État d'urgence n°3

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état d’urgence Octobre 2016

journal à parution aléatoire

n°3

« à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Edgar Morin

Peindre à Tunis et après ? Un artiste peut-il sauvegarder son autonomie de penser et d’agir, qui lui est vitale, en rompant avec le dehors, parce que, pour lui, ce dehors serait essentiellement politique ? Cela suppose que l’autonomie de penser de l’artiste impliquerait nécessairement la mise à distance du champ artistique par rapport au champ dit politique, sur fond de penser métaphysique, quasi religieux, en vue de préserver la pureté de l’intention artistique de sa compromission possible avec les intentions, toujours impures, du pouvoir politique en place. Et dans ce cas, l’Art serait de nature apolitique. Et si l’Art était fondamentalement politique, parce que produit des sociétés humaines, qui ne peuvent être que politiques. Surtout lorsqu’on rappelle la différence entre la politique et le politique. Ce dernier désignant l’activité symbolique, productrice de valeurs garantes de la survie et de l’évolution du groupe se constituant en Société. Alors que la première désigne l’activité de gestion de cet espace sociétal et ce qu’il en résulte comme activité de pouvoir et de gouvernement. L’activité artistique serait dans ce cas l’expression symbolique à travers laquelle le groupe construit son identité collective particulière et l’artiste individu ne serait en réalité que le représentant (celui qui re-présente par sa production symbolique personnelle), du groupe humain auquel il appartient.

Hommage et intérêts C’est souvent pendant l’agonie des choses qu’arrive en bouche le vrai goût de la vie, d’où l’urgence de créer, toujours en hommage à ce qui a l’air de disparaitre. Toute réplique à l’abandon est alors « art » depuis sa modeste forme de résonnance, jusqu’à sa profonde cause de prétendre l’immortel. Il est presque drôle, ce pléonasme sociologique, presque invisible, car immergé dans un système de réflexes établi à l’image d’un « va et vient », instinctif chez l’homme, vital pour la nature. Nous vivons de réponses à ce que nous avancent le jour et notre souffle, et nous nous en maintenons davantage à distance de la mort. Est hommage à la vie, la moindre acceptation de rompre l’indifférence envers la parole, ne serait-ce que par le silence, ou de conduire la promesse intime de contenir ce qui advient et de retenir ce qui part. Est-il vraiment sain pour la mémoire de souligner la mort en guise de reconnaissance envers la vie ?

Cette approche généraliste à souhait ne peut suffire pour traiter des problèmes complexes que soulèvent les questions des rapports entre Art et Société, Art et Economie, Art et Politique et Art et Religion. Les conditions d’instauration, à l’époque coloniale, de l’Art de peindre à l’occidentale ajoutent encore à cette complexité le fait que pour l’importation de ses valeurs culturelles au sein de sociétés différentes, le colon ne pouvait les investir que dans un rapport de nature économique qui transforme les richesses naturelles et culturelles propres aux pays colonisés, en valeurs formelles, dégagées de leur plus-value symbolique d’origine, sans pour autant les instaurer comme lieu de production de valeurs symboliques émancipatrices, fonctions qui sont accordées et revendiquées par eux, aux artistes en Occident. Tel que nous l’avons hérité, l’Art de peindre est affaire d’individus isolés, souvent habités par la revendication du statut de peintre, sans se soucier outre mesure de la dimension symbolisante de l’activité de ce dernier. Délestée de sa raison sociale de producteur de valeurs symboliques, l’activité du peintre, tel qu’elle nous a été léguée par le colon ne peut, dans ce cas que continuer à produire des fausses valeurs comme on parle de fausse monnaie. Pour une bonne majorité, les tableaux qu’ils fabriquent sont des images. D’où s’explique cette volonté de mettre en images leur production picturale concrète, en vue de la valoriser par sa publication dans un livre ou dans un catalogue. Livres souvent sans problématique particulière. Car l’amateur d’Art ou Collectionneur auquel l’on s’adresse est de la catégorie de ceux qui craignent l’activité

de réflexion sur l’Art, parce que cette dernière les dépossède de leur objet, comme le signale Adorno. (Adorno, cité par Naceur Bencheikh, Peindre à Tunis, éd. L’Harmattan, p.61.). Alors que faire ? « Peindre à Tunis et après ? » a écrit Aïcha Filali, en guise de participation à la présentation d’une exposition mienne en 1992, comme pour dire la difficulté, sinon l’impossibilité qu’il y a à faire mieux que ce qu’il y a. Histoire de préserver les positions bien ou mal acquises, en jouant à ce que mon ami Moncef Bouchrara appelle les coupeurs de tête. Heureusement les accidents du système, la liberté d’expression aidant, peuvent donner l’occasion d’avancée de qualité, fusse-elle minime, sous forme de questionnements collectifs, sur les fondements ou (leur manque) de la pratique artistique qui se fait en Tunisie. Ce qui est évoqué dans ce troisième numéro de ce journal militant est peut-être le signe des temps nouveaux, qui pourrait augurer d’une période majeure de notre histoire. D’autant plus prometteuse que le partenaire politique du moment, à savoir le titulaire du portefeuille des Affaires Culturelles est objectivement outillé, pour faire comprendre au pouvoir politique dont il fait partie, l’importance qu’il y a à faire accéder l’activité de création à sa pleine majorité, afin qu’elle joue ce rôle fondamental qui lui est dévolu, à savoir aider à réussir le pari de la construction de notre démocratie avancée. En toute autonomie, nous ne pouvons que nous associer à son action, fusse-t-elle politique.

L’empreinte que laisse une personne extraordinaire, ayant puisé dans quelque monde qu’il soit, ne perd de son public que ceux dont la passion est diluée dans l’habitude. L’empreinte que tente de laisser un vivant, quel que soit son intérêt, en hommage à un mort, impose à l’œuvre et à la mémoire du défunt un tout autre public souvent désintéressé. Il est, peut-être, plus juste, pour la réminiscence, de laisser jaunir l’image de celui qui part et d’accepter que le souvenir soit à jamais dérivé de sa teinte originelle. La mort inspire de la solitude, d’où le refuge dans la masse, celle dont la prise de conscience d’être encore en vie ne sublime en rien la reconnaissance envers le disparu. Ce n’est presque qu’à ce palier de rapport avec l’abandon qu’il peut y avoir « art ». Parce que le principe même de l’inspiration c’est de laisser macérer, à l’intérieur de soi-même, l’intérêt quelconque à un être ou à son œuvre, pour n’en rien restituer. Parce que la créativité n’est pas émotionnelle, elle se chauffe de passion mais se nourrit plutôt de raison et d’intérêt. Parce que l’art est une cause en soi. Il n’a pas à gratter l’engagement dans ce qui prétendra sauver l’humanité de ce

qui lui fait gouffre et lui donne vanité. Parce que préserver la mémoire d’un passage ne signifie pas sa conservation par faisandage, quel que soit général son intérêt. Parce que rien n’est plus adroit, en termes de reconnaissance, que de ne jamais prendre la fin d’une vie pour mobile de commencement. Parce que ce n’est, probablement, qu’en « art », qu’il est possible de contrer un dépassement par un autre humainement plus délié. Parce que l’esprit qui ne réfléchit pas d’oubli individuel, n’a aucun intérêt à bricoler une mémoire collective. Parce que c’est à soi-même que conduit la souvenance quel que soit commun son ordre et que tout dessein de commémoration agonit par sa préméditation, l’image du regretté. Je conçois de cela, aussi subjectivement que ne me le permet l’écriture, gracieuse, la moindre abstinence artistique, lorsqu’il s’agit de rendre hommage à quelqu’un. Si, par ailleurs, un quelconque intérêt spéculatif est divulgué et assumé, je concevrais aussi affable l’obstination d’un artiste à se rendre utile pour l’économie et pour la société. Asma Ghiloufi

Naceur Bencheikh


Oussema Troudi

état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

L’insulte éternelle, ou comment prier les mains dans les poches Ce matin, après une nuit blanche, sur un coup de tête, j’ai arrêté une vidéo de Marcel Lebrun et j’ai pris l’autoroute. Une heure plus tard, je cherchais sur ma gauche, derrière des constructions nouvelles, le toit du bloc de dessin de l’Institut Supérieur des BeauxArts de Nabeul où je travaillais jadis. Je ne l’ai vu qu’à moitié, mais je ne faisais que passer. Quelque part, entre-temps, j’avais décidé que j’allais à la plage. Je me suis baigné à Sidi el Mahrsi, juste en dessous du mausolée. Un petit bout de plage comme coupé du monde. C’était l’idée, aurait dit le saint. J’ai trainé lourdement mon corps dans l’eau fraiche jusqu’à cette profondeur où la tête sort à peine de l’eau et où les orteils frôlent encore le fond. Dans cette aire, entre la marche, la nage et l’envol, j’ai tourné le dos à l’horizon et au soleil qui pointait. Face à moi s’étendait la ligne de la plage, le mausolée au milieu. Sous mes pieds, les mouvements de l’eau transparente faisaient onduler le tapis de sable fin dont je voyais encore nettement la texture. Le temps s’étirait doucement, j’ai même failli fermer les yeux. Là, j’ai attendu que me vienne une idée, un flash, une lumière... mais en sachant pertinemment que rien n’allait venir, je n’ai fait que feindre l’attente, en laissant seulement passer du temps. En gros, je l’avoue, j’ai aidé ma conviction au lieu de tout faire pour l’ébranler, têtu que je suis. Et cela n’a fait que se confirmer encore : la beauté d’un lieu n’est pas responsable de l’inspiration. Sur le chemin, en faisant un détour par Hammamet, l’argument me vint inutile et en retard : dans ce beau pays, il y aurait eu plus de poètes que de commerçants. Je n’ai jamais su si j’aime ou pas la pièce de cinq dinars. Quelque chose cloche peut-être avec sa forme, sa taille relative ou ce qu’elle prétend valoir. Mais j’ai senti un plaisir indéniable de m’en débarrasser sur cette table, à l’accueil du Centre Culturel International de Hammamet (nomination longue que je préfère pourtant à comment sonne le Dar Sébastien), dès que je compris qu’il fallait payer pour entrer. En échange, on me dit que je pouvais, désormais, aller où je voulais. J’entendis que cela inclut de partir et je compris que mon reflex numérique qui me pendait à l’épaule couvrait à peine la perte en sérieux que me causaient réunis mon short encore mouillé et ma tong couverte de sable. L’horizon encore dans les yeux et l’eau de mer à la gorge, la vue aérienne subitement offerte par une carte rectangulaire des lieux, dressée un peu plus loin, me fut carrément illisible. Le point rouge, Vous êtes ici, dont j’ai vérifié l’existence par pur soucis pédagogique, ne m’ajouta rien du tout mis à part que j’étais visiblement à la périphérie de ce qui avait l’air d’un grand labyrinthe. J’avais évité d’annoncer au gardien l’objet de ma visite, je ne pouvais pas me permettre de malmener encore le nom du poète dans une formule

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incertaine, et de risquer en conséquence de voir par quelle finesse du geste allait-on m’indiquer le chemin. Je me suis donc aventuré sur les pistes, en cherchant des yeux ce que la nièce de l’artiste, une collègue, avait décrit comme œuvre imposante. Je m’attendais alors à voir cette œuvre immédiatement, mais rien ne vint de suite. En avançant, je plaignais cette ministre de la culture, de ne pas pouvoir venir le temps de son mandat, en tong sous ces arbres et de devoir, à chaque sortie officielle par ces temps de fausseté et d’opportunisme, supporter la compagnie d’une horde d’administratifs de tous bords, aux dents qui brillent et à la chorégraphie douteuse, elle qui a pris, paraît-il, ce même chemin sinueux l’avant-veille, en s’efforçant au sourire du début à la fin. Un artiste ne devrait pas endurer cela. Du magnifique golfe de Hammamet, la ligne d’horizon marie poétiquement les nuances de bleu, et décapite en passant le poète. Si vous faites entre un mètre soixantequinze et un mètre quatre-vingt-cinq, vous allez très probablement avoir la même première impression, à quelques nuances de bleu près, selon l’heure de la journée à laquelle vous visiterez les lieux, ou votre degré de parenté avec l’artiste. Je m’adresse donc à vous, désormais aussi directement, lecteur, parce qu’à ce stade vous l’avez sans doute compris, ceci n’est pas un journal intime. Revenons donc à ce martyre. A la périphérie des jardins, une petite allée bordée d’arbres loge son point de fuite dans la gorge d’une statue. Ceux qui dessinent le verraient de suite, et ceux qui ne dessinent pas ressentiraient sans doute l’effet de la parole étouffée sans en saisir la cause. Installation diton ! Un Vous êtes ici, marqué d’un point rouge, aurait là tout son sens. Voilà où nous en sommes, semble vouloir dire la statue. Les vingt mètres séparant la piste de l’œuvre, parce qu’on devine dès que l’effet contrejour se dissipe, que ce n’est pas seulement une statue sur un socle, ne permettent pas à la maigre silhouette, en dépit de ses deux mètres soixante-dix de dominer quoi que ce soit, surtout ainsi entourée d’aussi grands arbres. C’est là qu’on se dit : Je n’aurais pas dû lire les descriptions avant de venir. D’ailleurs, si vous n’y êtes pas allés, arrêtez tout de suite de lire ceci et faites mieux de votre temps que de permettre à cet ensemble d’impressions personnelles de vous induire en erreur. Un principe est bien simple : la taille est relative. Mais tout aussi simple : Une œuvre de grande taille n’est pas forcément une œuvre imposante, et une œuvre imposante n’est pas forcément une œuvre qui fait sens. Sinon, quel sens donner au fait de représenter dans des proportions monstrueuses le corps (ou l’âme, diton) d’un poète aussi humain, ou d’un poète tout court, quand on prétend lui rendre hommage ? Gigantisme, quand tu nous tiens ! (Oui, j’ai le droit de le dire.) Quand on s’engage dans l’allée, qui se trouve être moins élevée que la piste, la ligne d’horizon descend, -loin de moi de vouloir vous faire un cours de perspective, et descend avec elle le point de fuite qui se situe de plus en plus bas, enfonçant l’étouffement dans la poitrine, ensuite davantage dans le ventre, et enfin un peu plus haut que le sexe (si par chance vous faites un peu plus qu’un mètre quatre-vingt). Il faut entendre que la ligne d’horizon correspond toujours au niveau du regard et qu’une fois à côté de l’œuvre, on a la tête plus ou moins au niveau des hanches de la statue. Mais pour ne pas alourdir ce texte, je préfèrerais laisser la psychanalyse à ceux qui en maîtrisent le jargon, surtout que l’œuvre qui représente un homme a été réalisée par une femme pour la journée de la femme. Alors baissons les yeux et changeons de sujet. Il y a un détail technique dans la prolifération des constructions anarchiques qu’a connu le pays après 2011, qui relève du dessin mais que je déteste pourtant et qui est de redessiner l’alignement des briques sur l’enduit lisse qui est censé les cacher. Cela aurait d’abord été

emprunté aux décors ratés de films où, pour des raisons évidentes de coût, on simule sur des écorces pas chères la noblesse de la pierre d’antan, avant de devenir plus tard une mode de décoration dépourvue de sens pour ceux qui manquent cruellement aussi bien de technique que d’idées. S’il est possible que les règles de perspective d’un certain dessin puissent échapper à la plupart des visiteurs, ce dessin-là est au contraire repérable de tous. C’est là que j’ai eu la certitude que c’était définitivement mal parti : l’œuvre est portée par une dalle de béton gris qui simule un carrelage de cette même manière. Sur la dalle en béton, un parallélépipède rappelle un mastaba. Mais qu’on me passe cela : je sais que cette partie horizontale de l’œuvre n’a visiblement rien à voir avec le «tombeau égyptien privé de l’ancien empire...», je vous laisse faire quelques clics, mais c’est la première fois que je trouve un moyen de faire usage de ce terme mastaba depuis que je l’ai appris voilà dixhuit ans à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Tunis, -en passant, je ne prends pas le raccourcis école des beaux-arts, je le laisse aux artistes pressés de devenir internationaux et contemporains. Qu’on m’excuse alors ma frustration de ne pas pouvoir jusque-là rentabiliser cette case de ma mémoire, mastaba ! Quel bonheur d’y parvenir enfin ! A l’époque, on apprenait des choses comme si on était seuls à les connaître, sans se douter le moins du monde que le savoir allait être en si peu de temps aussi disponible et vulgarisé. Mais c’est-à-dire qu’à la vue de ce bloc, l’impression du tombeau est inévitable, et par conséquent on imagine le défunt se relever. Voilà ce qui suffit à transformer d’un coup un respectable centre culturel en un vulgaire parc d’attraction, pour ne pas dire en cimetière hanté. Mais ce n’est pas non plus un simple parallélépipède, il est composé de deux parties superposées, la première, en béton, soutient la deuxième, métallique. Un espace est prévu entre les deux parties pour placer des projecteurs. On comprend donc que cette partie de l’œuvre est conçue pour la nuit. La plaque de métal présente un texte en arabe, découpé probablement au laser, dans une typographie qui n’est pas conçue pour être découpée. Ceci revient au fait que certaines lettres de la langue arabe, comme il en existe dans d’autres langues, sont dotés d’un oeil. Ce sont les lettres qui présentent un traçage circulaire fermé : le Saad (‫)ﺹ‬, le Dhaad (‫)ض‬, le Taa (‫)ط‬, le Dhaa (‫)ظ‬, le Fee (‫)ف‬, le Qaaf (‫)ق‬, le Miim (‫)م‬, le Hee (‫ )ﻫ‬et le Waaw (‫)و‬. Si on ne choisit pas une typographie adaptée au découpage, ce dernier ferait tomber de la lettre son oeil que le support papier sait d’habitude garder en îlot entre les lignes d’encre. C’est ce qui se passe ici, les lettres ont les yeux crevés, elles sont pour ainsi dire aveugles. Mais au lieu d’accorder au vide une chance pour chercher quelque chose dans la profondeur, l’artiste s’est vite appliquée à doter chaque cavité d’un œil de verre, qui reflète désormais le vide céleste. L’artiste est spécialiste du verre soufflé. La statue en argile, ou en je ne sais quel type de terre, parce qu’il faut remarquer qu’aucun cartel ni panneau ne le précise, a été épargnée de cette taxidermie : l’artiste s’est contentée de lui crever les yeux. Le texte, - il s’agit de passages des plus connus du poète, est divisé en deux parties inversement orientées sur la plaque, ce qui invite le visiteur à se mettre d’un côté et de l’autre de la longueur du rectangle pour les lire. Ceux qui portent comme moi une tong sont priés de faire attention à la marche avant d’entamer le faux carrelage, cette dernière étant oblique et mal finie, ils risquent sinon de se prendre le bord d’une plaque de tôle rouillée en pleine figure. Je n’ai évidemment rien contre la rouille ni contre risquer la peau du visiteur, on peut tout faire en art contemporain, du moment qu’on l’assume. Ceci dit, venons-en à une partie intrigante, enfin un peu d’intrigue, dirait-on. Entre les deux rangées de texte, une


état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

forme bizarre est découpée de la même manière que le corps des lettres. Elle est orientée, pour peu qu’on ait le sens de l’anatomie, comme une ombre de la statue. Il faut donc se mettre au niveau de cette dernière pour la comprendre. A première vue, les courbes générales renvoient directement au corps féminin stylisée, un Y bizarrement droit, dessine au milieu de ces courbes ce qui se laisse assimiler à l’entre-jambes, mais un grand problème persiste, qu’est-ce qui se passe au-dessus du ventre ? Et on en vient immédiatement à ce qui devient plus urgent : où est passée la tête de cette femme ? Je ne sais pas si c’est l’effet nuit blanche, l’image encore fraîche du poète décapité par une ligne d’horizon, la réminiscence d’un cours sur un roman-collages qu’un allemand a fait paraître en temps de crise économique avant que son pays ne sombre dans le nazisme, ou le souvenir récent de la fête de la femme, mais qu’il y ait là un corps féminin décapité m’est apparu pour un moment d’une grande évidence. La statue debout sur le bord du rectangle semble s’être arrachée à ce vide béant, ce qui rappelle le cimetière hanté de tout à l’heure mais qui accentue la question de la tête manquante. Aussi loin que je me souvienne, nous avons eu des chats à la maison. Leur nombre avait atteint trentedeux quand j’avais vingt ans et qu’on habitait encore un S+2 à Bellevue, à l’époque j’étais étudiant à l’ISBAT et j’en dessinais souvent, surtout après le déjeuner où le ventre plein ils faisaient la sieste. Le hasard a fait aussi que seulement la veille, ma fille de trois ans, a insisté pour voir Le royaume des chats, du studio Ghibli, où ces animaux prennent des postures humaines et où le personnage principal, une fille, doit se métamorphoser en chat pour épouser le prince des félins… Pourtant cela m’a échappé pendant de longues minutes, avant qu’à la relecture du texte le mot en arabe (‫ )ﻗﻂ‬me mette la puce à l’oreille. Il ne me vient qu’une seule manière de le dire : Le chat est très mal dessiné. Délibérément, c’est sûr, puisque l’artiste enseignait le dessin à Sfax… Et même si le dessin n’est pas son point fort, elle a sans doute les moyens de confier cette partie du travail à un autre. Alors pourquoi le chat, qui est pourtant au masculin dans le texte, ressemble en partie à une femme ? La piste psychanalytique tente encore une percée, mais je la résorbe de nouveau. Pourquoi le chat a-t-il une tête géométrique et un corps ondulant ? Pourquoi est-il de face ? Et puis d’abord, pourquoi un chat ? Si c’est pour illustrer le chat du poème, pourquoi ce poème en particulier ? Que dit donc le poème ? Dans le texte, le chat dit au poète « on se reverra demain » mais le poète, -je traduis et j’exerce en même temps en toute liberté mon droit à l’interprétation d’un texte poétique, répond que le lendemain n’est pas certain, avant de demander à la médecine et à Dieu de ne pas le laisser seul avec le loup. (Quel loup ?) Le poète dit que le chat l’accompagne depuis un an dans un ascenseur, ne parle-t-il pas là de la maladie, qui l’accompagne au quotidien, qui se fait rappeler dans chaque moment de solitude et qui, évoluant de jour en jour, se transforme comme de chat en loup, avant de le dévorer ? Et que fait l’artiste ? N’a-t-elle pas trouvé dans l’œuvre du poète, pour lui rendre hommage, moins sombre qu’un fragment redoutant la mort ? Et en ayant quand-même fait ce choix, quelle posture atroce a-t-elle infligée au poète en le condamnant à se tenir debout, les yeux crevés et les mains collés au corps, devant sa propre mort ? L’artiste a-t-elle une interprétation plus appropriée à l’hommage qu’elle prétend vouloir faire au poète ? Comment ne pas voir partout la mort dans cette œuvre ? Comment ne pas relier le texte aux lettres aveugles, aux yeux crevés, à la pierre tombale ? Comment ignorer l’idée d’un enfer lorsqu’on voit jaillir des fentes calligraphiées de la lave en verre ? Est-ce mon esprit tordu ou ceci est négativement très harmonieux ?

Mais qu’on ne saute pas de joie, ça n’est pas là le genre de questions qui permettent de dire que l’œuvre est intéressante parce qu’elle nous fait poser des questions ! Tout le texte est en arabe, sauf la signature de l’artiste par son prénom (qui est aussi en passant le logo de sa fabrique de verre soufflé). Mais où est-elle placée ? La première partie du texte, orientée vers l’entrée des visiteurs, reprend des vers où le poète fait l’éloge des femmes de son pays, ensuite d’autres vers encore plus connus ont pour thème l’amour du pays. Entre les deux parties, à la même taille, et subissant le même traitement des lettres aveugles et de l’œil de verre, s’incruste la signature de l’artiste, évidente au point qu’un ignorant du texte, un visiteur “‫( ”ﺛﻘﻔﻮﺕ‬terme emprunté à une terminologie salafiste, signifiant dans ce contexte quelqu’un qui n’a pas eu de cours sur l’art contemporain donc un sous-homme !), l’attribuerait volontiers à l’artiste. Là, j’ai entendu l’artiste me crier de loin : Le verre c’est moi, m’avezvous reconnue ? c’est ma signature ! Je suis la marque et je suis l’artiste : une hallucination bien évidemment, ou un peu d’eau dans les oreilles... (ça aussi, j’y ai droit.)

Premier contact visuel avec «Prière éternelle».

