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Ce qu’une mammographie peut révéler sur la santé cardio-vasculaire : un modèle d’intelligence artificielle en développement
Karine Gariépy t.i.m. Centre d’imagerie médicale Clarke
GRÂCE À L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, LES CALCIFICATIONS ARTÉRIELLES SE RETROUVANT SUR LES IMAGES DE MAMMOGRAPHIE SONT UTILISÉES POUR DÉTERMINER LE NIVEAU DE RISQUE CARDIO-VASCULAIRE DES PATIENTES
En plus d’être le meilleur moyen pour dépister le cancer du sein depuis des décennies, la mammographie peut fournir d’autres informations sur la santé des patientes, notamment sur leur santé cardio-vasculaire. Sur les quatre images de base créées lors d’une mammographie, on peut déceler des indices significatifs concernant l’état des vaisseaux sanguins et ainsi révéler une condition préoccupante. Selon la Société canadienne de l’imagerie mammaire, les problèmes cardio-vasculaires représentent la première cause de décès prématuré chez les femmes canadiennes.
Alors qu’on croyait jadis à une maladie masculine, les femmes sont de plus en plus touchées par ce fléau. Voyons quelques statistiques : les Françaises meurent 8 fois plus de problèmes cardio-vasculaires que du cancer du sein, et les Canadiennes, de 4 à 5 fois plus. Pourquoi les maladies cardiovasculaires représentent-elles la première cause de décès des femmes de plus de 35 ans dans le monde ? Ces pathologies sont détectées moins prématurément que chez les hommes en raison de symptômes plus atypiques. Elles sont, par conséquent, moins adéquatement médicamentées et, de plus, moins facilement traitables.
Sur les clichés mammographiques, on observe parfois des éléments qui se distinguent de la graisse noire par un blanc très vif et qui arborent différentes formes. Ce sont des calcifications. La glande mammaire et la vascularisation sont d’un blanc généralement plus ténu, d’une apparence moins contrastée que les calcifications. Constituées de minéraux calciques, les calcifications ont une densité qui se rapproche de l’os. Et si ces calcifications révélaient des informations importantes sur la santé vasculaire ? Des médecins se sont penchés sur la question en s’intéressant spécifiquement aux calcifications artérielles (figure 1).
L’observation de calcifications artérielles dans les seins sur les images issues de la mammographie était auparavant considérée par les radiologistes comme étant « accessoire ». Ces découvertes « fortuites » sont de plus en plus reconnues comme des informations clés concernant la santé des femmes, en particulier des femmes ménopausées. Souvent de forme oblongue, ces calcifications sont une accumulation de calcium dans la couche intermédiaire de la paroi des artères.
Les séquelles issues d’une mauvaise condition cardio-vasculaire représentent la première cause de décès prématuré chez les femmes canadiennes.
Bien que les radiologistes soient au courant du lien entre leur présence et le risque cardio-vasculaire, ils ne font que rarement mention de la présence de ce type de calcifications en raison de l’absence de lignes directrices pour les rapporter efficacement. Ces opacités sont des biomarqueurs de rigidité artérielle qui s’avèrent prédicateurs de maladies coronariennes.
L’évaluation des calcifications artérielles mammaires observées sur les images de mammographie a été suggérée comme point de départ pour élaborer une grille de classification de la condition cardiovasculaire des patientes. Grâce à l’intelligence artifi cielle, la stratification se fait sans que les professionnels n’y consacrent de temps ou sinon très peu. Un logiciel y étant consacré fait l’objet de plusieurs projets de recherche. Il pourrait remplacer la laborieuse segmentation manuelle autrefois utilisée et, ainsi, considérablement diminuer la charge de travail des professionnels de la santé.
Les séquelles issues d’une mauvaise condition cardio-vasculaire représentent la première cause de décès prématuré chez les femmes canadiennes.
La Société canadienne de l’imagerie mammaire (CSBI) propose l’utilisation de cette échelle de classification qui est basée sur les calcifications artérielles visibles dans les seins (figure 2).
La plupart des femmes ne connaissent pas l’état de santé de leurs vaisseaux sanguins. Parmi les séquelles d’une mauvaise condition cardio-vasculaire, notons la nécrose cardiaque, l’infarctus aigu du myocarde, la cardiopathie ischémique, l’accident vasculaire cérébral, la maladie artérielle périphérique et l’insuffisance cardiaque. De surcroît, une corrélation probante existe entre la présence de calcifications artérielles mammaires et l’hypertension artérielle, l’inflammation, le diabète de type 2 et les maladies rénales chroniques.
En moins d’une seconde, le logiciel détecte automatiquement les calcifications artérielles présentes sur les images et attribue le niveau de risque cardio-vasculaire approprié à chaque patiente.
Cet outil pourrait être un moyen fiable, rapide et peu coûteux pour évaluer le risque cardiovasculaire des femmes qui font leurs mammographies de routine. Compte tenu du succès de la campagne de dépistage, cette nouvelle pratique rend possible l’évaluation d’un grand nombre de femmes qui n’auraient peut-être pas eu accès autrement à l’état de leur statut cardio-vasculaire. En 2022, le taux de participation au Programme québécois de dépistage du cancer du sein s’élevait à 63,4 %.
En moins d’une seconde, le logiciel détecte automatiquement les calcifications artérielles présentes sur les images et attribue le niveau de risque cardio-vasculaire approprié à chaque patiente.
