MARS 2015
dossier
les cabinets de curiosités
Focus
les bienfaits de la curiosité
Visite
le musée des confluences
La curiosité, un vilain défaut ? Je me rappelle enfant, poser sans cesse des questions sur le monde et pourquoi ceci et pourquoi cela. En ce sens, je pense que la curiosité est une grande qualité. Une façon de voir et de s’intéresser au monde pour mieux le comprendre. Elle est une source d’enchantement permanente qui de nos jours tend à disparaitre. Bien sûr il y a toujours des choses incroyables qui arrivent chaque jour et des personnes tout aussi fantastiques qui nous étonnent. Mais la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, avec la crise, le cynisme et le marasme ambiant ne nous incite plus vraiment à l’émerveillement. Ou peut-être est-ce une donnée propre à l’enfance ? Que nous perdons en grandissant ? Sans doute qu’il y a aussi le manque de temps. Aujourd’hui tout va si vite, en quelques clics nous sommes déjà au courant de tout ce qui se passe dans le monde. Ainsi nous avons l’impression de tout connaître, immédiatement. Et puis la science peut presque tout expliquer, alors certains diront qu’il n’y a plus lieu de s’émerveiller. Scotchés derrières nos écrans : de smartphone, d’ordinateur ou d’appareil photo, nous ne prenons plus le temps de regarder avec passion ce qui se passe sous nos yeux. J’ai eu envie de m’émerveiller à nouveau avec un sujet à la fois étrange et insolite qui est « le cabinets de curiosités ». Pour transmettre une certaine vision mystérieuse du monde et poursuivre un rêve plein de curiosités qui n’est pas prêt de s’arrêter. Florie Bauduin
Les cabinets de curiosités
Les origines de la collectionnite
Histoire 5 - 9
étude 22 - 25
Les cabinets de curiosités
Qu’est-ce qu’un collectionneur ?
carte 10
anatomie 26
L’Europe du XVI siècle, les plus célèbres cabinets de curiosités
D’un collectionneur
esthétique 12 - 15
Portrait d’un collectionneur
e
Un goût pour la présentation
chronologie 16 Du cabinet de curiosités au musée
Focus 20 La curiosité et ses bienfaits
interview 28 - 31
constat 32 Aujourd’hui, tous collectionneurs !
Du cabinet de curiosités au musée
Les cabinets de curiosités aujourd’hui
visite 36
aujourd’hui 60 - 67
Le musée des Confluence
Les cabinets de curiosités
expo 38 - 41
utile 68
« Dans la chambre des merveilles »
Le coin des bonnes adresses
étude 42 - 45
regard 70
Le musée, source d’inspiration dans l’art contemporain
Bobby Doherty, photographe en série
Regard 48 - 53 Artiste & collectionneur
Visite 54 - 57 Le château d’Oiron
Focus 46
Focus 58
La curation, de quoi s’agit-il ?
Regain d’intérêt pour les cabinets de curiosités
L e s cabi n e t s de
curiosités
Au commencement était la curiosité ou plutôt à la fin, puisque c’est à cause de leur curiosité excessive qu’Adam et Ève furent chassés du jardin d’Éden. Acte lourd de conséquences, certes, mais révélateur d’une qualité inhérente à la nature humaine : cette propension à vouloir découvrir et s’émerveiller. Avant l’exil, Adam avait dressé l’inventaire du Paradis en donnant un nom à chaque créature. Alliant la curiosité à ce goût pour l’inventaire, l’homme allait plus tard tenter de réunifier les fragments de ce monde perdu sous la forme bien singulière du cabinet de curiosités. Ainsi au XVIe et XVIIe siècle les cabinets de curiosités désignent des lieux dans lesquels on collectionne et présente une multitude d’objet rares ou étranges représentant les trois règnes: le monde animal, végétal et minéral, en plus de réalisations humaines. Ils sont avant tout le reflet de l’esprit de leurs créateurs. Le goût de la curiosité restera le dénominateur commun de ces collections et leurs propriétaires n’hésiteront pas à engloutir des sommes d’argent astronomiques dans l’acquisition de telles raretés, effectuant parfois eux-mêmes des expéditions afin de se les procurer. Mais avec l’apparition de L’Encyclopédie au XVIIIe siècle, les cabinets de curiosités cédèrent progressivement la place à des collections spécialisées. texte : Francis Adoue collage : Florie Bauduin
histoire
du
cabinet de curiosités Ces véritables microcosmes regroupent les choses les plus rares qui représentent les trois règnes: le monde animal, végétal et minéral, en plus de réalisations humaines. texte : Francis Adoue
Les sources d’émerveillement
En 1492 Christophe Colomb découvrit le Nouveau Monde et avec cette nouvelle conquête une vague d’exotisme déferla sur l’Europe. Grâce aux explorations financées par les princes et au commerce des navigateurs marchands, le continent s’enrichit de curiosités et merveilles ramenées de cet autre monde qui, s’il n’était pas le Paradis, lui ressemblait malgré tout quelque peu. Au Quattrocento, l’autre source d’émerveillement fut la découverte de l’Antiquité, à travers ses œuvres et ses textes. Les collectionneurs, dont les plus illustres furent les Médicis, peuplèrent alors jardins et villas de ces trésors surgis du passé. Leurs alliances avec les Valois ou les Habsbourg contribuèrent à propager ce goût du merveilleux qui s’étendit au-delà des Alpes. Ces curiosités exotiques et les vestiges de l’Antiquité sont des « sémiophores » du lointain et du passé. Nommés ainsi car ils sont porteurs de signes, par la signification que l’homme leur attribue, ils deviennent médiateurs entre le visible et l’invisible, le sensible et l’intelligible, le connu et l’inconnu. Leur contemplation permet d’effectuer un voyage immobile dans l’espace et le temps.
La chambre des muses
C’est dans l’Italie de la Renaissance que l’on trouve l’amorce du cabinet de curiosités : le studiolo. Lieu de réflexion attenant au palais ou à la villa. Cet espace s’ouvrait sur un autre monde, celui de la pensée placée sous l’égide des muses et des dieux. Outre les peintures allégoriques ou les marqueteries en trompe l’œil ornant les murs, on pouvait y découvrir des cartes géographiques, des horloges, des manuscrits précieux, des objets de culte, des fragments de bas-reliefs. Même si on ne distingue pas encore, dans ces collections, les classements qui seront propres aux cabinets de curiosités, on y décèle un certain goût pour l’éclectisme : chaque objet collectionné se prolonge comme autant de périples où l’imaginaire rivalise avec la passion du savoir, de l’invention et de l’art.
Le théâtre du monde
L’univers est trop vaste pour que d’un seul regard l’homme le parcoure et la mémoire trop fragile pour retenir tout ce que le monde contient. De ce constat va naître l’une des créations les plus originales de la Renaissance : le théâtre
de mémoire. Un théâtre contenant les images des dieux, les représentations des planètes, les différents règnes et les inventions de l’homme. Dans cette structure, la mise en scène de la diversité des objets permettait de les classifier et de les mémoriser. À travers ce concept de « théâtre du monde » apparaît la vocation encyclopédique du cabinet de curiosités. Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, la culture de la curiosité se répandit à travers l’Europe. Notamment en Allemagne où apparaissent « les chambres d’art et de merveilles » (Kunst und Wunderkammer). Le terme de chambre paraît cependant peu approprié, si l’on songe qu’il s’agissait de salles assez vastes pour abriter des sculptures, des armoires, des objets d’orfèvrerie ou de joaillerie, coraux, fossiles, plantes ou animaux exotiques. Ces ancêtres du musée élaborent un principe de classification se divisant en trois sections : naturalia, artificia, et mirabilia.
« L’Artiste dans son musée » 1822 Charles Wilson Peale
H i s to i r e
les cabinets de curiositĂŠs
« Les cabinets de curiosités sont avant tout le reflet de l’esprit de leurs créateurs. »
Collections particulières
Les cabinets de curiosités sont avant tout le reflet de l’esprit de leurs créateurs. Ils n’ont pas tous une vocation encyclopédique. Les collections princières, même empreintes d’humanisme, étaient signes de pouvoir et de prestige. Celles des « amateurs » devinrent un moyen de reconnaissance sociale. D’autres collectionneurs, comme les apothicaires ou les médecins, feront du cabinet de curiosités un lieu d’étude et de recherches. Les raisons menant à créer un cabinet sont donc diverses. Par exemple, le français Pierre Trichet devint collectionneur pour se consoler d’avoir épousé une femme acariâtre.
Un songe mélancolique ?
Le cabinet de curiosités était le passage obligé de ceux qui effectuaient le Grand Tour. Sans leurs témoignages, et sans les inventaires manuscrits de l’époque, nous ne pourrions nous faire une idée du contenu de ces collections. C’est sans doute dans le but de déchiffrer le mystère de l’univers que Rodolphe II a constitué un cabinet de curiosités devenu mythique. L’empereur, entouré d’artistes, de philosophes, d’astrologues et d’alchimistes, négligeait les affaires d’État, et se consacrait entièrement à la constitution de
collections dont l’inventaire comportait près de quatre cents pages. L’aspect pétrifié de ces objets extraits de leur contexte peut engendrer la mélancolie. Alors pour retrouver la flamme animant toutes ces choses les collectionneurs firent construire des laboratoires ou des observatoires dans le prolongement de leur cabinet. Ce nouvel aspect du collectionneur comme créateur caractérise la fin de la Renaissance. Dans cette optique, les œuvres des artistes vont apporter une dimension supplémentaire au paysage du cabinet le transformant en lieu d’enchantement des sens. L’un des créateurs de grottes artificielles le plus connu, Bernard Palissy, en s’inspirant des constructions du Songe de Poliphile, inventera une succession de « cabinets verts » à l’intérieur desquels apparaissent des fontaines en forme de statues fabriquées à partir de coquillages, et animées par des systèmes hydrauliques.
Monstres et prodiges
Pour Francis Bacon, philosophe qui voyait dans les cabinets de curiosités « un modèle de l’universel devenu privé » la nature peut être considérée sous trois aspects : normale, aberrante, et travaillée par l’homme. Les aberrations de la nature furent pour beaucoup dans la renommée des cabinets de curiosités. Qu’il s’agisse
de la corne de licorne, des sirènes momifiées, des squelettes de dragons, des crocodiles, sans compter les portraits d’hommes velus ou les représentations des « acéphales », on aurait dit que tout ce bestiaire fantastique avait surgi du livre des merveilles du monde, manuscrit médiéval qui décrivait la faune de mondes imaginaires. Cette fascination pour certaines de ces créatures refera surface beaucoup plus tard dans nos fêtes foraines avec leurs galeries de monstres. Mais à l’époque de Bacon, l’homme apprivoise l’aspect monstrueux de la nature en le transformant en œuvre d’art. Le fait de collectionner ces « bizarreries », parfois créées de main d’homme, dévoile donc une autre caractéristique du cabinet de curiosités : son aspect ludique. Jeu humain, il fait écho au jeu divin de la création. En témoigne cette image d’un monde inversé dans le cabinet de Ferrante Imperato à Naples : au plafond est suspendu un crocodile, entouré par une multitude de coquillages et de poissons de mer. Même si cette disposition était due en réalité à un manque de place, elle ne pouvait manquer de surprendre le visiteur.
H i s to i r e
les cabinets de curiosités
Intérieur de l’un des cabinets verts de Bernard Palissy par Salomon de Caus.
Le cabinet de curiosités de Ferrante Imperato, pharmacien et naturaliste napolitain. © BIU SANTÉ
La fin du voyage ?
L’homme, nouvel Adam, a voulu donner un nom à toutes choses, constituant un jardin de la diversité ; mais la curiosité entraîna à nouveau sa chute. Quelle en fut la raison ? La Raison elle-même qui, à travers le siècle des Lumières, fit de la curiosité une maladie de l’âme. Déjà Pascal dans ses Pensées la condamnait ainsi : « Curiosité n’est que vanité le plus souvent. On ne veut savoir que pour en parler, autrement on ne voyagerait pas sur la mer pour ne jamais rien en dire et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d’en jamais communiquer. » Même si cette critique concerne le trait de caractère, elle traduit bien le point de vue de certains représentants de la pensée positiviste, qui voyaient dans les cabinets de curiosités une « espèce de fumier philosophique ». L’heure était à l’étude de la nature sous ses aspects tangibles et mesurables, étude qui faisait encore appel à la curiosité mais sous une forme scientifique et rationnelle écartant tout aspect merveilleux ou symbolique.
