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TABLE DES MATIÈRES 1. INTRODUCTION

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2. 8 SERVICES COLLABORATIFS

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3. RÉFÉRENTIEL

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4. CONCLUSION

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1. INTRODUCTION Sous-louer son appartement le temps des vacances, sa voiture à des inconnus, travailler dans des espaces de coworking, échanger des informations de navigation avec d’autres conducteurs, financer la réalisation d’un documentaire, etc., l’émergence de l’économie dite collaborative se confirme, validée par les succès de services comme Airbnb, site de location d’appartements entre particuliers ou encore du GPS Waze, racheté par Google à près d’un milliard de dollars. L’économie collaborative recouvre une multiplicité de pratiques et de modèles économiques : crowdfunding, co-création, location, usage partagé, financement participatif, etc. Ces pratiques sont soutenues par l’usage massif d’Internet et des objets connectés, tels que les smartphones. Ces derniers permettent une connexion instantanée et géolocalisée, un partage d’informations aisé et une mobilisation collective rapide. L’usager, autrefois client, endosse un rôle actif. Pas seulement parce qu’il choisit entre des offres, mais également parce qu’il en devient producteur, à travers ses contributions diverses : données, temps, biens matériels, connaissances, financements. Ces contributions s’organisent sur des plateformes, physiques et virtuelles, qui permettent la mise en relation de pair à pair. Mises en partage, elles assurent la spécificité du service collaboratif et sa valeur. Rachel Botsman1 soulignait récemment un changement radical à venir : “C’est la fin du consommateur comme on l’entendait. D’ici dix ans il sera mort. Le consommateur ne se définira plus comme tel, mais comme “membre d’une communauté.”

What’s Mine Is Yours : The Rise of Collaborative Consumption, Rachel Botsman & Roo Rodgers, Harper Collins, 2010 1.

Ce profond bouleversement, source d’innovations économiques et sociales, doit être pris en compte par tous les producteurs de services.

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1. INTRODUCTION

L’emploi générique du terme “communauté” pour définir les destinataires et contributeurs des services collaboratifs masque une complexité qui va de pair avec l’absence de définition partagée de l’économie collaborative. Marquées par différentes logiques d’organisation, des leviers d’implication variés, une densité d’échanges plus ou moins importante entre les membres, les communautés sont une composante floue et pourtant structurante de ces services. Ce troisième dossier de prospective du présent propose une analyse sociologique de l’organisation et du fonctionnement des communautés des services collaboratifs. Le cœur du dossier est la présentation d’un référentiel composé de six dimensions - les relations, la sélectivité, l’animation, l’ancrage, l’adaptabilité et la gouvernance -, qui permet de caractériser les communautés selon la nature des services.

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Pour construire ce référentiel, un spectre large de services a été choisi, répondant à des modèles économiques et des objectifs différents, de Airbnb à Trade School, association de cours entre particuliers fondée sur le troc. Le référentiel permet de cerner les enjeux organisationnels soulevés par les modèles collaboratifs et les leviers de mobilisation des communautés. Il peut donc se lire comme un “mode d’emploi” pour créer un service collaboratif en s’appuyant sur des leviers cohérents par rapport à la nature du projet.

L’économie collaborative devrait permettre à ses usagers d’économiser 3,5 milliards de dollars en 2013. Forbes in European Commission, Business Innovation Observatory, The Sharing Economy. Septembre 2013 Observatoire de la confiance. La Poste TNS. Novembre 2013 Chronos - Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs - Janvier 2014


Approche méthodologique Un travail d’analyse documentaire, de veille, d’entretiens et d’implication dans des réseaux, dont OuiShare, ont permis de préciser les contours des services collaboratifs et les enjeux liés aux communautés. Ces connaissances ont été complétées par des données empiriques. La sélection de services collaboratifs variés constitue une base de cas d’étude pour analyser l’émergence de communautés contributives. Des entretiens semi-directifs avec les porteurs des huit services sélectionnés ont permis d’approfondir la compréhension de ces projets et de comparer leur vision des communautés.

Le référentiel met en exergue six dimensions structurantes des relations entre communautés et services. D’une part, cette analyse rappelle le souci commun aux services collaboratifs de mobiliser des collectifs. D’autre part, elle souligne la diversité des leviers de mobilisation en fonction des finalités poursuivies par chaque service.

Quelques chiffres clés

48 % des Français ont régulièrement recours à des modes de consommation collaboratifs. Observatoire de la confiance. La Poste TNS. Novembre 2013

La Communauté européenne estime à 25% le taux de croissance annuel de l’économie collaborative. Business Innovation Observatory. The Sharing Economy. Septembre 2013

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2. HUIT SERVICES COLLABORATIFS Le dossier s’appuie sur l’analyse de huit services collaboratifs - c’est-à-dire permettant la mise en relation entre pairs et reposant sur leurs contributions pour produire de la valeur. Sans prétendre à l’exhaustivité, la sélection des projets retenus couvre un spectre large de services collaboratifs (mobilité, alimentation, logement, éducation, travail). Ils reposent sur des modèles économiques et de gouvernance différenciés et développés à des échelles géographiques allant du quartier à l’international. Ces fiches d’identité résument la stratégie de lancement du service par rapport à sa communauté et soulignent en quoi les initiatives retenues sont des modèles de rupture.

