ISSN 0997 6922
N°192 - 1,50 € Février - Mars 2008
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Un cocufiage en règle Fin octobre dernier, à Paris, s’est déroulé un événement à portée historique-mondial, bien que relevant aussi du carnet mondain : les épousailles de l’écologie et de l’économie, de Mme la Terre avec Monsieur le Capital. Baptisé « Grenelle de l’environnement », il avait été soigneusement préparé par des semaines de concertation entre les représentants des deux partis, MEDEF en tête d’un côté, associations, organisations et mouvements écologistes de l’autre. Et la cérémonie avait été célébrée en grande pompe par Bouffon Imperator* en personne, sous le haut patronage de Saint Nicolas Hulot, et couvert comme il se doit par les médias unanimes pour en souligner l’importance en tirant des salves d’éditos tous plus louangeurs les uns que les autres. Certes, certains esprits chagrins avaient déjà fait remarquer alors que Monsieur le Capital avait soustrait du contrat de mariage certains éléments importants de son patrimoine. Il n’avait été question ni de sortir du nucléaire (pas question de peiner EDF et Areva) ni de dire non aux agrocarburants (pas question de pénaliser la FNSEA), bien au contraire. Ainsi, les déchets nucléaires étaient-ils d’emblée autorisés à continuer à s’entasser en polluant la planète pour les siècles des siècles ; tandis que les agrocarburants réputés « verts » devenaient la réponse de choix au réchauffement climatique, et ce alors même qu’ils constituent une catastrophe écologique potentielle au regard de laquelle on finira par regretter celle générée par l’usage des combustibles fossiles. Les mêmes esprits chagrins faisaient aussi remarquer que les termes du contrat de mariage étaient souvent remarquablement flous quant aux obligations imposées à Monsieur tout en restreignant souvent les prétentions de Madame. Ainsi donnait-on la priorité au recyclage des déchets ménagers sur leur incinération… tout en autorisant la construction de nouveaux incinérateurs, à condition de prouver que c’est « un ultime recours ». Quant à la taxe carbone, le seul engagement était d’en « étudier la création ». Dans ces conditions, il était prévisible que Monsieur le Capital reprenne rapidement ses mauvaises habitudes contractées lors de sa longue vie antérieure de célibataire, sans considération aucune pour ses engagements bien faibles envers sa nouvelle conjointe. Le tout avec la bénédiction de l’Etat, pourtant garant en principe du respect des engagements matrimoniaux. Ainsi, au mépris des promesses faites, de multiples projets de construction ou d’extension d’autoroutes (autour de Bordeaux, à travers les Landes, à travers la Moselle pour joindre Luxembourg, autour de Grenoble, à travers la Haute Savoie, entre Chartres et Tours, etc.), pour certains antérieurement abandonnés, sont mis ou remis sur la table par les DDE (directions départementales de l’équipement). Quant au projet de loi visant à interdire la culture des OGM, il vient d’être parlementairement modifié, en première lecture, en loi autorisant cette culture par le Sénat. Gageons que l’Assemblée nationale, qui doit l’examiner début avril, aura à cœur de bétonner cette nouvelle autorisation à polluer notre environnement. Bref, moins de quatre mois après son mariage, Mme la Terre est bel et bien cocue ! Et, avec elle, tous les naïfs garçons d’honneur écologistes qui avaient tenu sa traîne lors de la cérémonie de cet automne. Ils ne restent plus qu’à pleurer avec elle sur sa vertu outragée. * Cf. Alain Brossat, Bouffon Imperator. Les cent (premiers, hélas) jours du Bouffon morbide, Editions Ligne, 2008.
La campagne «Sauver le Darfour» est une vulgaire arnaque Par Bruce Dixon (traduit par Jean-Marie Flémal); texte disponible sur le site de Michel Collon (http://www.michelcollon.info )
Dix raisons expliquant pourquoi « Sauver le Darfour » est une arnaque de relations publiques destinée à justifier les prochaines guerres américaines pour le pétrole et les matières premières en Afrique. Les clameurs constellées d’étoiles du type "Sauver le Darfour" et "Faites cesser le génocide" ont suscité beaucoup de tirage parmi les médias américains et ont bénéficié en même temps du soutien des deux partis au Congrès et de celui de la Maison-Blanche. Mais le Congo, avec dix ou vingt fois plus d’Africains tués dans la même période, n’a pas droit à l’appellation de "génocide" et il passe quasiment inaperçu. Le Soudan s’étend au-dessus d’immenses lacs de pétrole. Il dispose de vastes gisements d’uranium et d’autres minerais, d’importantes réserves d’eau et il occupe une position stratégique à proximité d’autres gisements pétroliers et ressources naturelles en Afrique. Il est une question qu’on ne pose pas : Le gratin républicain et démocrate de notre politique étrangère ne se sert-il pas des plaintes pour génocide et des appels en faveur d’une "intervention humanitaire" pour faciliter la voie vers les prochaines guerres pour le pétrole et les ressources naturelles ! du continent africain ? La fabrication régulière et l’entretien constant de fausses réalités au service de l’Empire américain est l’une des fonctions premières de la profession des relations publiques et des médias traditionnels. Quant à savoir si, oui ou non, les infos sont bidon lorsqu’elles parlent de remèdes miracles, qu’elles expliquent comment des substances chimiques toxiques sont bonnes pour votre santé, que des présentateurs et des journalistes achetés discourent à propos des bénéfices de l’opération contre l’enfance abandonnée, que des stars holywoodiennes prônent l’intervention militaire pour sauver des orphelins américains ou que d’habiles campagnes de propagande recourent à de néfastes techniques de marketing pour tendre la main aux étudiants des collèges, aux internautes, aux églises et aux citoyens ordinaires, une chose est certaine, il est des plus utiles d’examiner soigneusement ce que dissimulent toutes ces façades. Parmi les toutes dernières réalités falsifiées qu’on a mises sous le nez des citoyens américains figurent les images simplistes des noirs face au génocide arabe au Darfour et la solution qu’on a proposée : une robuste intervention militaire soutenue et dirigée par les États-Unis au Soudan occidental. Il convient d’accorder une attention croissante au lobby et à la coalition soutenant "Sauver le Darfour", à ses fondateurs, ses finances, ses méthodes et motivations et sa crédibilité. Dans l’intention de favoriser cet examen, nous présentons ici dix raisons de soupçonner que la campagne A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
"Sauver le Darfour" est une arnaque de relations publiques destinée à justifier une intervention américaine en Afrique.
1. Ce ne serait pas le premier gros mensonge que notre gouvernement et la crème de nos médias nous racontent pour justifier une guerre. Les plus âgés d’entre nous se souviendront sans doute de l’incident du golfe du Tonkin, délibérément provoqué par le gouvernement américain pour justifier le déclenchement de la guerre du Vietnam. Ce prétexte fut suivi rapidement par le besoin d’aider la toute jeune "démocratie" en lutte au Sud-Vietnam, ainsi que par l’absurde slogan toujours très utile : "Combattez-les là-bas afin que nous n’ayons pas à le faire ici". Plus récemment, des gens payés avec les deniers publics ont diversement expliqué les bombardements, l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak, les qualifiant de nécessaires parce qu’il fallait "avoir Bin Laden" afin de venger le 11 septembre et qu’il fallait prendre des mesures afin d’ôter les "armes les plus dangereuses au monde" des mains des "régimes les plus dangereux du monde". En outre, ces mesures devaient donner à la "démocratie" irakienne en lutte la possibilité de se tenir sur ses deux pieds et elles étaient donc nécessaire! s, parce qu’il valait encore mieux "les combattre là-bas plutôt que d’avoir à le faire ici". 2. Ce ne serait même pas la première fois que le gouvernement américain et la crème des médias emploient la "prévention du génocide" pour justifier une intervention militaire dans une région riche en pétrole. En 1995, l’intervention militaire des États-Unis et de l’Otan dans l’ancienne Yougoslavie était prétendument une opération de "maintien de la paix" visant à arrêter un génocide. Le résultat durable de cette campagne est Camp Bondsteel, l’une des plus grandes bases militaires de la planète. Les États-Unis sont pratiquement le seul pays au monde à maintenir des bases militaires à l’extérieur de ses propres frontières. D’une superficie de presque quatre cents hectares, Camp Bondsteel assure à l’armée américaine la capacité de positionner à l’avance d’importantes quantités d’équipement et de matériel capables d’atteindre les gisements pétroliers de la mer Caspienne, les itinéraires des oléoducs et les importants couloirs maritimes de cette zone du monde. Bien des gens croient également que c’est le site de l’une des prisons secrètes et autres centres de torture des États-Unis.
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3. Si mettre un terme au génocide en Afrique était réellement à l’ordre du jour, pourquoi se focaliser sur le Soudan, avec de 200.000 à 400.000 morts, plutôt que sur le Congo, avec cinq millions de morts ? "La notion prétendant que la mort d’un quart de million d’habitants du Darfour constitue un génocide et que celle de cinq millions de Congolais n’en est pas un est immorale et absurde", déclare la militante congolaise Nita Evele. «Ce qui s’est passé – et se produit toujours – au Congo n’a rien d’un conflit tribal ni d’une guerre civile. C’est une invasion. C’est un génocide avec un tribut de cinq millions de vies humaines, soit vingt fois plus qu’au Darfour, et il a été lancé dans le but de piller les richesses minérales et naturelles du Congo. "Plus que tout, l’application sélective et cynique du terme "génocide" au Soudan, plutôt qu’au Congo où de dix à vingt fois plus d’Africains ont été massacrés, révèle la profondeur de l’hypocrisie qui entoure le mouvement "Sauver le Darfour". Au Congo, où des gangsters, des mercenaires et des seigneurs de guerre locaux prêtent main-forte à des armées d’invasion venues de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de l’Angola pour se lancer dans des massacres, des viols collectifs et le dépeuplement de la région à une échelle qui écrase tout ce qui se passe au Soudan, tous ces acteurs rivalisent frénétiquement pour assurer que se poursuivent sans dérangement l’extraction du coltan, vital pour les ordinateurs et téléphones cellulaires de l’Occident, l’exportation de l’uranium pour les réacteurs et armes nucléaires de l’Occident et le pillage des diamants, de l’or, du cuivre, du bois et des autres ressources congolaises. L’ancien ambassadeur des États-Unis Andrew Young et George H.W. Bush (le père) font tous deux partie du Conseil d’administration de Barrick Gold, l’un des plus importants et actifs groupes miniers opérant dans un Congo déchiré par la guerre. Il est bien évident qu’au vu de l’afflux vers l’Occident des bénéfices réalisés dans l’extraction brutale des richesses congolaises, aucun "génocide" congolais ne vaut la peine qu’on le mentionne et, surtout, qu’on s’en mêle. En ce qui concerne leurs objectifs, les planificateurs stratégiques américains peuvent considérer leur modèle congolais comme le moyen idéal de s’emparer des richesses africaines à un coût minimal et sans devoir se soucier d’une présence militaire officielle des États-Unis sur le terrain.
