LES NOUVELLES FORMES D’HABITER TENTATIVES FRANÇAISES ET REALISATIONS ZURICHOISES
PAUL COULBEAUX Sous la tutelle de Pascal TERRACOL ECOLE NATIONALE SUPERIEUR DE PARIS VAL DE SEINE S6-UE 13 Mai 2017
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SOMMAIRE
1. INTRODUCTION 2. REGARD INTROSPECTIF SUR LE LOGEMENT 1. LE LOGEMENT HAUSSMANNIEN RACONTE PAR ZOLA 3. KRAFTWERK 1 : COOPERATIVE SUISSE 1. BOLO’BOLO 2. KRAFTWERK 1 : CONSTRUIRE UNE VIE COOPERATIVE ET DURABLE 3. ORGANISATION ET FINANCEMENT 4. KRAFTWERK 2 ET 4 : INNOVATIONS 4. EXPERIMENTATION FRANÇAISES 1. STRATEGIES + ARCHITECTURE 2. REHABILITATIONS HAUSSMANNIENNES 3. EKOUMENE 5. CONCLUSION 6. BIBLIOGRAPHIE 7. ICONOGRAPHIE
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1. INTRODUCTION
Lors de mon second semestre de licence deux notre travail fut essentiellement porté sur le logement. Du logement qui se devait d’être hybride : à la fois individuel et collectif et modulable. La question des différents schémas familiaux émergeants s’est alors très rapidement posée. Comment peut-on concilier les besoins d’une famille monoparentale n’ayant ses enfants qu’une semaine sur deux, avec ceux d’une famille nombreuse, ceux d’un ménage sans enfants, ou encore ceux d’une famille recomposée en tout en étant accessible à tous ? Les modes de vies changent plus vite que les typologies : les enfants partent de plus en plus tôt de la maison familiale, les trois générations peuvent avoir à vivre sous le même toit, le télétravail est de plus en plus privilégié par de nombreux secteurs d’activité et les familles recomposées doivent s’adapter à la garde partagée. Les appartements d’aujourd’hui, construits massivement, s’adaptent avec difficulté aux familles y emménageant, voient leur prix de vente augmenter sans cesse et peinent à répondre à la demande grandissante. Les architectes doivent penser l’habitat autrement afin qu’il puisse anticiper ces futurs besoins. Des besoins de changement rapide d’appartement, ou bien de transformation de l’espace. Mais aussi des besoin d’espace pour accueillir temporairement son enfant, et pour lui permettre d’avoir un espace à lui dans lequel il pourra se retrouver. Une conception du logement qui ne perd pas de vue que l’évolution sera nécessairement pragmatique et économiquement viable pour que les maître d’œuvre y voit investissement et non un gouffre financier. J’ai alors découvert le travail de l’agence STAR stratégies + Architecture et plus précisément son étude « CO-RESIDENCE™, ‘Habiter en Grand’ »1 réalisée dans le cadre de l’Atelier International du grand Paris. Il s’agit extrapoler notre habitude de partage, déjà très ancrée dans les mentalités actuelles, au logement et changer notre regard sur le principe de propriété. Nous partageons déjà nos vélos, nos voitures et nos vies sociales alors pourquoi ne pas partager une partie de nos habitats ? Dès lors mon regard a changé sur le logement, il est donc possible de tenir tête aux grands groupes de promoteurs et expérimenter sur le logement tout en proposant des solutions pragmatiques, viables économiquement et à un coût bien plus accessible. Après de longues recherches j’ai pris connaissance des coopératives suisses et plus particulièrement de la coopérative Kraftwerk 1, dont STAR stratégies + architecture s’est inspiré et avec qui elle partage de nombreuses références en commun comme le phalanstère de Charles Fourrier, 1
STAR stratégies + architecture (mandataire) et MONU Magazine on Urbanism / BOARD avec Elioth-Egis Group et Lyn Capital, CO-RESIDENCE™ ‘Habiter en Grand’, Avril 2013, 432p
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« island of utopia » de Thomas More ou encore les expérimentations sur le logement par l’avant-garde soviétique. Kraftwerk 1 est une coopérative fondée par l’écrivain P.M. (Hans Widmer), l’architecte Andreas Hofer et le graphiste Martin Blum, ils écriront ensemble le livre Kraftwerk1 qui lancera l’expériences d’un nouveau mode de vie, basé sur l’ouvrage utopique de P.M. : bolo’bolo’ écrit dix ans plus tôt, expérience qui se reproduira deux fois ensuite. Mais qu’en est-il de ces co-résidences et coopératives en France ? Quelles relations entretiennent-elles avec les logements haussmanniens et celui d’après-guerre ? Sont-elles des réponses viables et durables aux besoins des nouveaux schémas familiaux ? Pour répondre à ces questions nous nous appuieront tout d’abord sur les textes d’Emile Zola 2 qui nous offre une description et une analyse précise des logements haussmanniens à leurs débuts. Nous verrons comment ceux-ci se sont adaptés aux bouleversement des modes de vies. Ensuite dans une seconde partie nous étudierons le cas de la coopérative Suisse Kraftwerk 1 et des trois exemples de logements réalisés. Nous appuierons notre réflexion sur sa genèse avec les première coopératives d’ouvrier suisses au début du 19 ème décrites par Daniel Kurz et Rolf Maurer, le manifeste bolo’bolo 3 écrit par PM, l’ouvrage Kraftwerk1 de PM, Andreas Hofer et Martin Blum ainsi que les études articles et mémoires réalisés sur le sujet. Enfin nous verrons les expérimentations de co-résidence en France ainsi que le lien créé entre cette nouvelle vision du « vivre ensemble » et le logement haussmannien en nous basant sur l’étude, en partie réalisée, de l’agence STAR stratégies + architectures.
