Académie de la fibrillation atriale 2014 Fondamentaux et nouvelles perspectives 3

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réalités Cardiologiques # 302_Septembre 2014_Numéro spécial

Académie de la fibrillation atriale 2014 Fondamentaux et nouvelles perspectives Compte rendu rédigé par le Dr F. EXTRAMIANA Service de Cardiologie, Hôpital Bichat, Paris

Génétique de la fibrillation atriale

D’après la communication de V. Probst (Centre de Référence des Maladies rythmiques héréditaires, Institut du thorax, Nantes).

L

a FA est un véritable problème de santé publique qui touche déjà 3 millions de personnes aux États-Unis et dont la prévalence augmente avec l’âge. Elle est responsable d’environ un tiers des accidents emboliques, et sa présence multiplie la mortalité par deux. Nos thérapeutiques ont encore de nombreuses limites, mais une meilleure compréhension de cette maladie devrait nous permettre d’améliorer la prise en charge des patients. La FA est le plus souvent associée à une cardiopathie. Elle peut être cependant isolée et parfois familiale dans 2 à 16 % des cas. L’approche génétique sera très différente dans ces deux situations. Dans les FA isolées, on recherchera des mutations rares à effet fort, alors que dans les FA associées à une cardiopathie l’approche consistera plutôt en la recherche de variants génétiques fréquents avec effet faible. Autrement dit, le facteur le plus important pour la survenue de la FA sera très variable en fonction du terrain génétique du patient : une mutation forte pourra être associée à une FA sans atteinte

cardiaque et, en présence d’une cardio­ pathie, le terrain génétique favorisera ou non la survenue de la FA. 1. La fibrillation atriale isolée et les formes familiales de FA Bien que minoritaire, la FA isolée représente de 2 à 16 % des FA. Il s’agit typiquement des premiers patients qui ont bénéficié de l’ablation. l Les formes familiales avec ségrégation génétique

La première description de forme familiale de FA isolée date de 1943 [1]. Depuis, de nombreux éléments soulignent le caractère familial de certaines FA. Ainsi, la présence d’une FA chez les parents multiplie par 2 le risque de survenue de FA chez les enfants. On estime que 5 % des FA seraient des formes familiales et cette proportion passerait à 15 % en cas de FA isolée [2, 3]. Les apparentés du premier degré d’un patient ayant une FA isolée avant 60 ans auraient 4,67 fois plus de risque de développer une FA que la population générale [4].

Le premier locus (chromosome 10q22) associé à une FA familiale a été décrit par Ramon Brugada en 1997 dans une grande famille avec un diagnostic de FA à un âge moyen de 17,8 ans [5]. Aucun gène n’a cependant été associé à ce locus jusqu’à présent. Un deuxième locus (6q14-16) a été rapporté en 2004 [6] mais, là encore, sans gène identifié. Cette approche pose un certain nombre de difficultés. En effet, dans une même famille, il est possible que des sujets âgés aient de la FA qui ne soit pas de cause génétique, introduisant ainsi des faux positifs. Mais il y a également un risque de faux négatifs, certains patients ayant une FA non diagnostiquée. La famille chinoise publiée dans Science en 2003 et dans laquelle l’âge moyen lors du diagnostic de FA était de 20 ans est plus intéressante car le locus impliqué (chromosome 11p15.5) correspond à la zone du gène KCNQ1 [7]. Ce gène code pour l’unité alpha du canal potassique responsable du courant IKs. Ce courant est bien connu car sa diminution (perte de fonction) est responsable d’un allongement de la repolarisation et du syn-

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drome du QT long congénital de type 1, alors que son augmentation (gain de fonction) est responsable, par le raccourcissement de la repolarisation qu’il induit, du syndrome du QT court de type 2. Dans cette famille chinoise, il n’y a pas d’allongement de l’intervalle QT sur l’ECG ni d’histoire familiale de mort subite. Il a été montré que la mutation S140G de KCNQ1 est responsable d’un gain de fonction du courant IKs et probablement ainsi responsable d’un raccourcissement des PA auriculaires mais pas de raccourcissement du QT, suggérant un effet spécifique atrial. Cette mise en évidence du rôle des courants ioniques transmembranaires a ouvert la voie pour des approches gène-candidats. l L’approche gène-candidats

Cette approche consiste à rechercher des variants au sein de gènes qui pourraient être impliqués dans la FA d’après nos modèles physiopathologiques de la maladie. Le problème de cette approche vient du fait que les variants sont très fréquents (environ 40 000 variants par individu). La signification d’un variant n’est donc pas claire. Et même lorsque l’effet du variant est exprimé à un niveau électrophysiologique, sa signification n’est pas certaine. Cependant, des variants avec effet électrophysiologique (gain de fonction) ont été trouvé dans le gène KCNE2 qui code pour une sous-unité bêta du canal responsable du courant IKs. Le variant de KCNA5 est intéressant car ce gène code pour le canal Kv1.5 qui n’est exprimé que dans l’oreillette [8]. Cela pourrait constituer une cible thérapeutique intéressante. Parfois, les mutations retrouvées ont des caractéristiques particulières. C’est le cas d’une mutation dans KCNQ1 qui n’a d’effet que dans des conditions de stress osmotique expérimentalement et qui est retrouvée dans une famille dans laquelle la FA ne survient que chez des sujets âgés et hypertendus [9].