4. Tout tourne autour du pétrole soudanais Le Soudan et, plus particulièrement la région du Darfour, s’étend sur un immense lac de pétrole. Mais les gisements de pétrole soudanais ne sont pas mis en valeur et exploités par Exxon, Chevron ou British Petroleum. Ce sont des banques, des compagnies pétrolières et des sociétés de construction chinoises qui font les prêts, opèrent les forages, posent les oléoducs pour envoyer le pétrole soudanais là où elles veulent qu’il aille, et prennent bien trop de décisions. Aux yeux des planificateurs américains, une intervention de l’US Army et de l’Otan devrait résoudre ce problème. 5. Tout tourne autour de l’uranium, de la gomme arabique et des autres ressources naturelles qui font la richesse du Soudan. L’uranium est vital pour l’industrie des armes atomiques et il est un combustible essentiel pour les réacteurs nucléaires. Le Soudan possède des gisements d’uranium de haute qualité. La gomme arabique est un ingrédient essentiel des produits pharmaceutiques, des bonbons et des boissons du type Coca-Cola et Pepsi, et les exportations soudanaises de cette marchandise constituent 80 % de son volume mondial. En 1997, lorsque le gouvernement américain a envisagé des sanctions écrasantes contre le Soudan, les groupes de pression de l’industrie se sont dressés pour obtenir des exemptions qui permettraient de garantir leurs approvisionnements en cette précieuse marchandise soudanaise. Mais une présence militaire des États-Unis et de l’Otan à l’intérieur même de ce pays constitue une garantie plus sûre de ce que l’extraction des ressources soudanaises, à l’instar de celles du Congo, puisse affluer vers les États-Unis et l’Union européenne. 6. Tout tourne autour de la position stratégique du Soudan. Le Soudan est situé en face de l’Arabie saoudite et des États du Golfe, où se trouve, pour les quelques années à venir, une part importante du pétrole mondial facilement exploité. Le Darfour a des frontières communes avec la Libye et le Tchad, qui ont leurs propres ressources pétrolières importantes; il est à distance de frappe de l’Afrique occidentale et centrale et, de plus, sa position fait qu’il est susceptible d’accueillir un oléoduc. Le Nil traverse le Soudan avant d’entrer en Égypte et la partie sud du Soudan dispose aussi de ressources hydrographiques d’une grande importance régionale. Avec la création d’Africom, le nouveau commandement militaire américain pour le continent africain, les États-Unis ont dévoilé ouvertement et explicitement leurs intentions de poser une empreinte stratégique sur le continent. À partir de bases soudanaises permanentes, l’armée américaine pourrait influencer la politique et l’économie de l’Afrique pour la génération à venir. A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
7. Les fondateurs du mouvement "Sauver le Darfour" et ceux qui le soutiennent ne manquent pas de fonds, puisqu’il s’agit dans les deux cas de gens du gratin de la politique étrangère américaine. Selon une histoire parue dans le Washington Post, la coalition "‘Sauver le Darfour’ a été créée en 2005 par deux groupes inquiets à propos du génocide dans ce pays africain – l’American Jewish World Service et le Musée américain du Mémorial de l’Holocauste (…) La coalition possède une équipe de 30 personnes spécialisées en politique et en relations publiques. Son budget pour le dernier exercice fiscal était de 15 millions de dollars (…) ‘Sauver le Darfour’ ne souhaite pas révéler combien elle a dépensé exactement pour ses publicités qui, cette semaine, ont tenté de couvrir de honte la Chine, le pays d’accueil des JO de 2008, afin qu’elle réduise son aide au Soudan. Mais une porte-parole de la coalition a parlé d’un montant se chiffrant en millions de dollars". Bien que la campagne de relations publiques de "sauver le Darfour" emploie des techniques de marketing particulièrement efficaces en faisant appel aux étudiants des collèges et même à des internautes noirs, elle ne constitue pas un phénomène émanant de la base, comme l’était le mouvement luttant contre l’apartheid, voici une génération. Fortement alourdi de chrétiens évangéliques qui annoncent la fin du monde avec la prochaine guerre et d’éléments bien connus pour leur soutien inconditionnel à l’implantation d’Israël au Moyen-Orient, le mouvement "Sauver le Darfour" est on ne peut plus clairement un phénomène monté par l’establishment, une campagne de propagande qui dépense des millions de dollars chaque mois pour fabriquer le consentement à une intervention militaire américaine en Afrique sous le prétexte de vouloir faire cesser ou empêcher un génocide. 8. Pas un centime des fonds levés par la Coalition "Sauver le Darfour", le navire amiral du mouvement, n’est consacré à aider les Africains nécessiteux du Darfour même, affirment des articles publiés à la fois dans le Washington Post et le New York Times. "Pas un centime des fonds collectés par ‘Sauver le Darfour’ n’est destiné à aider les victimes et leurs familles. En lieu et place, la coalition dépense ses deniers à tenter de convaincre avant tout les gouvernements à agir. 9. Les partisans américains de "Sauver le Darfour" ne sont pas intéressés par d’éventuelles négociations politiques qui pourraient mettre un terme à la guerre au Darfour. À plusieurs reprises, le président Bush a tenté ouvertement de saboter les pourparlers de paix visant à mettre fin à la guerre au Darfour. Même des universitaires partisans d’une intervention et des organisations humanitaires actives sur le terrain ont critiqué les États-Unis parce qu’ils mettaient en danger le personnel
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de l’aide humanitaire et parce qu’ils poussent avec succès les clans rebelles du Darfour à refuser les pourparlers de paix et à proposer eux-mêmes une intervention des États-Unis et de l’Otan. Cette campagne de relations publiques, très habile, richement financée et progressant sans à-coups dépeint de façon simpliste le conflit comme étant strictement une affaire raciale dans laquelle les Arabes, généralement méprisés dans les médias américains, exterminent la population noire du Soudan. Mais, en fait, un grand nombre de ces "Arabes" soudanais – et même les Janjawids – sont noirs également. En tout cas, ils ont été armés et excités par un gouvernement qui a le pouvoir de les désarmer s’il le veut et qui a également le pouvoir de négocier s’il le veut. Des négociations ne garantissent jamais rien, mais un refus de participer à des négociations évite toute voie vers un arrangement politique entre Soudanais et ne laisse ouverte que celle de l’intervention militaire des États-Unis et de l’Otan.
10. La firme Blackwater et les autres firmes américaines de mercenaires, qui sont les ailes armées non officielles du parti républicain et du Pentagone, proposent avec impatience leurs services comme faisant partie de la solution dans la crise du Darfour. "Chris Taylor, responsable de la stratégie chez Blackwater, affirme que sa société détient une banque de données reprenant les noms de milliers d’anciens policiers et militaires prêts pour des missions de sécurité. Il affirme en outre que le personnel de Blackwater pourrait établir des périmètres de sécurité et garder les villages et camps de réfugiés du Darfour dans le cadre de missions de soutien aux Nations unies. Les responsables de Blackwater disent qu’il ne faudrait pas trop d’effectifs pour contrer les Janjawids, une milice soutenue par le gouvernement soudanais et qui attaque les villages à dos de chameaux. "Apparemment, Blackwater n’a pas besoin de se rendre au Congo, où la faim et la malnutrition, le dépeuplement, les viols de masse et la disparition des écoles, des hôpitaux et de la société civile dans de vastes zones sans lois dirigées par une bande sans cesse changeante de tueurs à gages africains (tel le fils du non regretté Idi Amin), le tout sous le voile d’un silence médiatique complice, constituent déjà le parfait environnement propice aux affaires et permettant de pomper les immenses richesses de ce pays. Dans ces vastes régions d’Afrique cataloguées "non gouvernés" par les planificateurs stratégiques américains, cherchez vous-mêmes des endroits où l’on pourrait adopter ce modèle congolais. Ne vous attendez toutefois pas à en apprendre davantage dans votre quotidien du soir ni à en savoir plus à leur sujet par la bouche d’Oprah, de George Clooney ou d’Angelina Jolie.
Approfondir le débat sur « l’auto organisation » Nous avons publié, dans le numéro de janvier, l’article "Le sentier tortueux de l’auto-organisation" de nos amis d’Alternative libertaire, ainsi qu’une brève sur "les enjeux de 2008", sur lesquels je voudrais revenir afin de contribuer à enrichir notre réflexion. Il me semble qu’il faut éviter le dessèchement de nos analyses en réduisant l’interprétation des luttes à l’opposition abstraite, générale, binaire, des "bureaucraties syndicales" d’un côté, au "mécontentement massif" de l’autre, qui ne parviendrait pas à exprimer toute sa force. De même, l’article comporte certes des éléments de jugement intéressants sur l’état du mouvement étudiant, soulignant "la participation importante aux AG" mais la faible implication des étudiants" dans les actions et manifestations, l’opposition entre, d’une part, l’administration universitaire, les organisations de droite (étudiants contre le blocage, UNI, Stop la grève), les "gourous charismatiques", les délégués auto proclamés et, d’autre part, la masse des étudiants "pas (suffisamment) convaincus de la nécessité de ces mobilisations". Ces oppositions mériteraient d’être explicitées sur le plan des idées en confrontation et sur leur influence réelle. L’idéologie dominante, celle qui en l’occurrence laisse penser que la loi LRU ne porterait pas atteinte aux intérêts des étudiants qui doivent d’abord étudier, celle qui prétend que la lutte n’est ni légitime, ni démocratique, tout comme la bureaucratie syndicale, ne doivent pas être "contournées" mais récusées. Les étudiants n’étaient certainement pas convaincus dans leur masse de la nécessité de faire la jonction avec les cheminots, d’autant que cette lutte était elle-même défensive. Dans le même esprit, limiter "les enjeux de 2008" à une vision économique et institutionnelle abstraite me semble réducteur : "Lutter plus pour gagner plus" et faire trébucher le Gouvernement ou le syndicalisme" évitent de poser la question des conditions d’émergence sur la scène politique d’un sujet social qui conteste et dénie toute légitimité au pouvoir et à ses épigones bureaucratiques. S’il est partiellement vraisemblable que la "force du mouvement se joue avant le mouvement", l’on ne saurait par conséquent négliger la repolitisation des lieux" comme préalable à leur effervescence. Toutefois, bien qu’elles ne soient pas sans effet, les idées radicales ne sont pas en elles-mêmes le moteur de la radicalisation politique. La question, à m on s ens , qu’il faut s e pos er A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
concrètement, compte tenu de la nature du mouvement que l’on examine, c’est de savoir s’il est en capacité de mettre en cause le jeu ordinaire des institutions, d’en appeler objectivement puis subjectivement à une crise de régime, bouleversant ainsi le jeu d’alliances et d’oppositions politiciennes tout en dépassant les calculs et les tentatives d’apaisement de ceux qui s’y prêtent, en les marginalisant, en récusant leur prétendue légitimité. Ce (ou ces) mouvement(s), comme processus chaotique, est une production collective qui, pour être en mesure de perdurer, doit faire l’expérience de sa propre force et de son attractivité. Elle doit pouvoir transformer les manières de penser et d’agir, de se regrouper et de s’unir à d’autres forces sociales. Cette dynamique implique des interactions démocratiques, "expurgeant au sein de ces lieux", les idées de l’idéologie dominante et ajustant ces actions continuellement pour diviser l’adversaire et se préparer efficacement aux affrontements à venir. Eviter l’isolement, gagner les faveurs de l’opinion publique, rallier d’autres couches sociales, les faire participer au combat commun contre le pouvoir, requière en effet des modalités d’actions spécifiques et la clarification à chaque étape des buts poursuivis.