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Plateforme de location de logements entre particuliers http://fr.airbnb.com N. Blecharczyk, B. Chesky, J. Gebbia Site lancé en 2008 4 millions de voyageurs depuis 2008 Présence mondiale et dans 40.000 villes Entreprise Partage de biens

Quelle stratégie de lancement ? Le bouche à oreille a été le premier moyen de diffusion du service. Pour l’encourager, les responsables du projet s’efforcent depuis sa création de créer et animer des communautés d’usagers afin de favoriser ce type de communication. Des événements plus ou moins formels sont ainsi organisés pour permettre aux hôtes de se rencontrer. Parallèlement, sur la plateforme numérique, le récent module “group” vise à faciliter les dialogues entre utilisateurs. En quoi est-ce un modèle de rupture ? La première motivation de recours au service est souvent financière. Les propriétaires sont d’ailleurs nombreux à réaliser des projets par ce biais (voyages, travaux intérieurs, revenus annexes, etc.). Mais l’attrait d’Airbnb tient aussi à une aspiration à une forme renouvelée de voyage et notamment la volonté de consommer “comme des locaux”.

7 PARIS

Ecole participative fonctionnant grâce au troc http://www.tradeschool.coop/ Collectifs dans chaque ville Depuis 2010 12 500 participants Créée à New York et présente dans 41 villes du monde Association Don de temps, échange de compétences et de connaissances

Quelle stratégie de lancement ? Imaginée par un groupe d’amis, à New York, l’école participative s’est développée en Virginie et à Milan en 2011 au gré des rencontres. En 2012, l’édition d’une nouvelle plateforme en ligne et d’un guide pour lancer une Trade School a permis au mouvement de prendre racine dans d’autres villes. En quoi est-ce un modèle de rupture ? Trade School est une école éphémère participative fonctionnant grâce au troc entre particuliers. Son originalité réside dans la façon de combiner les ressources d’un lieu (espace de coworking, musée, jardin partagé) et de son public avec une offre d’échange gratuit de savoirs.

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Plateforme de covoiturage entre particuliers http://www.blablacar.com/ Frédéric Mazzella Création de la société en 2006 4 millions inscrits , 600.000 passagers/j. Dix pays couverts, présence de bureaux dans six pays Entreprise Partage de biens

8 ICI Montreuil

Espace de coworking et FabLab à destination des artisans et artistes montreuillois http://www.icimontreuil.com/ Nicolas et Christine Bard Ouverture en janvier 2013 Environ 120 abonnés Montreuil Société coopérative Partage de compétences et de connaissances, don de temps

Quelle stratégie de lancement ? BlaBlaCar s’est fait d’abord connaître des usagers par le bouche à oreille. Des partenariats avec des marques ont ensuite renforcé la connaissance du covoiturage par le grand public. Des évènements ponctuels, comme des grèves SNCF, ont constitué d’autres opportunités de communication. Le service va désormais à la rencontre des covoitureurs avec des événements comme le BlaBlaTour. En quoi est-ce un modèle de rupture ? Générer un sentiment de confiance entre inconnus est le principal frein au développement du covoiturage. BlaBlaCar a identifié deux leviers majeurs pour dépasser cette contrainte : d’une part, les paiements sont effectués à l’avance et l’argent perçu une fois le trajet effectué ; d’autre part, une régulation entre pairs, avec des avis sur le voyage, permet d’apprécier la qualité du trajet et la fiabilité du conducteur.

Quelle stratégie de lancement ? Deux ans avant l’ouverture du lieu, les porteurs du projet créent la marque Made in Montreuil destinée à valoriser le potentiel artistique de la ville. S’ensuit la publication d’un guide, d’un livre, l’animation d’une page Facebook et l’organisation d’événements. Autant d’étapes pour rassembler une communauté créative locale. En quoi est-ce un modèle de rupture ? Outre la mutualisation des machines pour prototyper et construire, le lieu vise le développement de l’activité artistique et artisanale locale. L’existence d’une communauté de créatifs apparaît comme une condition de succès. Si le lieu est aujourd’hui ouvert aux abonnés à plein-temps, mi-temps et à la journée, l’objectif à terme est de réserver son accès aux résidents “permanents” pour permettre l’existence d’un collectif d’acteurs solidaires.

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2. 8 SERVICES COLLABORATIFS

Quelle stratégie de lancement ? Au départ, le service a mobilisé des réseaux personnels et une communauté “offline” pour démarrer. Son essor s’est appuyé sur l’organisation d’événements et l’amélioration des fonctionnalités de la plateforme. En 2010, première année, le taux de réussite des collectes était de 35 %. Aujourd’hui, il atteint 60 %. En quoi est-ce un modèle de rupture ? KissKissBankBank est l’un des pionniers du crowdfunding en France, prônant le modèle du don contre rétribution en nature. L’originalité du modèle réside dans la création d’une plateforme permettant de se passer des intermédiaires classiques dans le financement de la culture (labels, producteurs, banques, etc.) pour soutenir la créativité entre individus.

