Portraits de centenaires - Mai 2015

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Portraits

100 ans…

une vie à Dugny Alice

Régal .ée le 23 mai 1915

Eva

Chastagnol .ée le 14 mai 1915


Dugny c’est vous

Une vie à Dugny )n un siècle, Dugny a bien changé. Arrivée à l’âge de 7 ans, Eva Chastagnol, aujourd’hui centenaire, a pu l’observer. L’histoire de la ville est intimement liée à sa vie que cette curieuse de tout a bien remplie. n’assistera ni à ce premier bombardement ni aux suivants ; c’est le soir qu’elle constatera les dégâts en rentrant chez elle. Heureusement, la famille peut compter sur la solidarité des habitants. Elle se réfugie chez des amis, dans une école puis dans une maison abandonnée. Une période d’autant plus éprouvante que les hivers sont rudes et les étés caniculaires.

Une carrière riche

$’est en 1922, juste avant ses sept ans,

qu’Eva Chastagnol arrive à Dugny. « Nous habitions à Paris, dans le 18e arrondissement, et nous avons déménagé car notre appartement était devenu trop petit pour notre famille qui comptait déjà trois enfants », explique-t-elle. La famille emménage dans une zone pavillonnaire très arborée, à proximité de l’actuelle rue Lorenzi. «Notre maison ressemblait à un cottage anglais», se souvient-elle. A l’époque, Dugny est un village rural doté de deux moulins (qui ont donné leur nom à la cité du moulin). Le lieu est prisé des Parisiens en quête d’un bol d’air. Ils s’y promènent le long de la Morée, la rivière qui traverse alors la ville et au bord de laquelle se trouvent des guinguettes et des peintres du dimanche. Avec ses épiceries et ses restaurants, Dugny est un village où il fait bon vivre. Un village qui, entre 1940 et 1943, sera rongé par les bombes, si bien que la famille se retrouvera à plusieurs reprises sans toit. «Le premier bombardement a touché ma mère et j’ai été tellement choquée que j’ai perdu l’odorat à vie». N’ayant jamais cessé de travailler, Eva

La petite Eva grandit. Bonne élève, elle ne peut poursuivre ses études après le certificat d’études car il lui faut travailler pour aider sa famille. Pour permettre à sa fille de suivre la formation de sténodactylo qui lui permettra de trouver un emploi, la mère d’Eva se met à travailler, d’abord comme femme de ménage puis à l’usine. C’est en 1929, en plein crack boursier, qu’Eva Chastagnol entre dans la vie active. Elle n’a alors que 14 ans et les temps sont durs pour les salariés… mais pas pour elle qui possède une orthographe irréprochable, ce qui lui permet de se faire embaucher sans difficulté. «Au cours de ma carrière, je n’ai pas été un seul jour au chômage». D’abord sténodactylo, elle devient rapidement secrétaire et enchaîne les entreprises qui, durement touchées par la crise, ferment tour à tour. A l’âge de 19 ans, elle entre chez Astral Celluco, une

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femmes enceintes basée à Saint-Denis, où elle restera vingt ans, qu’elle s’épanouira finalement : «j’ai été embauchée comme secrétaire correspondancière et j’ai fini responsable technique du catalogue !», précise-t-elle.

Amoureuse de la vie Quand elle ne travaille pas, Eva s’amuse. Elle va au cinéma, à Paris (où elle verra notamment Piaf), danse et se promène. Elle reste célibataire jusqu’à sa rencontre avec son futur époux en 1945 en Aveyron. Le couple ne se mariera qu’en 1952 alors qu’Eva a 37 ans. En 1954 et 1955, deux enfants naissent de cette union. Faute d’avoir trouvé un emploi en région parisienne, le mari d’Eva reste loin de sa famille jusqu’en 1955. Eva continue donc de travailler, laissant ses enfants en nourrice. « Mon mari voulait bien que j’arrête de travailler mais j’ai bien vu que ce n’était pas possible financièrement», explique-t-elle. Entre son travail et sa vie de famille, Eva n’a pas beaucoup de temps pour elle. Une fois à la retraite, «la période la plus heureuse de ma vie», elle s’investit dans des associations, voyage, danse, profite de la nature qu’elle adore contempler et lit. Elle qui estime que la lecture lui a permis de s’évader pendant les moments difficiles,

A 100 ans, Eva Chastagnol garde en mémoire toute l’histoire de la ville

usine de peinture basée à Dugny où elle restera 14 ans. Elle y devient secrétaire des ingénieurs et se voit même proposer un poste de coloriste «car j’avais l’œil !». Elle restera finalement secrétaire chez Astral Celluco jusqu’en 1948 avant de travailler quelque temps pour un ingénieur conseil. Et c’est chez Prénatal, une usine de vêtements pour enfants et

continue de lire « tout si c’est de qualité» et est devenue récemment une grande amatrice de polars. A ceux qui s’interrogeraient sur ses secrets de forme, Eva ne sait que dire mais sa curiosité sans limites alliée à une hygiène de vie héritée de ses origines paysannes et son amour des gens n’y sont sans doute pas étrangers…