Ainsi, à l’époque de l’apparition de l’Encyclopédie au XVIIIe siècle, les cabinets de curiosités cédèrent progressivement la place à des collections spécialisées. Le « théâtre du monde » se vida de ses personnages : le crocodile quitta son ciel d’étoiles de mer pour s’en aller rejoindre les frères de son espèce au Muséum d’histoire naturelle, la sirène replongea dans son royaume d’illusion, le tableau interrompit son dialogue avec le manuscrit et le globe céleste s’arrêta de tourner. Francis Adoue
L’Europe au XVIe siècle Les plus célèbres
cabinets de curiosités Collections fantastiques et microcosmes extraordinaires, ils représentent toute la complexité du monde. Dans ces univers en miniature, l’organisation de la collection en catégories, souvent arbitraires, fait écho à la propre vision du monde par les collectionneurs. Tour d’horizon des cabinets de curiosités et de leurs propriétaires les plus connus en Europe au XVIe siècle
H i s to i r e
c a r t e d u xv i e s i è c l e
Le cabinet de la Reine était un cabinet-meuble avec tiroirs qui contenait entre autre un oiseau de paradis et une corne de licorne Le cabinet de Nicolas Chevalier est en réalité la combinaison de 3 collections. à sa mort on dénombre pas moins de 2000 objets dans son cabinet.
Londres, angleterre Cabinet du duc de Buckingham Cabinet de la Reine à Windsor Cabinet de Walter Cope
Cabinet exotique : scies africaines, armes, flêches, ossements, momie, monnaies, peintures et coraux.
Poitiers, FRANCE Cabinet de Paul Contant Cabinet de naturalia
La Rochelle, FRANCE Cabinet de Paul Moriceau Cabinet de naturalia et jardin
Copenhague, Danemark Cabinet d’Ole Worm Principalement composé d’objets naturels et d’œuvres d’art
Enkhuizen, pays-bas Cabinet de Bernhard Paludanus Amersterdam, pays-bas Cabinet de Nicolas Chevalier
Bruxelles, belgique Cabinet d’Otto Zulius
Paris, FRANCE Cabinet du comte de Brienne composé de peintures, livres, estampes et médailles
Lyons, FRANCE Cabinet des frères de Monconys Cabinet de Nicolas Grollier de Servière
Prague, république tchèque Cabinet des Habsbourg Nuremberg, ALLEMAGNE Cabinet de Hansin
L’un des plus beaux d’Europe, cabinet en plusieurs parties.
Bâle, SUISSE Cabinet de Félix Platter
Venise, ITALIE Cabinet de Domenic Thiepoli Cabinet de Georges Barbaro Bologne, ITALIE Cabinet d’Ulisse Aldrovandi Cabinet de Ferdinando Cospi
Montpellier, FRANCE Cabinet de Laurent Catelan Cabinet de naturalia
Ulisse Aldrovandi, médecin et professeur de botanique. Il est aussi l’un des pères fondateurs du museum d’histoire naturelle en Europe. Il fusionne son cabinet avec Ferdinando Cospi pour en accroître les savoirs.
Florence, ITALIE Cabinet des Médicis
Saragosse, ESPAGNE Cabinet de Francisco Ximenes de Urreca Barcelone, ESPAGNE Cabinet de Don Alphonso Perez
Rome, ITALIE Cabinet d’Athanase Kircher
Naples, ITALIE Cabinet de Ferrante Imperato
Cabinets de naturalia, d’antiquités, d’instruments de physique et de mathématiques.
Félix Platter a visité de nombreux collectionneurs en Europe, ses témoignages ont permis d’en apprendre plus sur les cabinets de curiosités de l’époque Sa collection était essentiellement composée d’instruments de musique
Les Médicis disposaient de plusieurs riches collections avec plusieurs « chambres des merveilles » et de nombreux tableaux, objets d’arts et autres curiosités.
Ferrante Imperato est un pharmacien et naturaliste, son cabinet est très célèbre à l’époque et il en existe de nombreuses gravure, on peut en voir un exemple page 9.
Un goût
pour
la présentation Le cabinet de curiosités ne serait-il pas une forme de théâtre dissimulée ? à la fois théâtre du monde essayant de le représenter dans sa totalité et mise en scène de ses curiosités. texte : Bruno Jacomy
Le lieu, la pièce
Il importe de distinguer le cabinet comme lieu physique et le cabinet comme meuble. À l’époque il n’y a que des musées privés : les cabinets. En général, on peut les visiter assez facilement avec une lettre d’introduction, mis à part quelques exceptions comme le cabinet de Rodolphe II qui était tenu assez secret. On peut établir une distinction entre les grands cabinets princiers et des grandes familles comme ceux de Rodolphe II, de Mazarin, de Gaston d’Orléans et ceux des amateurs moins fortunés, les érudits par exemple: Peiresc et Ole Worm (médecin suédois). Lieux d’échange et de partage de savoirs, ils reflètent la volonté de leurs auteurs d’explorer et de comprendre le monde et constituent en quelque sorte des outils d’expérimentation.
L’organisation des choses
Dans les cabinets, on voit apparaître très tôt la volonté de classer les merveilles du monde selon une organisation raisonnée. On retrouve en général les grandes classes que sont les naturalia, artificialia et exotica. Puis à ces catégories sont ensuite rattachées des familles, par des critères d’usage ou des ensembles représentant l’organisation future des sciences de la vie et de la terre.
photographies : Florie Bauduin
Un monde de représentation
Ces objets du passé présentés dans des vitrines sont autant en représentation que l’acteur sur la scène ou le professeur devant ses élèves. Si les collections sont entassées dans de grandes vitrines éclairées par la lumière du jour, leur perception par le visiteur sera totalement différente des mêmes objets installés sur un fond foncé dans les vitrines faiblement éclairées d’une salle à l’ambiance intimiste. Par cette mise en scène adaptée, le visiteur peut ressentir des sensations très variées. Et parfois même changer le regard du visiteur sur l’objet présenté. Les nombreuses gravures des cabinets de curiosités les plus célèbres des XVIIe et XVIIIe siècles, nous montrent à la fois un espace scénographié et une représentation en perspective de ce lieu spectaculaire au sens premier du terme. Le collectionneur ne figure pas toujours dans ces images, mais dans plusieurs d’entre elles, un personnage y est représenté dans la posture d’un guide, bras levé, nous invitant à découvrir les merveilles savamment ordonnées sur les étagères. Grâce à ce geste, les deux fonctions primordiales du cabinet sont ainsi dévoilées : le spectacle et la pédagogie.
esthétique
Fascination pour l’étrange
Dès la Renaissance, la fascination pour l’étrange et les chimères, jointe au goût de la mystification, peuple les cabinets d’improbables naturalia. La supercherie est présente au cœur des plus somptueuses collections : les attributions sont souvent erronées, la provenance et la datation sont farfelues. La présentation, dans les cabinets d’espèces curieuses, de ces varia bizarres a toujours donné matière au questionnement.
Entre réel et imaginaire
Le goût des collectionneurs pour le bizarre, voire le monstrueux, les conduit à rechercher et posséder les choses les plus fabuleuses et les plus mystérieuses. à partir de certains objets investis de vertus magiques ou sujets à légendes, ils content des histoires extravagantes. Ils alimentent ainsi croyances populaires et religieuses, superstitions et récits légendaires. Les objets hybrides, à la frontière des différents règnes de la nature, sont très recherchés. Difficiles à identifier et à classer, sujets à diverses interprétations, ils suscitent discussions et controverses. Certains curieux cherchent à percer les mystères de ces fabuleuses merveilles. Leur quête d’une explication objective à ces phénomènes obscurs favorisera l’émergence d’une véritable pensée scientifique.
Le cabinet-meuble
le cabinet de curiosités
Finalement, la métaphore du cabinet, en tant que pièce où l’on déambule, ne serait-elle pas tout simplement le cabinet en tant que meuble ? Le cabinet classique possède une multitude de tiroirs, et ces tiroirs sont au meuble ce que la fiche est au catalogue, la page au livre : un espace clos où il n’y a que deux possibilités, être dedans ou dehors. Le tiroir est l’élément de base du classement, mettant au jour la difficulté de faire entrer un objet ou un spécimen dans un seul et unique emplacement. Le cabinet-meuble, encore davantage que le cabinet-pièce, est un espace idéal pour une organisation rigoureuse des choses. C’est pourquoi il est en quelque sorte la métaphore du monde maîtrisé par l’homme. C’est sans doute en grande partie pour cette raison que ce meuble a revêtu les formes les plus magnifiques en termes de décoration, de richesses de matériaux, de savoir-faire d’ébéniste. Le cabinet a aussi cette faculté de mettre en scène les collections à la manière d’un jeu, d’une découverte maîtrisée par le collectionneur. Bruno Jacomy
esthétique
le cabinet de curiosités
Petites histoires de curiosités
L’oiseau de paradis
Le dragon volant
La dent de narval
Le bézoard
L’agneau tartare
Le rémora
Selon la croyance, l’oiseau de paradis, planant sans cesse dans les airs car dépourvu de pattes pour se poser, se nourrit de rosée et ne se laisse jamais capturer vivant. Les mâles auraient même sur le dos un creux dans lequel les femelles déposent leurs œufs.
Est une concrétion contenue dans l’appareil digestif de certains quadrupèdes, décrit comme un puissant remède pour combattre la mélancolie et l’empoisonnement. Il était un objet précieux, au même titre que la corne de licorne et faisait l’objet de nombreuses contrefaçons.
Le draco est un lézard volant apprécié des collectionneurs pour sa ressemblance avec un dragon. Il ne vole pas et se contente de planer, mais sa présence dans les cabinets de curiosités permet d’entretenir la légende de cette créature fabuleuse. Exposé avec fierté, le spécimen devrait faire illusion, qu’il soit vrai ou faux, et cet effet était particulièrement apprécié des visiteurs.
Appelée aussi « borametz » l’agneau tartare est une plante légendaire d’Asie centrale. Sa sève était, disait-on, du sang et ses fruits, des agneaux car ils leurs ressemblaient. Les loups en étaient parait-il fort friands.
La légende raconte que le seul moyen d’attraper une licorne est de l’appâter par « l’odeur des vertus » d’une jeune vierge. Râpée et consommée, la fameuse corne de licorne, en réalité dent du narval, se voit gratifiée de pouvoirs purificateurs, magiques et de contrepoison qui en font l’un des objets les plus chers et les plus réputés de la fin du Moyen Age.
Petit poisson à la tête pourvue d’un disque adhésif lui permettant de se fixer sur de plus gros poissons. On le croyait capable de stopper les navires en pleine course
Du cabinet de curiosités au musée
XVe siècle
XVIe
XVIIe
Développement
1492
Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, la culture de la curiosité se répandit à travers l’Europe. Notamment en Allemagne où apparaissent les Kunst und Wunderkammer « les chambres d’art et de merveilles » .
studiolo
Christophe Colomb
découvre le Nouveau Monde et son exotisme déferle dans le monde.
théâtre du monde
Le cabinet de curiosités à l’époque de la Renaissance ils désignent des espaces dans lesquels un « curieux » rassemble des objets rares et étonnants.
Loisir mondain
La curiosité est au cœur d’un loisir mondain fort prisé, que la révolution scientifique naissante va transformer en enjeu de connaissance.
Ch r o n o lo g i e
XVIIIe
XIXe
évolution
Les cabinets de curiosités évoluent et tendent à se spécialiser, notamment dans le domaine scientifique. Ils vont progressivement disparaître pour laisser la place aux muséums.
1751 Naissance de l’encyclopédie
qui va bousculer les idées reçues en France et dans toute l’Europe.
le cabinet de curiosités
XXe Renouveau 1924 Le surréalisme
oubli
Le XIXe siècle est marqué par la volonté d’effacer des mémoires les cabinets de curiosités jugés passéistes et dépassés. Les musées les remplaceront.
Grâce au surréalisme et André Breton, un nouveau souffle est donné à la curiosité ainsi qu’un regain d’intérêt pour l’objet.
1993 Le Château d’Oiron
cabinet de curiosités contemporain
1793 Création du muséum
national d’histoire naturelle à Paris.
XXIe
décembre 2014
Le musée des confluences installé à Lyon c’est un récent musée issu d’un cabinet de curiosités qui propose une exposition intitulée « dans la chambre des merveilles »
la révolution
surréaliste Le mouvement surréaliste mené par André Breton en 1924 remet au goût du jour la curiosité, le domaine du rêve et de la libre association d’idées. texte : Florie Bauduin
Dominé par la personnalité d’André Breton, le Surréalisme est d’abord d’essence littéraire. Son terrain d’essai est une expérimentation du langage exercé sans contrôle. Puis cet état d’esprit s’étend rapidement aux arts plastiques, à la photographie et au cinéma, non seulement grâce aux goûts de Breton, lui-même collectionneur et amateur d’art, mais aussi par l’adhésion d’artistes venus de toute l’Europe et des États-Unis pour s’installer à Paris, alors capitale mondiale des arts.
« Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection » Lautréamont
photographies : Sabine Weiss
L’objet surréaliste
Les artistes surréalistes mettent en œuvre la théorie de libération du désir en inventant des techniques visant à reproduire les mécanismes du rêve. Fidèle au principe de leur esthétique, illustrée par la phrase de Lautréamont « beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ». Ainsi ils créeront des objets surréalistes qui sont le fruit du collage d’objets les plus inattendus, issus de la rencontre de deux réalités différentes sur un plan qui ne leur convient pas. L’effet cherché est toujours la surprise, l’étonnement, le dépaysement comme celui provoqué par l’irruption du rêve dans la réalité. L’association d’objets se faisant au nom de la libre association de mots ou d’idées qui, selon Freud, domine l’activité inconsciente et en particulier l’activité onirique. Dès 1924, André Breton, dans son Introduction au discours sur le peu de réalité, propose de fabriquer « certains objets qu’on n’approche qu’en rêve ». Les surréalistes, artistes et écrivains, vont s’adonner passionnément à cette pratique. L’auteur de l’œuvre associe les éléments les plus hétéroclites de manière insolite et provocante afin de déclencher le choc de la surprise et transporter le spectateur dans un univers de rêve. Sur le passage du surréalisme se produit donc une crise fondamentale de l’objet et des distinctions sans fin : objet réel et virtuel, objet mobile et muet, objet fantôme, objet interprété, objet incorporé, être-objet, objet involontaire, etc.
R é vo lu t i o n
le cabinet de curiosités
« Du 7 au 17 avril 2003, ce sont près de 400 tableaux, 3500 livres, 1500 photographies, 150 pièces d’art primitif et des centaines d’autres objets qui ont été vendus dans les salles de l’hôtel Drouot. »
Le 42 rue fontaine
Pendant plus de quarante ans, de 1922 jusqu’à sa mort, en 1966, André Breton a rassemblé dans son appartement de la rue Fontaine, à Paris, des milliers d’objets. Du 7 au 17 avril 2003, ce sont près de 400 tableaux, 3500 livres, 1500 photographies, 150 pièces d’art primitif et des centaines d’autres objets qui ont été vendus dans les salles de l’hôtel Drouot. L’état laissera disparaître un moment de notre mémoire dans cette vente. Mais qu’avait-on réellement dispersé ? Un fatras d’objets ? Une collection ? Un poème-objet ? Ou plus simplement un peu de notre curiosité ? Quelques sculptures, racines, fétiches, bénitiers, peintures, minéraux, insectes, poupées hopi qui formaient dans l’ancien appartement d’André Breton un véritable cabinet de curiosités. Breton, rappelle Yves Bonnefoy, ne « rassemblait pas des objets, mais reconnaissait des présences ». Le cabinet était un atelier d’artiste, un de ces chantiers où s’élabore, dans le dérèglement du sens, la curiosité. Si l’histoire des objets est toujours l’histoire de la curiosité, « Curiosus, cupidus, studiosus : l’attention, le désir, la passion du savoir » comme le définit le dictionnaire de Trévoux, celleci relevait chez Breton moins de la nature de l’objet que de l’état de curiosité du sujet. Ainsi, à côté des choses qui nous rendent banalement curieux, en raison même de leur statut — objet d’art, objet exotique, objet rare — s’en trouvaient d’autres, fonctionnelles, usuelles, dépourvues de tous traits originaux, exception faite de ceux de la banalité, puisque c’est de celle-là même que Breton nous rendait curieusement curieux. La curiosité devenait un objet de curiosité à part entière. Le regard précédait la chose regardée. Breton était dans tous ses objets et les objets dans tous leurs états. Car tous les sujets, sous l’angle d’étranges combinaisons, pouvaient surgir au coin de chaque objet.
focus
la curiosité
Être curieux et
ses bienfaits
Dans un monde où nous avons parfois l’illusion d’être informés de tout, que reste-t-il de la curiosité ? texte : Christophe André
Aujourd’hui, nous évoluons dans un monde limité, borné et exploré de fond en comble. Quel impact ce sentiment peut-il avoir sur notre psychisme, notre cerveau ? Sommes-nous en train de devenir blasés, de perdre nos capacités de curiosité, d’émerveillement, d’élan vers la découverte et l’exploration de notre environnement ? Ce serait sans doute regrettable, dans la mesure où un rapport actif à l’espace géographique qui nous entoure est de nature à stimuler et faire évoluer notre cerveau. Ainsi, conduire en 2000, une des premières études sur la neuroplasticité, cette capacité du cerveau à évoluer et à se reconfigurer quand il est stimulé, montrait que le cerveau des chauffeurs de taxi londoniens expérimentés, était modifié par rapport à celui de sujets témoins : ils disposaient d’un hippocampe plus volumineux, ce qui correspondait à leurs capacités de se localiser n’importe où dans la capitale britannique (la partie postérieure de cette aire cérébrale stocke notamment les informations liées aux représentations spatiales). Inversement, d’autres travaux, conduits notamment par Véronique Bohbot à l’Université McGill de Montréal, laissent penser que
illustration : inconnu
l’usage intensif du GPS atrophie cette région cérébrale. Quand l’esprit cesse d’explorer son environnement, il s’étiole. La curiosité, nous poussant vers de nouvelles explorations, de nouveaux apprentissages, représente une capacité précieuse. Est-elle menacée elle aussi d’atrophie dans un monde qu’il nous semble parfaitement connaître, mais à tort ? Prenons l’exemple des voyages : certes on arrive aujourd’hui en quelques heures à l’autre bout de la planète grâce aux transports aériens, on se déplace de Paris à Marseille en trois heures grâce au TGV. Mais de ce fait, on ne visite plus l’étendue de l’espace qui nous sépare de deux escales. Nous ne voyageons plus au sens propre. Nous nous transportons d’un point à un autre. Y perdons-nous quelque chose de précieux ? C’est bien possible, si on se fie au proverbe : « ce que j’entends, je l’oublie ; ce que je vois, je le retiens ; ce que je fais, je le comprends. » La curiosité est une des forces qui nous pousse à explorer et à comprendre le monde, et pas seulement à consommer des informations à son propos. Pour notre cerveau, il est probable que cela change tout. Christophe André
La neuroplasticité du cerveau est une des découvertes récente des plus importantes dans l’étude du cerveau. Elle montre la capacité des neurones à se modifier tout au long de leurs vies. On dit alors que le cerveau est « malléable ou plastique » car il est capable de se modifier en créant de nouveaux neurones et de nouvelles connexions entre eux (synapses). Ce phénomène intervient notamment durant le développement embryonnaire, l’enfance, la vie adulte et les conditions pathologiques (lésions et maladies). Elle explique l’apprentissage et la mémoire.
Les origines de la
collectionnite La psychologie des collectionneurs n’a que rarement fait l’objet d’analyses. Néanmoins, le psychologue français Henri Codet leur a consacré une thèse où il recense quatre caractéristiques propres aux collectionneurs. Ces quatre grandes caractéristiques psychologiques du collectionneur sont recensées comme étant : le désir de possession, le besoin d’activité spontanée, l’entraînement à se surpasser et la tendance à classer. « On retrouve chez l’enfant tous ces traits spécifiques, dit-il. C’est peutêtre leur survivance à l’âge adulte qui fait le collectionneur. » C’est entre 7 et 12 ans qu’apparaissent les premiers désirs de collection. Ils correspondent au besoin de rationaliser et de classer les éléments du monde extérieur pour en prendre intellectuellement possession. C’est aussi le premier moyen de se mesurer au monde des adultes. En principe, à la puberté, ces tendances disparaissent. Mais si elles continuent de se manifester à l’âge adulte, c’est avec un élément supplémentaire : la passion. Mais d’où vient cet amour pour les objets ? Le psychanalyste Werner Muensterberger fonde son origine dans la petite enfance. à la naissance, le bébé ne fait pas la distinction entre lui et sa mère et vit avec elle un état fusionnel. Un jour, il s’aperçoit qu’elle peut s’absenter. Pris d’angoisse et de peur, il tend les mains, saisit un objet et le garde près de lui. C’est l’objet transitionnel, défini par Donald W. Winnicott comme « objet qui ne fait pas partie du corps du nourrisson et qu’il ne reconnaît pourtant pas encore complètement comme appartenant à la réalité extérieure ». Cet objet : poupée, hochet, jouet, etc... est le prolongement de l’enfant à l’extérieur. Il lui permet de soulager sa peur de la solitude. Selon Werner Muensterberger, le collectionneur retrouverait, dans chacune de ses acquisitions, le pouvoir de l’objet transitionnel. texte & image : Florie Bauduin
Qu’est-ce
qu’un
collectionneur ? Le psychanalyste américain Werner Muensterberger a étudié le comportement des collectionneurs dans son livre « collectionneur : anatomie d’une passion ». texte : Werner Muensterger
Pourquoi collectionner ?
Comme on l’a vu précédemment le fait de collectionner a des racines très profondes dans l’enfance, c’est une disposition qui vient d’un souvenir sensoriel qui n’est pas immédiatement identifié de privation, de perte ou de vulnérabilité. Cette passion vient de l’envie de s’entourer d’objets au pouvoir magique. Il ne s’agit pas d’un simple passe-temps mais d’une évasion enrichissante par rapport aux impératifs souvent frustrants de la vie quotidienne. Cet engagement a d’autres dimensions telles un moyen de refouler et de maîtriser des doutes profonds. il est indéniable qu’une collection apporte bien autre chose que la simple expérience du plaisir. Sinon il suffirait d’un seul papillon, d’un seul tableau. Au contraire, la répétition est une nécessité. Les nouvelles acquisitions servent à pallier au retour de l’angoisse, au désarroi provoqué par le besoin et le manque. Ainsi que la faim, qui doit être assouvie, la possession d’un objet de plus ne met pas un terme au désir.
« Il est indéniable qu’une collection apporte bien autre chose que
la simple expérience du plaisir »
Le rôle de la collection
Chaque nouvelle addition qu’elle provienne d’un achat, d’un cadeau ou même d’un vol porte la marque d’une promesse et d’une compensation magique. Une tentative de se guérir soimême. Ces objets quelle que soit leur valeur ou leur signification ne sont que des doublures des collectionneurs. Le collectionneur vit à travers ses objets, permettant de s’évader magiquement dans un monde à la fois privé et lointain. C’est peut-être l’aspect le plus intrigant de la démarche du collectionneur. Mais il ne suffit pas de s’évader une seule fois, ou même de temps en temps. Il faut que l’expérience se renouvelle sans cesse. Et puis ces objets sont toujours là quand rien d’autre ne vient combler le besoin de réconfort. Ils deviennent des palliatifs aux personnes, et servent à transformer la frustration en un état de bien-être et de plaisir.
Collectionner pour s’affirmer
Le rôle des objets est également de procurer un sentiment d’affirmation de soi, un soutien invisible. Les collectionneurs ont tous le sentiment d’être à part à travers leurs objets. Ils se sentent rassurés, enrichis et dignes d’intérêt. Ils peuvent se comporter avec
modestie, avec une certaine réserve qui n’est après tout, souvent, qu’une forme déguisée d’exhibitionnisme. Pour le véritable collectionneur, chaque pièce d’une collection a généralement une signification distincte et même une puissance de séduction potentielle. Pour le collectionneur, sa collection est forcément un reflet de sa personnalité, de ses goûts, de sa clairvoyance, de l’indépendance de son choix ou de la confiance qu’il accorde au jugement d’autrui. On dénombre beaucoup de collectionneurs chez les nouveaux riches car les objets contribuent à leur donner un sentiment d’identité et agissent comme source d’autodéfinition. Justifiant un sentiment de fierté et même de supériorité.
« Les collectionneurs ont tous
le sentiment d’être à part à travers leurs objets, ils se sentent rassurés, enrichis et dignes d’intérêt. »
Étude
l e co l l e c t i o n n e u r
Werner Muensterberger Né à Dortmund en avril 1913, décédé à New York en mars 2011, Werner Muensterberger était un psychanalyste américain renommé, historien de l’art, et collectionneur d’art africain. Son ouvrage « Collecting, an Unruly Passion » est paru aux Etats-Unis en 1994, en France ce livre a été publié sous le titre « Le collectionneur : anatomie d’une passion ». Il a exploré les comportements et les motivations de ces collectionneurs au cours d’un formidable périple à travers le temps,
Comportement : compulsif ?
