influence des formes urbaines sur le degré de satisfaction de la population, on notera tout au plus que c’est au bureau de vote du Bois des Vallées que la municipalité enregistre aux élections municipales de 2001 le score le plus élevé (90.3%) de toute la commune. Mais peut-on clairement y lire une satisfaction des anciens et nouveaux habitants liée aux formes urbaines de ce quartier livré quelques années auparavant ? Il est plus judicieux de se reporter une fois de plus aux discours produits par la majorité pour comprendre la teneur du lien formes urbaines-crédibilité du Maire. En fait, deux figures émergent. La première figure est celle du « maire-expert » - expertise en architecture et urbanisme – qui proviendrait de deux sources différentes.
Le « maire-expert » : la biographie comme fondement de l’expertise Le maire apparaît comme un « maire-expert », d’abord parce qu’un lien « biographique » l’unit aux formes urbaines. Ce lien « biographique » est largement mis en scène dans la communication qui est faite des raisons du choix des formes urbaines traditionnalistes. « Pourquoi ce combat pour l’architecture ? Ça tient probablement à ce dans quoi j’ai vécu quand j’étais petit, à l’environnement qui était le mien, et puis à l’idée très subjective et pourtant très partagée que je me fais de ce qui est beau. C’est vrai que 167
Petit Robinson, Novembre 1998 - 114 -
quand j’étais plus jeune, je vivais dans une maison, à la campagne, dans un petit village, avec une église, une place, quelques rues, vraiment quelque chose à dimension humaine. Et puis, lorsque j’ai découvert la ville à sept ans, j’ai connu l’horreur. On m’a arraché aux champs pour me transporter à la ville et j’ai découvert ce que c’était que des HLM. Evidemment, ce n’était pas des HLM trop horribles. C’étaient des maisons qui étaient contiguës les unes aux autres, avec un jardin. C’était déjà une petite cité-jardins. Mais j’ai vu apparaître, lorsque j’étais un peu plus grand, une nouvelle génération d’immeubles : ceux qu’on empile les uns sur les autres et que l’on a construits derrière chez nous. J’avais entre 10 et 15 ans et cela m’a révolté. »168 Les raisons du choix des formes urbaines traditionnalistes apparaissent dans ce discours non comme un argumentaire contextualisé (« il s’agit de répondre à tel ou tel enjeu local ») mais à une réflexion beaucoup plus large et en même temps très personnelle sur le mode « voilà ce que j’ai vécu, voilà ce qu’il ne faut pas faire ». A travers ce type d’argumentaire, c’est une expertise particulière qui naît : celle non pas basée sur l’instruction ou la formation à une discipline, mais une expertise qui provient du ressenti, du vécu, de l’expérience. La question des formes urbaines échappe donc à toute discussion ou négociation rationnelle possible puisqu’elle repose sur un pseudo-bon sens et non sur une logique démontrable ou contestable. Mais le lien « biographique » n’est réel que s’il est rattaché au contexte du projet. C’est bien le cas ici lorsque le Maire affirme que « le déracinement que j’ai vécu, en passant de la campagne à la ville, du village à la cité, c’est en fait ce que le Plessis-Robinson a vécu au XXème siècle. » L’histoire personnelle du Maire et celle, collective de la ville sont donc liées, puisque tous deux sont passés par les mêmes étapes. Cela rejoint très nettement ce qui a été dit en première partie de ce travail sur la mise en récit de l’histoire de la ville : elle se double ici d’une dimension personnelle. Concrètement, la figure du Maire en ressort grandie : ayant traversé les mêmes difficultés que la commune, il est le plus à même de surmonter les crises et obstacles qui peuvent encore se présenter.
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Et suivant : Plessis Magazine, n°14/15 été 1993 - 115 -
Le « maire-expert » : connaisseur et professionnel de l’urbain La figure du « maire-expert » est néanmoins complétée par un deuxième pan, beaucoup plus traditionnel celui-là, et associé tout autant aux formes urbaines. Ce pan réside dans le fait d’afficher une figure de « professionnel de l’architecture et de l’urbanisme ». Ce professionnalisme est composé de deux éléments principaux : l’attribution de charges importantes ayant un lien avec l’urbanisme et un volontarisme affiché en la matière pour peser dans les débats et sur les décisions. Si l’expertise, ou du moins « la sensibilité »169 du Maire en matière d’urbanisme est largement reconnue, c’est donc d’abord parce qu’il est parvenu à accéder à de nombreuses charges en ce domaine. Sans volonté d’exhaustivité, on peut citer la charge de responsable du logement, de l’urbanisme et de l’aménagement urbain pour la Communauté d’Agglomération des Hauts-deBièvres ; la charge de rapporteur de la Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine en 2003 ; mais aussi, par exemple, la présidence du réseau européen des éco-cités compactes en 2009. La confiance qui lui est accordée à travers le choix du PlessisRobinson pour être ville-pilote de plusieurs programmes urbains est également à mentionner.
Le modèle du « maire-visionnaire » La seconde figure qui apparaît au travers du discours des acteurs est celle du « mairevisionnaire ». Cette seconde caractéristique se fonde principalement sur deux considérations. Si le Maire apparaît comme un « maire-visionnaire » dans le propos de certaines des personnalités rencontrées, c’est d’abord parce qu’il « a vu juste »170 La logique qui est développée est la suivante : les grandes orientations d’urbanisme et notamment le choix des formes urbaines ont été prises dès les premières années du mandat du Maire. Une grande partie de ces orientations sont directement de son fait (il est celui, par exemple, qui a amené ce choix des formes urbaines traditionnalistes). Ces orientations se sont révélées non seulement efficaces mais également conformes à ce qu’avait annoncé le Maire. De cette adéquation naît l’idée que le Maire a un caractère « visionnaire ».
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Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) Entretien avec Carinne Malfilatre (responsable du service urbanisme de la ville du Plessis-Robinson) - 116 -
La reconnaissance de ce caractère par une grande partie des partenaires réguliers des projets urbains entraîne un bénéfice très opérationnel pour le Maire : il jouit d’une confiance importante. Ce caractère « visionnaire » est d’autant plus renforcé qu’il se base sur une décision risquée et non consensuelle dès le départ : imposer un style de formes urbaines particulier et qui peut sembler en décalage (parce que trop prestigieux, trop coûteux, etc.) avec le contexte communal. Pourtant aujourd’hui, pratiquement tous – y compris l’opposition municipale puisqu’elle vote avec la majorité au sein de jury de concours d’architecture – reconnaissent que cette orientation urbanistique a constitué un avantage certain pour les projets. Enfin, les communications municipales s’appuient sur un autre point pour souligner ce caractère « visionnaire » : l’inaction de la majorité des maires en matière de formes urbaines permet de valoriser, en négatif, l’action de Philippe Pemezec. Celui-ci écrit par exemple, à propos du pouvoir du maire en matière d’architecture : « Les maires ont une responsabilité extraordinaire et ils ne veulent pas en prendre conscience. Ce n’est d’ailleurs pas simple car le code de l’urbanisme demande au maire d’empêcher que de graves erreurs soient commises, mais n’oblige pas à faire du beau. Moi, j’interprète de façon très interventionniste, parce que je suis ambitieux pour ma ville. »171
4.1.2 Une capacité accrue de prise de décision
Le pouvoir étendu mais contraint des maires en matière urbanisme En principe, le maire possède la légitimité décisionnelle en matière d’aménagement. La décentralisation opérée depuis les années 1980 a largement fait évoluer les champs d’action et les responsabilités du Maire. La légitimité politique du Maire est donc encore plus liée qu’auparavant à sa capacité décisionnelle et à l’efficacité de ces décisions. C’est ce que C. Tiano (2010, p. 9) perçoit comme une « personnalisation du pouvoir et le renforcement des exécutifs locaux. » Tout en gardant sa véracité, cette analyse peut néanmoins être relativisée au regard des mécanismes actuels du projet urbain. En effet, si la figure du maire reste tutélaire (C. Tiano, 171
Plessis Magazine, 14/15 été 1993 - 117 -
2010, p. 9), ses pouvoirs ne doivent pas être surestimée. Puisque « les projets sont des dispositifs d’action collective trans-sectoriels, partenariaux [qui mobilisent] sur des temps relativement longs une pluralité d’acteurs, de groupes et d’institutions » (G. Pinson, 2006, p.4), les décisions sont partagés. La capacité décisionnelle du Maire est de ce fait limitée même s’il peut –potentiellement- emporter la conviction des partenaires et voir le projet aboutir selon les modalités qui lui sont chères. Dans un tel contexte, des outils capables de restaurer cette capacité décisionnelle, ou en tout cas de l’augmenter, peuvent être particulièrement recherchés et profitables pour le pouvoir municipal.