Attention, deuxième signature : celle-ci est gravée à même la matière, juste au-dessus de la ceinture, dans le dos de la statue, même graphiqme. J’en déduis que l’artiste conçoit son travail en deux parties, l’une en verre soufflé plus assumée que l’autre sculptée d’argile, car tandis qu’elle s’est donnée beaucoup de mal à fignoler la première en l’élevant au rang du texte du poète, la deuxième est petite, discrète et au dos. Un dos où elle laisse volontiers apparaître plus haut une grande partie métallique de la structure qui rouille déjà. Il est clair que le dos est négligé. La négligence de la finition atteint d’autres parties de l’œuvre : des lettres qui fusionnent sous l’effet du découpage imprécis ou de la manipulation, les pieds de la statue qui peinent à coller au métal, tout est permis en art contemporain, dirait-on encore. Le panneau à lire, dressé à côté de l’œuvre, s’il n’en fait pas partie, indique en trois langues qu’il s’agit d’une prière éternelle. Fermons l’œil en passant sur ce lapsus orthographique, là je n’y peux rien, où par l’omission d’un « à » l’artiste hérite du nom de famille du poète, faisant glisser ses origines sur la carte de Sfax à Sidi Bouzid. Ne faisons pas attention non plus à une erreur de traduction, est-ce encore délibéré ? où prière éternelle devient en anglais une prière éternelle… et recentronsnous sur l’essentiel (manière de dire ce qui suit, la forme

étant essentielle) : Qui est-ce qui prie ici ? Le poète sur son tapis de prière ? et les mains dans les poches ?! et pour ne pas mourir ?! L’artiste pour le poète ?! ou nous tous pour la culture de ce pays ? J’aurais aimé trouver autre chose, j’ai examiné les câbles électriques qui passent çà et là, les plantes grasses autour de l’œuvre, les alentours. Rien. En quittant, j’ai dû tourner le dos au poète, enfin, à la statue. Un peu plus loin, j’ai repéré une sculpture offerte à la Tunisie par le Chili, à l’occasion de la fête de la femme, quelques années plus tôt, je n’ai pas osé l’approcher, elle était petite mais imposante, j’ai deviné de loin la plaque discrète portant le nom du sculpteur et j’ai repris ma ballade. Ce centre est particulièrement bien entretenu. Ce qu’il fait bon sous ces arbres ! Je suis rentré à Ez-Zahra. Je me rappelle le premier soir dans ce quartier, où au moment de sortir les poubelles je cherchais mes sacs à la main les bennes à ordures. Un vieil homme sans dire un mot me les avait montrées du doigt, elles étaient à ma portée de vue, mais je les cherchais trop près. En y arrivant, un groupe de jeunes finissaient de dégager la rue d’un tas d’ordures qui a dû échapper au camion pressé de la municipalité, et reprenait sa route vers le centreville, je n’avais jamais vu cela auparavant. Quand dans un quartier, on découvre un tas d’ordures en pleine rue, et que les habitants par civisme s’appliquent au nettoyage, ce n’est pas que le peuple s’intéresse tant à la poubelle. De même, beaucoup de critique ne veut pas dire beaucoup d’intérêt. Je ne compare pas cette œuvre à un tas d’ordures, et combien-même je le ferais, après Schwitters et Manzoni ça pourrait même être flatteur. L’argument que l’art contemporain permet tout ce qui dérange, ne tient pas lorsque l’artiste revendique exactement le contraire de ce qui dérange. L’intention de l’œuvre est clairement formulée : rendre hommage au poète. L’œuvre pourtant l’insulte et insulte tous ceux qui ont un jour aimé le pays, la poésie, la femme et les chats. La liste des mots clés qu’on retrouverait dans une description basique du projet de cette œuvre serait la suivante : portrait sculpté du poète, extraits de poèmes, grandes dimensions, installation, calligraphie, laser, verre soufflé, lumière, jardin… autant d’ingrédients pour rendre un projet théoriquement prometteur aux yeux de ceux qui ne croient pas en l’économie des moyens, mais aucune cuisine ne semble avoir été maîtrisée ne seraitce que pour rester dans le thème de la commande. Je veux bien lire une analyse qui dit le contraire, et qui ne se “cash” pas du chèque en blanc de l’art contemporain, de l’expression personnelle et de la liberté d’expression. Il faut répondre honnêtement à cette question : pour rendre hommage au poète, est-ce que le centre, ou le ministère, aurait acheté cette œuvre, au prix qu’il a dépensé pour sa réalisation, si elle était exposée dans une galerie ? Pour ma part, je crois bien que non. Et maintenant, est-ce qu’on doit l’enlever ? Non plus ! Et ce n’est pas parce que ce qui est fait est fait, ni pour légitimer des dépenses qui auraient mieux profité à la ville, et non plus parce qu’il faut respecter les formules de défense citées plus haut (liberté d’expression, etc), mais seulement parce qu’elle participe maintenant qu’elle est là, et plus par son ratage évident que par sa prétendue excellence, à maintenir ouverte sous nos cieux la porte de la critique face à tout art qui se dit contemporain. Et en matière de critique, que tout le monde s’y mette ! Se tromper, dire des bêtises, y aller en short après la plage, aura toujours de moins graves conséquences que de léguer la tâche au spécialistes autoproclamés du domaine. Sinon, la seule critique qu’on verra sera celle qui pourra s’acheter et se vendre dans un commerce de relations qui ne profitera qu’à la médiocrité. Tunisiens ! Cultivez vos terres avec amour avant qu’il n’en revienne à d’autres de les exploiter, et aimez-le donc ce pays, comme personne ne l’aime. Oussema Troudi Ez-Zahra, 19 Août 2016

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état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

Dans le tapis de La prière éternelle on retrouve les versets d’Ouled Ahmed et un chat. Et puisque on est dans la logique de l’éternité et du séjour des morts, il s’agirait probablement du chat de Mircea Eliade, serviteur des enfers qui sert à jeter les âmes coupables dans les eaux infernales1. Allumé le soir, on remarque la finition et les restes de la « braise de la révolution » sous le tapisbûcher, dont certains ont préféré la mettre plein les yeux en caressant le chat dans le sens de la tôle.

Amira Turki

Chacun sa Kaaba, chacun son orientation de la Qibla, mais un seul tapis de prière géant signé « Sadika » de 70 mille dinars soldé à 25 mille par charité. Comme quoi le délire des grandeurs de nos religieux ne touche pas que le Moyen-Orient.

La danse macabre autour du bûcher d’Ouled Ahmed

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Etrange hommage mortuaire du poète « désobéissant » Ouled Ahmed comme un condamné sur son bûcher de crémation, torse nu et les mains dans les poches dans la posture du fusillé devant son peloton d’exécution. Ceci nous rappelle l’image incontournable de Georges Blind qui était souriant devant ses exécuteurs ou encore la photo prise par Agustín Víctor Casasola de l’exécution de Fortino Samano souriant aussi avec un cigare dans la bouche et les mains dans les poches en 1917. Cependant, le sourire du condamné révolté n’a pas pu se dessiner sur le visage de notre poète qui avait les yeux crevés et la bouche bée devant la prouesse de sa résurrection inachevée et le châtiment qui lui ait été infligé. Une iconographie infernale inspirée des terroristes pyromanes de Daech, exposant notre supplicié poète comme « un géant sur un tapis de prière éternelle » ainsi décrit par l’artiste qui est fière de son barbecue rouillé. Le tapis de prière est généralement une forme d’espace sacré de soumission à son créateur, orné par des motifs végétaux ou géométriques abstraits et on y retrouve parfois une représentation figurative de la Kaaba.

S’agirait-il de l’égo démesuré de son démiurge fétichiste sadomasochiste ou encore une volonté à figer la valeur « morale » de la soumission d’Ouled Hmed à son nom ? Il est inutile de rappeler que tous ceux qui critiqueront iront « en enfer » et seront persécutés probablement dans le marché de « blanchiment d’Art », car « ils n’ont rien à voir avec l’art et détestent Ouled Ahmed ». Une réponse intégriste totalitaire qui sacralise l’unique religion qui ne peut pas être contestée au nom de la fameuse liberté d’expression. Caduques étaient les réponses qui se cachent derrière le voile de la victimisation et de la provocation arrogante qui limitent le débat « immature » à des prises de positions de clans et de théories du complot. Je me demande si ce n’est pas l’aveuglement dû au formalisme obscène dont souffre notre culture ou bien encore à ce complexe œdipien de castration qui se projette sur une représentation macabre. Arracher les yeux du poète comme hommage, il fallait être aveugle pour le faire. Remarquons que même Homère le poète aveugle n’a pas été représenté les yeux arrachés avec cette violence barbare. Sadika a crevé les deux yeux d’Ouled Ahmed comme le châtiment infligé des dieux grecs, car il a abusé de clairvoyance, mais elle a oublié que chaque rhapsode cache un devin et que même les yeux arrachés, il peut voir l’arrogance et la malhonnêteté de l’usurpation pour en témoigner à ses confidents de son vivant.

La cécité n’est pas un mal en soi, si on ne regarde pas à travers le miroir de Narcisse qui signe les mots pulpes de la chaire d’Ouled Ahmed « Les femmes de mon pays... Femmes et demie. Sadika ». Une intrusion qui aurait pu être plus discrète, mais non on la retrouve entrain de s’approprier le nom de famille « Sadika Ouled Ahmed » sur la plaque commémorative pour aller jusqu’à scarifier son bas du dos avec son nom de marque. Les scarifications au visage ont certes une symbolique esthétique d’appartenance et d’identité ethnique. Mais, aiguiser son couteau pour balafrer le dos de notre poète ne serait-il pas un symbole de trahison selon nos codes socioculturels ? Adepte des arts du feu, je pense que la flétrissure au nom de la marque « Sadika » a été faite au fer rouge en forme de « branding - tatouage » qui servait à l’origine comme marquage du propriétaire du bétail dans un souci d’une identité visuelle pour une stratégie marketing ou encore dans le contexte d’esclavage et de torture des êtres humains. Dans les deux cas, c’est une pratique ancestrale humiliante et sadique d’un bourreau cruel face à sa victime persécutée à une souffrance éternelle, faisant de lui un vilain « objet » de commerce culturel. Par ailleurs, on n’est pas loin de la logique de la culture grégaire de l’esclavagisme moderne qui transforme l’art en « industrie culturelle »2. La production de masse relèverait d’une démocratie élitiste des « philistins de la culture »3 comme disait Hannah Arendt dans La crise de la culture. Rappelons que Théodor W. Adorno, membre fondateur de l’école de Francfort met en garde contre cette industrie culturelle qui menace la création artistique pour la transformer en objet de consommation : « L’industrie culturelle a son support idéologique en ce qu’elle se garde minutieusement de tirer toutes les conséquences de ses techniques dans ses produits. Elle vit en quelque sorte en parasite sur la technique extraartistique de la production des biens matériels, sans se préoccuper de l’obligation que crée le caractère positif de ses biens pour la construction intra-artistique, mais aussi sans égard à la loi formelle de la technique artistique. Il en découle le mélange, si essentiel pour la physionomie de l’industrie culturelle, de streamlining, de précision et de netteté photographique d’une part, de l’autre de résidus individualistes, d’atmosphère, de romantisme fabriqué et déjà lui-même rationalisé. Si on adopte la définition de Walter Benjamin, la définition de l’œuvre d’art traditionnelle par l’aura, par la présence du nonprésent, alors l’industrie culturelle se définit par le fait qu’elle n’oppose pas autre chose de façon nette à cette aura en état de décomposition comme d’un halo fumeux. Ainsi elle se convainc immédiatement elle-même de sa monstruosité idéologique.»4 Tous les moyens sont valables pour devenir la victime révolutionnaire jalousée et incontestable pour réduire l’activité artistique à une doctrine occultiste du même cercle « mafieux » qui se nourrit des mêmes agendas et qui se justifie en snobisme de « distinction »5. De cet occultisme, La prière éternelle serait donc, un rite sectaire eschatologique pour mutiler les morts afin d’accéder à l’immortalité. Il s’agirait d’une dagyde argileuse, sépulcrale « contemporaine et imposante » dont les aiguilles intérieures ont trahi son gourou et sont apparues au dos de notre poète en forme de structure rouillée.

Amira Turki, Georges Blind le «fusillé souriant» devant un peloton d’exécution nazis 1944 et la dagyde d’Ouled Hmed, 2016.

Ainsi, après avoir eu la légitimité de Picasso ou de Giacometti, j’ajouterai Giger pour l’apparition de la colonne vertébrale décalée, peut-être avec les ressemblances, on pourrait trouver un compromis satisfaisant, en toute modestie.

1. Eliade Mircea, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, Paris, Payot, 1951, p. 260. 2. Voir Theodor W. Adorno, Conférence sur l’industrie culturelle prononcée en français par pour l’université radiophonique internationale, Ecole de Francfort, (1963) 3. Voir Arendt, Hannah, La crise de la culture, Idées, Gallimard, 1989. 4. Theodor W. Adorno, Conférence sur l’industrie culturelle prononcée en français par pour l’université radiophonique internationale, Ecole de Franncfort, (1963) p. 14, 15. 5. Voir Bourdieu, Pierre, La distinction. Critique sociale du jugement. coll. Le sens commun, éd. de Minuit, 1979

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état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

Faisons-nous l’art de la contrefaçon et de la contrebande ?

« sélectives » uniquement pour la saison estivale ? Le manque de moyens est le justificatif pour les enfants et les artistes de la région qui désespèrent d’avoir des ateliers d’art. Mais, ce n’est pas grave, car il y aura chaque année un budget pour les chantiers momificateurs de la culture réservés pour les odalisques du Harem de la bénédiction divine.

Essayer d’imiter vulgairement la carcasse esthétique extérieure sans avoir sa propre démarche plastique, nous laisse dans la culture des « boites de conserves », non pas les « Campbell’s Soup Cans » de Warhol et ni la « Merda d’Artista » de Piero Manzoni. Mais, celles de l’idéologie profiteuse qui récupère la « légitimité révolutionnaire » en forme d’hommages pompeux, poreux et qui honorent une marchandise soldée, sans humilité et sans âme.

Il suffirait peut-être à nos chers administrateurs de revoir leur gestion du budget et les priorités de la région.

La récupération des icônes comme Ouled Ahmed, n’est pas une nouveauté dans un contexte politique qui paie bien en toute discrétion l’image de notre « élite artistique » pour servir élogieusement de charbon à la propagande.

Je fais une prière pour que nos artistes essaient de bien choisir les codes de leurs représentations surtout quand il s’agit d’un hommage pour ne pas se ramasser à la pelle les critiques d’art « intrus au domaine » et les connotations qui pourraient toucher les âmes sensibles. « La désauratisation » de notre poète serait stigmatisante et le jeu herméneutique, s’il n’est pas maitrisé, pourrait nuire à l’image de l’artiste. Le loup voulant se cacher sous la peau de l’agneau pourrait se trouver démuni de ses moyens, si son honnêteté et l’éthique des valeurs artistiques le trahissent.

Un artiste digne se distingue et ne se réfugie pas dans les schèmes répétitifs de la culture des masses, sinon il risque de rester prisonnier de la « forme bâtarde » comme disait Barthes. Estimons-nous encore heureux que cet esprit nombriliste du « superflu contemporain » ne s’hérite pas ! Quoi que…

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Je suis née à Hammamet, une ville côtière qui vit la bipolarité entre un été mouvementé et une autre longue période de sédentarisation paralysante qui m’oblige à me déplacer vers la capitale pour bénéficier d’un peu de culture. Cependant, je devrais me sentir avantageuse par rapport à d’autres, car j’habite juste à côté du Centre Culturel, là où j’ai bercé mon enfance dans les ateliers d’art, là où j’ai participé à mon premier concours d’art plastique à l’âge de 11 ans avec les peintres Ali Ben Salem et Ali Ghanem. La belle époque des journées de la Méditerranée où je pouvais m’absenter des cours de Luth et me faufiler dans les cours d’informatique pour dessiner le drapeau de la Tunisie, ou encore jouer dans les loges des artistes. Malheureusement, on ne retrouve plus les ateliers variés de sensibilisation à l’art. Pire encore, ce centre, berceau de mon enfance, est défiguré chaque fois par tous types de projets, allant d’une enseigne qui a coûté 14 mille dinars, au vol des anciennes robinetteries de la Maison Sebastian, à la vente des meubles de Eyre de Lanux, à l’installation de vulgaires céramiques de fast-food sur les luminaires de l’entrée, à une résidence d’intérêts louches et peu éthiques et aux changements inachevés et récents de l’entrée de l’amphithéâtre qui se présente actuellement comme une entrée d’un « poulailler » avec des poutres déboitées et vulgairement raccommodées. Tous types de chantiers sont valables, sauf ceux de la culture ! Je comprends que nos directeurs n’ont pas eu l’indulgence suffisante pour préserver le patrimoine d’une villa de 1927 selon des codes esthétiques particuliers épurés établis par Georges Sébastian et son constructeur sicilien Vincenzo Dicara. « C’est sur une éminence, dans un site choisi pour sa vue, que M. et Mme, Georges Sebastian ont fait construire cette blanche villa d’inspiration arabe modernisée à laquelle on accède par un chemin dallé au travers d’un chemin ombragé. M. Sebastian a lui-même dressé les plans de cet ensemble aux lignes sobres et pures »6 . On se retrouve actuellement avec une vue sur mer gâchée par la géante poupée vaudou d’allure morbide et sournoise qui démystifie le lieu et le poète. Rappelons que le vocabulaire architectural de la maison Sebastian dans sa simplicité a été digne des louanges du Le Corbusier qui a dit que « c’est l’œil de la vérité »7.

Amira Turki, Fortino Samano: Paredon, 1917 – Hammamet, 2016.

Probablement l’œil de la vérité critique qui éclatera en revanche à notre cher poète aveuglé ! Sur un autre plan, il serait un peu paradoxal de présenter l’art et la culture comme moyens de lutte pour contrer le terrorisme, alors que nos propres artistes incitent à la violence visuelle qui arrache les plantes pour les remplacer avec du béton et de la rouille dans un centre culturel dont le propriétaire roumain Georges Sébastian collectionnait les variétés végétales et en faisait de la concurrence avec son voisin et ami Jean Henson, dont la légende raconte qu’il a refusé le cadeau d’une voiture de luxe américaine pour ne pas abîmer son entrée de figues de barbarie ! S’agirait-il d’une crise identitaire avec ce prestigieux centre ou cette obsession pathologique de destruction pour faire valoir son image colonisatrice ? L’artiste a abandonné ses droits : - « Nous avons abandonné nos droits en tant que Hammamétois » à l’équité du partage dans une région côtière qui parait ouverte, mais qui souffre d’une sécheresse culturelle annuelle. - « Nous avons abandonné nos droits » à l’accès à un centre culturel ouvert au peuple, aux jeunes passionnés et créateurs de la région sans pour autant être élitiste et porteur d’une culture de ségrégation matérialiste qui demande à des petites associations d’art de payer des frais de location exorbitants. (Inart, cinéclub Hammamet, club photo, les musiciens amateurs...).

Et je fais une autre prière pour les otages du spectaculaire et adeptes de la propagande du sensationnel, de nous répondre avec un argumentaire digne et à la hauteur de nos espérances au lieu de pleurer la victimisation et de se rabattre sur des insultes incongrues qui me rappellent par ailleurs, les réactions de nos « pieux croyants » qui s’emportent dès qu’on touche à leurs idéologies. Libre au Centre Culturel de Hammamet de choisir, Libre à Sadika Keskes de créer, mais aussi Libre au peuple de critiquer. Je suis contre la censure et l’artiste qui n’est pas ouvert aux critiques devrait revoir sa démarche, car l’art est contestation et non pas un systématisme séculier sacralisant, voir même aliénant et pathologique. Veuillez excuser notre « nécessité intérieure » d’écrire, comme disait Valéry. Pardonnez-nous, nous ne pouvons que nous confesser devant une prière éternelle qui s’autodivinise dans sa souillure manifeste « post mortem ». Ouled Ahmed a déjà fait sa prière, autant respecter ses incantations prophétiques : « Mon Dieu, Aidez-moi contre eux Ils ont égorgé ma chamelle Et appellent à répandre mon sang Dans des maisons Sur les tapis de prière desquelles Vous avez interdit L’effusion de sang. » - Essghaier Ouled Ahmed

- « Nous avons abandonné nos droits » à la camarilla de la culture en donnant plusieurs fois la possibilité aux mêmes sbires d’exposer leurs travaux, car nous n’avons pas des artistes à Hammamet, ni les ressortissants des Beaux-arts de Nabeul et ni des passionnés d’art qui se trouvent dans une situation de détresse et d’abandon. Sachez que nous n’abandonnerons pas notre droit à la contestation et à la critique fondatrice, car nous sommes des « jaloux protecteurs farouches » de l’Art et de la culture. N’est-ce pas le but du Ministère de la Culture d’opter pour une stratégie de décentralisation de l’art dans un centre culturel fantomatique et désertique durant toute l’année et qui réserve toutes ses activités culturelles

‫ ﺍﻟﺼﻐﻴﺮ ﺃﻭﻻﺩ ﺃﺣﻤﺪ‬-

‫ا‬

...‫إﻟﻬﻲ‬ ‫أﻋﻨﻲ ﻋﻠﻴﻬﻢ‬ ‫ﻟﻘﺪ ﻋﻘﺮﻭﺍ ﻧﺎﻗﺘﻲ‬ ‫ﻭأﺑﺎﺣﻮﺍ ﺩﻣﻲ‬ ...‫ﻓﻲ ﺑﻴﻮﺕ‬ ‫أﺫﻧﺖ ﺑﺎﻥ ﻻ ﻳﺮﺍﻕ ﺩﻡ ﻓﻮﻕ ﺳﺠﺎﺩﻫﺎ‬

Amira TURKI Plasticienne de Hammamet et Doctorante en Design Image à l’Université de Manouba

6. Voir Vogue France, Paris, Editions Condé Nast, Janvier, 1935. P22. 7. AZZOUZ, Ashraf et MASSEY, David, Maisons de Hammamet, Dar Ashraf Editions, 1988, p.48.

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état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

De la confusion in memoriam, ou le règne de l’incohérence au gré des convenances

A l’occasion du soixantième anniversaire du Code du Statut Personnel, voulant célébrer conjointement «la femme tunisienne» et la mémoire d’Ouled Ahmed disparu le 5 Avril 2016, après avoir consulté Sana Tamzini en tant qu’artiste et ex-directrice du service des arts plastiques au Ministère de la Culture, Moez Mrabet, directeur du Centre Culturel International de Hammamet et de la 52ème session du Festival d’Hammamet, confie, avec l’appui du comité directeur du festival, à Sadika Keskes 1 (artisane verrière, artiste, galeriste et dernièrement commissaire d’exposition), de gré à gré, la réalisation et l’installation d’une œuvre in memoriam, honorant le poète et célébrant sa poésie. Dans une interview datant du 11 Août 2, Moez Mrabet annonce que la sculpture d’Ouled Ahmed est quasiment prête et que l’artiste est au stade des dernières touches, qu’on verra le poète tel que l’on connait avec son chapeau… Un texte publié sur le site du CCIH annonçant l’inauguration nous apprend ceci : « C’est dans ce cadre chanté par les poètes, hanté par les légendes, décrit par les croque-notes, que Dar Sébastien, qui reste pure et garde une paix sans égale, accueille la mémoire d’un grand poète. Est-il dans la grandeur du décor qui nous environne, rien de plus beau que cette nouvelle sculpture du poète Sghaier Ouled Ahmed qui se dresse avec fierté dans la façade maritime de la villa ? Imaginée et conçue par Sadika Keskes, la sculpture, une œuvre de 2,70 mètres de hauteur, en pierres reconstituées, montre le personnage de Sghaier Ouled Ahmed, silhouette frêle, coiffé d’un chapeau. » 3. Cette œuvre réalisée en 15 jours alors qu’elle nécessitait plusieurs mois de travail, selon les dires même de l’artiste, a été inaugurée lors d’une cérémonie dans la nuit du 13 Août ; l’obscurité étant nécessaire pour faire apprécier les dimensions lumineuses de l’œuvre. Etaient présents, du moins à travers les images partagées sur facebook, les poètes Adam Fathi et Moncef el Mezghani. La veuve du poète ainsi que sa fille ont pu voir l’œuvre également. Les images publiées ne laissent pas voir des personnalités du monde des arts plastiques. Il s’agit donc bel et bien d’une commande publique, financée par l’argent du contribuable, même si le commanditaire n’a pas eu recours aux voies administratives habituelles et même si l’artiste peut se targuer d’une certaine expérience artistique en matière sculpturale, du moins aux yeux des profanes. Le commanditaire s’appuie sur un prétexte n’ayant pas trait à la poésie pour commander à une artiste femme, une sculpture représentant le poète. Tout se fait dans l’empressement et l’urgence des dates anniversaires comme si la mémoire du disparu sombrait déjà dans l’oubli et qu’elle ne souffrait plus d’attendre, comme si le poète ne méritait pas un hommage en soi, indépendant des velléités des calendriers et des spectacles d’été.

