Perspectives Med N°. 103 - Juillet - Août 2015

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DIRECTEUR DE PUBLICATION : ALLAL EL MALEH │ÉDITIONS POPMEDIA │ PUBLICATIONS DES RÉFÉRENCE │PRIX PUBLIC : 30 DH │N°103

DÉCHIRURES Qui n’avance pas... L’image du Maroc, pays de la tolérance et du pardon, a été écornée par une série de dérapages. L’affaire dépasse le seul cadre des moeurs pour traduire les dangers qui guettent le pays à travers le repli identitaire. Un «roman national» est à inventer pour un «vivre ensemble» marqué du sceau du progrès et de la modernité. L’osera-t-on?

Juillet - Aôut 2015

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ÉDITORIAL VOISINAGE CHAOTIQUE Allal El Maleh

C

e qui se trame en Algérie suscite de vives inquiétudes au sein d’une opinion locale déboussolée par les voltes-face erratiques d’un pouvoir qui peine à se maintenir en place. Et ce qui complique davantage la donne chez notre voisin de l’Est est le déficit de communication dont s’accommodent bien les décideurs du Palais El Mouradia. Aux purges dans l’armée, laconiquement présentées comme autant d’opérations de restructuration de « l’épine dorsale » du régime, succèdent des opérations d’épuration au sein du puissant service des renseignements le DRS. Autant dire que rien ne va plus entre le clan Bouteflika et l’ossature même du système. Car il est pour le moins étonnant que le Groupe d’intervention spéciale (GIS), véritable force de frappe du DRS dans la lutte anti-terroriste, soit dissout à l’heure où l’Algérie est mobilisée sur plusieurs fronts pour tenter d’endiguer le danger djihadiste. Et qu’à la tête de la direction de la sécurité intérieure dévolue au DRS, le général-major Bendaoud eut à céder sa place au général Abdelkader, sans autre forme de procès. Les Algériens ont raison de s’inquiéter de ce qui peut s’apparenter à une véritable guerre annonciatrice d’une succession problématique. Surtout que l’état de santé du Président Bouteflika, accroché à son quatrième mandat et rejetant toute solution politique via les urnes, laisse planer le doute sur qui décide du présent comme de l’avenir de l’Algérie. Ceci est d’autant plus vrai que la situation économique qui vit déjà les affres du blocage, à cause d’une oligarchie de rentiers, n’est plus aussi confortable que par le passé, lorsque le cours du baril de pétrole permettait de remplir à ras bord le matelas de devises. Et que la situation sociale se complique davantage avec l’irruption de tensions intercommunautaires des plus vives dans la vallée du M’zab. Tout cela confine à dire que les voisins de l’Algérie ont toutes les raisons d’être échaudés par l’évolution de la situation qui sévit dans le plus grand pays d’Afrique. Des voix en Tunisie le font savoir. Et le Maroc plus que tout autre pays limitrophe a toutes les raisons de se faire du souci au vu de l’évolution de la situation qui pourrait, à Dieu ne plaise, prendre des dimensions chaotiques. Car même si on fait l’économie du contentieux historique alimenté par nos voisins sur le dossier saharien, force est de constater que des officiels algériens ont multiplié les sorties médiatiques pour imputer la crise née à Ghardaïa, où Mozabites et Ibadites s’étripent, au Maroc. Après Sellal, c’est Laamamra qui eut à charge de remettre une couche quant à l’implication marocaine… Le risque est dès lors grand de voir le système algérien opérer une fuite en avant en actionnant « le micro-nationalisme » en ciblant le Maroc. Car au vu de la situation délétère que traverse ce pays « riche et peuplé de pauvres », il ne manque pas de boute-feu capables de surfer sur la vague de l’aventurisme quitte à embraser la région. Certes, des voix sages existent en Algérie pour conjurer pareil mauvais sort. Mais lorsque le système commence à perdre pieds, il n’est pas étonnant que ces voix soient muselées par les va-t-en guerre qui nourrissent le chimérique rêve d’un prétendu leadership régional. La gestion du voisinage chaotique par le Maroc, dans le calme et la sérenité, est la meilleure des garanties pour éviter que la région maghrébine ne sombre dans l’inconnu. Et cet inconnu là n’a pour corollaire que la déstabilisation par le feu et dans le sang. Ce qui se déroule, sous nos yeux, dans les régions maghrébine, sahélienne et du machrek a de quoi donner à réflechir aux jusqu’au-boutistes de tout crin. Et plutôt que de continuer à se tourner le dos, il est grand temps pour que Marocains et Algériens trouvent les moyens idoines pour dépasser les contentieux factices qui handicapent l’essor de la région et de ses peuples. Ils ne manquent ni d’intelligence ni de génie pour bien faire. A moins que la fièvre ottomane n’aie ravagé, ce qui paraît improbable, toute éminence grise chez nos voisins. Auquel cas, calme et sérénité s’accommodent aussi bien des bienfaits de la veille et de la proactivité.