Souvent, le processus même de l’acquisition apporte une évidente excitation, tout en déclenchant des sentiments de culpabilité et de malaise. Quand on observe des collectionneurs à la recherche d’un objet, on décèle rapidement des caractéristiques très révélatrices : leurs différentes manières d’acquérir une pièce, comment ils expriment le désir qu’ils en ont ou comment ils manifestent leur joie. Par ailleurs, une fois l’objet obtenu, il leur arrive de se torturer de doutes et de reproches, souvent incompréhensibles pour le non-initié. Un penchant si violent est parfois totalement accaparant, quelquefois euphorisant, d’autres fois tyrannisant et même ruineux à l’occasion. Cette passion peut se révéler dévastatrice au point de bouleverser la vie d’un individu et devenir sa principale occupation, au détriment de tout le reste.
Le désir de collection
Ce qui crée le désir de collectionner est un amour tout puissant pour les objets façonné par des pulsions irrationnelles, celles-ci peuvent provenir aussi bien d’événements concrets (blessures physiques) que d’un état d’inquiétude et d’angoisse plus ou moins tangible. Le
depuis les patriciens romains férus d’œuvres grecques jusqu’aux milliardaires américains contemporains, en passant par les chasseurs de reliques au Moyen Age et les bourgeois hollandais du Siècle d’or. Cette anatomie d’une passion qui peut devenir aussi dévastatrice que le jeu se déroule dans un cabinet de curiosités où, au dire de leurs propriétaires, les objets sont comme les témoins silencieux de l’éternité.
collectionneur attribue un pouvoir et une valeur aux objets parce que leur présence et leur possession semblent avoir une fonction agréable sur son état mental. De ce point de vue les objets aident à juguler anxiété et incertitude. Aimer les choses plutôt que les êtres peut devenir une solution pour contenir ses émotions.
« Ce qui crée le désir
de collectionner est un amour
tout puissant pour les objets » Différents types de collectionneur
L’importance que le collectionneur attribue aux objets et la signification de ce qu’il collectionne sont en fonction de son caractère, du goût et des sentiments personnels de chacun. Ainsi il y a une grande diversité dans les manières de collectionner. Certains désirent uniquement posséder des pièces exceptionnelles ou quelques objets alors que d’autres achèteront tout ce qui leur passe sous la main, pour le plaisir d’accumuler. Tout comme on distingue « les collectionneurs vitrine » c'est-à-dire ceux qui aiment montrer leurs objets des « collectionneurs placard » ceux qui gardent leur collection privé et préfèrent ne pas la présenter.
Les compétences du collectionneur
L’attention du collectionneur semble toujours en alerte, dans une vigilance permanente. Il emploie toutes les ressources possibles pour obtenir des informations et se construit un réseau. Il se fabrique une image mentale, à partir de photos, de ce qu’il va voir et peut-être acheter. Il acquiert des connaissances liées à l’achat, à l’environnement de la collection, à l’objet même de la collection. Il achète, fait du troc, revend, échange… Il mémorise à court et long terme pour se souvenir des caractéristiques de chacun de ses objets, de chacun de ses contacts. Il répertorie souvent les données dans un catalogue ou tout est référencé. Le grand dilemme de la passion et de la raison est présent lors de la décision d’achat.
« L’attention du collectionneur semble toujours en alerte,
dans une vigilance permanente. »
Organe de la vision. Il permet au collectionneur de cibler les futurs acquisitions intéressantes. Il capte la beauté de la ligne et de la forme des objets.
Oeil
Moteur du corps et de l’âme. On ne peut pas être collectionneur sans être passionné, on ne peut pas être passionné sans y mettre son cœur.
Cœur
Chez le collectionneur, il fonctionne à deux vitesses. D’une part il a le désir d’acheter qui le tiraille et de l’autre il y a la raison qui le ramène à la réalité. C’est un vrai dilemme dans sa tête.
Cerveau
Anatomie d’un collectionneur
du latin « pedem » il porte le poids du corps et sert à nous déplacer. Pour le collectionneur, éternel rêveur, il lui permet de rester fermement sur terre.
Pied
Du latin manus qui signifie « du coté du corps » elles servent à appréhender les objets, à en découvrir les particularités.
Main
Il faut avoir des tripes pour être collectionneur. Il devra souvent se battre avec d’autres collectionneurs pour obtenir un objets (quand ceux-ci ne sont pas trop jaloux et n’essaient pas de le tuer).
Abdomen
i n t e rv i e w
l e co l l e c t i o n n e u r
P or t rai t
d’un
collectionneur Rencontre à Reims, avec Daniel Pillant professeur et collectionneur passionné par les objets issus de l’Art Populaire. interview & photographies : Florie Bauduin
Daniel Pillant est professeur de dessin et de gravure à Reims. C’est aussi un collectionneur passionné par l’objet nonindustriel, celui issu de l’art populaire, avec pas moins de deux cent vingt collections à son actif. Il a entrepris la mise en place de plusieurs musées dédiés à l’outil avec notamment son travail de scénographie des vitrines de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière à Troyes. Il a également participé aux grands travaux de réhabilitation de la place Stanislas à Nancy, en retravaillant les éléments de décor des grilles. Travail qui lui a valu d’être promu au rang de Chevalier des Arts et des Lettres. 10h28 Mon train part gare de l’Est pour retrouver « Monsieur Pillant » mon professeur de dessin en terminale alors que je cherchais péniblement ma voie dans le milieu artistique. 11h50 J’arrive chez lui. Il râle gentiment parce que je n’arrive pas assez vite. En effet, j’avais dis que j’arriverais à midi et j’ai dix minutes d’avance. Cela fait six ans que nous ne nous sommes pas vus. Après les retrouvailles et les discussions sur nous et les nouvelles acquisitions, mon interview peu commencer. Portrait d’un collectionneur passionné, jusqu’au bout des ongles.
Comment avez-vous commencé à collectionner ? Dans les années 70, je ne connaissais pas encore l’art populaire et j’ai rencontré un antiquaire. Je suis allé chez lui où j’ai découvert des objets entre nature et fonction. J’ai vu un peigne en bois qui m’a immédiatement intrigué. Je ne savais pas ce que c’était, je pensais que c’était de l’art africain. Quelques années plus tard, l’antiquaire m’a appelé pour me proposer d’acheter le peigne, qui coûtait la moitié de mon salaire à l’époque. J’ai alors fait un emprunt pour l’acheter. C’est à la mort de cet homme que j’ai su qu’en réalité ce peigne était breton et servait à peigner le lin. C’était mon premier objet d’art populaire. Mais à ce moment là je ne savais pas que c’était ce que j’allais collectionner toute ma vie. Ce choix est venu plus tard, un soir devant des vitrines d’objets ou j’hésitais entre acheter une sculpture de déesse cycladique et une cuillère. La sculpture était chere et en plus j’avais peur qu’elle soit fausse. Alors que dans la cuillère, j’ai vu un tableau, un Turner. Ça m’a fait voyager et j’ai opté pour le tableau dans la cuillère. Votre première collection ? Au début, ça n’avait rien à voir avec ce que je collectionne maintenant. J’ai commencé par collectionner des racines, celles qui avaient une attitude, quelque chose de particulier. Peut-être pour me rappeler mes propres racines.
Est-ce que vous collectionner différents types d’objets qui forment une collection ou un seul objet ? Je dirais que j’approfondis un type d’objet en particulier, je vais jusqu’au bout et cela peut prendre des années [avec deux cent vingt thèmes de collection, en effet, on peut dire qu’il va vraiment jusqu’au bout]. Mais attention, je ne collectionne pas n’importe quoi. Il y a ceux qui accumulent pour le plaisir. Moi je cherche la particularité de l’objet, quelque chose de rare, il faut que ce soit un peu insolite. Et puis ce qui est intéressant dans l’objet c’est de retrouver un peu de l’être qui l’a créé, et qu’il a une histoire à raconter. Qu’est-ce que vous ressentez quand vous êtes sur la piste d’un nouvel objet ? Je ne sais pas à l’avance ce que je vais trouver quand je vais en chine (chiner). Cette démarche est très importante et j’ai peur de rater un objet, qu’il me passe sous le nez. C’est pour cela que si une petite vieille se met sur mon chemin et me fait perdre mon temps, je l’écrase ! [rires]. Au-delà de ça, il y a aussi un effet boomerang. Si tu n’achètes pas, tu es très mal, tu te déçois. Si tu achètes, tu connais le prix (et tout ce que ça engendre et qu’il te reste encore tes impôts à payer) alors dans un premier temps tu le caches. Sinon tu n’apprécies plus ton objet.
« l’objet concentre à travers lui et grâce à lui toutes les émotions qu’on ne peut pas trouver ailleurs »
Tous ces objets, ont-ils un pouvoir particulier sur vous ?
Quel lien y a-t-il entre vos collections et vous ?
Un pouvoir émotionnel c’est certain. Je dirais que l’objet concentre à travers lui et grâce à lui toutes les émotions qu’on ne peut pas trouver ailleurs, par la drogue, le sexe, l’alcool, la possession de choses inutiles. Il est le réceptacle de tout ce que la vie ne t’apporte pas. Il est la victime séculaire de ta souffrance. Ce n’est pas une souffrance physique, mais une souffrance mentale. Et puis, il faut quand même ajouter que c’est aussi un moyen d’exister. Parce que la collection a plusieurs effets : elle nous transporte. Quand je regarde mes objets, je voyage. Comme dans un livre, un objet me fait traverser des monts et merveilles. ça me permet de rêver et moi, ma vie n’est qu’un rêve, ce qui m’est reproché d’ailleurs. Mais je ne reste pas que dans le rêve, je réalise ! Notamment avec mon projet de musée. Il faut que ce rêve soit partagé sinon ça ne sert à rien, c’est égoïste. La collection peut avoir un pouvoir social aussi : quand on voit tout ces objets, on se dit que la personne est riche. Certains collectionneurs ne montrent pas les objets mais seulement la valeur de ceuxci. Ils s’imposent par leur pognon et ça c’est pas bon. Il faut s’imposer par l’idée de l’art, du rêve, sinon c’est un avoir stupide, voire détestable.
Pour moi, je dirais que le lien que l’on tisse avec sa collection est intime au départ et qu’elle reste ouverte à qui veut la découvrir. Elle est le partage. Le partage absolu qui mène au musée.
vont se concrétiser en collection. Et il faut dire aussi que mes grandsparents étaient paysans, j’ai connu les fermes. Je pense que j’ai vu des images enfant et que l’intérêt pour les objets populaires est arrivé plus tard, par le déclic.
Le fait de collectionner, peut-il y avoir un lien avec votre enfance ?
Est-ce que vous aimez montrer vos collections ?
Je me suis posé plusieurs fois la question. Je me souviens pendant la guerre j’avais une petite mallette de soldats que j’adorais. On a fui sur les routes parce que les Allemands ont débarqué et j’ai oublié cette mallette qui n’était pas une collection mais pouvait y ressembler. J’ai toujours été un peu malheureux d’avoir perdu cette petite collection. Je crois que le fait de collectionner est apparu après, lorsque les américains sont arrivés devant chez moi, devant l’allée du parc à Dijon. Leurs camions étaient rangés là par centaines et j’étais fasciné par cette série, la propreté, la quantité, à l’infini. L’alignement et la profusion, totale c’est ça la collection. C’était là comme un musée. Je me disais « je les veux tous ». Je n’étais pas passionné par la mécanique, mais par la beauté plastique de l’objet, le rapport de formes et de couleurs. Cela ouvre à des chantiers de curiosités, qui plus tard, par un déclic, une rencontre,
Je prépare un projet de musée, donc oui et je fais des télévisions pour parler de mes collections, je les ai déjà exposées aussi. C’est la contemplation mais c’est aussi le savoir. Qu’est-ce que les gens en pensent ? Tout dépend de la personne, je dirais qu’il y a trois types de personnes. Tout d’abord, le collectionneur, qui critique. Il aura toujours quelque chose à redire. Puis il y a ceux qui n’ont pas cette culture de l’objet et regardent sans voir. Enfin il y a le connaisseur, qui voit au-delà de ce qui est présenté.
i n t e rv i e w
La place de la collection dans votre vie, c’est combien d’heure par jour ? C’est tous les jours, tout le temps. J’ai compté vingt mille objets. Avant j’achetais beaucoup [dit-il en m’énumérant les dates d’achat de ses objets, religieusement inscrites et répertoriées dans un cahier]. Maintenant, je n’achète plus. J’ai un ami qui le fait pour moi [rires]. Parce que l’objet en fin de compte est rédhibitoire à la collection, parce qu’il t’encombre, parce qu’il te prend ton temps. Il faut trouver son histoire ou le restaurer et alors le temps que ça prend,c’est horrible ! Est-ce qu’une collection a une fin ? Elle a une fin quand on ne trouve plus d’objet suffisamment intéressant pour être collectionné, quand ça devient moins bien. Pourquoi continuer à collectionner ? En tout cas ce n’est pas pour moi mais pour les jeunes, pour la passation du savoir. Je me dis que ça va servir un jour et pourquoi pas avec mon projet de musée « Objet de culture/culture de l’objet ». J’essaie de transmettre un patrimoine, des histoires et des rêves..
l e co l l e c t i o n n e u r
aujourd’hui tous collectionneurs ! À l’heure des réseaux sociaux il est un fait que nous collectons et diffusons des centaines de données, sans même nous en rendre réellement compte, nous sommes tous des collectionneurs.