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Plus précisément l’œuvre Pot-bouille
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2. REGARD INTROSPECTIF SUR LE LOGEMENT
Nous pouvons dire avec assez d’assurance que le logement aujourd’hui fait fasse à une standardisation : espaces jour et espace nuits séparés, bande servante et bande de sanitaires, chaque plan ressemble à son voisin. Mais d’où vient cette tendance ? Outre la standardisation des méthodes de production de produits industriels, comme les faux-plafonds, cloisons ou encore les éléments de façade la raison est à mon avis plus profonde et surement ancré dans notre quotidien L’intervention du baron Haussmann, est l’un des plus ambitieux plan urbain de standardisation de l’immeuble collectif et de modernisation de la ville. Ce fût l’avènement des immeubles de rapport et ainsi ce fut une magnifique opération spéculatrice pour nombre de bourgeois parisiens ayant une fortune assez imposante pour acheter un et ensuite devenir rentier. C’est à travers l’œil de l’écrivain Emile Zola que nous observerons l’immeuble haussmannien et plus particulièrement à travers l’œuvre « pot-bouille »4 Tout d’abord dès les premières pages l’auteur nous offre une description de façade : « depuis le magasin de soierie du rez-de-chaussée et de l’entresol, jusqu’aux fenêtres en retrait du quatrième, ouvrant sur une étroite terrasse. Au premier, des têtes de femme soutenaient un balcon à rampe de fonte très ouvragée. Les fenêtres avaient des encadrements compliqués, taillés à la grosse sur des poncifs ; et, en bas, au-dessus de la porte cochère, plus chargée encore d’ornements, deux amours déroulaient un cartouche »5. Le décor est alors planté et c’est les relations entre tous les habitants qui vont nous être dévoilées ainsi que le rôle joué par l’immeuble lui-même dans l’évolution de celles-ci. On repère alors trois types de scènes distinctes : les appartements où se déroulent les frasques de chaque famille, les espaces communs comme les escaliers et les couloirs où les habitants se rencontrent ou s’évitent et enfin les cuisines, les escaliers de service et la cours où les domestiques échangent des informations et des rumeurs sur leurs employeurs6.
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Emile Zola, Pot-bouille, G. Charpentier, 1882, 10ème de la série des Rougons-Maquarts, 840p Emile Zola, Pot-bouille, G. Charpentier, 1882, 10ème de la série des Rougons-Maquarts, p6 6 On peut citer : « Accoudées à la barre d’appui, la femme de chambre noiraude et une cuisinière grasse, une vieille débordante, se penchaient dans le puits étroit d’une cour intérieure, où s’éclairaient, face à face, les cuisines de chaque étage. Elles criaient ensemble, les reins tendus, pendant que, du fond de ce boyau, montaient des éclats de voix canailles, mêlés à des rires et à des jurons. C’était comme la déverse d’un égout : toute la domesticité de la maison était là, à se satisfaire. » p18 5
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Les espaces communs sont d’une importance cruciale dans les interactions sociales de l’immeuble de la rue de Choiseul. C’est dans l’escalier qu’Octave apercevra pour la première fois Marie Pichon, rougissante, avec laquelle il aura une aventure. Mais ces mêmes escaliers rappellent aussi aux habitants leur rang social, le velours rouge recouvrant les marches s’arrêtent au troisième, là où s’arrêtent les appartements nobles. « À partir du troisième, le tapis rouge cessait et était remplacé par une simple toile grise. Octave en éprouva une légère contrariété d’amour propre »7. Zola nous permet aussi de comprendre l’organisation de chaque étage, qui sont significativement identiques8. Il y a deux logements par étage, un donnant sur la rue et un donnant sur cours lui-même parfois divisé en deux appartements. Les cuisines quant à elles donnent toutes sur la cours et possèdent un escalier de service qui sert à l’approvisionnement mais aussi aux domestiques pour se rencontrer et communiquer entre eux. On remarque aussi que l’histoire se déroule alors que la restructuration menée par le Haussmann n’a pas encore été menée à terme : « Et Ça montera encore, car il est question d’ouvrir une large voie, de la place de la Bourse au nouvel Opéra... Une maison dont il a eu le terrain pour rien, il n’y a pas douze ans, après ce grand incendie, allumé par la bonne d’un droguiste ! »9 Des opérations qui pouvaient faire fortement augmenter le rapport d’un immeuble. On comprend donc mieux l’ampleur des travaux qui vont de pair avec le besoin de gains. L’œuvre met alors en lumière le côté absolument spéculatif de l’immeuble : « Ils possèdent même une maison là-bas. Mais ils attendent d’avoir trois mille francs de rente pour s’y retirer »10, « Moi, j’en ai pour deux mille cinq cents francs, et au troisième ! Les loyers augmentant tous les jours... M. Vabre doit se faire dans les vingt-deux mille francs avec son immeuble. »11. Les besoins des ménages ne sont alors pas la priorité des propriétaires. Des besoins qui sont bien différents d’aujourd’hui quel que soit la classe sociale. En effet on remarque qu’un seul schéma familial prime. Le couple reste marié malgré tous les tumultes qui peuvent exploser et on cherche, comme le montre le personnage de Mme Josserand, à marier ses filles et fils ainsi qu’à trouver une dote. Ce n’est donc pas un besoin de flexibilité qui se fait
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Emile Zola, Pot-bouille, G. Charpentier, 1882, 10ème de la série des Rougons-Maquarts, p13 8 On peut citer : « À chaque étage, les appartements se répètent » p19 9 Emile Zola, Pot-bouille, G. Charpentier, 1882, 10ème de la série des Rougons-Maquarts, p19-20. 10 Emile Zola, Pot-bouille, G. Charpentier, 1882, 10ème de la série des Rougons-Maquarts, p9. 11 Emile Zola, Pot-bouille, G. Charpentier, 1882, 10ème de la série des Rougons-Maquarts, p19.
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alors ressentir mais plutôt un besoin de stabilité, et pour les moins aisés une stabilité presque uniquement financière. La standardisation de la construction de logement se poursuivra et s’accentuera avec les besoins extrêmes d’après-guerre. Des millions de personnes doivent être relogées, des millions d’autres n’ont ni l’eau courante ni l’électricité ou le gaz. Des demandes elles aussi différentes du temps du baron Haussmann mais aussi d’aujourd’hui. Nous avons alors vu émerger les Habitations à Bon Marché autour de Paris et les Habitations à Loyer Modéré dans les banlieues. 12 Mais qu’allons-nous faire des bâtiments aujourd’hui ? Une démarche durable est pourtant indispensable, notamment au vue des changements de nos sociétés et de la planète entière. C’est la force des deux projets : Kraftwerk13 et Co-résider que nous allons observer. S’inscrivant tous deux dans cette veine respectueuse de l’environnement, comment ont-ils répondus aux besoins des nouveaux schémas familiaux et quelles sont les innovations que les architectes ont développé ?
