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Chronique Moi, Jaja
Vodka, no sex et oligarques ! Moi Jaja...
Adieu décadence, adieu la France ! Un mois peinard avec Tato, loin des anti-vax, des pro, des anti-tout. #MentalRelief. Un mois sans Pouxit, aussi. Deux ans que je voulais voir le pays d’origine de Mama, même si, depuis le Covid, Mama a fait le choix de ne pas choisir et de rester à Munich. Tato, lui, n’avait pas envie de se battre contre des moulins à vent. Il avait tendu des perches, proposé des solutions mais aucune ne semblait convenir. Bayern über alles – sans connotation historique. Quoique...
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Les femmes slaves, j’en ai beaucoup parlé avec Tonton Stephen. Longtemps, il les a collectionnées dans un monde parallèle, virtuel. « Celles-ci, tu sais Jaja, elles sont complexes », m’avait-il expliqué. Sans dec’… Mais bon, j’avais envie de creuser le vide abyssal de son analyse, de mener ma propre enquête. Et, d’une certaine manière, d’en apprendre un peu plus sur mes origines maternelles. D’adoption du moins. Sans Mama…
DU FÉMINISME SELON DODO
Alors on a pris l’avion avec Tato. Depuis Baden. Direction Kiev, pour séjourner chez un autre Tonton, qui vit dans un vieil immeuble de feu la nomenklatura soviétique. Tonton Olivier, il n’a pas de femme. Juste deux chats : Voyou et un truc en « a ». Douchka, Dora, Dacia, Grieshka, Lada : je ne me souviens jamais. Les Ukrainiennes, m’a-t-il à son tour expliqué, le lassent. Impossible, selon lui, d’en trouver une de bien. Mentalement, entend-t-il. Parce que la légende urbaine n’en est pas une de ce qu’on a pu vérifier avec Tato, tous deux transformés pour l’occasion en Roger Rabbit. Belles, très belles pour la plupart
d’entre-elles, elle cultivent une féminité qui n’existe quasiment plus à l’Ouest de l’ancien Rideau de fer depuis la fin des années soixante. « Plaisir des yeux – je suis un pingouin, certes, mais un pingouin mâle –, plaisir d’offrir » pourrait être leur devise. Parce qu’ici, au pays des Femen, le féminisme garde un peu des accents de Dodo la Saumure. La femelle humaine sourit, le mâle humain paie en toute circonstance. C’est son rôle. Et que celui-ci n’attende pas un merci en retour tant la chose est intégrée et que chercher à faire évoluer la règle serait au mieux pris pour de la goujaterie.
La femelle, si le mâle sait se montrer généreux, lui fera également part de ses aspirations féministes : voyager – à Dubaï, Istanbul, re-Dubaï, Majorque, Dubaï encore – vivre dans une humble demeure sortie des pages de Elle Déco, et conduire une jolie voiture à plus de cinquante mille euros. Je comprends mieux pourquoi Mama n’aimait pas ses congénères, elle qui était aux antipodes d’un tel romantisme. Un soir, un ami ukrainien nous a expliqué qu’un de ses proches vécut un temps avec une femme ravissante, aimante jusqu’au bout des ongles. Lorsqu’elle apprit que son merveilleux époux avait fait faillite, sa première réaction fut de faire ses valises. Sa deuxième : de les boucler et de partir avec avis de paiement. Ici, Barbie sait être cruelle avec Ken…
BAKER POUR OUBLIER PARKER