Les formes urbaines : instrument de l’accroissement progressif de la capacité décisionnelle Le Plessis-Robinson donne l’occasion de voir l’augmentation de la capacité décisionnelle du Maire à travers des prises de position urbanistiques concernant au premier chef les formes urbaines. L’élément fondateur de cet accroissement de la capacité décisionnelle réside en effet dans l’affirmation d’une esthétique souhaitée pour les projets urbains. Cette affirmation constitue une prise de position forte dans le sens où : -
Cette esthétique n’a que peu à voir avec l’urbanisme présent au Plessis-Robinson
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Et surtout, elle va à contre-courant de ce qui produit habituellement en optant pour un style traditionnaliste.
Cette prise de position a pour conséquence immédiate d’attirer certains acteurs (promoteurs) centraux pour la mise en place de projets urbains. Une première opération (Quartier Bois des Vallées), de taille réduite, montre l’exemple et permet d’assurer le lancement ou la poursuite d’autres opérations plus ambitieuses (Cœur de Ville et plus tard les phases 3 & 4 de la reconstruction de la Cité-Jardins). La prise de position urbanistique, couplée à certaines valeurs prônées (mixité sociale notamment), est remarquée par les décideurs politiques qui font de la commune une ville-pilote et du Maire, le rapporteur de la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Ville et la Rénovation Urbaine. Pourtant, l’accession à ces postes ne doit pas être tant vu comme une « récompense » attestant de la réussite des opérations du
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Plessis-Robinson que comme la mise en œuvre d’une stratégie de reconnaissance de la part du Maire pour faire connaître et imposer ses choix urbanistiques à tous les niveaux. Bien sûr, cette ascension vers des responsabilités et vers une capacité décisionnelle plus élevé ne se fait pas en un jour. La reconstruction de la Cité-jardins, qui s’étale sur pratiquement vingt ans donne l’occasion de voir cette ascension. En 1990 a lieu le concours international d’architecture pour la reconstruction de la CitéJardins. A ce moment-là, la prise de position du Maire en faveur de l’urbanisme traditionnaliste est déjà actée et connue. Mais comme il explique avec amertume, « pour la cité-haute, je n’ai pas la maîtrise du projet »172. Ce fait est nettement visible dans la composition même du jury du concours. Ce jury est composé de seize membres : quatre pour l’OPDHLM (maître d’ouvrage), quatre pour la ville, cinq architectes et paysagistes, trois représentants institutionnels de l’Etat.173 Le jury est donc composite, sans majorité préétablie. Dans ces conditions, le Maire ne parvient pas à mettre en avant François Spoerry174 qui est finalement interdit de concours (comme le reste des architectes du courant traditionnaliste) par l’architecte en chef.175 Le projet retenu suite à ce concours donne lieu aux réalisations des phases 1 & 2 de la reconstruction de la cité-jardins. Comme signalé précédemment, en 1996 des problèmes de malfaçons apparaissent et donnent lieu à un conflit entre les architectes et l’OPDHLM. Le Maire en profite pour demander un nouveau projet pour les deux dernières phases de la reconstruction. Là encore, la situation n’est pas totalement maîtrisée puisqu’elle va donner lieu à un conflit (le Maire agite la possibilité de classer les terrains des zones 3 & 4 inconstructibles). Mais grâce au soutien de dirigeants acquis à la cause du Maire (et notamment de Charles Pasqua, Président du Conseil Général des Hauts-de-Seine), grâce aux signatures de différentes conventions (Ville-Habitat, PACTE 92), grâce enfin à l’exemple des opérations déjà terminées ou en cours à proximité du site, le conflit va trouver une issue favorable pour la municipalité. Cette victoire marque un accroissement de la capacité de la municipalité, en même temps qu’elle lui donne toute légitimité pour mener la suite des projets urbains. C’est ainsi que le comité technique et le jury qui va organiser le concours pour les 3ème et 4ème phases de la reconstruction de la Cité-jardins seront bien plus favorables au Maire avec une représentation 172
Plessis Magazine, 14/15 été 1993 Petit Robinson, Février 1990 174 Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 175 P.Pemezec, Bonheur de Ville, p.69 173
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renforcée de la ville et surtout l’utilisation du marché de définition qui permet au Maire, s’il le souhaite, d’apporter des modifications au projet retenu. Cette légitimité reconnue en matière d’urbanisme et d’architecture et la capacité décisionnelle qui en découle peut également se lire dans un projet en cours de la municipalité : la réalisation d’un pôle culturel. En effet, alors même que ce projet n’est financé qu’à 45% par la ville (les autres financeurs étant l’État, la Région Ile-de-France, le Conseil Général des Hauts-deSeine)176, le jury est composé uniquement de représentants de la ville et d’architectes sélectionnés par le Maire. Ce qui, en pratique, lui assure une mainmise totale sur les formes urbaines produites au Plessis-Robinson.