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POUR QUI SONNE LE GLAS ?

DES DÉCHIRURES AUX RUPTURES

POINTS CHAUDS

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SOMMAIRE 18

CHRONIQUE

Bonjour les dégats Urnes et bidonvilles

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NATION

Conseil national de sécurité L’urgence d’un dossier

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MACHREK

DAECH Un monstre incontrôlable

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ÉCONOMIE

Projet de Budget 2016 Les sondages vont bon train

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POINTS CHAUDS

Repli identitaire et dérives puristes Malaise sociétal

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NATION

Protection des biens publics Qui veut la peau de M.T. Sbai ?

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MACHREK

« De l’administration de la sauvagerie » Daech a son vade mecum: barbare !

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ÉCONOMIE

Situation économique Fragiles équilibres

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ENJEUX

Epreuves électorales Scrutins et enjeux lourds

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MAGHREB

Le monde arabe sous pression Sanglant échiquier

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MAGHREB

Algérie dans la tourmente Crises à tous les étages !

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ÉCONOMIE

Endettement et croissance Des ratios alarmants !


ÉCONOMIE CULTURE

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ENVIRONNEMENT

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ENVIRONNEMENT

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ENVIRONNEMENT

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CULTURE

En attendant la COP 21 La Terre en coupes réglées…

ENVIRONNEMENT Préservation des sols Un impératif négligé

CULTURE

Prix littéraires arabes Booker menteur

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SPORT

« Sepp » Blatter jette l’éponge Succession ouverte à la FIFA

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Ressources hydriques Le plein d’ambitions

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DÉVELOPPEMENT DURABLE SPORT

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ENVIRONNEMENT

Dégradation du littoral La logique du laisser-faire

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ENVIRONNEMENT

Gestion des déchets C’est du propre !

Plan national d’assainissement liquide La guerre des chiffres

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CULTURE

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Angela Davis, une vie de luttes Justes causes

J. Jaurès et « la question marocaine » Un avocat de la libération

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CHRONIQUE

SPORT

Grand prix de Hongrie Le come back de Ferrari

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Juste pour rire Double détente…

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION & DE LA RÉDACTION: ALLAL EL MALEH | RÉDACTION: ABDERRAHMANE EL MALEH - A. BEN DRISS - ABOUMARWA - SAID AKECHEMIR - LAMIA MAHFOUD - OULED RIAB - MOHAMMED TALEB - MUSTAPHA EL MALEH - YAHYA SAÏDI | ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : ABDERRAHMANE MEKKAOUI| RESPONSABLE ADMINISTRATIF & FINANCIER : FATIMA EL MALEH | CRÉATION: ISSRAE TAYBI/PM DÉVELOPPEMENT | PORTRAITISTE: HELMA LALLA | PHOTOS: PM EDITIONS | MENSUEL ÉDITÉ PAR POP MÉDIA SARL: 8, BD. YACOUB EL MANSOUR MAARIF – CASA | TÉL.: 05 22 25 76 17/ 05 22 25 76 54/ 05 22 25 77 84/ FAX: 05 22 25 77 38/ E MAIL : CONTACT@PERSPECTIVESMED.MA/ WWW.PERSPECTIVESMED.MA/ IMPRESSION: IDÉALE | DISTRIBUTION : SOCHEPRESS | N° DÉPÔT LÉGAL: 2005/0101 | ISSN : 1114-8772 | CE NUMÉRO A ÉTÉ TIRÉ À 15.000 EXEMPLAIRES

