« Dans la finance aussi,nous avons besoin d’uncontre-pouvoir »

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« Dans la finance aussi, nous avons besoin d’un contre-pouvoir » n Pascal Canfin, député européen du Groupe des Verts / Alliance libre européenne, à l’origine de l’ONG Finance Watch. La pression de nombreux réseaux de lobbyistes s’exerce sur les institutions européennes. Depuis que vous avez été élu au Parlement européen, avez-vous été confronté à ce phénomène, notamment dans le domaine de la finance ? Force est de constater que les fédérations bancaires et les grands acteurs du domaine sont très actifs sur chaque dossier sensible. Dès qu’une décision peut les concerner, ils s’adressent directement aux décideurs politiques et mènent des campagnes dans les médias. Nous le voyons maintenant avec la transposition en directive des accords de Bâle III pour encadrer les risques pris par les banques. « Pas de nouvelles contraintes, ou il n’y aura plus de prêts », est et sera le refrain des banques, opposées à l’imposition de règles plus exigeantes en matière de fonds propres. C’est logique qu’elles activent leurs moyens de pression et bien qu’on œuvre pour réduire le poids du lobbying à Bruxelles, il existera toujours. Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est que les pouvoirs de la finance sont les seuls à s’exprimer sur ces sujets. C’est pourquoi vous et 180 députés européens de tous bords avez lancé un appel à la société civile pour créer un « Greenpeace de la finance ». Après un an de travail, le 30 juin 2011 s’est tenue la première assemblée générale de Finance Watch, une ONG indépendante où ne siège aucun homme politique. La mission de cette structure sera de se poser en contrepouvoir pour rééquilibrer le poids du

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lobbying financier. Finance Watch sera présente sur tous les fronts. D’abord l’expertise et le lobbying auprès des décideurs pour défendre les intérêts des citoyens et démonter l’argumentaire des financiers sur des questions telles que les produits dérivés, le droits des bourses et la réglementation des transactions. Ensuite, Finance Watch veut devenir la référence pour les journalistes qui suivent ces questions. Alors qu’aujourd’hui ils n’ont que la voix des banques à relayer, demain ils pourront compter sur Finance Watch pour avoir un autre son de cloche.

Les journalistes économiques n’ont que la voix des banques à relayer... Pensez-vous sincèrement avoir assez de poids pour rééquilibrer des rapports de force tellement asymétriques ? Certes, les moyens sont disproportionnés. Finance Watch a reçu un million d’euros d’aide au démarrage de la part de la Commission européenne pour arriver jusqu’à fin 2011. Pour 2012, la structure fonctionnera grâce à un budget de deux millions d’euros, dont 50 % viendra de la Commission, le reste de fondations non liées au monde de la finance, de membres de Finance Watch et de particuliers. Mais quoi qu’il en soit, il ne faut pas oublier que le lobbying est plus une question de qualité des

relations que de quantité des moyens. Finalement, pour atteindre son but, Finance Watch doit identifier, approcher et convaincre la cinquantaine de décideurs qui comptent en matière de finance. Se donner les moyens d’y parvenir, c’est tout l’enjeu du recrutement qui est en cours en ce moment. L’ONG compte constituer une équipe d’une douzaine de salariés et cherche à débaucher des profils avec beaucoup d’expérience dans la banque et la finance. C’est comme si d’anciens cadres d’Areva décidaient de rejoindre Greenpeace pour dévoiler ce qui se passe vraiment ! Finance Watch ne risque-t-elle pas de se faire manipuler ou infiltrer par les pouvoirs auxquels elle souhaiterait s’opposer ? De toute façon, on n’a pas le choix. Des personnes externes au milieu se verraient reprocher leur manque d’expérience. Pour limiter les risques que vous mentionnez, Finance Watch a mis en place un comité d’indépendance et exigera que tous ceux qui le rejoignent cassent les ponts avec leurs anciennes sociétés. Mais ne vous y trompez pas : depuis la crise, il y beaucoup de professionnels du secteur déçus de voir qu’aucune leçon n’a été tirée et qu’aucun des dysfonctionnements à l’origine de la crise n’a été corrigé. Ces personnes ont envie de faire bouger les lignes, et Finance Watch va en leur donner la possibilité. n Propos recueillis par Andrea Paracchini

>> www.finance-watch.org


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