Le rapport au site - Mémoire

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PAUL WANG



PAUL WANG R A P P O R T

D ’ É T U D E S


Couverture: Sol et sols, arpentage de la dalle des Olympiades, octobre 2016


«J’aimerais construire dans le désert du Sahara. Probablement qu’en creusant les fondations, quelque chose apparaîtrait: des débris, une pièce d’or, le turban d’un nomade, des dessins indéchiffrables gravés sur le rocher. Alors l’occasion que je croyais enfin arrivée de pouvoir faire référence à rien, d’agir en toute liberté, serait remise à une autre fois. Il n’y a pas de désert et même s’il y en avait.»

Alvaro Siza, Des mots de rien du tout (recueil)



L E

R A P P O R T

A U

SIT E

1

Une intégration morphologique

2

Un ancrage abstrait

3

Terrain politique

4

Ancrage dans un territoire de ressources

Arpentage du corps Implantation parasite Intégration par mimétisme

Le paradoxe des intérêts contraires Le détachement Le site vertical et infini L’architecture mobile

Planification et dérive L’heure des choix Un organisme vivant Enjeu de société

Matériaux et rayons d’actions Résilience Tes déchets seront mes ressources



I N TR O D U CT I O N Le projet architectural est inévitablement confronté à son contexte, rapproché ou élargi, que l’architecte en tienne compte ou qu’il l’ignore. Aussi bien dans son aspect physique que sociologique, le site demande au concepteur une grande attention dans la mise en œuvre du projet. L’idée de traiter du rapport au site dans ce mémoire m’est venue à l’esprit lorsque j’ai réalisé que je n’avais pas du tout choisi de faire des études d’architecture pour cet aspect du métier. Je percevais l’implantation dans un site comme une question esthétique, et je négligeais des pans entiers de ce qui lie l’architecture à son territoire. Il me paraît important de parler de ce sujet aujourd’hui à travers les enseignements de licence qui m’ont forgé un regard neuf sur ce vaste thème. Je me rends progressivement compte que cette question est loin d’être uniquement un enjeu d’intégration physique, mais qu’elle englobe plus largement des enjeux économiques et territoriaux en plus d’un rôle de cohésion sociale fondamental. Les thèmes que j’ai choisi d’aborder dans ce rapport d’études sont ceux qui me tiennent à cœur et qui m’ont guidé tout au long de cette licence.



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UNE INTÉGRATION MORPHOLOGIQUE


UNE INTÉGRATION MORPHOLOGIQUE

arpentage du corps

Studio Gaëlle Breton, L1, 2015 Intensif sur la séquence des Invalides, Dominique Hernandez, 2015

L’analyse sensible d’un site est un processus qui nous suit tout au long de la fabrication du projet. Au départ, la première approche du site est une approche de sensations, d’images, de dessins, puis ces ressentis se cristallisent dans une lecture du site enrichie d’une analyse historique, sociologique, urbaine du site et son territoire. Elle se restitue dans un travail impressionniste qui rend compte des caractères les plus remar-

quables que l’espace produit sur le concepteur. L’initiation au travail d’analyse urbaine s’est faite en première année par des semaines passées en extérieur pour faire des croquis et relevés de la rue de Belleville, monter dans ses immeubles et arpenter ses séquences urbaines remarquables. Ce temps d’imprégnation du site nous servira de base pour nos premiers projets situés dans un contexte réel.



ARPENTAGE DU CORPS

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an-Marie Tjibaou Quai Jean-Marie Tjibaou

Parc Eli Lotar & rue Parc Lounès Eli Lotar Matoub & rue Lounès Ma

nt du quai en 2007 sous aménagement maîtrise d’ouvrage du quaimunicipale en 2007 sous maîtrise d’ouvrage municipale nt de la chaussée au rétrécissement profit des modes deactifs la chaussée et végétalisation au profit des modes actifs et végétalisation à la servitude de halage quai soumis à la servitude de halage

parc de 1,4 ha avec gestion des eaux parcpluviales de 1,4 ha avec gestion des eaux pluviales fermeture au public à 18h/19h (hiver/été) fermeture au public à 18h/19h (hiver/été) construction en 2003 dans le cadre de la ZAC des construction en Marcreux 2003 dans le cadre de la ZAC des M

e est trop raide, on ne«La peut passerelle pas traverser est trop avec raide, la poussette» on ne peut(CRpas traverser avec la poussette» (CR conseil de quartier 2013) conseil de quartier 2013) magnifique, mais ils construisent «La vue est magnifique, des immeubles mais auilsbord construisent du canal»des immeubles au bord du canal» nte pour les piétons, axe lieude dedéplacement détente pourpour les piétons, les cyclistes axe de déplacement pour les cyclistes

la coupe transect comme outil d’analyse

Studio Frédéric Bertrand, 2017

«Les WC publics sont condamnés,«Les les enfants sontsont obligés de rentrerles à la maison» WC publics condamnés, enfants sont o «Quand c’est fermé, on s’installe dans l’allée, oùfermé, il y a de bancs» «Quand c’est onnombreux s’installe dans l’allée, où il y «En été, la mairie installe des manèges surlalamairie pelouse» «En été, installe des manèges sur la pelous

