UN CHEMIN DE TERRE ET DE FUMÉE

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Un chemin de terre et de fumée

Jean-Paul AZAÏS


SOMMAIRE Préface Avant-propos

9 10

I. Cheminement

Les couleurs forestières

242

Bleu : la lumière de l’obscurité

247

La fumée prisonnière du vernis grec : les ténèbres et la lumière

259

Une enfance au pays du liège

14

Le kaki, le safran, l’orange et l’oronge

271

Un interminable apprentissage

25

La beauté du sec

274

Entre bronze et chlorophylle

282

Souvenir de Teruel : l’engobe et le vernis blanc

288

II. La leçon de la tradition Le fil rompu

56

Vivace terre enfumée

65

De profondes racines

81

III. La terre, l’eau De la terre et des herbes

94

La cuisson protégée du feu des sigillées antiques, le rouge, l’énergie et la vie 295 Une coccinelle dans le mimosa

318

La métallescence colorée : l’incandescence des braises

323

L’eau, la goutte, la vie

109

Le vernis d’argile ou l’éloge de la flaque

114

Une pâte de façonnage sûre, idéale pour polir et engober

VI. L’espace et le temps, la mémoire de la terre

128

La vie des formes, le symbolisme

332

Pétrir l’argile, s’accorder avec la pâte

134

Le feu sculpteur d’espace

350

La spirale et le tour de potier

136

Attiser la forme

142

Les bruits, les sons, la musique et la parole de la terre

359

Les temps de la création. Terre de mémoire

361

Étranges figurations

364

Similitudes chromatiques, mimétisme et homochromie

365

Relier, se relier, le travail sur soi

366

Voyage : le chaos et le cosmos

372

Glossaire

382

Index

384

Bibliographie

387

Sigles

389

Remerciements

389

Aux confins du regard et du toucher : le polissage, une longue caresse

145

Aridité : le séchage de l’argile

150

La pose du vernis : un travail de laqueur

153

IV. Le feu, l’air La cuisson au feu de bois

160

Le vent, le mouvement, l’air, le souffle

220

V. Les couleurs, les lumières du fer et du carbone Entre azur et corail

224

L’enfumage massif par carbonisation, noir, les terres de la nuit

229

Crédits photographiques

389

De la nacre et des nuages

237

Biographie

390

7


I. Cheminement


II. La leรงon de la tradition


Collection des principales morphologies et typologies de pièces produites par Lluís Cornellà, Lluís Cornellà, le potier de la fumée, article publié dans La Revue de la céramique et du verre.

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III. La terre, l’eau


DE LA TERRE ET DES HERBES

Matin d’hiver à l’étang de Saint-Nazaire.

La mer et la montagne Sur le cordon littoral de la côte Vermeille, un petit village de pécheurs témoigne en silence d’une culture maritime désormais disparue. À quelques mètres des cabanes brunes faites de senills (phragmites) s’étend la pe-

Cabane de pêcheur, barque et filet à anguilles au bord de l’étang de Saint-Nazaire.

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louse à éphédras et la cuvette à salicornes. C’est dans ce cadre, entre ciel et mer, où certains jours l’horizon devient invisible tant les deux bleus fusionnent, que j’ai fait mes premiers pas de botaniste ; un univers minéral fait de sable, de sel, et d’eau ; malgré l’hostilité du milieu, une étonnante flore a su remarquablement s’adapter et y fixer la vie. La tramontane et les étés torrides raffermissent et assèchent une partie de ces étendues vaseuses saumâtres. Durcies à l’extrême, elles vont se rétracter, et offrir un spectacle de riches et profondes craquelures ; vivantes, très diversifiées et de structures compliquées, elles me séduisent par leur beauté raffinée. La force expressive des arborescences de leurs réseaux a stimulé ma créativité de céramiste. Longtemps après cette observation méditative enveloppée d’odeurs marécageuses et iodées, j’ai choisi d’utiliser l’image d’un craquelé pour donner du sens à certains de mes travaux ; cette nouvelle figuration se justifiait à ce stade de mon cheminement évolutif.


L’EAU, LA GOUTTE, LA VIE

L’eau et son passage de l’état solide à l’état liquide : naissance d’une goutte.

L’eau est une molécule formée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène, des éléments très largement distribués dans l’univers. La molécule d’eau (H2O) est très stable ; lorsqu’elle est seule, sa dissociation en hydrogène et oxygène n’apparaît que vers une température élevée. L’eau possède des propriétés acide-base, elle pourra réagir par ses ions H+ et OH- et favoriser la réaction dite d’hydrolyse. Elle participe à l’altération principale des cristaux constituant les roches magmatiques et métamorphiques que nous retrouvons dans nos argiles. Cette molécule d’eau peut également développer des propriétés complexantes* à l’origine de divers hydrates (cf. aluminosilicates). Par rapport aux autres substances, souvent solides ou gazeuses, l’eau est présente sur la terre à l’état liquide. Les différentes formes que prend l’argile sont souvent liées à l’action de l’eau ; que ce soit sous l’accumulation d’alluvions (A) ou la création de masses érodées (B). Ces différentes apparences des sols sont très recherchées en planétologie car elles signent

A - Dépôt d’argile ondulant par l’eau.

B - Érosion de l’argile ondulante par l’eau.