4.2 « Faire modèle » : de la ville idéale à une municipalité exemplaire, un projet politique de grande ampleur
4.2.1 Les formes urbaines pour faire modèle
De l’affirmation d’un idéal à la volonté d’exemplarité Il apparaît clairement, au vu de la communication municipale mais aussi des actes concrets, que la municipalité du Plessis-Robinson est lancée dans un projet qui dépasse le strict périmètre des ZAC réalisées. Ce projet – déjà visible dans l’idéalisation d’un certain style urbanistique et architectural177- est de devenir un modèle en matière de rénovation urbaine et de conception de la ville. Cette volonté de faire du Plessis-Robinson un modèle d’urbanisme est présente dès les premières années. Philippe Pemezec écrit ainsi dès 1993 : « Je suis satisfait de voir que cette idée qui m’est chère [construire la ville autour d’un centre urbain avec « de vraies rues et de vraies places »] fait son chemin et que nous allons peut-être arriver à transformer progressivement nos banlieues en véritables villes. »178 Ce souhait va s’incarner dans les différentes opérations d’urbanisme qui seront mises en œuvre. Ainsi, les trois opérations réalisées dans le style traditionnaliste constituent chacune un modèle, un exemple à suivre. 176
Petit Robinson, juin 2011 Voir point 1.3 178 Petit Robinson, Juillet-Août 1993 177
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Pour le Quartier Bois des Vallées, l’accent est mis sur l’idée d’un modèle de mixité sociale (l’opération comporte une part importante de logements sociaux, caserne de gendarmerie et foyer pour jeunes handicapés). Pour le Cœur de ville, c’est avant tout l’exemplarité en matière d’animation et d’activité commerciale qui est mise en avant. Enfin pour les phases 2 & 3 de la reconstruction de la Cité-Jardins, le cadre de vie est particulièrement souligné. Le Maire souhaite d’ailleurs clairement que cette réalisation « devienne au début du XXIème siècle, un modèle. »179
Les visites de personnalités politiques au centre de la reconnaissance de l’exemplarité Un levier essentiel de ce projet d’exemplarité réside dans la venue d’hommes et de femmes politiques, de hauts dirigeants de l’État, pour visiter les réalisations robinsonnaises. Sans rentrer dans le détail des raisons et du déroulement de chaque visite 180, quelques grandes tendances peuvent être dégagées. D’abord, la venue d’hommes et de femmes politiques de plus en plus importants. Si, durant les premières années, les visites sont surtout le fait de personnalités locales (Charles Pasqua, Président du Conseil Général des Hauts-de-Seine et Patrick Balkany, Directeur de l’OPDHLM viennent en 1990), ce sont principalement des ministres (Jean-Louis Borloo en tant que Ministre délégué à la Ville et à la Rénovation Urbaine en 2003 ; Christine Boutin, Ministre du Logement et de la Ville en 2008 ; Chantal Jouanno, Ministre de l’écologie en 2010) et des secrétaires d’État (Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville en 2007 ; Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme) qui viennent par la suite. Ensuite, la fréquence de plus en plus rapprochée de ces visites. Elles correspondent à la fin de l’opération du Cœur de Ville puis s’échelonnent durant les deux dernières phases de la reconstruction de la Cité-Jardins, objet principal des visites. Enfin, les raisons de ces visites évoluent aussi. Si les premières (de Charles Pasqua en 1990 à Nicolas Sarkozy, président du Conseil Général des Hauts-de-Seine en 2006) ont généralement pour but d’apporter ou de montrer une aide en direction de la ville, les suivantes n’ont plus pour objet que de constater et de voir ce qui a été réalisé. 179 180
Petit Robinson, Mai 2001 Une liste non exhaustive des visites est intégrée à la chronologie, voire Annexes, p. 123 - 121 -
Ces visites sont un élément essentiel pour la faisabilité et la réussite des opérations d’urbanisme dans le sens où elles permettent d’obtenir un soutien politique (convention VilleHabitat, PACTE 92, ville-pilote, etc.) ou financier (crédits débloqués pour les opérations d’urbanisme ou la politique de la ville). Plus tard, lorsque les opérations sont réalisées, les montrer permet de promouvoir un résultat et d’essayer ainsi, en présentant aux décideurs un « modèle de ville »181 d’influer sur les grandes orientations urbaines au niveau de l’État. Les personnalités politiques qui se déplacent au Plessis-Robinson portent d’ailleurs de manière récurrente un discours axé dans cette optique de « modèle ». Jean Sarkozy, Conseiller Général des Hauts-de-Seine explique ainsi que, pour lui, « il y a dans cette ville une exemplarité »182 Mais c’est Benoist Apparu, Secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme qui pousse le plus loin l’éloge de ce modèle urbaine puisque pour lui : « Il y a un élément majeur ici, qu’on devrait montrer dans les écoles d’architecture et d’urbanisme, c’est la démonstration pratique de la reconstruction de la ville sur la ville. […] Nous avons là une rupture complète par rapport à cette pensée architecturale [contemporaine] et qui est une réussite totale. Ce qu’on voit ici, c’est clairement ce qu’on doit faire un peu partout en France. »183
Moyens concrets et moyens symboliques Influer sur les grandes orientations est aussi passé dernièrement par la volonté de la municipalité du Plessis-Robinson de peser sur le débat du Grand Paris. Cette volonté naît d’une opposition forte aux projets élaborés par les dix architectes consultés : « [L’action engagée au Plessis-Robinson] doit pouvoir présenter une formidable alternative aux projets délirants qui visent à transformer notre région parisienne, le Grand Paris, en véritable mégapole, devant s’étendre pour certains urbanistes jusqu’à la mer, sur plus de 200km. Face aux tours qui défigurent le paysage, face au développement en goutte d’huile, alignant à l’infini les lotissements sans âme, nous avons un véritable projet de ville »184
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P. Pemezec, Bonheur de Ville, p. 87 Petit Robinson, Novembre 2008 183 Interview filmée de Benoist Apparu lors de son déplacement au Plessis-Robinson 184 Petit Robinson, Novembre 2008 182
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C’est d’ailleurs la raison invoquée pour rejoindre le syndicat Paris Métropole deux ans plus tard.185 L’engagement du Maire en matière de formes urbaines prend aussi volontiers une teneur plus symbolique. C’est ainsi qu’il propose en 2008, la création d’un « nouveau droit opposable : le droit opposable au beau »186 et annonce son entrée en vigueur au Plessis-Robinson. Dans le même registre, alors qu’il est chargé en 2006 par Nicolas Sarkozy de présider la Commission logement de l’UMP et de rédiger un rapport en vue d’aider à l’élaboration du programme du futur candidat, une des pistes qu’il préconise est la création d’une agence de la Haute Qualité Architecturale (HQA). Une telle agence aurait pour mission d’ « abonder les crédits des opérations respectant un cahier des charges en fonction de critères architecturaux. »187 Si cette proposition n’a finalement pas été retenue, elle révèle néanmoins l’influence étendue du Maire et la lecture que font effectivement un certain nombre de décideurs politiques du Plessis-Robinson comme « modèle de ville ».