Cette automatisation de la prévention permet une classification du risque cardio-vasculaire faite directement à partir des images de mammographie. Aucun test supplémentaire n’est nécessaire, ce qui constitue une économie de temps considérable. De plus, le temps d’analyse pour chaque image est de moins d’une seconde, ce qui s’intègre bien à la réalité clinique d’aujourd’hui.
Un logiciel d’intelligence artificielle derrière ce diagnostic !
Le logiciel est constitué de millions d’algorithmes pour régir sa prise de décision et son apprentissage. Ce modèle d’intelligence artificielle à base d’apprentissage profond (ou Deep Learning, en anglais) traite les données d’une façon inspirée du cerveau humain. Le puissant système neuronal convolutif apprend par l’exemple. Contrairement aux modèles d’intelligence artificielle d’apprentissage machine (ou Machine Learning, en anglais) composés de milliers d’algorithmes seulement, le Deep Learning n’a pas ou peu besoin d’interventions humaines pour fonctionner.
Lorsque le logiciel repère une calcification artérielle sur l’image, il classe l’image BAC+ ( breast arterial calcification positive). Tous les types de calcifications se voient attribuer un numéro de 0 à 5 correspondant au niveau de dangerosité selon la classification Bi-Rads. Les calcifications artérielles sont toujours Bi-Rads 0, ce qui indique que le risque de malignité est nul.
Chaque image retenue est cartographiée en détail. Le logiciel met en surbrillance les pixels pertinents dans l’évaluation de la condition cardio-vasculaire attribuée à la patiente en tenant compte de la longueur des calcifications observées (figure 3). À l’âge électronique, une telle création permet la réalisation d’études longitudinales d’envergure. Les résultats sont rapidement encodés dans une base de données offrant de nouvelles possibilités d’analyse.
Efficacité et limites du logiciel
Depuis sa création, la percée technologique fut le fruit de plusieurs projets de recherche. Une étude menée à Milan, en Italie, entre 2017 et 2021 a réuni 1493 femmes de plus de 45 ans, avec un âge médian de 59 ans. On y a analysé 5972 images mammographiques. On a trouvé des calcifications artérielles mammaires chez 194 femmes (13%) et sur 581 images (9,7%). La prévalence est donc estimée à 13%. Chez les femmes ménopausées, la présence des calcifications artérielles mammaires correspond à un risque augmenté à l’échelle de 1.23. Quatre classes d’âge ont été créées. Parmi les femmes qui ont des calcifications artérielles mammaires, 6,3% étaient dans la première catégorie d’âge (45-60 ans), 11,6% dans la deuxième (61-70 ans), 34,3% dans la troisième (71-73 ans) et 38,2% dans la quatrième (74-87 ans).
La forte participation au Programme québécois de dépistage du cancer du sein permet la réalisation de projets favorables à la santé cardio-vasculaire des femmes.
Comparé à la méthode de segmentation manuelle, le système informatique est arrivé à des résultats similaires dans 88 % des situations. Bien que le système soit jugé très fiable, il comporte certaines limites. Il a généré des faux positifs, mais de façon comparable à l’analyse humaine, c’est-à-dire dans une proportion négligeable. Le logiciel a été confondu par des ligaments de Cooper et des microcalcifications non artérielles en ligne droite. De plus, seulement deux consoles ont été utilisées pour l’étude. Les chercheurs se demandent comment étendre un tel logiciel à tous les types de consoles.
La forte participation au Programme québécois de dépistage du cancer du sein permet la réalisation de projets favorables à la santé cardio-vasculaire des femmes.
Le Programme québécois de dépistage du cancer du sein cible un taux de participation de 70 %. Faire sa mammographie de routine constitue le meilleur moyen de prendre en considération sa santé mammaire. De plus, l’engouement face au programme de dépistage permet la réalisation d’importants projets visant la santé des femmes. Il y a une panoplie de bonnes raisons de faire ses mammographies de dépistage !
RÉFÉRENCES
« Association Between Breast Arterial Calcifications and Cardiovascular Disease: A Systematic Review and Meta-analysis », Canadian Journal of Cardiology, 2023, [Consulté le 2 janvier 2024].
« Detection and quantification of breast arterial calcifications on mammograms: a deep learning approach », Springer Link, 2024, [Consulté le 3 janvier 2024].
Centre canadien de santé cardiaque pour les femmes, « La différence », [Consulté le 3 janvier 2024].
« Info », Place de la santé, 2022, [Consulté le 3 janvier 2024].
Science Direct, « Screening mammography beyond breast cancer: breast arterial calcifications as a sex-specific biomarker of cardiovascular risk », European Journal of Radiology, [Consulté le 2 janvier 2024].
« Breast calcifications: description and classification according to BI-RADS 5th Edition », Revue chilienne de radiologie, 2016, [Consulté le 3 janvier 2024].
FIGURES
Research Gate, 2024, [Consulté le 4 janvier 2024].
Société canadienne de l’imagerie mammaire, « Canadian Society of Breast Imaging Position Statement on Breast Arterial Calcification Reporting on Mammography », 2023, [Consulté le 3 janvier 2024].
« Detection and quantification of breast arterial calcifications on mammograms: a deep learning approach », Springer Link, 2023, [Consulté le 3 janvier 2024].