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Les logements standardisés ont été expérimenté à Drancy avant la seconde guerre mondiale, ils sont aujourd’hui tristement célèbres pour leur rôle dans la Shoah. 13 Le premier projet de Kraftwerk 1 à reçut la certification
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3. KRAFTWERK 1 3.1. BOLO’BOLOS Les années 1980 furent des années charnières pour la jeunesse Zurichoise, qui fatiguée de la politique trop peu soucieuse des questions étudiantes, manifeste massivement et occupe des lieux abandonnés. Cette contestation a pris son importance après l’abandon d’un projet de centre social et culturel dédié à la jeunesse au profit de la restauration de l’opéra. Ce fut alors un catalyseur de nombreuses revendications, à la fois de reconnaissance du poids politique qu’ils possèdent, et aussi d’une envie de mouvement de cette société statique favorisant que trop peu la culture alternative face à la culture bourgeoise. C’est dans ce terreau que Hans Widmer écrivit, en 1983, sous le pseudonyme de P.M. son ouvrage bolo’bolo, ouvrage anarchiste et anticapitaliste faisant la promotion d’un nouveau monde. Hans Widmer y dépose alors la première pierre de la coopérative Kraftwerk 1 créée dix ans plus tard par le biais de l’ouvrage « Kraftwerk 1 : construire une vie coopérative et durable ». Bolo’bolo’ est une réflexion sur la création d’un nouveau monde fondée sur la destruction du système mondial actuel que l’auteur appelle « la machine-travail planétaire ». Une machine qui occupe le monde entier : « It is a Planetary Machine : it eats in Africa, digests in Asia, and shits in Europe. It is planned and regulated by international companies, the banking system, the circuit of fuels, raw materials and other goods. »14. Ce nouveau monde serait précédé d’une phase de destruction du monde actuel par des actes de manifestation, de résistance, de sabotages et de débordements locaux qui déstabiliseraient la machine capitaliste15. Ces actes de résistance sont regroupés en trois points strictement contraires aux trois fondements de la machine-travail : dysinformation, dysproduction et dysruption que l’on pourrait traduire par désinformation, dé-production et perturbation. Ces nœuds créés localement établissent alors des liens entre eux (nommés « tryco ») qui permettent de contrecarrer toute riposte de la bête blessée mais toujours acharnée à faire survivre son monde. A l’issu de cette mise à mort de la machine, Hans Widmer pose les bases d’un mode de vie unique. Tout s’organiserai autour des Bolos : des villages ou communautés autosuffisantes formées par affinités entre trois cent ou cinq cent Ibus (les hommes nouveaux). Chacun vit de
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P.M., Bolo’Bolo, éditions de l’éclat, 1983, p5 proposition de traduction personelle: c’est une machine planétaire : elle mange en Afrique, digère en Asie et défèque en Europe. Elle est planifiée et régulée par les grandes entreprises, le système bancaire, les circuits de carburants, de matériaux bruts et autres ressources » 15 Il dénonce les révoltes saines tolérées par le système qu’il compare avec le livre 1984 de Georges Orwell.
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sa passion, le travail est aboli, et les seules obligations ne concernent alors que les travaux pour la collectivité. Tous les Bolos sont indépendants et leurs échanges sont restreints à une forme de troc de ressources ou de qualifications qu’une communauté d’Ibus ne pourrait produire ou bien ne possède pas, créant alors des regroupements régionaux de bolos. L’ouvrage prône alors un retour à une société plus fragmentée, sans ou presque aucunes relations internationales, sans élite ou de pouvoir en place et laissant le rôle des polices à la pression sociale exercée par la communauté elle-même. Largement influencé par le phalanstère de Charles Fourrier 16, Hans Widmer cherche par son œuvre utopique Bolo’Bolo à fortifier et accélérer les mouvements sociaux encore trop peu radicaux de la jeunesse Zurichoise. Il prône un retour à une ère préindustrielle à une échelle plus locale, plus régionale reposant une base plus humaine que notre société actuelle.
Illustration des bolos, issu du livre bolo’bolo de P.M.
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Les phalanstères de Charles Fourrier pensé, vers 1820, rassemblaient une communauté de 400 personnes dans un ensemble de bâtiment en pleine champs, accompagné d’un opéra, de cuisines commune, d’atelier et d’une bourse. Le village est auto-suffisant grâce aux développement de l’agriculture. Charles Fourrier à aussi théoriser le rassemblement d’un groupe de 1600 personnes autour des seules passions qui se complètent et s’assemblent.
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3.2. KRAFTWERK 1 : construire une vie coopérative et durable
C’est Bolo’bolo qui fut l’essence même de la coopérative KRAFWERK 1 lancée par le livre du même nom écrit dix ans plus tard par Hans Widmer lui-même, accompagné de l’architecte Andreas Hofer et du graphiste Martin Blum. Moins utopiste, cet ouvrage est alors le manifeste de l’organisation qui permet la construction en 1999 du premier immeuble de logement, suivie quelques années plus tard par deux autres immeubles d’habitation. Si les auteurs connaissaient leurs faibles chances de réussites ils étaient toutefois pragmatiques et ont délimité dès le manifeste les questions de statut juridique, de loyer, de coûts ou encore de choix d’implantation de leur futur projet. Notons que les coopératives et la Suisse ont une histoire commune de longue date, qui nait au début du dix-neuvième siècle lorsque les ouvriers se réunissent pour faire face à la crise du logement qui secoue les classes populaires. Kraftwerk 1 se situe alors dans une continuité naturelle des anciennes coopératives tombées en désuétudes sous l’action des lobbys des grands propriétaires immobiliers. Le comité central de l’union suisse des propriétaires immobiliers fit adopter, en 1945, par le gouvernement la fin des subventions accordées aux organismes coopératifs. Ce retournement de situation permit alors une explosion du nombre de logements sociaux construits, allouant de larges profits aux grandes entreprises de bâtiment.17 C’est dans le contexte social et économique particulier des années 1980 et 1990 que les coopératives ont pu ressurgir et notamment celle de Widmer, Hofer et Blum. Plusieurs facteurs sont à mettre en parallèle afin de comprendre les opportunités ont permis au premier bâtiment de voir le jour. Tout d’abord le mouvement de contestation porté par les jeunes zurichois ainsi que l’essor de la culture alternative opposé à la bourgeoisie dépose un terreau favorable à de nouvelles réflexion sur le logement. De nombreux squats s’organisent, se transformeront plus tard en coopératives et réinterprèteront le model des classes ouvrières. On peut citer Karthago18 et Wonego19 à Zurich. A ce mouvement social s’ajoute une crise du logement sans précédent engendré par le crack pétrolier de 1973 et aggravé par une hausse drastique du chômage. L’offre chute : les jeunes actifs et les étudiants sont les premiers touchés. « Vers la fin des années 80, on ne trouvait plus d’appartements ou d’ateliers, il y avait une dureté de la vie et de la ville qui D. Kurz, «Gemeinnütziger Wohnungsbau in der Schweiz, 1918-1948», in Wohnungspolitik im Sozialstaat, éd. G. Schulz, 1993, 285-304 (Source : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F13916.php) 17
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https://www.karthago.ch http://www.wogeno-zuerich.ch
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était revenue. Et cela a créé un besoin et une énergie qui a abouti à une sorte de mouvement »20 Une des opportunités des plus importante fut la désindustrialisation du 5ème arrondissement de Zurich, qui se divisa en deux parties. Le quartier de Gewerbeschule, situé à l’est devint le lieu de prédilection du commerce de stupéfiants ainsi que de la prostitution entrainant une baisse significative des prix de vente et de location de tous les biens immobiliers de l’arrondissement. De nombreux artistes et galeries en profitèrent pour s’installer ou organiser des évènements éphémères dans le quartier d’Escher Wyss à l’ouest21. C’est précisément dans ce quartier de Kraftwerk 1 choisit de s’implanter pour son premier projet. Enfin un krach immobilier similaire à la crise des subprimes de 2006 survient en 1992 et se pose comme l’ultime opportunité. Les anciens terrains industriels du quartier sont alors achetés en 1997, l’immeuble sera livré en 1999.