4.2.2 Exporter le modèle Tout modèle, s’il est réellement pensé comme tel, doit faire l’objet d’une promotion, celle-ci étant destinée à permettre de convaincre des personnes ou des institutions du bien-fondé de la démarche initiale entreprise. Ce n’est qu’en « faisant des émules » que le modèle pourra alors s’exporter et prendre de l’ampleur pour devenir un courant ou une tendance et être davantage reconnu. C’est clairement le chemin que souhaite emprunter la majorité municipale. Six principaux moyens peuvent être identifiés pour faire connaître les opérations d’urbanisme réalisées (les deux premiers apparaissent dans la chronologie sommaire, proposée en p.126)
Les victoires aux concours comme confirmation et médiatisation des opérations réalisées Premier moyen, la municipalité est candidate à un nombre important de concours. La commune a ainsi collectionné les prix français et européens ces dernières années. Ces prix sont de plus en plus prestigieux : si la ville sort victorieuse du Concours de l’Aménagement 185
Petit Robinson, Octobre 2010 Petit Robinson, Juin 2008 187 P. Pemezec, Bonheur de Ville, p. 103 186
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Urbain organisé par le groupe Moniteur et remis pour les phases 1 & 2 de la reconstruction de la Cité-jardins en 1992, c’est dans la seconde moitié des années 2000 qu’elle gagne les concours les plus prestigieux, notamment la seule année 2009 où elle remporte le concours National des Villes188 (mention « Pôles d’excellence Cœur de Ville ») et se voit remettre le Territoria d’Or189 (catégorie « Aménagement des espaces publics »). A noter également que, loin de ne se voir décerner des prix que dans les concours orientés vers un style urbanistique et architectural attendu (comme le Prix européen d’architecture Philippe Rotthier190 en 2008), la ville est récompensée lors de concours ouverts dont le credo est de favoriser l’innovation et l’émergence de nouvelles façons de faire la ville : Prix d’Art Urbain191 remis dans le cadre du séminaire Robert Auzelle (dépendant du Ministère de l’Equipement) en 1999, par exemple. Pour William Pesson, membre de jury à la Fondation Philippe Rotthier, la candidature, tout comme la victoire à ces concours, a pour objectif principal de « créer une émulation autour de
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Le Concours National des Villes est organisé par une association à but non lucrative du même nom, lancée en 2008 par François Rivière (homme d’affaire et chargé de mission ministériel) à la demande de Christine Boutin alors Ministre du logement et de la ville. Des partenariats existent avec la CDC, la Fondation des Maires des Villes Moyennes et la Fondation France Télévision. Le jury est composé d’une douzaine de membres venant aussi bien du monde politique, qu’associatif. Sur les 121 villes et communautés qui avaient candidaté en 2008, cinq ont reçu le label « Pôle d’excellence de Cœur de Ville » qui leur permettent de profiter de la campagne de communication nationale du Ministère de la Ville, avec l’appui de France Télévision. 189 Le Prix Territoria a été mis en place par l’Observatoire Territoria (observatoire national de l’innovation publique). Il récompense chaque année depuis 1986 des innovations qui sont réalisées dans l’ensemble des domaines de mission des collectivités territoriales : démocratie locale, management, ressources humaines, sécurité, sport, aménagement de l’espace, etc. En 2009, le jury, présidé par Michel Mercier (Ministre de l’Espace Rural et de l’Aménagement du Territoire) était composé d’une vingtaine de membres issus du monde de l’entreprise ou de la sphère politique. Les partenariats de l’observatoire sont très nombreux : Sénat, Ministère de la Fonction Publique, Ministère des Affaires Etrangères, CNCD, GPE, AMF, CNFPT, APVF, FMVM, MGV, Villes et Banlieue, Les Eco-Maires, SNDGCT, AITF, ATTF, EUROPA, AFNOR, ARCCOL, COLLCAB, Association des directeurs de cabinet, SFU, IDAP, Innov'Acteurs, Club du e-Public, Gaz de France, Avenance (groupe Elior), Caisse d'Epargne, ORC Image & Stratégies d'Employeur, SITA, Plastic Omnium, La Clé de Voûte, JCDecaux, FIMBACTE, Bien-être à la carte, Maires de France, La Revue Parlementaire, … 190 Le Prix Européen d’Architecture Philippe Rotthier récompense depuis 1982, tous les trois ans environ, une dizaine de ville qui concourent dans des mentions différentes : meilleure reconstruction d’un centre historique, meilleure nouvelle ville, meilleur nouveau village, etc. Le prix est orienté vers les opérations réalisées dans la tradition architecturale européenne. « Il vise à rompre l’isolement et le silence qui entourent une partie importante de la production architecturale contemporaine qui ne trouve pas à s’exprimer dans les revues » comme l’explique un fascicule publié par la fondation en 2008. Ce prix repose sur un parti prit architectural clair puisque, défendant l’architecture traditionnaliste, il entend montrer que « pas plus que la « mal-bouffe », la « mal-architecture » n’est une fatalité. » Le jury est composé d’une douzaine de personnes : architectes, historiens, journalistes. 191 Le séminaire Robert Auzelle est une association reconnue d’utilité publique qui existe depuis 1984 et qui remet chaque année depuis 1997 plusieurs prix pour des opérations réalisées. Si les objectifs du séminaire s’inscrivent dans la mise en œuvre de la politique du Grenelle 2 de l’environnement, deux autres grands critères sont pris en compte : la qualité architecturale et la qualité de la vie sociale. Les membres de l’association sont nombreux : CAUE divers, Promoteurs, Municipalités, RAPT, SEM, grandes écoles, etc. - 124 -
ces réalisations et de montrer qu’elles existent. »192 C’est donc une étape centrale du processus d’exportation du modèle, raison qui explique que ce soit le Maire en personne, accompagné généralement du directeur de la SEMPRO qui défende les projets devant les jurys.
L’évènementiel pour réunir et faire parler du Plessis-Robinson Deuxième moyen très utilisé, l’organisation d’événements en lien avec l’achèvement d’opérations urbaines ou pour dialoguer autour de la thématique des formes urbaines. Les inaugurations des différents quartiers sont en effet l’occasion d’inviter l’ensemble des partenaires du projet mais aussi bien au-delà. L’inauguration de la Cité-jardins en 2008, par exemple est marquée par la présence d’un certain nombre de personnalités locales (Patrick Devedjian, Président du Conseil Général des Hauts-de-Seine ; Charles Pasqua, sénateur des Hauts-de-Seine) mais aussi des personnalités gouvernementales (Christine Boutin, Ministre du logement et de la ville ; Roger Karoutchi, Secrétaire d’État chargé des relations avec le parlement). Mais c’est surtout l’organisation des premières « Journées Européennes de l’Architecture et du Paysage Urbain » en mai 2009 qui marque l’utilisation de l’événementiel comme outil d’émulation autour du modèle urbain proposé par le Plessis-Robinson. En effet, l’événement, entièrement voulu et organisé par la municipalité, donne lieu à une exposition et des visites, mais surtout à plusieurs tables rondes qui rassemblent les professionnels de l’urbanisme traditionnaliste (Léon Krier, Maurice Culot, Xavier Bohl, Marc et Nada Breitman, JeanChristophe Paul, Gabriele Tagliaventi, Sjoerd Soeters) mais aussi de grandes figures qui ne font pas partie de ce courant (Roland Castro, David Mangin, Antoine Grumbach), l’objectif de cette rencontre étant de « réfléchir ensemble à la renaissance de la ville. »193 On peut émettre une hypothèse concernant les raisons de l’organisation d’un tel événement : ne permettrait-elle pas aux professionnels appartenant au courant traditionnaliste –souvent mésestimés par leurs pairs tenants d’un modèle plus contemporain 194- de les accueillir sur un terrain privilégié et de démontrer ainsi le bien-fondé de leur démarche ?
