Voie lactée ô sœur lumineuse... Apollinaire Depuis sa Racine de U, date de ma première rencontre avec son travail jusqu’à l’exposition de l’Espace d’Art Mille Feuilles, intitulée cette fois 314 mètres cubes... une même et énième énigme parcourt le travail qu’Oussema Troudi dérobe transe, tout autant qu’il déploie visibilité à outrance... Dans ses espaces, Il ne s’agit nullement de décoder et de déchiffrer malgré la prégnance des chiffres dans son spectacle, mais d’accueillir, de se laisser envahir, pour pénétrer son univers... un univers qu’il partage cette fois, avec ses premiers invités, Z. Eightsus, D.V.S.C. Furer et C.Bong... je dis bien «premiers» car nous en sommes, nous qui assistons, les seconds et non les derniers. D’une exposition à l’autre, sa peinture se métamorphose mais imperceptiblement. Malgré les nécessaires apparences qui l’habillent autrement, elle reste la même. Une utopie, un inédit, qui se précise à chaque fois davantage, même s’il avance toujours masqué. Acte I : Une valse à deux tons... Le public présent découvre l’exposition, grandes toiles blanches peuplées d’éclaboussures. Taches éclatées ponctuant les grands dénudés qui vont multipliés. Oussema Troudi y fait chanter le noir, le plus sombre des noirs, celui des rayons et du plus tendre des crayons, lignes qui brodent le vide de chaque page firmament. Les pieds dans le sol ancrés, il tisse de poussière, le parcours de sa danse suprême. Sa chorégraphie raconte les escarbilles nouées, cercles en dentelle, dans le big bang lâchés. Des novas, une paix née traits, de fils sillonnée, sont infini dans la salle amarré. Ses traces de nostalgie relatant l’incommensurable, sont autour du sextant palpables et mesurables... chiffres qui calculent les traces étoiles, jaugeant les nues qui sont hauteurs et qui sont largeurs. Nous apprenons que ce ciel d’ici-bas possède des grandeurs, sept mètres quarante, trois mètres soixante-dix, un mètre soixante, bref, 314 mètres cubes que nos pieds foulent du regard... Sous la lumière atone, Asma Ghiloufi talonne les énigmatiques ampleurs. Une lignée de sonnets s’y abandonne disciplinée et une seconde se détache prose, pour une destinée autonome, Vous voilà | Pris par vous-mêmes | Dans le vertige du suivant | Tourner....
Acte II : Une valse à mille tons... Saisissement ! L’ artiste décide à l’instant, de l’apparition d’une lumière… et la Lumière fût ! Déversement de clarté ! Renversement, c’est le lacté qui sur les pages se fait Présence au détriment des lisières qui disparaissent ! Les grâces ivoirines s’entremêlent, enchantement du lieu ! Ravissement du public ! Nous nous dévisageons, inconnus et nous découvrons paroxysme des éclats ! Des êtres étranges marqués de lumière surgissent, se mêlent au décor de magie planté, tandis que s’élèvent la voix improvisée de deux jeunes barytons pris par la féerie du lieu... Une ombre que cisèle la lumière virevolte, c’est amel qui scintille, lueur étrange dans la galaxie constellée, fée tourbillonnante au-dessus du ciel que nous foulons du pied, surface ébène. Oussema Troudi, son dôme aux sept lieux, il nous le donne en partage. Oiseaux de nuit, nous brillons de mille feux, autant que les giclures, par une trame aux UV accompagnés. Balayés de radiations nous révélons nos lumières, ici et là nous apparaissons essaims d’étincelles et musique des sphères. Notre corps est médium, lucioles sur le sol non plus déchues, mais sauvées. Nous sommes, feux follets gravitant sur le chemin de poussière, traces rayonnantes à même la prunelle. Une fourmilière aux bourgeons, de traits nés, irradie la salle éveillant l’âme du pavé que le limon retient muet. Le flanc des peintures tremble et éclabousse les murs, une trainée d’étoiles. La galerie poreuse est itinéraire, elle mène jusqu’au ciel. Ses limites, ses 314 mètres cubes disparaissent. La voie lactée, nous l’avons qui erre sur notre chair décalage, hyacinthe et or sont ses rivages... « Lueur, flambeau, clarté, vaste éblouissement De porteurs de lauriers et de porteurs de lyre À l’homme encor sauvage enseignant leur délire ; Puis nous reconnaissons parmi des spectres vains Les inventeurs sacrés, les beaux géants divins, Pareils à des lions dont la fauve crinière Embrase leurs fronts d’or que baise la lumière... »
Théodore de Banville
Saloua Mestiri
compresser le temps en tache et la lumière qui s’en détache porteuse de l’infini fumeuse de traces.