Qu’on le veuille ou non, que ce soit un choix conscient ou pas, nous sommes tous collectionneurs. D’ailleurs ce n’est pas les sites qui manquent : tumblr, flickr, instagram, pinterest ou encore vine. Ils nous poussent à créer du contenu ou à collectionner sans cesse, et c’est bien ce que l’on fait lorsque l’on «pin» ou poste sur instagram. Nous produisons de nouveaux types de collections virtuelles, dématérialisées et surtout connectées. Cette dernière notion est très importante, elle est même ce qui caractérise ces médias sociaux. La multiplication des écrans : d’ordinateur, de tablette ou encore de téléphone, nous permet de toujours garder un lien avec ces collections et de pouvoir les enrichir à tout moment. En témoigne le phénomène des « selfies » véritable collection de portraits des temps modernes.
« Aujourd’hui l’esthétique popularisée par le site est présente partout, que ce soit à la télévision ou dans l’art contemporain »
La tendance « Things organized neatly »
Austin Radcliffe crée ce blog alors qu’il est encore étudiant en école d’art et de design à Indianapolis. Sur ce site il répertorie des photos qui représentent toujours une collection organisée soit d’objets, de nourritures, d’outils ou encore de vêtements. Au départ il poste son propre travail puis bien vite il va chercher de la matière sur Tumblr ou Instagram. Aujourd’hui on lui envoie directement des images. Il décrit sa démarche comme un travail de « curation et de collection d’images qui alimente une tendance». Lorsqu’il a lancé ce blog en 2010, la tendance de la « photographie organisée » commence tout juste à se faire sentir. Ce mouvement est principalement initié par les designers graphique qui élaborent des compositions très structurées. Austin Radcliffe trouve intéressant leur rapport au design graphique numérique transposé à des objets physiques qui sont mis en scène pour être photographiés. Aujourd’hui l’esthétique popularisée par le site est présente partout, que ce soit à la télévision ou dans l’art contemporain. Un livre va être édité à partir du blog courant de l’année 2016 aux éditions Rizzoli.
co n s tat
Le phénomène Pinterest
Que ce soit des timbres, des cartes postales ou encore des voitures miniatures, de tout temps les gens ont collectionné. Le site Pinterest répond à ce besoin, mais va encore plus loin, puisqu’il permet de non seulement collectionner , mais aussi de partager avec le reste du monde les choses qu’on apprécie et que l’on désire. C’est aussi une façon d’exprimer qui on est à travers des images. Lors de son lancement en 2010 le site rassemblait déjà 13 millions d’utilisateurs aujourd’hui dans le monde elle regroupe 60 millions d’abonnés.
Tumblr
Tumblr est une plate-forme de microblogage créée en 2007 et permettant à l’utilisateur de poster du texte, des images, des vidéos, des liens et des sons sur son tumblelog. Elle s’appuie principalement sur le reblogage. Son slogan est « Postez n’importe quoi (de n’importe où), personnalisez tout, et trouvez et suivez ce que vous aimez. Créez votre propre blog Tumblr aujourd’hui ».
to u s co l l e c t i o n n e u r s
Instagram est une application mobile qui offre la possibilité de poster des photos au format carré ainsi que des vidéos. Il est possible de liker et de poster des commentaires sur les clichés déposés par les autres utilisateurs d’instagram.
Vine
L’application Vine permet aux utilisateurs de créer un court vidéo-clip de format carré de 6 secondes maximum qui tournent en boucle et peuvent être partagées avec leurs abonnés. L’application peut être appliquée à des domaines comme le journalisme, le sport et bien sûr les loisirs. Autour de ces nouvelles plateformes de communications de véritables communautés se sont créées avec leurs codes, et vocabulaire spécifique. Dans un monde qui se veut de plus en plus individualiste aux dires de certains, ces nouvelles manières de communiquer montrent tout de même une volonté de partager sa vie avec le reste du monde.
Du cabinet de curiosités au musée Fondamentalement, rien ne différencie le cabinet du musée. Un ensemble d’objets, disposés sur des étagères, ou accrochés aux murs sont offerts à la vue d’un spectateur, en présence généralement d’un guide ou encore d’un collectionneur qui leur donne leur sens. Le pas est franchi lorsque le lieu est ouvert à un large public. Lors de la seconde moitié du XXe siècle, le musée a considérablement évolué. Les collections présentées se sont allégées pour une meilleure appréhension des contenus scientifiques, la mise en scène s’est modernisée et la prise en compte des changements de la société a contraint, au meilleur sens du terme, les responsables de musées à faciliter l’accès à ces collections. Les médias électroniques puis informatiques ont un temps fait courir le risque de voir disparaître la présence humaine. Par bonheur, la médiation culturelle est revenue en force aujourd’hui, renouant avec cette tradition millénaire de la transmission par « le geste et la parole ». Toutefois, dans la société du XXIe siècle où assistants personnels et autres téléphones intelligents sont devenus le lot commun d’une grande partie des humains, le risque existe de ne voir le monde qu’à travers les quatre bords d’un écran. Certes celui-ci nous ouvre un univers d’informations extraordinaire et instantané, mais il est aussi ce qui masque l’objet, l’écran ne nous montrant qu’un monde en deux dimensions. Le musée, à l’image du cabinet de curiosités jadis, nous invite au contraire à une immersion totale dans un véritable monde en miniature. Il nous permet de voir la face secrète des objets, de découvrir des angles cachés, de regarder des animaux naturalisés comme jamais un zoo ou un téléviseur ne pourra nous les offrir. texte : Bruno Jacomy photographie : Florie Bauduin
Le musée des Confluences Inauguré le 19 décembre 2014 à Lyon, le musée des Confluences est un musée à part entière dans le paysage des musées européens. Il a pour ambition de raconter l’aventure humaine des origines à nos jours. texte & photographie : Florie Bauduin
Situé au confluent du Rhône et de la Saône, le bâtiment à la fois minéral et aérien est un espace de rencontres et de créations qui s’anime et se renouvelle au rythme de propositions culturelles originales. Dédié au rapport que l’Homme entretient avec son environnement au sens large, le musée des Confluences ambitionne de raconter l’aventure humaine des origines à nos jours. Lieu consacré à la connaissance et au merveilleux, luimême issu d’un cabinet de curiosités, il s’attache à déjouer les codes et renverser les habitudes. Pour beaucoup, le musée des Confluences peut sembler une création récente et sans passé. Le projet scientifique et culturel du musée se fonde pourtant sur une collection d’environ 2,2 millions d’objets, enrichie depuis plusieurs siècles par des dons, collectes, fouilles ou dépôts qui ont fait du musée un véritable cabinet de curiosités du XXIe siècle. Paléontologie, minéralogie, malacologie, entomologie, ethnologie, égyptologie, préhistoire ou encore sciences et techniques en constituent les richesses, qui se distinguent par leur ampleur, leur diversité et leur rareté. Les collections du musée se répartissent en trois grands domaines : sciences naturelles, sciences humaines et sciences et techniques. Elles dialoguent au sein des salles d’exposition dans une présentation renouvelée par des scénographies originales.
La renaissance d’un musée est en soi un évènement rare. La création du musée des Confluences nous offre l’opportunité de rappeler deux choses. D’abord qu’un musée est autant un lieu de délectation, d’émerveillement, qu’un temple du savoir : l’histoire que nous racontons « Dans la chambre des merveilles » est celle qui, au fil de trois siècles et demi d’aventure pleine de rebondissements, nous mène des cabinets de curiosités lyonnais à l’extraordinaire fonds du musée d’aujourd’hui. Dans cette architecture qui marquera le XXIe siècle qui s’ouvre. Le musée des Confluences, c’est une collection faite de curiosités infinies, issue d’érudits ou d’amateurs passionnés, enrichie de compléments rationnels ou d’engouements d’une époque. Une collection qui à la démesure d’une utopie vise à rassembler des savoirs, des gestes et des croyances.
« une collection d’environ 2,2 millions d’objets, enrichie depuis plusieurs siècles par des dons,
collectes, fouilles ou dépôts qui ont fait du musée
un véritable cabinet de curiosités du XXIe siècle. »
visite
l e m u s ĂŠ e d e s co n f l u e n c e s
expo
l e m u s é e d e s co n f l u e n c e s
Dans
la chambre des merveilles Le musée des confluences propose une exposition temporaire jusqu’au 26 juillet 2015 sur l’univers des cabinets de curiosités et retrace l’origine de ce musée, lui-même issu d’un cabinet. texte : Adalgisa Lugli
visuels : Florie Bauduin
Cette exposition temporaire propose un moment privilégié où le public peut s’immerger dans les racines historiques du musée des Confluences, afin de s’émerveiller comme ses ancêtres du XVIIe siècle devant les richesses de la nature. Comme pourrait le dire un enfant, une chambre des merveilles ce serait : des coquillages, une raie-guitare, un bézoard, des haches de pierre, un paresseux, des dominos, un crabe-pierre, des lances, un kayak, des dents de narval, des lépidoptères, une limule, des tortues, un grondin volant, un crocodile... Sortie des réserves du musée des Confluences, cette liste vertigineuse d’objets étranges, cette « infinité de choses rares, et recherchées » comme le dit M. de Monconys, retrouve le regard du public. Nous avons souhaité faire rentrer ce dernier dans les coulisses de l’histoire du musée, ouvrir nos tiroirs, ôter les couvercles de nos boîtes de rangement pour y laisser voir nos merveilles.
L’histoire de la Merveille
L’histoire de la merveille implique de regarder autour de nous, d’observer le monde présent. Son apogée fut atteinte au moment de la découverte de l’Amérique. Dès lors, on vit arriver en Europe une telle quantité de nouveaux animaux, de nouvelles plantes et de nouveaux objets en tous genres qu’il fut nécessaire de penser pour la première fois à un vaste catalogue du monde animal, végétal et minéral, en même temps que d’esquisser l’étude et la classification de matériaux provenant de peuples différents et appartenant à des cultures très éloignées de la nôtre. Ce fut aussi l’époque de la grande peur. On découvrit des êtres monstrueux, des hommes et des animaux n’ayant jamais fait l’objet que d’une multitude de fables qui existaient réellement, comme par exemple les cannibales. Revenus en Europe, certains voyageurs racontèrent qu’ils avaient failli être dévorés.
expo
Le merveilleux aujourd’hui
Nous vivons une des époques historiques les plus pauvres en merveilles, en ce sens que notre capacité à nous étonner et à opérer des transformations à partir des données de la réalité objective est de moins en moins vive. Et ce, pour des motifs assez faciles à identifier. Les pays lointains, les cultures les plus différentes de la nôtre se font de plus en plus proches de nous. Notre conception et notre utilisation de l’information et des mass media nous portent avant tout à aligner, à accumuler des quantités de connaissances. D’un côté, elles nous donnent l’impression de tout savoir, d’avoir déjà tout vu et de pouvoir tout expliquer ; de l’autre, elles suscitent chez nous l’angoisse de ne pas en savoir suffisamment, de rester à la traîne, de manquer des informations essentielles. La science veut, elle aussi, nous donner une impression globale de déjà-vu. En réalité, l’apport le plus important semble provenir des sciences naturelles. Ici encore, un regard superficiel pourrait laisser penser qu’il n’y a plus rien à découvrir. La Terre ayant déjà été explorée en long et
l e m u s é e d e s co n f l u e n c e s
en large depuis le XVIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le catalogue de ses plantes, de ses animaux et de ses pierres semble à peu près achevé. Et si jamais se présentait aujourd’hui la douloureuse nécessité d’en constituer un nouveau, il s’agirait du catalogue des espèces en voie de disparition à cause de l’exploitation insensée de l’environnement. Dans la communauté scientifique, certains insistent déjà sur le fait que, d’ici peu de temps, les musées d’histoire naturelle, en général si maltraités et mal considérés, abriteront des témoins rarissimes d’espèces animales disparues. Plusieurs biologistes, ont déjà envisagé qu’à partir de quelques cellules de ces animaux embaumés on pourrait les cloner afin de ressusciter de nouveaux individus. Une telle opération aurait bien entendu quelque chose de merveilleux, et il va presque de soi, en l’occurrence, de dire que la science produit elle aussi des merveilles et qu’elle en a toujours produit, même si, depuis le début du XVIIe siècle, son attitude envers cette notion de merveille a beaucoup évolué.