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Après les violentes et abondantes pluies d’équinoxe de printemps 2011 : bas-relief de la fontaine Saint-Martin de Llauro réalisé avec mon ami Marc Lachèvre.

indirectement les effets probables du précieux liquide. Le fort intérêt que suscite l’étude de Mars est lié à la quasi certitude de l’existence d’eau à l’état liquide dans le passé à sa surface, ce qui aurait pu être favorable à l’épanouissement d’une forme de vie. Une goutte figure à la base du blason du village de Llauro, celle-ci symbolise avec insistance la présence chanceuse de nombreuses sources et de puits sur le territoire de cette

Le filet d’eau de la fontaine Saint-Martin de Llauro où étaient remplies les cruches pendant mon enfance.

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commune de l’Aspre, une contrée où, en principe, l’eau est rare. Je me souviens, dans mon enfance, du remplissage quotidien des cruches à la fontaine Saint-Martin, des bavardages dans la petite file d’attente, et des bruits des chevaux qui s’abreuvaient. Le projet « fontinal » et son aboutissement, l’arrivée de l’eau potable dans chaque foyer, signa l’abandon de cette source fondatrice. Conscient de son importance passée, il me semblait logique, prudent et respectueux de la maintenir en bon état. Il y a une trentaine d’années afin de la sauver, avec mon ami Marc Lachèvre, nous avons imaginé et décidé de modeler un bas-relief en terre représentant saint Martin à cheval. À peine sorti du four nous nous sommes empressés d’aller présenter le bas-relief à Marcel Bizern, alors maire de Llauro. Avec l’audace de la jeunesse, nous lui fîmes la proposition d’offrir cette réalisation à la commune si la fontaine était restaurée. Un cadeau qu’il accepta instantanément et très rapidement la promesse de réparation fut respectée.


PrĂŠparation par extraction aqueuse des tannins contenus dans les chatons du chĂŞne vert.

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La grande peur d’un minuscule grain de terre Au début des années 1980, quelques mois après leur cuisson, les surfaces de certaines de mes pièces m’apparurent criblées d’une myriade de petits cratères, blanchâtres en leur centre. La chimie minérale m’éclaira sur cette catastrophe qui me traumatisa fortement. Comme lors du traitement des roches calcaires dans un four à chaux, les minuscules morceaux de carbonate de calcium présents dans l’argile vont se transformer sous l’action de l’oxygène et de la chaleur (vers 900°C) en chaux vive, appelée oxyde de calcium. Après plusieurs mois d’imprégnation de l’épaisseur de la terre cuite par l’humidité de l’air ambiant, l’inclusion d’oxyde de calcium va s’hydrater en hydroxyde de calcium, connu sous la dénomination de chaux éteinte. Ce changement d’état s’accompagne toujours d’une augmentation de volume. C’est ainsi que, par leur gonflement, des petits grains d’hydroxyde de calcium dans mon argile cuite anéantirent une année entière de mon travail. Cette leçon, apprise cruellement par l’expérience, me fit réfléchir à un défaut céramique qui est connu depuis très longtemps. Les céramiques de la Méditerranée antique des périodes très anciennes, enduites de vernis d’argiles, présentent souvent ce défaut, plus ou moins marqué de gros éclats. La visite des multiples salles du musée d’Athènes nous montre, sur une grande quantité de pièces, la disparition presque totale de ce problème à partir du VIe siècle av. J.-C. Sans doute après un temps d’incompréhension, un changement radical du mode de préparation des argiles semble avoir été définitivement adopté. Un probable lavage et raffinage par lévigation et décantation des argiles de tournage et de modelage (cf. Le vernis d’argile ou l’éloge de la flaque) a permis d’éliminer efficacement cette source d’altération. La qualité du traitement de l’argile des épaisses tuiles romaines explique leur grande intégrité dans le temps ; une telle éthique fait parfois défaut dans les productions des tuileries contemporaines. Un jour de promenade au mas d’en Piall, mon amie Lise, qui observait le mur de la 130

vieille bâtisse surplombant le lit d’el Monà, remarqua un crépi dont les propriétés d’étanchéité étaient connues depuis l’Antiquité. Il s’agissait d’un mortier de chaux dit au « tuileau », une préparation qui mêle aux particules de chaux de la tuile finement pulvérisée. En un instant, grâce au génie de cette formule anti-humidité, la cohabitation si redoutée de la terre cuite et de la chaux dans le travail du potier fut exorcisée et en partie réhabilitée à mes yeux. Mais, l’émerveillement passé, le retour à la réalité de ma céramique m’oblige toujours à certaines précautions.

Pariétaire et enduit au tuileau sur un mur en schiste bleu du mas d’en Piall.

Enduit des maisons de la cité antique d’Empúries Museu d’Arqueologia de Catalunya-Empúries.


Eclat de terre cuite causé par un grain de chaux de 3 mm. Lors de cuissons à des températures très inférieures à 800°C, il est possible de dégraisser des argiles avec des fragments de calcite car ils ne seront pas transformés en oxyde de calcium, cela est visible par exemple sur des pièces du néolithique ancien chinois et à la surface des dolia utilisées par les Romains.

Altération par l’humidité d’une brique rouge contenant des nodules de chaux bien visibles dans les éclats jonchant le sol au premier plan.