Plateforme de financement participatif dédiée aux projets créatifs http://www. kisskissbankbank.com Vincent Ricordeau Site lancé en 2010 222.000 profils France, Allemagne, Italie, Angleterre Entreprise Don d’argent

9 Quelle stratégie de lancement ? La création d’une plateforme technique et la construction d’une communauté d’usagers ont été menées en parallèle. Dès l’automne 2010, les pré­ inscriptions étaient ouvertes et dès mars 2011, il était possible de créer une communauté et d’échanger grâce à des fonctionnalités de discussion en ligne. En quoi est-ce un modèle de rupture ? L’innovation repose sur la plateforme virtuelle de vente et de mise en relation entre membres et producteurs agricoles et sur la souplesse de la formule. Les membres ne sont pas tenus de passer commande à chaque distribution. L’animation repose sur les responsables de ruches pour fidéliser des consommateurs, identifier les producteurs et encadrer les distributions.

Réseau de communautés d’achat direct aux producteurs locaux http://www. laruchequiditoui.fr Guilhem Chéron et Marc-David Choukroun 2011 344 ruches actives et 93 en construction France Entreprise, agrément ESS Don de temps, mutualisation des ressources

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2. 8 SERVICES COLLABORATIFS

Supermarché coopératif à New York http://www.foodcoop.com/ Joe Holtz, cofondateur et directeur actuel Depuis 1973 16.000 membres Brooklyn (NY) Société coopérative Don de temps, échange de compétences, mutualisation des ressources

Quelle stratégie de lancement ? Le lancement de Park Slope Food Coop en 1973 visait à démocratiser l’accès aux produits alimentaires de qualité. Depuis le début de la crise en 2008, les demandes d’adhésion augmentent, essentiellement par le bouche à oreille. Un mode d’emploi en open source sur le web permet la création d’autres coop sur le même modèle. En quoi est-ce un modèle de rupture ? Les membres contribuent 3 heures par mois au fonctionnement de la coopérative, ce qui représente les trois quarts de la main d’œuvre, en heures ouvrées et permet d’assurer des prix abordables pour les différents produits. A la différence d’autres services alimentaires en circuits courts, le supermarché propose une offre exhaustive (alimentaire, entretien, etc.).

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Espace de coworking à Paris, 19e http://www.mutinerie.org A., W. et E. Van Den Broek, X. Jacquemet Depuis mars 2012 180 membres Paris 19e Entreprise Partage de compétences et de connaissances, don de temps

Quelle stratégie de lancement ? Mutinerie s’est lancé par le bouche à oreille, à partir d’une communauté organique. En affirmant une identité forte, les fondateurs ont créé une communauté autour d’un lieu, qui s’appuie sur l’initiative individuelle des usagers pour l’animer. Une reformulation permanente de l’offre et des formules d’abonnement souples permettent de s’adapter aux besoins des travailleurs indépendants. En quoi est-ce un modèle de rupture ? Porté par l’essor du coworking, Mutinerie se distingue par une capacité d’innovation à partir des nouvelles formes de travail (mobile, indépendant, collaboratif, etc. ). En 2014, ouvriront Mutinerie Village, lieu de coworking à la campagne, et Co-pass, système d’abonnement en réseau dans les espaces de coworking internationaux.

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3. RÉFÉRENTIEL Outil d’analyse des stratégies de mobilisation de communautés Le référentiel est un outil d’analyse de la fabrique des services collaboratifs. Là où le terme “communauté” était générique et simplificateur, ce travail vise à réintroduire de la complexité et propose une analyse sociologique de la structure et du fonctionnement de ces communautés, grâce aux six dimensions qui suivent. Deux dimensions décrivent la fréquence, l’intensité des liens de même que les frontières plus ou moins poreuses du service. _ RELATIONS - la densité des liens générés par le service _ SÉLECTIVITÉ - les conditions d’accès au service La mobilisation du numérique n’exclut pas une inscription territoriale, dont rendent compte les deux dimensions suivantes. _ ANIMATION - l’articulation du “on line” et du “off line” _ ANCRAGE - la relation des services aux territoires Les deux dernières dimensions montrent comment l’usager est impliqué à des degrés divers dans la fabrique du service. _ ADAPTABILITÉ - le degré de flexibilité du service _ GOUVERNANCE - les modes de gouvernance Trois indicateurs, associés à chacune des six dimensions, permettent de distinguer plusieurs modes d’organisation et d’implication des communautés. Chacun des huit services est positionné sur un axe dynamique, dont le travail de design donne une lecture simplifiée.

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Relations La densité des liens générés par le service La dimension “RELATIONS” s’appuie sur les travaux du sociologue américain Mark Granovetter (1973) sur les liens forts et les liens faibles1. Il caractérise la densité d’un réseau social en fonction de la nature des liens (fréquence, intensité).

LIENS PONCTUELS

Analyse Le fonctionnement des services collaboratifs repose sur la capacité de mise en relation entre individus, et, ce faisant, la création de liens. La densité des liens qu’un service génère, en quantité et en qualité, est une condition de son succès. Certains services reposent principalement sur des liens forts, d’autres principalement sur des liens faibles, ce qui est lié à la nature très différente des services analysés. Alors qu’une plateforme numérique génère une multiplicité de liens faibles ou ponctuels, les services ancrés dans des lieux physiques sont plus à même de générer des liens forts.

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Cependant, les modèles hybrides dominent. Un même service peut donc souvent générer des liens ponctuels, faibles voire des liens forts. Pour les usagers, ces services constituent des espaces de sociabilité qui permettent de choisir la teneur des liens : simple transaction financière, discussion, élaboration d’un projet commun.