A. G.
Papillon sous éclairage ordinaire, Acrylique sur toile, 200 x 450 cm, 2012.
... Mais comme chaque chenille eut la tête aveuglée et laissée noire, et le torse amaigri par la véritable explosion d’où les ailes symétriques flambèrent, Dès lors, le papillon erratique ne se pose plus qu’au hasard de sa course, ou tout comme.
Francis PONGE, Le Papillon.
in Le par ti pris des choses , éd. Gallimard, Collection Poésies, 2006, p. 56.
Trois minutes et quatorze secondes ! Ma réception de la pratique du plasticien subtil qu’est Oussema Troudi fait que je réagisse par le geste dans l’espace et le temps, comme d’autres personnes peuvent réagir par une toute autre manière. En d’autres termes, je me découvre un spectateur si actif, au point que la pureté, la poésie et le souffle nouveau dégagés par les œuvres m’emportent dans le sens des cercles, des spirales et des sphères et ce, jusqu’à la polarisation ! Oussema se rappelle bien de mon message à la suite de notre rencontre cette année quand je lui ai écrit : « Je suis happée par tes sphères et j’y entre ». Par cette déclaration, je communiquais mon accord concernant l’invitation de l’artiste plasticien qui m’est adressée pour agir en performant lors du vernissage de son exposition. En réalité, notre rencontre lors d’une exposition de groupe en Mars dernier : « à dire d’Elles… » à la Bibliothèque Nationale de Tunisie m’a effectivement fait découvrir chez l’artiste un univers qui résonne avec le mien ! En effet, dans le travail d’Oussema Troudi, je respire une légèreté d’être, une clarté et une limpidité du regard, du propos. Le plasticien ramène son geste à l’essentiel : point, ligne -enseignements dispensés par les maîtres de l’art visuel tels Kandinsky et Klee- se suffisent. Sans fioriture, ni détour, Oussema a l’audace, la sûreté et la confiance d’aller droit à l’essentiel, à la quintessence. Au vu des multiples qualités et effets plastiques des toiles et dessins, ajoutées aux spécificités de l‘Espace d’Art Mille Feuilles ; comme un aimant, ces riches et denses aspects réunis m’entraînent dans la danse !
Le tournoiement dans l’infiniment petit de la structure de l’atome, comme dans l’infiniment grand de la structure des planètes et des galaxies, me fait chavirer parfois, sans que je ne tombe. Ainsi, me promène-je non sans prétention dans l’orbite du microcosme et du macrocosme ! Dans le costume mi-immaculé mi-vaporeux, conçu à l‘occasion par la designer Asma Ghiloufi et réalisé par la mère de l’artiste, saisie par l’énergie que diffusent les dessins, les spirales et les sphères d’Oussema, je déambule et roule dans l’espace et le temps ! É-prise dans le tourbillon, le ravissement poussé à son comble, je ne perds le nord que pour mieux le retrouver. Présente, forte et consciente de ma fragilité, certaine et sûre de mon geste, je gravite et tourne, tourne, tourne !!! Rûmi, Béjart, Zarathoustra « le danseur qui philosophait avec ses orteils », m’accompagnent parfois, avec leurs pensées, leurs actions, leur foi et leurs voies respectives. La quête est bien longue et sans fin affirme-t-on, mais ce qui compte est le cheminement, l’instant, la présence, l’action, l’exaltation éprouvée et l’enchantement partagé avec les spectateurs. Nul vertige, mais la tête haute, les pieds et les jambes posés bien droits sur le sol, notre terre. Nord, sud, est, ouest. Les œuvres d’Oussema Troudi ajoutent une liberté et élargissent l’horizon. amel
... et regarda l’œil de nuit celui du jour avec candeur alors furent des cieux et terre fut.
A. G.
Papillon (fragment, pré-vernissage) sous éclairage UV. oeuvre collective. Acrylique et encre UV sur toile, 200 x 450 cm, 2012.
R o tatio n 1 acrylique sur toile, 80 x 80 cm, 2012.
R otati on 4 acrylique sur toile, 80 x 80 cm, 2012.
Série des Rot ations sous éclairage ordinaire, une toile paraît vierge.
Série des Rot ations sous éclairage UV, le dessin à l’encre UV est révélé. une toile de Z . Eight sus 80 x 80 cm, 2012.