voir a pu jouer habilement des divisions, de la faiblesse des organisations se réclamant de l’émancipation sociale. A aucun moment, la légitimité de Sarkozy n’a été mise en cause : il ne s’agit pas de se tromper d’adversaire ni de contourner ses épigones, mais de les disqualifier. S’il est toujours difficile, sur le moment, de savoir comment s’opère, de manière massive, la libération de discours de rupture, il est certain que nous n’avons pas à réduire la pertinence de nos interventions à une technique de contournement des bureaucraties, des gourous ou autres délégués auto proclamés. La bataille politique se situe sur le plan des idées, dont ils sont porteurs, et sur l’objectif qu’il faut s’assigner. Les mouvements qui ne manqueront pas d’éclore, devront pouvoir, pour le moins, s’assigner comme objectif de provoquer une crise de régime. Pour faire court, il convient de répandre l’idée, déjà largement partagée, qu’il est intolérable d’attendre 5 ans pour se débarrasser de Sarko. En 68, on proclamait pour De Gaulle 10 ans, ça suffit !". Pour Sarko, un an, c’est déjà trop, c’est intolérable. Comme le dit l’éditorial du numéro de janvier, il est temps de "siffler l’histrion", ce "piètre illusionniste"
Cette radicalisation, comme mouvement d’auto émancipation, A Lure, au cinéma Méliès, le vendredi 28 ne repose pas seulement mars 2008 à 20h30, projection du film sur les acteurs ou sur une avant-garde, mais également sur cette part d’impondérable que sont les réactions du pouvoir, des bureaucraties" syndicales, Après la projection du film de Jean-Michel Carré, de leurs bévues, de leur débat sur la souffrance au travail en présence de autoritarisme. Elles aliMichle Berthet (chercheur à l’INRS : Institut National mentent dès lors les indide Recherche et de Sécurité). gnations nécessaires à la « Comment se fait-il qu’on n’y arrive plus, qu’on mobilisation qui permettent court toute la journée ? Parce que le temps des de dire l’illégitimité des opérations de montage ont été réévaluées par le classes dominantes et du chronométreur » « Certains ouvriers ont un poste pouvoir qui les représente, trop chargé. Même en courant toute la journée, ils de médire sur leurs agisn’arrivent pas à effectuer toutes les opérations. sements, tout en sachant D’autres postes sont à la limite des possibilités phyque le camp adverse rissiques et de l’habileté des ouvriers… » « …dans le que de maudire ce mouvenouveau système productif, il n’y a plus d’OS, plus ment "anarchique" qu’il de chef, plus de balayeur. Nous sommes tous des « n’arrive plus à contrôler. agents ». Il ne faut plus considérer le chef comme un Le mouvement contre supérieur hiérarchique, mais comme une sorte d’anila loi LRU, comme celui mateur. Un grand frère. Un copain… » « La nouvelle des cheminots, sont restés technique de la maîtrise est de modeler les ouvriers défensifs, l’indignation potout en finesse jusqu’à ce qu’ils acceptent euxpulaire contre le processus mêmes leur condition d’esclaves modernes » de précarisation de la soExtraits de « Grain de sable sous le capot. Résistance ciété, pas assez forte pour et contre-culture ouvrière » de Marcel Durand ed. Agone. conforter la conviction de La soirée est organisée par les AES et les Amis du la nécessité d’une mobiliDiplo. Contact : Odile-Mangeot@wanadoo.fr Tél 03 84 30 sation d’ampleur. Le pou-
« J’ai très mal au travail »
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L’espoir fait survivre Les propos de Sarkozy sur la religion ont de quoi inquiéter le mouvement social. Alors qu’en matière de religion et de spiritualité son prédécesseur déléguait son épouse aux messes des cathos intégristes, c’est sous couvert de tolérance que Sarko oecuménise et programme la soumission des cerveaux aux cultes les plus variés. Ou comment éteindre les Lumières pour cacher la misère et mieux étouffer les résistances. La loi de 1905 du cabinet WaldeckRousseau a vécu sous sa forme actuelle, estiment Sarkozy et ses collaborateurs, ce qui, couplé à ses interventions auprès du pape et à Ryad, a lancé la polémique. Pourtant il existe en Alsace Moselle la survivance des concordats accordés par Napoléon, puis renouvelé par l’Allemagne (dont le dernier a pris effet en 1908), sur ce bout du territoire français, et qui laisse pas mal d’avantages aux divers clergés et systèmes séculiers. La laïcité est-elle en danger en France ? Ou n’at-elle jamais vraiment existé ? Quand on regarde l’oeuvre des divers ministres qui se sont occupés de la "moderniser", on n’a jamais abouti qu’à de grands débats de vocabulaire, histoire de bien définir qui aurait la responsabilité de bouter hors du système scolaire les jeunes filles voilées. C’était jusqu’il y a quelques semaines le combat laïc qui occupait la société, pardon l’école.
Combat de catchéschisme A cette occasion, ou plutôt en ces occasions, on a pourtant manqué l’anecdotique qui révélait le point d’articulation de la rupture tranquille: du Jules Ferrysme forcené, qui consistait à élever un culte à l’Etat, puis plus tard à la ligne bleue des Vosges pour faire récupérer l’Alsace et la Lorraine à un Etat qui manquait de matières premières (mines de fer, potasse, charbon), on passait au Luc Ferrysme détendu, qui consiste pour l’homme d’Etat moderne à préfacer du Kant en mettant ostensiblement ses enfants dans le privé. Ou plus exactement, nous sommes passés de l’opposition à une Eglise qui privait l’Etat d’une partie de son pouvoir, à l’exaltation d’une spiritualité intime qui permet d’asservir les consciences, inattaquable car relevant d’un choix "privé". On sait que le passage d’une éducation religieuse à une éducation laïque reste une référence indépassable pour l’Etat bourgeois, car c’est un des moments où il se forge sa propre légitimité, donc pose une pierre d’achoppement qui lui permet encore des décennies plus tard de se définir comme progressiste – narcissique regard dans le rétroviseur qu’est ce lieu commun à tous les ministres de l’Education que de saluer la mémoire du colonialiste Ferry pour y saluer une prise de pouvoir au forceps. Inculquer des valeurs, voilà le mot d’ordre, et A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
pas n’importe lesquelles : Les "races inférieures" ou "supérieures"(1) de Julot, l’Alsace-Lorraine conquise pour les patriotes de la chambre bleue horizon de 19, la liberté garantie par le marché aujourd’hui. Successeur immédiat du dernier défenseur (en date) de la laïcité Lucky Luc, De Robien met aussi ses gosses dans le privé, puisqu’il est acquis qu’on peut le faire même en étant kantien et en agissant "selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle"(2 . Tous dans le privé, Dieu reconnaîtra les siens.
Les enfants du paradis Pour ceux qui n’ont pas réussi l’évasion vers un "paradis" fiscal, reste l’autre facette de la religion, la "spiritualité". Vers quoi se tourner quand la justice sociale fait défaut ? La drogue spirituelle, le plus artificiel des paradis. Nietzsche enfonçait à son époque des portes ouvertes en criant que l’Au-delà ne peut être une justification de l’ici-bas. Sarkozy est doucement en train d’enlever la cale qui les tenait ouvertes: lorsqu’il considère le curé
comme le porteur des valeurs morales, qu’il agite "l’espérance" comme salut. Ce n’est plus ici-bas que les hommes et les femmes luttent pour construire, c’est dans un après-mort hypothétique, en lequel il faut avant tout "croire", qu’ils sont sauvés par une divinité toute-puissante. Pour ceux que l’eschatologie orthodoxe rebute, qui ne se satisfont pas d’images pieuses, pas de problèmes non plus. L’important est de croire, et de ne surtout pas regarder devant son nez. Tant qu’il y a un destin, il y a des destinées, et donc
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des inégalités de fait. On ne corrige pas une destinée, on se remet à la chance, au hasard, à l’"espérance", on joue au loto. On ne se bat pas. Les usines ferment, la roue de la française des jeux tourne. Il ne reste que la résignation, le nihilisme, qu’on ne trouve pas uniquement dans nos "spiritualités" occidentales. C’est une résurgence de la pensée magique enfantine, "si je ne cligne pas des yeux pendant onze secondes, je rattraperai la balle". Cette même pensée magique qui a fait des divinités des éclairs dans tant de mythologies: ça me dépasse, ça ne dépend pas de moi, je ne comprends pas, ça doit être divin. Et en avant Zeus, Thor, la destruction de Sodome et Gomorrhe. A ce stade, continuons de relire Bakounine pour voir quelle est la source de l’aliénation: l’ignorance. En lieu et place d’un combat contre l’organisation religieuse, c’est un combat contre la religion qui seul permet alors aux hommes et aux femmes de rester libres.
L’irraison du plus fort Toute la force de la religion tient en elle-même à ce qu’elle ne fait pas appel à la rationalité. Les dogmes, les mythes religieux sont souvent alambiqués, et il est souvent facile à l’esprit un peu cultivé de combattre efficacement leur cohérence. Mais c’est justement arrivés à ce point que la théologie moderne revient à la charge. Cupitt (né en 1932), théologue sceptique, se détache de la croyance en dieu ou en un quelconque christ, et y substitue un "besoin impératif de religion, [une] nécessité de choisir une religion, [une] soumission à ses exigences et [un] sentiment libérateur de transcendance qu’il nous procure"(3). C’est dans cette voie que le simple "l’homme qui croit, c’est celui qui espère" de Sarkozy devient très dangereux. Il s’attaque à la raison comme fondement intellectuel de l’organisation sociale, et l’absurdité qui en prend la place peut justifier tout et n’importe quoi. Le créationnisme pourrait alors être enseigné tout aussi bien que le sont les sciences aujourd’hui. La croyance est une pensée performative (dire ou penser je crois, c’est accomplir l’acte de croire) qui tourne en boucle, et est justement l’opposé de toute ouverture intellectuelle, même si elle justifie l’intérêt de Sarko pour l’existence d’une représentation musulmane à l’image de la représentation catholique et protestante. A terme c’est tout système spirituel qui se
Depuis de nombreuses années, les éditos d’ACC et d’AL sont publiés dans les deux revues. Nous publions ci-dessous l’édito d’ “Alternative Libertaire” n°170 (février 200 8), ainsi que la mention d'un ouvrage qu'Al vient de rééditer. En novembre dernier Alternative Libertaire a changé de formule. Disponible par abonnement et en kiosque (ils sont plus nombreux à être desservis), AL coûte dorénavant 2 euros. Le tarif de l’abonnement est lui aussi en baisse : 20 euros pour un an.
voit accordé une importance égale à la pensée rationnelle qui prône analyse, remise en cause des dogmes. On remplace par credo, ce "je crois" qui est croyance, le cogito premier chez Descartes, le "je pense" qui est réflexion et avait pu balayer Dieu comme n’étant pas dans la sphère de connaissance. Le credo doit alors être attaqué, d’autant plus qu’il n’est pas innocent. La croyance devient l’un des facteurs de l’aliénation, non seulement de l’aliénation de l’individu qui croit, mais de l’aliénation de tous.
Aide-toi et le ciel t’aidera Lorsque Sarkozy projette d’établir un système à l’américaine, dans lequel "athée" est au mieux une case à cocher à la ligne "religion professée" d’un formulaire, il sert avant tout des intérêts de classe. Le rationalisme et le matérialisme contournés par les multiples interprétations, reprendre en main les rênes de nos vies, de la production industrielle, agricole et tertiaire est une gageure qui se heurte à la "liberté de croyance" de chacun. Et surtout qui se heurte au capitalisme mis en place par les patrons, "l’horizon indépassable de l’humanité", auquel on est prié de croire, ou de la fermer et de garder ses objections pour soi. La main invisible du marché est avant tout une de ces pensées magiques enfantines, qui permet d’établir une religion du marché pour lui-même, transcendante. Son action relèverait presque pour les économistes capitalistes de ce que la philosophie kantienne appelait le nouménal, ce qui n’est pas observable mais existerait au-delà de la connaissance. Par un phénomène de renversement sémantique analogue à ceux qu’analyse Alain Bihr dans La Novlangue néolibérale, cette action divine inexplicable, ce deus ex machina - qu’on le retrouve sur le marché ou à l’origine de sa propre réussite - Sarkozy l’appelle "Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère"(4). On peut le prendre en partie au pied de la lettre: dieu n’existant pas, ce sont bien les hommes qui s’asservissent les uns les autres, pour les bénéfices du capitalisme – lequel libère les marchés ou la concurrence, mais c’est bien tout. L’insistance sarkozyste, programmée par son entourage, en faveur des "spiritualités", que ce soit du new age post-moderne, du catholicisme bien facho, de la scientologie à billets verts ou l’adoration d’un panthéon, est intéressée, et pas seulement par la pensée d’un contrôle étatique des clergés. Car en mêlant le droit des affaires au droit divin, on obtient la "méritocratie", qui pérennise l’inégalité, couverte en "affaire privée", en destin raté, en malchance que corriger relève de l’interprétation personnelle du karma. Certain capitalistes cyniques – il paraît qu’il en existe – poussent la foi jusqu’à croire en eux-mêmes et faire du culte de leur propre pouvoir une justification de leurs actes.