Le service met ponctuellement en relation des individus qui peuvent n’avoir qu’un seul échange pour mener à bien une transaction.

LIENS FAIBLES

Les liens faibles désignent ici des services qui s’appuient sur des utilisateurs / contributeurs intermittents, qui se rencontrent occasionnellement (connaissances, amis d’amis, etc.).

Pour certains services, la pré-existence de liens forts entre les membres de la communauté a constitué une condition de développement ; dans d’autres cas, le service génère des liens a posteriori. Le premier modèle semble plus à même de susciter la création de liens faibles, voire de nouveaux liens forts.

LIENS FORTS Le service permet de nouer des relations étroites et fréquentes.

The Strengh of weak ties, American Journal of sociology, Vol. 78, No. 6, 1973 1

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3. RÉFÉRENTIEL KissKiss BankBank Ici Montreuil Quelqu’un qui clique juste “j’aime” sur ma page facebook il n’est pas dans ma communauté. La communauté, c’est comme les amis ou la famille.

Les premiers contributeurs sont la famille et les amis. Ensuite, il y a un second cercle de relations moins proches, de gens qu’on pourrait appeler des ambassadeurs. Un troisième cercle émerge si le projet parvient à fédérer.

POSITIONNEMENT DES SERVICES Airbnb : Le service engendre des rencontres brèves entre hôtes et locataires. L’ajout du module “groups” à la plateforme numérique vise à faciliter la mise en relation entre hôtes, permettant potentiellement la création de liens. Trade School : Le lancement d’un cours rassemble souvent des personnes proches autour d’un lieu (espace de coworking, local associatif, jardin partagé, etc.). Selon l’intérêt suscité, le cours s’ouvre ensuite à des publics plus ou moins larges. BlaBlaCar : Le site de covoiturage génère des rencontres le temps d’un trajet entre personnes souvent étrangères l’une à l’autre. Ici Montreuil : Ouvert en janvier 2013, le FabLab propose à ce jour plusieurs niveaux d’abonnements (journée, temps plein, mi-temps). L’objectif à terme est de n’ouvrir le lieu qu’aux abonnés pour faciliter la création de liens forts entre ses membres. KissKissBankBank : Les financements collaboratifs proviennent d’abord des personnes proches du porteur de projet (amis, familles). Selon l’engouement pour l’initiative, d’autres cercles plus éloignés contribuent dans un second temps. La Ruche Qui Dit Oui : Si les premiers clients d’une ruche sont souvent des connaissances du porteur de projet, le cercle s’élargit ensuite peu à peu au voisinage. Park Slope Food Coop : La coopérative impose aux membres 3h de travail mensuel. Amenés à travailler régulièrement ensemble, les membres peuvent créer des liens forts. Mutinerie : L’espace de coworking permet la création de liens forts entre les utilisateurs récurrents du lieu mais une plateforme numérique, avec des profils en ligne, facilite la mise en réseau. Chronos - Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs - Janvier 2014

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Sélectivité Les conditions d’accès au service

En s’appuyant sur les déclarations des porteurs de projet et les règles d’usage, la dimension “SÉLECTIVITÉ” évalue les conditions d’accès aux services permettant de garantir la qualité des contributions des usagers.

OUVERT

Analyse Les “frontières” de la communauté - ouverte, poreuse ou engageante - dépendent de la masse critique nécessaire au fonctionnement du service. Les services de pair à pair, qui visent à mettre à disposition des biens, une information, du temps, etc., sont ouverts car l’existence d’une importante communauté de contributeurs est une condition de succès.

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Les services engageants, et, dans une certaine mesure, poreux, cherchent à générer un sentiment d’appartenance, parfois une forme de responsabilité mutuelle, pour fidéliser leurs membres. Dès lors, une “frontière” est définie, marquée par des conditions d’accès et de participation : temps de présence, participation active au fonctionnement du service, implication dans la stratégie, etc. Cette sélection peut être implicite et opérer par une reconnaissance mutuelle entre un collectif et un nouveau membre, qui se retrouvent autour de valeurs communes.

Un service considéré comme ouvert pose des conditions minimales d’adhésion, sans miser sur l’engagement actif, et considère sa communauté comme illimitée. Ce qui importe est la constitution d’une masse critique de contributions, d’échanges et de partages de biens ou de données.

POREUX

Le service repose sur un noyau dur de contributeurs engagés, garants de la qualité du service et de son attractivité, mais il est ouvert à un second niveau de contributions, plus ponctuelles. Des barrières à l’entrée, implicites ou explicites, distinguent les deux niveaux d’implication.

BlaBlaCar Tout le monde est a priori concerné. Il n’y a pas de profil type d’utilisateurs.

ENGAGEANT Le service est engageant lorsque l’ensemble des membres est impliqué dans la durée, de façon récurrente et que la condition d’existence du service repose sur cet engagement. Pour permettre ce fort niveau d’implication, il définit les conditions, plus ou moins explicites, de la participation.

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3. RÉFÉRENTIEL

Mutinerie Les gens choisissent un espace de coworking par affinité avec une ambiance et un lieu. Plus on a une identité forte, plus c’est exclusif, plus la communauté a un sentiment d’appartenance forte, peut-être au détriment de la diversité dans l’espace.