Le musée
source d’inspiration dans
l’art contemporain James Putnam est commissaire d’exposition et l’auteur du livre « le musée à l’œuvre. Le musée comme médium dans l’art contemporain » il nous donne les clefs des sources d’inspirations des artistes de notre temps. texte : James Putnam
L’effet musée
Les artistes sont inspirés par les musées, et pas seulement à cause de la muséographie, mais aussi d’un point de vue conceptuel. Les musées tirent, sans doute, leur origine du cabinet de curiosités. Il y a cependant un débat entre les muséologues pour décider si les musées sont vraiment nés d’une évolution du cabinet de curiosités ou si le cabinet de curiosités n’est pas plutôt le résultat de l’héritage du siècle des Lumières et d’une approche scientifique de la monstration des œuvres d’art. On peut penser que la dimension créative, qui apparaît dans le cabinet de curiosités par la présentation plus esthétique que logique et par l’assemblage de divers objets de thèmes et d’origines différents, a certainement inspiré le musée. Les musées du passé ont souvent été le fruit de la vision d’un artiste ou un architecte. Aujourd’hui, peu de musées ont conservé leur scénographie d’origine.
Robert Filliou L’exposition gelée, 1972 Cette rétrospective miniature dans un chapeau melon en carton est un prolongement de la Galerie Légitime crée par l’artiste dix ans plus tôt : s’en prenant au caractère statique du musée traditionnel, il déambulait dans Paris en transportant dans sa casquette une exposition de ses œuvres qu’il montrait aux passants.
« Les artistes sont inspirés par les musées, et pas seulement à cause de la muséographie, mais aussi d’un point de vue conceptuel. »
Les artistes influencés par le musée Plusieurs artistes ont été très influencés par cette scénographie ancienne et beaucoup d’entre eux ont photographié ces présentations très proches du cabinet de curiosités. L’artiste japonais Hiroshi Sugimoto a pris des photos au musée de Madame Tussaud et a travaillé sur la réalité et l’irréalité des figures de cire. Thomas Struth a photographié des peintures emblématiques et s’est attaché à fixer l’énergie étrange qui se crée entre une œuvre et ses spectateurs. Apparaît alors un curieux phénomène de mise en abîme, d’image dans l’image, surtout pour des œuvres de très grande échelle. L’un des premiers artistes à avoir été sensible à la poésie de ces mises en scène fut Joseph Cornell, collectionneur de vieux films muets, d’affiches et d’objets en lien avec le cinéma. On voit également émerger, chez certains artistes contemporains, la tendance à exposer leurs propres collections ou une collection d’objets trouvés en reconstituant une sorte de vitrine. On voit beaucoup d’expositions
d’objets en vitrine, ce qui instaure de la distance entre le visiteur et l’objet, conférant une qualité précieuse à l’objet qui se rapproche du reliquaire et de son aspect spirituel. On peut faire le lien avec l’artiste contemporain allemand Timm Ulrich qui lors d’une performance s’est montré lui-même dans une vitrine, constituant la première œuvre d’art vivante. Tout au long de sa vie, il a réalisé plusieurs versions de cette œuvre. Quant à l’artiste britannique Cornelia Parker, elle a réalisé en 1995 une performance à la Serpentine Gallery. On voyait l’actrice britannique Tilda Swinton endormie dans une vitrine autour de laquelle avaient été placés des objets légendaires tels que les bas de soie de la reine Victoria ou le cendrier de Hitler retrouvé dans son bunker ou le fameux cigare de Churchill.
Ci-dessus photographie Museum de Thomas Struth Ci-contre photographie de Lady Di au musée de Madame Tussaud de Hiroshi Sugimoto Installation The Maybe 1995-2013 de Cornelia Parker à la Serpentine Gallery
Christian Boltanski, Vitrine de référence, 1971
Artiste et curateur Peter Blake, a museum for my self
« ce n’est pas le musée qui va contenir ses œuvres, mais ses œuvres qui vont contenir le musée »
Beaucoup de musées invitent non seulement des artistes, mais aussi des cinéastes ou des écrivains à être commissaires d’expositions, de manière à proposer au public une vision des œuvres différente de celle d’un commissaire traditionnel. Ainsi, le cinéaste Peter Greenaway a réalisé une installation au musée de Rotterdam pour une exposition sur le corps humain. Il y a présenté un modèle vivant nu dans une vitrine. Tout en travaillant sur le thème du voyeurisme, il est aussi évident que la vitrine devient un dispositif sculptural et une protection pour le modèle exposé. De nombreux artistes sont inspirés par la poésie de la scénographie, comme Christian Boltanski et sa « Vitrine de référence » (1971) qui contient des objets qu’il possédait et des objets fictifs. Son inspiration vient des musées ethnographiques. Dans le même esprit, l’artiste pop britannique, Peter Blake, a montré sa collection personnelle qu’il a
étude
intitulée « Un Musée de moi-même ». Dans son célèbre « musée portatif », Marcel Duchamp présente ses propres œuvres, il est donc le commissaire de son propre musée. Harald Szeemann commissaire de la Documenta V de Kassel en 1972, a été l’un des premiers à identifier cette tendance des artistes à être inspirés par le musée. Un des premiers exemples d’un artiste contemporain invité à être le commissaire de sa propre exposition est Andy Warhol, en 1964, à Rhode Island. L’idée de son installation était de substituer à tous les objets précieux habituellement présentés dans un musée des objets très communs et très triviaux qu’il avait
retrouvés dans les réserves d’un musée. Il est très clair que beaucoup d’artistes contemporains sont intéressés par des objets qui paraissent insignifiants aux conservateurs. Le musée est une forme artistique à part entière. Avoir un grand architecte international pour concevoir un musée, comme à Bilbao, permet au bâtiment de devenir une sculpture, une œuvre d’art. Le contenant est finalement plus important que le contenu. Daniel Buren, au sujet d’un musée suisse, a déclaré que ce n’est pas le musée qui va contenir ses œuvres, mais ses œuvres qui vont contenir le musée. James putnam
l e m u s é e co m m e i n s p i r at i o n
Photo principale, Marcel Duchamp, La boîte-en-valise, 1936 - 1941 Ci-contre, Peter Greenaway, The Physical Self
focus
l a c u r at i o n
La curation,
de quoi s’agit-il ?
La curation est une pratique qui consiste à sélectionner, éditer et partager les contenus les plus pertinents concernant une requête ou un sujet donné. texte : Florie Bauduin
L’une des fonctions du cabinet de curiosités comme on l’a déjà vu était d’explorer le monde et d’en percer les mystères. Il a également joué un rôle important à son époque dans la circulation du savoir et des idées. La curation étant l’acte de sélectionner, éditer et partager des contenus en y apportant sa patte pour contribuer à communiquer des valeurs, une vision ou un état d’esprit. On peut dire que d’une certaine manière le cabinet jouait également un rôle de curation. De nos jours grâce à internet nous ne devons plus voyager pour connaître ce qui se passe à l’autre bout de la planète. Il suffit de quelques clics et l’on obtient les informations nécessaires sur le sujet de notre choix. Mais cela engendre aussi une explosion des contenus et comment savoir démêler le vrai du faux ? Dans cet environnement un peu surchargé, il est nécessaire que des personnes de confiance, que l’on respecte et à qui l’on accorde une crédibilité et une légitimité sur un sujet, soient des « curateurs » et que l’on se fie à eux pour faire une sélection. Un peu comme chez un caviste, à qui l’on délègue la tâche de ne nous proposer une sélection de l’immense variété et
illustration : inconnu
quantité de productions de vins. Les outils de curation se sont multipliés sur le net : scoop it, paper.li, bundlr, pinterest et tant d’autres. Ce terme a été adopté par le web, il désigne également la curation « muséale » celle effectuée par le commissaire d’exposition.
Curateur/créateur
La reconnaissance par les conservateurs de musée de la sensibilité des artistes en matière de perception et de présentation est à l’origine d’un phénomène relativement nouveau qui voit de plus en plus de musées inviter des artistes à choisir et à agencer des objets issus de leurs collections, c’est-à-dire à jouer un rôle de commissaire d’exposition, de curateur. Ces artistes-curateurs peuvent être invités à organiser une exposition spécifique dans un musée donné ou bien à choisir des objets dans diverses collections pour les présenter dans un lieu consacré à l’art contemporain. Ils tendent bien évidemment à opérer des choix selon leurs propres centres d’intérêt, créant ainsi une rupture avec les systèmes de classification traditionnels. En outre, la fascination très répandue chez les artistes pour la question
du moi participe à déconstruire le caractère impersonnel des présentations muséales. Puisant généralement dans les réserves, ils y choisissent des objets d’une importance souvent secondaire aux yeux du conservateur, et produisent des regroupements et des juxtapositions affranchis de toute convention historique ou taxinomique. Le processus de sélection, d’agencement et d’étiquetage devient alors essentiellement une construction et un concept personnels d’un artiste ayant choisi la collection d’un musée comme matériau, comme médium. Ce phénomène de l’artistecurateur tend à estomper les frontières entre la scénographie et l’installation. Ces invitations s’adressent à des artistes très différents, choisis en fonction de la nature de l’institution, les grands musées publics tendant quant à eux à privilégier des célébrités reconnues. Le nombre croissant de musées conviant des artistes à pénétrer dans le saint des saints, jusqu’à présent, exclusivement réservé aux conservateurs s’explique par un mouvement plus général de réévaluation et de réforme muséologique et par la nécessité d’attirer de nouveaux publics. Florie Bauduin
regard
Artiste contemporain
&
a r t i s t e & co l l e c t i o n n e u r
Collectionneur
Damien Hirst est une figure emblématique du monde de l’art contemporain. Certains l’admirent et le considèrent comme un maître influent de l’art actuel, d’autres le traitent avec mépris et lui refusent le titre d’artiste. Son travail repose sur la création d’installations qui confrontent le spectateur aux rapports existant entre l’art, la vie, la mort. Le thème de la mort, un des plus importants dans l’ensemble de son œuvre, lui vient de son job d’étudiant dans une morgue. Il chercher à susciter l’émotion du public et joue sur leur peur de la mort afin de les faire réagir. La série est également un thème récurrent dans son travail. Que ce soit avec Lullaby Spring une armoire à pharmacie contenant 6136 pilules créées et peintes individuellement par l’artiste ou en écrasant des mégots de cigarette à chaque fois d’une manière différente, l’esprit de la collection est bien présent. Son œuvre est marquée par les musées anatomiques, leurs scénographies et par la question de préservation. C’est ainsi qu’il se sert de la vitrine comme dispositif sculptural et de protection pour sa série constituée de cadavres d’animaux allant de la vache au cochon en passant par
le requin, le tigre, etc. Il les place dans des aquariums remplis de formol. Les animaux sont souvent coupés en deux, de façon à montrer les organes. Ses sculptures sont amenées à disparaître. En effet la putréfaction n’est que ralentie, pas stoppée, il fait ça pour que « l’art soit plus réel que ne l’est une peinture » A un moment de sa vie, Damien Hirst s’est mis à collectionner les œuvres d’artistes contemporains. Il admet qu’il voulait « entrer dans la peau » des collectionneurs, qui achètent ses travaux, et comprendre ce qu’ils ressentent. Au fil du temps, sa collection est devenue très importante, et l’idée est née de la montrer au public dans le monde entier. Il s’agit d’une nouvelle méthode pour essayer de comprendre le monde de l’artiste-collectionneur, car Damien Hirst apprécie les artistes qui démembrent leurs troubles et leurs passions. Florie Bauduin
regard
Artiste contemporaine
a r t i s t e & co l l e c t i o n n e u r
& Collectionneuse
Annette Messager est une artiste française marquée par le surréalisme et le féminisme des années 70 pour qui « Faire de l’art, c’est truquer le réel ». Elle s’approprie des objets familiers pour construire ses autofictions. Dans le contexte du début des années 1970, l’œuvre d’Annette Messager développe un univers singulier, féminin et intime. Proche du courant des « mythologies individuelles » qui se développe alors, elle s’en démarque pourtant par le jeu entre vérité et mensonge qui sous-tend son travail, comme par le caractère fantasmatique de son imaginaire. Faussement autobiographique, son œuvre intègre néanmoins l’expérience vécue de l’artiste, déplaçant le territoire de l’art dans l’enceinte de la vie domestique et des pratiques du quotidien. Messager s’invente des hétéronymes, caractérisés par des pratiques artistiques spécifiques liées à autant de traits psychologiques féminins. Elle dissocie ainsi Annette Messager l’artiste, de la collectionneuse, puis la femme pratique, la truqueuse et enfin la colporteuse. Elle a réalisé près d’une soixantaine d’albumscollections entre 1972 et 1974. Puisant son inspiration dans les
mots, les écritures et les images, l’artiste compose ses albums à partir d’une accumulation de textes, de photographies, de notes et d’articles divers, minutieusement collectionnés et triés. Tantôt encollés avec soin dans des cahiers, tantôt rassemblés en vrac dans des fardes, les albums-collections d’Annette Messager sont tous dotés d’un titre manuscrit de la main de l’artiste. Les albums-collections s’organisent selon des thèmes divers, tels que la vie sentimentale, les rencontres ou la vie domestique et s’apparentent, selon les cas, plutôt au registre du journal intime, de l’album de photographies ou du livre de recettes. Les hommes que j’aime, Ma collection de proverbes, Ma vie illustrée ou Mon livre de cuisine en sont quelques exemples. Annette Messager assemble des éléments banals et quotidiens pour créer une œuvre subtilement poétique et féministe. Florie Bauduin
regard
Artiste contemporaine
a r t i s t e & co l l e c t i o n n e u r
& Collectionneuse
Sophie Calle utilise sa vie comme matière première pour son œuvre. Elle réunit, assemble, les moments les plus intimes de sa vie dans l’optique de transmettre son histoire. Une histoire qui nous renvoie inévitablement à la notre.