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Tournage de Vénus.

de neutraliser certaines forces et de parfaire une bonne homogénéisation des particules minérales. L’harmonie du réglage des vitesses de rotation et du déplacement des mains va déterminer la grandeur du pas de vissage. L’expérience montre que l’obtention de spires serrées à petit pas diminuera en les accompagnant les futures tensions internes de la pâte. Le fond des pièces est fortement et lentement pressé et soigneusement épongé afin d’éviter l’apparition future de fentes, (un petit fragment d’éponge fixé à un long et fin bâtonnet, ou un long fil de cuivre rigide permet d’atteindre la base intérieure des longues pièces aux cols très resserrés). J’aime tourner des argiles fermes ou très légèrement sableuses, les mains trempées dans de l’eau claire (fraîche en été et chaude en hiver). Des argiles bien battues et ayant beaucoup de nerf sont idéales pour la réalisation des formes très tendues. Lors des premiers stades du raffermissement de la terre, un retrait important entraîne une diminution de volume qui peut parfois modifier la ligne de la pièce. Il convient d’anticiper cette altération morphologique afin 138

Tourner lentement avec délicatesse et précision.


Le tournassage

de mon travail avec la nature insiste sur cette belle ambiance se fondant encore sur la magie de l’hélice. (cf. FR3 Viure al País, octobre 2004). Au-delà d’un geste technique, le tournassage est un acte très créatif semblable au travail du sculpteur. Sensibilité et jugement se conjuguent pour « attiser » l’évolution de la forme jusqu’au profil exact initialement voulu, selon la belle formulation de mon ami Robert. Dès que la silhouette finale de la pièce est choisie, elle sera « tendue » d’un seul geste grâce à l’usage d’une lame métallique de clinquant souple. Les qualités de déformation de cette lame me permettent de m’adapter à tous types de lignes : droite, courbe-convexe, courbe-concave, courbure convexe-concave... Les angles vifs qui se terminent en un point sont épurés avec une lame épaisse de clinquant rigide. Une lame neuve, bien droite, est utilisée pour une première « rectification » de la base de la pièce. Tous les travaux de rectification sont très importants car ils m’assurent : – une bonne planéité garante de la stabilité des pièces ;

Faire des copeaux, attiser la forme.

Parvenues à la consistance du cuir (3e temps du séchage), les pièces sont à nouveau retravaillées sur le tour. Positionnées à l’endroit puis à l’envers sur un mandrin, l’ensemble est préalablement parfaitement centré. Pour tournasser mes pièces, j’utilise habituellement des mirettes achetées qui sont plus petites que celles choisies dans la phase précédente. Elles facilitent des gestes précis qui vont soustraire des quantités plus faibles d’argile. Les copeaux de dimensions variables qui se détachent de la masse argileuse sont en général plus petits et diversement spiralés. Ils se brisent en fragments minces et figés car la terre est plus ferme. Ils glissent, se fissurent, se chevauchent, s’accumulent sur la girelle en ondulant autour du mandrin en rotation. Au fur et à mesure de la progression de l’ouvrage, ils vont produire un tas aéré au fleurissement très expansif. Les mouvements d’enroulements depuis leur naissance jusqu’au moment de leur stabilisation sont très agréables à observer. Un court métrage intitulé Terres de Memòries (Martine Camiade) concernant la relation

Rectifier la base de la pièce avec une lame neuve.

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ARIDITÉ : LE SÉCHAGE DE L’ARGILE

Contrôle du séchage des bases et des ébauches de couvercles posés sur une plaque de bois absorbante. Un cornet de papier est posé sur le sommet du Triangulo pour freiner l’évaporation de l’eau. Des sacs plastiques hermétiques bloquent la dessiccation des pièces déjà raffermies pouvant être tournassées.

Sous le climat de la Méditerranée, souvent à la période de Pentecôte la tramontane souffle, sept jours suffisent pour assécher les flaques et jaunir les prairies printanières. Beaucoup d’activités humaines obligent à la pratique du séchage. Le travail des foins, des feuilles de tabac, des herbes aromatiques, des plantes médicinales, des grains de raisin, des figues, des pruneaux... Les procédures peuvent être passives. Elles se fondent sur la chaleur et la ventilation naturelle ambiante, leurs actions convergentes stimuleront l’évaporation de l’eau. Dans certains cas, des exigences spécifiques ont favorisé le développement de méthodes actives. Certains lieux sont aménagés en séchoirs plus ou moins sophistiqués. Les techniques et leurs protocoles sont le fruit de l’ingéniosité et de l’innovation humaine (lyophilisation, par exemple). Dans les métiers de la terre cuite, il est nécessaire d’utiliser une partie de l’atelier, une cour, un auvent aéré, une armoire ou un bâtiment entier comme séchoir permanent. 150

Personnellement, je dispose d’une grande table située au centre de l’atelier servant aux premières heures de raffermissement-séchage des poteries fraîchement tournées. Le lendemain matin, les poteries légèrement durcies sont disposées sur une large étagère à plus de trente centimètres du mur. Cette distance permet d’éviter que les courants d’air latéraux viennent hâter et déséquilibrer la douce progression d’un séchage harmonieux. L’expérience montre qu’il existe différentes vitesses de dessiccation selon les saisons. Rapide à fulgurante en été, lente en hiver, presque arrêtée durant les longs épisodes pluvieux qui sursaturent l’atmosphère d’humidité, où les cladonies de la garrigue retrouvent alors toute leur souplesse et l’astrée hygrométrique réhydratée étale à nouveau ses bras. Les périodes les plus difficiles pour réguler le séchage de mes pièces sont le début de l’automne et la fin du printemps. L’efficacité du séchage est directement liée à la surface d’argile permettant l’échange gazeux avec l’atmosphère. Une pièce


IV. Le feu, l’air


Le four Ă bois

Le four fin mars 2008.