POSITIONNEMENT DES SERVICES AirBnB et BlaBLaCar : La condition d’accès est le respect des règles d’utilisation et le succès de ces services repose sur la quantité des offres et leur bonne répartition sur le territoire. Trade School: La condition à l’entrée est de proposer un cours ou, en tant qu’élève, d’apporter un objet au professeur. L’adhésion est ouverte, mais repose sur un sentiment de responsabilité mutuelle. La qualité des contributions apportées est néamoins essentielle au bon fonctionnement du service. KissKissBankBank : Si l’effet de masse est important, la qualité des projets proposés au financement l’est aussi. La sélection des projets repose à la fois sur les porteurs de projet et sur la validation par les membres. Ici Montreuil : Les futurs résidents passent une journée de test avant de pouvoir rejoindre la communauté. L’ambition du lieu est de favoriser un sentiment de responsabilité mutuelle entre membres. La Ruche Qui Dit Oui : Le service est ouvert et permet de s’inscrire sans participer à chaque vente. Néanmoins, le bon fonctionnement des ruches repose sur un engagement actif de certains membres, notamment pour aider à la distribution. Park Slope Food Coop : Le service impose des conditions de participation claires à tous ses membres qui sont la condition du bon fonctionnement de la coopérative et repose sur un engagement de participation active. Mutinerie : Le lieu fonctionne selon des critères de sélection implicites (temps d’essai, discussion informelles, etc.) qui visent à préserver son identité. Chronos - Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs - Janvier 2014

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Animation L’articulation du on line et du off line

La focale de la dimension “ANIMATION” porte ici sur les moyens on line / off line de construction et d’animation des communautés.

ON LINE

Analyse Quand la première interface d’interaction entre utilisateurs est une plateforme numérique, les moyens d’animation de la communauté sont aussi souvent en ligne. Les services ancrés dans un lieu physique misent naturellement plus sur les échanges hors ligne pour animer le collectif.

Le recours à des outils d’animation en ligne est privilégié : usage des réseaux sociaux, newsletter, animation d’espaces de discussion, etc.

Il est néanmoins intéressant de souligner l’importance de l’espace physique et de la rencontre, quelle que soit la nature du service. La plupart des services dans lesquels la mise en relation entre usagers est d’abord médiée par une plateforme numérique créent des espaces de rencontres hors ligne.

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L’intérêt des stratégies d’animation off line est de créer un espace d’échange entre porteur / animateur du service et utilisateurs qui accroît la confiance dans la fiabilité du service. Par ailleurs, on observe que des organisations et pratiques venues de la culture Internet (non hiérarchiques, horizontales, évolutives, etc.), s’incarnent progressivement dans des espaces physiques.

HYBRIDE Les stratégies d’animation reposent à la fois sur des espaces physiques et numériques.

Mutinerie Je dirais qu’on se sert d’Internet pour être ancré dans le réel. On en est à la phase deux, où l’on transpose les logiques du web dans l’organisation physique.

OFF LINE Les leviers d’implication mobilisés par les porteurs de projet sont essentiellement hors ligne : organisation de temps de rencontre informels, d’activités collectives, d’événements, etc.

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3. RÉFÉRENTIEL KissKissBankBank Notre rôle est de fournir l’outil. Nous faisons aussi beaucoup de rencontres lors d’événements “off line”, qui permettent d’enrichir la communauté.”

POSITIONNEMENT DES SERVICES Airbnb : Aux moyens numériques d’animation s’ajoute l’organisation régulière de rencontres informelles entre hôtes. Trade School : En France, le service fédère des communautés ponctuelles autour des lieux où se déroulent les cours. A Londres, des lieux saisonniers proposent des cours réguliers. Le numérique est alors utilisé pour communiquer auprès des communautés. BlaBlaCar : La stratégie d’animation repose sur des outils numériques à l’exception de l’organisation du BlaBlaTour : un tour de France réalisé par les responsables de la plateforme pour rencontrer les covoitureurs. KissKissBankBank : La plateforme de financement est on line mais les premiers contributeurs sont souvent des proches. L’organisation d’évènements off line a été une condition de succès de la plateforme. Ici Montreuil : Des stratégies off line et on line ont été déployées pour constituer une communauté avant l’ouverture du lieu (création d’une marque, recours aux réseaux sociaux, événements, etc.). L’animation physique domine aujourd’hui. La Ruche Qui Dit Oui : Une plateforme numérique met en relation clients et producteurs tandis qu’un lieu physique permet aux responsables des ruches, à leurs membres et aux producteurs de se rencontrer. Park Slope Food Coop : L’organisation de la coopérative se passe presque exclusivement hors ligne : activités de fonctionnement mais également gestion d’une crèche par / pour les membres, production d’un journal, organisation d’événements, etc. Mutinerie : L’ambition du lieu est de transposer les modes de créativité du web dans un espace physique pour permettre aux individus qui n’échangeaient auparavant que on line (travailleurs indépendants) de se rencontrer dans un espace physique. Un réseau social interne permet ce va et vient.

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Ancrage La relation des services aux territoires La dimension “ANCRAGE” s’intéresse à l’échelle géographique et aux stratégies de déploiement des services collaboratifs sur le territoire.