Bien avant le début de la polémique, l’objet de la commande était bien une sculpture. La silhouette frêle et le chapeau dévoilent une volonté manifeste de représenter le poète. La hauteur de la sculpture laisse deviner entre autre une aspiration à une « sculpture mémorial ». De ces faits se dessinent les premières sources de confusion et qui alimenteront plus tard diverses polémiques.

Les principaux thèmes de la polémique La publication d’images relatives à l’inauguration et leur partage sur les réseaux sociaux a très vite généré une polémique, manifestement inattendue. Beaucoup d’internautes, artistes, étudiants aux beaux-arts, amateurs de poésie, galeristes, ... semblent avoir été choqués par la sculpture, particulièrement par le visage. Certaines réactions ont été particulièrement violentes et insultantes. Il est impossible de reproduire ici tous les statuts et commentaires partagés sur facebook. Samir Elwafi, présentateur télé d’émissions polémiques à très haute audience et fortement suivi sur les réseaux sociaux, déclare que l’œuvre de SK est « un crime abominable à l’encontre d’Ouled Ahmed ». Plusieurs commentaires, dit Riadh Ben Ameur 4, « qualifient la statue de vomitive, chétive rappelant dans sa forme la statue de Habl ou Houbel dans le film Errissala ». La grande vague de rejet de l’œuvre exprimée essentiellement à travers les réseaux sociaux a amené l’artiste et son commanditaire à réagir et par la même occasion à introduire pour la première fois la notion d’installation. « Ceux qui ont critiqué la représentation d’Ouled Ahmed n’ont aucun rapport avec le monde de la culture qui, plus est, sont des « thakafout » ne comprenant rien à l’art moderne et à l’art de la sculpture » 5, dit l’artiste dans une interview. Moez Mrabet (voir «Les déclarations du directeur du CCHI et de son festival», encart ci-contre) prend le relais de l’artiste pour dénoncer la « campagne » menée contre elle et dénigrer les « détracteurs » de son œuvre les qualifiant entre autre d’obscurantistes 6. Il annonce par là même que la famille d’Ouled Ahmed - qui, jusque-là, semblait d’accord avec l’artiste- a chargé un avocat en vue d’étudier la question de l’enlèvement de la sculpture. Répondant au directeur du CCIH, l’Union des Artistes Plasticiens Tunisiens réplique par un communiqué (voir «le communiqué de l’UAPT», encart p.7) en demandant notamment une enquête sur le caractère supposé douteux de la commande. Deux jours plus tard (le 18 Août), le représentant du Syndicat des Métiers des Arts Plastiques publie sur sa page facebook un long texte prétendument analytique et dépassionné. L’auteur se positionne clairement en faveur

Nadia Jelassi

Si l’inauguration de la sculpture d’Ouled Ahmed s’est faite dans la quiétude d’une nuit d’été, sa médiatisation a fait couler beaucoup d’encre exprimant en premier lieu un rejet manifeste de l’œuvre érigée en hommage. Réfutant les critiques, croyant œuvrer pour une meilleure compréhension de l’œuvre et de ses motivations, l’artiste et son commanditaire n’ont fait qu’attiser les critiques et entretenir la confusion. Ce texte cherche, un tant soit peu, à reconstituer les faits essentiels et les points principaux de la polémique correspondants à la commande et sa réalisation. A un autre degré, il tentera de présenter l’œuvre et ses enjeux esthétiques et symboliques en soulignant bien en (gras) les incohérences constatées au niveau du discours de l’artiste sur son œuvre ainsi que de celui de son commanditaire, avant et après le développement de la polémique.

Les déclarations du Directeur du Centre Culturel International de Hammamet et de son Festival 1. Association de l’hommage au poète Ouled Ahmed au 60e anniversaire du Code du Statut Personnel. Installation de l’œuvre dans un endroit fréquenté par les visiteurs étrangers pour immortaliser la mémoire du grand disparu. Mis à part le parti pris d’un hommage deux en un, ce point de vue nous éclaire sur la vision du directeur du CCIH et indirectement sur celle du Ministère de la culture sur la notion de public. L’œuvre serait destinée en premier lieu aux visiteurs étrangers. 2. «Rectification» des concepts : l’œuvre n’est pas un mémorial ni une statue, mais une installation reflétant la vision de l’artiste de la vie et de l’œuvre du poète. Pourquoi alors ces multiples contradictions où l’on convoque le supposé statut de sculptrice de l’auteure ? Le terme sculptrice a été mis en valeur non seulement par l’artiste et son commanditaire mais également par les journalistes ou hagiographes de l’artiste. L’installation artistique ne nécessite pas des connaissances particulières en techniques sculpturales mais plutôt des facultés d’intégration des objets de l’installation à son environnement immédiat. L’unité des fragments composant l’œuvre se tisse dans cet entre-deux. 3. Procès des critiques qui n’auraient examiné l’œuvre que superficiellement à travers les images d’Internet sans contact direct ! Mais comment peut-il le savoir ? Du haut de son poste ne sait-il pas que les réseaux sociaux font partie désormais du paysage quotidien du tunisien et qu’on ne peut plus ignorer leurs rôles dans la production de l’information ? 4. Intrusion du directeur du centre et du festival réputé être homme de théâtre dans le procès de production d’une œuvre plastique et sa poïétique, les critères d’évaluation d’une œuvre d’art plastique, avec la convocation de prestigieux précurseurs tel que Picasso, ... Le directeur se transforme en critique d’art… que de chapeaux à son chef ! Lui seul a la critique juste et pertinente ; les autres n’en possèdent pas les outils. Le glissement du contexte local à des conjectures complètement différentes dans le temps et dans l’espace, la convocation d’artistes connus tel que Picasso a ici valeur de justification d’un fait sans rapport aucun avec la majestueuse œuvre de ce dernier. Moez Mrabet tente non seulement d’élever SK au rang de Picasso mais aussi de légitimer son travail. Puisque Picasso l’a fait SK peut le faire également … comme s’il s’agissait du même contexte. 5. A priori, préjugés et invectives diffamatoires à l’encontre des critiques de l’œuvre: n’ont pas lu le poète, l’ont combattu vivant, le détestent, ... Encore une fois comment peut-il le savoir et si vite ? Ceux qui ne sont pas de notre avis sont ignorants et obscurantistes. Tout le monde doit donc s’aligner sur la vision de l’artiste et de son commanditaire.

1. L’artiste est titulaire aussi d’une maîtrise (spécialité verre soufflé) et d’un DEA d’arts plastiques de l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis. « Sadika », tout court, est sa raison sociale et sa marque de fabrique de verre soufflé. C’est aussi le nom de ses magasins en free shop. 2. Mosaïque fm. 3. Si l’extrait ci-haut mentionne un chapeau, miraculeusement disparu par la suite au niveau de l’œuvre finale, c’est que dans une première version, le texte était illustré par un dessin montrant entre autre la tête d’Ouled Ahmed portant un chapeau. 4. El Akhbaria Ettounissia du 15 Août. 5. El Akhbaria Ettounissia du 15 Août. 6. Journal Echourouq du 16 Août 2016.

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état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

de l’artiste et de la liberté d’expression d’une manière générale. « L’affaire SK » est comparée à celle d’el Abdellia. (voir «L’avocat Amor Ghedamsi», encart cicontre). Quelques jours plus tard, Zouhour Ben Aziza, veuve du poète, déclare ceci : « J’ai bien aimé l’idée d’une sculpture en l’honneur de Ouled Ahmed mais je n’ai pas aimé la sculpture, d’ailleurs je ne l’ai vu qu’au moment de l’inauguration. Sadika Keskes ne m’a informé de son projet de sculpture que quatre jours avant son inauguration et m’a montré sa conception sur papier (le chapeau du poète y figurait mais pas dans la sculpture). Il apparait que l’artiste a raté la sculpture mais réussi la réalisation du tapis de poésie sur lequel est érigée la sculpture. Si je ne peux taire l’admiration de l’artiste pour les textes du poète et sa fierté de son attitude révolutionnaire, je pense cependant qu’elle s’est précipitée dans la réalisation de son idée. Pour autant que je remercie les amis d’Ouled Ahmed d’avoir défendu jalousement sa stature symbolique et apprécie à sa juste valeur leur préoccupation pour sa réhabilitation, je ne demanderai jamais l’enlèvement de cette sculpture car c’est une idée personnelle de l’artiste, sa liberté, d’autant plus que cette revendication pourrait instituer une mauvaise habitude au niveau de la réception de la création artistique et intellectuelle tunisienne, car cela permettrait à n’importe qui de s’opposer à un poème, un livre ou une chanson générant ainsi une restriction de nos libertés créatives. » 7

dessin préparatoire de Prière éternelle image téléchargée à partir du site du CCIH

Des artistes / enseignants dans des écoles d’art ont réagi à l’œuvre et aux déclarations de l’artiste et de son commanditaire. Vous pouvez les lire sur ces colonnes. Ces différents points de vue montrent que le débat n’est plus « de gré à gré » mais bel et bien public un peu à l’image de la commande. Dans leur précipitation, dans leur bulle hammametoise de la villa et de son parc, forts de leur immunité esthétique et institutionnelle, l’artiste et son commanditaire ont totalement évincé la question de la réception de l’œuvre et ignoré les sentiments de la famille encore endeuillée du poète. La liberté d’expression de l’artiste se meut en liberté de négation de l’autre. Ouled Ahmed est leur propriété exclusive. Dans l’emportement polémique des uns et des 7. El Quds el arabi du 31 Août 2016

autres, une question méritait qu’on s’y attardât. Quels sont les destinataires de cette sculpture ? Pour quel public cette œuvre a-t-elle été commandée et conçue ? A celui bien avisé de la culture et de ses linéaments, à celui qui maîtrise les grands chapitres de l’art moderne et les secrets impénétrables de l’art de la sculpture ? Au fan club de SK ? ou aux visiteurs étrangers du parc, comme le dit Moez Mrabet ?

L’œuvre et ses enjeux ? La polémique a fait naitre un nouveau terme au niveau de la communication : la sculpture se meut soudainement en installation.

Nature de l’œuvre selon l’angle du commanditaire : Avant la polémique et si l’on se réfère encore une fois au texte figurant sur le site du CCIH intitulé « SCULPTURE DE SGHAIER OULED AHMED À DAR SÉBASTIEN », Prière éternelle est une sculpture. « …La bouche ouverte, comme s’il déclamait un poème. Debout sur un tapis vert en métal et en verre sur lequel des poèmes ont été écrits en encre, la position du personnage donne à la sculpture l’allure d’une prière éternelle. Fruit d’une résidence artistique au Centre, Sadika Keskes, est parvenue, grâce à la collaboration des artisans de la région, à restituer une belle sculpture d’une voix belle, rebelle et engagée. Une sculpture qui vient immortaliser l’image d’un poète proscrit par les codes et les régimes car criant sa révolte contre la domination, la répression et l’exaction des tyrans à la face du monde. Cette sculpture qui sera dévoilée au public le 13 Août 2016 à l’occasion de la célébration de la journée de la Femme et du soixantième anniversaire du CSP, est aussi un hommage à un poète qui a placé la patrie (Ouhoubbou El Bilad) et la femme (Nisaou Biladi) au cœur de son combat. » (consulté le 30 Août vers 21h). Ce petit extrait montre à l’évidence que l’objet de la commande n’a pas été circonscrit et bien délimité, que le commanditaire a donné son aval dans l’ignorance des médiums de l’art et des matériaux. L’abandon de la couleur verte est à mettre peut être à l’actif de l’artiste. En effet en cours de réalisation des idées nouvelles peuvent surgir et influer ou bouleverser les premiers élans ou choix. Le terme « encre » par contre est plus problématique. N’importe quel étudiant aux beaux-arts sait pertinemment que ni le verre et ni le métal ne peuvent absorber l’encre et que cette dernière ne saurait être un matériau pour une œuvre en plein air. On ne demande pas certes à un directeur d’un centre culturel d’être au fait des techniques et des matériaux de la sculpture mais d’être conscient de ses limites et de s’entourer de conseils avisés. Le dessin montré à la veuve du poète, publié en guise d’illustration du texte mentionné plus haut et supprimé depuis, laisse plutôt entrevoir une finalité d’ordre sculptural : une figure apposée sur un socle. De cet angle donc, on peut dire que le CCIH a commandé une sculpture.

L’angle de l’artiste : Après le déclenchement de la polémique et si l’on se réfère aux différentes déclarations publiques de l’artiste, l’œuvre serait une installation. L’artiste parle de son œuvre comme étant une des plus grandes et monumentales installations jamais réalisées par elle. Il s’agit dit-elle d’une « installation d’art contemporain, mais pas d’un portrait d’Ouled Ahmed ». « C‘est mon interprétation personnelle d’artiste où j’ai voulu exprimer la souffrance du poète et celle des personnes qu’il a défendues. Ce visage, n’est pas celui d’Ouled Ahmed, il est le visage de centaines de gens que j’ai côtoyés dans les régions défavorisées qui ont subi la même souffrance que le poète a portée

Le communiqué de l’UAPT Il se subdivise en 5 points : 1. Rappel et reconnaissance des principes de liberté d’expression et de création, du droit à la diversité, du pluralisme des expressions artistiques 2. Conditions et déontologie de la critique et de l’évaluation artistiques 3. Condamnation des déclarations et propos assimilant toute critique de cette œuvre à une entreprise d’ennemis du poète disparu, de l’art et de la liberté artistique 4. Demande d’une enquête des autorités sur les conditions et les critères aboutissant à la transaction concernée. L’institution est ici dans son rôle d’organisme professionnel exigeant la clarté sur les procédures, règles et opérateurs de sélection et d’attribution dans le cadre d’une commande publique, ainsi que pour l’octroi de subventions et aides à la production artistique. Ces modes transparents, efficaces et équitables doivent cependant être systématiquement appliqués, y compris dans les opérations où les membres de l’organisation sont parties prenantes. 5. L’enlèvement de l’œuvre : Cette requête nous semble non seulement en contradiction avec les premier et quatrième point mais dangereuse en soi car pouvant faire jurisprudence L’avocat A. Ghedamsi 1. De prime abord, l’auteur compare la « campagne » de rejet de l’œuvre de SK à celle orchestrée par les salafistes contre les œuvres et les artistes ayant exposé à el Abdallia. Il associe également les critiques portées à « Prière éternelle » aux attaques à la championne sportive H. Ghribi. Cela constitue à nos yeux un paralogisme et un amalgame éhontés devant conclure à rendre SK victime de conservateurs extrémistes et obscurantistes ennemis de la liberté d’expression et de création (alors que l’auteur reproche aux critiques de SK sophisme et démagogie !). Pourtant, la simple et honnête observation ne peut ignorer les dissemblances radicales dans les contextes politique, culturel, événementiel, ainsi que pour les acteurs de la controverse. 2. Une large hagiographie de SK, mais approximative sinon incertaine En tant qu’artiste ayant exposé dans la galerie de SK, le contraire aurait été étonnant. 3. La troisième partie du texte est une vaste plaidoirie esthétique fondée sur la revendication de la liberté d’interprétation de l’artiste et la modernité de l’approche, émancipée des canons classiques ou conformistes; convocation (hasardeuse !?) d’exemples de l’histoire de l’art: Vélasquez, Bacon, Sow...Cependant, rien sur le parcours de production artistique visible de SK légitimant cette insertion dans l’évolution de la création artistique. Pour être convaincante toute comparaison doit-être contextualisée. Les exemples choisis ne relèvent pas de commande publique ayant pour objectif d’honorer la mémoire d’une figure artistique emblématique. Il aurait fallu évoquer les usages et traditions en matière de commande publique à destination honorifique tels que pratiqués dans les pays européens par exemple. Parce que mettant en jeu diverses sensibilités (amicales, familiales, régionales, …) cette forme de commande publique n’est jamais confiée de gré à gré et fait l’objet de concours et de plusieurs concertations. Le concours n’a pas uniquement valeur administrative ou légale. Il permet, sans toucher à la liberté de l’artiste de choisir une proposition parmi plusieurs possibilités. Les familles sont généralement impliquées dans le choix. La référence à l’histoire de l’art occidental sert ici de paravent pour légitimer une démarche confusément douteuse sinon malhabile. 4. Un retour sur les fondements latents supposés de la polémique: critique artistique ou concurrence dans le champ de la commande publique ? Faut-il rappeler tout de même que la commande publique d’une œuvre emblématique, - avec son objet, son contexte, ses valeurs et représentations-, a des contraintes particulières, différentes du cadre des travaux exposés personnellement par un artiste, même si c’est toujours cet artiste qui présente sa vision au sein de ces contraintes particulières. L’organisation de la commande et son exécution ont alors des procédures différentes, la réception critique a également des déterminants différenciés.

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dans ses poèmes. Pour la sculpture, il s’agit d’une œuvre d’art contemporain. C’est une installation qui représente un personnage debout de grande taille à la mesure de sa grandeur sur un tapis de poésie avec un chat qui représente l’ombre du poète, une manière de le sacraliser. Le grand poète n’a-t-il pas évoqué le chat dans ses poésies ? C’est pour moi une prière éternelle. Cette prière restitue de manière artistique les blessures accumulées, la souffrance et l’humiliation subie. C’est donc un personnage qui a su dompter la mélancolie. Il l’a apprivoisée. C’est une prière pour un poète dont les poèmes furent un baume dans la grande détresse pour une jeunesse brimée et désorientée. En revisitant l’amitié, l’amour, la souffrance, les songes, les illusions ou même le bonheur, Ouled Ahmed ne redessinait-il pas, par sa poésie, sa propre cartographie ? » 8 Dans une autre interview, accordée au journal Le Maghreb, l’artiste dit ceci : « … le visage s’est révélé ressemblant à l’image habituelle de Ouled Ahmed avec la bouche ouverte à dessein symbolisant la voix qui ne s’est pas tue , sans trêve, qui n’a pas complu et qui a choisi d’être libre et rebelle ….quant au corps, je l’ai voulu mince indiquant la souffrance qui a caractérisé la vie du poète dans son combat contre le pouvoir et la maladie » 9 De cet angle, l’artiste aurait livré une installation. S’ils existent, les termes de référence de la commande ne peuvent pas se prévaloir d’exactitude. D’une interview à l’autre, l’artiste rejette le principe de ressemblance physique avec le modèle représenté et l’adopte ensuite. Ce n’est pas un portrait mais le visage s’est révélé ressemblant. Ce n’est pas Ouled Ahmed mais j’ai opté pour un corps chétif pour traduire sa souffrance et sa maladie… Du physique du poète, l’artiste ne semble avoir retenu que les images particulièrement morbides de sa fin... Comme s’il n’a jamais été bien portant ni bien vivant comme si seul le cancer avait droit à l’immortalité. L’artiste se positionne par ailleurs sur le plan de l’art dit contemporain et de l’interprétation personnelle. En sourdine elle semble revendiquer un droit à l’immunité esthétique. Dans ce contexte, le recours à la notion d’art contemporain ne saurait être neutre. Ce dernier, du moins en Occident, a souvent privilégié le discours sur l’œuvre, c’est-à-dire les intentions de l’artiste sur le produit de son faire. Les institutions artistiques dites d’art contemporain, par discours interposé entre autre, ont introduit dans leur collection les objets les plus divers... De la feuille de laitue jusqu’aux machines reproduisant la digestion et les déjections humaines. Dans le « c’est mon interprétation personnelle », il y a le « c’est mon choix d’artiste » supposé être au-delà de toute critique. Dans la référence à l’art contemporain (dans une interview accordée à «Mosaïque fm», l’artiste dit avoir réalisé son installation selon les règles de l’art contemporain), nous pouvons déceler un « Jugezmoi en fonction de mon discours, de mes intentions et non en rapport avec mon produit ». Le registre de l’expression personnelle et de la liberté d’expression, dans lequel l’artiste et son commanditaire se sont efforcés à nous conduire, n’autorise pas, à ma connaissance, un artiste – particulièrement dans le cadre d’une commande publique à caractère emblématique - d’user à sa guise de l’image d’un autre, qui plus est une icône très adulée. Le corps du poète, sa mémoire appartiennent à tous ses lecteurs et admirateurs ; il n’est pas une argile manipulable à souhait au gré des fantasmes de l’un 8. La presse de Tunisie du 18 Aout2. Mosaïque fm. 9. Le maghreb du 15 Aout4. El akhbaria ettounissia du 15 Aout.

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et de la surenchère de l’autre et des événements ponctuels. Prendre le pari de représenter son corps et sa symbolique constitue en soi une contrainte supplémentaire au même titre -sinon plus, que les contraintes propres au travail des matériaux et leur mise en forme plastique. Ce parti pris exige étude, expérimentation et concertation. Il ne suffit pas de dire qu’il ne s’agit pas du visage du poète, de rejeter le réalisme ou de récuser la mimesis ; Il s’agit ici de proposer concrètement un corps plastique digne de représenter le poète, reflétant sa fougue, son engouement, son amour pour la vie. Il s’agit de l’immortaliser non dans son trépas mais dans sa chaleur, son ardeur, sa ferveur, sa vitalité, bref sa liberté de poète créant et innovant. Il n’existe pas par ailleurs de règles spécifiques à l’art dit contemporain ; celui-ci s’est construit d’ailleurs contre et à la marge de toutes les règles préétablies. Chaque artiste contemporain ou se déclarant comme tel devant établir ses propres règles qui seront soient acceptées par le public et les institutions artistiques soient dédaignées.

Prière éternelle, détail, visage.

Description de l’œuvre Prière éternelle se compose de deux parties antagoniques : 1/ une figure verticale tridimensionnelle d’une hauteur de 270cm environ représentant un homme debout, dos à la mer, pieds écartés, mains dans les poches. Les « yeux » du personnage, évoquant le poète et sa souffrance selon les dires de l’artiste, semblent fixer un au-delà et apparaissent comme crevés, sa « bouche » grande ouverte et son nez bouché. 2/ Cette figure est disposée à la limite Est de la partie horizontale. Cette dernière est agencée en trois éléments clairement distincts : un parterre rectangulaire en béton carrelé au centre duquel émerge un parallélépipède creux dans lequel est installé un dispositif d’éclairage et sur lequel est fixé un plan en fer gravé au laser laissant voir une figure stylisée de chat rappelant les représentations égyptiennes de la déesse Bastet et des extraits de poèmes d’Ouled Ahmed. Une partie de ces derniers se donnent à lire à partir du versant Est, l’autre à partir du versant Ouest. Sous la strophe « nissaou biladi, nissaon wa nesf », l’artiste a apposé sa signature bien en évidence. Du verre plat est scellé sous les vides typographiques à caractère droit tandis que du verre soufflé en boule semble émerger de ceux à caractère rond ( comme le sa , le ta, le tha ). Sur le « dos » de la figure on peut percevoir une deuxième signature de l’artiste comme on peut distinguer clairement un bout du fer ayant servi à l’armature de la sculpture et qui, on ne sait pas pourquoi, n’a pas été recouvert par les matériaux utilisés en guise de chair ou de vêtements. On ne comprend pas non plus pourquoi les narines sont bouchées. Non ressemblante ou peu, mécaniquement symbolisée, la figure sculptée n’est pas pour autant une allégorie du poète maudit. Elle évoque bel et bien le poète et peut être assimilée à lui. Immortalisée dans la souffrance, dans la douleur physique et intellectuelle alors qu’il était bon vivant. Nous pouvons dire par ailleurs que l’artiste n’a pas cherché à dialoguer avec l’espace du jardin et que son œuvre peut être reçue par un autre espace. Il est donc erroné de la qualifier d’installation définie comme une catégorie esthétique faisant corps avec l’espace la réceptionnant. Il s’agit plutôt d’un ensemble

Prière éternelle, détail, signature latine incorporée au texte poétique.

Prière éternelle, détail, forme découpée du chat.

Prière éternelle, détail, signature au dos de la figure du poète.


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sculptural en deux parties : une statue renvoyant à Ouled Ahmed sans pour autant représenter ses traits à l’identique et un soubassement qui se donne à lire.