Il est important d’enrichir l’analyse sensible par un arpentage à des heures différentes de la journée, jours de travail et de repos, pour comprendre la vie du quartier et la complexité des rapports humains. La rencontre informelle des habitants et usagers du quartier aide à l’appréhension des habitudes, attitudes, et la qualité des relations entre les gens.


V P

atoub

Marcreux

P bordure privée

V P/A

jardin privé ouvert

jardin privé P frontage Aprivéouvert S P

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P/AP

bordure privée parking jour

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de l’Echange Chemin de l’Echange Passage Chemin Machouart Rue Claude Bernard

Passage MachouartPassage Macho Rue

gabarit voie etsens sens unique gabarit voie et2*1 sens unique gabarit voie et stationnement bilatéral gabarit voie unique double stationnement unilatéral stationnement unilatéral impasse pour les PL cohabitation VL/piétons d’entonnoir de sortie du quartier voie d’entonnoir de sortie du quartier axe secondaire Plan vélo horizon 2020 impasse VL parvoie la topographie

gabari gabarit voie unique double sens gabarit voie unique double impass cohabitation VL/piétons cohabitation VL/piétons axe sec impasse VL par la topographie impasse VL par la topograp

obligés de rentrer à la maison» «on n’entend pas le bruit du [STTP]» «les amis ont du mal à trouver l’adresse» mobilier et signalétique liés à l’automobile mobilier et signalétique liés à l’automobile a de nombreux bancs» intensité de trafic très faible «deux voituresconflit passent difficilement» d’usage piéton/stationnement conflit d’usage piéton/stationnement se» conflit d’usage piéton/stationnement présence de longue durée front bâti ded’encombrants continuité importante front bâti de continuité importante

Ensuite, le travail a consisté à renseigner le travail avec des données démographiques, sociologiques, des informations variées, des déplacements à la pollution de l’air, de la composition du tissu urbain au répertoire des parcelles insalubres. Cet ensemble, réalisé collectivement, nous a permis de rassembler les caractéristiques

n’e «les amis ont du mal à trouver l’adresse» «les amis ont du mal«on à trou intens «deux voitures passent difficilement» «deux voitures passent diffi présence de longue durée d’encombrants présence de longue conflit durée

détaillées du site et de son environnement pour définir ce que notre programme d’habitation doit apporter à ce quartier, les maillages et fonctions sociales qu’il doit y greffer, ou bien les qualités du territoire qu’il pourra exploiter.


UNE INTÉGRATION MORPHOLOGIQUE

une implantation parasite Studio Armand Nouvet, 2016

interdépendance du programme et du site L’occasion s’est présentée d’explorer un thème insolite à travers un projet dans le village fantôme de Goussainville. L’intervention se situe sur un tissu urbain ancien, délaissé depuis la construction de l’aéroport de Roissy en 1974. Notre objectif a été d’accompagner la reconquête du territoire en créant un nouveau village sur les bases du patrimoine existant. Le travail d’équipe a porté sur la conception d’un projet de société qui propose une vie en communauté alternative et durable. La réflexion a aussi porté sur l’intégration urbaine et sociale de la population préétablie. Ainsi, programme et site se sont construits après une

large réflexion sur les fonctions sociales que nous voulions accueillir dans notre architecture, ainsi que la répartition spatiale de celles-ci dans le village. Ainsi, j’ai eu la responsabilité de choisir un lieu répondant aux exigences du programme, ce qui est suffisamment rare dans le cadre institutionnel pour en reconnaître l’enjeu. Collectivement, nous avons décidé de répartir nos interventions dans l’ensemble du village, de ne pas concentrer l’action dans le coeur de village et de conserver les dents creuses existantes dans l’espoir d’une transformation sur le temps long par les habitants eux-mêmes.