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ENTENDU DIPLOMATIE ROYALE

CONSOLIDATIONS L’agenda royal sera des plus chargés lors des prochaines semaines. Ainsi, une visite d’Etat est programmée pour le Président égyptien dans le Royaume. A. Al Sissi aura des entretiens avec le Souverain sur les questions d’intérêt commun, avec à leur tête la lutte contre le terrorisme. Après le Président égyptien, c’est autour de F. Hollande, hôte de l’Elysée, d’être accueilli à Rabat par le Roi. Une visite très attendue au regard des relations franco-marocaines qui ont subi, ces derniers temps, des passages à vide. La réconciliation franco-marocaine sera ainsi scellée loin des pesanteurs politico-politiciennes. Mais c’est le déplacement royal à Moscou qui retient l’attention des observateurs qui suivent de près l’ouverture diplomatique du Royaume vers d’autres contrées. En effet, le Souverain devait se réunir avec le Président Poutine, il y a des mois de cela, pour relancer la coopération bilatérale, y compris dans le domaine militaire. Avant que la visite royale ne soit reportée. Et dans l’agenda royal, il y a lieu de souligner aussi une visite d’Etat en Chine reportée elle aussi après avoir été annoncée il y a quelques mois.

SÉCURITÉ

CIRCULEZ, Y A RIEN À VOIR !

EN UNE SEULE JOURNÉE, PAS MOINS DE 1294 ARRESTATIONS ONT ÉTÉ EFFECTUÉES PAR LA DGSN DURANT JUILLET. CES ARRESTATIONS ONT CONCERNÉ LES SUSPECTS PRIS EN FLAGRANT DÉLIT (1.048 INDIVIDUS) ET LES PERSONNES FAISANT L’OBJET DE MANDAT DE RECHERCHE AU NIVEAU NATIONAL POUR DES CRIMES GRAVES COMME LE VOL, LES AGRESSIONS CORPORELLES ET LE TRAFIC DE DROGUE (246 PERSONNES), A PRÉCISÉ LA DGSN. “CES OPÉRATIONS INTENSES ET CONTINUES S’INSCRIVENT DANS LE CADRE DE LA STRATÉGIE DE LA DGSN QUI VISE À GARANTIR LA SÉCURITÉ DES CITOYENS ET DE LEURS BIENS», SOULIGNE LA DGSN QUI FAIT ÉTAT DE LA SAISIE, DANS CE CADRE, DE 32 COUTEAUX DE DIFFÉRENTES TAILLES ET DES QUANTITÉS DE DROGUES. ET DIRE, SANS CILLER, QUE LE PAYS EST SECURE…

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UNE FONDATION CONTRE LE TERRORISME

L’AFRIQUE CIBLÉE Capitalisant sur son savoir-faire en matière de lutte antiterroriste, le Royaume a mis en place une fondation réunissant des oulémas de tout le continent africain pour faire barrage aux djihadismes. La nouvelle fondation qui porte le nom du roi Mohammed VI siège dans la capitale, Rabat. Des succursales de l’institution devraient être inaugurées en Afrique. La fondation devrait comporter un conseil supérieur, un bureau exécutif de même qu’une présidence déléguée. Présidée par le Roi, elle comptera des membres « reconnus pour leur statut scientifique et leurs connaissances dans le domaine des sciences islamiques», stipule notamment l’article 5 du dahir relatif à la fondation. Ces personnalités peuvent être indépendamment marocaines ou ressortissantes d’autres pays africains. La mise en place de la fondation semble par ailleurs participer des efforts conduits dans ce sens par le Royaume depuis plusieurs années déjà. A titre d’illustration, il vient d’inaugurer, en mars 2015, un institut entièrement dédié à la formation d’imams, de morchidines et de morchidates. L’institut procède déjà à la formation de 400 étudiants venus du monde entier, du Mali entre autres, de Tunisie, de Guinée, de Côte d’Ivoire et de France.