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L’intérieur du four, les plaques d’enfournement, la voûte et la zone de passage des flammes sous la sole.

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Une des nombreuses étapes de l’enfournement concernant la recherche du meilleur emplacement possible des pièces: analyser la situation, réfléchir, mesurer, faire et défaire l’espacement des étagères, changer parfois le positionnement, les protections d’une pièce pour gagner un peu de place ou pour améliorer les performances aérodynamiques de l’enfournement et respecter le souffle du four.

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Début de la cuisson, présence de fumée claire blanchâtre.

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Les bruits inquiétants indéterminés du début, les divers craquements ont laissé la place à la puissante sonorité de la vibration d’un souffle apparentant le four à un être vivant. Le gonflement du four devient une évidence, le ferraillage se dilate. Les deux lourdes portes en fonte des deux foyers sont alternativement aspirées et repoussées. Leurs

Débraisage à l’aide d’un long trident en fer.

Etat de l’incandescence orangée de la base de la cheminée.

Etat de l’incandescence blanche de la base de la cheminée.

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mouvements d’oscillation signent souvent la fluidité d’un fonctionnement harmonieux retrouvé. Très vite, la température dépasse 900°C ; de toutes petites charges régulières de bois bien sec, finement fendu, suffisent pour gagner les difficiles derniers degrés au-dessus de 1000°C. Le haut de la cheminée crache des volutes noires de fumée dense (cf. cliché chapitre : Le vent, le mouvement, l’air, le souffle) qui rapidement se transforment en une longue flamme (1 à 2 mètres) variant du rouge à l’orange lumineux (le CO s’enflamme au contact de l’oxygène ; ce CO est utilisé grâce à un système venturi* situé avant le trou de la cheminée dans les fours Feller comme combustible de post combustion, l’énergie dégagée permet de réchauffer de l’air qui est injecté par des tubulures dans le foyer, cela permet d’économiser environ 50% de bois). Ce spectacle captivant très attendu est toujours amplifié au crépuscule. Finalement, la flamme laisse la place à quelques étincelles qui, comme de minuscules étoiles filantes, finissent par disparaître dans la nuit. Du temps, de la persévérance et la température finale sera enfin atteinte avec toujours le même sentiment de libération et de satisfaction. À ce stade de la cuisson, maintenir un palier de température est désormais chose facile. La cuisson du 6 juin 2006 que j’ai partagée dans la joie avec Jacques et les enfants, est un exemple type de cuisson oxydante ouverte (été du feu de bois) au bois de chêne vert et de pin bien sec. Elle a duré environ onze heures pour atteindre la bonne température. Un protocole final simple, insistant sur la thermique, trois bonnes heures passées au dessus de mille degrés avec un palier d’une demi-heure à 1052°C, sans enfumage volontaire, sans fermeture hermétique du four, ce jour-là, deux nouveaux vernis ferrugineux ont été offerts aux brûlures des flammes de cette cuisson. Préparés par une longue lévigation de 40 mètres, leur finesse a favorisé leur dureté et un grésage discontinu. Malgré la pose micro-ponctuée à l’aérographe, ces vernis présentent une forte brillance dès que nous les regardons en lumière rasante. Les couleurs ocre orangé vives mêlées de zones noires nous rappellent les vernis grecs. Ici et là scintillent des groupes de liserés métallescents.


tile. Un univers froid, fait de poussières, d’un épais voile de cendre et de fumée qui ne laisse transparaître aucun signe de beauté. Seule l’expérience peut permettre de risquer par extrapolation un premier sentiment de satisfaction qui pourra, malheureusement, être déçu. Par la suite, une grande opération de nettoyage me permettra enfin d’accéder à la

vérité. Les pièces, une à une sorties du four, seront longuement frottées au chiffon, puis lavées énergiquement. Quelquefois, l’usage d’une fine toile émeri s’avère nécessaire pour détacher des lambeaux de cendres scorifiées. Son pouvoir abrasif est en général sans risques, inoffensif pour ces « épidermes » durcis par tant de chaleur.

Murs déflecteurs avec des variations d’ouvertures, les briques sont revêtues d’un épais émail vert causé par l’important contact et dépôt des cendres.

Défournement, automne 1982. Photographie de Paul Palau.

Les pièces sont protégées partiellement des flammes et des cendres par des cazettes aux formes appropriées. Au niveau des parties hautes de la chambre du four, proches des passages ouverts des murs déflecteurs, les cendres pourront se déposer plus ou moins selon le type de cuisson. Elles s’accumulent sur les diverses surfaces et sur le limon stabilisateur du positionnement des pièces à l’enfournement.

Ponçage à la toile émeri de certaines zones cendrées.

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Triangulo aux strates géologiques brunes et aux strates nuageuses, bleues et blanches ; Pyxide au vernis ferrugineux épais carburé noir, orangé vif et bleu.

Cette cuisson de plus d’une trentaine de pièces a été réalisée avec deux stères de bois très sec composé de diverses essences : chêne vert, alaterne, arbousier, bruyère, noisetier provenant du débroussaillage de la forêt voisine de l’atelier. Ce combustible gratuit, ramassé sur place, renouvelable durablement sans destruction de l’environnement, m’a permis d’atteindre facilement la température de 1084°C. Sa finesse a favorisé le développement d’une atmosphère très oxydante et fait naître un cadeau : un orangé mandarine exceptionnel.