Plus chanceux, Tato a rencontré par hasard une séduisante américaine, à Kiev. Avec ce pathétisme qui le caractérise, il ne l’a guère épousée pas plus, à mon plus grand regret, qu’il ne lui a retourné les plumes. Ancienne actrice et doctorante passée par la classe strasbourgeoise de Jean-Luc Nancy, celle-ci l’avait deux soirs durant envoûté dans un petit bar populaire de Maïdan, sur fond de vin géorgien, de mots de Charles Bukowski et de Dorothy Parker, avant de reprendre les airs pour NYC. À peu de choses près, mon cliché de l’érotisme local s’arrêta là un mois durant. Point positif, néanmoins, Tonton Olivier nous a emmenés très rapidement au H Club, afin de me changer les idées. Le H : un lieu interdit aux « sans dents » où se côtoient Grand restaurant, hôtels de luxe, spa, golf, stands de tir et centre équestre, qui n’eut pour moi d’égal que le Charles Baker, un bar caché créé par Roman, un passionné d’épices et de cocktails, auquel on accède par un petit couloir
« Au pays des
Saumure. »
souterrain au carrelage blanc. Au bout de celui-ci, un peu comme chez l’un de mes deux chefs éditoriaux, un petit Aedaen niché derrière une fausse bibliothèque. Tout ou presque, après deux verres, pour me faire oublier le misérabilisme sexuel de Tato. Quelques jours après, Alexander, un journaliste russe qui a fait de l’Ukraine son pays de cœur, vint nous chercher de nuit à la gare de Krivoy Rog, une imposante station minière, à défaut de balnéaire, située dans l’Est du Pays. Adieux forêts, plages et criques fluviales de Kiev. Adieu poésie, évanouie entre cieux transatlantiques, Jigger, Beaker & Flask.
MAROTTES GÉNÉRATIONNELLES
De l’hôtel, où nous avons séjourné deux nuits, je ne me souviens guère que du Karaoké : LE repère des Ukrainiennes, toutes plus désirables les unes que les autres. Souci pour Tato et moi, la moindre chanson était écrite en cyrillique. La moindre parole était prononcée en russe. Une particularité historique de ce pays où connaître la langue de Pouchkine s’avère dans de nombreux cas bien plus utile que de savoir s’exprimer dans celle de Taras Chevtchenko. Du coup, on n’a pas chanté, mais on a tenté avec succès la Vodka locale. Nos journées étaient également assez éloignées du programme estival que je m’étais imaginé : visite de mines à ciel ouvert, rencontre avec des oligarques, un élu local et, quand même, deux charmantes guides – Olenka et Iryna – qui nous ont parlé diversification économique dans une ville rue de 126 km, où Mittal emploie 50 000 habitants sur un peu plus de 600 000. Hubs technologiques, tourisme industriel, énergies renouvelables : trois marottes portées par les nouvelles générations, inquiètes tant de l’impact sanitaire d’un tel productivisme que d’une dépendance à ce qui ressemblerait, à peu de choses près, à un propriétaire économique de la ville.
Fait surprenant, ici, Strasbourg est loin d’être une inconnue. Sergii, le vicemaire de Krivoy Rog – le maire s’étant fait descendre à son domicile deux jours avant notre arrivée… – souhaiterait même développer des liens avec elle, depuis son passage au Congrès des pouvoirs locaux. Économiques, mais également en matière de culture, d’éducation, d’environnement. « Des investisseurs, des consultants, on en cherche partout en Ukraine », nous a-t-il dit. Dans le secteur agricole aussi, où Alexey, un oligarque fermier de Zaporijjia – ville distante de 2 h 30 de Krivoy Rog en mode Mario Kart, où Tato et moi avons eu l’insigne honneur de passer à la télé – nous a même confié un sac de charcuterie et de fromage de sa production pour convaincre d’éventuels partenaires français de la qualité de ses produits. Rentrés en France, et faisant fi de notre mission commerciale, nos palais en furent pleinement assurés.