UNE IMPLANTATION PARASITE

une nouvelle société dans un tissu ancien Tel un champignon sur une souche, construire en prenant racine dans un autre bâtiment peut mettre en lumière la présence d’un potentiel non exploité, ou d’un besoin non assouvi. Une telle implantation est opportuniste, pas forcément de façon péjorative, dans le sens où elle se veut complémentaire à son hôte. Le parasitisme devient alors symbiose. Parfois, c’est une intervention ponctuelle, qui ne vise qu’à transformer son hôte, et non l’environnement autour. Alors, contrairement à ce que son nom peut laisser entendre, «parasite» ne signifie pas «proliférante». Parfois, l’intervention est plus complexe, toujours dans le soin des structures de la ville existantes. Une multitude d’interventions ponctuelles, minimalistes, suturent la ville et investissent un

tissu urbain mort avec une nouvelle société. Un tel projet se révèle être un engagement politique, celui de mener une rupture sociétale dans une coquille vide issue d’une société passée. Il s’agit de reconquérir un creux urbain riche de son histoire. La communauté qui a crée ce lieu est partie, ne laissant que les pans architectural et urbain de sa culture et son mode de vie. Alors, à partir de ces accroches du passé peut se matérialiser une société alternative. Ce studio a été exceptionnel dans mes études car il s’agit de ma seule expérience d’un travail collectif, dans un cadre où notre volonté sociale et politique commune nous a permi de nous implanter consciencieusement dans le territoire.


Pour accueillir des logements participatifs et une salle de conseil, le site idéal est un petit terrain au centre du village, à la limite entre la ville habitée et la ville abandonnée. Attenant aux bâtiment se trouve une cour anglaise donnant sur une aire de stationnement pavée. L’idée a alors germé de donner un rôle de place centrale à ce parking, d’installer dans la continuité de la cour anglaise un lieu de rassemblement et de décision, la salle du conseil. Ce lieu est le coeur politique de la communauté.


UNE IMPLANTATION PARASITE

dés-équilibre précaire Projet personnel, 2014

Je fais un saut dans le temps. Du temps où je n’avais pas encore commencé les études, du temps où je savais déjà, depuis longtemps, que l’architecture serait mon orientation. Un refuge de montagne, niché sur une falaise du Vercors. La réflexion s’est portée sur la tension d’un espace intérieur qui s’expose à une nature sauvage. Entre la peur du vide et la fascination du paysage, le spectateur est plongé dans un double dispositif composé de «canons à paysage» et de grandes baies vitrées qui offre une expérience en immersion. Dans cette recherche de stabilité, je me retrouve avec

une implantation précaire, et quelque peu déséquilibrée. Installé à flanc de la montagne, une composition arborescente n’empêche pas une image de parasite. L’édifice n’existe que par son environnement. Son implantation est ponctuelle, voire précaire, et il ne pertube pas spécialement l’écosystème du territoire. Pourtant, planté au milieu d’une étendue de non -artificiel, il détonne dans le paysage et son avancée horizontale dans le vide rompt avec la verticalité du lieu. Ce projet soulève l’imaginaire de la confrontation plus que celui d’une symbiose; un reflet du fantasme hégémonique de l’être humain.



UNE INTÉGRATION MORPHOLOGIQUE

intégration par mimétisme

Jacques Labro, Avoriaz Stations de sports d’hiver, urbanisme et architecture Charlotte Perriand, Les Arcs Visite personnelle des sites

Passionné de la montagne, je me suis intéressé à son aménagement au cours de mes expériences dans les Alpes, en été ou en hiver. Natif de la région, je me suis plongé dans le livre «Stations de sports d’hiver» publié par l’ex-région Rhône-Alpes à mes heures perdues. J’ai eu l’occasion de visiter certains de ces laboratoires d’altitude. Dans les années 1960, le développement des stations de skis industrielles est un formidable laboratoire de recherche architecturale pour des concepteurs issu du mouvement moderne tel que Charlotte Perriand, elève de Le Corbusier. Son immeuble «Cascade» réalisé aux Arcs est une série de formes couchées dans les pentes en adret, permettant une disposition des logements en gradins afin de minimiser les ombres portées.

À Avoriaz, les immeubles à la volumétrie fragmentée de Jacques Labro dialoguent avec le paysage escarpé des falaises de Morzine par une étonnante carapace de bois qu’il appelle la «façade toiture». Cette volumétrie organique s’intègre de façon éléphantesque dans le site et ne dévoile pas les dispositions intérieures des habitations. En hiver, l’ensemble recouvert de neige se confond avec le sol. L’enracinement dans le site va jusqu’à la prise en compte de l’écoulement des eaux - de manière comparable au travail de Roland Simounet dans son travail de façade sur ses projets urbains. Ces eaux, dans un parcours long et doux, s’écoulent dans un débit pouvant être absorbé par les sols calcaires du plateau.