Couverture de l’œuvre Krafwerk1
Couverture de l’œuvre Bolo’bolo
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Interview réalisée par Adrien Poullain en décembre 2015, à Paris. Patrick Rérat, Etienne Piguet, Ola Söderström, Roger Besson, Back to the city ? - Étude de l’évolution démographique et de l’attractivité résidentielle des villes suisses, p 305, cité par Adrien Poullain. 21
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3.3. ORGANISATION ET FINANCEMENT
Les coopératives sont des associations compliquées à créer, mais une fois pérennisés elles prennent de plus en plus d’avantages et d’importance et les loyers baissent de plus en plus. Une organisation nouvelle doit se reposer presque uniquement sur les investissements des coopérants, une plus ancienne possède déjà de nombreux capitaux à son actif et peuvent entamer un nouveau projet en demandant moins de d’investissements personnels des futurs habitants. La première démarche consiste à rassembler un minima de cinq individus prêts à apporter 6% des capitaux nécessaires pour mener à bien un projet. Ensuite un prêt bancaire est ratifié à la condition de posséder d’au moins 20% de la valeur du projet, enfin le remboursement du prêt, à hauteur de 1% par an, est effectué par le biais du paiement des loyers. Les coopérants remboursent donc du prêt indirectement mais payent en plus des charges. L’intérêt financier réside alors dans la pérennisation de ces structures qui, une dizaine d’année plus tard, voit ses loyers baisser de 20 à 30%22 : la totalité des obligations bancaires étant remplies, charges et cotisations sont alors les seuls impératifs des coopérants23. La stabilisation des coûts s’explique par le vieillissement du bâtiment et avec lui le coût de son entretient. Les coopératives suisses fonctionnent différemment selon les cantons, les villes, et les communes. En effet les subventions de l’état, qui peuvent atteindre 14% sous forme de prêt hypothécaire, diffèrent. Kraftwerk 1, quant à eux, n’ont reçu aucun financement.
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On compte 20CHF par mois et par m² pour le marché classique et 13 CHF par moi et par m² pour le marché des coopératives. Source : Kraftwerk 1 – Une utopie construite, Atelier international du Grand Palais Paris, 6 Mars 2015, Andreas Hofer, Architecte, Archipel, Zurich. 23 En 2015 le loyer était de 600 FS (franc suisse) par tranche de 35m². Source : mémoire d’Adrien Poullain
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Schémas du mode de financement des coopératives24
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Source : Learning From Kraftwerk1, Adrien Poullain, mémoire.
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3.4. TRANSCRIPTION ARCHITECTURAL KRAFTWERK 1 La transcription architecturale des Bolo’bolo était déjà en partie amorcée dans l’œuvre de Hans Widmer, en effet les communautés avaient été imaginée par l’auteur comme une réutilisation des bâtiments ou structures existante. « bolos don’t have to be built in empty spaces. They’re much more a utilization of existing structures »25. Les Bolos ne sont alors pas nécessairement un seul objet mais peut-être constitué de plusieurs pâtés de maisons d’une ville, un morceau de quartier pavillonnaires ou encore quelques îles d’un archipel. La coopérative KRAFWERK 1 se positionne différemment, chacune des trois expérimentations a vu un bâtiment sortir de terre. Le tout premier bâtiment fut terminé en 2001. Au total 81 logements pour 360 habitants, dont 100 employés travaillant dans les commerces situés en rezde-chaussée, se partagent près de 175m² d’espaces partagés. On note la présence d’une crèche et d’un jardin d’enfant qui facilite grandement les familles lorsque l’entraide entre voisins n’est pas possible.
Photo de la façade de l’immeuble Hardturm
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P.M., Bolo’Bolo, éditions de l’éclat, 1983, proposition de traduction : les bolos ne sont pas nécessairement construit sur des espaces vides, c’est plutôt une réutilisation des structures existantes.
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Si plusieurs idées du manifeste ont dû être abandonnées face au aléas de la phase de conception et de chantier, le développement et l’évolutivité de la famille a largement été le lieu d’innovation. En effet l’équipe d’Hans Widmer voulait développer des appartements évolutifs par une imbrication modulable de la totalité des cloisons. Ce système fut abandonné au profit d’un plus grand nombre de typologies. On en dénombre 11 : des appartements ateliers, des appartements de 2.5 pièces, 3.5 pièces jusqu’à 7.5 pièces ainsi que des colocations de : 8.5 pièces, 9.5 pièces et jusqu’à 13.5 pièces.
Plan du 2ème étage26.