Quand le virtuel met à mort le réel Des spéculations portant sur des dizaines de milliards d’euros, des gains ou des pertes qui défilent à la vitesse d’une météorite, des banques qui prennent la planète pour une machine à sous… voilà l’envers pourri de la façade rutilante de l’économie-casino, que tout le monde semble découvrir suite aux mésaventures de la Société générale. La banque a vite fait d’attribuer ces 4,9 milliards partis en fumée à la folie des grandeurs d’un jeune trader ! Façon de ne pas avouer que c’est l’ensemble du système qui est en cause. Qu’est-ce que la bourse ? Un marché où s’échangent des actions d’entreprises du monde entier. La bourse ne crée pas de richesses, elle est un acteur passif de leur redistribution permanente. Qu’est-ce qu’un trader ? Un no-life sous amphétamines qui, rivé à son écran, achète et revend des actions plusieurs milliers de fois par jour en essayant de grappiller un peu de profit à chaque fois. Lui non plus ne crée aucune richesse. Son rôle social est purement parasitaire puisque son labeur ne consiste qu’à essayer de détourner une petite partie de la richesse produite, elle, par des travailleuses et des travailleurs bien réels. Autour de ce petit univers virtuel de chiffres défilant sur des écrans d’ordinateur, il y a l’économie réelle, le vaste monde où l’éclatement d’une bulle spéculative peut avoir des répercussions sociales catastrophiques pour des régions entières, chasser de leurs logements des dizaines de milliers de personnes, mettre des entreprises en faillite et mettre des millions de travailleuses et de travailleurs au chômage. Alors, c’est pas beau le capitalisme ? AL, fin janvier 2008
Secouer les chaînes de la transcendance Qu’apparaît-il en filigrane de cette réflexion? Qu’il convient d’abord de briser le réflexe de la croyance en valorisant l’action collective, et en récupérant les espaces de communication. Il existe un grand danger d’isolement des individus. Il semble donc essentiel de retrouver des moyens de promouvoir l’analyse et la réflexion comme fondant la liberté individuelle et collective. Le capitalisme nous place face à une difficulté sémantique dans nos discours, la différence entre croyance et réflexion. L’action collective vers un but commun peut vite être perçue comme issue d’un réflexe d’ "espérance" au lieu de donner lieu à une réelle construction. Cela souligne la nécessité de débats et d’échanges à tous niveaux, pour une réappropriation de soi en même temps qu’une réappropriation des objets des luttes, des moyens d’action, des outils de production. Il n’y a pas de messie révolutionnaire, il n’y a pas de transcendance dans la lutte sociale ou dans le mouvement social. Le dépassement du capitalisme par un autre type de société doit nécessairement prendre en compte ces facteurs à chacune de ses étapes. Josquin, Alternative Libertaire Alsace 1 Jules Ferry, "Discours du 28 Juillet 1885" 2 Emmanuel Kant, "Fondements de la métaphysique des moeurs", 1785 3 Don Cupitt, cité dans "Paradise News", Lodge, 1991 4 Nicolas Sarkozy, discours dit "de Riyad" A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
Lire : Fontenis, " Changer le monde " AL réédite les mémoires de Georges Fontenis, "Changer le monde". Fontenis a été secrétaire général de la Fédération anarchiste dès 1946, et une des têtes de file des "Jeunes anarchistes" qui, pétries de la lecture de Berneri, d'Archinov et de Malatesta, voulaient révolutionner une FA jugée poussiéreuse. Elles et ils y parvinrent, mais pour peu de temps. La FA, rebaptisée Fédération communiste libertaire (FCL) allait être liquidée par la répression d'État durant la guerre d'Algérie. Le livre de Georges Fontenis est à ce jour le meilleur témoignage - le plus documenté, le mieux charpenté, le plus autocritique aussi - sur l'anarchisme français de cette période. Il nous fait revivre la Libération, les grandes grèves de 1947, 1953 ou 1955, la guerre d'Indochine, la guerre d'Algérie, et bien sûr, Mai 68. Incarcéré en 1957, l'auteur reprendra du service en 1968 dans le mouvement communiste libertaire et il est toujours, à bientôt 88 ans, adhérent d'AL. Cette réédition, préfacée par l'historien David Berry, voit son prix presquedivisé par deux par rapport à la précédente. Georges Fontenis, "Changer le monde, histoire du mouvement communiste libertaire" (1945-1997), éditions d'AL, 288 pages, 11 euros.
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Révoltes dans les quartiers populaires (2ème partie) Les raisons de se révolter demeureront Les laissés-pour-compte de la restructuration du capitalisme sont concentrés dans les quartiers populaires construits dans les années 70 qui sont devenus des lieux de relégation urbaine où se concentrent les populations les plus fragilisées : ouvriers français qui n’ont pu accéder aux zones pavillonnaires par l’accession à la propriété, français d’origine étrangère et travailleurs immigrés de fraîche date. En effet, le tournant dit de la rigueur, opéré en 1983, marque le ralliement aux politiques néo-conservatrices et la fin de la période au cours de laquelle prévalait une politique de relative redistribution des richesses produites et la possibilité pour les classes populaires de concevoir leur trajectoire de vie comme une ascension sociale pour soi-même et pour sa progéniture. Libéralisation des capitaux et forte désindustrialisation ainsi que l’introduction de nouvelles technologies et de l’automatisation se sont conjuguées, favorisant les délocalisations et l’externalisation d’activités sous forme de sous-traitance, accentuant par là même, à la fois la rentabilisation et l’augmentation des profits et, de l’autre, le rétrécissement des besoins d’une main d’œuvre non qualifiée. Par conséquent, depuis plus de 30 ans, la généralisation du chômage de masse, l’extension du travail précaire, intermittent, fractionné, à temps partiel contraint, ont déstabilisé les stables (licenciements économiques de CDI) et fragilisé les plus fragiles (familles mono parentales …); c e s ont tout particulièrement les jeunes des quartiers qui sont touchés. Ainsi, à la Grande Borne de Grigny, ils sont, parmi les 15/24 ans, 41,9% à être au chômage. Si dans le grand ensemble de Clichysous-bois, le taux de chômage n’est que de … 31,7%, il atteint 54,4% à la Reynerie et Bellefontaine, quartiers de Toulouse. Ne point avoir de travail, être donc dans l’incapacité de se projeter dans l’avenir, enfermé dans le présent et la débrouille quotidienne, c’est être renvoyé à la culture de rue, perméable à la déviance et à la délinquance. Evidemment, les admonestations à "travailler plus" ou en finir avec la "glandouille", lorsque la seule perspective est petits boulots et intérim, sont vécues comme des injures attentatoires à la dignité. Ce mal être est encore renforcé par les illusions entretenues sur les capacités de l’école républicaine à surmonter les inégalités sociales qu’elle reproduit en les aggravant de frustrations, du fait même du sous emploi et de la disparition de métiers recourant à une main d’œuvre non qualifiée. Le taux d’échec scolaire dans les quartiers est en effet A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
particulièrement élevé et renforce les sentiments d’humiliation et de discrimination. L’institution scolaire promise comme une aide apparaît, de fait, comme un moyen supplémentaire d’élimination et de relégation. D’ailleurs, ceux qui parviennent à obtenir un diplôme ou une qualification professionnelle, se heurtent aux discriminations à l’embauche, ou sont réduits au rôle de "grand frère" des populations dont ils sont issus. Il en résulte un sentiment de disqualification sociale et professionnelle qui renvoie à l’obligation de devoir faire preuve d’intégration sans jamais véritablement y parvenir. Le racisme vécu au quotidien, les attitudes provocatrices de valorisation de soi, les conflits avec la police (fouille au corps, humiliations ressenties) renvoient en fait à ce besoin d’être traité comme les autres. La marche pour l’égalité des droits, - audelà de sa médiatisation ethnique et culturelle (marche des Beurs) et sa récupération politicienne ("Touche pas à mon pote") - portait ces espérances sociales. Sous des appellations diverses, quartiers "difficiles", "sensibles", les différents Gouvernements, depuis 1985, ont tenté des approches homéopathiques pour pacifier ces zones urbaines. S’ils ont instrumentalisé, avec plus ou moins de succès, la participation des habitants aux entreprises dites de rénovation ou de lutte contre le racisme et l’exclusion, ils ont toujours occulté la question sociale. En évitant de l’aborder, ils ont, de fait, renforcé l’ethnicisation des rapports sociaux. En se focalisant sur le retard scolaire, la dégradation des bâtiments où sont concentrées des familles nombreuses d’origine étrangère, ils ont contribué à dépolitiser les problèmes sociaux. Ainsi, la pauvreté, la concentration des populations fragilisées dans les tours sont perçues, par les «experts» de la ville, uniquement sous l’angle de retard culturel et psychologique. Il s’agirait par conséquent de rendre les "assistés" responsables, d’inclure les "exclus", tout en leur procurant un meilleur espace de vie, en les dispersant (rénovation des quartiers et destruction des tours). Sans qu’il soit besoin de nier la nécessité de réhabiliter, d’entretenir, de requalifier les quartiers populaires, force est de constater que les politiques sociales menées depuis des années, outre des financement limités, ont nié les réalités économiques du chômage et de la précarité, l’ampleur et l’impunité des discriminations, et tout porte à penser que cette politique va se poursuivre. Encore que la conjoncture présente de crise et de panne de la croissance accentuera les aspects les plus ré-
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pressifs des mesures que prendra la présidence Sarkozy. Au-delà des effets d’annonce du plan Amara, demeureront les interventions prévues sur le bâti et les espaces extérieurs, facilitant l’intervention policière. Elles seront accompagnées de discours sur l’intégration des plus méritants. Qu’il soit chanteur, préfet musulman, sportif ou beurette de service, la figure de l’intégré apparaîtra certes comme un rêve inaccessible, mais surtout, comme l’exception à la règle de relégation sociale. Les quelques individus emblématiques, spectaculaires, que les médias encensent serviront de caution à la bien pensance antiraciste qui aura toutes les raisons de présenter ceux qui se révoltent comme des "sauvageons", des délinquants et dans leur masse, un ennemi intérieur manipulé. Les populations des quartiers populaires sont-elles condamnées à des éruptions de révoltes sporadiques, vite qualifiées de nihilistes ?
