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L’IA, autrement ICube
ICube
L’IA, autrement
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Laboratoire de recherche éclaté entre Illkirch-Graffenstaden et le centre de Strasbourg, ICube a su se construire une réputation internationale. Sa spécialité ? L’intelligence artificielle (IA). Terme dont la transparence flirte avec le brouillard. Michel de Mathelin, professeur et vice-président de l’Université de Strasbourg, présente ce complexe scientifique, unique en France, qu’il a participé à fonder en 2013…
C’ est “i cubeuh”, pas “aïe qiub” », s’amusent les chercheurs du laboratoire. I pour informatique, ingénierie, imagerie. Si le nom du laboratoire n’évoque rien pour la plupart des Strasbourgeois, il est à associer à une de ses équipes : l’IRCAD, au cœur de l’Hôpital civil, avec son bloc opératoire alimenté à l’innovation et l’intelligence artificielle. Celle-ci profite du savoir des plus de 650 chercheurs d’ICube et en est l’étendard. Michel de Mathelin, missionné en 2013 pour rassembler six équipes de recherche, a « fondé et rêvé avec eux ce fonctionnement qui bousculait le conservatisme universitaire ». « Ici nous travaillons tous ensemble, il n’y a pas de compétition entre les chercheurs ».
« L’ADN D’ICUBE, C’EST SA TRANSVERSALITÉ ET SA PROXIMITÉ DU MONDE INDUSTRIEL »
Le concept est courant dans les pays anglosaxons, beaucoup moins en France, où le complexe strasbourgeois est unique. « Nous fonctionnons avec des axes transversaux, c’est-à-dire que toutes les équipes et tous les chercheurs disposent des recherches de leurs confrères et consœurs en direct. Cela permet une plus grande efficacité » détaille le directeur du laboratoire. Ainsi, l’imagerie satellite peut entraîner ou vérifier ses données à l’aide de l’imagerie médicale. C’est grâce à ces pratiques qu’émerge, il y a deux ans, un axe IA. « Amené par le plan IA national, nous avons eu des financements et comptons désormais plus de 150 personnes sur cet axe de travail transverse de l’IA, avec en prime des bourses et formations doctorales qui ont permis de recruter de jeunes chercheurs ».
Le développement du complexe ne s’arrête pas là, puisque dans une volonté d’application de la recherche, une chaire industrielle est créée. « Elle est financée par six entreprises alsaciennes, à travers une fondation (Crédit Mutuel, SOCOMEC, Électricité de Strasbourg, Heppner, RSI) ». La chaire permet la naissance ou l’application de projets de recherche utiles aux entreprises et variés, et participe au dynamisme économique de la région. « ICube, c’est la connexion du monde numérique et du monde physique. » Affirmation aisément rattachable aux domaines de l’IA dans leur ensemble.
« TOUT EST IA »
De votre pot de yaourt communicant sa date de péremption, à la télédétection en passant par la médecine, aujourd’hui l’IA est partout. Pourquoi ? En premier lieu, le terme employé est marketing. Vendeur, il séduit entreprises et jurys académiques. Il s’agit surtout d’une réduction. Machine learning et deep learning, utilisés à ICube, en font partie. Derrière ces mots, du traitement de données et un système de réseau de neurones, fonctionnant par entraînement. Pour Cédric Wemmert, professeur et chercheur, l’omniprésence de l’IA s’explique par les capacités informatiques disponibles depuis la fin des années 90. « Avec les nouvelles cartes graphiques, les centres de calculs, et les ordinateurs actuels, on peut désormais appliquer des algorithmes inapplicables auparavant. Ces outils s’adaptent à n’importe quel domaine où il y a des données à exploiter ».
Dans ce laboratoire, déjà unique en France, se détachent certaines équipes. Le SERTIT permet à la sécurité civile et aux ONG de commander, via deux institutions européennes et internationales, en cas de catastrophe naturelle ou de volonté de suivi de la déforestation, des cartographies rapides. La chaire industrielle travaille en partenariat avec les entreprises alsaciennes et comporte une pépinière. Deux chercheurs présenteront ces équipes.
UNE CHAIRE INDUSTRIELLE POUR STRASBOURG
Portée par Thomas Lampert, enseignant chercheur, la chaire industrielle Science des données et intelligence artificielle d’ICube est une des premières en France. Former les data-scientists de demain, et faire le lien entre entreprises et recherche. Deux buts que Thomas Lampert s’applique à atteindre depuis sa nomination, en janvier 2020, à la chaire industrielle du laboratoire. Cet enseignant-chercheur est
(De haut en bas) Michel de Mathelin, Cédric Wemmert, Thomas Lampert et Michal Parusinski
arrivé d’Angleterre en 2011 pour poursuivre en postdoctorat à Strasbourg. Spécialisé pendant sa thèse en intelligence artificielle, il a travaillé avec des start-up. Cette situation entre les deux mondes offrait le profil parfait pour le poste.