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ENTENDU L’ELYSÉE ET LE TERRORISME

AL ADL FAIT DES SIENNES

LES HANAFITES AU CRÉNEAU

TROPISME ALGÉRIEN À PARIS

Al Azhar aurait été secrètement sollicité par le chef de l’Etat français pour former les imams de l’Islam de France. Une formation qui obéirait aux prescriptions de l’Islam hanafite (islam contestataire). Ce coup de force se fait contre l’islam malékite qui est majoritaire dans l’Hexagone. F. Hollande aurait rencontré Cheikh Taïeb, patron d’Al Azhar, dans la perspective de lutter contre le salafisme et ses dérives djihadistes. On comprend dès lors la démarche entreprise par les représentants de l’institution égyptienne au sein du sénat français… Une démarche qui n’a pas trouvé l’appui souhaité. Ce projet serait financé par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis (EAU).

La représentativité de l’association «Al Adl Wal Ihssane » en France serait l’œuvre des franco-algériens pour l’essentiel. Ces derniers seraient les alliés de l’organisation secrète de la confrérie des « Frères Musulmans » et de l’Association Emir Abdelkader. Durant Ramadan, un ftour commun a été organisée à Paris pour sceller cette alliance contre nature. La disparition du leader historique d’Al-Adl aurait ouvert les portes à des parties exogènes alors que Cheikh Yassine militait pour une indépendance totale de l’association. Nadia Yassine, infante du leader, serait à l’origine d’une telle ouverture.

LE MAROC EST LE 6ÈME PAYS AFRICAIN QUI COMPTE LE PLUS DE MILLIONNAIRES EN DOLLARS SELON LE RAPPORT QUE VIENT D’ÉLABORER LE CABINET DE RE-

LE POIDS DES MILLIARDAIRES

CHERCHE BRITANNIQUE NEW WORLD WEALTH REPORT. «CINQUIÈME PUISSANCE ÉCONOMIQUE D’AFRIQUE ET DEUXIÈME D’AFRIQUE DU NORD’’, COMPTE ACTUELLEMENT 4800 MILLIONNAIRES, CE QUI REPRÉSENTE UNE HAUSSE DE 118% DEPUIS L’AN 2000.

ARMÉE ALGÉRIENNE

SILENCE, ON ÉTÊTE !

Le Groupe d’intervention spéciale (GIS), la force de frappe du DRS dans la

lutte antiterroriste chargée des missions spéciales, a été dissous. Ses éléments ont été rattachés aux différentes forces, terrestres, marines, aériennes et à la Gendarmerie nationale. Le général Abdelkader remplace le général-major Bendaoud à la tête de la direction de la Sécurité intérieure dirigée par le DRS. Les mesures dites de restructuration de l’armée s’accélèrent depuis «l’affaire Zéralda» (voire article plus loin). Hichem Aboud, ex-capitaine du DRS, a eu un commentaire des plus acerbes depuis le démarrage des purges au sein de l’armée « Si on reconnaissait les compétences dans notre pays on n’aurait pas mis à la retraite des officiers diplômés des plus grandes universités et des plus grandes écoles de guerre dans le monde pour garder une Gaïd Salah sans diplôme et sans compétence aucune. Tout ce qui le distingue des autres, c’est qu’il fait entrer l’Algérie dans le Guinness, puisque c’est dans l’armée algérienne qu’on trouve le plus vieux soldat du monde (84 ans). 8

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ENTENDU 1ER SOUS-MARIN POUR LA MARINE

AMUR EN LICE

LE RNI SE DIGITALISE

PROXIMITÉ OBLIGE…

C’est auprès de la Russie que le Maroc compte s’alimenter en sous-marins. Le premier contrat qui permettra à la marine royale de se doter d’un sous-marin porterait sur un submersible de type Amur 1650 d’une autonomie de 45 jours. Le montant de ce contrat qui pourrait se réaliser en marge de la visite royale à Moscou, programmée pour fin 2015, serait de 150 millions de dollars. Ce sous-marin jugé plus performant que ceux construits à l’Ouest, exception faite des USA, garantirait à la marine royale une grande manoeuvrabilité dans les eaux territoriales. Mais ce contrat en cache d’autres, d’après des sites moscovites spécialisés. En effet, Rabat s’intéresse notamment à l’acquisition de nouvelles capacités en termes de puissance de feu pour les frégates déjà opérationnelles.