Pour quelles perspectives ? Toutes les options restent ouvertes : les fausses pistes, comme celle de l’incorporation d’une dose de "beurs" dans la liste des partis bourgeois, sont autant de leurres passagers. Les quartiers populaires, dans leur lutte pour se doter d’une représentativité politique qui soit la leur, bien qu’ils possèdent des potentialités, se heurtent à des difficultés pour l’heure difficilement surmontables, sans initiatives qui leur soient propres. Lors de la révolte de 2005 évoquée, le PS s’en est tenu à demander le retour de la police de proximité. Depuis le tournant de Villepinte de Jospin, ce parti, dans sa politique d’accompagnement du libéralisme de déréglementation et de privatisation, n’a plus que la perspective sécuritaire à offrir et l’ordre prétendument juste à instaurer vis-à-vis des nouvelles "classes dangereuses". Le PCF, quant à lui, proposait un "Grenelle des
quartiers". Sarko élu, avec Amara comme enseigne de sa bonne volonté, a repris ces thèmes. Et tous, bien que se heurtant à des résistances dans leurs rangs, en sont venus à mettre de la couleur dans leurs listes électorales. Ces mesures symboliques ne changeront évidemment rien à la réalité des quartiers. Autre fausse piste agitée soit comme un épouvantail, soit comme une potion magique pour calmer les esprits, le recours à l’islam. Qu’en est-il de la prétendue "islamisation des ghettos" ? En fait, on assiste à un phénomène paradoxal. Pour la grande majorité des jeunes issus de l’immigration post coloniale, on assiste à un détachement croissant de "l’islam parental". Pour certains, le recours à l’islam constitue une entreprise de reconquête de soi par la culture, d’une requalification d’autant plus affirmée qu’elle est décriée et méprisée. Audelà de la nécessité subjective de redonner une âme à sa vie dans un monde sans âme, elle est à la fois une modalité de refilialisation familiale, de retrouvailles avec ses origines, un moyen d’échapper à la délinquance et une ressource pour affirmer son identité. Pour ceux qui vivent difficilement les affres du chômage ou l’échec scolaire ou universitaire, la religion islamique permet de découvrir la richesse de la civilisation islamique d’Averoes à Ibn Kaldoun et, en atteignant les rives de l’Andalousie, de réhabiliter symboliquement l’Arabe stigmatisé. Les intégristes laïcards sont d’ailleurs incapables de voir que, pour nombre de jeunes femmes, le port du voile est un moyen paradoxal d’obtenir une plus grande liberté vis-à-vis de leurs parents et des pratiques traditionnelles imposées. Elles tentent ainsi de faire valoir un "capital religieux" supérieur à leurs parents ou à leurs grands frères, en disputant les normes du licite et de l’illicite. Or l’islam, comme toute religion, n’échappe pas à la lutte des classes et aux positionnements vis-à-vis du pouvoir en place. Si l’émergence d’un islam progressiste est de l’ordre du probable, la crainte répandue du communautarisme renvoie à la vision néo conservatrice et d’extrême droite, de la destruction imaginaire de la communauté nationale. Dans les faits, l’islam institutionnalisé par Sarkozy rencontre et instrumentalise le besoin de ces croyants à une certaine reconnaissance sociale. D’ailleurs, ces institutions tentent d’offrir leurs services aux élus en vue de "pacifier" les quartiers et de faire prévaloir une citoyenneté acceptable. Ceux qui ne jouent pas ce jeu sont dénoncés comme intégristes, fondamentalistes, subversifs. CMF, MIB, Indigènes de la République, Divercité1… sont considérés comme tels, y compris dans les rangs des altermondialistes et de l’extrême gauche. Toutefois, le Forum social des quartiers populaires à St Denis en 2007, tout comme la campagne Bové, ont permis de commencer à tisser des liens entre organisations se A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
situant à la gauche des sociaux-libéraux. Indépendamment de ces rencontres encore ténues, d’énormes potentialités existent dans les quartiers populaires. Jeunes et moins jeunes aspirent à se sortir de la misère, à obtenir un emploi et un logement décent, sans être menacés d’expulsion. Certes, ils sont désenchantés : "J’ai vu la Gauche, j’ai vu la Droite, et puis la Gauche et puis rien n’a changé". Ils sont en quelque sorte mûrs pour n’attendre d’autre chose que d’euxmêmes. "Faire le bordel dans le quartier" pour attirer l’attention médiatique et faire exploser une rage trop longtemps contenue ne ferait, en dressant le reste des salariés contre eux par médias interposés, que renforcer les mesures de répression contre eux et en dernière instance contre l’ensemble des salariés. Il leur revient, avec d’autres, de préparer le grand chambardement dont la société a besoin. Restent des obstacles à surmonter pour "détruire Sarko" et ne pas se faire berner par "les socialistes en carton pâte qui se servent de nos misères et nous considèrent tous comme des cas sociaux". Et d’abord, sortir du langage ethnique imposé, celui du clivage français/ étrangers, remettre au centre du débat la question sociale et l’opposition entre le capital et le travail, casser le mur de la stigmatisation raciale qui interdit la convergence des luttes. Face aux préventions, aux tentations de récupération des organisations syndicales et associatives, dans un premier temps, l’affirmation autonome d’organisations populaires semble un passage obligé. On ne s’unit que dans l’égalité reconnue. Toutefois, éliminer les rancoeurs, les stéréotypes, les incompréhensions, passe certainement par la transmission/revalorisation de la mémoire des luttes des ouvriers immigrés (OS de Renault en 1971, grèves des loyers Sonacotra, marche pour l’égalité …) afin d’exorciser cette honte de soi qui se transforme en désespérance. Cette poli-
tisation permettra d’éviter, de surcroît, le piège de l’échappée culturelle et musicale qui, dans le cadre du système est vite aspirée par la norme du business dominant et perd très vite sa charge subversive. Elle doit également s’ouvrir à la compréhension de la conjoncture afin de faire surgir les prémices de l’unité populaire à construire. Ces exhortations seraient purement incantatoires si elles ne prenaient pas en considération d’autres difficultés plus immédiates : le militantisme dans les quartiers populaires, plus qu’ailleurs, se heurte à l’absence de perspectives politiques et à la précarisation de ces milieux. Les éléments les plus intellectualisés, soit n’habitent plus les cités délabrées, soit ont décidé de se "ranger". Les musulmans engagés sont le plus souvent fermés à la dynamique du mouvement social qui leur semble étrangère à leurs préoccupations, y compris à celle des sans papiers, c’est-à-dire à la dernière vague d’immigration. Les plus jeunes portent un jugement négatif sur leurs grands frères, la génération précédente, utilisés comme pompiers ethniques et qui n’a rien obtenu. Les risques "d’explosions" importantes mais sans soutien réel du mouvement social demeureront vaines tant que les démunis de tout, les classes populaires bloquées par la peur du déclassement social, les classes moyennes précarisées, fragilisées, mais surtout inhibées par l’idéologie dominante, n’auront pas trouvé le chemin de l’unité populaire qui les rassemblera. Certes le travail militant de ceux qui peuvent dessiner une perspective d’émancipation est important, mais la voie de la radicalisation consciente ne peut résulter que d’une thérapie collective inattendue, transformant les manières de penser et d’agir. Mais le propre d’un mouvement émancipateur est sa capacité, à travers sa propre avance chaotique et ses crises, à "faire que le libre développement de chacun soit la condition du libre développement de tous". Gérard Deneux Sources pour cet article : "L’émeute de novembre 2005" Gérard Mauger – édition Savoir agir "Banlieues. 30 ans d’histoire et de révolte" Manière de voir n°95 "La Gauche et les cités" Olivier Masclet – édition la Dispute "La France en révolte" Stathis Souvakelis – édition Textuel Revue Savoir Agir – n°1 et 2 1CMF - Collectif des Musulmans de France est un groupe politique constitué d'acteurs associatifs musulmans, alors que MIB -mouvement d'intégration des banlieues - MIR -mouvement des Indigènes de la RépubliqueDivercité sont des militants politiques qu'on assimile facilement à musulmans (du fait de leur couleur de peau et leur origine) alors que nombre d'entre eux sont "blancs", non "indigènes" et pas forcément "musulmans"
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Attention à l’ouverture du prochain chantier de démolition de l’assurance vieillesse ! Après avoir ‘réformé’ les régimes spéciaux de l’assurance vieillesse au cours de cet automne, en les alignant sur les dispositions imposées au régime général et aux régimes de la fonction publique respectivement en 1993 et en 2003, le gouvernement entend s’attaquer au cours du printemps à une nouvelle ‘réforme’ de l’ensemble de l’assurance vieillesse qui, comme les précédentes, sera synonyme de régression si le mouvement social ne parvient pas à s’y opposer. A cette fin, il est opportun de dresser un bilan des effets perceptibles ou prévisibles des ‘réformes’ antérieures mais aussi de faire le point sur les nouvelles projections démographiques et de fourbir en conséquence nos arguments et nos objectifs revendicatifs pour les luttes à venir.
mée de Cassandres agitant alors à qui mieux mieux des projections démographiques et des prévisions économiques toutes plus catastrophiques les unes que les autres. Nous verrons plus loin ce qu’elles valent aujourd’hui. Sous cet angle-là, les ‘réformes’ de 1993 et 2003 ont d’ailleurs parfaitement réussi. Et si elles n’auront pas évité de futures catastrophes tout à fait hypothétiques, elles ont déjà provoqué et sont en train de provoquer des évolutions catastrophiques, bien réelles celles-ci, en matière de pensions de retraite. Qu’on en juge !1 A l’intérieur du régime général, les pensionnés nés en-
Les incidences des ‘réformes’ de 1993 et 2003 Rappelons les principales mesures prises par les ‘réformes’ de 1993, 2003 et 2007. D’une part, l’allongement de 37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisation requise pour bénéficier d’une pension à taux plein (tous régimes), alors même que l’entrée dans la vie active est de plus en plus tardive (du fait de l’allongement de la durée des études) et que celle-ci est de plus fréquemment marquée par des périodes de chômage et de sous-emploi (travail temporaire et/ou à temps partiel). D’autre part, le passage des dix ‘meilleurs années’ aux vingt-cinq ‘meilleures années’ de la période sur laquelle est calculé le salaire de référence qui sert de base au calcul du montant de la pension (régime général), ce qui revient à l’abaisser. Enfin, l’indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires (tous régimes); or, bon an mal, les seconds augmentent plus vite que les premiers, ce qui correspond à l’augmentation de leur pouvoir d’achat. L’ensemble de ces mesures ne pouvait que conduire à une baisse du niveau des pensions. Et tel était bien leur objectif inavoué parce qu’inavouable, le tout sous prétexte et sous couvert de sauver un régime de retraite par répartition dont la faillite dans les prochaines décennies était annoncée par une arA CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
tre 1965 et 1970, qui pourront en principe faire valoir leurs droits à la mise en retraite entre 2025 et 2030, verront le montant de leur pension de base diminuer en gros d’un tiers par rapport à ce qu’il aurait été avant les ‘réformes’ Balladur et Fillon. La baisse est moins drastique si l’on tient compte du second pilier de la pension, la retraite complémentaire obligatoire. Mais la baisse demeurera sensible malgré tout; elle peut se mesurer à l’évolution du taux de remplacement du dernier salaire par la pension de retraite (le rapport entre le montant de la pension de retraite et celui du dernier salaire). Dans le cas d’un salarié non cadre (affilié au régime ARCOO), ce taux aura été de 86% du salaire net en moyenne pour les pensionnés nés en 1934 et ayant effectué une carrière complète. Toutes choses égales par ailleurs (en termes de durée de la carrière et d’évolution des salaires en cours de carrière), il devrait être ramené à 76% pour ceux nés en 1948, à 66% pour ceux nés sans les années 1960 et finalement à 57% pour ceux qui prendront leur retraite vers 2050. Et encore ces estimations postulent-elles
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des carrières complètes, sans pouvoir tenir compte des aléas et accidents de carrière des uns et des autres, qui peuvent en réduire considérablement la durée. A quoi vont s’ajouter des pertes de pouvoir d’achat des pensions relativement au salaires du fait de la désindexation des secondes sur les premiers : avec une croissance de salaires réels de seulement 1% par an, cela représentent un décrochage de l’ordre de 22% sur une durée de vingt ans équivalent à la moyenne de durée de vie en retraite ! Et le tout en étant obligé de partir à la retraite plus tard – en somme, il va être exigé des futurs retraités qu’ils aient travaillé plus longtemps pour gagner finalement moins ! Car, si en 2003, les deux tiers encore des salariés étaient en mesure de partir en retraite à 60 ans avec une pension à taux plein, parmi ceux nés entre 1969 et 1974, il ne devraient plus être que 17% à pouvoir le faire dans le secteur privé et 5% dans la fonction publique. Sauf à accepter des amputations encore plus importantes du pouvoir d’achat, il leur faudra bien travailler plus, sans pour autant parvenir à pallier les pertes de revenu programmées par les ‘réformes’ Balladur-Fillon. Ainsi, alors que l’institution des régimes d’assurance vieillesse a fait considérablement reculé la fréquence de la pauvreté parmi les personnes âgées2, il faut s’attendre à une paupérisation relative et même absolue croissante (en extension et en intensité) au cours des prochaines décennies. Du moins pour tous ceux qui ne pourront pas compter sur des revenus patrimoniaux, fruits des patrimoines de rapport qu’ils auront pu se constituer, soit par héritage soit par épargne. A moins que la lutte collective des salariés et anciens salariés ne vienne remettre en question les orientations actuelles et imposer un partage de la richesse sociale qui leur soit plus favorable, le personnage du vieillard indigent, qui avait quasiment disparu de
notre paysage social, risque bien d’y réapparaître.