Après avoir voyagé durant sept ans à travers le monde, Sophie Calle revient à Paris, perdue, sans désir professionnel, sans amis. Elle décide de suivre des gens dans la rue : une manière de retrouver Paris à travers les trajets des autres. Elle nomme ce projet « les filatures parisiennes ». Par ses textes, l’artiste se raconte mais les objets sont aussi supports à ses récits. Ces objets figent tous un souvenir précis. Ses actions, installations, notes, photographies et objets constituent des traces, des indices cherchant à dévoiler l’artiste, son vécu, sa personnalité. L’art a pour elle une fonction thérapeutique. Sophie Calle a toujours eu une œuvre à part, intrinsèquement liée à sa personne, à sa vie, la laissant construire son identité, mais accordant toujours une place au hasard, aux rencontres avec un lieu, des personnes, des
objets ou même des livres. On remarque aussi dans son travail que la notion de rituel est récurrente . Elle s’inflige des lignes de conduite à suivre comme dans l’œuvre «De l’obéissance» ou encore dans le « rituel d’anniversaire » qu’elle décrit ainsi : « Le jour de mon anniversaire, je crains d’être oubliée. Dans le but de me délivrer de cette inquiétude, j’ai pris en 1980 la décision d’inviter tous les ans, un nombre de convives équivalent à mon nombre d’années. Je n’ai pas utilisé les cadeaux. Je les ai conservés afin de garder à portée de main les preuves d’affection qu’ils constituaient. En 1993, à l’âge de 40 ans, j’ai mis fin à ce rituel. » Chaque objet est précieusement conservé dans des vitrines qu’elle nomme « cabinet d’anniversaire » Florie Bauduin
Le château d’Oiron
un écrin de curiosités
Un lieu particulier, entre histoire et art contemporain, longtemps ignoré des ouvrages historiques, allant à l’abandon, le château d’Oiron conservait pourtant de nombreux souvenirs de son brillant passé. Sauvé, restauré, mais vide il fallait pour lui rendre vie, renouer avec son passé. texte : Marie-Laure Deval et Jean-Louis Lacroix
Renaissance
Dans le département des Deux-Sèvres, entre Thouars et Loudun, à l’écart des châteaux de la Loire se trouve la commune d’Oiron. Certains y vont pour visiter un château, d’autres pour voir une exposition d’art moderne, mais tous découvrent autre chose. Classé monument historique, le château d’Oiron est acheté par l’état en 1943. De longs travaux de restaurations sont nécessaires, ils ne sont terminés qu’en 1993. La construction est sauvegardée, mais elle est vide. Comment lui rendre vie ? Pour le réhabiliter, il fallait éviter une reconstitution trop pompeuse. Pour les responsables du projet, le seul équivalent possible était de créer une collection d’art contemporain de grande qualité. En 1991, Jean-Hubert Martin nommé directeur artistique du château d’Oiron, est chargé de constituer la collection. Il estime que des œuvres d’art actuelles ne peuvent pas y être exposées comme elles le sont habituellement dans d’autres musées. Le bâtiment est, en effet, trop pénétré de la personnalité de ses anciens propriétaires amateurs d’arts. Au-delà du contexte même du château
photos : Jan Berckmans
Jean-Hubert Martin trouve une correspondance au XVIe siècle marqué par une volonté d’exploration du monde empreinte de beaucoup de magie et de poésie, et les démarches des artistes de cette fin de siècle qui n’hésitent pas à questionner le merveilleux des sciences. Aussi propose-t-il deux fils directeurs pour établir la collection. Les œuvres sélectionnées ou commandées devront s’inscrire dans l’histoire et la géographie du lieu. Aujourd’hui ce château abrite une collection d’art contemporain, les œuvres choisies ou conçues en fonction du lieu, créent une harmonie si heureuse que le résultat a comme une fragrance de magie.
Le lieu et les artistes
Pour mieux accorder les travaux des artistes avec l’histoire et l’architecture du château, de nouveaux noms ont été attribués aux salles en accord avec leur contenu. Les artistes invités ont exploité, chacun à leur manière, les espaces qui leur étaient offerts. Pour certains, le contexte compte énormément et c’est toujours en fonction de lui qu’ils conçoivent ou adaptent leurs créations. Pour d’autres artistes, ce souci est moindre et leur travail aurait pu être présenté ailleurs
qu’au château d’Oiron, mais il prend ici un sens particulier. Christian Boltanski a investi le vestibule. Des photos des écoliers d’Oiron, qu’il a prises durant quatre ans, sont juxtaposées, sans chronologie ni hiérarchie. Il a déjà réalisé ce genre d’œuvre ailleurs, dans d’autres contextes, mais, dans cette ancienne demeure seigneuriale, elle résonne autrement. D’une part, elle renoue avec la tradition de la galerie de portraits des nobles ancêtres. D’autre part, en représentant les enfants du village, elle permet à ses habitants de s’approprier le château. La royauté a fait place à la république, mais le lien n’est pas rompu.
« Aujourd’hui ce château abrite
une collection d’art contemporain, les œuvres choisies ou conçues
en fonction du lieu, créent une
harmonie si heureuse que le résultat a comme une fragrance de magie. »
visite
l e c h â t e au d ’ o i r o n
visite
Curios et Mirabilia
Le second fil conducteur proposé pour l’exposition reprend la tradition du cabinet de curiosités. L’idée de rapprocher l’art contemporain et les sciences, leurs interrogations et démarches, mais aussi les objets que tous deux utilisent ou produisent est assurément séduisante. Ces deux expressions de la pensée fascinent et questionnent également amateurs et néophytes. Ce choix, s’il permet une nouvelle approche des arts, pose cependant un certain nombre de questions, auxquelles la direction du château a dû répondre avant de choisir les œuvres et les artistes représentés. Pourquoi un cabinet de curiosités ? Quels sont la nature et le classement des œuvres qui le constituent ? Quel sens propose-t-il ?
La collection
Le premier point sur lequel nous nous sommes interrogés est la nature de la collection. Nombre des artistes invités s’y sont intéressés. Daniel Spoerri l’aborde par le biais du musée sentimental avec la collection de Mama W. Madame de Wendelstadt, à la fin du XIXe siècle, amassa un ensemble d’objets apparemment hétéroclites, comme un morceau du cercueil de Juliette à Vérone, une balle de la bataille de Waterloo, etc. Elle réunit sans échelle de valeur, ni historique, ni esthétique, dans ce qui n’était autre qu’un grand cabinet de curiosités. Ces objets étaient en fait des fétiches, des reliques, des impulsions pour la pensée, pour la mémoire de tel ou tel événement. Daniel Spoerri a choisi de les mettre en valeur dans de précieux cadres et son œuvre constitue une sorte de mise en abîme du principe de la collection. La collection peut aussi être une tentative de témoigner d’un monde. Dans pharmacie bretonne, Daniel Spoerri réunit 117 flacons d’eaux de sources ou de fontaines miraculeuses de Bretagne, tous étiquetés et associés à une carte géographique indiquant
l e c h â t e au d ’ o i r o n
leur provenance. Il joint le miraculeux à la collection scientifique exhaustive qui cherche à faire état, objectivement, d’un microcosme. Mais que collectionnait-on dans les cabinets de curiosités du XVIe siècle ? Ce qui était extraordinaire, exotique et support de légendes extravagantes, permettant soit de faire progresser les connaissances, soit de faire travailler l’imagination.
Le vrai, le faux et l’apparence
Le deuxième questionnement important est celui de l’apparence. Les hommes de la Renaissance aimèrent particulièrement les jeux d’illusions et la perspective fut le sujet de nombreuses recherches. Aujourd’hui, avec la multiplication des médias et des sources d’informations, avec les moyens de transformation des images et des sons se posent aussi les questions du vrai et du faux. Pour Piotr Kowalski, le cabinet de curiosités a immédiatement évoqué les anamorphoses. En partant de l’idée que l’anamorphose est une image codée, il a cherché à en créer une transposition avec les moyens de codage que la technologie du XIXe siècle lui permettait. Trois sphères de même taille. En réalité, les hologrammes ne sont que des miroirs, disposés de telle façon qu’ils renvoient des reflets identiques des trois objets métalliques... Regard trompeur, regard trompé. Et même doublement trompé, le recours a des techniques modernes n’étant là aussi qu’illusion : les jeux de miroirs sont connus depuis fort longtemps. Un cabinet de curiosité sert à émerveiller et agrandir la compréhension du monde, ce que parvient aussi à faire la collection d’art contemporain du château d’Oiron. Marie-Laure Deval et Jean-Louis Lacroix
Misfits de Thomas Gründfel,
Espèces disparues, représentations d’animaux mythologiques ou résultats de manipulations génétiques ? Les Misfits nous renvoient aux questions que nous posent les monstres.
focus
regain d’intérêt
Regain d’intérêt pour les cabinets de curiosités, pourquoi ? Les cabinets de curiosités ont toujours fasciné, notamment par leurs contenus hétéroclites et les légendes incroyables qu’ils suscitaient. Aujourd’hui, l’esthétique et la pratique du cabinet sont remis au goût du jour. texte : Florie Bauduin
L’homme a toujours été fasciné par ce qu’il ne connait pas, ce qui peut piquer sa curiosité. Aujourd’hui on pourrait se demander ce qu’il reste de ce champ de « l’inconnu » qui se réduit grâce aux avancées technologiques, à la science et à internet. Les cabinets de curiosités sont nés d’une volonté de vouloir englober le monde dans sa totalité : ses curiosités, son savoir et tout ce qui avait attrait à l’étrange. À l’heure actuelle l’intérêt pour les cabinets est surtout axé sur les créatures fantastiques.
L’étrange
Le goût pour l’étrange est révélateur d’une crise de la modernité ainsi que de notre perte de confiance en nous même et dans la société. Elle pose la question de l’individu et remet en question l’identité humaine comme un questionnement physiologique. Il y a aussi une volonté de se confronter aux monstres, de savoir qu’ils existent et qu’ils ne sont pas la norme. Ainsi ils nous rassurent sur notre « normalité » Cet intérêt renaît au début du XXe siècle comme un véritable retour en force, qui avait déjà été esquissé par les artistes du XIXe siècle.
illustration : Agata Kawa
La science et le bio-art
Dans les cabinets de curiosités les sciences ont toujours été plus ou moins représentées. De nos jours l’art contemporain utilise de plus en plus les qualités plastiques des biotechnologies dans la pratique du « bio-art ». Les bio-artistes travaillent sur l’être humain ou l’animal sous l’angle de la modification par la science des corps par un agent extérieur. De cette manière on retrouve l’exploitation de tissus vivants, de modifications génétiques ou morphologiques ainsi que des recherches entre le rapport de l’homme à la machine (androïde, cyborg). C’est l’un des questionnements majeurs des nouveaux cabinet de curiosités. Mais pas l’un des plus optimiste, il reflète les inquiétudes de notre époque par rapports aux mutations, à la radioactivité et à l’intrusion massive de la technologie dans notre quotidien. Il interroge l’avenir de l’espèce humaine.
Le retour grâce aux musées
Différents évènements ont marqué ce retour, avec notamment l’exposition en 1989 « Les magiciens de la Terre » organisée par Jean-Hubert Martin.
Elle est perçue comme un cabinet de curiosités par le grand public car elle regroupe des artistes venus du monde entier avec une diversité de productions et de médiums. L’exposition reprend l’aspect « accumulation » sans catégories permettant d’exposer des œuvres totalement différentes, le thème lui même servant de lien. Comme on l’a déjà cité précédemment des institutions comme le château d’Oiron ou le musée de la chasse et de la nature à Paris s’inspirent de l’esthétique des cabinets de curiosités, mettant en avant une dimension plus contemporaine à leurs collections.