Les scénarios de vies peuvent donc évoluer sans pourtant quitter Kraftwerk 1. Ainsi ont peu imaginer qu’un jeune couple déménage lors de la naissance de son premier enfant, change pour logement plus grand si la famille s’agrandit et peut enfin revenir à un deux pièce lorsque les enfants n’en sont plus et sont partis. Ce dispositif s’adapte aussi aux familles recomposées qui peuvent alors profiter de la baisse du coût du loyer pour habiter un logement plus spacieux en plus de la possible d’investir un logement différent sans pourtant autant subir les délais de rétractation de bail ou de vente d’un appartement. La viabilité de ces mouvements d’individus est permise d’une part par le statut hybride des coopérants, ni locataires et ni propriétaires, les logements sont plus vite réattribués et d’autre part la taille et la mixité des membres de la coopérative. Une mixité à la fois des âges et des typologies familiales présente dès le début du projet. En 2005 on comptait 25% de jeunes de moins de dix-sept ans, 12% de jeunes de 18 à 29 ans, 29% de 30 à 39 ans, 21% de 40 à 49 ans et 12% de plus de 50 ans.
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Source : http://www.kraftwerk1.ch.
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Quant aux typologies de familles on dénombre (25%) personnes seules, (16%) de couples , (31%) de familles et (25%) de colocations. 27 Miser sur l’évolution simultanée des besoins des familles fut un paris risqué mais qui porte ses fruits, entre 2001 et 2006 52 habitants sur 265 ont changé d’appartement sans quitter la coopérative. 28 Ainsi le premier projet fut une réussite, mais qu’en est-il des deux autres : Kraftwerk 2 et 4 renommés respectivement Krafwerk Heizenholz et Kraftwerl Zwicky süd après l’échec de la seconde tentative29 ?
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Sondage réalisé en 2005 par l’office du logement : Hugentobler (Margrit) et Hoffmann (Marco), Kraftwerk 1 et Regina-Kägi-Hof à Zurich, quatre ans après la référence - Rapport sur la deuxième évaluation, Département d’architecture de l’ETH, 2006. 28 Interview d’Andreas Hofer réalisé en 2015 par Adrien Poulain. 29 Kraftwerk 3 fut un projet engagé en 2009 qui prévoyait la construction d’un parc de recherche et culture, dont la coopérative s’occupait de la partie logement. Après la naissance de tensions avec la maitrise d’ouvrage le projet fut abandonné mais le parc fut tout de même construit. Traduit du site officiel de Kraftwerk : http://www.kraftwerk1.ch/geschichte/kulturpark.html
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3.5. KRAFTWERK 2 ET 4 : INNOVATIONS Une fois l’organisme de financement installé et le premier bâtiment construit avec succès, la coopérative acquiert de la renommée, notamment aux près des propriétaires des zones industrielles, et recommence à cherche un terrain dès 2006. Pour autant ils ne réussirent pas à convaincre et obtenir des parcelles dans le centre-ville. Kraftwerk 2 sera alors une rénovation dans un quartier excentré de Zurich : Heizenholz30 lieu de l’appel d’offre d’une fondation pour les enfants en difficulté. La coopérative lança alors un concours d’architecture afin de choisir à qui confier la conception et la construction du bâtiment. C’est l’agence d’Adrian Streich qui fut lauréat, grâce aux développement de la typologie « cluster ». C’est l’innovation majeure du projet elle s’étale sur 350m² et elle côtoie des colocations classiques de 250m² ainsi que des appartements plus petits de 60m² 31. Initialement pensé pour faciliter la vie des personnes âgées, qui vivraient en collocation pour s’entre-aider et mieux subvenir à leurs besoins, elle s’est en pratique étendue aux jeunes actifs et aux étudiants.
Plan d’un appartement cluster.32
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Voir carte p X Les architectes ont voulu optimiser les surfaces. En moyenne on trouve 50m² par personne et par logement. Plus précisément on a : 70m² par personne pour les foyers d’ 32 Source : http://www.kraftwerk1.ch 31
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Cette typologie de logement est composée d’une large pièce à vivre commune à laquelle viennent s’attacher des unités personnelles plus réduites. Ces unités sont de trois types différents. L’un se compose d’une pièce unique où l’on peut aménager un bureau séjour et une chambre, l’autre vient séparer ces deux espaces par une cloison. Le dernier, plus spacieux, intègre une chambre, un bureau et séjour ainsi qu’une cuisine complétée d’une salle à manger. Des cuisines et des pièces d’eau viennent se positionner entre les espaces privés et les espaces communs jouant alors le rôle d’un sas préservant l’intimité des habitants. Les sept espaces personnels se partagent alors une grande cuisine, un séjour, une salle à manger ainsi qu’une large salle de bain supplémentaire. Partager un grand espace commun permet alors aux familles de faire des économies33 qu’elles soient au niveau du prix du loyer ou bien des charges et des dépenses énergétiques, et donc de s’offrir un plus bel espace de vie. Le second avantage du projet est la conception d’une « pièce en plus » à la fois dans les appartements de type cluster mais aussi à chaque étage louable par l’un des trois voisins de palier. Dans les colocations il s’agit de la seconde partie du séjour qui est fermée par une porte coulissante. Un famille monoparentale ou recomposée peut alors y accueillir son enfant venu pour le weekend. Pour autant ils ne ressentiront pas le besoin de s’offrir un appartement trop grand, la plus grande partie du temps, qui serait pour une majorité au-dessus de leurs moyens. Dans les étages cette pièce en plus peut alors être loué, sur une longue durée ou bien par exemple une semaine sur deux. Ainsi il est possible de la transformer en chambre ou bien en bureau pour libérer une ailleurs dans le logement. Un système différent mais qui complète le premier, intrinsèque aux logements par le fonctionnement même de la coopérative. Dans l’immeuble Kraftwerk 2 la colocation d’Yvette34 en a fait une chambre d’amis et parfois un espace d’intimité nécessaire au jeune couple qui vit avec eux. Les « pièces en plus » sont devenus des bureaux35. Une innovation encore très peu répandue mais permet une flexibilité encore jamais atteinte dans les habitats construits de nos jours. Les T1 aux T5 actuels sont vites dépassés par les changements qu’une famille se voit subir. Mais il ne faut pas oublier l’accès à ces habitats, en effet la location ne constitue aucun avantages économiques mais permet une flexibilité alors que l’accès à la propriété ne permet pas la flexibilité mais présente un fort intérêt économique.