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Les mutations peuvent parfois être somatiques, c’est-à-dire retrouvées uniquement dans l’organe cible, et donc non transmissibles. C’est le cas de mutation dans GJA5 qui code pour la connexine 40 [10]. Les mutations dans ce gène entraînent une diminution de conductance entre les cellules myocardiques et donc une diminution de la vitesse de conduction atriale. On peut également citer les variants du gène codant pour le peptide natriurétique atrial (ANP) [11], les mutations du gène codant pour l’ankyrine responsable du LQT4 dans lequel on observe beaucoup de FA [12] ou encore les nombreuses mutations retrouvées dans SCN5A qui code pour le canal sodique. Pour illustrer ce dernier cas, il a été rapporté qu’au cours de tests à l’ajmaline chez des patients ayant une FA isolée précoce, on retrouvait une fréquence élevée de syndrome de Brugada. Cela rejoint le fait que le syndrome de Brugada mais aussi les syndromes du QT long ou du QT court peuvent aussi être associés à la FA. Dans ces situations, un défaut de diagnostic pourrait avoir des conséquences dramatiques en cas d’utilisation d’antiarythmiques de classe I pour le Brugada ou de classe III pour le syndrome du QT long. Cette approche gène-candidats a permis de retrouver des variants/mutations dans toutes les voies physiopathologiques connues dans la FA. L’élément important est que ces mêmes acteurs ont été aussi retrouvés par une approche sans a priori de génétique inverse. 2. Les études d’associations pour les FA tout-venant De nombreuses études cas-témoin utilisant une approche gène-candidats ont cherché et retrouvé une association entre un polymorphisme (single nucleotide polymorphism [SNP]) et la FA non familiale. Cependant, ces résultats n’ont pas été confirmés par des études de réplication et sont donc peu crédibles [13].

Les études sur le génome entier (genomewide association studies [GWAS]) sont basées sur des populations beaucoup plus importantes ; elle sont très chères, mais beaucoup plus robustes. Ces études consistent à rechercher des associations entre des polymorphismes (SNP) et la pathologie sur l’ensemble du génome. Ces polymorphismes indiquent une localisation sur un segment de chromosome qui sera proche d’un éventuel gène impliqué. Il n’y a pas d’étude fonctionnelle du variant car le SNP n’est pas forcément impliqué. L’augmentation du nombre de sujets dans l’étude en augmente la puissance statistique, mais met en évidence des polymorphismes avec des effets plus faibles. Elinor a publié une méta-analyse des GWAS dans la FA [14]. Trois zones chromosomiques ont une forte association avec la FA et ont été validées dans des études de réplication indépendantes : – le variant en 4q25 (PITX2), présent chez 35 % des Européens, augmente le risque de FA de 1,72 [15] ; – le variant 1q21 intronique dans KCNN3 (calcium-activated potassium channel gene) augmente le risque de FA de 1,56 [16] ; – le variant en 16q22 (facteur de transcription ZFHX3) augmente le risque de FA de 1,25 [17]. Ces études ont mis en évidence des variants dans des zones qui n’avaient pas forcément été criblées par une approche gène-candidats et ouvrent de nouvelles voies physiopathologiques. Les souris déficientes en PITX2 ont des défauts histologiques cardiaques, des anomalies du nœud sinusal et des potentiels d’action atriaux plus courts. ZFHX3 est un facteur de transcription qui joue sur les différenciations musculaire et neuronale. En revanche, KCNN3 code pour un canal ionique transmembranaire, et les souris déficientes ont une prolongation de la durée du potentiel d’action et une augmentation des post-


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Importance de l’effet 50,0 Élevé Intermédiaire Modéré Faible

Familles mendeliennes KCNQ1, SCN5A NPPA Hérédité manquante Fréquence intermédiaire, effets modérés

3,0 1,5 1,1

Difficilement identifiable Variants rares avec effets faibles

Rare

Loci identifiés par des études d’association sur génome entier, par exemple : PITX2, KCNN3, ZFHX3

0,5 % 5% Fréquence faible

Commun

Fréquence d’allèle

Fig. 3 : Partie supérieure droite : la partie la plus externe du cercle montre les chromosomes. La variabilité génétique impliquée dans la FA est considérable. Partie inférieure : les études mendéliennes permettent de mettre en évidence des mutations rares qui ont un effet fort, alors que les études en population générale retrouvent des variants fréquents à effet faible. Entre les deux, une grande partie de l’héritabilité ne nous est pas actuellement accessible.

dépolarisations précoces des myocytes atriaux. On voit donc que, si les canaux peuvent être impliqués dans la FA toutvenant, d’autres mécanismes peuvent également jouer un rôle important.

de la FA et peut-être d’identifier de nouvelles voies thérapeutiques, même si la route entre physiopathologie et traitement est toujours très longue.

La figure 3 montre d’une part un schéma de l’énorme variabilité génétique qui pourrait influencer la FA et, d’autre part, le caractère multifactoriel de FA avec des mutations rares à effet fort, des variants fréquents pouvant favoriser la FA ou en protéger. Il faudra donc tenir compte d’un grand nombre de variants et essayer d’en évaluer la somme des effets qui jouera un rôle dans la FA.

Bibliographie

Au total, les formes familiales de fibrillation atriale ne sont pas rares, en particulier dans la fibrillation atriale isolée. Il faut savoir rechercher une canalopathie cachée (syndrome de Brugada, du QT long et du QT court) dans ces formes très précoces. Les mécanismes génétiques de la FA sont majoritairement polygéniques, et nous sommes au début de l’histoire avec des gènes principaux qui probablement restent à identifier. Cependant, cette approche génétique, comme pour d’autres pathologies, devrait permettre de progresser dans la compréhension

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