Matériaux et techniques ? Les matériaux de Prière éternelle ne sont pas mentionnés par la plaque commémorative juxtaposée à droite de la figure. Pour le corps, outre le fer ayant servi à l’armature de la figure du poète, l’artiste a déclaré avoir utilisé le même matériau que celui servant à la fabrication des pierres reconstitués de Dar Chaabane, c’est-à-dire une sorte de mortier obtenu par mélange d’agglomérats de pierre broyés et de ciment. Pour la tête, elle dit avoir recouru à de la gomme et à de la cire. Différentes photos relayées par la presse en tant que teaser et une vidéo datant du 4 Août et postée avant l’inauguration montrent que l’artiste a procédé en premier lieu par modelage. Nous supposons donc que la figure du poète telle que montrée dans l’œuvre définitive a été obtenue par moulage et que ce dernier a été armé de fer. L’assemblage des deux parties a du nécessiter des moyens logistiques conséquents ne serait-ce que pour dresser la sculpture.

Le coût, le don ? Le coût de l’œuvre, financée sur le budget du festival et non celui du centre, s’élève à 25 millions dont 14 ont servi à payer les matériaux et les 20 ouvriers / assistants. L’artiste déclare qu’elle s’est dessaisie de ses droits d’auteur au profit du Ministère de la culture. Moez Mrabet affirme que l’artiste a quasiment offert cette œuvre au centre. L’artiste n’a cessé de souligner son désintérêt financier. A la croire sur parole, on penserait que son travail a valeur de don, c’est-à-dire -il faut être bien naïf pour le croire- sans contrepartie aucune. Ne préjugeons de rien, supposons un instant qu’il s’agit bel et bien d’un don. Depuis Mauss (Essai sur le don), on sait qu’un des actes fondateurs du don est son acceptation par le receveur. Un don ne peut s’accomplir donc que s’il est accepté par un receveur. La question qui se pose alors est : Qui est le receveur ? Si c’est le directeur du CCIH, commanditaire de l’œuvre de gré à gré, au nom de la communauté, le don est alors accompli. Si le receveur est le public dans son sens le plus large, celui-ci a manifesté clairement son refus de ce « don ».

La signature ? En signant à trois endroits différents (dos de la figure du poète, plaque de fer gravé au laser, plaque commémorative, l’artiste montre -peut être inconsciemment- qu’elle n’appréhende pas son ensemble sculptural comme une unité mais comme une somme d’éléments divers ne pouvant faire UN. Un écrivain, à titre d’exemple, n’aurait pas l’idée de signer à part chaque chapitre de son roman. L’artiste a par ailleurs bien glissé sa signature sous la strophe « nissaou biladi, nissaon wa nesf ». Cette intrusion du caractère latin dans un texte à caractère arabe fait mouche. La signature de l’artiste se meut ainsi en point de mire attisant l’œil du spectateur, un peu comme un taxi jaune dans l’espace urbain. En se signalant triplement, en se mettant en valeur de la sorte, en ajustant sa signature à la strophe, l’artiste a plutôt œuvré pour une mise en valeur de sa propre image portant de l’ombre au poète et à sa poésie. Mais peut être qu’elle n’a pas eu le temps d’étudier toutes ces questions ; l’urgence de la commande faisant obstacle à l’entendement ou au discernement. Dans une entreprise commémorative, particulièrement quand on fait usage de texte, l’artiste ne doit-il faire preuve de repli et se concentrer essentiellement sur ses matériaux, ses difficultés plastiques et

techniques. Une petite plaque en cuivre indiquant le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, les matériaux utilisés, les dimensions, n’aurait pas été suffisante ? Les extraits des déclarations de l’artiste et du directeur du centre de Hammamet, tels que cités plus haut, insistent également sur la participation voire la collaboration de plusieurs artisans de la région. Dans une interview accordée à El Waqaa (en ligne le 17 Aout 2016), l’artiste s’est exprimée sur le rôle joué par les artisans qui ont contribué, chacun à sa façon, à la production matérielle de l’œuvre. Mon travail dit elle « n’est pas individuel mais collectif ». Ces déclarations insistantes ne peuvent que se faire remarquer et font ressortir une autre image de l’artiste et de son commanditaire : celle de personnes soucieuses de leur environnement économique, à la limite bienfaitrices des arts et métiers. Si, dans son ensemble le travail fourni pour la réalisation de Prière éternelle est considéré comme collectif, il aurait été plus judicieux de mentionner les noms de tous les artisans. La prière serait dans ce cas bien collective.

In fine La communication de l’artiste et de son commanditaire a été particulièrement ponctuée d’incohérences et d’imprécisions. Elle montre également une confusion dans les concepts y compris au niveau de la nature même de la commande. Sûrs d’eux-mêmes jusqu’à l’arrogance et le mépris du public, se croyant au-dessus de toute critique, se servant du pilier institutionnel, ils ont mené leur petite aventure, de gré à gré, sans concertation, négligeant même d’impliquer la famille du poète disparu. Ensemble, ils ont œuvré à déplacer le débat du ratage esthétique et symbolique à celui de la liberté d’expression. Dans plusieurs déclarations, le directeur du CCIH s’est auto-attribué un rôle qui n’est pas le sien, celui de critique d’art. Si la réaction de rejet de l’œuvre par un large public, apparue notamment sur Internet, a été parfois si violente, ce n’est pas parce qu’ils sont ignorants de l’art et de ses procédés mais parce qu’ils n’ont pas retrouvé la fougue et l’audace du poète dans cette œuvre supposée lui rendre hommage. C’est parce qu’ils n’ont pas accepté de voir dans la béance des yeux « un regard », dans le trou de la bouche « une parole » comme le veut l’artiste. C’est que la valeur symbolique d’un poète ne peut se conclure, de gré à gré dans les coulisses d’un centre culturel aussi international soit-il. C’est qu’une telle entreprise ne peut se concocter en 15 jours et qu’elle exige recul et concertation, d’autant plus que c’est une première aussi bien pour l’artiste que pour son commanditaire, mais également pour le public des amateurs de poésie. Peut-on gaspiller les deniers publics pour mettre en avant son image, se servir de l’image d’un poète pour grossir davantage son égo ampoulé, se cacher derrière les artisans pour parfaire son image de bienfaiteur… entretenir encore plus l’incohérence au grès des convenances ???? Cet article s’est saisi d’une commande publique particulière pour souligner des incohérences ou des abus à plusieurs niveaux. « Prière éternelle» ne saurait être cependant une exception. Plusieurs autres maux rongent la gestion des achats et des commandes publics des œuvres d’art. Nous y reviendrons.

Nadia JELASSI Artiste, enseignante à l’ISBAT Tunis le 4 Septembre 2016

Prière éternelle, vue générale de la figure du poète.

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érections impertinentes, ou quand l’art débande. La laideur court les rues. Elle enfle et silhouette les volumes bâtis, fuse dans les façades, s’agrippe aux perspectives, régente des alliances douteuses entre vides et pleins, signe l’aspect général en même temps qu’elle investit les infimes détails. Neuf fois sur dix, le béton armé s’érige comme une attestation patente de nos défaillances voire de nos faillites intellectuelles et artistiques. Chaque vue sur ce qui devrait faire “faciès” , nous alerte sur l’absence désolante d’un point de vue qui serait l’autrement dit d’un point ou d’une pointe de l’esprit. La laideur est un mode de transport urbain , elle nous accompagne pas à pas à nos écoles ,à nos lieux de travail et ne ménage pas de nous conduire jusqu’ à nos résidences terminales où le chaos et l’anonymat de l’architecture des tombes répondent point par point à la cité des vivants. Pour embellir nos tristes cités , les places et les carrefours se présentent comme des zones de rachat au cas où un soubresaut politique , pour des raisons pas toujours catholiques, décide d’y implanter un ouvrage d’art . En contrepoint à la laideur courante on pose et oppose des œuvres focales, autour desquelles on gravite et qui de par les sujets traités nous renvoient à nos richesses partagés ou considérées comme telles !certaines exposent des biens matériels ne cachant pas la connotation vénale d’autres se préoccupent de données plutôt symboliques ( en consacrant la mémoire d’un geste héroïque ou en déclinant des figures du patrimoine immatériel par exemple) . la faune ,la flore, les produits artisanaux , objets et personnages sont convoqués séparément ou par groupuscules pour répondre à notre appétit esthétique dans sa dimension communautaire et urbaine. Neuf fois sur dix ses totems dressés comme un gage en vue de stimuler le vivre-ensemble autour d’un symbole fédérateur, arborant des atours artistiques, ratent amèrement leur mission, pour ne pas dire que le ratage est déjà programmé en amont! formes et volumes ne sont soutenus que par leurs prix de revient , temps passant elles deviennent les fidèles auxiliaires pour donner la nausée . Ce nuancier de calamités artistiques ponctuant nos villes et parfois s’insinuant dans des aires universitaires voire administratives ne semblent préoccuper personne , nos facultés de jugements semblent suspendue à son contact comme s’il faisait toujours partie de l’ordre coutumier des choses ! pourquoi donc “prière éternelle” de Sadika a suscité tant de remous et a déchaîner tant de passions ? Cette installation serait -elle le bouc émissaire qui

Le soldat qui ne supposait plus À la question du philosophe tutoyeur, le comptable sourcilleux des manques à gagner ne trouva de meilleure réponse qu’un lent et savoureux soupir... ponctué des raclements de gorge de circonstance... Comment en effet répondre à quelqu’un qui ne connaît du langage que l’accusatoire et des silences ne veut que ceux qui lui permettent d’injecter, dans le continuum ennuyeux des raccords, quelque système « ordonnonçateur » ou une fonction mathématique capable de contenir la complexité de l’instant. Maintenant, sur les hauteurs verdoyantes qui, forcément, surplombent un bleu rassurant, le Tunisien armé des outils traceurs légués par le ministère des dérives administratives, semble s’assagir et trouver à son séjour sur le territoire aux idées-qui-pendent un contresens nouveau : Si chaque passant se mettait à ramasser chaque grain de poussière que ses pieds soulèvent, nous deviendrions tous -telle une armée- les défenseurs des marges virtuelles. - Explique-toi, dit la fée en changeant la vitesse de

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payerait pour le concert des faillites précédentes ? Dans tout les cas un malaise généralisé a eu raison d’un grand nombre de déçus , les plus romantiques sont scandalisés ! Je ne prétends nullement simplifier ses réactions viscérales des regardeurs qui engagerait autant le psychologique que le sociologique , autant l’art qui se fait que l’art qui s’est fait , et je zappe la commande et sa légitimité car, là, n’est pas du tout, à mon sens, l’essentiel . je ne me tiendrai qu’à une interprétation , elle ne prétend pas chasser toutes les autres, possibles, mais tout le contraire , elle les appelle . Cette fois-ci la chose-artistique- ne passa pas! il ne s’agit point de déployer l’envergure d’un aigle , de concocter un assortiment d’agrumes ou de figurer quelque distraite et anodine sirène , cette fois -ci l’enjeu est de taille , et ce qui est censé être traité , une fois élagué du circonstanciel et de l’anecdotique , n’est rien d’autre que l’auguste Mort . Mort d’un poète pour et par la grâce de la poésie! La mort serait le point de fuite de tout les thèmes imaginables , là ou quelque chose de saisissant se fait jour , on la trouve aux commandes ; elle est mère de toutes les inventions; les arts , les dieux et les chants naissent et meurent sous sa tutelle. on ne badine pas avec la mort et surtout on ne l’approche point les mains dans les poches! Depuis que les religions monothéistes régentent à elles seules les relations ciel-terre , il y a eu comme une confiscation résolue et définitive de la mort. La mort mère des arts et des inventions se trouve complètement dévitalisée, elle est tristement rabaissée au statut d’une docile servante dont on use et abuse dans les cathédrales et les mosquées pour tenir en laisse une masse de fidèles décervelée.Cette servante n’est tenue à jouer qu’ un seul rôle: semer la peur , mieux, la panique pour que la mise au pas des soumis ait lieu. Notre grand poète Ouled Ahmed , par sa plume et son art laisse entrevoir d’autres vases communicants entre ciel et terre , plus de trône où siège un dictateur , plus de soumis à ses pieds. il faut bien finir avec l’esclavage !et que le ciel saturé regagne ses vacances; l’imaginaire est à mettre au travail ! Ce n’est que la vie assumée dans ses élans créateurs qui peut avoir raison de cette mort programmé de la mort, l’authentique mort réclame son droit à la vie car c’est de sa vie que dépend la valeur et le rayonnement de la notre! A l’ ère de la mort des dieux , la mort n’est plus sous surveillance divine , elle n’est plus une patente entre les mains des représentants du ciel, désormais la mort devient un bien commun qui comme l’agriculture , le gaz ou le pétrole participe à la croissance et au bien être d’une société. Mais ce n’est pas en enfouissant les mains dans les

poches (ce qui n’est au fond qu’une ruse pas rusée supprimant les mains et le manuel pour s’acquitter aux moindres frais d’une tache jugée ingrate- le dessin de la main :une gageure pour les étudiants en art -!)qu’on boostera le taux de croissance de nos affects et de nos pensées! l’expression , la portée symbolique d’une oeuvre ne s’obtiennent pas par décret et ne peuvent découler d’un CV , elles se conquièrent au terme d’une lutte acharnée avec et contre des matériaux ; avec et contre des idées. Ce n’est qu’en prenant le pouls de la mort qu’on peut espérer accéder à l’ arène de l’art ; ce n’est qu’on considérant la mort dans son irruption sauvage suivi de cet absurde silence de tombe qu’on peut atteindre au style ( entendant sommairement par style un mode d’ être nécessaire et authentique unissant dans un même souffle la forme et le contenu); les œuvres qui méritent le qualificatif d’art ne peuvent faire l’impasse sur la mort et son travail; la mort n’est pas là que pour signer la fin de séjour des êtres vivants ; plus encore elle nous sommes au mouvement et à la création car tout est mortel , les valeurs , les religions , les systèmes de pensée, etc , s’ entêter à les inscrire dans l’ éternité reviendrait à signer notre arrêt de mort, symbolique certes, mais combien en connivence avec les affects de la haine et du ressentiment ! Une oeuvre d’art authentique détient dans son secret réservoir un inépuisable stock d ’énergie créatrice ; d’ailleurs elle se juge enfin de compte à l’aune de sa faculté d’essaimage grâce aux forces régénératrices qu’elle peut communiquer à son regardeur. Cette “prière éternelle” qu’est ce qu’elle peut me faire désirer ou me faire faire? pas grand chose non pas que le principal protagoniste a les mains dans les poches mais parce qu’elle ne témoigne d’aucune volonté de puissance qui s’est risquée de regarder en face la mort pour l’impliquer dans l’acte instaurateur . Mes propos ne concernent pas que le travail de Sadika. On endosse tous la responsabilité de cet état de choses , l’art n’est pas qu’une discipline qui s’enseigne -science! auraient dit les plus angoissés!- c’est aussi un état d’esprit qui s’affine au contact de la vie et de ses énergies créatrices, qui s’ épanouit dans cette activité complémentaire qui le met face à la mort et ses dérivées .le malheur c’est que la pratique artistique telle qu’elle expose ses produits dans nos contrées , se réduit souvent à des bricolages formels qui recyclent ou détournent des motifs ou des attitudes formelles puisés dans l’encyclopédie générale de l’art , son intérêt peut être documentaire ou ludique( d’ailleurs on les accueille avec un sourire amusé! ) mais ne peut aspirer au statut d’objet symbolique et imaginaire , déclencheur d’émotions esthétiques! Réhabilitons la mort et la mort nous sauvera !

son véhicule sanctifié. Le locuteur sans stratégie -par manque de stratégiese résout au silence... ensuite, soudain, à l’occasion d’un détour par chez le pharmacien, il décida de répondre avant que son aimée ne le bourre de médicaments à faire s’effondrer un dinosaure bicéphale : - Ce que tu demandes est tout simplement impossible ma petite fée !. Pour que je parvienne à m’expliquer, il faudrait que quelqu’un m’indique ma position, qu’il me dise où je me trouve pour que je perde mon faux Nord, que j’épouse le Nord de l’Autre et que je me mette à produire, à mon tour, une prose, un poème ou quelque théorie qui me contienne !. - Perds tes comptes... Trompe-toi... Erre... Tue le philosophe. - Non... Pas lui, dit le comptable... il est mon témoin !. Sorti du tunnel aux cadavres non crucifiés, les choses, au lieu de se clarifier comme à l’issue de tout tunnel, se compliquèrent jusqu’à la nausée... contre toute attente, elle déclara : - Sais-tu seulement que les ratures ne sont pas aussi graves qu’elles n’en ont l’air !?. Chaque trait sur un bilan comptable peut si tu veux, ouvrir les archives du poème. - Il existe, quelque part, une trace parfaite, une ligne sans fin reliant le début des histoires à la fin des temps... je cherche à raconter un flux financier qui n’existe que

parce qu’on en parle... tu, il disparaît. Le véhicule qui hébergeait le présent de la conversation vibra à l’écoute du couple voyageur et décida de prendre la parole : - Heureusement que nous ne nous connaissons pas. Ce que le véhicule pense ressemble si peu à ce qu’on prévoyait pour lui sur la planche de dessin ! il accumule les affects et a une histoire !. Comme tout ce que les couples voyageurs font, ce que ce couple fait, pense ou espère constitue, très vite, une archéologie amoureuse que le véhicule enregistre et qu’il transmettra. Supposons maintenant que le véhicule décide de ne plus bouger, de se rebeller contre son constituant ontologique premier : ÊTRE-MOUVEMENT !. Que se passerait-il ? Que resterait-il de la volonté des couples ?. Si les objets se mettent à décider de la rime à donner aux poèmes des errants, que resterait-il aux doctes à enseigner sinon l’art, parfois répétitif, de la reliure.

Imed Jemaïel

Maintenant arrêtons de supposer et ouvrons le livre vierge des comptes restés suspendus depuis les insurrections programmées ; Voilà... ça y est... c’est fait... Plus personne ne suppose... tous subissent... Voici arrivant de la mer les curieux soldats qui ne


état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

supposent plus... ils mettent pied à terre après avoir subi les houleuses vagues que vous connaissez, ces vagues prévisibles qui renversent les tasses pleines de sang multicolore... Les soldats qui ne supposent plus prennent chacun une poignée de terre et se la gardent... Mais pourquoi faire ?. Les soldats, s’ils ne supposent plus, continuent à se poser des questions, à la grande surprise des crabes, des requins, des pieuvres et des présidents des républiques peu laïques. Un président récalcitrant décida de se défaire de ses collègues administrateurs et de s’aventurer sur le territoire de la République Territoriste de Théorie pour tenter de comprendre le véhicule poète du couple voyageur. - Écris véhicule !, s’exclama le Président, écrismoi quelques lignes historiques, quelques lignes que personne d’autre que moi ne comprendra, écris-moi en cryptant le Beau et le Bien pour qu’ils ne soient visibles que par moi, pour qu’ils ne soient audibles que par la femme que je choisirai. Le véhicule libre de sa cargaison d’amoureux, ne sachant quoi répondre, décida d’inventer un langage spécialement codé par sa tuyauterie pour les prolétaires ; c’est que le véhicule en eût un peu marre des donneurs d’ordres et décida de se mettre à la disposition des soldats qui ne supposent plus pour éveiller leurs consciences militantes... pour qu’ils se remettent, au meilleur des cas, à se supposer arrêtant d’être des soldats. Ça a marché !. Les soldats qui ne supposaient plus se supposèrent, pour la première fois de leurs existences, un statut nouveau : ET SI NOUS N’ÉTIONS PAS-PLUS-OU JAMAIS_ÉTÉ DES SOLDATS !?. Il leur fallût comprendre très vite qu’écrire ne se fait pas nécessairement contre un ennemi supposé, qu’écrire se fait face à l’image de Soi, devant Soi multiplié en mille personnages, en mille récits centrés sur une traversée unique. Plus de véhicule à l’horizon... l’armée de littérateurs improvisés prît place sur une terre semblant vierge de pas et vît ses soldats, jadis ordonnés tel un organisme autosuffisant, se fragmenter... chaque soldat se mît à creuser le sol et chaque soldat trouva son masque enfoui l’attendant... chaque soldat se mit à converser avec son masque... le capitaine du bataillon assista quelques minutes la bouche bée au spectacle de ses guerriers pervertis ensuite se suicida en s’étouffant avec son SUN TZU imbibé d’eau de mer. Puisqu’il faut bien revenir, un instant, au couple amoureux, notons que nous n’en avons plus, vous et moi, besoin !. Supposons qu’ils se soient, non pas évaporés, mais qu’ils aient subi quelque phénomène comparable à ce que nous réussissons par le Cinématographe : re-léguer à l’invisible vers le dehors... le champ de tous les champs, l’espace qui transcende la contenance... le non-lieu qui innocente tout opérateur... Revenons au lieu. N’avez-vous pas remarqué que vous avez le sentiment de l’existence d’un lieu presque palpable qui sourd de et parmi ces lignes !?. N’avez-vous pas le sentiment que vous y êtes, que vous humez le parfum de la femme du véhicule, que vous entendez le crissement des troncs des arbres qui la clôturent ? ... N’avez-vous pas déjà imaginé la couleur du sol que foulent les pieds des soldats qui, eux, ne supposent plus et n’imaginent même plus ? … qui ne supposaient plus que les cris des grenouilles obéissent à une métrique surprenante : elles hurlent ne rien comprendre et unissent leurs ignorances dans l’espoir de produire la symphonie idoine qui dise leur désespoir. Que toutes les grenouilles envahissent l’école des Beaux-Arts !. Le lieu vous étant maintenant connu, acceptez qu’il soit divers et multiple, que LE LIEU se multiplie en tant de lieux, chaque lieu étant la représentation mentale du lieu, ce même lieu qui n’existe que parce que vous l’imaginez... la somme des lieux imaginés, un jour peutêtre, rencontrera le lieu idéal qui, comme par magie (ou, mieux, par sédimentation des pages qui portent la trace des images qui inventorient vos imaginaires) se mettra à ressembler à tous vos lieux réunis, unis par un sol puis prisonniers d’un territoire.