Les Dromonts, Avoriaz, Jacques Labro, 1966 RĂŠsidence la Cascade, Arc 1600, Charlotte Perriand, 1968

photos Eric Dessert



apprendre de la morphologie du contexte Studio Janine Galiano, 2017

Contrairement à ce que j’ai pu croire, le mimétisme de l’environnement bâti ou non bâti n’est pas une simple question d’intégration visuelle ou de facilité formelle. Que ce soit un environnement bâti ou non bâti, le principal objectif est de tirer des leçons du site naturel ou du travail de conception des architectes avant nous. En montagne, le poids et l’écoulement des précipitations dessine un relief érodé, dont l’architecte peut s’inspirer pour en dessiner la peau de son bâtiment. Dans le travail avec Janine Galiano, avec ma coéquipière Alexandra, nous sommes allés arpenter les dédales et coursives des «Étoiles» de Jean Renaudie et Renée Gailhoustet à Ivry-surSeine, dans le voisinage du site sur lequel nous travaillions. La décomposition de l’ensemble de logements en un empilement

de formes triangulaires, dans une forme de montagne habitée, nous a fortement inspiré. Ce n’est pas la forme qui a été notre source d’inspiration première dans le travail de Jean Renaudie. Dans le concept de montagne habitée que nous avions dégagé, nous étions particulièrement attentif aux dispositifs de circulation en boucles à travers le grand ensemble, à la luminosité et aux espaces extérieurs que permettait la disposition en volumes décalés. Enfin, situé au bord du faisceau ferré d’Austerlitz, il s’agissait aussi de rompre le bruit en ouvrant les espaces sur des patios. Alors, nous avons mis en oeuvre cette idée en cristallisant ces enjeux sous une forme nouvelle, qui se distingue formellement du contexte, qui nous a cependant inspiré par sa réponse conceptuelle aux contraintes du site.



2 UN ANCRAGE ABSTRAIT


UN ANCRAGE ABSTRAIT

le paradoxe des intérêts contraires Théories de la modernité, Françoise Fromonot et Marie-Jeanne Dumont, 2017 Studio Armand Nouvet, 2016

Lors de notre travail sur le village ancien de Goussainville, je décèle une contradiction non négligeable dans notre choix d’implantation; notre choix de s’insérer sur ce site, pour le patrimoine qu’il représente, se révèle incohérent dès que l’on étudie les intérêts vis à vis du territoire. En élargissant le cadre, on se rend compte que ce territoire est occupé par l’aéroport de Roissy, énorme infrastructure qui génère des nuisances telles qu’elle est responsable de la désertification de ce même village. Alors, le site reste exceptionnel, mais coincé dans un territoire aux contraintes inextricables.

Le plan voisin de Le Corbusier pour le cœur ancien de Paris pose la question des intérêts contradictoires du site lorsque l’on considère différentes échelles. Il est implanté dans une ville mais prévoit d’en démolir l’ensemble du centre pour construire des «villes-tours» dédiées à l’économie de service. En élargissant, il conçoit aussi des immeubles pour remplacer les habitations autour des tours avec des barres de logements. Alors, dans l’objectif de répondre aux exigences d’un grand territoire, qui demande à avoir un cœur économique digne du XXème siècle, il se retrouve à construire dans un site extrêmement contraint, où la seule façon d’implanter son projet de ville est de faire table rase de la ville existante.


Le Corbusier, Plan Voisin, 1925


UN ANCRAGE ABSTRAIT

le détachement

Intensif photo sur la Dalle des Olympiades, Dominique Hernandez, 2016 Théories de la modernité, Françoise Fromonot et Marie-Jeanne Dumont, 2017

L’architecture hors-sol trouve sa concrétisation dans l’architecture sur dalle du quartier des Olympiades. Ici, l’architecture construit son propre site par dessus le site existant, formant un socle épais par dessus lequel sont érigées les tours. L’architecte Michel Holley considère cette dalle comme un site artificiel par dessus le site originel, dans l’épaisseur duquel il intégre tout un tas de fonctions qui - dans son idéal - devraient être invisible dans la ville. Ainsi, nous pouvons lire cette opération de deux manières: vu de l’extérieur, c’est une mégastructure avec un épaisseur de logistique et une épaisseur d’habitations; vu de la dalle, c’est un sol,

avec des fonctions techniques dissimulées en dessous et des tours de logements implantées au dessus. Inévitablement, on atteint un seuil où l’épaisseur de la dalle se heurte à une limite, celle de l’îlot, au delà de laquelle le sol reprend ses droits, sur la terre ferme. À la frontière entre ces deux sols, l’épaisseur de la dalle se dresse telle un cisaillement de plaques tectoniques, exhibant les strates sous l’espace public de la dalle. Pour le visiteur piéton, la perception du seuil se fait une première fois lorsqu’il monte sur la dalle, puis une seconde fois lorsqu’il pénêtre dans la tour. Pour l’automobiliste, il n’y a qu’un seuil.