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De 20 à 30% d’économie Interview réalisée par Adrien Poullain. 35 Source : Adrien Poullain. 34
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Devenir coopérant est alors une alternative pouvant absorber les bouleversements d’une vie qui trouvent alors leur équilibre dans les bouleversements des autres. Enfin la dernière réalisation de Kraftwerk 1, Zwicky Süd tente de s’enfoncer de plus en plus profondément dans l’expérimentation. Ce sont des colocations de vingt-trois chambres qui ont failli être construites, mais in fine ce sera des colocations de treize. C’est finalement un véritable héritage que Kraftwerk laisse derrière lui, ou plutôt devant lui, l’aventure n’étant pas encore terminée. Ils constituent désormais une source d’inspirations et de références qui feront, et font déjà, évoluer les mentalités. Ils renforceront les ambitions des futurs architectes sur leur action au sein de la construction du parc de logement français. Mais qu’en est-il à ce jour ? Quelles actions et quels projets ont-ils été réalisés ?
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4. EXPERIMENTATION FRANCAISES
4.1. STRATEGIES + ARCHITECTURE
J’ai personnellement découvert cette typologie de clusters lors de mon second semestre de deuxième année de licence par le biais de l’étude « co_résider » réalisée par l’atelier Stratégie + Architecture. Une étude qui nous a servi de référence pour les trois projets réalisés pendant le semestre : une colocation hybride (un étudiant et une famille nombreuse), des logements intermédiaires (à la fois collectifs et individuels) et pour finir un quartier résidentiel péri-urbain théorique d’un hectare. Une réflexion sur l’habitat d’aujourd’hui, que nous développerons par la suite, que j’ai tenté de poursuivre au cours de mon premier semestre de troisième année de licence dans la conception d’une résidence étudiante. Elle se développe autour de grands plateaux abritant dans une typologie inspirée des cluster onze étudiants chacun, totalisant 94 couchages36. Ces chambres étudiantes sont constituées de cellules privées « plugées » sur les façades, protégées par une surcouche de rangement, bureaux et cuisines. Entre ceux-ci s’organisent les espaces communs : séjours, cuisines, espaces de travails et ainsi de suite. Ainsi si l’étudiant paye pour 24m², il garde 12m² privés et met à disposition 12m² aux dix autres colocataires, chacun profite de près de 1100% d’espace en plus. Tout l’enjeux du projet est alors d’initier les étudiants à la vie un mode de vie beaucoup plus axée sur le partage et sur l’entraide. De plus ce sont des années charnières pour les étudiants qui, pour beaucoup d’entre eux, quittent le nid familial et s’installent dans les grandes villes étudiantes. Les co-résidences pourrons alors procurer un soutien moral qui s’ajoutera à cette expérience d’un mode de vie en communauté. L’agence Stratégie + Architecture sont aujourd’hui le fer de lance des mouvements de coopérative et de copropriété en France. En effet très peu d’expérimentation sont aujourd’hui menée. On ne peut que citer, en plus de STAR et l’aménagement d’une petite Co-résidence à Sarcelle, l’association des Babayagas de Montreuil et Ekoumène à Brest. Largement inspiré des mêmes références37 que Krafwerk 1 ainsi que de celui-ci même, le dossier Co résidence développe des typologies de types clusters à la fois dans les HLM, les immeubles haussmannien, les paquebots ou encore les maisons individuelles. Le système est tout de même 36
Voir plans ci-dessus. On retrouve dans le dossier les travaux de Fourrier sur le familistère, ainsi que les utopies de thomas Moore ou encore les cités jardins d’Howard. 37
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différent, en effet il ne s’agit pas d’un coopérative, le cadre légal français l’autorisant que depuis la loi ALUR de 2014, mais d’une copropriété. Tout le projet est alors basé sur le partage d’un espace commun et le slogan, tiré de ceux de Robert Venturi38 et Mies Van der Rohe 39, shared is more l’illustre parfaitement. Les ménages achètent donc moins cher un espace plus grand, gagnant jusqu’à 200% de surface d’appartement en plus tout en combinant 40% de moins de surface sur l’ensemble du bâtiment et 40% d’économie sur le coût de l’appartement à l’achat 40. L’équipe d’architectes ont appelé ça « habiter en grand ». C’est en somme construire plus densément tout en offrant plus de surface à chacun. C’est aussi une offre d’accéder à la propriété de manière différente et ce nouveau mode d’habiter s’adaptent aussi aux critère de notre mode de vie contemporain. Si nous partageons nos vélos, nos voitures, pourquoi ne pas partager aussi une partie de nos logements ? Adhérer à un logement co-résidentiel c’est cumuler plus d’avantages qu’un propriétaire classique ainsi que d’un locataire à la fois. C’est aussi malgré tout l’intention de vivre dans une petite communauté qui partagent, s’entraident et évoluent ensemble. C’est aussi dépasser le partage virtuel des réseaux sociaux pour vivre de façon plus responsable et plus humaine. En effet le projet s’ancre totalement dans une vison plus durable, à la fois par l’économie de surface par habitant mais aussi par l’économie d’énergie créée intrinsèquement par le partage de certaines fonctions (le nombre d’équipement électrique par foyer diminuant).
Les différents schémas familiaux selon STAR.
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Less is a bore Less is more 40 STAR stratégies + architecture (mandataire) et MONU Magazine on Urbanism / BOARD avec Elioth-Egis Group et Lyn Capital, CO-RESIDENCE™ ‘Habiter en Grand’, Avril 2013, 432p. Source p21. 39
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Si plusieurs typologies ont été conçue pour chacune des rénovations 41 elles sont toutes régies par un ensemble de principes architecturaux. Le premier et sans doute l’un des critères qui rend ces futures opérations aussi rentables et pragmatiques est la conservation de la structure porteuse existante. A celui-ci s’ajoute la suppression des couloirs entre les appartements, en effet un étage ne comprenant plus qu’une seule habitation les 7 à 8% de surface lui étant initialement sont alors récupérés. Ensuite, dans le détail de la typologie on remarque deux innovations commune avec Krafwerkt Heizenholz : les « espaces tampons »42 qui se déroulent autour des cellules personnelles, elle-même accrochée à la façade afin de capter la lumière naturelle, ainsi que la pièce en plus. Quant à son utilité pour l’adaptations aux changement de vie d’une famille on peut citer le dossier : « de plus, cette chambre peut être aussi utilisée à titre privé par les habitants de la co-résidence: comme chambre d’ami pour des parents, ou répondre aux besoins temporaires de la famille (hébergement d’enfants dans un couple divorcé), etc… »43. La diversité est aussi de mise dans ces logements, Enfin on peut noter que toutes les typologies sont judicieusement conçues pour être réversibles, et alors se transformer en plusieurs appartements distincts. L’image avancée par les concepteurs d’habiter en grand est que l’habitation est alors livrée avec un airbag.