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V. Les couleurs, les lumières du fer et du carbone


Calebasse au vernis blanc enfumé. H. 17 x Ø. 14,5 cm.

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Enfumage massif par carbonisation/imprégnation d’un engobe raffiné blanc. H. 17 x Ø. 17 cm.

Petit Aryballe. H. 17,5 x 1 Ø. 4 cm.

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La Jarre aux névés.

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La fumée et ses manifestations imprégnant l’argile sont à l’origine de nombreuses suggestions de mouvements de vapeur d’eau, de brumes, de brouillards et de nuages. Certains potiers japonais parlent d’une poterie « fleur de nuage ». L’utilisation précise et subtile d’un enfumage dilué est propice à la création de mystérieux paysages abstraits. Au début des années 1990, mes travaux sur la couleur grise associée à des stratifications ont abouti à la naissance d’une de mes pièces préférées que j’ai appelée la Jarre aux névés. L’image du cycle de l’eau laissée par les empreintes guidées du feu de bois se découvre lentement à notre regard qui tourne autour du volume. Sur la surface paysagée, grise, impressionniste de cette pièce, nous pouvons voir figurer l’eau dans ses trois états : le monde aquatique liquide et ses remous, les névés, forme solide de l’eau et, au-dessus des cimes, la course aérienne des nuages. La couleur grise nous la trouvons associée aux productions minérales de certains êtres vivants, comme les coquillages. Les écailles de poissons, les plumes d’oiseaux, la cuticule des racines et les écorces d’arbres sont aussi à l’origine de somptueux gris dont la délicatesse m’enchante. L’eau, c’est la vie ; son absence va jaunir les plantes en les desséchant. Souvent, avant de devenir un humus brun noir, le végétal sec se recouvre d’un voile gris.

Œuf. H. 22,5 x Ø. 18 cm. Vernis naturel type sigillé gris rose très dur, fortement brillant, et impression de pâte de verre.

Palissade grise de roseaux secs du littoral catalan.

Roseau gris, beige et bleu. H. 31,5 x Ø. 12 cm.

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Lors d’un après-midi consacré à la cueillette des champignons, Tom, alors âgé de cinq ans, constata des analogies de colorations beiges entre les feuilles sèches de châtaigniers, la cuticule des chapeaux de cèpes de Bordeaux et des coulemelles. Celui-ci prit conscience de cette douceur de tons satinés qui différaient du brun des bolets tête de nègre récoltés la veille. Afin d’alerter notre vigilance, il se mit à imiter la voix du perroquet répondant au téléphone dans Tintin. Il s’écria en chantant « attention ils sont marron clairrr, attention ils sont marron clairrr... ».

Enfumages gris et marron en basse température sur un engobe blanc.

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La pièce bleue correspond à un enfumage brun de haute température sur vernis ferrugineux dilué ; les deux autres pièces recouvertes d’un vernis d’engobe blanc ont été imprégnées de fumée à basse température. Jarre-flèche au premier plan. H. 23,5 x Ø. 16 cm.

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Jarre couverte, vernis d’argile ferrugineux épais marron foncé sur fond de feuille morte beige.

Jarre couverte au vernis d’argile ferrugineux épais couleur beige doré, traces noires et marrons. H. 20 x Ø. 19 cm.

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Une « mousse » transitoire. Des figures bleues sur fond noir

Mousse de vernis argileux non décarburé.

Il y a quelques années, lors de la pose d’un vernis par trempage, « un amas de bulles » non tamisées se déposa et se décanta sur la bordure du couvercle d’une pièce. Après cuisson au feu de bois, ce reliquat argileux demeura fortement noirci sur un fond plus clair. Ce défaut présentait à mes yeux une grande qualité pédagogique, montrant l’importance jouée par l’épaisseur du vernis dans le processus de forte carburation stable. Ce défautlà pouvait devenir une nouvelle pratique créative avec le vernis d’argile. La multiplication de nombreuses petites bulles juxtaposées, éclatées, permet de faire naître l’image d’un réseau de mousse éphémère. Très décoratives, les mousses nous montrent aussi une dynamique de rassemblement, la délicatesse de l’effervescence et la relation harmonieuse et tendre d’un liquide avec l’air. Elles nous parlent aussi du passage de la matière à différents états (transitions de phases). Par hasard, la compréhension du phénomène de naissance de la couleur bleu physique m’a permis d’imaginer et de mettre au

point une nouvelle utilisation inattendue du vernis d’argile pour créer des figures abstraites bleues sur un fond noir. Le vernis noir laqué est devenu pour moi un espace nocturne brillant d’où s’échappe une lumière bleue née au cœur d’une lointaine masse nuageuse de gaz interstellaire.

Piqûre d’insecte sur une inflorescence de sauge provoquant un développement de mousse blanche, appelée dans le passé « salive de coucou » (saliva de cucut) en Catalogne car sa présence signalait l’arrivée du coucou (macro p. 270).

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Des figures de fumĂŠe bleue sur fond de vernis noir brillant.

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Dégradés orangés de l’épiderme nécrosé des délicieux abricots Rouges du Roussillon du verger d’els Clots à Llauro.