Sol et sols, arpentage de la dalle des Olympiades, 2016


UN ANCRAGE ABSTRAIT

le site vertical et infini

Théories de la modernité, Françoise Fromonot et Marie-Jeanne Dumont, 2017

Le rêve de pouvoir créer du sol à l’infini établit les bases d’une architecture hors sol, ou le site pourrait être cloné autant de fois que le gratte-ciel comporte d’étages. Le ‘theorem of stacked city’ est une allégorie de tour aux étages vastes dans laquelle chaque étage accueille librement des constructions, usages et usagers différents, dans un ensemble qui forme une sorte de ville verticale. Rem Koolhaas s’en inspire dans ses dessins pour la tour Downtown Athletic Club, ou il représente une lobotomie de la tour, close dans un monolithe homogène, mais dont les étages se transforment au gré des évolutions. Ainsi 34 itérations du sol se succèdent pour offrir un foncier infini dans l’urbanisme contraint de New York.

Archigram a exploré l’idée de la mégastructure sous une autre forme, celle de la «Plug-in City», projet dans lequel Peter Cook imagine un grille monumentale tridimentionnelle, où s’implantent des «pods» porteurs de fonctions sociales, des éléments de logistique, d’industrie, dans un ensemble en perpétuel mouvement et dans un système consumériste. Le collectif ira encore plus loin en la personne de Ron Herron avec la «Walkingcity»; la ville s’implante dans un site qui est lui même mobile dans le territoire. La perte des repères spatiaux traditionnels trouve ici son incarnation, dans un rapport au contexte qui n’est plus direct avec le sol, mais dépendant d’une interface elle même artificielle et décollée du sol.


Theorem of stacked city, Life Magazine, 1909


UN ANCRAGE ABSTRAIT

l’architecture mobile

Histoire de la ville 1950 - 2000, Virginie Picon-Lefebvre, 2017

Dans le rapport au site, il est rarement évoqué la question du poids de l’architecture. Pourtant, j’ai découvert à travers les cours de théorie que Buckminster Fuller à exploré ce thème à travers ses recherches sur l’architecture légère et mobile. Dans une société d’individus où il théorie un aménagement du territoire sans la ville, Buckmins-

ter fuller dessine la maison Dymaxion, maison préfabriquée, suspendue sur un mât, dont l’ancrage au sol se limite à cette colonne centrale qui connecte la maison aux réseaux et relie l’habitant à sa voiture. Ce système s’implanterait dans l’ensemble du territoire, et permettrait la mobilité des personnes et de l’architecture.


Buckminster Fuller, la maison Dymaxion, 1927



3 TERRAIN POLITIQUE


TERRAIN POLITIQUE

planification et dérive

La poursuite d’une plan local d’urbanisme, plan issu du projet d’aménagement et de développement durable, lui même établi sur les bases du schéma de cohérence territoriale, forme un cadre bureaucratique très réglementé pour la construction de bâtiments. Deux images se pourchassent: la planification, qui projette un idéal de la ville à l’horizon d’un demi siècle, et la situation actuelle de la ville, qui poursuit sa lente progression suivant le chemin de la planification. La planification ne survit jamais à son achèvement.

Sans préavis, elle peut décider d’accélérer, de changer de direction voire de faire marche arrière, suivant les volontés politiques élues tous les six ans. Or la deuxième avance - certes lentement - mais avec de l’inertie; ce qui est commencé doit être fait, et ce qui est fait ne peut être défait. Alors la ville change, mais son objectif aussi, suivant des trajectoires décalées. Cette course laisse derrière elle une situation où les choses sont inachevées et parfois décousues. Voici l’histoire de la ville.