Financée dès sa création par des entreprises, la région et l’ANR, la chaire compte comme mécènes le Crédit Mutuel Alliance Fédérale – Euro-Information, Heppner, Hager Group, le groupe ÉS, Socomec et 2CRSI. Ce réseau est doublé par la plateforme GAIA. Elle mutualise les compétences des ingénieurs de recherche autour de thématiques relatives à la donnée numérique, et permet d’offrir aux entreprises des prestations de service. Une demi-douzaine bénéficient déjà de ces expertises. Le réseau régional ainsi tissé rend cette chaire unique en France.
VISION SUR LE LONG TERME
En outre, Télécom Physique Strasbourg (TPS) et ICube partagent à parts égales la paternité de la chaire. Sous l’impulsion de Thomas Lampert, l’école forme, en s’appuyant sur le réseau d’entreprises, les futurs spécialistes en données. Les élèves ingénieurs de TPS doivent ainsi rendre un projet de fin d’études en rapport avec un besoin d’entreprise. La première promotion est sortie cette année.
La chaire industrielle Science des données et intelligence artificielle est un projet développé sur cinq ans. Force est de constater que son lancement en 2020 n’a pas été freiné par la crise sanitaire. C’est un parfait exemple de ce qu’est capable le paysage économique et scientifique strasbourgeois.
ICUBE, C’EST AUSSI LA VEILLE CARTOGRAPHIQUE FACE AUX CATASTROPHES
Abrité dans un bâtiment adjacent au laboratoire ICube, le SERTIT en est un organe discret. Ce service de cartographie rapide assure pourtant une veille décisive pour les instances européennes et internationales face aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine.
Inondations rhénanes, feux australiens ou méditerranéens, déforestations du globe… le SERTIT est de toutes les urgences. Outil indispensable au déploiement des secours dans de bonnes conditions lors de catastrophes naturelles, la cartographie rapide assurée dans cette unité d’ICube s’y perfectionne inlassablement grâce à la recherche. Copernicus Emergency Management Service (EMS), pour la Commission européenne et la Charte internationale Espace et Catastrophe majeure, à l’échelle mondiale, utilisent le Service régional de traitement d’image et de télédétection (SERTIT). Une veille permanente, assurée par deux personnels de la plateforme permet un traitement rapide des demandes envoyées par le consortium européen et par la Charte internationale. Le fonctionnement est tourné vers l’efficacité. En cas de crise, une fois les images satellites ou radars disponibles et téléchargés, le SERTIT produit et analyse en six à neuf heures les données, pour permettre la disponibilité d’une cartographie en moins de 24 heures auprès du sollicitant d’un des deux dispositifs majeurs. La plateforme strasbourgeoise ouvre également ses services aux assureurs et entités publiques locales.
RENDRE LA RECHERCHE OPÉRATIONNELLE
Lorsque l’on pose la question à Michal Parusinski, ingénieur de recherche au sein du SERTIT, de la plus-value de la plateforme dans ces dispositifs de cartographie, il n’hésite pas : « nous sommes beaucoup plus opérationnels que nos collègues européens. Nous regardons comment mettre en pratique et de manière fiable, comment appliquer la recherche. Et grâce aux axes transversaux d’ICube nous avons les moyens de pousser cette recherche en s’appuyant sur celle d’autres équipes du laboratoire. L’accès aux experts est direct ». Formé à l’Imperial College (Londres) en informatique et mathématiques, Michal Parusinski a été recruté pour son appréhension de l’Intelligence artificielle (IA).
Une partie de son travail, notamment pour les veilles, consiste à appliquer des outils d’IA déjà développés. Comme pour les catastrophes incluant des inondations ou des incendies : « ici nous l’utilisons dans un cadre d’automatisation. Nous avons une chaîne où on lui donne l’image, le programme télécharge et extrait des données. » L’autre est de recherche. Il perfectionne, pour plus d’efficacité, à l’aide du deep learning, la méthode de cartographie rapide : « j’essaie de trouver une recette de création de modèles IA à appliquer. Si ces chaînes fonctionnent, on aura des outils d’entraînement de modèle. Il faudra ensuite savoir comment les utiliser le plus efficacement possible en urgence. C’est en développement.
Je réplique des résultats de recherche, des données et jeux de données académiques. Ce n’est pas exactement la même chose, mais pouvoir reproduire cela et développer dessus c’est une première étape. Grâce à ça, je vois quelle performance je peux obtenir. Maintenant, il me faut pouvoir généraliser. Il y a une partie programmation d’algorithme et de code pour traiter des données, les changer de format ou les adapter. Le code construit le réseau neuronal. Puis l’entraîne de manière itérative. Il y a aussi la phase d’amélioration des performances. Et une partie visuelle ». Pour augmenter les données et permettre d’entraîner l’IA à d’autres situations, les toits de Rio de Janeiro peuvent ainsi être transformés en ceux de Shanghaï.
À terme, ces recherches permettront de cartographier plus rapidement et finement. Avec le SERTIT, ICube s’inscrit non seulement dans le quotidien, puisque la veille de la plateforme est du 24/7, mais aussi dans le concret. D’autant plus au vu de la direction que prennent les besoins en matière de cartographie rapide, du fait du dérèglement climatique. S
La cartographie de la catastrophe de l’arrière-pays niçois en octobre 2020