Lumière d’une oronge jaillissant du sol siliceux ensoleillé de la suberaie à Llauro le 29 octobre 2007.

bois qui brûle ou le feu du soleil de juillet emmagasiné dans la chair juteuse et à la surface d’un abricot bien mûr du verger d’els Clots. Certains printemps et automnes généreux, l’heureuse et précieuse découverte

d’une oronge parmi les sombres schistes bleu-gris des suberaies me fait rêver. La cuticule orangée, luisante, aux reflets dorés de ce champignon thermophile annonce la lueur métallescente de l’incandescence des braises.

Tons orangés enveloppés d’une métallescence de braise Calebasse. H. 16,5 x Ø. 13,5 cm.

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LA BEAUTÉ DU SEC

Chicorées, folles avoines et oseilles sauvages dans l’Aspre devant le Canigou.

La calebasse et le roseau Pendant de nombreux siècles, les berges du ruisseau el Monà furent investies par des activités horticoles très précieuses pour les habitants de Llauro. Ces cultures, celles des jardins de les Trilles, de la fontaine Saint-Martin, de la Fontassa et les productions des jardinets autour des rares autres points d’eau constituaient un apport en légumes frais d’excellente qualité en été. Sa vie durant, mon grand-père Joseph travailla une de ces terrasses fertiles, située à els Clots sous l’atelier, contribuant ainsi avec d’autres villageois à maintenir en vie cette oasis filiforme pluriséculaire. Cette merveille fut construite par l’effort constant et persévérant des hommes, conquérant en douceur sur le chaos, sur les effets dévastateurs récurrents des pluies d’équinoxe (épisode cévenol) grâce à un endiguement par des murs solides, joliment et efficacement empierrés. Ce patrimoine de la ruralité fait de petits canaux, de petits barrages, de bassins, de ponts et de passerelles se dégrade faute d’entretien et sera hélas irrémédiablement perdu pour la postérité. 274

Mon grand-père avait coutume de cultiver une variété de courgette de couleur vert très clair appelée Blanche de Virginie. Chaque année, il en choisissait un spécimen qu’il ne cueillait pas ; l’élue était laissée sur place où elle pouvait grossir et mûrir à sa guise. Au début de l’automne, celle-ci était récoltée et conservée à l’abri de l’humidité entourée de paille dans le grenier. Au fil des jours, son épiderme séchait et jaunissait avec

Lit asséché d’el Monà bordé de parois empierrées et jonché d’un épais tapis de feuilles mortes de châtaignier.


délicatesse et subtilité. Une multitude de nuances de jaune se côtoyaient en enserrant ici et là des textures épidermiques nécrotiques grises, rouilles, violacées et quelques zones micro-ponctuées de noir parfois craquelées. À la fin de l’hiver, il l’ouvrait et retirait l’ensemble des graines qu’il recueillait afin de les conserver pour les utiliser comme semences dès le printemps prochain. Le pouvoir caché des graines a probablement contribué à la sédentarisation des populations du néolithique. Depuis ces temps paysans d’avant l’agriculture technicienne et industrielle, les hommes de la terre étaient les responsables du magnifique façonnage du terroir et les libres gardiens de tout un patrimoine génétique garantissant aux populations une diversité rustique de céréales, de légumes et de fruits. Je me souviens des tomates géantes d’Eloïse Gispert, des tomates charnues à la pulpe idéale pour la réalisation d’un excellent coulis faisant l’admiration des Llauronencs. Eloïse, qui détenait ce trésor d’un ancêtre lointain de sa famille venue d’Espagne, distribuait généreusement les petites graines à tous ceux qui en désiraient. Les graines étaient protégées des insectes, des rongeurs, de la lumière et de l’humidité dans des récipients clos. En Catalogne, les potiers traditionnels fabriquaient d’étonnantes poteries en forme de simple calebasse à col étroit appelées ansat pésoler (cf. SEMPERE Emili, La terrissa catalana, p 17, collection TERRA NOSTRA, éditions Nou Art Thor, Barcelone. s.d.) destinées à cet usage essentiel pour la survie qu’était la conservation de la fertilité végétale dans les campagnes. C’est ce lointain souvenir d’enfance d’une courgette séchée qui m’a donné l’idée d’approfondir un travail sur des formes céramiques obtenues par tournage proches des silhouettes des cucurbitacées. La calebasse qui peut symboliser la vieillesse m’a relié curieusement, sans l’avoir prémédité, au nom catalan Carbasse de ma grand-mère paternelle Mathilde. Par hasard, au cours des années 1970, mon père qui cherchait des cannes de Provence pour réaliser des tuteurs pour ses tomates trouva une argile grise très fine qui lui parut exceptionnelle. Il m’en apporta des échantillons qui, après préparation sous la forme de très fins engobes, développèrent de magnifiques cou-

leurs riches de divers jaunes et nuances paille à la cuisson. Ces résultats naturels remarquables si proches de la beauté de tous ces épidermes blondis par la chaleur et la sécheresse estivale, je les ai progressivement adaptés aux formes d’évocation végétale, telles que la calebasse, le pavot et le roseau. Un espace de recherche qui me permet d’exprimer ma sensibilité de méditerranéen en montrant une réalité émotionnelle du sud qui se manifeste, à mes yeux, dans ce que j’appelle « la beauté du sec ». Le sec apparaît dès la Saint-Jean par un basculement des paysages verdoyants, dans les lumières des innombrables tiges de graminées séchées qui, au fil de l’été, roussiront avant de grisonner et noirciront en fertilisant la terre. L’émotion si particulière suscitée par un sol déshydraté parsemé de mottes après un labour estival, évoque pour moi la solitude et la beauté minérale sublime des étendues infinies des déserts.