MONDE

Analyse Les stratégies de développement des services varient selon leur rapport au territoire. Les services hyperlocaux ne peuvent être réplicables tels quels car ils s’appuient sur les ressources d’un territoire, qu’ils viennent mobiliser et renforcer. Ils peuvent en revanche inspirer la création de services comparables et/ou opérer une mise en réseau avec des services existants.

Cet indicateur caractérise des services créés pour une échelle nationale et/ou internationale et pour lesquels les spécificités territoriales jouent peu sur la nature du service.

Lorsque le service ne repose pas sur un lieu spécifique, des stratégies diversifiées émergent (franchises, filiales). L’adaptation au contexte local est plus ou moins nécessaire selon les services.

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Néanmoins, la notion de “relocalisation” de l’activité est dans tous les cas stratégique. Les services collaboratifs déplacent les modes de production et de consommation hors des canaux et lieux traditionnels (banques, supermarchés, bureaux, chaînes hôtelières, loueurs de voitures, etc.) pour en faire émerger de nouveaux qui s’appuient sur des ressources locales et distribuées. Pour les porteurs de projets, la notion de relocalisation est un facteur de légitimité du service. Pour les usagers, cette stratégie est un facteur d’attachement et de fidélisation.

LOCAL Ces services s’adaptent aux lieux et territoires dans lesquels ils s’inscrivent, tout en respectant une identité et des règles communes.

La Ruche Qui Dit Oui Dans certaines communes, la période de distribution est devenue le moment d’échange hebdomadaire entre personnes d’un même quartier ou village. Une ruche redynamise la vie locale.”

HYPERLOCAL Cet indicateur définit des services attachés à un lieu propre, qui est conçu et/ou évolue en collaboration avec ses utilisateurs.

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3. RÉFÉRENTIEL

Trade School La communauté du lieu induit les thématiques de cours.

POSITIONNEMENT DES SERVICES Airbnb : La plateforme a d’emblée été pensée dans une stratégie d’ouverture internationale. Dès son lancement, à San Francisco, n’importe qui, partout dans le monde pouvait s’inscrire sur le site. Trade School : Né à New-York, Trade School s’est ensuite développé dans d’autres villes mondiales, dans une logique de réplication du modèle. Le choix du lieu de cours a cependant souvent une influence sur la nature du cours et la communauté rassemblée. BlaBlaCar : Avec 10 pays couverts depuis la création de la société en 2006, le service de covoiturage s’inscrit dans une stratégie de développement par filiales. KissKissBankBank : La plateforme n’a pas d’ancrage géographique a priori. Cependant, la recherche de financements s’appuie souvent sur des logiques de proximités, sociales et territoriales. Ici Montreuil : L’objectif du FabLab est de soutenir les savoir-faire artistiques et artisanaux de Montreuil pour créer une filière de production locale. Le lieu est par définition unique car il évolue avec la communauté des membres qui y travaillent. Les sociétaires de la coopérative sont tous des acteurs montreuillois. La Ruche Qui Dit Oui : Le service fonctionne sous forme de franchises, chacune associée à un lieu de distribution. Il peut être qualifié de local parce qu’il tisse un réseau de distributeurs / consommateurs sur un territoire régional et s’appuie sur des lieux de distribution. Park Slope Food Coop : Le supermarché collaboratif de Brooklyn refuse d’ouvrir d’autres espaces, mais soutient la création d’autres supermarchés coopératifs, comme la Louve à Paris. Mutinerie : L’espace de coworking a déployé une logique de mise en réseau avec d’autres espaces dans le monde à travers un abonnement nomade (copass). Chronos - Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs - Janvier 2014

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Adaptabilité Le degré de flexibilité du service

Les services collaboratifs reposent sur les contributions des usagers. Mais dans quelle mesure ces contributions sont-elles prescrites ? La dimension “ADAPTABILITÉ” évalue la possibilité, pour les utilisateurs, d’agir sur les modalités d’usage du service.

USAGE PRESCRIT Un service collaboratif dans lequel les usages sont prescrits prédéfinit ses modes d’utilisation et contrôle leur respect.

Analyse Le concept “d’outils conviviaux”, théorisé par Ivan Illich1, désigne la possibilité, pour l’usager, de maîtriser les outils de production et de leur conférer des intentionalités. Autrement dit, de n’être plus conditionné par les outils. Cette analyse est souvent mobilisée dans le cadre de l’économie collaborative pour décrire la capacité des services à encourager l’autonomie des usagers. Celle-ci est cependant permise à des degrés divers.

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DÉTOURNEMENT

Si tous les services reposent sur des logiques contributives, certains encadrent ces contributions, qui doivent répondre à des critères précis. Moins que la créativité des utilisateurs, c’est la conformité de leurs contributions à une norme de qualité établie par les porteurs de projet, et réévaluée par les pairs, qui importe. Dans un système de surveillance par les pairs, le détournement peut être le signe d’innovation et permettre de nouveaux usages mais présenter aussi un risque de destabilisation du service. L’enjeu est que les usages détournés demeurent des contributions positives au service.

Des modalités d’usage et des objectifs sont définis mais le service donne lieu à des détournements non réprimés qui peuvent parfois influer sur sa nature.

Certains services intègrent ces détournements dans leur ADN. Dès lors, ils misent sur la créativité des usagers pour faire évoluer le service et s’inspirent des logiques du web (version bêta).

