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ISABELLE BOUTEILLET L’ENVOLÉE MAGIQUE DES PETITS PAPIERS

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QUI SAIT ÇA ?

QUI SAIT ÇA ?

Elle dessine en déchirant, en superposant la délicatesse des fibres de papier. Cela crée des fragments de personnages vifs de couleurs, des ballets solitaires de silhouettes déliées, des objets doucement chatoyants.

Bruno Seznec

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ISABELLE BOUTEILLET JOUE AVEC LES BRISURES. CELLES DU PAPIER QU’ELLE DÉCHIRE

CONSCIENCIEUSEMENT POUR INVENTER LA MATIÈRE DE SES TABLEAUX.

Elle ne peint pas, ne sculpte pas, n’arrache rien aux choses de la vie qui l’entourent. Discrètement et patiemment, Isabelle Bouteillet joue avec les brisures. Celles du papier qu’elle déchire consciencieusement pour inventer la matière de ses tableaux. Des petits bouts de vélin ou de pages de photocopieuse qu’elle enduit de couleurs, avant de les émietter pour en faire l’encre de ses tableaux. Pas des confettis, plutôt des copeaux jolis et fins qui entrent dans son méli-mélo de prêt à inventer des portraits, des attitudes, des ellipses du corps. Du grain.

C’est avec la complicité de Monsieur Leblanc, maître d’école dans un village normand de la Manche entre Carentan et Cherbourg, qu’Isabelle Bouteillet, jeune élève de 6e dans les années 1970, a pu commencer à farfouiller dans ses bouts de papier pendant la récréation. Leblanc avait vu juste. Une petite fille, pas encore une jeune femme autodidacte, spontanée et qui s’invente un puzzle de couleurs. Le noir, d’abord, et puis le bleu, le rose, le mélange, le dégradé. La composition ne nait pas d’un mélange, mais d’une superposition. Aujourd’hui encore, Isabelle Bouteillet se souvient de ses récréations solitaires et du goût de la matière qui s’imposait à elle.

Peindre ? Non. Composer ? Oui. « La déchirure patiente de ces bouts de papier n’est pas anodine, dit-elle. Elle donne une force au trait que je cherche. Une hésitation avant le geste. Quelque chose de vivant. » Rien d’« intello » dans cela. Il s’agit de combiner la toile et une gamme de nuances. Fabriquer une autre encre. Tirer de la matière un autre aspect du vivant.

Isabelle Bouteillet invente ses couleurs et ses pigments. Elle maroufle ses papiers, fait sécher les feuilles qu’elle a teintes. Mais pas de ciseau. Elle l’affirme : « Déchirer ce n’est pas découper, c’est chercher

DÉCHIRER CE N’EST PAS DÉCOUPER, C’EST CHERCHER LE DESSIN. ATTENDRE - UN PEU - QU’IL VIENNE VERS VOUS.

le dessin. Attendre — un peu — qu’il vienne vers vous. » Mais elle chemine à sa façon. Exemple : les portraits. « Souvent, je commence par les cheveux. Mais le cou est comme un socle. » Alors, elle dessine en déchirant, superpose la délicatesse des fibres, ajuste le faux corsetage de ses silhouettes au regard suspendu et trouve la magie d’un équilibre. En avouant que surprendre un regard reste pour elle une énigme : « Je ne peux pas déchirer des yeux. »

Cocteau disait : « Le papier, c’est la peau du temps qui passe. » Celle du temps retrouvé, aussi. Les portraits de ces femmes sensibles, mais pas fragiles, ne sont pas tout. Les compositions d’Isabelle Bouteillet parlent de vie*. Rien de figé dans ses autres créations qui sortent du cadre de la toile. Comme ces fragments de personnages à deux ou à trois vifs de couleurs, ces galeries de promenades piquées de lumières, ces ballets solitaires de silhouettes déliées, ces objets doucement chatoyants. Le chatoiement, justement : s’accommode-t-il de son univers ? « S’il s’agit de clinquant, non. S’il s’agit de nuances, évidemment. » Et revoilà le bleu, le rose et le dégradé de la cour de récréation. Des couleurs joyeuses. Entre tant d’autres, celles que la palette des papiers garde en surprises.

* Pour toute information sur les créations d’Isabelle Bouteillet : isacobalt@msn.com - isabellebouteillet.com - Instagram : @isacobalt

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