Les nouvelles projections démographiques de l’INSEE et leurs conséquences Pour s’opposer à cette régression historique, fruit amer des ‘réformes’ néolibérales de ces dernières années, le mouvement social pourrait s’appuyer sur les nouvelles projections démographiques auxquelles s’est livré l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) à l’automne 20063. Celles-ci diffèrent en effet sensiblement par rapport à celles précédemment effectuées par ce même institut en 2001 et qui avaient notamment servi de (piètres) arguments pour légitimer la ‘réforme’ de 2003. D’une part, l’INSEE a réévalué le montant du solde migratoire prévisible dans les prochaines années, en le portant de 50 000 personnes à 100 000 personnes par an. D’autre part et surtout, il a révisé à la hausse son évaluation de la descendance finale (du nombre d’enfants auquel donne naissance en moyenne chaque femme au terme de sa vie féconde) en la portant de 1,8 à 1,9 enfant par femme, pour tenir compte de la hausse constante de l’indicateur conjoncturel de fécondité au cours des dernières années. D’ailleurs, au regard des évolutions les plus récentes, cette révision est a minima: d’une part, l’indicateur conjoncturel de fécondité s’est établi à 1,98 enfant en 2006; tandis que la descendance finale de toutes les dernières générations de femme arrivées au terme de leur vie féconde a dépassé le seuil de 2,08 enfants considéré comme le seuil de renouvellement de la population. Ainsi, la génération des femmes nées en 1957, la dernière dont la descendance finale nous soit connue, a ainsi donné naissance en moyenne à 213,6 enfants pour 100 femmes. Un taux d’ailleurs remarquablement fixe depuis dix ans, puisque les la génération de femmes nées en 1947 avait donné naissance en moyenne à 213,1 enfants pour 100 femmes4. Autrement dit, contrairement à toutes les prévisions démographiques plus catastrophistes les unes que les autres répétées depuis des décennies, la population française continue à croître naturellement, indépendamment de tout apport migratoire. Mais ne chipotons pas. Tenons-nous aux nouvelles projections de l’INSEE, plus exactement à son scénario central. Elles ont obligé le Conseil d’orientation des retraites (COR) à réviser ses projections en matière d’évolution de la popuA CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
lation active à l’occasion de la publication en novembre dernier de son cinquième rapport annuel5. Ainsi, alors que son scénario central antérieur prévoyait que, à l’horizon de 2050, la population active française diminuerait de près de deux millions de personnes par rapport à son niveau en 2005, son scénario central actuel prévoit qu’elle augmente de près de un million de personnes sur cette période. Sans doute, ne s’agit-il là que de projections, fondées sur des hypothèses de d’évolutions démographiques (taux de fécondité, espérance de vie, etc.) et économiques (taux de croissance, augmentation de la productivité, taux d’activité, etc.) qui, sur le très long terme, sont particulièrement difficiles à prévoir; ce qui rend évidemment ces projections fragiles. Mais c’est pourtant sur de pareilles projections, nettement moins favorables que ‘nos’ gouvernants, leurs experts et la cohorte des hérauts journaleux qui sert de caisse de résonance aux précédents se sont fondés pour tenter de nous clouer le bec à il y a cinq ans. Alors, à nous de nous saisir cette fois de projections plus favorables, ni plus ni moins fiables que les précédentes, pour leur demander des comptes. Car elles permettent d’envisager avec beaucoup plus de sérénité l’avenir de notre assurance vieillesse. Tenant compte de ses nouvelles projections de l’INSEE – il lui aurait été difficile de faire le contraire – le dernier rapport du COR reconnaît lui-même que ses besoins de financement vont s’en trouver réduits: au lieu de 4,3 points de PIB supplémentaires antérieurement prévus à l’horizon 2050, ce financement n’en exigera plus que 1,76. Et, si l’on retient l’hypothèse tout à fait crédible d’une descendance finale moyen de 2,1 enfants par femme, ces besoins devraient même diminuer d’un point de PIB à l’horizon 2050. Autrement dit, la situation serait alors meilleure que celle qui prévalait avant la réforme de 2003 et qui avait en principe ‘justifié’ cette réforme !
Les objectifs de revendication et de lutte Qu’en conclure ? Que, dans la pers-
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pective des mobilisations et des éventuelles négociations qui vont accompagner la nouvelle ‘réforme’ de l’assurance vieillesse que le gouvernement s’apprête à mettre en chantier ce printemps, il est nécessaire et urgent de tout remettre à plat. En premier lieu, en s’appuyant notamment sur les nouvelles projections démographiques de l’INSEE, il faut revenir sur les reculs imposés en 1993 et 2003, aux conséquences désastreuses sur le montant des pensions de retraite. Puisque l’évolution démographique prévisible s’avère (beaucoup) plus favorable que ce que les projections antérieures laissaient prévoir, il n’y aucune raison de ne pas revenir sur l’allongement de la durée de cotisation et la baisse programmée des niveaux de pension. Autrement dit, il est parfaitement justifié de défendre le retour aux 37,5 ans (voire un raccourcissement à 35 ans) comme durée de cotisation exigée pour une pension à taux plein, une pension égale à 75% du dernier salaire brut comme règle générale et le rétablissement de l’indexation des pensions sur les salaires. En second lieu, il faut commencer à s’attaquer sérieusement aux inégalités persistantes et même croissantes face à la vieillesse et à l’assurance vieillesse. D’une part, les membres des différentes catégories sociales continuent à être inégaux face à l’espérance de vie: au cours des années 1990 (derniers chif-
fres connus), l’espérance de vie à 35 ans d’un cadre était de sept ans supérieure à celle d’un ouvrier7; et, évidemment, les différences de conditions de travail en sont le principal facteur. En conséquence, il est temps d’imposer au patronat et au gouvernement une modulation de la durée de la vie active et,
partant, de la durée de cotisation exigible en fonction de la pénibilité du travail (pénibilité physique, astreinte au travail de nuit, recours aux horaires décalés, astreinte au travail le week-end, etc.) Mais il existe aussi, d’autre part, des inégalités en la matière entre hommes et femmes, notamment du fait que ce sont ces dernières qui continuent à assumer l’essentiel du travail domestique, notamment tout ce qui relève de l’éducation des enfants, en restreignant leur temps de travail (interruption d’activité, temps partiel, etc.) et en diminuant par conséquent leur droit à pension et finalement le montant de ces dernières. Selon un récent document de travail du COR, en 2005, la pension féminine moyenne du régime générale restait inférieur de 41% à la pension masculine moyenne; et les majorations des premières dues aux droits familiaux ne compensait qu’en partie l’écart en ne le ramenant qu’à 23%8. Autrement dit, parmi les retraités du régime général, la pension d’un homme reste en moyenne de près d’un quart supérieure à celle d’une femme. Dans l’immédiat, il n’y pas moyen de lutter contre la persistance de cette inégalité qu’en augmentant les droits familiaux (alors que le gouvernement envisage au contraire de les restreindre) et en ouvrant de nouveaux droits (par exemple à congé parental) au bénéfice des deux parents, sans possibilité de transfert de l’un à l’autre. En dernier lieu, il reste à mettre fin au double bind dont son prisonniers aujourd’hui les seniors (les personnes entre 50 ans et 65ans), à la fois sommés de prolonger leur vie active (donc leur taux d’activité et d’emploi) et pourtant privés d’emploi (mis au chômage) de plus en plus ou tout simplement rendus incapables de continuer à travailler (du fait de la maladie ou de l’infirmité). En 2006, l’âge moyen de sortie du marché du travail était en France de 58,7 ans pour les hommes, de loin le moins élevé en Europe, et de 59,1 pour les femmes, là encore le plus précoce en Europe après la République tchèque (59 ans)9. Cela s’explique par la pratique des entreprises consistant à se débarrasser des travailleurs âgés, réputés moins productifs, en fait surtout surpayés et moins dociles que la moyenne des salariés. Il est temps de dénoncer ce double langage, exigeant des salariés qu’ils prolongent leur vie active et leur durée de cotisation tout en les privant de la possibilité de continuer à occuper un emploi et à les pénaliser pour cela; et d’imposer soit que l’on renonce à l’injonction de travailler plus longtemps soit que l’on pénalise lourdement les entreprises qui licencient des A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
chifcle_fiche.asp?ref_id=NATSOS02206 &tab_id=9
travailleurs âgés en leur faisant payer le prix de la charge financière supplémentaire que ce licenciement impose aux caisses d’assurance vieillesse.
5) Conseil d'orientation des retraites, Retraites: 20 fiches d'actualisation pour le rendez-vous de 2008. http:// www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-835.pdf
Alain Bihr
6) Rappelons, pour prendre l'exacte mesure de l'effort financier qu'impliqueraient ces besoins financiers supplémentaires, que la montée en charge de l'assurance-maladie nous a coûté six points de PIB au cours des quarante dernières années. Qu'on ne sache pas que ni l'assurance vieillesse, ni l'Etat-providence (la protection sociale sur fonds publics), ni l'Etat français tout court, pas plus d'ailleurs que le capitalisme dans son ensemble n'ont fait faillite pour autant !
1) Les données qui suivent sont tirées de Thierry Debrand et Anne-Gisèle Privat, " Quelle retraite pour les salariés suite aux réformes de 1993 et 2003 ? ", Revue française d'économie, 2006, n°1, volume XXI. 2) Entre 1970 et 1996, le taux de pauvreté (pourcentage de ménages pauvres au sens de la définition habituelle de la pauvreté monétaire) est passé de 27,8% à 4,3% parmi les retraités. Ceux-ci ont constitué la catégorie de ménages dans laquelle la diminution du taux de pauvreté a été la plus importante. Cf. Jean-Michel Hourriez (coor.), " Revenus et patrimoines des ménages. Edition 2000-2001 ", Synthèses, n°47, Insee, 2001, page 17.
7) Cf. Insee Première, n°1025, INSEE, juin 2005. http://www.insee.fr/fr/ ffc/docs_ffc/IP1025.pdf 8) La Tribune, 2 février 2008. 9) Cf. http://epp.eurostat.ec.europa.eu/ portal/page?_pageid=1996,45323734&_ dad=portal&_schema=PORTAL &screen=welcomeref&open=/& product=STRIND_EMPLOI&depth=2
3) Cf. Insee Première, n°1089, INSEE, juillet 2006. http://www.insee.fr/ fr/ffc/ipweb/ip1089/ip1089.html 4) Cf. http://www.insee.fr/fr/ffc/
Des régimes ‘très spéciaux’ Alors que les régimes de retraites dits spéciaux de certaines catégories de salariés auraient constitué, de l’avis même de Nicolas Sarkozy relayé par la quasi-totalité des médias, une atteinte à la justice sociale à laquelle il était urgent de mettre un terme, on n’a pas entendu les mêmes évoquer les régimes ‘très spéciaux’ auxquels ont droit un bon nombre de dirigeants des grandes entreprises. Le tableau ci-dessous en donne une petite idée ! Ajoutant qu’il ne s’agit là que du montant de leur pension de retraite, parfaitement cumulable avec d’autres revenus du même ordre de grandeur, liés notamment à la poursuite de l’exercice de fonction dans les conseils d’administration et surtout à la possession de titres de propriété divers. Identité et fonction sociale
Montant en euros de la pension annuelle
de l’intéressé
de retraite perçue ou à percevoir (pour un départ à 65 ans)
Lindsay Owen-Jones, ex PDG de L’Oréal
3 400 000
Louis Schweitzer, ex PDG de Renault
900 000
Martin Bouygues, PDG de Bouygues
740 000
Noël Forgeard, ex PDG de EADS
1 100 000
Arnaud Lagardère, PDG de Lagardère
560 000
Bertrand Collomb, ex PDG de Lafarge
1 000 000
Antoine Zacharias, ex PDG de Vinci
2 100 000
Claude Bébéar, ex PDG d’Axa
433 766
Jean-Cyril Spinetta, PDG d’Air France
442 000
Henri de Castrie, président du directoire d’Axa
1 200 000
Henri Lachmann, ex PDG de Schneider Electric
520 308
Bruno Bich, ex PDG de Bic Frank Riboud, PDG de Danone Jean-Martin Foltz, ex PDG de PSA
446 714 1 600 000 800 000
Source : http://sarkoups.free.fr/retboss.pdf
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Vers un système corporatif ? D. Kessler, le “penseur” du MEDEF, ex-patron d’AXA (assurances) et spécialiste des retraites dans l’institution patronale, ne s’est pas embarrassé de vocabulaire lissé pour traduire le programme de Sarko et Parisot. En témoigne sa déclaration dans l’hebdo “Challenge”: “la liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance.... Création des caisses de la Sécurité Sociale, statut de la Fonction Publique, conventionnement du marché du travail, représentativité syndicale, régime des retraites...” C’est sans doute le passé Mao de l’homme qui l’autorise à une telle liberté de langage. Il faut aussi qu’il se sente particulièrement sûr de lui. Il est vrai que le rapport de force salariat-patronat ne joue pas aujourd’hui en faveur du premier. Et ladite Parisot d’enfoncer le clou: “La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?” allant jusqu’à avancer que “la liberté de pensée s’arrête là oùcommence le code du travail”. Sans doute faisaitelle allusion à la liberté pour les patrons de sucer la sève de leurs employés jusqu’à n’en laisser que l’éponge desséchée juste bonne à être jetée et à la malléabilité des nouveaux recrutés type CNE ou défunt CPE. Pour l’égérie du MEDEF, c’est bien le code actuel du travail qui reste le verrou à faire sauter, tâche que le parlement s’apprête à ce jour (fin janvier) à réaliser, en fidèle soutien qu’il est des parisotiens. L’objet suivi dans ce point de vue n’est pas tant d’entrer dans le détricotage d’un code issu des luttes sociales et de compromis avec un pouvoir soucieux de paix sociale, en période de reconstruction d’après guerre. Cela a été fait dans le dernier n°d’ACC (n°191, janvier 2008) avec l’article d’O. Mangeot “Massacre des droits du travail”. Mais plus sobrement de tenter de faire ressortir le caractère particulièrement régressif de l’opération qui ouvre toute grande au patronat la voie pour exercer son pouvoir non seulement sur le salariat, mais plus largement sur la société dans son ensemble, n’hésitant plus à pénétrer sur le terrain des valeurs morales, tant la symbiose avec ceux qui détiennent les rênes du pouvoir est manifeste. A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
Le MEDEF mène la danse... Il faut cependant revenir sur certains aspects du détricotage. Ainsi il est significatif que les peines de récidive pour les patrons qui ont violé le droit du travail soient éliminées du code (ou plutôt de ce qu’il va en rester). Cette disposition nouvelle résulte d’un tripatouillage qui a permis à quelque 500 lois d’être déclassées pour être remplacées par de simples décrets qui ne passent pas par le parlement. Pourquoi en effet s’embarrasser de complications quand on veut aller vite ? Ce joli tour de passe-passe autorise également les patrons ou dirigeants d’entreprises à ne plus être poursuivis au pénal, l’entreprise se substituant à eux comme responsable morale. Ainsi l’accidenté sera reconnu co-responsable de ce qui lui est arrivé, même s’il n’a fait qu’ obéir aux directives de ses chefs. Et qu’arriverait-il dans le cas d’une réplique de style AZF ou d’une catastrophe dans une centrale nucléaire ? On frise là un retour à la barbarie: plus de règles contraignantes pour la patronat moderne qui suit l’évolution du capitalisme; plus de lois, que des contrats ou accords d’entreprise permettant aux patrons de tirer la part du lion; et, pour les salariés, des
aux “partenaires sociaux” le 26 décembre dernier dans laquelle il pose la question d’un “accord entre le salarié et son employeur en matière de durée du travail, notamment en matière d’arbitrage entre le travail et le repos”, marquant par là son souhait de voir disparaître toute durée commune du temps de travail même au niveau de l’entreprise. C’est l’individualisation totale. Et quand on observe qu’il n’y avait rien à négocier dans les pseudo discussions entre patrons et syndicats sur les orientations et principes, - très libéraux imposés par l’Etat, et qu’on constate que le parlement est de plus en plus réduit à une simple chambre d’enregistrement, on ne peut qu’être amené à penser que les valeurs démocratiques sont en passe de laisser la place à des pratiques corporatives qu’on croyait révolues, avec une marque nette d’autoritarisme. Certes une loi obéit toujours à des références partisanes, mais au moins elle couvre l’ensemble d’un espace. La prétention de Fillon, c’est ni plus ni moins dans l’entreprise la totale liberté du renard dans le poulailler. Gageons que l’accord de janvier qui constitue pourtant une “victoire méthodologique, donc politique, du MEDEF et du gouvernement” (le CRI n°30) ne suffira pas au patronat et à son égérie. Ils feront pression sur le pouvoir pour l’amener à satisfaire d’autres exigences. Par exemple l’extension de l’ouverture des grandes surfaces de cinq dimanches par an actuellement à treize ou quinze. N’en doutons pas, il obtiendront entière satisfaction.