FLEXIBILITÉ Les conditions d’utilisation du service peuvent être modifiées et enrichies par les usagers Tools for conviviality, Yvan Illich, London, Calder & Boyars, 1973 1

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3. RÉFÉRENTIEL BlaBlaCar Il y a des gens qui profitent d’une différence entre prix de marché et de revient et qui, par exemple, proposent un voyage en camionnette avec 9 personnes pour le même prix. On les éjecte.

La Ruche Qui Dit Oui Il est indispensable (…) de permettre des “détournements” de l’objectif principal de la communauté pour en faire émerger des idées de nouvelles fonctionnalités.

POSITIONNEMENT DES SERVICES Airbnb : Si les modalités d’usage sont déterminées, des détournements sont tolérés par les responsables du service. Pour générer un revenu complémentaire, des hôtes vont par exemple loger chez des proches lorsqu’ils louent leur appartement. Trade School : Trade School laisse une une autonomie complète aux membres dans le choix des sujets de cours, dans la définition des modalités d’enseignement, etc. BlaBlaCar : Les modalités d’usages sont déterminées et des tentatives de détournement du service ont pu être réprimées par les animateurs de la plateforme. Ici Montreuil : Afin de favoriser l’appropriation du lieu par les résidents, le FabLab permet aux résidents d’exprimer leur créativité de différentes manières : certains sont par exemple intervenus dans les travaux d’aménagement des locaux. KissKissBankBank : Le cadre d’usage de la plateforme est clairement établi, mais la créativité des membres est une condition du succès du service. La Ruche Qui Dit Oui : Des manifestations annexes se greffent parfois à l’activité des ruches à l’initiative des animateurs. Park Slope Food Coop : Le service encadre la participation des membres et prévient les détournements qui pourraient porter atteinte au collectif. Mutinerie : Les formules d’abonnement souples et l’offre révisée en permanence visent à s’adapter aux besoins des membres. Chronos - Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs - Janvier 2014

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Gouvernance Les modes de gouvernance

La dimension “GOUVERNANCE” analyse les stratégies d’organisation et les modalités de participation politique des usagers à la définition et l’évolution du service.

Analyse Les services collaboratifs ne répondent pas à un type de gouvernance institué. Pour les porteurs de projet, les modalités de participation des membres du collectif sont à définir selon le type et le degré d’engagement souhaités.

PARTICIPATION Des dispositifs traditionnels de participation sont mis en place pour garantir la qualité du service et son adéquation aux attentes des usagers.

Les services collaboratifs caractérisés par la participation mobilisent des stratégies traditionnelles pour garantir la qualité du service et son adéquation aux attentes des usagers. Aux focus groups, enquêtes et autres analyses de besoin s’ajoute souvent une immersion des porteurs de projets, qui ont recours eux-mêmes au service, pour disposer d’un retour utilisateur direct.

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Parmi les services collaboratifs qui privilégient implication ou co-conception, une multiplicité de modalités de mise en œuvre peut être observée : démocratie directe où chacun peut exprimer son accord et voter sur les décisions stratégiques, consultation des membres les plus actifs, etc. Ces modèles de gouvernance, par leur caractère informel, s’inspirent de la culture Internet (gouvernance distribuée, l’horizontalité, la transparence, etc.).

IMPLICATION L’implication du collectif à un niveau organisationnel est décisive pour le fonctionnement du service mais le collectif impliqué n’intervient pas sur la stratégie.

Park Food Slope Coop. Si on veut que la coopérative soit détenue par les membres, on doit mettre en place une démocratie.

CO-CONCEPTION Les services collaboratifs dont le mode d’organisation repose sur la co-conception confèrent au collectif le pouvoir d’agir sur la stratégie et l’organisation.

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3. RÉFÉRENTIEL

AirBnB La communauté pour nous c’est un peu la voix des utilisateurs. C’est grâce aux échanges qu’on a avec la communauté qu’on apprend comment on doit faire évoluer le service.

POSITIONNEMENT DES SERVICES Airbnb : Souvent recrutés parmi les hôtes, les responsables du projet multiplient les espaces d’échanges formels et informels avec les utilisateurs pour obtenir leurs retours d’expérience et faire ainsi évoluer le service. Trade School : Le service repose sur des membres investis et référents, qui prennent en charge son implantation sur un territoire. BlaBlaCar : Le service de covoiturage a recours à la technique des focus groups, avec différents types d’usagers. C’est ainsi que le système de réservation (paiement sécurisé à l’avance) a été défini. Les responsables du service en sont par ailleurs des utilisateurs, pour en éprouver le fonctionnement. Ici Montreuil : Le lieu est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Outre les règles formelles de la coopérative, les membres non-sociétaires sont fortement impliqués dans la gestion quotidienne du lieu. KissKissBankBank : Les porteurs de projets sont en interaction quotidienne avec les membres pour accompagner le succès de leur projet. Cet échange permet d’améliorer les fonctionnalités du service. La Ruche Qui Dit Oui : Le développement de ruches, sous forme de franchises, permet une démultiplication du nombre de porteurs de projet et d’adaptations possibles du modèle (choix des producteurs, animations proposées, par exemple). Park Slope Food Coop : La coopérative est fondée sur un modèle de démocratie directe qui permet à tous les membres d’exprimer leur opinion et de voter sur les choix stratégiques dans un cadre institutionnalisé. Mutinerie : L’espace de coworking ne s’appuie pas sur un mode de gouvernance clairement établi, mais il permet aux membres les plus investis de s’impliquer dans la stratégie. Chronos - Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs - Janvier 2014