Un des soldats qui ne supposent plus s’égarera pour les besoins de ce récit dans le lieu qui vient de se créer... Mais attendez : je dois d’abord vous dire quelque chose, une vérité... une de ces vérités que j’aime à appeler circonstancielles, produit des circonstances qui se réunissent dans un lieu... j’arrête et vous livre cette vérité, valable pour ce paragraphe : J’ai toujours rêvé d’un texte autonome, un texte qui devienne un lieu mental sans autre personnage que, probablement, la matière du support, un pigment, une encre et la pagelieu !. Ce texte idéal ne verrait pas d’action se développer, ni d’intrigues se tisser et encore moins de structures dramatiques s’illustrer. Ce serait un texte-système... Une échappée finale vers l’autonomie... Un testament fermé à toute relecture... Un texte qui n’accède à la possibilité que par accident... et l’accident serait la rencontre inespérée avec un textesemblable qu’un autre auteur qui, au même moment, à mille kilomètres de mon ICI, aurait voulu le même lieu mental que nous. Voici – maintenant, à l’instant-même où j’écris- le soldat qui ne suppose plus s’offrir, pour la première fois de son existence réglée, le luxe de voir en le lieu, non plus un lieu à défendre ou envahir, à coloniser ou libérer mais un lieu à interroger, un lieu à sonder... à labourer par l’esprit... à comme-prendre... UN LIEU-LU et non plus un lieu-dit... Quelques pas prudents et le soldat se surprît à ne même plus avoir besoin de nommer les composantes du lieu, ou d’inventorier les données de son environnement ; chaque pas qu’il ose le débarrasse de millions de mots supposés aider l’Homme à meubler le silence des espaces muets. Le LIEU-DIT est maintenant un LIEUTU... Demain, sûrement, il redeviendra un LIEU-LU car le soldat qui ne suppose plus pourra - si me viendra le courage de le lui faire faire - soudain supposer que ce qu’il supposera adviendra au LIEU-SCÈNE. AU LIEU... DANS LE LIEU... SUR LE LIEU... EN BANLIEUE... Debout au milieu du LIEU-LU, le soldat qui ne suppose plus se surprît à se sentir regardé, pas par les arbres qui bordent le lieu - ce serait trop facile- mais par ses doubles, ses analogons faits de repas à goûter... d’expériences à tenter... Juste des expériences... ... rien d’autre que des expériences... Le LIEU-SCÈNE sera tout sauf une expérience pour le soldat qui ne suppose plus car une expérience suppose que l’on assume l’aventure des suppositions... les suppositions paramilitaires ne produisent que des victoires de papier... l’on suppose puis l’on couche sur la page-lieu l’expression toute subjective des lieux où l’on suppose ensuite l’on invite d’autres à revivre nos suppositions, leur trouver de nouvelles issues puis encore, au hasard des expériences, des suppositions et autres essais, soudain, sans crier gare - dirait le littérateur ferroviaire- un élan poétique viendra certainement donner un sens recevable à l’égarement du soldat qui ne supposait plus. Sur place et sur scène, le lieu-tu se fait réceptacle à artifices indispensables... le soldat qui ne supposait plus émît une première supposition : - Et si quelqu’un supposait pour moi !?. Et si chacune de mes pensées et chacun de mes actes étaient le fruit de l’esprit d’un regardeur, un décideur qui me fait supposer et quand supposer, depuis que je suis venu sur le lieu-scène pour supposément me remettre à supposer !. Le soldat qui ne supposait plus se met donc à supposer qu’il ne peut pas supposer parce que l’on suppose pour lui. Quel échec ! Quelque part, coincé entre le lieu-page, le lieu-dit, le lieu-tu et le lieu-lu, se love le décideur, celui qui donne à supposer... celui-là-même qui, sachez-le, limite le champ de suppositions. Ce décideur est un homme qui aimes les orthogonales bien que, dans le secret de son bureau, il lui arrive de danser sur les mélodies libanaises... Suivons ce décideur quelque temps et voyons si le flux de l’écriture nous ramènera vers le soldat qui ne

supposait plus, le soldat qui vient de s’aventurer avec l’expérience des suppositions qu’il s’initie à trouver. Vous savez quoi : abandonnons le décideur ; quel intérêt pourrais-je trouver à un imbécile qui pense diriger toutes ses fourmis vers le même trou !. Faisons ensemble que le soldat lui-même soit décideur, et décidons pour lui qu’au meilleur des cas il finira poète. Sachez tout de même une chose : j’écris au crayon 2B-Zéro qui me fait faire une course graphique fort agréable, si prenante que je renonce à me relire et renonce à construire... Une demi-droite textuelle suppose-t-elle l’identification d’un objectif préalable ?; sans doute... le mieux sera la recherche de l’épuisement, un LIEU-VIDE où toutes nourritures disparaîtront pour ne laisser que la fatigue puis le sommeil. Le soldat qui ne supposait plus, décideur en devenir, finira-t-il poète ? abrégeons... résorbons toutes les attentes et disons que oui. Attardons-nous sur la personnalité du soldat supposé poète-décideur ; on raconte qu’il est maladivement obsédé par la paix, à la base incapable de faire du mal à qui que ce soit. Converti au militarisme, il y aurait trouvé une solution : Seule la défense des territoires assure la paix aux territoires !. La paix qu’il cherche doit se faire manu scripturi... quelques poèmes bien acérés et le silence se fera. Sur le lieu-scène, le soldat enfin rasséréné fît le tour de son espace sacralisé par la découverte d’un élan intérieur, une esthétique récalcitrante aux prédestinations des lieux... un air de musique optimiste... ... et elle, la femme du véhicule apparût toute excitée : son étrange compagnon s’est transformé en essuieglaces !. Le cœur du soldat se mît à battre : est-ce elle, la femme-compagne idéalement faiseuse ? ... la parfaite quintessence de l’accord parfait, la scène de l’accord parfait, le diamant qui met tout le monde d’accord !?. Le soldat-supposé-poète la regarda descendre du véhicule qui ne sert plus à rien et fouler de ses pieds rares le sol du lieu-scène. Un temps durant, une émotion lui serra tous les muscles, comment réagir face à cette aimable intrusion !?. Est-elle une menace ?. Le corps pris de spasmes, le soldat-supposé-poète, au lieu d’exécuter le salut militaire de mise, se surprit à danser, peut-être comme le décideur dansait dans son bureau... plus rien de lui et en lui ne tenait droit, ni verticalement ni horizontalement, ce fût la fin de l’influence de son dressage orthogonaliste. Le soldat-supposé-poète et la femme-sans-véhicule, contre toute attente, ne vibrèrent pas à l’unisson et ne dansèrent pas ensemble et vous aurez deviné pourquoi : parce que c’est mieux ainsi, il vaut mieux toujours tromper les attentes sinon c’est l’ennui qui viendra nous prendre pour ne plus jamais nous rendre à nous-mêmes. Ils ne dansèrent pas !. Catastrophe !. Comment vais-je retenir votre attention maintenant !? ... moi qui ne suis pas Diderot. Décrivons leurs regards : Elle ne dit rien des yeux, rien d’autre que l’envie de voir ailleurs, une façade ou la perspective d’escaliers qui descendent vers la cave où se noient tous les espoirs dans l’eau sacrée de Zemzem. Lui, ferma tout simplement les yeux et tomba par terre, sur le mètre carré qui contenait son ombre projetée sur le sol du lieu-scène. Ici s’arrête le texte. Gardez l’impression que vous vous êtes faite du lieudit, du lieu-tu, du lieu-lu, du lieu-scène et du lieu-vide car votre construction mentale vaudra mieux que tous les destins que je peux inventer au soldat-supposépoète. Je peux néanmoins vous rapporter que le soldat ressuscitera et abandonnera définitivement toute velléité de faire de l’Art... il se remît à être un soldat-qui-nesuppose-plus et entoura le lieu-lu avec des barbelés pour défendre le souvenir de la femme qui se déplace et qui n’est convaincue de rien.

Samy Elhaj

Carthage, Août 2015.

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état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

Le mal de l’autre résonne aussi fort que ne retente une solitude mûrie dans la foule ; le réveil y met de l’aigreur autant que le sommeil n’en fabrique des oublis. Le temps que nous coulons, qui nous coule, ce même temps que nous invitons à chaque passé resurgi, dans ce qui se dira et les rires orphelins, ce temps que nous habillons de vestiges inventés, que nous glaçons sous des serments et que nous accrochons, fiers, aux feints passants, à des passages différés, à des haltes et des retours improvisés, ce temps que nous ingurgitons presque de gré, presque de force, ne connaît pas de mesure. Le mal de l’autre résonne aussi fort que ne retente une solitude mûrie dans la foule ; le réveil y met de l’aigreur autant que le sommeil n’en fabrique des oublis. Le temps qui n’arrête de partir, qui de chaque souffle restitué à l’air qui nous entoure, se fait ombre et prend allure, ce temps qui n’a de traces mais qui accuse le poids de nos rebours, qui nous déjoue la lumière à la moindre vie, qui nous fait pousser les remords à coups de mémoires et la foi à raison d’abandons, ce temps à la mine apathique, à la marche amnésique, au teint froidi et aux troubles contours, ce temps-là ne connaît pas de mesure. Le mal de l’autre résonne aussi fort que ne retente une solitude mûrie dans la foule ; le réveil y met de l’aigreur autant que le sommeil n’en fabrique des oublis. Le temps qui nous écourte la parole, nous roule les promesses et s’offre en résidu, ce temps qui nous sème dans les maigres présences, et les discours à mensonges et les rêves aplatis, ce temps nous offre de quoi nous pâlir, de quoi nous polir pour glisser facilement, pour passer gentiment et ne retenir de nous-mêmes le soupçon d’une constance, ce temps qui nous rétracte dans l’autre, dans son mal, dans sa bêtise, nous prenant en otage, il ne nous appartient pas, ce temps-là, jamais, ne connaît la mesure.

Le Grand Gâteau et la Petite Cerise Traitresse aux chemins de la perte et au labyrinthe de tes tourments tu veux retourner. Je t’ai aimé et ce sont tes labyrinthes que tu brodes avec les ombres de tes pensées faites de mon amour, mon amour pour toi, ce sont ces labyrinthes que tu préfères et moi qui aimais ton jeu… Tu es amoureuse de tes propres pertes. Quand ? Quand viendra le moment où tu pourras juste comprendre que c’est toi mes labyrinthes et c’est toi mes pertes car c’est toi et toi seul mon amour, l’amour qui me propulse vers une infinitude incertitude ! Quand tu vas arrêter de poser des questions là où tu as déjà les réponses ? Quand tu vas cesser avec ta jolie rengaine d’antan : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime, Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. » Tu sais. Il y’a des soirs, comme celui ou tard la nuit, j’ai la gorge nouée. Les larmes me remontent aux yeux. Elles me brulent les yeux. Elles me resserrent encore plus la gorge. Elles compriment ma poitrine. Elles compriment mon cœur. Elles donnent à ma bouche un goût amer. Elles assèchent ma bouche. Ma langue colle à mon palais. Ces nuits là, les souvenirs refoulent mes derniers remparts. Ils lézardent ma carapace, je prends ma cigarette, je soupire, j’échange un regard désormais familier… et je l’allume et me dépêche de taper ces mots qui se bousculent dans ma tête et j’en noircis cette page blanche… Prise au milieu des méandres de mon être, à la lueur de cette lumière patente jaillissant de mon briquet et cette masse inerte de tabac mystifié aux enclos d’une feuille blanche à peine transparente, une sensation abjecte de flou me submerge et remonte en moi cet insupportable malaise de l’être… désemparée, embarrassée, troublée, désorientée, désarçonnée, confuse par cette absurde pensée, je rapproche l’inertie de ma cigarette à la chaleur mouvementée de la flamme échappant de mon vieux briquet et j’embrasse, tantôt tendrement, tantôt violemment cette bacchanale symphonique… je savoure l’intimité de leur union, les deux ne font plus qu’un… la fumée me monte à la tête, après m’être passée par cette gorge épuisée par la torture des vomissements provoqués que je prends beaucoup de plaisir à lui imposer !!!! Quand l’étanchéité d’une pratique abasourdie rejoint la symbolique d’un geste désarmé, l’œil omniscient, omniprésent, complaisant, cet œil observateur, examinateur de l’homme, victime et acteur des temps modernes, vous dira qu’il s’agit tout bonnement d’une tentative d’évacuation de peines intérieures, de frustrations profondes, d’un hurlement fou qui se dissipe dans la banalité de l’action…tel est mon quotidien, tels sont mes rapports au monde, à la société, à l’écrit, à ma famille, à mon compagnon, à moi-même,

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une fille « retournée » une fille déchirée, fracturée, tiraillée entre une exigence de clarté confiante et objective et un maintien pesant du flou, de la confusion, du doute, de la méfiance, d’une subjectivité suffocante. Debout, assise, allongée, je suis en perpétuelle et inextricable quête de mon identité perdue, si proche et pourtant si lointaine… Une perpétuelle lutte de pouvoirs, de rapports de forces, scandent mon intérieur. Ce même dilemme, cette même inquiétude, ce même cri oh combien sourd, qui s’abat sur mon cœur. Je me pose souvent cette question : qu’est ce que m’attire le plus dans le geste, ou le rituel que j’entreprends avec ma cigarette ? Est-ce le son de mon briquet récalcitrant qu’après une, deux, trois, plusieurs reprises…dans un regard concentré d’un zeste de nervosité s’entrelaçant avec cet air dépassé, supplice, pitoyable, finit par assouvir mon impatience dans une éruption, malicieusement élégante, d’une lueur éblouissante ? Est-ce la flamme qui fait corps avec la matière ? Est-ce le feu qui, dans un élan vectoriel, lent et raffiné, consume le tabac… laissant derrière lui cendres et fumée… et laissant en moi soupirs et réminiscences … Une envie dévorante me submerge, me couvre, me transporte, me pousse à crier, à écrire, à cracher ma haine, mon malaise, mes peines… écrire une histoire en morceaux, d’une fille en morceaux, dans un pays en morceaux… faire l’histoire du banal, du bâtard, un tel exercice peut se révéler aux plus initiés, extrêmement intéressant… Moi j’ai juste envie de me laisser bercer, guider, tanguer par cette voix intérieure. Une voix épuisée, abattue, accablée, qui renaît de ses cendres pendant que les cendres de ma cigarette se disséminent non sans me rappeler une pratique aussi vieille que l’incinération. Mon discours est aussi clair que confus, ce sont des fragments de vie, des fragments de réflexions, tout s’entremêle, tout s’entrelace, tout s’imbrique comme dans une toile de Jackson Pollock… toute la difficulté est dans l’effort mental de reconstruction, de compréhension et d’interprétation. Quand le discours est présenté sous forme de fragments, la sélection est vite faite, seul l’œil omniscient, l’œil initié peut décrypter le sens vrai, seuls les esprits sensibles pourront pénétrer ou juste m’aider à pénétrer le fond de ma pensée, dans une pédagogie interactive. Le XXIème siècle est riche en changements dans la façon de penser et d’écrire l’histoire. Cette marge de liberté, j’ai envie de la laisser apparaître dans une écriture vagabonde, des vas et viens, des passages qui construisent, d’autres qui déconstruisent… un doute cartésien associé à une archéologie foucaldienne, creuser… c’est l’unique fil conducteur… Sous la lueur d’une bougie, assise par terre, la pendule indique cinq heure et quarante deux minutes, je savoure encore le silence de la nuit que la levée du jour guette, épie, menace, vole, escamote, maraude, démunit… l’homme, allongé encore sur le lit, me murmure « quel est ton plus grand souhait ? » à ma réponse « je ne sais pas

Asma Ghiloufi

Le mal de l’autre

Asma Ghiloufi

» ou plutôt à mon échappe-réponse, il rajoute « tu sais que j’ai une très belle vue de là où je suis sur ton visage, une fille qui tapote des mots sur son ordinateur pendant que la bougie à côté d’elle et la cigarette entre ses doigts continuent dans un air nonchalant à consommer le temps perdu. Je le regarde, je passe la main entre mes cheveux et je réponds « peut être, si tu le dis, je te crois sur parole ». Ce sont toujours les mêmes réponses, je m’en rends compte. On dirait que quelque chose en moi veut toujours préserver la troisième dimension, le ni oui ni non, le ni noir ni blanc… Après tout c’est vrai qu’entre le noir et blanc, il existe toute une gamme de couleurs, tout un camaïeu de dégradés. Pourquoi vouloir à tout prix trancher ? Pourquoi ne pas préserver l’énigmatique, le mystérieux. L’amour se nourrit de l’ambiguïté… c’est bizarre, il y’a quelques années je disais encore : en amour le flou me perturbe !! Cette constellation mérite peut être qu’on s’y arrête un moment pour tenter de la comprendre ou de la contempler… tout dépend de là où l’on se positionne. Il se trouve que lorsqu’on est assis par terre on ne voit pas tout à fait la même chose que lorsqu’on est allongé sur son lit. Le flou qui me perturbe c’est ce flou synonyme de paranoïa, de manque de confiance en l’autre, synonyme de l’autre aussi qui alimente en permanence le doute, la méfiance, synonyme aussi de « mais pourquoi il m’a pas appelé ? », « Mais où est ce qu’il est vraiment lorsqu’il m’a répondu sur un ton embarrassé qu’il est chez un ami, en réunion, en train de prendre un café… », Synonyme de « à quoi pense t-il vraiment lorsqu’il m’embrasse et qu’il me fait l’amour ? ». Le flou qui cherche des réponses, le flou qui cherche de l’assurance, le flou qui crie à l’attention, le flou qui revendique, qui veut et qui exige qu’on s’intéresse à moi pour ce que je suis, qu’on s’intéresse à la femme que je suis parce qu’elle est femme, dans sa grandeur de femme, dans son intelligence de femme, dans sa dignité de femme, dans sa sensibilité de femme, dans sa fragilité de femme, dans son cri de femme, dans ses soupirs de femme et dans ses gémissements de femme. Une fois ce cap dépassé, que la confiance règne, le flou prend toute sa splendeur resplendissante et devient complicité, amour, humour, coquetterie, en un mot le flou devient tous ces gestes et ces paroles qui entretiennent l’amour, qui le nourrissent et qui maintiennent la flamme de mon cœur, de ma bougie et de ma cigarette allumés, il devient donc un souffle, une vie. Un flou artistique à l’image d’un photographe qui veut à la fois figer l’instantanéité du moment photographié et lui conférer un tremplin intemporel, insaisissable. A bout de souffle… mais jamais le souffle coupé, Je ne dors pas, je fais juste semblant de dormir… j’ai besoin de faire semblant de dormir, je veux dire … j’ai besoin de dormir. Si tu veux parler, je suis là … là ou tu veux me trouver… J’ai une fine et nostalgique pensée à Damien Rice dans la chanson, The blower’s daughter, la fille du souffleur, et particulièrement au refrain « and so it is, just like you said it would be ».

Esmahen Ben Moussa


Les pépins heureux et l’épouvantable boudeuse

Souhir Elamine

Collés-serrés dans une pomme de grenade, les petits pépins roses ont mûri après une longue gestation silencieuse sous le soleil brûlant de l’été. Le premier se met à parler au deuxième : « J’espère que tu te portes bien ! ». Le deuxième répond aussitôt : « on ne peut mieux, loin des yeux, loin du cœur ! ». Les autres pépins rentrent aussitôt en écho les uns par rapport aux autres comme s’ils sortaient du théâtre de Tchekhov citant dans un désordre délicieux et croquant tant La Rochefoucauld dans un soupir inspiré qui embrase une cigarette, le regard tourné vers le futur clément, serein, apaisé, susurré pesamment dans un nuage de tabac blanc « L’absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, tout comme le vent éteint les bougies et rallume le feu ». Laisse-moi quelques secondes pour te contempler, te voir désespérer de cette nouvelle situation dans laquelle tu t’empêtres sciemment. Avec toutes les personnes plaisantes qu’il y a à proximité, a-t-il vraiment fallut que tu t’en entiches d’une qui compte parmi les plus éloignée ? Bravo, laissemoi t’applaudir des deux mains ! Auparavant les petits pépins étaient tristes, tristes du manque qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, de la distance, de l’exil, de la présence-absence, du sentiment d’être là sans être vraiment ici. Sur ce grand grenadier que j’avais jadis planté dans mon petit jardin en antichambre de la maison, le son mélodieux de ma voix leur manquait. Atrocement, mes petits pépins de grenades croyaient l’entendre à chaque instant dans le vrombissement de l’essorage de la machine à laver, le souffle du micro-onde, le grisollement des oiseaux qui rôdent autour de moi. Ils sentaient mon parfum, l’odeur de ma peau dans les embruns d’été, les jardins de roses, dans mon tabac. Sentant ma présence à leurs côtés au petit matin, comme la caresse d’un fantôme bienveillant, aux premières lueurs du jour, dans un demi-sommeil idyllique, dans un manque violent, assaillant. « Oh mais

ّ ‫ﺍﻟﺘﻇﺎﻫﺮﺍﺕ‬ ّ ‫ﺍﻟﺜﻘﺎﻓﻴﺔ ﻭﻣﻦ ﻳﺘﻈﺎﻫﺮﻭﻥ ﺑﺎﻟﺜﻘﺎﻓﺔ؟ ﻣﺎ ﻳﻜﻮﻥ‬ ّ‫»ﺍﻟﺜﻘﻔﻮﺕ« ﻏﻴﺮ ﺍﻻﻧﻀﻤﺎﻡ ﺍﻟﻬﺎﺩﺉ ﻭﺍﻟﻀّﺦّ ﺍﻟﻤُﺳﺘﻤﺮ‬ ‫ﻟﻬﺬﺍ ﺍﻟﺘﻴّـﺍﺭ ﺍﻟﺒﺎﺋﺲ؟‬ ْ ‫ﻟﺼﻔﻭ‬ ‫ﻋﻨﺪﻣﺎ ﻻ ﺗَﺭﻯ ﻓﻲ ﻓ ُﺭَﺹ ﺍﻟﺘﻔﻜﻴﺮ ﻏﻴﺮ ﺗﻌﻜﻴﺮ‬ ِ‫ﺃﻓﻜﺎﺭﻙ ﻭﻭُﺿﻮﺡ ﺍﻟﻐﺎﻳﺎﺕ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﻐﺮﻳﻚ ﺑﺎﻻﺳﺘﻜﺎﻧﺔ‬ ‫ﻟﻨﺠﺎﺣﺎﺗﻚ ﺃﻭ ﻋﻨﺪﻣﺎ ﺗﻌﺘﺒﺮ ﺃﻥ ﻓﺘﺢ ﺃﻓﻖ ﺟﺪﻳﺪﺓ ﻳﻌﻨﻲ‬ َ ْ ‫ ﻓﺄﻧﺖ ﻟﻢ‬،ّ‫ﺳَﺩ َّﺍ ﻷﻓﻘﻚ ﺍﻟﺸّﺧﺼﻲ ﻭﺍﻟﺨﺎﺹ‬ ُ‫ﺗﺮﺗﻖ ﺑﻌﺪ‬ َ ّ .‫ﻓﻨﺍﻧﺎ ﻣُﻟﺘﺰﻣﺎ‬ ‫ﺇﻟﻰ ﺍﻟﻬﺎﺟﺲ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﺠﻌﻞ ﻣﻨﻚ‬ ‫ﻭﻟﻴﺲ ﻣﻌﻨﻰ ﺍﻻﻟﺘﺰﺍﻡ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﻣﺤﻜﻮﻣﺎ ﺑﻤﺎ ُﺗﺣﺪّﺩﻩ‬ ‫ ﺑﻞ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ‬،‫ﻟﻨﻔﺴﻚ ﻣُﺳﺒﻘﺎ ﻟﺘﻜﻮﻥ ﻣُﻟ ْﺯَﻣﺎ ﻭﻣُﻟﺘﺰﻣﺎ ﺑﻪ‬ َ ‫ ﻓﻼ ﻳُﺭﻫِﺑﻙ‬،‫ﻋﻤﻴﻘﺎ ﺑﻤﺎ ﻳﻜﻔﻲ‬ ‫ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﻣُﺑﺘﺪِﺋﺎ ﻓﻲ ﻛﻞ‬ ‫ ﻭﻻ ﻳُﺭﻫﺒﻚ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﺧﺎﺭﺝ ﺩﺍﺋﺮﺓ‬،‫ﻣﺮّﺓ ﻣﻦ ﺟﺪﻳﺪ‬ ‫ ﻷﻥّ ﺃﻛﺜﺮ ﻣﺎ ﻳُﻓﺰﻉ ﺍﻟﻤﺒﺪﻋﻴﻦ ﺣﻘﻴﻘﺔ ﻫﻮ ﺃﻥ‬،‫ﺍﻻﻋﺘﺮﺍﻑ‬ ّ .‫ﺍﻟﺘﺨﻠﻑ ﻋﻦ ﻛﻞ ﺟﻮﻫﺮﻳّﺔ ﻣﻤﻜﻨﺔ‬ ‫ﻳﻜﻮﻧﻮﺍ ﻓﻲ ﺩﺍﺋﺮﺓ‬

‫ﺳﻬﻴﺮ ﺍﻷﻣﻴﻦ‬

cela fait une éternité » répétaient mes petites graines d’une même voix. C’est bien ça, une éternité. Tu errais. Ton âme douloureuse se trainait, incomplète, vide, inerte. Ton corps obéissait à quelques procédures automatiques après qu’il eut enclenché le mode « survie ». Quelle chance ! C’est bien parce que tu ne nous voyais pas souvent que nous prenions plaisir à contempler tes élans brisés, colmatés, décalés ; tes désirs infléchis, étouffés de créer des liens. Mais l’idée de créer des liens avec des pépins prisonniers de ce grenadier planté dans ton jardin te confrontait à ta phobie : la folie. La phobie de déstabiliser les dynamiques relationnelles ordinaires. Une partie de toi désirait plus et l’autre désirait moins et nous, nous regardions, en spectateurs avides. Lorsque fatiguée des bruits de tes machines, tu venais chercher refuge dans l’ombre de nos feuillages, nous nous renfermions soudain et nous ne disions plus rien… « Je me sens incomprise et je sais que sur le coup si je parlais je ne dirais peut-être pas l’important, l’essentiel, mais juste ma douleur. » voilà ce que nous t’entendions murmurer. Alors nous nous taisions. A quoi bon t’interrompre ? ta douleur exquise nous clouait le bec. Nous sommes plantés là et toi, tu te crois seule. Quelle moquerie, n’est-ce pas ? C’est à cause de ton silence mortifère que tes ressentis nous parvenaient et que chacune de nous, petites graines immatures souhaitait t’offrir son écoute. Alors nous écoutions. Et chacune de nous disait « son silence m’inquiète ». Et chacune de nous disait tout aussitôt « Plus tard, j’ai besoin de me recentrer avant d’en parler. » Souvent certains fuient devant le silence, ne demandent rien, par manque de confiance certainement. Souvent aussi tu nous l’imposais. Ne disant rien. On en revenait à dire que c’est avant tout la confiance en soi qu’il est primordial de construire et nous en étions venues à nous dire que le silence c’est craindre de ne s’exprimer clairement, avoir peur de se tromper sur le fond de ses pensées. Imposer le silence c’est avoir peur de s’exprimer clairement, dire le fond de ses pensées. Imposer la discussion c’est avoir peur d’être jugé… sans avoir pu se défendre ou s’expliquer. Alors on attendait, enserrés