TERRAIN POLITIQUE

l’heure des choix lectures Luc Doumenc, 2017

Le maître d'ouvrage public a pour mission de planifier l'aménagement d'un territoire, y décider des polarités et maillages, dans l'objectif de répondre à un programme social et politique. Elle ne peut imaginer un programme hors sol, bien défini mais répondant à des besoins flous, puis sélectionner un terrain où l'implanter, dans un quartier qui ne saurait l'intégrer. Inversement, lorsque l'institution n'a plus la maîtrise du foncier, elle est contrainte à agir dans l'urgence, au gré des opportunités foncières, et atterrit sur un site pour un projet architectural avant même d'en avoir défini les fonctions sociales qu'il va accueillir. Alors, le choix tombe

sur un terrain dont les contraintes financières et d'expropriation sont les moins gênantes. Du haut de la mairie, la vue sur le territoire se doit d'être avant tout celle des hommes et des liens sociaux, avant d'être celle des terrains et du foncier. L'institution commence par déterminer un programme volontariste, répondant à des besoins localisés. Dans le même temps, au sein de ce périmètre sont étudiés des sites qui répondent aux exigences de ce programme. En concertation avec les habitants se construit alors les fonctions sociales qui vont se produire dans ce lieu, mais aussi les liens que ce projet va tisser


avec la ville, son rôle de polarité ou de maillage du tissu urbain. Dans les studios de projet auxquels j'ai participé, je suis souvent confronté à un programme prédéfini au mètre carré près dans un site tiré au cordeau. Alors, la matérialisation du projet commence à un stade très avancé, au stade où les études du contexte social, culturel, urbain et historique ont déjà apporté la plupart de leurs réponses. En effet, l'analyse de site est le socle à l'établissement d'un programme et au choix d'un terrain accueillant. Libéré de cette tâche, je suis paradoxalement emprisonné dans un cadre rigide, privé de

tout un tas d'élément permettant mon appréhension du projet. Cela mène à des situations où le programme ne rentre pas dans le site de la manière dont je l'aurais souhaitée, des situations où je doute de la nécessité de certains éléments de ce programme au regard du territoire dans lequel il va s'implanter. Alors, la confrontation entre un programme et son site est une chose passionnante à démêler. Pourtant, elle l'est encore plus lorsque notre travail en amont nous permet d'amender le programme et de définir les contours du site.


TERRAIN POLITIQUE

un organisme vivant Aldo Rossi, Architettura della città

Le terme de contexte est récurrent dans notre processus de conception du projet. Aldo Rossi conteste l’utilisation du mot contexte pour justifier un ancrage formel, timide dans un tissu ancien issu de doctrines passée. Il analyse la ville comme le résultat d’une stratification historique complexe, et prône une architecture qui ose changer le cadre existant et modifier les tracés anciens. Très critique du terme de «contexte», il lui préfère le mot «lieu», qui évoque non seulement l’idée d’un point singulier dans l’espace, mais aussi le point d’articulation entre l’architecture et son environnement.

Rossi explique son désaccord avec l’exemple du façadisme, bâtiments neufs portant comme masque une ancienne façade sur la rue. Ce procédé porte en lui une forme d’illusion, et de désillusion, dans la mesure où il est une mise en scène plus que de l’urbanisme, et en cela il impose de dissocier l’architecture des fonctions sociales qu’il s’y produisent. Préserver le patrimoine historique en conservant une silhouette de la ville ancienne et en dépouiller les entrailles, transforme la ville en une sorte de décor: «Que trouvons-nous derrière ces opérations? Une répugnante mise en scène, souvent vide de sens»


Aldo Rossi, Citta’ Analoga, 1976


TERRAIN POLITIQUE

enjeu de société

Etude de l’opération de rénovation urbaine «Basilique», Saint Denis

La prise en compte du contexte se base aussi sur les réalités économiques, sociales et sociétales du territoire. Ici, le choix politique a été de conduire une rupture architecturale et urbaine pour permettre la survie d’une société établie. La coquille change, l’organisme reste. Projeter la ville, c’est projeter un mode de vie. Ainsi commence mon cours sur le langage de la ville contemporaine (Virginie Picon-Lefebvre).

ne pas restaurer le bâti dans le cadre d’une trame urbaine maintenue, mais de bouleverser l’urbanisme de ce quartier insalubre et pointé du doigt.