Mottes et herbes séchées par le soleil brûlant de l’été.

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Épidermes secs et nécrosés de diverses calebasses végétales.

De l’été à l’automne, les couleurs et matières générées par la sécheresse ou les transformations consécutives aux cycles saisonniers sont innombrables. Elles me touchent beaucoup car je les associe à une dynamique annonçant un humus en gestation. L’extrême variété et délicatesse de la flore revêtue d’un voile cuivré ou presque doré confère à ces feuilles, tiges et poils, des propriétés de fibres optiques canalisant la lumière en la sacralisant. Certains soirs, la magie du coucher de soleil est sans limite et créatrice d’instants féériques de bonheur contemplatif inoubliables. 276

Surfaces cuites de vernis d’argile aux couleurs proches des téguments végétaux séchés.


Lumières des herbes sèches.

Sciure sèche de liège sur une toile d’araignée ; l’écorce du chêne-liège provoque visuellement et tactilement un fort ressenti du sec que les jeunes enfants expriment spontanément à son contact.

Le sec et l’humide : cardère sec et gouttelettes de brouillard sur une toile d’araignée. Les enroulements en volutes des bractées sont accentués par la déshydratation des tissus secs.

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Au centre, Calebasse cuite ayant l’apparence d’un épiderme végétal sec. H. 30 x Ø. 25 cm.

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Un vieux pot à pharmacie. La leçon du pavot

Pavot cuit donnant l’impression de la progression du séchage couché dans de l’herbe (Brachypodium) présentant une analogie chromatique. H. 20 x Ø. 19 cm.

La silhouette de la capsule du pavot a souvent été une source d’inspiration pour de nombreux céramistes. Mon histoire me relie depuis longtemps aux plantes, et à la matière médicale qui nous informe sur leurs caractéristiques et leurs propriétés. Grâce à la connaissance des composés chimiques de la famille botanique des papavéracées, qui présentent des analogies avec les sécrétions d’endorphine de notre cerveau, j’ai compris avec intérêt et humilité la grande proximité des règnes du vivant. L’intelligence de la déhiscence de cette petite boîte couverte, remplie de minuscules graines noires (récemment, depuis l’utilisation massive des désherbants chimiques, une adaptation nouvelle de survie de la plante est apparue ; désormais les graines de certains coquelicots ne germent que tous les trois ans, cette attitude réduisant ainsi de deux tiers le risque d’une perte de fertilité), les qualités de son épiderme desséché vieilli et mon passé pharmaceutique m’ont incité à

choisir cette forme comme support de la poésie du sec. Les hommes de la Méditerranée antique avaient déjà su l’utiliser en créant à Chypre environ 2400 ans av. J.-C. des pots d’apothicaire utilisés pour la conservation des capsules séchées de papavéracées prescrites à des fins analgésiques.

Pavot sec sur schiste couvert de lichen desséché.

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ENTRE BRONZE ET CHLOROPHYLLE

L’Eté sans bras : sculpture d’Aristide Maillol dans les allées Maillol à Perpignan.

Vernis ferrugineux épais de couleur verte à reflets métalliques de bronze.

Le moulage d’une œuvre de terre modelée et sa transformation en bronze provoque une grande fascination. Cet acte est souvent associé à un processus de valorisation du nouvel objet qui est lié à la noblesse de l’alliage de cuivre et d’étain, au prestige social de cette matière et aux émotions que ces nouvelles surfaces suscitent. Cette combinaison métallique raffinée accroche subtilement la lumière par ses qualités intrinsèques, mais aussi par le patient travail de patine qu’elle a subi. Plusieurs couleurs apparaissent et se déclinent entre brun doré et vert de cuivre. Elles semblent se mêler tout en soulignant les lignes et les formes des sculptures. Les reflets et le mystère des luminosités qui en émane contribuent à donner du souffle à ces œuvres. L’argile

rouge ferrugineuse, lorsqu’elle est cuite autour de 1080°C à 1100°C, en présence de fumée ou de monoxyde de carbone, a tendance au verdissement (des argiles blanches présentant des traces d’oxyde de fer deviennent vert pâle très clair à ces températures). Les nombreuses cuissons ratées de mes débuts et les amoncellements de rebuts des fournées de la briqueterie de Saint-Jean-Pla-de-Corts m’ont fait comprendre cette aptitude spontanée de la terre à se rapprocher de cette couleur verte si dominante dans la biosphère. Ici et là, au sein du monde minéral et végétal qui nous entoure, les couleurs et nuances vertes sont omniprésentes et richement diversifiées. Dès le début du printemps, les bourgeons des chênes pubescents marcescents* et leurs

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Œuf vert clair : vernis naturel d’argile « céladonique ». H. 22 x Ø. 17,5 cm.

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Vernis naturel d’argile vert-jaune tilleul clair très brillant sur un vase à col à peine suggéré. H. 14 x Ø. 18 cm. Œuf au détail vert mousse. H. 19 x Ø. 16 cm. Une autre nuance de vert olive en arrière-plan.