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Entretien avec William Pesson (architecte et membre du jury à la fondation Philippe Rotthier) Petit Robinson, Mai 2009 194 L’article des architectes Isabelle Coste et David Orbach « Qui aime l’urbanisme contemporain ? » est tout à fait édifiant sur ce point 193
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Illustration 7 – Chronologie sommaire (principaux évènements, visites et prix remportés)
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Le troisième moyen d’exportation du modèle, sans doute le plus direct, tient dans la réception au Plessis-Robinson de nombreuses délégations étrangères venues voir et comprendre les opérations communales. L’achèvement du chantier de la Cité-jardins coïncide avec un accroissement important du nombre de ces visites. Pour donner une idée de l’importance du phénomène, pas moins de cinq délégations sont reçues entre novembre 2009 et octobre 2010 , venant du Sénégal (élus de la ville de Ziguinchor), de Suède (organisme de l’Habitat de Stockholm), de Chine (élus de Haidian, district de Pékin ; élus de Wuxi dans la région de Shanghai), et d’Allemagne (élus de la ville de Kiel)195. La venue de ces délégations constitue pour la municipalité une preuve de sa réussite en matière d’urbanisme.196
La réception de délégations étrangères : faire connaître le modèle à l’international Faire connaître la ville à l’étranger passe d’ailleurs par la représentation de celle-ci au sein de plusieurs réseaux et organismes européens ou internationaux. A chaque fois, le portage et l’engagement du Maire sont réitérés. Philippe Pemezec préside par exemple le réseau européen des éco-cités compactes, organisme qui vise à communiquer au travers de publications et d’événements dans toute l’Europe. C’est encore lui et des représentants de la SEM locale qui présentent et défendent le projet lors des 7èmes « Urbaverde, Feira das Cidades sustentaveis » (7ème Salon des villes durables) qui s’est tenu au Portugal en février 2011.197 Là encore, l’objectif est clairement de « faire partager un modèle de ville qui devient une référence. »
Les visites organisées et les ouvrages publiés : sensibiliser les étudiants à des méthodes de conception peu abordées au sein des écoles Quatrième moyen, les visites des opérations réalisées qui se font régulièrement avec les écoles d’architecture, de paysage, d’urbanisme.198 Ces visites ont sans doute pour but de sensibiliser les étudiants à un style de conception qu’ils ne pratiquent généralement pas au sein de leur
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Petit Robinson, Novembre 2009, Mars 2010, Octobre 2010 « Si notre modèle urbain s’exporte, c’est pour cinq raisons principales :[la ville constitue] un modèle de mixité urbaine [...], un modèle architectural […], un modèle patrimonial […], un modèle de ville-durable […], un modèle de cité-jardins », Petit Robinson, Novembre 2009 197 Et suivant : Petit Robinson, avril 2011 198 Entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 196
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école. Or ce sont autant de futurs concepteurs en puissance qui pourront adhérer aux valeurs du courant traditionnaliste. La publication d’ouvrages, cinquième moyen, va également dans ce sens. Le livre de Marc et Nada Breitman Rue du Bois des Vallées, publié (et cofinancé par la Mairie) se veut en effet « particulièrement destiné aux étudiants »199.
L’expertise locale proposée à d’autres communes par le biais de la SEM communale Dernier moyen, sans doute le plus opérationnel de tous, l’habitude de la SEMPRO, la SEM locale d’aménagement, de candidater à des appels d’offres et de travailler à l’extérieur de la Ville. Cette pratique, rare parmi les SEM communales200, permet d’exporter une expérience et le modèle de conception urbaine retenu au Plessis-Robinson. La SEMPRO a ainsi réalisé et réalise actuellement plusieurs opérations, certaines municipalités se montrant intéressées par le profil, l’expérience et les méthodes proposées : la société a récemment été retenu pour une assistance à maîtrise d’ouvrage pour une opération d’aménagement à Romainville (93).
Conclusion Le projet urbain est toujours un projet politique : sa définition, sa mise en œuvre et sa réussite sont de ce fait largement conditionnées par la qualité du portage politique et, en premier lieu, par la qualité de l’engagement du premier personnage municipal, le Maire. Mais celui-ci tire également un net avantage de la réussite d’un projet qui lui est toujours, d’une manière ou d’une autre, rattaché. Dans ce processus où projet urbain et maire peuvent chacun tirer profit de l’action/la réalisation de l’autre, l’utilisation des formes urbaines peut, une fois encore, jouer un rôle primordial pour déclencher une dynamique positive. Cinq points sont à considérer. Le maire, « premier élu » et « premier expert » de sa ville (C. Tiano, 2010, p.9) est néanmoins toujours à la recherche d’instruments capables de renforcer sa crédibilité et sa légitimité. Une prise de position forte et argumentée en matière de formes urbaines et une certaine 199
Petit Robinson, Janvier 1995 Et suivant : entretien avec Hervé Caranobe (responsable de la communication et des relations publiques à la SEMPRO) 200
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connaissance de leurs mécanismes peuvent constituer un atout majeur pour développer cette image d’expertise. Cet accroissement de la légitimité peut avoir deux objectifs majeurs : un objectif électoral (une réélection) et un objectif de gouvernance : accroitre ou acquérir une capacité décisionnelle plus importante. Dans un contexte de gouvernance et de solutions pluralistes, renforcer son propre pouvoir est un impératif pour peser sur les décisions. Un choix de formes urbaines qui se révèle payant (car attractif pour les acteurs économiques et les individus) est capable de créer une confiance (des partenaires externes mais aussi des élus et techniciens municipaux) autour de la personne porteuse de ce choix. Cette expertise développée et cette confiance augmentée peuvent alors emmener l’initiateur du choix, le Maire à assumer des missions de « conseil » auprès d’organismes publics ou politiques. Considéré comme spécialiste des questions urbaines, le Maire du Plessis-Robinson par exemple peut, en étant nommé rapporteur d’une Loi d’Orientation et de Programmation sur la ville, faire bouger les lignes politiques dans le sens qui est le sien. Les projets communaux en sont immédiatement renforcés puisqu’une partie de la démarche qui a conduit à leur réalisation se trouve adoptée législativement. Une autre démarche –loin d’être optionnelle – consiste, à l’aune du succès du ou des projets (ou du moins de la reconnaissance d’une certaine réussite de la part d’acteurs politiques), à essayer d’élever les réalisations achevées à l’état de « modèle ». Modèle sur le plan de l’environnement, de la densité, une opération peut également constituer un modèle en matière de formes urbaines. Cette élévation au rang de « modèle » ne peut passer que par une communication, tout au long du projet sur cette ambition et l’appui (politique et financier) de partenaires et de dirigeants politiques. Etre un modèle ne s’invente donc pas après coup: le statut d’exemplarité ne peut être atteint que si la solution proposée est efficace et originale. Enfin, si l’exemplarité est reconnue par un nombre suffisant d’acteurs, la municipalité et les partenaires du projet peuvent avoir à cœur (et c’est logiquement le cas s’ils croient réellement aux solutions et à l’idéal qu’ils défendent) de faire connaître ce modèle et de l’exporter. Avantageuse pour le Maire, premier VRP de ce modèle urbain, une telle démarche est à même de valoriser fortement les opérations urbaines réalisées en augmentant leur attractivité et leur succès commercial, ce qui ne pourra que bénéficier au(x) projet(s) suivant(s).
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Conclusion générale
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Si les formes urbaines ne font pas le projet urbain, elles sont en mesure de constituer, à chaque étape clé, un instrument pour solutionner les enjeux établis. Chacune de ces étapes - ou plutôt de ces domaines identifiés - ayant été traitée au cours du précédent développement sous l’angle de la capacité d’action des formes urbaines, il ne paraît pas nécessaire d’y revenir ici. Plus utile serait de réinterroger la place de cet instrument et le contexte d’action publique dans lequel il nous apparaît.