... avec Badinguet
miettes en matière de sécurité, de garanties et de salaires; des emplois réduits à la précarité et à la “flexisécurité” (ou la flexibilité l’emporte très largement). C’est le MEDEF qui dès lors va appliquer sa loi. Avec l’aval du gouvernement si l’on se réfère à la lettre de Fillon adressée
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En fait la collusion entre le patronat et le gouvernement n’a jamais été aussi flagrante. Napoléon déclarait en I807 :”Plus mes peuples travailleront, moins il y aura de vices. Je suis l’autorité (...) et je serais disposé à ordonner que le dimanche, passée l’heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les ouvriers rendus à leur travail”. C’est à peu de chose près le leitmotiv du petit Bonaparte dont l’enflure de l’ego le fait se prendre déjà pour un futur Napoléon
alors qu’il n’a encore que les allures d’un Badinguet. Elucubrations ? Peut-être. Pourtant l’importance du détricotage du code du travail renfermant les acquis des travailleurs et son remplacement par ce qu’”ils” osent appeler un nouveau code, simplifié. Tu parles ! : de 271 subdivisions comportant 1891 articles de loi on passe à 1890 subdivisions et 3652 articles - dont beaucoup, cela a déjà été dit, sont remplacés par des décrets - tout à l’avantage du patronat - se révèle amplement significatif de cette dérive vers une disparition des solidarités via l’atomisation du prolétariat lequel, devant les compromissions répétées des directions des centrales syndicales, rencontrera toujours plus de difficultés à défendre ses intérêts vitaux. Et s’il lui reste la ressource de s’autoorganiser à la base avec l’aide des syndicats d’entreprise existant encore et pas toujours en phase avec leurs directions nationales, pour construire un mouvement d’ensemble fort, engagé avec détermination dans la lutte contre les forces libéro-réactionnaires et pour son émancipation, il se heurtera inévitablement à ces forces dont les outils de surveillance et de répression mis en place depuis plusieurs années par notre tsarkovitch sont près à l’usage (cf. la répression démesurée menée contre les étudiants et lycéens opposé à la LRU l’automne dernier). Le glissement vers un autoritarisme caractérisé par des contrôles civils de plus en plus marqués (fichages multiples avec l’approbation de la CNIL) et la nonacceptation qui se dessine doucement de toute expression contraire, bientôt (?) réputée marginale et dangereuse (la rupture et l’ouverture chères à Nico, les transfuges du PS frustrés par l’échec aux Présidentielles, les orientations de ce même PS peu éloignées de celles contenues dans le programme sarkosien et la mise au ban des idéologies, sauf celle de la “pensée unique”, contribuent largement à ce glissement) pourrait très bien nous conduire à un système de pouvoir où la démocratie, même formelle, serait la première victime, à la manière déjà ancienne de certains pays fascistes comme le Portugal de Salazar où un syndicat unique, vertical, créé par l’Etat(1) et un patronat de choc faisaient la loi dans le monde du travail. La gouvernance par un tel patronat, même camouflé dans l’ombre du pouvoir étatique, s’apparente fort à un système corporatif au seul service d’une pensée purement économiciste.
J.F. (1) Reconnaissons qu’heureusement, nous n’en sommes pas encore là dans le syndicalisme français.
A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
Même s’il s’agit d’une analyse trotskyste classique (seules les “directions” sont en cause, et il suffirait que de “bons” dirigeants se réapproprient les appareils) le communiqué qui suit apporte des informations intéressantes et fait des propositions pour tenter de sortir de l’impasse où nous conduit une certaine forme de syndicalisme.
Les directions syndicales trahissent les salariés de Carrefour Grand Littoral ! (par le CILCA : Courant Intersyndical Lutte de Classe Antibureaucratique) Comme des milliers de salariés de la grande distribution, les salariés de Carrefour Grand Littoral de Marseille ont fait grève vendredi 1er février. Refusant de s’en tenir à une grève de témoignage de 24 heures comme les y invitaient les directions syndicales, ils ont décidé de continuer la grève pour obtenir la satisfaction de leurs revendications : – Une augmentation du ticket restaurant de 3,05 et 4,50 euros – Une prime de 250 euros – Une augmentation du nombre d’heures de travail pour les salariés à temps partiel qui le désirent – Le paiement de la moitié des jours de grève Pendant deux semaines, les salariés de Carrefour Grand Littoral ont bataillé seuls face au mastodonte Carrefour. Les directions syndicales (CGT, CFDT, FO) ont obstinément refusé d’appeler les autres salariés de Carrefour à la grève : c’est pourtant par la grève, tous ensemble et au même moment, que les salariés de Carrefour avaient une chance d’obtenir satisfaction sur leurs revendications. Mais les bureaucrates ont sciemment décidé de mener les salariés de Carrefour Grand Littoral dans le mur. Vendredi 18 février, le gouvernement et la direction de Carrefour ont considéré qu’ils pouvaient en finir avec la grève : les flics sont intervenus violemment pour débloquer les entrées du magasin, envoyant une gréviste enceinte à l’hôpital (et provoquant la cessation du travail dans plusieurs hypermarchés Carrefour, par solidarité). Le même jour, FO appelait à la reprise. Le lendemain, la CFDT (majoritaire à Carrefour Grand Littoral) appelait à son tour, signant un accord qui est très loin de satisfaire les revendications minimales des grévistes : – Une augmentation du ticket restaurant de 0,45 euros (soit 9 euros par mois !) à condition que le taux de démarque (vols de marchandises, casse ou produits frais déplacés par les clients...) de l’hypermarché passe de 2,6% actuellement à 2,4% ! – Aucune prime – Une augmentation de seulement 3 heures pour les contrats à temps partiel de moins de 24h par semaine, et de seulement 2 heures pour les contrats de plus de 24h – Une contribution de 80 000 euros de la direction aux œuvres sociales du comité d’établissement – Aucun paiement des journées de grève (les retenus de salaire seront juste échelonnées) La CGT n’a pas signé cet accord lamentable (qui est une goutte d’eau pour un magasin qui fait 150 millions de chiffre d’affaire !), mais elle n’avait rien fait auparavant pour étendre le conflit aux autres magasins de Carrefour ; c’est seulement vendredi 15 février, quand les carottes étaient cuites, qu’elle a appelé à l’extension du conflit... Une fois de plus, la combativité exemplaire des travailleurs a été trahie par des directions syndicales qui cherchent à contenir la colère des travailleurs par des journées d’action dispersées (la prochaine devrait avoir lieu fin mars dans la grande distribution), secteur par secteur. Parce que les travailleurs ont besoin de se réapproprier leurs syndicats pour en faire des outils efficaces dans leurs combat de classe contre le patronat, nous avons besoin de nous organiser contre les bureaucrates. [Le CILCA vise à regrouper les syndicalistes de lutte de classe, pour rompre l’isole- ment et agir ensemble pour la réappropriation de nos syndicats. Contacts : http://courantintersyndical.free.fr - courantintersyndical@free.fr - Tél. : 06 66 25 16 65 ]
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Vous lirez ci-dessous des extraits d’un texte tiré du quotidien des sans-papiers, journal libre de reproduction. Il est destiné à être imprimé par tous ceux qui le souhaitent, afin d’être diffusé dans l’ensemble du territoire. http://quotidiensanspapiers.free.fr/w/spip.php?article472
Bali, c’est fini Des endroits "trop bas"... Pendant quelques jours , des délégués du monde entier se sont réunis dans cette jolie île indonésienne, où l’on aime à faire du tourisme quand elle n’est pas submergée par un tsunami. C’était pour une importante conférence, la conférence dite de Bali, qui mériterait de rester dans l’histoire comme la date la plus honteuse de la conscience humaine... Parlant d’îles submergées, justement, on apprenait récemment que deux douzaines parmi les milliers d’îles qui composent l’Indonésie devraient bientôt disparaître. On parle alors de "réfugiés climatiques" : les quelques milliers d’habitants de ces îles "trop basses" n’auraient qu’à déménager. Sont aussi menacées, pour commencer, dix grandes villes, au premier rang desquelles Calcutta. En neuvième place vient Miami, la seule de ces villes classées à risques qui soit du “premier monde”. Si la mer monte, c’est parce que 40% de la banquise aura fondu depuis un quart de siècle. Et cela fait 40 ans que l’on vit sous le régime de la catastrophe annoncée.