ّ ‫ﻳﺘﻮﻓﺭ‬ ‫ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﻟﻚ ﻣﺸﺎﺭﻛﺔ ﻓﻲ ﻣﻌﺮﺽ ﻓﻨﻲ ﻗﺒﻞ ﺃﻥ‬ ‫ ﻓﻬﺬﺍ ﻳﻌﻨﻲ ﺃﻧﻚ ﻣُﺟﺎﺯِﻑ‬،‫ﻟﺪﻳﻚ ﻋﻤﻞٌ ﻣﺎ ﻟﺘﻌﺮِﺿَﻪ ﻓﻌﻼ‬ ‫ ﺇﻣّﺍ ﺃﻥّ ﻟﻚ ﻏﺰﺍﺭﺓ ﺇﻧﺘﺎﺟﻴّﺔ ﻭﺃﻧﻚ ُﻣﻐﺎﻣﺮ‬: ‫ﻓﻲ ﺃﺣﺪ أﻣﺮﻳﻦ‬ ‫ﻣﺪﻓﻮﻉ ﺑﻤﺎ ﺗ ُﺳْﻛَﻥُ ﺑﻪ ﺧﺎﺭﺝ ﺿﻮﺍﺑﻂ ﺍﻟﻮﻗﺖ ﻭﺃﻥّ ﺍﻟﻔﻦ‬ ُ ‫ﻭﺍﻹﻧﺘﺎﺝ ﺍﻟﻔﻨﻲ ﻣﺴﺄﻟﺔ ﺣﻴﻮﻳّﺔ ﻣﻼﺯﻣﺔ ﻟﻚ‬ َ َ ّ َ‫ﻟـﺯﻭﻡ‬ ‫ﺍﻟﻨﻓﺱ‬ َ‫ ﻭﻻ ﻳَﺅُﻭﺩُﻙ ﻓﻲ ﺫﻟﻚ ﺍﻟﺘﺨ ّ َُﻟـﻒ ﻋﻦ ﺍﻟﻌﺮﻭﺽ‬،ّ‫ﻟﻠﺤﻲ‬ ّ ‫ ﻃﺎﻟﻤﺎ‬،‫ﺑﻔﻨﻙ‬ ‫ﺍﻟﺘﻲ ﺗَﻇﻞّ ﻣِﻗﻴﺎﺳﺎ ﻋَﺭَﺿﻴّﺍ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺘﺰﺍﻣﻚ‬ ّ َ‫ ﺃﻭ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﺭﻫﻴﻦ‬،‫ﺃﻧﻙ ﻣُﻧﻀﺒِﻁ ﻟﻨَﺳﻘﻚ ﺍﻟﺪّﺍﺧﻠﻲ‬ ‫ ﺗﺴﺘﺠﻴﺐ ﻟﻤﻄﻠﻮﺏ ﻻ‬،‫ﺇﻣﻼﺀﺍﺕِ ﺍﻟﻌﺮﻭﺽ ﻭﺗﻜﻮﻥَ ﺷﻜﻼ‬ ُ ّ ‫ﻭﺗﺳﺨﺭ ﻧﻔﺴﻚ‬ ّ ُ ‫ﻳﺰﻳﺪ ﺷﻜﻼﻧﻴّﺔ ﻋﻤّﺍ ﺗﻧﺠﺯﻩ‬ .‫ﻟﻠﻨﺯﻭﻝ ﻋﻨﺪﻩ‬ ‫ ﻫﻮ ﺃﻥ‬،‫ﻭﻣﻌﻨﻰ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﺷﻜﻼ ﻣُﺳﺘﺠﻴﺒﺎ ﻟﻤﻄﻠﻮﺏ ﻣﺎ‬ ‫َ ﺗﻜﻮﻥ ﻣُﺟﺮّﺩ ﺃﺩﺍﺓٍ ﺗﻌﺒﻴﺮﻳﺔ ﻃﻴّـﻌﺔ ﻻ ُﻛﻧﻪَ ﻟﻬﺎ ﻭﺇﻥ ﻛﺎﻥ ﻟﻬﺎ‬ ّ‫ْ ّ ﻣﻦ ﺍﻻﻧﺴﻴﺎﺑﻴّﺔ ﻣﺎ ﻳﺠﻌﻠﻬﺎ ﻗﺎﺩﺭﺓ ﻋﻠﻰ ﺗﻠﺒﻴﺔِ ﺷﺘﻰ‬ ُ ،‫ﺍﻷﻏﺮﺍﺽ ﺍﻟﺘﻌﺒﻴﺮﻳّﺔ ﻓﻲ ﺗﻌﺎﺭُﺿِﻬﺎ ﺃﻭ ﻓﻲ ﺗﻨﺎﺳُﺑﻬﺎ‬ ‫ ﻃﺎﻟﻤﺎ ﺃﻧﻬﺎ ﺗﺮﻓﻌُﻙ ﺇﻟﻰ‬،‫ﻟﻴﺲ ﺫﻟﻚ ﺑﺸﺪﻳﺪ ﺍﻷﻫﻤّﻳﺔ‬ ّ ّ ‫ﻭﺃﻧﻙ ﺑﻬﺬﺍ ﺍﻻﻋﺘﺮﺍﻑ‬ ‫ﺍﻟﻔﻨﺍﻧﻴﻦ ﺍﻟﻤُﻌﺘَﺭَﻑِ ﺑﻬﻢ‬ ِ‫ﻣَﺻَﺍﻑ‬ ‫ ﻭﻟﻜﻦّ ﻛﻠﻤﺔ ﻧﺠﺎﺡ‬.‫ﺗﻜﻮﻥ ﻗﺪ ﺑَﻟﻐﺖ ﺍﻟﺘﺄﻟﻕ ﻭﺍﻟﻨﺟﺎﺡ‬ َ ‫ ﺧﺎﺻّﺔ‬،‫ﻓﺎﻗﺔ ﻓﻜﺮﻳّﺔ ﻭﻫُﺯﺍﻻ ﺭُﻭﺣﻴّﺍ‬ ‫ﺗﻌﻜﺲ ﻓﻲ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﺔ‬ ّ ّ ‫ ﻟﻴﺲ ﻫﻨﺎﻙ ﻣﻦ‬.‫ﻋﻨﺪﻣﺎ ﻳَﺯﻋُﻡ ﺃﺣﺪُﻫُﻡ ﺃﻧﻪ ﻓﻨﺍﻥ ﻣﺒﺪﻉ‬ ّ ّ ‫ﻣﻌﻨﻰ ﺧِﺻْﺏ‬ ‫ ﺃﻭ ﻣﺎ ﻣﻌﻨﻰ ﺃﻥ‬.‫ﻭﺍﻟﺘﺄﻟﻕ ﻓﻲ ﺍﻟﻔﻦ‬ ‫ﻟﻠﻨﺟﺎﺡ‬ ّ ّ ّ ‫ﺍﻟﻨﺟﺎﺡ ﺩﻭﻥ ﺃﻥ ﺗﺘﻌﻠﻕ ﻫِﻣَّﺗﻪ ﺑﻤﺎ‬ ِ‫ﻳﺘﻌﻠﻕ ﻓﻨﺎﻥ ﺑﻐﺎﻳﺔ‬ ‫ﻳَﺧْﻟـُـﺺُ ﺇﻟﻴﻪ ﺍﻟﻔﺸﻞ ﻣﻦ ﺇﻣﻜﺎﻧﺎﺕ ﺍﻟﻤﻌﻨﻰ؟‬ ّ‫ﻣﺎ ﻣﻌﻨﻰ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﺣﺎﺋﺰﺍ ﻋﻠﻰ ﺭﺿﻰ ﺍﻟﺠﻤﻴﻊ ﺃﻭ ﺃﻥ‬ ‫ﺍﻟﺠﻤﻴﻊ ﻳﺴﺘﺴﻴﻎ ﻭﻳﺘﺬﻭّﻕ ﻣﺎ ﺗﻗﺪّﻣﻪ ﻟﻬﻢ؟ ﻣﺎ ﻣﻌﻨﻰ ﺃﻥ‬ ‫ﺗﺮﻯ ﺍﻟﻨّﻗﺪ ﺗَﺷ َّﻓﻳﺎ ﻭﺗﺤﺎﻣُﻼ ﻋﻠﻰ ﻧﺠﺎﺣﺎﺗﻚ ﺍﻟﻔﻨﻴّﺔ؟‬ ‫ﻫﻞ ﻣﻦ ﻣﻌﻨﻰ ﻟﻨﺨﺒﻮﻳّﺔ ﻓﻲ ﺍﻟﻔﻦ ﺗﺘﻐﺬﻯ ﻣﻦ ﻧﺰﻋﺔ ﺍﻟﺒُﺭﻭﺯ‬ ّ ّ ‫ﺍﻟﻨﺟﺎﺡ ﻣُﺭﺗﺒِﻃﺎ ﺑﻤﻦ ﻳﺘﺼ َّﺩﺭ‬ ‫ﺍﻟﺘﻧﺎﺯُﻉ ﻭﺗﺠﻌﻞ‬ ُ‫ﻭﺗ ُﺑَﺭّﺭ‬ ‫ﻓُﺭَﺹ ﺍﻟﻈﻬﻮﺭ ﺍﻟﻤُﺳﻤّﺍﺓ ﺗﺎﺭﻳﺨﻴّﺔ؟ ﻫﻞ ﻣﻦ ﻣﻌﻨﻰ‬ ّ ‫ﻟﻠﻨﺧﺒﻮﻳّﺔ ﺍﻟﺘﻲ ُﺗﺗﻴﺢ ﻟﻬﺬﺍ ﺍﻻﻧﺤﻼﻝ ﻛﻞ ﺿﻤﺎﻧﺎﺕ ﺍﻹﻧﺠﺎﺡ‬ ‫ﻭﺗَﺣﺘﻔﻲ ﺑﺘﻄﺒﻴﻘﺎﺕٍ ﻣُﺳﻘﻄﺔٍ ﻟﻤﺸﺎﺭﻳﻊَ ﺑﺎﺋﺴﺔٍ ﻻ ُﺗﻟﺰﻣﻬﺎ‬ ّ ‫ﻭﺇﻻ ﻣﻦ ﺃﻳﻦ ﻳَﻧﺒُﺕ‬ ‫ﻏﻴﺮُ ﺁﺟﺎﻝ ﺍﻟﻌﺮﻭﺽ ﻭﺍﻟﺘﻈﺎﻫﺮﺍﺕ؟‬ ‫»ﺍﻟﺜﻘﻔﻮﺕ« ﺇﻥ ﻟﻢ ﻳﻜﻦ ﺍﻣﺘﺪﺍﺩﺍ ﻟﻤﻦ ﺗَﻫْﺭَﺝ ﺑﻬﻢ‬

Esmahen Ben Moussa

état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

et étreints dans notre muraille, au ventre des nuits de notre mère-grenade. Aucun mot n’échappait. En tant que (grand) silencieux, qui cherche à se soigner d’ailleurs, j’aimerais apporter mon propre éclairage sur quelques points. Un jour nous avons compris : « Mais ce peut être parce que les «mots» ne sont pas le canal de communication approprié, que l’effort pour les prononcer ou les entendre est insurmontable. Ce sentiment de blocage peut naître d’un stade «avant les mots», d’un sentiment fondamental, diffus, qui peine à émerger dans la conscience et plus encore dans les mots. Ce n’est pas parce que la confiance n’est pas là que les mots ne viennent pas, c’est le canal qui est inadapté. C’est grâce à tes «faiblesses difficiles à assumer» que nous percevons en toi. Gourmande, voilà ce que tu es. Gourmande de sérénité, gourmande d’amour, gourmande de gourmandises. Voilà pourquoi nous avons maintenant mûri. Viens désemparée, viens nous croquer, tu nous as émerveillés !

Esmahen Ben Moussa

‫ﺃﻡ ﻛﻔﻰ ﺑﺎﻟﻔﻦ ﻣﺎ ﺗﺜﻘﻔﻮﻥ ؟‬ ‫ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﻟﻚ ﻗﺎﺭﺉ ﻗﺒﻞ ﺃﻥ ﺗﻜﻮﻥ ﻓﻌﻼ ﻗﺪ ﻛﺘﺒﺖ ﻣﺎ‬ ّ ‫ﻳ‬ ّ ‫ُﻣﺜـﻝ ﻣ‬ ‫ ﻭﺃﻥ‬-‫ﺍﻟﻘﺎﺭﺉ ﻓﻲ ﺍﻻﻧﺘﻈﺎﺭ‬- ‫َﺣﻂ ﺍﺳﺘﺸﺮﺍﻑ ﻟﻬﺬﺍ‬ ‫ ﺳﻮﺍﺀ ﻛﻨﺖ ﻛﺎﺗﺒﺎ ﺃﻭ‬: ‫ﺗﻜﻮﻥ ﻓﻲ ﻋﻴﻮﻥ ﻣُﺗﻘﺒّﻟﻴﻚ ﻣﺒﺪﻋﺎ‬ ‫ ﻓﻬﺬﺍ ﻳﻌﻨﻲ ﺃﻧﻚ ﺗﺴﻜﻥ‬،‫ ﻣﺴﺮﺣﻴﺎ ﺃﻭ ﺗﺸﻜﻴﻠﻴﺎ‬،‫ﺷﺎﻋﺮﺍ‬ ‫ﻓﺎﻟﻘﺮﺍﺀ‬ ،‫ﻫﺎﺟﺲ ﺍﻻﻧﻌﺘﺎﻕ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﺪﻓﻊ ﺑﻬﻢ ﻧﺤﻮﻙ‬ ّ ْ ّ ‫ﻭﺍﻟﺤﻀﻮﺭ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﻴّﻭﻥ ﻫﻢ ﻣﻦ ﻳُﺣﻠﻤﻮﻥ‬ .ُ‫ﺍﻟﻨﻔﺱ ﺑﻤﺎ َﺗﺟﺩ‬ َ ٍ‫ﻭﺃﻧﺖ ﻓﻲ ﺧﻼﻝ ﺫﻟﻚ ﻣﺪﻓﻮﻉ ﺇﻟﻰ ﺗﻠﺒﻴﺔ ﻣﻄﻠﻮﺏ‬ ّ ‫ﺍﻟﻄﻠﺒﻴّﺔ ﻓﻲ ﺇﻃﺎﺭﻫﺎ‬ ‫ﻳﺨﺘﻠﻒ ﻓﻲ ﺟﻮﻫﺮﻩ ﻋﻦ ﻣﻨﻄﻖ‬ ّ ‫ ﻭﻫﻮ ﻣﺎ ﻻ ﻳُﻟﻐﻲ ﺑﺎﻟﻀﺮﻭﺭﺓ‬،‫ﻭﺍﻟﻄﻟﺐ‬ ‫ ﺍﻟﻌﺮﺽ‬: ‫ﺍﻟﻤﻌﺘﺎﺩ‬ ‫ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﻣﺎ ﺗﻌﺮﺿُﺔ ﻣﻄﻠﻮﺑﺎ ﻟﻼﻗﺘﻨﺎﺀ ﻭﻟﻜﻦّ ﻓﻲ ﺍﻷﻣﺮ‬ ّ ‫ ﻳﺨﺘﻠﻒ ﺍﻻﻟﺘﺰﺍﻡ ﻓﻴﻬﺎ ﻋﻦ‬،‫ﺍﻧﻀﺒﺎﻃﺎ ﺇﻟﻰ ﺇﻳﺘﻴﻘﺎ ﻣﺎ‬ ‫ﺍﻟﻨﺯﻭﻝ‬ ‫ﺍﻟﻌﺎﺭِﺽ ﻋﻨﺪ ﺍﻟﻄﻠﺒﻴّﺍﺕ ﺍﻟﺘﻲ ﻻ ﺗﻌﻴﺮ ﺍﻹﺑﺪﺍﻉ ﻏﻴﺮ ﻫﺎﻟﺔ‬ .‫ﻗﺸﺮﻳّﺔ ﺍﻧﺘﻬﺎﺯﻳّﺔ‬ ‫ﻣﺎ ﻳُﺣﻠِﻡ ﺑﻪ ﺍﻟﻤﺒﺪﻉ ﻧﻔﺴﻪ ﻓﻲ ﺍﻟﻤﻘﺎﺑﻞ ﻫﻮ ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﻣﻦ‬ ‫ ﻫﻢ ﻣِﻣّﻥ ﻳﻘﺪِﺭﻭﻥ ﻋﻠﻰ‬،‫ﻳﻘﺮﺅﻭﻥ ﻟﻪ ﻭﻳﺤﻀﺮﻭﻥ ﺃﻋﻤﺎﻟﻪ‬ ‫ ﻷﻥ‬.‫ﻋﻠﻰ ﺗﺤﺴّﺱ ﻣﺎ ﻳﻜﻮﻥُ ﻣﺪﻓﻮﻋﺎ ﻣﻦ ﺻﻤﻴﻤﻪِ ﺇﻟﻴﻪ‬ ‫ﻫﺎﺟﺲَ ﺍﻻﻧﻌﺘﺎﻕ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﺤﺎﻭﻝ ﺍﻟﻤﺒﺪﻉ ﺃﻥ ﻳﺴﺘﺠﻴﺐ ﻟﻪ‬ ‫ ﺿﺮﻭﺭﺓ ﺩﺍﺧﻠﻴّﺔ ﻣُﻟِﺣّﺔ ﻭﻫﻲ‬،‫ﻫﻮ ﺃﻭّﻻ ﻭﻗﺒﻞ ﻛﻞّ ﺷﻲﺀ‬ ّ ‫ ﻟﺘﻌﻴﺮ ﺍﻟﻔﻦّ ﻗﻴﻤﺘﻪ ﺍﻟﺮّﻣﺰﻳﺔ‬،‫ﻛﻀﺎﻟﺔ ﻧﺤﻮ ﺟﻮﻫﺮ ﻣﺎ‬ ‫ﺗﺘﺤﺮّﻙ‬ ‫ ﻭﻫﺬﺍ ﺍﻟﻨﻮﻉ ﻣﻦ ﺍﻹﺫﻋﺎﻥ‬.‫ﻭﺗﺠﻌَﻝَ ﻣﻨﻪ ﺃﻓﻕ ﺍﻧﺘﻈﺎﺭ‬ ّ ‫ﺍﻟﻤﺜﻘﻑ‬ ‫ﻟﻠﻀّﺭﻭﺭﺓ ﺍﻟﺪّﺍﺧﻠﻴﺔ ﻫﻲ ﺳِﻣَﺔ ﻣﻦ ﺳِﻣﺎﺕ‬ ‫ ﻟﻴﺲ ﻓﻘﻂ ﻣﻦ ﻳﻜﺘُﺏ ﺃﻭ ﻳﺸﻜ ِّﻝ ﻭﻳﺮﺳﻢ ﺑﻞ‬،‫ﺍﻟﻤﺒﺪﻉ‬ ّ ُ ‫ ﻫﺆﻻﺀ ﺷُﺭَﻛﺎﺀُ ﻓﻲ ﺍﻹﺑﺪﺍﻉ‬.‫ﻭﻳﻌﻘﺐ‬ ‫ﻭﻳﻨﻘﺩ‬ ‫ﻣﻦ ﻳﻘﺮﺃ ﺃﻳﻀﺎ‬ ،‫ ﻭﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ ﻟﻠﻤﺒﺪﻉ‬.‫ﻷﻧﻬﻢ ﻳﺘﺸﺎﺭﻛﻮﻥ ﺇﺧﺼﺎﺏ ﺍﻟﻤﻌﺎﻧﻲ‬ ‫ﺍﻹﺑﺪﺍﻉُ ﻣﺴﺄﻟﺔ ﻭﺟﻮﺩٍ ﻭﺟﻮﻫﺮ ﻭﻫﻲ ﺍﺣﺘﻴﺎﺝٌ ﺣﻴﻮﻱ‬ ‫ ﻭﻫﻲ ﺳِﻣﺔ ﻻ ﻳﺘﻤﻴّﺯ ﺑﻬﺎ ﻟﻤُﺟﺮّﺩ‬.‫ﺿﺎﺭﺏ ﻓﻲ ﻋﻤﻖ ﺍﻟﻜﺎﺋﻦ‬ ‫ﺍﻟﺘﻤﻴّﺯ ﺑﻞ ﻫﻮ ﻳﺒﺤﺚ ﻣﻦ ﺧﻼﻟﻬﺎ ﻋﻦ ﺃﺻﻞ ﻟﻤﻌﻨﻰ‬ .‫ﺍﻻﺭﺗﻘﺎﺀ‬ 13


état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

ce monde dépersonnalisé. Au fond, c’est une société idéale que je peins, tout en ayant peur de cette société par trop rationnelle et rationalisée.

Cette interview a été publiée sur le journal La Presse du 3 Avril 1970. L’artiste Néjib BELKHODJA est questionné par Alya. L’exposition dont il s’agit ici a eu lieu à Tunis, du 25 Mars au 4 Avril 1970, à la Galerie du Secrétariat d’Etat à l’information (Place de l’indépendance). -Q : Pourquoi avoir appelé cette exposition « Retour de la Cité des arts » ? -R : j’ai passé un an à la Cité des Arts envoyé par le Ministère des Affaires Culturelles. Le gouvernement tunisien a en effet acheté trois ateliers à la Cité des Arts. Et j’ai été le troisième peintre à y séjourner après SEHILI et Hédi TURKI. Cette année passée à la Cité des Arts m’a permis de travailler sans être distrait par les soucis habituels d’un homme obligé de vivre, me laissant le loisir de réfléchir, de me pencher sur mon passif de peintre. Par ailleurs, il y règne une confrontation internationale qui permet de faire un bilan- c’est là que réside l’intérêt de cette cité. -Q : Vous avez amorcé une nouvelle étape : le collage. En quoi consiste cette aventure ? -R : J’ai commencé en 1963, tout en considérant cela, comme une véritable gageure. Après l’expérience de la Cité des Arts, de la Biennale de Paris, j’ai décidé de m’engager dans cette voie. Sur le plan tout à fait matériel, il y a dans cette peinture si on peut l’appeler ainsi, un aspect technologique certain : je travaille sur du contreplaqué avec des ondulations de carton de différentes dimensions. J’utilise des appareils de la peinture FLASH ou PLAKA - elle accroche la lumière, quelque soit sa source de diffusion- , du plastique, de l’aluminium pour cercler mes tableaux. Le collage permet d’acquérir une nouvelle dimension, de faire éclater la surface et le périmètre du tableau -Q : Le rôle de l’artiste ne se réduit-il pas à celui d’un technicien ? -R : à vingt ans, je considérais l’artiste comme un intellectuel. Aujourd’hui je pose mon équation : un artiste est un transbordeur, un transvaseur à 40%, un bricoleur à 30%. Ajouter à cela 20% de recettes, 7% de contemplation passive, 2% de jeu et 1% de rêve, de fantaisie ou de folie selon la personnalité du peintre. -Q : à un artiste interprété ainsi reste-il les mêmes critères de l’art ? -R : Certes, mais transposé, l’art est toujours communication mais on ne communique plus aujourd’hui par des fleurs, des arbres ou des oiseaux. On communique beaucoup plus profondément, et de façon beaucoup plus complexe, par un jeu d’ambiguïté, d’interpénétration. J’emploie des matériaux déshumanisés, l’aluminium et le métal le plus neutre, une couleur unique, déshumanisante et par une troisième démarche j’essaie de personnaliser

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-R : La peinture tunisienne n’existe pas – l’art comme la culture ou l’économie ne vit pas en vase clos, en ostracisme. La « tunisienneté » de l’art est un problème d’authenticité, l’un découle de l’autre. Je suis parti du paysage tunisien et je l’ai stylisé, épuré sans savoir exactement où j’allais, on ne sait jamais où on va. Et si je le savais je m’arrêterais de peindre. Par cette épuration, ce dépouillement de la matière pour n’en conserver que la structure, l’ossature, il m’est arrivé de trouver des portions de lettres, des lettres et même des portions de mots. J’ai rejoint là, la théorie d’un grand linguiste Marcel COHEN qui étudiant l’origine architectonique des sociétés, retrouvait les mêmes formes graphiques et architecturales et leur imputait une origine simultanée née d’un étroit rapport géographique et sociologique. C’est ainsi que l’architecture chinoise ressemble aux lettres chinoises (idéogrammes) ; Il en est de même pour l’architecture et la graphie tunisiennes. Moi, je relie les deux éléments. Et un panneau architectural joint à une lettre créent par leur alliance toute l’ambiguïté de la présence humaine. Je me suis néanmoins, beaucoup détaché de ces recherches calligraphiques qui ne demeurent Nejib qu’au stade de jeu de B E L K H O DJA calligramme. a été l’un des premiers parmi les peintres tunisiens à avoir assumé dans ses œuvres comme dans sa vie l’acte de peindre. Avec lui, la création plastique s’est dégagée du mimétisme en dépassant la simple raison de distraction et en se posant en tant que génératrice de valeurs toujours renouvelées. En somme, cet artiste a réhabilité l’art de la peinture en le restituant dans la dynamique de l’histoire. Ces propos pourraient paraître tendancieux, mais ils trouvent leur pleine justification quand on considère que l’art de peindre a été confondu dans les pays du

Naceur Ben Cheikh

Nejib Belkhodja

-Q : Le mythe de la calligraphie arabe a longtemps influencé votre peinture. était-ce une façon d’être « un peintre tunisien » ?