Points - Lumière sous éclairage ordinaire acrylique sur toile, 100 x 260 cm, 2012.
Points - Lumière sous éclairage UV en duo avec
DV S C . F URE R
acrylique et encre UV sur toile, 100 x 260 cm, 2012.
Valse vous pris par dans le du to u r n e r, autour du rien que vous le centre tournerez
Migration en duo avec A. G. encre sur toile, 100 x 100 cm, 2012.
du temps voilà vous-mêmes vertige suivant, contingents, invisible appellerez où vous toujours.
A. G.
D eu x Spirales encre sur toile, 100 x 100 cm, 2012.
R encre sur toile, 120 x 120 cm, 2012.
ô hasard ! dans cette aire, si tracée que l’oeil y renaît point et s’y perd où règle n’est plus ni autre ni heure l’âme est comme dans l’eau dissoute.
A. G.
ci-contre : série des
M a nd ala s dessins numériques, 30 x 30 cm, 2012.
M and ala 13 dessin numérique, 30 x 30 cm, 2012.
Po r tée 1 dessin numérique, 60 x 60 cm, 2012.
Installation collective : Balle Perdue. Au fond, de Z. Eightsus : Le Gun d’Eightsus, peinture Fluo sur toile, 100 x 100 cm, 2012. Alignées avec la toile d’Eightsus, Portée 1, 2 et 3 de O. Troudi, dessins numériques imprimés sur plexiglas, 80 x 80 cm, montés sur des socles en bois. De l’autre côté de la salle (page suivante), C. Bong installe sa Scène de crime, dessin à l’adhésif au sol accompagné d’objets numérotés. Pour la photo, Sam Sad marque l’alignement des centres par le faisceau lazer de DVSC. Furer.
C . B ong, S cè ne de cr ime dessin à l’adhésif et objets numérotés. 2012.
accusés de réception lorsque sous les pieds, s’estompent à petits pas les pointes fines du temps, s’offrent au grand jour les craintes, mine de rien vous marcherez sur des miroirs la marche des vivants et sur les murs vous verrez accrochée l’ombre encore humide de vos mains sur la tête.
A. G.
Au centre de la salle, une boussole. Le nord pointe la toile Migration.
« Avec la rigueur d’un fil à plomb, le fanal suspendu au plafond de la cabine mesurait pas ses oscillations l’ampleur de la gîte que prenait la Virginie sous une houle de plus en plus creuse. » Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du pacifique.
Actuellement et jusqu’au 04 janvier 2013, l’espace d’art Mille Feuilles accueille l’exposition de Oussema Troudi. Une exposition placée sous le signe de la performance artistique dans tout ce qu’elle a d’original : sans frontières et sans limites. En effet, Oussema Troudi invite de jeunes talents du Maghreb, d’Europe et d’Afrique subsaharienne : Zanjabil Eightsus, DVSC. Furer et Christopher Bong qui offrent par leur regard une vision particulière de l’art faisant écho à l’œuvre de Troudi. C’est sous le signe de la découverte qu’est placée cette exhibition de travaux qui ne nous laissent pas indifférents de jour comme de nuit… Le blanc et le noir. Un tandem chromatique caractérise l’essentiel de l’exposition. Un Yin et un Yang qui nous placent, nous visiteurs, dans les extrêmes de l’inconnu et de la synthèse de toutes les couleurs. Nous sommes d’emblée placés dans une plénitude première qui nous incite petit à petit à entrer dans l’œuvre. Peu à peu, l’œil est happé par les traits pris dans les cercles concentriques ou dessinant leurs contours. Les lignes s’entremêlent, elles sont raides ou oscillent pour dessiner une spirale infernale. Des formes géométriques, une sorte d’arabesque, peuplent l’espace, le meublent de cette présence tacite d’un mouvement inhérent à l’œuvre entière, comme le travelling d’un cinéma que continuent les points et les taches qui semblent disposés aléatoirement. Pourtant sur la toile ou le plexiglas, elles suivent le mouvement d’une rotondité presque parfaite ou se meuvent en constellation quasi linéaire. Le regard se laisse séduire par cette danse singulière où la condition humaine est le centre de l’attention. La vie paraît dans tout ce qu’elle a de violent et de mystérieux.