«Je ne m’ennuie jamais !» Fée le 23 mai 1915 en Alsace, Alice Régal est arrivée à Dugny il y a plus de 60 ans. Toujours gaie et souriante, elle sort encore de chez elle et continue de cuisiner, faire le ménage, repasser, tricoter… Bref, elle ne s’ennuie pas et ça se voit ! %lice Régal voit le jour le 23 mai 1915,

en pleine Grande Guerre. Issue d’une famille de paysans, elle est la petite dernière d’une fratrie de huit enfants. Orpheline de mère dès l’âge de cinq ans, elle est élevée par sa tante. L’école, elle la fréquente jusqu’au certificat d’études avant de suivre une formation en apprentissage de repasseuse qui la mène en Suisse. Là, elle se découvre une passion pour ce travail très technique à l’époque qui nécessite de bien maîtriser le fer en fonte, de manipuler de l’amidon cuit ou cru selon les usages, d’utiliser des lampes spéciales pour faire des plis sur les cols. «C’était un travail difficile : on était toujours debout et comme les fers étaient très lourds, c’était fatiguant pour les bras», explique-t-elle. Malgré ces inconvénients, la jeune fille est appliquée et aime beaucoup la précision des tâches qui lui sont confiées. D’ailleurs, elle s’en sort à merveille. Pourtant, elle change rapidement de métier lorsqu’elle quitte l’Alsace pour la capitale.

De Mulhouse à Paris «Je suis allée travailler comme maître d’hôtel chez des bourgeois du 16e arrondissement», explique Alice Régal. Habitant seule dans une chambre de bonne, elle reste toujours proche de ses frères et sœurs qui ont également migré vers Paris. Quand elle a du temps libre, Alice va avec ses copines danser dans les bals populaires organisés dans les rues. C’est justement dans un de ces bals qu’elle rencontre son mari qui, quelques années plus tôt, a fait la guerre et a même été prisonnier. Elle a alors 35 ans. «Je ne voulais pas me marier avec n’importe qui et à l’époque, ce n’était pas comme maintenant, on se mariait pour la vie donc il ne fallait pas prendre cela à la légère», précise-t-elle. Du fait de son mariage plutôt tardif, Alice Régal a pu profiter de sa jeunesse. Une fois la bague au doigt, elle met au monde trois enfants : des jumeaux en 1950 et une fille en 1955. Dès lors, elle arrête de travailler

pour se consacrer à sa famille. « A l’époque, les femmes pouvaient rester à la maison. Aujourd’hui, la vie est plus chère et pour pouvoir vivre, il faut souvent que les deux travaillent », observe-t-elle.

le kouglof et la forêt noire sont logiquement ses spécialités même si elle fait attention à ce qu’elle mange. «Tous les soirs, c’est potage et yaourt et une fois par semaine, je ne mange que du bouillon», explique-t-elle. Et pour rester en forme, Alice fait sa gym tous

A la place du parc Georges Valbon, il y avait des champs !

De Paris à Dugny En 1953, Alice Régal déménage avec son mari et ses jumeaux à Dugny. A l’époque, la ville, presque totalement détruite entre 1940 et 1943, est en cours de reconstruction mais les terres agricoles sont encore nombreuses. «A la place du parc Georges Valbon, il y avait des champs !». Pour faire ses courses, pas de supermarché mais un beau marché et des commerces de proximité. Et pour se déplacer, pas de voiture mais le bus ou la marche à pied. Lorsque ses enfants sont à l’école, Alice Régal doit s’occuper de sa maison, laver le linge à la main et même confectionner elle-même ses habits et ceux de ses enfants. Cette dernière tâche est plus un plaisir qu’une contrainte. Aujourd’hui grandmère de cinq petits enfants dont elle s’est occupée pendant l’enfance, Alice Régal dit ne jamais s’ennuyer. «La tête marche bien mais pas les jambes», se désole-t-elle, s’étonnant d’avoir atteint un si grand âge. Jamais inactive, elle se débrouille seule, ne recevant qu’une fois par semaine la visite d’une aide ménagère du CCAS qui vient lui tenir compagnie et l’aide dans les quelques tâches qu’elle peine à réaliser seule. Quand elle ne tricote pas, la centenaire cuisine non seulement pour elle-même mais aussi pour faire plaisir à ses visiteurs. Etant donné ses origines,

les matins. Son hygiène de vie, sa joie de vivre et son envie d’aider les autres expliquent sans doute sa forme exceptionnelle. « J’aime bien m’occuper des vieilles dames… même si je suis bien plus vieille qu’elles ! », plaisante-t-elle.

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