Maghreb avec un certain folklorisme de bazar, motivé par un primitivisme naïf, et ce jusqu’à une époque récente. L’œuvre de Belkhodja pose à travers les différentes mutations qu’elle a subies un problème capital pour les artistes maghrébins : comment dialoguer avec l’Autre, et ne plus se limiter à lui servir de caisse de résonnance. Ce dialogue présuppose le dépassement de cette contradiction de départ, celle qui consiste à participer au concert des peintres créateurs internationaux en partant des valeurs propres à notre civilisation. Il y a seulement quelques années, cette opération ne présentait pas de difficultés majeures. A présent, on commence à s’apercevoir que la démarche comporte des écueils qu’il faut éviter, sans quoi, on se retrouve de nouveau au point de départ. Tel est, selon nous, le contexte dans lequel il faudrait placer l’œuvre de Belkhodja. Inquiet, lucide, attentif au moindre pas qu’il fait sur le chemin de la recherche, l’artiste a essayé de résoudre à sa manière cette contradiction, qui est celle de tous les peintres maghrébins. Les œuvres qui nous sont présentées constituent l’étape actuelle à laquelle est arrivé Nejib Belkhodja. Abandonnant le cadre traditionnel de la recherche picturale, l’artiste a préféré aborder la création plastique à travers une pratique artisanale. Il faudrait préciser qu’il n’est pas le seul peintre maghrébin à adopter cette démarche, mais par contre, on peut affirmer qu’en Tunisie (tout comme Farid Belkahia au Maroc) son œuvre se distingue par le dépassement de cette approche passéiste et qui consiste à renouer superficiellement avec le métier de l’artisan propre à nos sociétés avant l’introduction de la notion d’artiste à l’occidentale. C’est que Belkhodja ne refuse pas les acquis technologiques de notre époque, bien au contraire, et s’il a abandonné la toile, le pinceau ou le couteau, ce n’est pas pour les remplacer par le burin du graveur sur bois. Il est difficile de distinguer son atelier installé dans sa maison natale de la médina de tunis, de n’importe quelle menuiserie moderne, parmi celles qui se sont installées dans ce vieux quartier de Bab Djedid. Mais ce n’est pas pour autant que l’on doit croire l’artiste quand il déclare qu’il est devenu artisan. Un seul coup d’œil sur ses œuvres suffit à nous convaincre qu’il demeure foncièrement peintre. Il a réussi, en effet, à joindre la spéculation intellectuelle à l’habileté du bricoleur et créer des œuvres qui seront toujours « Cosa Mentale » mais produites dans l’Action.

Naceur Ben Cheikh

Nejib Belkhodja, Exposition du 8 au 26 Juin 1973, à l’atelier 16 BIS, rue d’Annaba, Rabat.

Professeur d’Histoire de l’Art à L’Ecole des Beaux-Arts de Tunis.


‫‪état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.‬‬

‫ﺃﻋﻤﺎﻝ ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ‬ ‫ﻭﺍﻟﺘﺮﻣﻴﺰ ﺍﻟﻮﺟﻮﺩﻱ‬ ‫ﺗﺤﺘﻞ ﺗﺠﺮﺑﺔ ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ‬ ‫ﻓﻲ ﻣﺠﺎﻝ ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﻓﻲ ﺗﻮﻧﺲ ﺣ ﻴّﺯﺍ ﺧﺼﻮﺻ ﻴ ّﺍ‬ ‫ﻳﺠﻌﻞ ﺃﻫ ﻤ ّﻳﺘﻬﺎ ﺍﻟﻤﻮﺿﻮﻋﻴﺔ ﻻ ﺗﺘﻤﺤﻮﺭ ﺣﻮﻝ ﻣﺎ ﺃﻧﺘﺠﻪ‬ ‫ﻫﺬﺍ ﺍﻟﻔ ﻨ ّﺍﻥ ﺍﻟﺘﺸﻜﻴﻠﻲ ﻣﻦ ﺃﻋﻤﺎﻝ ﺗﺘﺼﻒ ﺑﺄﺳﻠﻮﺏ ﻣﺘﻤ ﻴ ّﺯ‬ ‫ﻓﻘﻂ ﺑﻞ ﺗﺘﺠﺎﻭﺯ ﺫﻟﻚ ﻟﺘﺤﻤﻞ ﺩﻻﻻﺕ ﺫﺍﺕ ﺃﻫ ﻤّﻳ ّﺔ ﺗﺎﺭﻳﺨ ﻴ ّﺔ‬ ‫ﺃﻛﻴﺪﺓ ﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ ﻟﻤﺴﺎﺭ ﺍﻟﺤﺮﻛﺔ ﺍﻟﺘ ّﺷﻜﻴﻠ ﻴ ّﺔ ﺍﻟﺘ ّﻭﻧﺴﻴﺔ ﻃ ﻮﺍﻝ‬ ‫ﺍﻟﺨﻤﺴﻴﻦ ﺳﻨﺔ ﺍﻟﻤﺎﺿﻴﺔ‪ .‬ﺫﻟﻚ ﺃﻥ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﺘﺠﺮﺑﺔ ﺗﻜﺘﺴﻲ‬ ‫ﺃﻭّﻻ ﻭﻗﺒﻞ ﻛﻞ ﺷﻲﺀ ﺻﺒﻐﺔ ﻓﻜﺮﻳ ّﺔ ﺟﻌﻠﺖ ﻣﻨﻬﺎ ﻣﻨﻌﺮﺟﺎ‬ ‫ﺣﻘﻴﻘ ﻴ ّﺍ ﻓﻲ ﺗﺼ ﻮّﺭ ﻣﻔﻬﻮﻡ ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﻓﻲ ﺑﻼﺩ ﻭﺭﺛﺖ‬ ‫ﻋﻦ ﺍﻟﻔﺘﺮﺓ ﺍﻻﺳﺘﻌﻤﺎﺭﻳ ّﺔ ﺗﺨﻠﻱ ﺍﻟﻔﻨﺎﻧﻴﻦ ﻋﻦ ﻛﻞ ﻃﺮﺡ‬ ‫ﻓﻜﺮﻱ ﺟﺪﺍﻟﻲ ﺇﻥ ﻟﻢ ﻧﻘﻞ ﻣﻌﺎﺩﺍﺗﻬﻢ ﻟﻪ ﻛﻤﺎ ﺗﺸﻴﺮ ﺇﻟﻰ ﺫﻟﻚ‬ ‫ﺍﻟﺒﺎﺣﺜﺔ ﻧﺎﺭﻳﻤﺎﻥ ﺑﻦ ﺭﻣﻀﺎﻥ ﻓﻲ ﺍﻟﻌﺪﻳﺪ ﻣﻦ ﻧﺼﻮﺻﻬﺎ‬ ‫ﺣﻮﻝ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﺍﻟﺬﻱ ﺃﻧﺘﺞ ﻓﻲ ﺗﻮﻧﺲ ﻣﻨﺬ ﺃﻭﺍﺧﺮ ﺍﻟﻘﺮﻥ‬ ‫ﺍﻟﺘ ّﺍﺳﻊ ﻋﺸﺮ ﺇﻟﻰ ﻓﺘﺮﺓ ﺍﻟﺴﺘ ّﻳﻨﺎﺕ ﻣﻦ ﺍﻟﻘﺮﻥ ﺍﻟﻌﺸﺮﻳﻦ‪.‬‬ ‫ﻭﺇﻥ ﺍﺧﺘﺮﺕ ﺃﻥ ﺃﺅﻛﺩ‬ ‫ﻋﻠﻰ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﺠﺎﻧﺐ ﻣﻦ ﺟﻤﻠﺔ ﺍﻟﺪﻻﻻﺕ ﺍﻟﻤﺨﺘﻠﻔﺔ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﺤﻤﻠﻬﺎ‬ ‫ﺗﺠﺮﺑﺔ ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻓﺬﻟﻚ ﻹﺣﺴﺎﺳﻲ ﺍﻟﻌﻤﻴﻖ ﺑﺄﻥ ﻫﺬﺍ‬ ‫ﺍﻟﺒﻌﺪ »ﺍﻟﻔﻜﺮﻱ« ﺍﻟ ﻀّﻣﻨﻲ ﻟﻢ ﻳﻘﻊ ﺍﻻﻧﺘﺒﺎﻩ ﺇﻟﻴﻪ ﻣﻦ ﻃﺮﻑ‬ ‫ﺍﻟﻨﻗﺎﺩ ﺃﻭ ﺍﻟﺒﺎﺣﺜﻴﻦ ﺍﻟﺬﻳﻦ ﺍﻫﺘ ﻤّﻭﺍ ﺑﺘﺠﺮﺑﺔ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﺮﺳ ّﺍﻡ‪.‬‬ ‫ﺇﻥ ﻣﺎ ﺃﺭﻳﺪ ﻗﻮﻟﻪ ﻻ ﻳﻌﻨﻲ ﻣﺎ ﻛﺘﺒﻪ ﺃﻭ ﻣا ﺻﺮّح‬ ‫ﺑﻪ ﺍﻟﺮّﺳ ّﺍﻡ ﻟﻠﺼﺤﻔﻴﻴﻴﻦ ﻣﻦ ﻣ ﻮﺍﻗﻒ ﻭ ﻣﻦ ﺗﺄﻭﻳﻼﺕ ﺷﺨﺼ ﻴ ّﺔ‬ ‫ﻷﻋﻤﺎﻟﻪ ﻭﺇﻧ ّﻱ ﺃﺷﻴﺮ ﺇﻟﻰ ﺃﻥ ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﻔ ﻨ ّﺍﻥ ﺗﺤﻤﻞ ﻓﻲ‬ ‫ﻃ ﻴ ّﺍﺗﻬﺎ ﺍﻫﺘﻤﺎﻣﺎﺕ ﺫﺍﺕ ﺻﺒﻐﺔ ﻓﻜﺮﻳ ّﺔ ‪-‬ﻭﻻ ﺃﻗﻮﻝ ﻧﻈﺮﻳ ّﺔ‪ -‬ﻗﺪ‬ ‫ﺗﺠﻌﻞ ﻣﻦ ﺃﻋﻤﺎﻟﻪ ﻋ ﻴ ّﻧﺎﺕ ﻟﻨﺸﺎﺫ ﻓﻜﺮﻱ ﺧﺼﻮﺻﻲ‬ ‫ﻦ ﺍﻟﺮّﺳﻢ ﻛﻤﺎ ﻣﺎﺭﺳﻪ ﺭﻭّﺍﺩ ﺍﻹﺑﺪﺍﻉ‬ ‫ﺗﺬﻛ ﺭﻧﺎ ﺑﺄﻥ ﻓ ّ‬ ‫ﺍﻷﻭﺭﻭﺑﻲ‪ ،‬ﻣﻨﺬ ﻋﺼﺮ ﺍﻟﻨﻬﻀﺔ ﺇﻟﻰ ﺍﻟﻴﻮﻡ‪ ،‬ﻳﻤﺜﻝ ﻧﻤﻄﺎ‬ ‫ﺧﺼﻮﺻ ﻴ ّﺍ ﻣﻦ ﺍﻹﻧﺘﺎﺝ ﺍﻟﻔﻜﺮﻱ‪ ،‬ﺍﻟﻤ ﻮﺍﺯﻱ ﻟﻺﻧﺘﺎﺝ ﺍﻟﻔﻜﺮﻱ‬ ‫ﺍﻟﻤﻌﻠﻦ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﻨﺘﺠﻪ ﺍﻟﻔﻼﺳﻔﺔ ﻭﺃﻫﻞ ﺍﻟﻨﻈﺮ‪ .‬ﻭﺑﺎﻟﺮّﻏﻢ‬ ‫ﻣ ﻤ ّﺍ ﺃﻛﺪﻩ ﺍﻟﻨﻗﺍﺩ ﻭﻣﺆﺭﺧﻮ ﺍﻟﻔﻦ ﻣﻦ ﻣﻨﺤﻰ ﻭﺍﺿﺢ ﻟﺮﺩّ‬ ‫ﺍﻻﻋﺘﺒﺎﺭ ﻟﻠﺠﺴﺪ ﻭﺍﻟﻤﺎﺩّﺓ ﻭﺃﺩﻭﺍﺕ ﺍﻹﺑﺪﺍﻉ ﻭﻟﻠﻤﻌﻄﻰ ﺍﻟﺘﻘﻨﻲ‬ ‫ﻥ ﺃﻫ ﻤّﻳ ّﺔ‬ ‫ﺑﺎﻟﺨﺼﻮﺹ‪ ،‬ﻟﺪﻯ ﺭﺳ ّﺍﻣﻲ ﺍﻟﻘﺮﻥ ﺍﻟﻌﺸﺮﻳﻦ ﻓﺈ ّ‬ ‫ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮّﺳﻢ ﻣﺎﺯﺍﻟﺖ ﺗﻨﻄﺒﻖ ﻋﻠﻴﻬﺎ ﻣﻘﻮﻟﺔ »ﻟﻴﻮﻧﺎﺭﺩﻭ«‬ ‫ﺑﺄﻥ »ﺍﻟﺮّﺳﻢ ﺷﻲﺀ ﺫﻫﻨﻲ« ﻭﻫﻲ‪ ،‬ﺑﺼﻔﺘﻬﺎ ﺗﻠﻚ‪ ،‬ﻟﻴﺴﺖ‬ ‫ﺑﺤﺎﺟﺔ ﻟﺘﻨﻈﻴﺮ ﻳﺴﻘﻂ ﻋﻠﻴﻬﺎ ﻣﻦ ﻃﺮﻑ ﺍﻟﻨﻗﺍﺩ ﺃﻭ ﺍﻟﻤﻨﻈﺮﻳﻦ‪.‬‬ ‫ﻭﺍﻟﻤﺘﻔ ﺤ ّﺹ ﻓﻲ‬ ‫ﻣﺎ »ﺍﻛﺘﺸﻔﻪ« ﺃﻭ »ﺍﺧﺘﺮﻋﻪ« ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻣﻦ ﻋﻼﻗﺔ‪،‬‬ ‫ﺗﺒﺪﻭ ﺍﻟﻴﻮﻡ ﻭﺍﺿﺤﺔ ﻭﺑﺪﻳﻬ ﻴ ّﺔ‪ ،‬ﺑﻴﻦ ﺷﻜﻞ ﺍﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺍﻟﻌﺮﺑ ﻴ ّﺔ‬ ‫‪15‬‬

‫‪Nejib Belkhodja, Médina-Architecture, huile sur toile, 90x147cm, 1965. Collection du Ministère de la Culture, Jeunesse et Loisirs.‬‬

‫ﻛﺘﻨﻈﻴﻢ ﻟﻠﻔﻀﺎﺀ )ﺷﻜﻞ ﻣﺘﺎﻫﺔ( ﻭﺷﻜﻞ ﺍﻟﺒﻨﺎﺀﺍﺕ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﺘﻜ ﻮّﻥ‬ ‫ﻣﻨﻬﺎ ﺃﺟ ﺰﺍﺀ ﺍﻟﻤﻌﻤﺎﺭ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﻌﻤﺮ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﻔﻀﺎﺀ‪ ،‬ﻣﻦ ﺟﻬﺔ‪،‬‬ ‫ﻭﺍﻟﻜﺘﺎﺑﺔ ﺍﻟﻌﺮﺑ ﻴ ّﺔ ﺍﻟﻜﻮﻓﻴﺔ ﻣﻦ ﺟﻬﺔ ﺃﺧﺮﻯ‪ ،‬ﻳﻤﻜﻨﻪ ﺃﻥ ﻳﻼﺣﻆ‬ ‫ﺃﻥ ﻗﻴﻤﺔ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﻌﻼﻗﺔ ﺗﺘﺠﺎﻭﺯ ﻣﺎ ﻳﻨﺘﺞ ﻋﻨﻬﺎ ﻣﻦ ﺃﺳﻠﻮﺑ ﻴ ّﺔ‬ ‫ﺗﺸﻜﻴﻠ ﻴ ّﺔ ﻗﺪ ﻳﺤﺠﺐ ﺟﻤﺎﻟ ُﻫﺎ ﺧﺼﻮﺻ ﻴ ّﺓ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﻌﻼﻗﺔ ﺫﺍﺗﻬﺎ‪.‬‬ ‫ﻓﻤﺎ ﻣﻌﻨﻰ ﺃﻥ ﻳﺒﺪﻉ ﺍﻟﺮﺳ ّﺍﻡ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻟﻮﺣﺎﺕ‬ ‫ﻛﻤﺘﺎﻫﺔ ﻳﻤﻜﻦ ﺃﻥ ﺗﻘ ﺮﺃ ﻓ ﺮﺍﻏﻬﺎ ﻣﻤﻠﻮﺀﺍ ﻭﻣﻤﻠﻮﺀﻫﺎ ﻓ ﺮﺍﻏﺎ ؟‬ ‫ﺃﻻ ﻳﺠﻮﺯ ﺍﻟﻴﻮﻡ ﺃﻥ ﻧﺼﻞ ﺑﻴﻦ ﺷﻜﻞ ﺍﻟﻤﺘﺎﻫﺔ ﻫﺬﺍ ﻭﻣﺎ ﻳﻤﻜﻦ‬ ‫ﺃﻥ ﻧﺼﻔﻪ ﺑﺘﺸﺒﻴﻚ ﺍﻟﻔ ﺮﺍﻍ ﺃﻭ ﻧﺴﺠﻪ ﺣﺘ ّﻯ ﻳﺼﻴﺮ ﻣ ﺮﺋ ﻴ ّﺍ ؟‬ ‫ﻓﺎﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺍﻟﻤﺘﺎﻫﺔ ﺍﻟﺘﻲ ﻳﻨﺘﺠﻬﺎ‬ ‫ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻟﻴﺴﺖ »ﺻﻮﺭﺓ« ﻭﻟﻮ ﻣﺠﺮﺩﺓ ﻟﻠﻤﺪﻳﻨﺔ ﺍﻟﻌﺮﺑ ﻴ ّﺔ ﺑﻞ‬ ‫ﺇﺑﺪﺍﻉ ﻋﻠﻰ ﺇﺑﺪﺍﻉ ﻭﺗﺄﻭﻳﻞ ﺗﺮﻣﻴﺰﻱ ﻟﻜﻨﻪ ﺍﻟﻮﺟﻮﺩ‪ ،‬ﺍﻧﻄﻼﻗﺎ‬ ‫ﻣﻦ ﺇﻳﺠﺎﺩ ﻣﻌﺎﻧﻲ ﺟﺪﻳﺪﺓ ﻟﻌﻼﻣﺎﺕ ﺣﻀﺎﺭﻳ ّﺔ ﻳﺴﺘﻌﻤﻠﻬﺎ‬ ‫ﺍﻟﺮّﺳ ّﺍﻡ ﺑﻄﺮﻳﻘﺔ ﺗﺸﻜﻴﻠ ﻴ ّﺔ‪ ،‬ﺗﺠﻌﻠﻨﺎ ﻧﺘﻜ ﺸّﻑ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻠﻐﺰ ﺩﻭﻥ‬ ‫ﺗﺤﺪﻳﺪﻩ ﻓﻲ ﺇﺟﺎﺑﺔ ﻧﻈﺮّﻳﺔ ﻣﻨﺘﻬﻴﺔ‪ ،‬ﻭﻛﺄﻧﻲ ﺑﺎﻟﺮﺳﺎﻡ ﻳﻌﻴﺪ‬ ‫ﻣﺎ ﻗﺎﻡ ﺑﻪ ﺍﻟﻤﺘﺼ ﻮّﻓﺔ ﺍﻟﻌﺮﺏ ﻣﺜﻞ ﻣﺤﻲ ﺍﻟ ﺪّﻳﻦ ﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬ ‫ﻣﻦ ﻗ ﺮﺍﺀﺓ ﻭﺟﻮﺩﻳ ّﺔ ﻟﻠﺤﺮﻭﻑ ﺍﻟﻌﺮﺑ ﻴ ّﺔ ﻓﻲ ﻧﻈﺎﻣﻬﺎ ﺍﻟﺨﻄﻲ‬ ‫ﺍﻟﺘﺠﻮﻳﺪﻱ ﻭﺍﻟﺬﻱ ﺗﺠﺎﻭﺯ ﻓﻴﻪ ﺍﻟﻤﻔ ﻜ ّﺭ ﺍﻟﻌﺮﺑﻲ ﺍﻹﺳﻼﻣﻲ‬ ‫ﺍﻟﻜﺒﻴﺮ ﻣﺎ ﻛﺎﻥ ﻣﺘ ﻮﺍﺭﺩﺍ ﻟﺪﻯ ﺍﻟﻤﺘﺼ ﻮّﻓﺔ ﻣﻦ ﻋﻠﻢ ﺍﻟﺠﻔﺮ‪.‬‬ ‫ﻭ»ﺍﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺍﻟﻤﺘﺎﻫﺔ« ﻣﻦ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﻤﻨﺤﻰ‪،‬‬ ‫ﻳﻤﻜﻦ ﺃﻥ ﻧﻘﻮﻝ ﺃﻧ ّﻫﺎ ﻧﺎﺗﺠﺔ ﻋﻦ ﺇﺳﻘﺎﻁ ﻭﺟﻮﺩﻱ ﻟﻠﺘﺠﺮﺑﺔ‬ ‫ﺍﻟﺤﻴﺎﺗ ﻴ ّﺔ ﻟﻠﻔﻨﺎﻥ ﻭﻫﻮ ﺇﺳﻘﺎﻁ ﻳﺨﺘﻠﻒ ﻋﻦ ﺫﺍﻙ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﻘﻮﻡ‬ ‫ﺑﻪ ﺍﻟﻔﻨﺎﻥ ﺍﻟﻐﺮﺑﻲ ﻣﻨﺬ ﻋﺼﺮ ﺍﻟﻨﻬﻀﺔ‪ ،‬ﺑﻮﺿﻊ ﻋﻴﻨﻪ ﻣﺮﻛ ﺰﺍ‬ ‫ﻟﻠﺮّﺅﻳﺔ )ﺇﻟﻰ ﺣﺪﻭﺩ ﺃﻭﺍﺧﺮ ﺍﻟﻘﺮﻥ ﺍﻟﺘﺎﺳﻊ ﻋﺸﺮ( ﺃﻭ ﻣﺮﻛ ﺰﺍ‬ ‫ﻟﻠﺮﺅﻳﺎ )ﻣﻨﺬ ﺃﻭﺍﺧﺮ ﺍﻟﻘﺮﻥ ﺍﻟﻌﺸﺮﻳﻦ ﺇﻟﻰ ﻳﻮﻣﻨﺎ ﻫﺬﺍ(‪.‬‬ ‫ﻓﺎﻟﺮﺳﺎﻡ ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ‪ ،‬ﻣﻦ ﻫﺬﺍ ﺍﻷﺳﺎﺱ‪ ،‬ﻓﻨﺎﻥ ﺗﺸﻜﻴﻠﻲ‬ ‫ﺃﺻﻴﻞ ﺑﺎﻟﻤﻌﻨﻰ ﺍﻹﺑﺪﺍﻋﻲ ﻟﻠﻜﻠﻤﺔ ﺃﻱ ﺃﻧﻪ ﺑﺘﺄﻭﻳﻠﻪ ﺍﻟﻤﺪﻳﻨﺔ‬ ‫ﺍﻟﻌﺮﺑ ﻴ ّﺔ ﻋﺎﻧﻖ ﺗﺠﺎﺭﺏ ﺇﺑﺪﺍﻋ ﻴ ّﺔ ﺃﺻﻴﻠﺔ ﺃﺧﺮﻯ ﺗﻨﺘﻤﻲ ﺇﻟﻰ‬ ‫ﻓﺘ ﺮﺍﺕ ﺗﺎﺭﻳﺨ ﻴ ّﺔ ﻣﻐﺎﻳﺮﺓ ﻭﺇﻟﻰ ﻓﻀﺎﺀﺍﺕ ﺟﻐ ﺮﺍﻓ ﻴ ّﺔ ﻣﻐﺎﻳﺮﺓ‬ ‫ﻛﺬﻟﻚ‪ .‬ﻓﻬﻮ ﻳﻤﺎﺭﺱ ﺍﻟﺘﺄﻭﻳﻞ ﺑﻨﻔﺲ ﺍﻟﻌﻤﻖ ﺍﻟﺬﻱ ﻧﺠﺪﻩ‬ ‫ﻟﺪﻯ ﺭﺳﺎﻡ ﻣﺘﺼ ﻮّﻑ ﻣﺜﻞ »ﺑﻮﻝ ﻛﻠﻲ« ﻭﻛﻼﻫﻤﺎ ﻗﺪ ﻳﻠﺘﻘﻲ‬ ‫ﻣﻊ ﻭﺟﻮﺩﻳ ّﺔ ﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﻘﻮﻝ ﻫﻲ ﻛﺬﻟﻚ ﺑﺄﻥ ﺍﻟﺨﻴﺎﻝ‬ ‫ﺍﻟﺨﻼﻕ ﻳﺴﻤﺢ ﺑﺘﺠﺎﻭﺯ ﺍﻟﺒﺼﺮ ﺇﻟﻰ ﺍﻟﺒﺼﻴﺮﺓ ﻭﺑﺎﻟﺴﻔﺮ‬ ‫ﺇﻟﻰ »ﺃﺭﺽ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﺔ« ﺣﻴﺚ »ﻣﺮﺝ ﺍﻟﺒﺤﺮﻳﻦ ﻳﻠﺘﻘﻴﺎﻥ«‪.‬‬ ‫ﻭﺣﺘﻰ ﻧﻔﻬﻢ ﻋﻠﻰ‬ ‫ﺣﻘﻴﻘﺘﻬﺎ ﺃﻫﻤﻴﺔ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﺒﻌﺪ ﺍﻟﻔﻜﺮﻱ ﺍﻟﺬﻱ ﺃﺟﺪﻩ ﻓﻲ ﺃﻋﻤﺎﻝ‬ ‫ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﺃﺭﻯ ﺿﺮﻭﺭﻳﺎ ﺃﻥ ﺃﺫﻛ ّﺭ ﺑﻤﺎ ﻛﺎﻥ ﺳﺎﺋﺪﺍ ﻭﻣﺎ‬ ‫ﻳ ﺰﺍﻝ ﻣﻦ ﺍﻟﺘﺼ ّﻮﺭﺍﺕ ﺍﻟﻤﺎﻭﺭﺍﺋ ﻴ ّﺔ ﻟﻤﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﺑﺘﻮﻧﺲ‪،‬‬ ‫ﻭﺍﻟﺬﻱ ﻳﻔﺴﺮ ﻣﻌﺎﺩﺍﺕ ﺍﻟﺮﺳﺎﻣﻴﻦ ﻻﻋﺘﺒﺎﺭ ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮﺳﻢ‬ ‫ﻧﺸﺎﻃﺎ ﻓﻜﺮﻳﺎ ﻭﺫﻟﻚ ﻋﻠﻰ ﺍﺧﺘﻼﻑ ﺍﻧﺘﻤﺎﺀﺍﺗﻬﻢ ﺍﻷﺳﻠﻮﺑﻴﺔ‪.‬‬

