Du portrait en cinéma [FR]

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Cannes 2018 / 4 Les morts et les autres : un Indien dans la ville S'aventurer hors de la compétition permet de trouver des films moins soucieux de “ficeler” une intrigue, ouverts à tous les vents, dont ceux du documentaire. Les morts et les autres de Joao Salaviza et Renée Nader Messora (Prix spécial du jury à Un certain regard) suit un jeune indigène du Nord du Brésil, Ihjac. L'adolescent traverse la forêt pour s'arrêter au bord d'une cascade : incipit qui nous mène sur ses pas au cœur du mystère des esprits, puisque son père mort récemment lui parle depuis les eaux. “Organise ma fête de deuil, et je pourrai partir au village des morts.” Le regard ethnographique s'invite dans la fiction; les cinéastes (respectivement portugais et brésilienne) ont passé 9 mois à Pedra Branca, dans la communauté Krahô où vivent Ihjac, sa femme et leur fils. Le rêve est tellement valorisé dans leur culture que le cinéma s'en nourrit, sans tomber dans un onirisme complaisant. Ihjac, en fait, est dérangé par ses rêves, corroborés par la présence d'un perroquet sous l'œil duquel il s'effondre, enfiévré, en pleine forêt ; pas de doute, son corps est traversé par des signes qui le destinent à devenir chamane, lui l'agriculteur qui vient de se choisir un champ à l'écart du village. Le choc de cette élection malheureuse électrocute le calme du portrait ethnographique. Les cahots bruyants d'un camion succèdent au riche tapis sonore des eaux et des bois. C'est la deuxième fois qu'Ihjac vient en ville, où sa femme avait accouché. A la fois aidés et infantilisés, les autochtones peuvent séjourner dans une Maison des Indiens quelque temps seulement, la société comptant sur la solidarité entre Krahô citadins et ruraux, qui fait défaut. Une tension s'instaure entre le désir d'Ihjac de se libérer d'un “destin” programmé par les coutumes, et le risque qu'il court de sombrer dans une solitude urbaine irrécupérable, sans feu ni lieu. La teneur documentaire n'empêche ni la splendeur visuelle du portrait, ni l'émotion d'une fin à la fois douce et implacable, à mille lieues d'un “filmdossier” sur la question indigène au Brésil.

Artiste/auteur Philippe Faucon

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