Le GIEC et Kyoto C’était en 1967 que des scientifiques inspirés annonçaient que si les choses suivaient ainsi leur cours, le fameux “effet de serre” - identifié depuis le XIXème siècle -, ne pouvait que produire quelques degrés d’augmentation de la température planétaire. Depuis, on ne fait que vérifier l’étendue des dégâts. Depuis une vingtaine d’années maintenant les organismes internationaux auront pris la chose au sérieux, et l’on a institué le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, le désormais fameux GIEC, prix Nobel cette année. Une construction unique ce GIEC. Des savants du monde entier travaillent ensemble, croisent leurs observations, discutent, réfléchissent, pour faire le point - pour savoir ce qu’il en est vraiment de ce problème collectif de l’humanité, le réchauffement climatique. Ainsi, il y a dix ans, ils pouvaient apporter des conclusions. C’était pour la fameuse conférence de Kyoto qui donnera naissance au protocole dit de Kyoto, actuelle loi suprême de l’humanité. Comme on sait, aussi fondamentale que soit la loi supposée garantir la préA CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
servation de l’espèce, elle n’aura pas été adoptée par tous. Les États-Unis, en particulier, s’y seront opposés. Mais de quoi s’agissait-il ? Les experts du GIEC étaient arrivés avec un message simple : il fallait réduire aussitôt de 50 à 80% les émissions des pays industrialisés - et freiner la croissance de celles des pays en voie de développement. Le protocole de Kyoto décidait alors solennellement de tenter de réduire un peu les émissions des pays industrialisés, en une quinzaine d’années. Ainsi était décidé le suicide de l’humanité.
De ceci il n’aura simplement pas été tenu compte à Bali.
La catastrophe alimentaire Mais, surtout, ce qu’on oublie de dire, c’est que le premier effet annoncé par les experts dès avant Kyoto est une catastrophe alimentaire. Les experts ont évalué à un milliard le nombre de personnes destinées à mourir de faim. Deux milliards manqueront d’eau. Et depuis cet été, les effets à grande échelle de la ca-
Dix ans plus tard, rien de sérieux n’a été fait.
Les avions, plus que les voitures L’Europe, soit disant "vertueuse", aura, par exemple, développé les compagnies d’avions "low-cost". Pourtant les experts avaient bien prévenu : le problème principal, ce sont les avions, avant même les voitures. Qu’à cela ne tienne : désormais ça coûte dix fois moins cher de voyager en avion qu’en train, de Madrid à Paris. Il fallait voir la une de Libé du jeudi 13 décembre, en pleine conférence de Bali, pour mesurer l’étendue de la moquerie. "Low-cost à tout prix", titrait le journal qui explique doctement que "le gouvernement y voit un soutien au pouvoir d’achat". Avec trois pages ensuite pour expliquer ça - et comment la France serait "à la traîne" en la matière, et manquerait d’aéroports. Le sujet était-il à ce point d’actualité ? Il fallait aller page 17 pour découvrir qu’à Bali le même jour, le représentant du même gouvernement français, faisant mine de se préoccuper plus que quiconque du dit réchauffement climatique, proposait un impôt mondial, récupérant le principe de la taxe Tobin sur les flux financiers, pour réparer les dégâts de la grande catastrophe annoncée. Justement, un autre rapport de l’ONU, publié à la veille de l’ouverture de la conférence de Bali, chiffrait un peu plus précisément l’addition, réclamant aussitôt 86 milliards de dollars d’aide aux pays pauvres, principales victimes d’une catastrophe directement imputables aux pays riches.
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tastrophe annoncée ont déjà été d’une envergure suffisante pour que l’humanité ne couvre pas ses besoins alimentaires en 2007. À Bali, après quelques jours de cirque où les premiers rôles étaient tenus par Jean-Louis Borloo et par la section française de Greenpeace, les conférenciers se seront séparés "déçus": ils renoncent cette fois à tout objectif "chiffré". Y compris les "mesures d’atténuation" suggérées par le GIEC ne seront pas prises en compte. L’humanité confirmait ainsi son suicide. Curieuse politique. Cet été, à l’occasion des inondations exceptionnelles provoquées en Inde par une mousson record - jamais vue de mémoire humaine -, les observateurs pouvaient enregistrer un phénomène qui n’étonna personne : seules les basses castes souffraient. Le rapport de l’Onu le confirme : ce sont les pays du sud principalement qui sont destinés à subir la catastrophe climatique. Les premiers touchés seront bien les deux milliards et demi d’humains qui vivent avec moins de deux dollars par jour.
Rencontres et lectures à contre courant L’internationale situationniste L’Infokiosk d’Avignon vient de publier une brochure qui rend compte de la quatrième partie d’un cycle de conférences «Sur l’Ultra-Gauche». [Les trois premières parties avaient abordé la Gauche germano-hollandaise (mai 2005), la Gauche italienne et les débuts de l’Ultra-Gauche en France (décembre 2005) puis les groupes/revues Socialisme ou Barbarie et Noir et Rouge (mai 2006) ; des comptes-rendus avaient été publiés sous forme de brochures.]C’est l’Internationale situationniste (IS) qui se trouve ici abordée avec tout d’abord un retour sur son «archéologie» artistique (COBRA, le MIBI, l’Internationale lettriste). Une seconde partie (laissant de côté la vie intérieure de l’organisation et ses retentissantes exclusions) procède à l’analyse thématique de l’IS en se basant sur ses textes majeurs (les articles parus dans les 12 numéros de la revue, la brochure «De la misère en milieu étudiant» et «La Société du spectacle» de Debord) et décortique les concepts et définitions situationnistes: vie quotidienne, prolétariat, spectacle et son abolition, les conseils ouvriers, l’abolition du travail, etc. Cette brochure s’achève, sous forme d’épilogue, avec Mai 68 et le «triomphe» de l’IS. «L’Internationale situationniste (1957-1972», février 2008, 40 p. A4. Cette brochure est disponible à l’adresse : Les Chemins non tracés, BP 259, 84011 Avignon cedex 01(prix libre (merci de penser aux frais de port).
qu’a ceux qu’elle est censée renverser. Les travailleurs en furie, forts de leur nombre, se soulèvent irrésistiblement contre l’arrogance des puissants. Ils brandissent leur poing au nez des fils du privilège. Ils se gaussent des affectations délicates des dandys démocrates. Ils se massent aux portes des beaux quartiers et, tandis que les millionnaires tremblent dans leurs demeures, ils crient leur terrible revendication: “Laissez-nous réduire vos impôts!”. L’Etat le plus pauvre des Etats-Unis a réélu George W. Bush avec plus de 56% des suffrages aux dernières élections. Pourtant, le New Deal avait sauvé la Virginie-Occidentale de la famine pendant les années 1930. Et ce bastion démocrate fut ensuite un des très rares Etats à voter contre Reagan en 1980. Alors, républicaine, la Virginie-Occidentale? L’idée semblait aussi biscornue que d’imaginer des villes “rouges” comme Le Havre ou Sète “tombant” à droite. Justement, cette chute est déjà intervenue. Car cette histoire américaine n’est pas sans résonance en France. T. Frank écrit pour «Le Monde diplomatique» des articles d’analyse sociale et politique de la situation américaine. «Pourquoi les pauvres votent à droite» est paru aux Editions Agone Collection “Contre-feux” 368 pages, 24 euros. ISBN : 978-2-7489-0088-0.
Changement de propriétaire. La guerre civile continue
Convaincre sans manipuler L’homme ou la femme moderne a tout aussi besoin que le citoyen de l’Antiquité d’apprendre à argumenter pour convaincre son interlocuteur ou son public. Comme le rappelle Philippe Breton, auteur de «Convaincre sans manipuler», l’acte de convaincre, distinct de celui d’expliquer ou de celui d’informer, a le pouvoir de faire évoluer l’opinion de l’autre et peut contribuer à changer les choses. Ce manuel pratique s’inspire des techniques mises au point par la rhétorique grecque et romaine. Celle-ci avait deux préoccupations indissociables, celle de l’efficacité et celle de l’éthique. La rhétorique se tenait donc à distance des techniques de manipulation, désormais très présentes dans notre environnement communicationnel. Comme le montre cet ouvrage simple et concret, l’efficacité peut parfaitement aller de pair avec le respect de l’autre et celui de soi-même. La manipulation n’est guère efficace, elle est même le plus souvent contre-productive. Réalisé directement à partir de l’expérience des formations à l’argumentation animées par l’auteur et construit autour d’exemples, le livre se termine par des conseils concernant la prise de parole, l’élocution, la mémorisation. « Convaincre sans manipuler » de Philippe Breton (chercheur en anthropologie au CNRS à Strasbourg, il enseigne à Paris 1) est paru aux Éditions La Découverte en janvier 2008. 156 p., 11 euros. Du même auteur chez le même éditeur : «L’Incompétence démocratique. La crise de la parole au coeur du malaise (dans la) politique» (2006) – «Argumenter en situation difficile» (2004) – «Éloge de la parole» (2003) – «L’Explosion de la communication à l’aube du XXIe siècle» (2002) – «Le Culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ?» (2000) – «Histoire des théories de l’argumentation» (2000) – «La Parole manipulée» (1998) – «L’Utopie de la communication» (1990).
Pourquoi les pauvres votent à droite En sous-titre : «Comment les conservateurs ont gagné le coeur des Etats-Unis» (et celui des autres pays riches) L’ouvrage de Thomas Franck est traduit de l’américain par Frédéric Cotton et préfacé par Serge Halimi. Depuis des décennies, les Américains assistent a une révolte qui ne profite A CONTRE COURANT N° 192 - FEVRIER - MARS 2008
Que s’est -il passé depuis que l’”entreprise France” comme ont dit maintenant à l’Elysée, a changé de propriétaire, le 6 mai au soir ? Dans cette chronique des Cent jours du sarkozysme triomphant “sans tabou ni complexe”, on assiste à l’installation d’un nouveau système. Derrière des mots neutres - bouclier fiscal, TVA sociale, franchise médicale, - il s’agit d’enrichir les riches en faisant payer les pauvres. Mélangeant à dessein les sources les plus variées, s’aidant d’entretiens avec Jacques Rancière, Alain Badiou et Daniel Bensaïd, Eric Hazan donne à voir une évidence, que chacun est plus que jamais tenu de taire : la guerre civile continue. «Changement de propriétaire. La guerre civile continue» est paru aux Editions du Seuil.
La valse des écrous En sous-titre : «Travail, capital et action collective dans l’industrie automobile (1970-2004)» Les voitures encombrent villes et routes, tandis que des groupes industriels s’affrontent pour accroître leurs parts de marché. La Valse des écrous présente les conditions réelles de cette concurrence au sein du secteur de l’automobile, depuis longtemps un laboratoire d’innovations managériales. L’auteur envisage les liens entre les transformations du travail, l’accumulation du capital et t’action collective. Il réexamine les réalités contemporaines à partir des modèles d’analyse de l’industrie automobile et passe en revue les débats sur les “modèles productifs”. Il analyse la manière dont se mettent en place l’automatisation, le travail en groupe (teamwork), les organisations du temps de travail et la flexibilité. Autant de “nouveautés” qui créent de fortes contradictions et résistances. Malgré un rapport de forces défavorable aux collectifs de travail, l’action collective continue à peser sur les décisions du management. Stephen Bouquin s’est plus particulièrement attaché à présenter les enjeux des transformations du travail chez Renault Véhicules Industriels, dans la banlieue de Caen, et chez Volkswagen, en Belgique. «La valse des écrous» de Stephen Bouquin est paru aux Editions Syllepse, 306 pages -23 euros.
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Article 27 : Les salaires sont alignés sur le SMIC bulgare.
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Déposé le 28/02/2008
Chapitre III Article 28 : Les stock-options sont virées sur un compte au Lichtenstein.
Sommaire Page 1 .............................. Edito : Un cocufiage en règle Page 2 à 3 ................ La campagne "Sauver le Darfour" Page 4 .... Approfondir le débat sur l'auto organisation Page 5 et 6 ................................... L'espoir fait survivre Page 6 .... Quand le virtuel met à mort le réel (édito AL) Page 6 ............ Changer le monde (livre de G. Fontenis) Page 7 et 8 ........... Révolte dans les quartiers populaires Page 9 à 11 ........... Chantier de démolition des retraites Page 12 et 13 ..................... Vers un système corporatif ? Page 13 ....... Sur la grève de Carrefour Grand Littoral Page 14 ..................................................... Bali, c'est fini Page 15 ...................................... Rencontres et Lectures Page 16 .............. Dédé illustre le code Parisot du travail ACC dispose d'un Fax au 03 89 46 29 79 (Pour le 68) et
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