Illustration du principe de co-résidence.
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Rénovation d’un haussmannien, d’un HLM, d’une maison ou d’un paquebot. Nommés ainsi par l’équipe STAR stratégie + architecture 43 STAR stratégies + architecture (mandataire) et MONU Magazine on Urbanism / BOARD avec Elioth-Egis Group et Lyn Capital, CO-RESIDENCE™ ‘Habiter en Grand’, Avril 2013, 432p. Source p138 42
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4.2. REHABILITATION HAUSSMANNIENE
La restructuration d’un logement type Haussmannien m’a durablement marqué et intéressé. Il s’agit de densifier Paris sans pour autant construire de nouveaux logements, une réponse viable et pragmatique aux demandes grandissantes de logements combinée à une réflexion sur la manière d’y habiter et de répondre aux besoins qu’expriment de plus en plus les nouveaux schémas familiaux. L’agence STAR avance deux arguments pour promouvoir et justifier le parti de la rénovation. D’une part il prend en compte trois appartements différents, deux d’angles et un trapézoïdal44, et d’autre part toutes les fondements, que nous avons vu à travers l’œil d’Emile Zola, restent intacts : structure, ouvertures, planchers ainsi que le nombre de pièces et leurs proportions. C’est alors une redistribution des espaces privés et partagés qui est opérée. Les séjours deviennent de grandes cuisines collectives, elles se placent dans les pièces plus nobles. Les séjours eux profitent de la fusion des différents appartements en une colocation pour s’insérer à la place des circulations et parfois des sanitaires. Les chambres restent à leurs places initiale, accolées à la façade. Elles se protègent grâce aux salles d’eau et sanitaires qui forment des bandes dites « tampons ». Ils sont une clé de voûte pour le fonctionnement de ces colocations : la garantie d’un espace privatif et protégé du regard des autres membres de la communauté permet le vivre ensemble. Le projet insiste aussi pour conserver les moulures, les cheminées et les espaces particuliers : longs et en courbes autour des escaliers et les rangements dans les angles. Ce sont ces éléments qui fabriquent le charme de l’immeuble haussmannien et qui créent en partie le désir de s’y installer.
Espaces privatifs, Nombre de colocataires partageant l’espace, existant et nouveau.
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Voir photos ci-dessus
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C’est aussi en partie pour ces raisons que ces réhabilitations sont à mon sens pertinentes et viables. On assistera à un retournement du rôle de l’haussmannien, qui sera comme à son origine un immeuble de rapport, non pas pour un seul propriétaire rentier mais pour un ensemble de résidents. Des résidents qui ne seront plus à la merci des contrats et bail de locations qui enchainent leurs économies et leurs salaires. Je pense que notre société ira naturellement vers ces nouvelles façons d’habiter, elle nous permettra d’accentuer nos réflexes d’économies d’énergie, de partage mais elle permettra aussi de limiter l’extension de nos villes. Un projet qui, en prônant ces valeurs, s’inscrit d’une manière volontaire dans la lignée de l’œuvre de Hans Widmer : Bolos’bolos, mais aussi dans le projet urbain avancé par la mairie de Paris. Mais à l’heure d’aujourd’hui le projet co-résidence est toujours en cours et une seule réalisation a été effectuée : un appartement dans un immeuble HLM de Sarcelles dont la mairie possédait quelques appartements vacants. Une autre réalisation concrète se situe à Brest et est attribuée à l’association Ekoumène.
Plan de rénovation un immeuble d’angle
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4.3. EKOUMENE
Le projet Ekoumène, lancé en 2007 se divise en deux grandes constituantes : une association du même patronyme créée en 2008 et une société civile immobilière créée en 2011. Les deux fonctionnent ensemble. Tout d’abord l’association, composée est des habitants ainsi que du « collège des amis »45, possède 99% du capital social de la SCI et gère les locaux dans leur entièreté. Les habitants sont tous membres de l’association, ils approvisionnent les comptes courants de la société civile immobilière et détiennent le pourcentage restant du capital social. C’est à titre gratuit qu’ils logent dans le bâtiment qui est la propriété de la Société civile et c’est que qui diffère avec le système suisse.
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Le collège des amis n’habite pas nécessairement le projet.
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Malgré la taille relativement limitée du projet, on compte dix adultes et 9 enfants, c’est une expérience extrêmement enrichissante qu’ils proposent. En effet l’enseignement à saisir est surtout le défrichage du terrain juridique que l’association a mené pendant près d’une année. Le débat c’est centré sur la question du statut de la société qui possèderait le bâtiment. C’est finalement une SCI qui a été statuée. Deux avantages ressortent : d’une part elle permet d’une part de partager le capital avec les membres d’Ekoumène et donc d’éviter une propriété directe par les habitants. D’autre part faire porter le projet par ce type de structures juridiques rassurent les banques qui n’ont pas assez confiance dans les associations pour leur accorder des prêts. C’est grâce à cet énorme travail réalisé en amont que les objectifs de non spéculation et de pérennisation ont pu être atteints, des objectifs qui étaient indissociables du projet pour les membres fondateurs. L’expérience Ekoumène nous permet alors de mieux comprendre pourquoi les coopératives sont si peu développée en France, et si le cadre légal s’ouvre peu à peu, les banque elles sont le principal frein aux projets menés. N’étant pas voué à la spéculation où à une course aux bénéfices les banques sont alors très hésitantes pour fournir les capitaux. C’est alors un message d’espoir que l’association Brestoise transmet aux trente milles architectes français mais aussi aux particuliers, en leurs disant qu’une alternative aux logement traditionnel est possible. Il est désormais possible de s’engager dans des projets à la fois durables et innovants à n’importe qu’elle échelle, que l’on soit architecte, entrepreneur ou bien un simple habitant. Je pense que la coopérative c’est finalement une nouvelle façon d’habiter en elle-même. Une façon d’habiter plus flexible plus adaptée à chacun et chacune car soucieuses de leurs besoins personnels et non des enjeux économiques.