Au cours de ce dernier semestre de licence, nous sommes partis arpenter les immeubles du centre ville rénové de Saint Denis dans le cadre du studio de Frédéric Bertrand. L’enjeu est ici de résorber un centre ancien insalubre, de mener une rupture urbaine tout en préservant une continuité sociale et économique. A l’inverse du projet de Goussainville, il s’agit ici de préserver la population établie, de redynamiser les acquis de la société ancrée dans la ville. La révolution se mène au niveau urbain, le choix a été fait de

Alors, des milliers de logements s’érigent pour une population de classe moyenne et modeste, avec 90% de logements désignés aujourd’hui comme ‘logements sociaux’. Pôle commercial de premier ordre dans la région parisienne, la municipalité Saint Denis s’inscrit dans la continuité de ce contexte économique et construit au cœur de ce nouveau quartier un centre commercial de grande ampleur. Le patrimoine de la Basilique est mis en valeur par une nouvelle trame urbaine qui offre des vues et des percées vers l’édifice.


AMC n°43, 1977

AMC, 43, 1977



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ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE DE RESSOURCES


ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE DE RESSOURCES

matériaux et rayons d’action stage en agence chez r2k architectes, Grenoble, juillet 2016

Le choix des matériaux reflète une forme d’ancrage dans un grand territoire, un territoire de ressources et de contraintes. Dans ma région natale, les massifs alpins offrent des ressources inépuisables de bois de construction, Grenoble est reconnue pour son industrie historique du ciment Vicat, et le Dauphiné est le berceau français de la construction en pisé. En agence, la prise en compte du bilan carbone d’un bâtiment s’appuie notamment sur le choix des matériaux de construction. A première vue, cette question peut sembler éloignée de la notion théorique de rapport au site, mais elle a toute sa raison d’être dans un contexte de préservation des ressources et

activités économiques locales, aspects non négligeables dans le métier de l’architecte contemporain. Le stage que j’ai réalisé auprès de l’agence r2k à Grenoble a été enrichissant à ce niveau. Travailler dans une agence spécialisée dans la construction en bois m’a sensibilisé aux contraintes liées au territoire et à la situation géographique d’un site. Selon les mots de Véronique Klimine, l’architecture contextualisée et écologique puise ses racines dans l’étude du milieu dans lequel elle s’inscrit. A Grenoble, l’utilisation du bois des Alpes apparaît comme une évidence dans la construction, non seulement en altitude mais aussi en ville.


un paquebot dans la ville, une évidence dans le territoire

Lycée des Eaux Claires, Grenoble r2k architectes, 2013 photo Véronique Klimine


MATÉRIAUX ET RAYONS D’ACTION

Ici se situe la distinction entre une intégration dans le site et l’ancrage dans le territoire élargi. Tout comme le béton a été un matériau de construction proéminent dans les stations de sport d’hiver au XXème siècle, le bois entre dans la ville de façon assumée, en tant que matériau économiquement et socialement vertueux. Les emplois liés à l’exploitation du bois des Alpes ne sont pas délocalisables, mais peuvent disparaître sans la volonté des architectes et des pouvoirs publics. Cette filière incarne la mise en œuvre de circuit court dans les métiers du bâtiment. Le projet est alors profondément ancré dans son territoire par son impact sur l’économie locale et sur la préservation des emplois de la région. Ce stage m’a fait découvrir le bois dans une autre dimension que celle de simple matériau de construction. Loin des caractéristiques du béton, il entre pleinement dans la conception du projet et permet des quali-

tés esthétiques, spaciales, et de confort inatteignables avec d’autres matériaux. Le bois offre une amélioration du confort hygrothermique et de la qualité de l’air, une résistance thermique performante, une résistance au feu importante et des délais de mise en œuvre courts, facteurs décisifs dans la construction en milieu urbain, et notamment pour des bâtiments publics. Cependant, les décideurs sont toujours quelquefois réticents à l’idée d’assumer la présence visuelle du bois dans un bâtiment, craignant à tort une mauvaise tenue dans le temps ou une mauvaise réception par la population. Ainsi, la présence du bois en façade fut une des raisons invoquée par le jury lorsque r2k a perdu le concours d’un immeuble d’habitation en bois dans la ZAC Flaubert à Grenoble. Si l’insertion dans la ville pose problème, l’enracinement dans le territoire, lui, ne souffre d’aucun doute.



ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE DE RESSOURCES

résilience

窰洞, Shanxi, Chine photo Claire Anquez


L’implantation des peuples anciens dans l’espace est certainement une des formes les plus abouties d’ancrage dans un territoire, selon un climat, un sol, une culture et des ressources locales. La mobilité limitée des peuples et des ressources ont amené chaque communauté à inventer des solutions circonstanciées, des innovations d’ampleur locale. L’architecture vernaculaire en devient fascinante lorsque l’on s’attarde à la beauté et la simplicité de la résolution du site. Ici, au nord de la Chine, le voyage nous remonte à la dynastie des Xia il y a 2200 ans, à l’origine des Yaodong. Dans la province du Shanxi, des habitats troglodytiques se sont installées le long de la vallée du Fleuve Jaune sur des plateaux de loess, terre sédimentaire, peu fertile et facile à creuser. Bâties sur des terrains plats, la forme la plus répandue de Yaodong est celle du «puits», composée d’une cour creusée dans le sol avec des habitations elles aussi excavées dans les parois du puits. Aucun matériau

de construction n’est acheminé d’ailleurs. Cet habitat répond toujours autant, si ce n’est encore mieux, aux exigences actuelles d’implantation sur ce territoire. Énergétiquement efficace, il n’occupe pas de terre agricole, et sa construction est économe en main d’œuvre et en ressources. Alors, on cherche à actualiser cette architecture vernaculaire pour répondre à de nouveaux programmes, hôtels, habitats collectifs. Les fouilles réalisée ont révélé très peu de vestiges des habitats les plus anciens, beaucoup n’ont laissée presque aucune trace de leur existence. Cette aisance à se restituer à la nature met en lumière la résilience de cette architecture vernaculaire. Paradoxalement, la notion de résilience est très rarement évoquée comme un critère dans le développement durable aujourd’hui. Notre présence ne saurait être qu’éphémère sur ce territoire, alors notre action en tant qu’architecte se doit de ne pas fermer la porte à une restitution du terrain à la nature.


programme

1

jour

Attribution du matériel et des parcelles

jour

Construction des maisons de terre par équipes, hors d’eau, hors d’air

4

La terre retourne à la terre

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Aménagement des espaces communs

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Accueil du public et programmation culturelle

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La villes des terres Bellastock, juillet 2017 image dossier de presse


ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE DE RESSOURCES

tes déchets seront mes ressources exposition «Terres de Paris», décembre 2016 festival du Bellastock, à venir

"La ville des terres" est le nom donné à l'édition 2017 du festival du Bellastock organisé autour de la question du réemploi de matériaux usés. Cet été, nous irons sur un site en friche au nord de Paris, sur l'île Saint Denis, investir de façon éphémère un interstice temporel entre des industries sur le départ et un village olympique en devenir. Olympique, seulement si Paris en remporte les Jeux de 2024, dans le cas contraire l'interstice temporel pourrait s'éterniser. Dans cette période d'incertitude, le Bellastock profite du moment de flottement pour nous inviter à investir un terrain pollué qui regorge de déchets de construction, issu du terrain et de parcelles voisines. L'implantation dans un grand territoire, impose d'étudier son état actuel et les ressources qu'il nous pro-

pose, mais aussi d'observer les mutation en cours et nous inscrire dans ce mouvement. Sous sa forme contemporaine, l'architecture vernaculaire ne se limite plus à construire à partir du sol, mais à partir du territoire. L'idée est de réfléchir à la façon dont l'architecte peut puiser dans les mutations du territoire et en tirer profit pour son projet. Les rebuts de l'un sont les ressources de l'autre. Ainsi commence une activité circulaire à échelle régionale. Tout est une question d'équilibre. D'ici 2030, le Grand Paris Express aura régurgité quarante millions de tonnes de terre; cela mérite une réponse de grande ampleur, dont l'enjeu est d'autant plus important que la filière de la construction en terre a quasiment disparu et que ce matériau n'est plus dans notre culture d'habiter.




S Y N TH È S E Le projet architectural est une interface entre l’homme et son environnement. C’est une peau protectrice, qui matérialise des espaces intérieurs en relation avec le contexte immédiat. Ainsi, l’implantation de l’architecture dans le site pose non seulement la question de l’insertion du bâti dans l’environnement, mais soulève la problèmatique de l’intégration de l’homme et la société humaine dans son territoire. Le travail du concepteur répond à des enjeux - entre autres - politiques, sociales, économiques, environnementales. Au cours de ces trois années de licence, j’ai eu l’opportunité d’explorer ces thèmes à travers la question de l’ancrage dans le site. Je considère que dans son métier, l’architecte formule une réponse par rapport à un site et une situation qui lui est indissociable. Dans toute sa complexité, cette situation intègre des aspects géographique, urbain, historique, mais aussi des aspects sociologique, politique, culturel, dont la perception n’est pas physique et pourtant tout aussi concrête dans la réalité du lieu. Intégrer ces facteurs dans la réflexion permet de tisser un rapport au site à plusieurs échelles, dont la plus élémentaire est l’être humain en société, et dont la plus grande dépasse les frontières du territoire.


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