L’instrument d’action publique en remplacement des idéologies ? Dans leur ouvrage, P. Lascoumes et P. Le Galès (2005, p.22) posent de manière très claire le problème fondamental que rencontre l’action publique aujourd’hui : « A la question « Qui gouverne ? » - mais aussi « Qui pilote ? Qui oriente la société ? » […] s’est ajoutée la question « Comment peut-on gouverner ? » Cette question, très simple mais fondamentale, est révélatrice de la profonde difficulté des acteurs publics à remplir la mission qui leur est depuis toujours confiée : agir pour le bien commun et dans l’intérêt général. Or, pour ce qui est des projets urbains, le contexte de multiplication des partenaires et donc la nécessaire prise en compte d’intérêts divergents, l’incertitude liée au déroulement mais aussi aux résultats ne plombe pas seulement l’impératif de la primauté de l’intérêt général mais la capacité d’action elle-même. Si « agir » est devenu si complexe, et que l’incertitude dans la posture à adopter et la décision à prendre est ressentie comme étant de plus en plus grande, c’est aussi dû à l’effacement progressif d’un ancien appui de taille : les idéologies. P. Lascoumes et P. Le Galès font ainsi état d’un « contexte politique où prévalent les grands flous idéologiques et où la différenciation des discours et des programmes s’avère de plus en plus difficile. » (2005, p. 35) Face à cette complexification des rapports entre les partenaires de projet et la mise en avant de nouveaux enjeux (environnementaux, sociaux, économiques) quel élu peut encore tenir une ligne politique claire et unique et recourir à une idéologie politique unique pour gouverner ? Les partis politiques sont eux-mêmes en constante révolution pour adapter leur programme aux enjeux qui apparaissent sans cesse et demandent une réponse politique. Dans ces conditions, les programmes sont bouleversés et les stratégies révisées de jour en jour. Comment dès lors, s’attendre encore à retrouver une idéologie claire et unique dans l’action - 131 -
d’un acteur, et à avoir une lecture doctrinale des actions entreprises ? L’analyse que produit G. Pinson (2005, p.225) à propos du projet urbain est bien dans cette lignée, puisque pour lui ce serait : « l’incarnation parfaite de cette idéologie molle et peu identifiable. » Si les idéologies sont en voie d’être dépassées (ou du moins illisibles pour le chercheur), que les discours sont difficilement déchiffrables (parce que –même sur un seul projet- nombreux, contradictoires et évolutifs), c’est encore l’acte, l’action elle-même, qui va constituer l’objet le plus décryptable. Sur cette question, le développement récent de la recherche en matière d’instrumentation de l’action publique est à même d’apporter des solutions. Partant de ce constat, de cette lisibilité difficile des contextes d’intervention et des choix opérés en matière d’action publique –aussi bien pour les chercheurs que, peut-être plus grave encore, pour les décideurs- P. Lascoumes et P. Le Galès (2005, p.35) considèrent que c’est finalement « par les instruments d’action publique que se stabilisent les représentations communes sur les enjeux sociaux. » L’instrument d’action publique serait donc le dispositif permettant d’obtenir un minimum de visibilité et par là même, le dispositif permettant qu’une action soit entreprise.
Les formes urbaines : un nouvel instrument de l’action publique ? Si les instruments d’action publique donnent une lisibilité et une capacité d’action, c’est parce qu’ils sont des réponses concrètes et directes à des enjeux identifiés. Et puisque ces enjeux évoluent sans cesse, les instruments –pour rester efficaces- doivent les suivre dans leur évolution. Pour P. Lascoumes et P. Le Galès (2005, p.30), la recherche de nouveaux instruments peut être envisagée pour deux raisons : constituer une alternative aux instruments existants, ou pour chapeauter des instruments existants, en créant des méta-instruments. Peut-on dire que les formes urbaines constituent un nouvel instrument d’action publique ? Le recours aux formes urbaines pour faire la ville est aussi ancien que les premières cités antiques mais la théorisation de l’utilisation des formes urbaines comme instrument au service de la concrétisation du projet urbain est, elle, tout à fait récente. Si cette théorisation n’est jamais vraiment explicitée au Plessis-Robinson, si les acteurs ne revendiquent pas une « nouveauté instrumentale », (P. Lascoumes, P. Le Galès, 2005, p. 358), les différents points que relèvent ces auteurs pour caractériser et repérer une telle nouveauté semblent se vérifier.
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Pour eux en effet, « chaque annonce d’une nouveauté instrumentale est en général accompagnée de trois grand types de justification ». Ce serait d’abord un geste politique visant à produire « un effet symbolique d’autorité, de rupture avec des actions antérieures et de démonstration de la compétence des gouvernants ». (P. Lascoumes, P. Le Galès, 2005, p. 358) La prise de position de la municipalité du PlessisRobinson contre l’ensemble des productions urbaines du XXème siècle et la situation urbanistique actuelle de la banlieue est l’élément fondateur d’une telle rupture symbolique. La réalisation d’opérations d’urbanisme, véritables manifestes de cette opposition est la concrétisation de cette rupture. Mais reconnues, malgré cette rupture, par un grand nombre de personnalités dirigeantes comme un exemple à suivre, les opérations réalisées deviennent un élément de démonstration de la compétence des gouvernants. Cette « nouveauté instrumentale » se traduit aussi par « une recherche d’efficacité. [Les instruments d’action antérieurs] sont invalidés soit parce qu’ils n’ont pas été mis en œuvre, soit parce qu’ils n’ont pas pu modifier les pratiques antérieures, soit parce qu’ils n’ont pas produit à terme les effets escomptés. » C’est cette dernière option qui est retenue ici : le Maire fait le constat (constat largement partagé d’ailleurs par l’ensemble de la classe dirigeante et des concepteurs) de dysfonctionnements graves liés aux manières modernes d’aménager l’espace. L’utilisation des formes urbaines –de certaines formes urbaines- dans les opérations du Plessis-Robinson donnent, elles, à voir une réussite objective sur de très nombreux points : vitalité commerciale retrouvée, valorisation du territoire, attractivité immobilière nouvelle, finances communales assainies, satisfaction élevée autour des composantes du projet, etc. Un choix avisé en matière de formes urbaines apparaît comme l’instrument central de cette efficacité. Enfin, « la rationalité de l’innovation n’est pas seulement matérielle, elle est aussi axiologique, c’est-à-dire porteuse de valeurs dont l’introduction est censée renouveler ou enrichir l’action publique » (P. Lascoumes, P. Le Galès, 2005, p. 358) L’étude de terrain a permis d’identifier une telle démarche à travers un ensemble de discours porteurs de deux valeurs. La première de ces valeurs, l’humanisme, bien que floue, est plutôt traditionnelle : elle réside notamment dans la mise en avant d’une égalité architecturale pour toutes et tous. La seconde valeur est beaucoup plus originale en matière d’action publique et constitue en cela un réel enrichissement : c’est la mise en avant de préoccupations esthétiques, du « beau » comme outil de création d’un cadre de vie agréable. Les demandes symboliques d’un droit - 133 -
opposable au beau et d’une agence de la Haute Qualité Architecturale vont dans ce sens. Pour les auteurs, ce type de justification se traduit également par « l’entrée de nouveaux acteurs dans la conduite des politiques » or, c’est bien le cas ici, à travers la montée en puissance des concepteurs (architectes, urbanistes) dans les dispositifs communicationnels et politiques.