Les différentes couleurs vertes du jade des Mayas symbolisent le renouveau, la renaissance végétale ; la jadéite est une roche extrêmement dure et lourde grâce à une structure cristalline fibreuse enchevêtrée ; pour ce peuple, elle était chargée de spiritualité. Cette pierre résiste au temps qui passe ; indirectement la couleur verte peut également symboliser la puissance et l’éternité. De toutes les multiples tonalités vertes, les verts des moisissures, des mousses, des lichens et des coquilles des minuscules œufs d’oiseaux sont mes préférés. Mon vernis lévigé est devenu une fine cuticule terreuse verte détourné de son utilisation antique rouge et noire. Ainsi, je suis désormais « libéré » de la seule recherche de cette dualité rouge noir traditionnelle. A l’image de la danse de ces merles noirs venant manger les fruits bleus du lierre qui recouvre le mur sous l’atelier, ou comme ces vieux troncs calcinés, vestiges de l’incendie de 1976, colonisés par le monde végétal, il m’est possible de faire cohabiter le vert et le noir. Je peux ainsi souligner l’importance vitale du pigment chlorophyllien et suggérer toutes ces émotions éprouvées au cours de mes promenades dans la verdoyante nature voisine. 286

Moisissure vert Véronèse au cœur d’un bois Vermoulu.

Le vert et le noir : souche de chêne brûlée au cours de l’incendie de 1976 mouillée par la pluie.


Petite Jarre couverte vert bleuté violacé. H. 16 x Ø. 16,5 cm.

Le vert et le noir.

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Petit Vase rouge au vernis d’argile ferrugineux cuit protégé des flammes pendant la montée en température. H. 12 x Ø. 14,5 cm.

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Cynorrhodons rouges brillants qui s’assombrissent à maturité.

fleurs et beaucoup de petits fruits de la flore méditerranéenne produisent de multiples pigmentations épidermiques rouges. L’orangé vif presque rouge des arbouses contraste avec le vert intense des feuilles de l’arbousier. À la fin de l’hiver, les fruits mûrs de la salsepareille, rouges foncés à la brillance huileuse, me font penser à du vernis type sigillé légèrement enfumé. Les rouges lumineux des épidermes des cynorrhodons (fruits de l’églantier qui servaient jadis à préparer dans les campagnes une gelée sensée éloigner la mélancolie) me semblent proches de la pureté d’un vernis d’Arezzo. Certains végétaux sont à l’origine d’incomparables substances tinctoriales rougissantes. Le rhizome de la garance, riche en alizarine, à donné un pigment rouge utilisé par les Egyptiens pour peindre leurs momies ; très résistant, il est resté intact après plus de 4000 ans. Le fer est primordial dans la structuration et le fonctionnement de la grande molécule d’hémoglobine qui colore notre sang en rouge vif. Le chimiste et le céramiste savent faire naître des solutions et des matières aux merveilleuses tonalités de rouge.

Pezize rouge.

Feuilles de géranium sauvage des berges d’el Monà colorées en rose rouge vif.

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Rouge vif obtenu pendant des cuissons très oxydantes (dÊtail macro).

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Lueur rouge d’une crête translucide au soleil.

Dès les années 70, j’ai été fasciné et intrigué par le mystère de la préparation des vernis des poteries sigillées antiques. Les céramiques sigillées rouges monochromes aux décors en relief ne me touchent pas esthétiquement, elles sont souvent considérées par certains auteurs comme la source d’un progrès technique et non artistique. Pourtant j’aime leur revêtement argileux car, même très cuit, à la limite des qualités d’une glaçure, il ne masque jamais la beauté naturelle de la terre. Ces épidermes vernissés, cuits à l’abri des flammes, développent de multiples nuances entre le rouge d’une hématie et celui du corail de la Méditerranée. Dans mon travail, divers rouges, parfois des nuances roses, évoquent pour moi la chaleur de la vie.

Vernis ferrugineux couleur cuir : Triangulo. H. 5,5 x Ø. 10,5 cm. Jarre-flèche. H. 25,5 x Ø. 17,5 cm.

Du rouge au rose. Triangulo, lumière d’un petit Canigou embrumé au lever du soleil dans les pêchers fleuris aux alentours de Thuir. Lors d’une cuisson protégée des flammes durant la montée en température à 1050°C, suivie d’un très léger enfumage dans un refroidissement hermétiquement fermé, un vernis à 4% de fer très lévigé a développé des dégradés de rose et de beige rosé (si à la fin d’une cuisson à 1080°C réalisée avec un bois de châtaignier très sec et débarrassé de ses écorces, un vernis d’argile ferrugineuse posé sur un tesson ferrugineux est soumis à un enfumage massif par fermeture hermétique du four à 1000°C, suivie d’une ouverture à 700°C, il développe également une multitude de roses).

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UNE COCCINELLE DANS LE MIMOSA

Les mimosas fleuris au mois de février sur la colline en face de l’atelier.

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VI. L’espace et le temps, la mÊmoire de la terre


Pavot et Roseau sec (vernis d’argile donnant une impression de pâte de verre).

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Bol. H. 6 x Ø. 12 cm.

Coing. H. 23,5 x Ø. 19,5 cm.

Fleur. H. 10 x Ø. 15,5 cm. Aryballe cordiforme aplati. H. 16,5 x Ø. 20,5 cm. Coupe corolle. H. 5 x Ø. 19 cm. Triangulo. H. 5 x Ø. 8 cm. Pyxvot. H. 11,5 x Ø. 16,5 cm.

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Pyxide. H. 15 x Ø. 16,5 cm dans une touffe d’Anagallis.

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V O YA G E : L E C H A O S E T L E C O S M O S


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