Le soir c’est une vision cosmologique qui nous saisit. Sous la lumière noire, d’autres traits et d’autres taches font leur apparition dans l’œuvre. Vifs dans leur clarté et intenses dans leur vivacité, ils nous transportent au-delà du connu et du commun afin de voguer dans les cieux et toucher de près les étoiles. Nullement romantique, cette exhibition nocturne se voudrait une vision onirique où l’esprit réinvente l’œuvre selon son humeur. Le lien tacite entre le visiteur et les artistes est une connivence inachevée qui est recommencée à chaque fois que l’œil se pose une nouvelle fois sur l’œuvre. A travers une œuvre contemporaine où l’installation et les performances (danse et chant lors du vernissage) côtoient les toiles, Oussema Troudi et ses invités ont transcendé l’art dans tout ce qu’il a de violent et de beau. Les œuvres diurnes ou nocturnes sont intrigantes. Nous nous déplaçons parmi les travaux de l’artiste et ses acolytes en nous émerveillant de la puissance qui en émane. L’âme est tantôt en alerte tantôt en ravissement balançant entre le réel d’une condition et l’utopie d’une élévation. Oussema Troudi réussit à donner un nouveau souffle dans l’expression artistique, un souffle vif dans sa sérénité semblant émerger d’une rêverie où vrai et vraisemblable sont alternés pour le plaisir « des regardeurs » avertis et profanes… Raouf Medelgi
Performance : Les inf iltrés . Dans le noir, sous lumière UV, se révèlent parmi les visiteurs les infiltrés. Derrière leurs masques fluorescents, les complices traversent la salle, ils déambulent, lumières flottantes, parmi les visiteurs. Les têtes vacillent, l’atmosphère vibre.
Espace d’Art Mille Feuilles Pré-vernissage
Ch r i stop her BO NG D’origine camerounaise, Christopher s’installe à Tunis pour ses études d’arts graphiques à l’ESAD. Il est peintre, dessinateur, illustrateur et caricaturiste (journal hebdomadaire Achahed), et déjà très actif dans les différentes rencontres et festivals, à Tunis, comme à l’intérieur du pays. Grâce à son grand sens du partage et de la communication, Christopher fait feu de tout bois et sait nourrir sa sensibilité à l’art en général et au dessin en particulier de son propre quotidien dans tout ce qu’il a de commun et parfois même de banal. Il répond partant à la proposition de participer à l’exposition et déclare à la fin de l’expérience : « ce fut une suite de forts moments extraordinaires ! »
D.V.S. C . FURER (Donovan CARIDI) D’origine italo-suisse, Donovan vit en Tunisie depuis son plus jeune âge (Djerba, Tunis). Il aime pareillement la science, la littérature, la photographie et le cinéma, joue de la flûte et du violon et fait de la peinture abstraite. Donovan est donc simplement un adepte de la vie. Il suit une formation en arts graphiques et publicité à l’EAD, où il rencontre le reste de l’équipe. Donovan reçoit l’invitation d’Oussema avec beaucoup d’enthousiasme. Son sens de l’écoute et son esprit d’équipe ajoutés à sa conscience des différentes contraintes ont été d’un apport considérable à cette exposition. Il témoigne : « Ce fut une expérience très intéressante, à la fois instructive et joviale ».
Z anjabil EIGHTSUS (Selsebil O ustad) D’origine berbère marocaine, d’où son surnom, Eightsus est dessinatrice en communication graphique. Issue de l’école d’art parisienne Corviart elle continue actuellement ses études en art et décoration à l’EAD, Tunis. Graphiste de tempérament, Zanjabil aime la bande dessinée, les mangas en particulier, et cherche toujours à être au point des nouvelles technologies et des effets spéciaux dans sa création. Elle remporte le deuxième prix du concours Science / Art en 2004, participe au montage d’un court métrage projeté à la Cinémathèque Française en 2008 et cumule les expériences dans les boîtes de communication et de création 3D comme TeamTo et Selfcréation. Zanjabil répond à l’invitation d’Oussema à composer avec et dans ses 314m3. Elle participe donc à l’exposition et donne à saisir ses idées de jeune artiste sensiblement audacieuse. « C’est une expérience artistique de haut niveau pour un début » dit-elle.
SAM SAD (Sami SADDI) Sam est un technicien particulièrement polyvalent. Son sens pratique et son efficacité ont été indispensables à l’aboutissement d’un grand volet de cette exposition. Mais derrière la casquette du technicien se cache un artiste dont la sensibilité ne laisse pas indifférents l’équipe de l’expo, qui l’adopte aussitôt. Sam sait ramener les idées aux bords de la faisabilité quand elles s’en éloignent par la rêverie, et sait rappeler aux plasticiens qu’ils pensent avec leurs mains.