‫ﻓﻲ ﺩﺭﺍﺳﺔ ﻣﻄ ﻮّﻟﺔ ﺣﻮﻝ ﺍﻟﺜﻘﺎﻓﺔ ﺍﻟﺘﻮﻧﺴﻴﺔ‬ ‫ﺗ ﻢّ ﻧﺸﺮﻫﺎ ﻓﻲ ﻣﺠﻠﺔ »‪ «IBLA‬ﺳﻨﺔ ‪ ،1958‬ﺧ ﺼ ّﺹ ﻣﺆﻟﻔﻬﺎ‬ ‫ﺍﻷﺏ ﻣﻴﺸﺎﻝ ﻟﻮﻟﻮﻧﻖ ﺟﺰﺀﺍ ﻣﻨﻬﺎ ﻟﻠﺤﺪﻳﺚ ﻋﻦ ﺍﻟﺮﺳﻢ‬ ‫ﺍﻟﺘﻮﻧﺴﻲ ﻓﻲ ﻣﻘﺎﻝ ﻗﺪﻡ ﻓﻴﻪ ﺻﺎﺣﺒﻪ ﺍﻟﻤ ﺮﺗﻜ ﺰﺍﺕ ﺍﻟﻨﻈﺮﻳﺔ‬ ‫ﺍﻟﺘﻲ ﺳﻴﻘﻊ ﺍﻋﺘﻤﺎﺩﻫﺎ ﻓﻲ ﻋﻤﻠﻴﺔ »ﺗﺄﻣﻴﻢ« ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮﺳﻢ‬ ‫ﻓﻲ ﺗﻮﻧﺲ ﻭ»ﺗﻮﺭﻳﺜﻪ«‪ ،‬ﻣﻦ ﻃﺮﻑ ﺍﻟﻨﺨﺒﺔ ﺍﻟﻔ ﺮﻧﺴﻴﺔ‪،‬‬ ‫ﻟﺘﻮﻧﺲ ﻣﺎ ﺑﻌﺪ ﺍﻻﺳﺘﻘﻼﻝ‪ ،‬ﺑﻮﺻﻔﻪ ﺇﻧﺘﺎﺟﺎ »ﺗﻮﻧﺴﻴﺎ«‬ ‫ﺃﺻﻴﻼ ﻳﻤﻜﻦ ﻟﺒﻼﺩﻧﺎ ﺃﻥ ﺗﻔﺨﺮ ﺑﻪ‪ .‬ﻭﻟﺘﺄﻛﻴﺪ ﻫﺬﻩ »ﺍﻷﺻﺎﻟﺔ«‬ ‫ﻳﺮﺑﻂ ﻣﻴﺸﺎﻝ ﻟﻮﻟﻮﻧﻖ ﻣﺎ ﺃﻧﺘﺠﻪ »ﺳﻜﺎﻥ ﺗﻮﻧﺲ« ﻣﻦ‬ ‫ﺃﻋﻤﺎﻝ ﻓﻨﻴﺔ )ﺳ ﻮﺍﺀ ﻣﺎ ﺍﺗﺼﻞ ﺑﺎﻟﻔﻨﻮﻥ ﺍﻟﺤﺮﻓﻴﺔ ﺃﻭ ﻣﺎ ﻳﺘﺼﻞ‬ ‫ﺑﺎﻟﻔﻦ ﺍﻟﺘﺸﻜﻴﻠﻲ( ﺑﻤﺎ ﺗﺰﺧﺮ ﺑﻪ ﺑﻼﺩﻧﺎ ﻣﻦ »ﺟﻤﺎﻝ ﻃﺒﻴﻌﻲ‬ ‫ﺧﺼﻮﺻﻲ ﻳﺆﺛﺮ ﻓﻲ ﺍﻟﻤﺒﺪﻋﻴﻦ ﻣﻦ ﺣﻴﺚ ﻻ ﻳﺸﻌﺮﻭﻥ«‪.‬‬ ‫ﻭﻟﻢ ﻳﻜﻦ ﻣﻦ ﺍﻟﺴﻬﻞ‬ ‫ﺍﻟﺘﻔ ﻄ ّﻥ ﻟﻣﺎ ﻟﻬﺬﺍ ﺍﻟﻄﺮﺡ ﻣﻦ ﻣﻨﻄﻠﻘﺎﺕ ﻣﺎ ﻭﺭﺍﺋﻴﺔ ﺇﻃﻼﻗﻴﺔ‬ ‫ﺗ ُﺧﺮﺝ ﻋﻤﻠ ﻴ ّﺔ ﺍﻹﺑﺪﺍﻉ ﻣﻦ ﺣﻴﺰﻫﺎ ﺍﻟﺜﻘﺎﻓﻲ ﻛﺈﻧﺘﺎﺝ ﺭﻣﺰﻱ‬ ‫ﻭﺗﺠﻌﻠﻬﺎ ﺗﻘﺘﺼﺮ ﻋﻠﻰ ﺇﻧﺘﺎﺝ »ﺃﻋﻤﺎﻝ ﻓ ﻨ ّﻳﺔ« ﺟﻤﺎﻟﻬﺎ ﻣ ﺮﺗﺒﻂ‬ ‫ﻋﻀﻮﻳﺎ ﺑﺎﻟﻤﻌﻄﻴﺎﺕ ﺍﻟﻄﺒﻴﻌﻴﺔ ﻭﺍﻟﺠﻐ ﺮﺍﻓﻴﺔ ﻟﻠﺒﻼﺩ ﺍﻟﺘﻮﻧﺴﻴﺔ‪.‬‬ ‫ﻭﻓﻲ ﻏﻴﺎﺏ ﺍﻟﻮﻋﻲ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﻲ ﺑﺄﻫﻤ ﻴ ّﺓ‬ ‫ﺍﻹﻧﺘﺎﺝ ﺍﻟﺮﻣﺰﻱ ﻭﺧﺼﻮﺻﻴﺘﻪ ﺍﻟﺤﻀﺎﺭﻳﺔ‪ ،‬ظﻠﺖ ﺍﻷﺳﺲ‬ ‫ﺍﻟﻨﻈﺮﻳﺔ ﺍﻟﺘﻲ ﺍﻋﺘﻤﺪﻫﺎ ﺃﻏﻠﺐ ﺍﻟﺮﺳﺎﻣﻴﻦ ﻣﻨﺬ ﺍﻻﺳﺘﻘﻼﻝ‬ ‫ﺇﻟﻰ ﺍﻟﻴﻮﻡ‪ ،‬ﻧﺎﺑﻌﺔ ﻣﻦ ﻣﻮﻗﻒ ﺇﻃﻼﻗﻲ ﻣﻨﻄﻠﻘﻪ »ﺍﻟﻌﻤﻞ‬ ‫ﺍﻟﻔﻨﻲ ﺍﻟﻤﻨﺘﻬﻲ« ﻭ»ﺍﻟﻤﻮﻫﺒﺔ« ﻭ»ﺍﻟﺼﺪﻕ« ﻭ»ﺍﻷﺳﻠﻮﺏ‬ ‫ﺍﻷﺻﻴﻞ ﻭﺍﻟﻤﺘﻤ ﻴ ّﺯ« ﺩﻭﻥ ﺍﻟﺘﻨ ﺒ ّﻪ ﺇﻟﻰ ﻣﺎ ﺗﺤﻤﻠﻪ ﺍﻟﻤﻤﺎﺭﺳﺔ‬ ‫»ﺍﻟﻴﻘﻈﺔ« ﻟﻠﺮﺳﻢ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻄﺮﻳﻘﺔ ﺍﻟﻐﺮﺑﻴﺔ ﺍﻷﺻﻴﻠﺔ ﻣﻦ‬ ‫ﻣﻮﻗﻒ ﻭﺟﻮﺩﻱ ﻭﻧﻘﺪﻱ ﻋﻤﻴﻖ ﻭﻫﻮ ﻣﻮﻗﻒ ﺳﻤﺢ ﻭﻣﺎﺯﺍﻝ‬ ‫ﻳﺴﻤﺢ ﻟﻠﻤﺒﺪﻋﻴﻦ ﺍﻟﻐﺮﺑﻴﻴﻦ ﺑﺈﻧﺘﺎﺝ ﻗﻴﻢ ﺛﻘﺎﻓﻴﺔ ﺩﺍﺋﻤﺔ ﺍﻟﺘﺠﺪﺩ‪.‬‬ ‫ﻭﻓﻲ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﻨﻘﻄﺔ‬ ‫ﺑﺎﻟﺬﺍﺕ ﺗﺘﻤﺤﻮﺭ ﺣﺴﺐ ﺭﺃﻳﻲ ﺍﻟﻘﻴﻤﺔ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﻴﺔ ﻟﺘﺠﺮﺑﺔ‬ ‫ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻭﺗﻜﺘﺴﻲ ﺃﻫ ﻤّﻳ ّﺔ ﻳﻤﻜﻦ ﻭﺻﻔﻬﺎ ﺑﺎﻟﺘﺍﺭﻳﺨﻴﺔ‪ ,‬ﻓﻔﻲ‬ ‫ﻣﺠﺘﻤﻊ ﺗﺒ ﻨ ّﻰ ﻓ ﻨ ّﺍﻧﻮﻩ ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﻋﻠﻰ ﺃﺳﺲ »ﺍﻟﺘﻠﻘﺎﺋﻴﺔ«‬ ‫ﻭ»ﺍﻟﻤﻮﻫﺒﺔ« ﻭ»ﺍﻟﺼﺪﻕ« ﻭﺗﺠﻨﺒ ﻮﺍ ﺍﻟﺘﻨظﻴﺮ ﺍﻟﻤ ﻮﺍﺯﻱ‬ ‫ﻟﻬﺬﻩ ﺍﻟﻤﻤﺎﺭﺳﺔ ﺑﺎﻋﺘﺒﺎﺭﻩ ﺟﺪﺍﻻ ﻭﻣﻀﻴﻌﺔ ﻟﻠﻮﻗﺖ‪ ،‬ﺍﺧﺘﺎﺭ‬ ‫ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻣﻨﺬ ﺃﻭﺍﺋﻞ ﺍﻟﺴﺘ ّﻳﻨﺎﺕ ﺃﻥ ﻳﺠﻌﻞ ﻣﻦ ﻣﻤﺎﺭﺳﺘﻪ‬ ‫ﻟﻠﺮﺳﻢ ﻣﻮﻗﻔﺎ ﺛﻘﺎﻓﻴﺎ ﺑﺎﻟﻤﻌﻨﻰ ﺍﻟ ﻮﺍﺳﻊ ﻟﻠﻜﻠﻤﺔ‪ .‬ﺃﻱ ﻣﻮﻗﻔﺎ‬ ‫ﻭﺟﻮﺩﻳﺎ ﻳﺘﺼﻞ ﺑﺎﻟﻬﻮﻳﺔ ﺍﻟﻔﺮﺩﻳﺔ ﻭﺍﻟﺠﻤﺎﻋﻴﺔ ﺍﻟﻔﺎﻋﻠﺔ ﻓﻲ‬ ‫ﺍﻟﺘﺎﺭﻳﺦ ﻭﺗﺨﺘﻠﻒ ﻋﻦ ﺍﻟﻬﻮﻳﺔ ﺍﻟﻤﻨﺘﻬﻴﺔ ﺍﻟﻤﺸﺪﻭﺩﺓ ﺑﺎﻟﻤﺎﺿﻲ‬ ‫– ﻭﻣﻮﻗﻔﺎ ﺳﻴﺎﺳﻴﺎ ﺑﺎﻷﺳﺎﺱ ﺣﻴﺚ ﻳﻜﻮﻥ ﺍﻟﻌﻤﻞ ﺍﻹﺑﺪﺍﻋﻲ‬ ‫ﺗﻌﻤﻴﻘﺎ ﻟﻠﻮﻋﻲ ﺑﺎﻟﺤﺎﺿﺮ ﻭﺍﺳﺘﺸ ﺮﺍﻓﺎ ﺿﻤﻨﻴﺎ ﻟﻠﻤﺴﺘﻘﺒﻞ‪.‬‬ ‫ﺍﻟﻨﺎﺻﺮ ﺑﻦ ﺍﻟﺸﻴﺦ‬ ‫ﺗﻮﻧﺲ ﻓﻲ ‪2003-04-11‬‬


L’âne citoyen artiste

La cigale, petite... avec un peu de sonore... Est sollicitée par tous les trésors...»

Et l’âne n’eut plus tort... On interdit de le frapper, de le monter et de se servir de son corps... Enfin, il devint un citoyen, souverain de son sort... Or, Devenu chômeur, oisif, il ne sut quoi faire... On lui recommanda d’aller au renard... Rusé comme il fut, il pourrait lui donner des conseils en or... Il se présenta à sa porte... alors...

Le renard balbutia : « Et moi, le petit malin... Qui ai toujours faim... et ne suis habile en rien... Tes semblables ne me font que du bien... Tant que tu restes non-voyant... Je pourrai gagner mon pain... Tant que tu restes débile... Je peux même devenir un saint »... Et à l’âne, il dit en regardant l’horizon : « Vous êtes tombés entre de bonnes mains... Avec moi, vous allez faire de grands gains... Vous serez l’heureux citoyen... Plus riche qu’Aladin... Plus élégant et plus célèbre que Jacques Martin...»

*** - « Que peux-tu faire ? Qu’as-tu de spécial devant lequel on ne peut que se taire ? »... lui demanda le renard en expert... - « Braire ! » Lui répondit l’âne... en citoyen franc, honnête et sincère... - « Sûrement, un ton fort... Une allure d’un matador... Cher ami, tu ne peux être qu’un chanteur, un ténor... » L’âne furieux le déplore : « Je te demande du travail et tu me dis de chanter fort ! Cher ami le chant et l’art c’est du confort... Vous ne connaissez pas ce qu’est advenu de la cigale... alors... L’été, elle chantait et dansait et l’hiver, elle ne trouva rien à manger... Elle a été condamnée à mort...» Stupéfait, le renard murmura : « Imbécile comme il est... Ses défauts, il ne peut les voir... Bien que sa voix aux enfants fasse peur... Il se voit artiste avec tous les honneurs... Con comme il est... Pour lui, le problème est toujours ailleurs... Ce n’est pas qu’il ne peut pas être chanteur... c’est plutôt l’art qui ne peut être un labeur...» En revanche, en souriant il parla ainsi à son interlocuteur : « Romantique comme vous êtes... Artiste, mais humble qui ne peut se comporter qu’en amateur... Bénie soit en vous cette grandeur... Cette candeur... Sachez cher ami, que l’art est devenu un métier d’une grande valeur... Et la cigale est devenue le riche fortuné par sa profession de chanteur...» Hébété l’âne... en penseur... avança ce commentaire : « Cher ami, le temps court à l’envers... Moi, robuste et fort, ne trouve rien à manger sur terre...

Asma Ghiloufi

état d’urgence, n°3, Tunis, Octobre 2016.

L’âne riposta, extrêmement offensé... « La moustache fait de l’homme sa dignité... Les longues oreilles font de l’âne sa vérité... Ce que vous exigez est une grave insulte pour mon identité... »

Ahuri, l’âne brama : « Sans travail, j’aurai quoi bouffer... Sans fatigue, j’aurai beaucoup à gagner... Sans effort, j’aurai tout à ma portée... Et de plus, je n’aurai qu’à chanter et qu’à danser... Bouffon que j’étais... La vie, c’est en rose qu’elle est... Le paradis, sur terre s’est transfiguré... Alors que pour moi c’était une corvée... Quel gâchis ! Mon existence, en noir, je l’avais défigurée... En enfer je l’ai déformée...»

Le renard malicieusement ricana : « Ses oreilles font de lui le roi de la débilité...» Et à l’âne bassement il parla : « Mais, cher ami, délaisse ces vieilles idées... Qui des hommes, aujourd’hui, à sa moustache est attaché ? De plus, pour vos oreilles il n’est pas question de les arracher... Seulement on n’aura qu’à les rabaisser. »

Et presque en criant le renard exalta... « Bénie soit la citoyenneté ! Pourvue qu’elle nous donne tous à manger... Le débile, le va-nu-pieds, se voit le riche glorifié... Le rusé, de rien, il nous invente mille projets... »

*** Les oreilles rabaissées... Longues comme elle sont... Devant ses yeux, comme un rideau, Elles se dressaient... Ses oreilles inclinées... Larges comme elles sont, elles se sont bouchées... Aveugle, il ne pouvait voir ce qui devant lui se passait... Sourd, il ne pouvait non plus rien écouter...

*** « Je ne pourrais réaliser ce que je veux... Si ce con fait ce qu’il peut... Pour que tout se passe pour le mieux... S’il devait braire, il ne devrait ni entendre, ni voir ce qu’il ferait d’affreux... Si j’avais besoin de sa voix, je me passerais bien de ses oreilles et de ses yeux... » Après un silence, il lui chuchota : « Cher ami, il y a un petit détail à régler... Parfois, on est obligé de perdre peu, quand on a beaucoup à gagner... » Avec enthousiasme, il lui répondit : « Je suis la viande, sois le couteau... Je ne prononcerais pas un seul mot... Même si vous me découpez en mille morceaux. » Et le renard parla presque en mage : « L’art est avant tout : une belle image... De nos jours... Pour que l’artiste soit à la page... Il doit se servir de tous les maquillages... Beau comme vous êtes, Il vous faut peu de trucage... Bref, à votre allure, seules vos oreilles vous font des ravages... »

Et voilà comment l’âne citoyen devint artiste... et voilà pour l’art qui est devenu une facile piste... Tant qu’on est recommandé par le renard, Souscrit dans sa liste... Tout devient possible, l’atroce devient propre et juste... On peut hurler, braire, bégayer, meugler, aboyer, parler, crier... enfin chanter, fortement et dans tous les registres... Tant qu’on est muet, aveugle, sourd devant ce festival médiocre et triste... Où tous, en acteurs et heureux spectateurs... On y assiste... Lassaad Chatti

Sommaire - N°3 - Octobre 2016 : Page 1 : Peindre à Tunis et après ? par Naceur Ben Cheikh, Hommage et intérêts par Asma Ghiloufi. Page 2 : L’insulte éternelle, ou comment prier les mains dans les poches par Oussema Troudi.

Page 4 : La Danse macabre autour du bûcher d’Ouled Ahmed par Amira Turki. Page 6 : De la confusion in memoriam, ou le règne de l’incohérence au gré des convenances par Nadia Jelassi. Page 10 : Erections impertinentes, ou quand l’art débande par Imed Jemaïel, Le soldat qui ne supposait plus par Samy Elhaj. Page 12 : Le mal de l’autre par Asma Ghiloufi, Le grand gâteau et la petite cerise par Esmahen Ben Moussa. Page 13 : Les pépins heureux et l’épouventable boudeuse par Esmahen Ben Moussa, ‫ ﺃﻡ ﻛﻔﻰ ﺑﺎﻟﻔﻦ ﻣﺎ ﺗﺜﻘﻔﻮﻥ ؟‬par Souhir Elamine. Page 14 : Interview avec Nejib Belkhodja (1970), Texte du catalogue de l’exposition «Collages» de Néjib Belkhodja, par Naceur Ben Cheikh. Page 15 : ‫ ﺃﻋﻤﺎﻝ ﻧﺠﻴﺐ ﺑﻠﺨﻮﺟﺔ ﻭﺍﻟﺘﺮﻣﻴﺰ ﺍﻟﻮﺟﻮﺩﻱ‬par Naceur Ben Cheikh. Graphique et dessins : Oussema Troudi - Photographies : p 3, 8 et 9 : Oussema Troudi - Illustrations : p 4 et 5 : photomontages de Amira Turki ; p 17 : dessin de Sadika Keskes ; p 14 : couverture du catalogue de l’exposition «Collages» de Nejib Belkhodja (1973) ; p15 : Nejib Belkhodja, Médina-Architecture, 1965 - Impression : Digipress, 1ère édition du 3 ème numéro, Octobre 2016. L e s n u m é r o s p r é c é d e n t s s o n t e n l i b r e a c c è s s u r l e s i t e d u j o u r n a l : w w w. j o u r n a l - e t a t d u r g e n c e . j i m d o . c o m


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