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4. CONCLUSION Une nouvelle économie naît de la capacité donnée aux individus de partager des biens matériels et immatériels de pair à pair. Elle opère à travers la médiation de plateformes virtuelles, déclinées dans des espaces physiques. L’enjeu, pour les acteurs économiques privés et publics, est de s’appuyer sur ces logiques pour repenser les services traditionnels. L’immensité du champ est à la mesure de la diversité des services étudiés (mobilité, alimentation, culture, travail, logement, etc.). Si nous nous sommes basés sur des services qualifiés de collaboratifs pour en décortiquer les mécanismes, l’enjeu des communautés constituées autour de ces logiques contributives concerne la production de services dans son entier.

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Derrière le terme “communauté”, nous avons décelé une multiplicité de modèles et proposé une grille d’analyse sociologique pour en comprendre le fonctionnement et l’organisation. Elle montre comment les usagers s’articulent entre-eux grâce aux outils relationnels que sont les réseaux sociaux. On comprend dès lors mieux comment ils donnent naissance à des services collaboratifs. L’émergence des communautés comme acteur clé de la chaîne de production de la valeur souligne un réencastrement du social dans l’économie et change la logique traditionnelle de l’offre et de la demande. L’analyse sociologique des communautés est nécessaire pour comprendre ces nouveaux modèles économiques. Ces services jouent, selon les cas, une fonction intégratrice (définition forte de la communauté) ou agréga-

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trice (définition faible). Entre ces deux pôles, se déploie la complexité des modèles de services. Les six dimensions dégagées par cette analyse sont prises en compte par tous les porteurs de services collaboratifs dans leurs réflexions sur la constitution, la mobilisation, la fidélisation de communautés de contributeurs. Aux extrémités de ce spectre on observe, d’un côté, des communautés dont les modalités de collaboration s’adossent principalement, voire exclusivement, à un support technique (plateforme numérique), avec un faible niveau d’engagement des membres. De l’autre, des communautés se caractérisent par un fort degré d’interdépendance entre les individus et une participation conséquente. Les services collaboratifs s’ancrent dans des lieux physiques (espace de coworking, voiture particulière, supermarché, école, gare, etc.) et dans des territoires dont l’organisation se reconfigure. Ce jeu – entre ancrage territorial et réseaux virtuels – est clé. La plupart des services relève d’une hybridation entre ces deux modalités et souligne une transposition des logiques organisationnelles du web – horizontales, distribuées et ouvertes – dans les modalités de contribution des usagers. Le succès d’un service collaboratif dépend de la cohérence entre les finalités qu’il poursuit et la nature de sa communauté. Des similarités peuvent ainsi être observées entre des services “agrégateurs”, comme Airbnb et BlaBlaCar, et les collectifs qui s’y rattachent. Il en est de même pour les ambitions et les communautés de services “intégrateurs” comme Mutinerie ou Park Slope Food Coop.

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Mais dans tous les cas, la création de liens sociaux est une condition de légitimité du service, elle lui confère un “droit à opérer”. À cette valeur sociale, s’ajoute la relocalisation de la production, le développement de connaissances et compétences individuelles et collectives, l’élargissement de réseaux professionnels, etc., comme autant de bénéfices générés par les communautés. Ces valeurs multiples sont mobilisées par les porteurs de projets comme leviers de motivation des contributeurs. L’estimation de ces valeurs, pas uniquement économiques, et l’enjeu de la rétribution des communautés pour leurs contributions sont des questions centrales. Ce travail sociologique prend pour objet les communautés. Il doit être, bien sûr, approfondi et complété par une réflexion sur les modèles économiques induits par cette reconfiguration organisationnelle. C’est notamment l’objet d’une récente étude1 de la Commission Européenne sur les modèles économiques des marchés pair à pair. Dans tous les cas, on ne pourra maîtriser ces modèles sans interroger les formes d’organisation des collectifs qui les tirent. C’est cette nécessaire recherche que nous espérons avoir fait avancer ici.

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Accessibility Based Business Models for Peer-to-Peer Markets, Business Innovation Observatory, Septembre 2013. http://goo.gl/o8VnYR 1

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Janvier 2014 Directeur de la publication : Bruno Marzloff Auteurs : Caroline de Francqueville et Anne de Malleray Conception et réalisation : Marc Chataigner Conseils : Laurence Sellincourt et Léa Marzloff Secrétariat de rédaction : Anne de Malleray Remerciements : Nous remercions tous les porteurs de projet qui ont pris le temps d’échanger avec nous, ainsi que l’équipe Chronos pour ses contributions diverses. Chronos, cabinet d’études et de prospective 4, rue du Caire 75002 Paris contact@groupechronos.org 01 42 56 02 45

Précédents dossiers de prospective du présent : Tiers-lieux, tiers-temps - 2011 Comment les hommes bougent ? - 2012 Ces dossiers, réalisés avec le soutien des membres du Groupe Chronos traitent d’une thématique prospective en faisant appel à différentes disciplines : design, sociologie, urbanisme, journalisme...

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‘‘Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs’’ a été réalisé grâce au soutien des membres du Groupe Chronos

Les partenaires du Groupe Chronos


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