Quelques implications de ce nouvel instrument L’analyse des mécanismes à l’œuvre au Plessis-Robinson, qui constituent le corps de ce travail, identifie plusieurs implications de l’utilisation de ce nouvel instrument. Nous ne reviendrons donc pas ici sur ces implications mais en présenterons brièvement deux autres, à l’aune d’une lecture par les instruments d’actions publiques. D’abord, notent P. Lascoumes et P. Le Galès, « la création d’instruments d’action publique peut servir de révélateur de transformations plus profondes de l’action publique, de son sens, de son cadre cognitif et normatif et des résultats. » (2005, p. 25) Deux transformations au moins peuvent être identifiées à travers la « nouveauté instrumentale » que constituent les formes urbaines. Première transformation : la volonté d’évoluer vers des instruments d’action publique plus libres, moins normés. En effet, face aux instruments habituels, l’utilisation des formes urbaines comme instrument du projet urbain n’est ni contrainte, ni normée, ni limitée par des processus préétablis. Les acteurs peuvent s’en servir comme ils veulent et si cette liberté marque sans doute un risque, c’est aussi un atout important pour son utilisation. Faut-il y voir le début d’un mouvement plus général vers des instruments moins réglés ? Rien n’est moins sûr tant l’instrument est nouveau et parce que déjà apparaissent des volontés de normalisation (comme l’illustre la proposition d’une Agence pour la Haute Qualité Architecturale). Pourtant, d’ici une possible normalisation à venir, c’est sans conteste la liberté permise par cet instrument qui fera son intérêt. Deuxième transformation : la possible (re)prise de pouvoir de la puissance publique dans les discussions partenariales à travers la possibilité d’emporter la conviction. Le décalage subtil mais réel, entre une analyse de G. Pinson (2005, p. 228) et la situation robinsonnaise illustre cette possible évolution. G. Pinson écrivait en effet que : « A travers l’instrument du projet, l’intervention publique ne consiste pas à imposer la suprématie des régulations publiques mais davantage à organiser la combinaison entre différents types de régulation, combinaison dont - 134 -
on considère qu’elle débouche sur la production d’une ville plus vivable. » La puissance publique apparaît donc en retrait, organisatrice –au mieux- des débats. La mise en parallèle d’un propos du Maire du Plessis-Robinson est révélatrice par son décalage. Alors qu’on l’interroge sur la manière dont il a imposé ses choix urbanistiques et architecturaux dans les projets, il répond : « Je n’ai rien imposé, j’ai préféré convaincre. » De détentrice d’un pouvoir absolu et unique décisionnaire, la puissance publique qui était, ces dernières décennies, devenue faible et en retrait serait-elle en train de trouver un nouveau créneau (emporter la conviction par la démonstration) et par là même, une plus grande capacité d’action ? Outre ces potentielles transformations de l’action publique, une deuxième implication peut être pensée. Puisque que « l’instrument induit une problématisation particulière de l’enjeu, dans la mesure où il hiérarchise des variables » (P. Lascoumes, P. Le Galès, 2005, p. 33) l’utilisation des formes urbaines comme instrument dans le cadre de projets urbains débouche sur une hiérarchisation de ce type. Celle-ci apparaît clairement dans le cadre du cas d’étude : si un certain nombre de valeurs sont convoquées, deux occupent une place particulière et semblent présenter la même importance : le « beau » et la mixité sociale. Mais gageons que, selon le terrain d’étude, au vu de la grande liberté que laisse cet instrument, d’autres valeurs pourraient être présentées comme centrales.
Un instrument peu perçu mais en plein développement ? De très nombreux articles et discours produits ces dernières années font état d’une montée en puissance des styles urbanistiques et architecturaux traditionnalistes (le mouvement du Nouvel Urbanisme en constitue sans doute la figure la plus médiatisée). Nous faisons ici le pari que si, comme au Plessis-Robinson, c’est le style des réalisations qui fait l’objet de toutes les attentions, c’est en fait une tendance beaucoup plus profonde et beaucoup moins visible qui prend de l’ampleur un peu partout : celle de l’utilisation des formes urbaines comme d’un nouvel instrument d’action publique. Ainsi, quid du style de formes urbaines adopté, la grande orientation à voir et qui se fait jour n’est pas tant dans un retour aux sources architecturales et urbanistiques que dans l’utilisation de l’instrument « formes urbaines » pour la réalisation des projets urbains et pour l’évolution des villes.
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Bibliographie & Sources
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Ouvrages & articles généraux
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Ouvrages & articles relatifs au cas d’étude
BRACHET A., « Le Plessis-Robinson : le pastiche primé » in Traits Urbains, n°28 janvierfévrier 2009, pp 53-54 BREITMAN M. & N., Le Plessis-Robinson, rue du Bois des Vallées, Ed. Mardaga, Liège, 1994, 47p Coll., « Un maire, pourquoi faire ? », in Votre Logement (Journal du 1%), n°58 janvier-mars 1992, pp 4-13 Coll., « Cité-jardins, le Plessis-Robinson » in Techniques & Architectures, n°421 aoutseptembre 1995, pp 54-57 - 139 -
DAVOINE G., « La cité jardin de l'an 2000 », in Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, n°4566 31 mai 1991, pp 92-95 DE JARCY X., « Il est pas frais mon pastiche ? La cité-jardins du Plessis-Robinson » in Télérama, n°3101 15 juin 2009 DUMONT M.-J., « Les cités-jardins du Plessis-Robinson », in Le Moniteur Architecture, n°25, octobre 1991, pp 58-62 JACOBERGER-LAVOUÉ V., « Le bonheur au Plessis Robinson », in Valeurs Actuelles, n°3813 24 décembre 2009, pp 76-77 JOFFROY P., « Le Plessis-Robinson, première phase : un quartier au vert », in Le Moniteur Architecture, n°56 novembre 1994, p26-29 LANCON P., « Le Maire du Plessis-Robinson gagne au tribunal son Cœur de Ville », in Libération, 28 janvier 1995 MIALET F., « Le Plessis-Robinson, un jardin au cœur de la cité », in d’Architectures, n°105 octobre 2000, pp 38-39 PEMEZEC P., Bonheur de ville : un maire au chevet de sa banlieue, Ed. Eyrolles, Paris, 2007, 125p SPOERRY F., L’architecture douce, de Port-Grimaud à Port-Liberté, Ed. Robert Laffont, Paris, 1991, 131p THAVEL S., « La nouvelle cité-jardinss du Plessis-Robinson, un projet politique entre ruptures et continuités, qui laisse place au débat », Mémoire de 1ère année (sous la dir. de Lelèvrier C.), IUP, 2009, 74p VINCENDON S., « Le Plessis-Robinson, l’enfer pour la vieille dame très digne », in Urbanismes et Architecture, n°242 novembre 1990, pp 60-62
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Documents officiels relatifs au cas d’étude
CANTON DU PLESSIS-ROBINSON ET DU HAUT CLAMART, La Gazette du Canton, juin 1993 – avril 1998 CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES D’ILE DE FRANCE, Rapport d’observation à l’OPDH (et réponse de l’OPDH), 2008 CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES D’ILE DE FRANCE, Rapport d’observation à la commune du Plessis-Robinson (et réponse de la commune), 2007 DEPARTEMENT DES HAUTS DE SEINE, La politique de la ville à l'échelle d'un département : le PACTE Hauts de Seine, 2000 FONDATION PHILIPPE ROTTHIER POUR L’ARCHITECTURE, Prix Européen d’Architecture, 2008 OFFICE PUBLIC DEPARTEMENTAL DE L’HABITAT DES HAUTS DE SEINE, Une nouvelle ambition pour l’habitat social : Le Plessis-Robinson, 2009 OFFICE PUBLIC DEPARTEMENTAL DE L’HABITAT DES HAUTS DE SEINE, Les réalisations de l’Office Départemental au Plessis-Robinson, 2005 OFFICE PUBLIC DEPARTEMENTAL DE L’HABITAT DES HAUTS DE SEINE, Réaménagement de la Cité Jardin du Plessis-Robinson, Directives Urbaines, 1990 OFFICE PUBLIC DEPARTEMENTAL DE L’HABITAT DES HAUTS DE SEINE, Réaménagement de la Cité Jardin du Plessis-Robinson, Document photographique, 1990 OFFICE PUBLIC DEPARTEMENTAL DE L’HABITAT DES HAUTS DE SEINE, Réaménagement de la Cité Jardin du Plessis-Robinson, Recueil des données, 1990 SEMPRO, La nouvelle Cité-jardins du Plessis-Robinson : chronique d’un concept réinventé et plébiscité (film), 2010 VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, SEM 92, Nouvelle Cité-jardins, A votre tour de choisir, 2001 - 141 -
VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Délibérations des Conseils Municipaux, avril 1989 – mai 1992 VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Journaux municipaux, 1966-2011 VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Le Plessis Magazine, juin 1989 – décembre 2010 VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Le Journal de la Cité-jardins, n°3, mai 2008 VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Plan local d’urbanisme VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Dossier de création et de réalisation des ZAC Collège et Cœur de Ville VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Résultats de la téléconsultation sur le thème de la sécurité, février 2010 VILLE DU PLESSIS-ROBINSON, Journées Européennes de l’Architecture et du Paysage Urbain du Plessis-Robinson, « La Renaissance de la Ville », mai 2009
Sites internet relatifs au cas d’étude
Le site de la commune du Plessis-Robinson : http://www.plessis-robinson.com/index.html Le site de présentation de la Cité-jardins du Plessis-Robinson : http://www.plessis-92.com/ Le blog et le forum de la Cité-jardins du Plessis-Robinson : http://www.citejardins.com/ Le
blog
de
Philippe
Pemezec,
Maire
du
Plessis-Robinson :
http://philippepemezec.blogspirit.com/ Le
site
des
architectes
Marc
et
Nada
Breitman :
http://www.breitman-
breitman.com/plessisjardin.html Une interview de Maurice Culot, ancien président de la Fondation Philippe Rotthier, sur le site de la Revue Urbanisme : http://www.urbanisme.fr/issue/guest.php?code=361
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Un article (« Le nouveau centre-ville du Plessis-Robinson : fabriquer une ville sans histoire au prix d’une ville sans Histoire ») sur le site Archicool : http://www.archicool.com/cgibin/presse/pg-newspro.cgi?id_news=4288 Un article (« Qui aime l’urbanisme contemporain ?) des architectes Isabelle Coste et David Orbach sur leur blog : http://coste-orbach.blogspot.com/2008/02/comme-nous-nimaginonspas-trop-le.html Une
discussion
sur
le
forum
PSS
Archi :
http://www.pss-
archi.eu/forum/viewtopic.php?id=30030&p=1 Une
série
d’articles
et
d’interviews
sur
le
site
Explorimmoneuf :
http://www.explorimmoneuf.com/conseils/actualite/detail/article/un-logement-neuf-auplessis-robinson-renaissance-de-la-cite-jardins.html Un article (« Cité-jardinss : La Sempro décroche le Prix Territoria 2009 ») sur le site Servir le Public :
http://www.servirlepublic.fr/actu-epl/720/cite-jardins--la-sempro-decroche-le-prix-
territoria-2009 Un article (« Le Plessis-Robinson : un laboratoire de l’exclusion sociale ») sur le site d’information locale Mon92 : http://www.mon92.com/plessisrobinson/page/3/ Une série d’articles sur le site d’information locale Le journal de Robinson : http://www.lejournalderobinson.fr/ Une série d’articles sur le site de l’antenne locale du Parti Socialiste : http://plessisps.free.fr/ Un article d’Hélène Constanty (« Pemezec ne veut plus être au pain sec ») sur le site d’information Bakchich : http://www.bakchich.info/article2603.html Une série d’article sur le site La vérité sur Pemezec : http://laveritesurpemezec.overblog.com/categorie-1227385.html Un article (« Le Plessis-Robinson, Grand Prix Européen 2008 pour la reconstruction de la ville ») de Blandine Klaas sur le site de France Matin : http://www.francematin.info/LePlessis-Robinson-Grand-prix-Europeen-2008-pour-la-reconstruction-de-la-ville_a17427.html
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Annexes
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Descriptif sommaire des opérations
ZAC Bois des Vallées Maîtrise d’ouvrage : SEMPRO Maîtrise d’œuvre : Atelier ATLANTE Date : 1991-1995 Programme : 85 logements de gendarmes, 370 logements en accession à la propriété, 80 logements sociaux, une résidence pour les jeunes travailleurs handicapés, 500 m² commerciaux de locaux d’activité ou commerciaux Promoteurs : Soderec/Simco, Consortium Foncier du Dôme, Feréal (Nexity), Immobilière 3F, La Lutèce HLM
ZAC Cœur de Ville Maîtrise d’ouvrage : SEMPRO Maîtrise d’œuvre : Agence François Spoerry Date : 1992-2002 Programme : 1090 logements locatifs ou en accession à la propriété, 104 logements sociaux PLI/PLA, un supermarché (moyenne surface), 30 petits commerces environ, un groupe scolaire, une crèche, 4 espaces verts, un gymnase Promoteurs : Franco-Suisse, Meunier Habitat, Immobilière 3F, Soppec, Foncia Construction, Nexity-Seeri
Reconstruction de la cité-jardins phases 1 & 2 Maîtrise d’ouvrage : OPDHLM 92/ SEM 92 Maîtrise d’œuvre : Agence Alluin-Mauduit Date : 1991-1996 Programme : 774 logements PLA, 9 commerces, équipement (jardin de 17 000m²) Coût : 420 millions de Francs
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Reconstruction de la cité-jardins phases 3 & 4 Maîtrise d’ouvrage : SEMPRO Maîtrise d’œuvre : Atelier Xavier Bohl (coordonnateur) Date : 2001-2009 Programme : 1130 maisons de ville et appartements en location ou accession à la propriété, 146 logements sociaux, 80 chambres EHPAD, 6000m² SHON de surface commerciale (30 boutiques), équipements (square, parking public souterrain, halle du marché, maison-relais, crèche, groupe scolaire, poste, pôle culturel), espaces verts (2ha) Promoteurs : Bouygues Immobilier, Cogedim, Sogeprim, Eiffage Immobilier, Franco-Suisse, Habitat Pierre, Kaufman & Broad, Bowfonds Marignan, Les Nouveaux Constructeurs, Sorif (Vinci Immobilier) et Investir Immobilier Ile-de-France, Habitat Pierre, Pitch Promotion et Icade Capri
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Repérage photographique et cartographique
Crédits photographiques :
- SEMPRO (photographies aériennes) - VILLE DU PLESSIS-ROBINSON (communication et archives municipales) - FONDATION PHILIPPE ROTTHIER - OFFICE DEPARTEMENTAL DE L’HABITAT 92 - © GOOGLE - Photographies personnelles
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Ancienne citĂŠ-jardins
Vue vers le sud de l’avenue Charles de Gaulle
Avenue Charles de Gaulle
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Place des alliĂŠs
MarchĂŠ
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Reconstruction de la citĂŠ-jardins (phases 1 et 2)
Vue aĂŠrienne
Vue sur la partie nord
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Vue depuis le parc
Vue aĂŠrienne (vers le sud-est)
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Bois des Vallées
Depuis l’avenue Edouard Herriot
Rue du bois des Vallées
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Le cours Marquis
Depuis l’avenue Edouard Herriot
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Cœur de Ville
Vue aérienne
La Grande Rue
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Le Grand Hôtel et l’horloge
Le chemin des écoles
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Reconstruction de la citĂŠ-jardins (phases 3 et 4)
Vue aĂŠrienne (partie nord)
Chemin et kiosque (partie sud-est)
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Vue aĂŠrienne (ensemble)
Promenade des Berges
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Carte 20 – Relevé des terrains qui ont accueilli des programmes de construction de logements depuis 1990 ou qui font l’objet de projets (les constructions réalisées et achevées en 2011 sont indiquées en rouge ; celles en cours en orange, les terrains indiqués par différents acteurs comme pouvant potentiellement accueillir les prochaines opérations de démolition-reconstruction sont détourés en jaune)
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