Le retour de la vanité
Le retour au cabinet, c’est un retour à la collection et avant tout, au lieu où l’on s’enferme pour repenser le monde. Un lieu d’intimité où l’on réfléchit à sa propre identité, à l’image de soi, et à la mémoire.
Les cabinets de curiosités aujourd’hui Le cabinet de curiosités a longtemps appartenu à un imaginaire collectif désuet avant qu’il ne soit remis au goût du jour grâce à de récents ouvrages réhabilitant son esthétique éclectique. Nos contemporains reprennent les codes classiques du genre, tout en y adjoignant, selon les goûts, arts populaire, religieux, brut ou d’avantgarde, instrument scientifique, vanités, écorchés, objets érotiques ou d’autres confectionnés au bagne, matériel de prestidigitation, de voyance... Le bizarre le dispute à l’espiègle, voire au sublime, le bibelot exotique au chef-d’œuvre. Le principe reste immuable, de ne pas se cantonner à la monomanie, comme le ferait un collectionneur plus conformiste. L’apparente dispersion des achats sert de trait commun à ces curieux du XXIe siècle, qui chinent encore et toujours et dont le regard se porte souvent sur le fétiche, le bijou, la miniature que d’autres délaissent. Nos collectionneurs des temps présents ne cherchent plus seulement à piquer la curiosité ou l’ébahissement. Certains n’ouvrent d’ailleurs jamais leurs portes aux visiteurs, même parmi leurs proches. Le cabinet, ayant dépassé les cloisons qui l’ont contenu, s’expose à quiconque en franchit le seuil. D’où un nécessaire sésame dont les prédécesseurs des siècles passés n’usaient pas avec autant de fermeté. Aujourd’hui il s’agit de reconstituer un monde externe, lointain et fantasmé mais aussi de repenser, dans une démarche que certains rapprocheraient de la psychanalyse son intimité, ses souvenirs. Ces nouveaux cabinets de curiosités amènent le visiteur aussi bien à s’extasier devant la variété et la profusion des objets qu’à découvrir la splendeur des œuvres dévoilées.
Les nouveaux cabinets de curiosités
au bonheur du collectionneur
Le cabinet de curiosités a perdu sa vocation encyclopédique au profit d’une collection intimiste qui révèle la personnalité du collectionneur. Par ses choix, ses envies, ses objets, on peut en dresser son portrait.
C’est une approche plus personnelle, ne se voulant pas forcément extraordinaire ou curieuse comme l’étaient les cabinets d’antan. En revanche il s’agit toujours de se créer un monde a soi. Tout collectionneur trouverait ici son bonheur. Les livres anciens le disputent aux toiles de maîtres, les meubles de prix aux chandeliers les plus inattendus, un cimier ekoï du Nigeria, arborant en sus de sa gaine de peau d’antilope, des cornes baroques semblables au lustre qui le surplombe, tutoie une suite sans fin de coupes, ciboires et autres récipients. Des christs se lovent près d’un vitrail ou d’un reliquaire, un tatou et un chien empaillés défient les multiples dents de poissons-scies... Les vanités surgissent sous toutes les formes : crânes humains blanchis par le temps, ornés ou sur-modelés de Bornéo ou de Nouvelle-Guinée, squelettes et grandes faucheuses sculptées en Europe occidentale. Le collectionneur d’aujourd’hui se met véritablement à nu en choisissant des portraits d’enfants, des gravures érotiques ou des bibelots parfois anodins mais qui prennent une nouvelle dimension lorsqu’ils se mêlent à un attroupement brillant et savamment ordonné. Là réside encore une différence majeure entre les anciens et nos modernes : l’œil de ceux-ci va porter au pinacle une poterie ou une pipe à opium qui les bouleverse de façon révélatrice et que d’aucuns négligeraient dans un vide-grenier ou une vente aux enchères.
« Tout collectionneur trouverait ici son bonheur. Les livres anciens le disputent aux toiles de maîtres, les meubles de prix aux chandeliers les plus inattendus »
au j o u r d ’ h u i
les cabinets de curiositĂŠs
Les nouveaux cabinets de curiosités
Croissez et multipliez-vous Ici, tout ou presque est question de nombre. Tel un grand rassemblement, cet intérieur abrite des pèlerins venus du monde entier et porteurs de toutes croyances. En attestent leurs murs couverts de « masques à igname ». Confectionnés en vannerie, ils servent en Papouasie-NouvelleGuinée à décorer les ignames après la récolte et incarnent alors les ancêtres. La récolte incessante de notre collectionneur se révèle fructueuse puisque ses centaines de masques décorent des pans entiers de sa demeure et surveillent les autres individus convoqués. Car, parmi les invités figure un groupe de monnaies de mariage provenant de la même grande île, reconnaissables à leur coquillage surmonté d’une vannerie pigmentée. Des gravures, des toiles et du mobilier occidentaux assistent à la réunion. De même qu’un poteau funéraire de Madagascar voisine avec une statue des Célébes. Autant de continents, d’archipels et d’océans qui ont trouvé asile dans cette demeure où les surprises et découvertes jalonnent le parcours du visiteur, de la Chine ancienne ou tribale aux cimes de l’Himalaya, des îlots du Pacifique aux plaines de l’Est africain, de l’Europe chrétienne aux tambours de l’Insulinde ; et constituent des ensembles, voire des collections en tant que telles, au sein de cette vaste collecte à vocation universaliste.
Les masques articulés, dont la mâchoire
inférieure est mobile, ne sont pas propres à la Chine, on en trouve également dans le sud du Nigeria. Ils servent à représenter des villageois tandis
que leurs homologues plus « statiques »
mais non moins expressifs, incarnent une forme de noblesse.
Les nouveaux cabinets de curiosités De l’art ou du lapin
Cette collection paraît célébrer l’art contemporain avec des photographies, des tableaux, des sculptures qui marquent un intérêt certain pour les créateurs de notre temps.
Puis en y regardant de plus près, surgissent ici ou là des animaux taxidermisés, qui sont séparés de leurs congénères et semblent dialoguer avec des objets d’une autre nature. Les souvenirs touristiques kitsch déroutent encore plus le visiteur, dont l’oeil se pose sur un portrait du prince Harry comme au fond d’un miroir reflétant le Colisée. Et ce sans compter un goût facétieux pour les masques de farces et attrapes, les nains de jardin, les canards en plastique ou une dévotion presque burlesque pour une statuaire religieuse digne parfois des pires boutiques de pèlerinage. Le visiteur finit par perdre ses repères : l’art contemporain emprunte lui aussi à la cynégétique et les innombrables vases ou assiettes de céramique oscillent entre un hommage au Picasso de Vallauris et la collectionnite d’échoppe à bas prix. Au final ce sont bien là nombre d’ingrédients du cabinet de curiosités qui sont revisités, le naturalia flirtant avec le tableau de maître, la bondieuserie avec le costume de carnaval.
Une étagère résume à elle seule quelques-une des marottes
du propriétaire : une guirlande
de lampes colorées y est arrimée, un masque de farces et attrapes pendouille en attendant
que les festivités reprennent.
au j o u r d ’ h u i
les cabinets de curiositĂŠs
Le coin
des
bonnes adresses L’adorable Cabinet de Curiosité de Monsieur Honoré 30 Rue de Charonne, 75011 Paris
Niché dans la Rue de Charonne dans le 11éme arrondissement de Paris, cette boutique nous offre une ambiance de curiosités précieuse ou l’on peut acheter œuvres d’arts d’artistes d’avant-garde et bijoux de créateurs.
Territori 86 Rue de Charonne, 75011 Paris
Située dans la Rue de Charonne également cette boutique s’inspire d’un cabinet de curiosités plutôt orienté Naturialia, avec des coraux, des branches, des globes terrestres et des petites bêtes bizarres. On y trouvera des bijoux magnifiques, à un prix tout aussi joli.
utile
Les bonnes adresses
Musée de la chasse et de la nature 62, rue des Archives 75003 Paris
Situé dans un hôtel particulier de la rue des Archives, le Musée de la chasse, avec ses couloirs boisés, ses animaux empaillés, ses œuvres contemporaines placées au milieu d’objets anciens, ses cabanes, recoins et étranges appeaux, garde l’atmosphère d’une vieille demeure cossue et mystérieuse, où il fait bon errer de salle en salle, au gré d’étranges découvertes.
Deyrolle 46 rue du Bac, 75007 Paris.
C’est une véritable institution. La Maison Deyrolle a été fondée en 1831. Vous y trouverez de très nombreuses espèces animales naturalisées, des lions, des oiseaux, des poissons, des insectes, etc, tous réunis dans un espace restreint où il est à la fois fascinant et dérangeant de se promener.
Bobby Doherty, photographe en série Bobby Doherty est un photographe américain qui, à tout juste 25 ans, travaille déjà entre autres pour le New York magazine, Bloomberg Businessweek, Vice et Time Magazine. Son univers frais et coloré forme une collection de curiosités contemporaines.
Basé à Brooklyn, Bobby Doherty photographie des séries d’objets ordinaires et familiers qu’il met en scène d’une manière singulière à la fois drôle et graphique. Ses clichés ressemblent à des trames, des motifs qui détournent l’usage ou le regard sur le dit objet. Son approche de la photographie se distingue par un style hyper réaliste, aux ombres marquées sur des fonds colorés donnant des images à la frontière entre la photographie et la peinture. Il apporte un soin particulier à ses compositions en arrangeant les couleurs, les formes afin qu’elles communiquent harmonieusement entres elles. En mettant en scène ses séries d’objets il donne une vision moderne de la collection. L’ensemble de ses photographies
pourraient former à elles seules un cabinet de curiosités contemporain qui rassemble les objets de tout un chacun, de la société d’aujourd’hui qui n’a certes plus de secret pour nous, mais qui se renouvelle sans cesse. Ses images sont comme les témoins d’une époque qui nous émerveille par leurs diversités de formes et leurs mise en scène. Il réalise aussi d’autres projets avec notamment « What’s In Your Bag ? » où, entre enquête sociologique et travail photographique, il a demandé à quelques femmes de bien vouloir vider leur sac à main pour en analyser le contenu, dressant ainsi, par des objets, un portrait atypique de ces femmes.
regard
B o b by d o h e r t y
MARS 2015
MARS 2015
SERIAL KILLERS POURQUOI ILS NOUS FASCINENT COMMENT
DEVIENT-ON
SE RIAL KILLE R ?
UN MONDE
A LT E R N AT I F
RÉAPPRENDRE
INTERVIEW
DE
STÉ P HANE BOURGOIN
à manger
ÉCOLOGIE - MÉDIA - ALIMENTAIRE - PENSÉE
SPÉCIALISTE MONDIALEMENT RECONNU DES TUEURS EN SÉRIE
LA
R EP R ÉSENTATION
DU SERIAL KILLER À
L’ÉCRAN
UN TUEUR
LES VILLES DE DEMAIN
L’INTESTIN, UN DEUXIÈME CERVEAU
LE RÉGIME PALÉOLIQUE
MANGER SAIN À PARIS
Des neurones dans notre intestin PAGE 10
Manger comme un homme de la préhistoire? PAGE 32
Les bonnes adresses saines PAGE 54
FR A NÇA IS :
GUY GEORGES
APRÈS LE PÉTROLE CRÉER SON PAYS
mars 2015
4
Mars 2015
#01
MANIPULATIONS!
ENZO IS BACK / un écosystème de création
JAN.FÉV.MAR 2015
VIEILLIR EN 2015 pour ou contre ?
ENZO IS BACK un écosystème de création
La face cachée du web.
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LE DESIGN LIBRE
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DIY
OPEN SOURCE / la naissance du libre échange ENZO MARI / le précurseur du design libre CHRISTOPHE ANDRÉ / le designer libre d’aujourd’hui LES LICENCES LIBRES / Creative Commons et Copyleft
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La propagande avant l’avènement des BIG DATA.
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Julian Assange & Edward Snowden, héros martyrs du XXIe siècle.
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Les quinquas, une cible à fort potentiel
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les FabLabs
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la carte / focus sur deux fablabs parisiens
NEWS /
le design à l’heure de la collaboration
Humanitarian Design Bureau Strategic Design Scenario
MAGAZINE D’INFORMATION AUTOUR DU VOYAGE
laboratoire
Mars 2015
NUMÉRO SPÉCIAL
SCIENCES
CRÉATEURS DE MONSTRES
CULTURE
Mars 2015
Le monstre à l’écran & dans les livres SANTÉ
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LE MONSTRE
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MONSTRES DU MONDE
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l’obsolescence (de l’homme) programmée
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