PETITS CHIENS EN FAÏENCE ET IMAGES PIEUSES
Selon Victoriya, une entrepreneuse aux atouts un brin remaniés, Zaporijjia est la ville qui compterait le plus grand nombre de jolies femmes au mètre carré. Igor, un énième oligarque, cette fois spécialisé dans le secteur des transports, ne l’aurait sans doute pas contredite s’il avait eu vent de cet échange, lui qui ne bouda pas son plaisir à chanter avec elle et son amie Yulia dans sa petite datcha. Sur la longue table du salon, cernée de bibelots en tout genre parmi lesquels de petits chiens en faïence, des images pieuses, des gravures liturgiques sur bois, ou autres bestiaux de foire aux gros yeux multicolores hérités du productivisme chinois, la Vodka – toujours elle – coulait à flots entre moult mets préparés par son entourage. Ceci, alors que tous trois enchaînaient succès régionaux et compositions d’Igor himself, aidés d’une installation karaoké aux normes locales ; comprendre : démesurée.
KGB CONNEXION
Certes, qu’Igor confesse son ancienne proximité avec le KGB ne manqua pas de jeter un petit froid sibérien du côté des filles, mais cela permit au moins à Tato de faire quelques emplettes journalistiques – une lubie qui me le rend parfois agaçant, en particulier en si charmante compagnie. Igor, lui, devint médiatiquement intarissable, criant à l’injustice fiscale imposée aux honnêtes citoyens et entreprises, dont certaines finissaient par se détourner du droit chemin. Deux semaines plus tôt, un entrepreneur européen expatrié à Kiev n’en faisait déjà pas mystère. Son truc : changer le statut légal de sa société tous les deux mois plutôt que de se voir « racketter » par l’État. Pour y parvenir, graisser la patte à quelques fonctionnaires du Trésor suffisait à le rendre confiant en l’avenir. Rencontrée dans un café d’Odessa, Véra, la sœur de
feu un célèbre journaliste ukrainien, ne manqua pas de nous confier à son tour que la fraude était tout autant répandue chez les salariés, secteur des IT en tête. Alors que le salaire mensuel ukrainien ne dépasse généralement pas les 200 à 400 dollars, l’ajout d’une enveloppe en cash – de fait non imposable parce qu’officiellement inexistante – pouvait facilement le rehausser à 2 000 dollars ou plus. Dans un pays où rares sont encore ceux qui croient à la bonne gestion des services publics et des caisses de retraite, cette option salariale aurait, à ses dires, quelque chose de bien ancré dans un pays qui n’en finit plus de se chercher entre post-soviétisme et ultralibéralisme.
PIGEON MARITAL
Autre petite astuce de survie financière, l’appel au pigeon marital : le fameux mâle blanc de plus de 50 ans qui fait appel à une agence matrimoniale pour combler le vide de son existence. Véritable bienfaiteur malgré lui de l’industrie féministe locale, ce que celui-ci ne sait pas est que pour chaque rencard, il paie certes l’agence, mais également la fille qu’il rencontre, via une part des émoluments versés à l’interprète. Ce qu’il ne sait pas non plus est que le contenu de ses échanges littéraires endiablés avec sa « promise » tient bien plus de l’imagination d’une cohorte de ghost writers que du talent inné de celle-ci. Pas plus qu’il n’imagine que lorsque la fille lui propose de le débarrasser du ticket de caisse de ses présents, cela ne s’explique que par le projet de la dame de se les faire rembourser en cash, une fois son Roméo rentré chez lui…
Intarissable sur le sujet, Véra n’en finissait plus de nous émerveiller par tant de malice.
Le dernier soir venu, nous nous retrouvâmes Tato et moi sur les marches de l’Escalier du Potemkine. Face à nous, la mer, le port, et ce groupe – Water In The Amp – qui se plaisait à jouer Soldat de 5Nizza. La guerre, elle, hors une attaque cosaque contre ma personne que j’avais pourtant pris soin d’anticiper en me ravitaillant en matériel militaire auprès du Faeton Retro Cars Museum de Dmitry, un autre ami d’Alexander, on l’aurait presque oubliée, tant personne n’en parle ici. Un peu comme du Covid, joliment inexistant dans les respirations sociales mais aux effets toujours autant ravageurs à en croire, quelques semaines après notre retour, la publication d’un nouveau selfie de Pouxit, transformé en clown. S