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5. CONCLUSION
Afin de conclure ce rapport de licence il convient de rappeler que les schémas familiaux ainsi que leurs besoins évoluent extrêmement rapidement et ce depuis des siècles. Mais ces dernières années le logement voit de plus en plus d’expérimentations voir le jour et les réglementations juridiques s’adaptent au fur et à mesure. Kraftwerk 1 a lancé cette vague, une vague pleine d’initiatives individuelles mais aussi publiques. Nous avons pu comprendre grâce aux trois habitations suisses Kraftwerk Hardturm (1), Heizenholz (2) et zwicky süd (4) que les dispositifs architecturaux ne sont pas seulement une flexibilité spatiale interne à l’appartement mais que cela peut aussi venir de l’entièreté du logement collectif. La pérennité de Kraftwerk 1 prouve donc qu’avec une mixité des types de ménages induite dès le début du projet, ce type de réponse convient aux nouveaux besoins qu’ils expriment. Mais il ne faut pas oublier les typologies « cluster » qui participent pour beaucoup au caractère d’innovation dont font preuve les projets Heizenholz et Zwicky Süd et qui a fortement inspiré l’étude Co-résider que nous avons développé précédemment. Pourtant autant la coopérative a perdu une partie de son rêve utopique en passant à la réalisation, un ressentiment Si les acteurs publics suisses ont ancrés leurs positions dès le XXème siècle c’est beaucoup plus récemment qu’on y a assisté en France. En effet c’est bien dans le cadre d’un atelier de réflexion architecturale sur le logement français que l’agence STAR a pu développer son étude Co-résider « habiter en grand ». Je pense que l’enjeux aujourd’hui est de convaincre les autres acteurs de la construction et sans aucun doute l’un des plus important : les promoteurs et les maîtres d’ouvrage. En contrôlant presque la totalité de la construction de logement annuelle, il nous démontrent que c’est eux qu’il faut convaincre, les convaincre que ces nouveaux dispositifs, qui sont des nouveaux investissements, leur rapporteront autant où même plus. Il appartient aux architectes de promouvoir et mettre sur le devant de la scène les besoins des différents schémas familiaux, les mettre en lumière afin que les instances publiques y prêtent attention. Ainsi à la fois les architectes mais aussi les habitants auront plus de poids à exercer sur les promoteurs qui façonnent à leur guise le parc de logement français. C’est dans cette même visée que l’agence d’architecture PARC, dont l’un des associés est enseignant à l’école, a créé la revue Pragma. Elle est destinée en partie aux promoteurs pour montrer que les architectes savent engendrer de
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la richesse, qu’elle doit dans les réponses architecturales et dans l’analyse sociologique comme dans la rentabilité d’une opération. Enfin comme nous l’avons vu l’histoire de Kraftwerk est intimement liée à l’histoire économique et sociale de Zurich. Aujourd’hui en France l’un des débats les plus épineux concerne les zones péri-urbaines en proie à une urbanisation massive à l’américaine. Je suis intimement convaincu que ces deux débats doivent alors se penser de concert. Et, au vu des actualités politiques, notamment la nomination d’une ministre de la culture diplômée d’urbanisme, les coopératives prendront peut-être d’assaut les bourgs abandonnés. Enfin ce rapport d’étude m’a conforté dans mon choix de domaine d’étude, c’est-à-dire le DE Faire. Je suis convaincu que c’est en construisant que l’on pourra inventer et transformer de plus en plus. C’est par un certain pragmatisme de nos futures réalisations et expérimentations que nous saurons être convaincant.
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6. BIBLIOGRAPHIE
Martin Blum, Andreas Hofer & P.M., Kraftwerk1 : Projekt für das Sulzer-Escher Wyss Areal, Zurich, juin 1993 http://d-fiction.fr/2013/06/krafwerk-vers-un-nouvel-age-de-lacooperation/#footnote_0_13703 P.M., Bolo’Bolo, Paris, L’Éclat, 1999 (1983). P.M. «Kraftwerk1 – An Aproach to a Civilisation beyond Work» in: ‘Possible Urban Worlds – urban strategies at the end of the 20th century, Inura’, Basel, 1998. http://www.ekoumene.org/ekoumene/? http://www.lafriche.org/fr/les-lieux#2/2.2/14.5 Bietry (Léo), « Les coopératives d’habitation en tant qu’acteurs du développement urbain - Un regard sur Genève », mémoire de DESS, mars 2006, 91p Kurz (Daniel) et Maurer (Rolf), « construction de logement », Dictionnaire historique de la Suisse, disponible sur : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F13916.php Learning from Kraftwerk1, Adrien Poulain, mémoire de fin d’étude, février 2016 STAR stratégies + architecture, CO-RESIDENCE™ ‘Habiter en Grand’, Atelier internationaux du grand Paris, 2013. Thomas More, Island of utopia. George Routledge & Sons, (translated by Gilbert Burnet), 1885. Charles Fourier, la fausse industrie, 1835, ouvrage décrivant les phalanstères.
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7. ICONOGRAPHIE
P 9 : Bolo’Bolo’ PM, éditions de l’éclat, 1983. P 13 : Learning from Kraftwerk1, Adrien Poulain, mémoire. P 14 : http://www.kraftwerk1.ch P 14-17 : http://www.kraftwerk1.ch P 21-23 : STAR stratégies + architecture (mandataire) et MONU Magazine on Urbanism / BOARD avec Elioth-Egis Group et Lyn Capital, CO-RESIDENCE™ ‘Habiter en Grand’, Avril 2013, 432p.
P 25 : http://www.ekoumene.org
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Ce rapport de licence est un travail de réflexion sur des nouvelles façons de créer et concevoir des habitations plus proche des besoins des familles et des ménages. Une conception à l’opposé des immeubles de rapport haussmannien et des immeubles standardisés que construisent les promoteurs. Elle s’appuie sur les trois réalisations zurichoises de la coopérative Kraftwerk1. Des projets qui ont une forte résonnance en Europe et notamment en France lors des ateliers internationaux du grand Paris, où l’agence STAR Stratégie + Architecture développera un large dossier sur la co-résidence. Mais cette réflexion se porte aussi sur les initiatives plus intimistes que la coopérative Suisse a aussi fait émergé par son rayonnement. Des projets innovants, qui pourraient paraître utopiques mais qui sont pourtant parvenus à sortir de terre.
Mots-clés : Habitat, schémas familiaux, Kraftwerk 1, coopérative, utopie, partage, co-résider, expérimentation, 37