Lorsqu’une recette marche, rien n’empêche de la dupliquer. C’est fort de cette logique que le Rassemblement national des indépendants a lancé, à la veille des élections locales et régionales, une nouvelle stratégie digitale. Son lancement cible les réseaux sociaux. Cette plateforme « se veut d’avantage collaborative envers les citoyens avec une dynamique participative. La parole leur est donnée pour exprimer leurs aspirations pour le Maroc ; leur région, leur ville ou tout simplement leur quartier. Le but du dispositif est simple: recenser et faire remonter l’ensemble des suggestions aux élus afin que le parti puisse y répondre à différents niveaux», précise l’état-major du RNI. A. Mezouar compte beaucoup capitaliser sur une telle expérience réussie par son rival et néanmoins allié de circonstance, le PJD.

Le gouvernement belge est favorable à la coopération avec le Maroc en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Les deux pays s’engagent ainsi à collaborer le plus largement possible et à se porter mutuellement assistance en la matière. Terrorisme, trafic de drogues, traite d’êtres humains, trafic d’arme et délinquance économique et financière sont au menu de cette coopération. Malgré son doublement entre 2007 et 2013, le commerce inter-maghrébin reste en deçà de son potentiel, ne représentant que 4,8% du total des exportations des pays membres alors que la moyenne continenPANNE tale africaine se situe à 12%. Voilà qui fait que le MAGHRÉBINE FAIBLE COMMERCE marché intra-maghrébin reste l’un des moins dynamiques au monde. Telles sont les conclusions du rapport publié par la Commission Economique pour l’Afrique sur le Transport International (CEA) et la facilitation du commerce en Afrique du Nord. Conclusions qui rappellent quand même les mesures prises par les divers partenaires dans le cadre de l’UMA sans pour autant que cela ne soit porteur.

LA VOIE DE LA PARITÉ

TROIS ANS APRÈS !

L’ASSOCIATION MAROCAINE DES DROITS DE L’HOMME NE DÉLIVRE PAS DE SATISFECIT AUX AUTORITÉS DU PAYS. L’ORGANISME PRÉSIDÉ PAR AHMED EL HAYEJ DÉNONCE, DANS SON RAPPORT PRÉSENTÉ FIN JUIN, LA PERSISTANCE DE PRATIQUES « INACCEPTABLES DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE ».

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Enfin, la Commission parlementaire des Affaires étrangères a adopté, fin juin, à l’unanimité les deux protocoles facultatifs relatifs à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF et Cedawo). Après trois années de vifs débats, le Maroc intègre ainsi le cercle des pays qui ont adopté les deux conventions qui réaffirment le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, définit la notion de discrimination et établit un programme d’action visant à atteindre la parité dans tous les domaines, politique, économique, social et culturel.


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ENTENDU INDH

M. El Khalfi, ministre en charge de la com, a révélé devant le 11e Congrès national du PJD, qu’il a présenté par trois fois sa démission du gouvernement. Publicités des jeux de hasard, et l’octroi de 50 MDH, sans appel d’offres, à des sociétés de production étaient à l’origine de sa colère. La troisième raison est tue. Dommage ! Le président François Hollande a salué, à Marseille, la qualité de la coopération avec le Maroc en matière de lutte contre le trafic de drogue, à l’occasion de la saisie de près de 6 tonnes de cannabis dans la région de Marseille.»Les enquêteurs et policiers ont fait un travail admirable du Maroc jusqu’ici grâce à la coopération avec les services marocains et espagnols», a souligné l’hôte de l’Elysée.

AU-DELÀ DU SATISFECIT La Banque mondiale a publié en juillet 2015, un rapport sur les politiques sociales publiques où elle passe en revue l’état de ces politiques dans 136 pays à faibles et à moyens revenus. Cette étude a classé le Maroc troisième sur la liste des cinq pays qui ont adopté les meilleurs programmes et initiatives d’action d’intérêt général dans le monde. L’Inde et l’Éthiopie ont occupé respectivement la première et la deuxième place, alors que la Russie et le Bangladesh sont classés derrière le Maroc. On se congratule au niveau du ministère de l’Intérieur sur de pareilles performances rapportées dans le rapport «The state of social safety Nets 2015» (l’état des filets sociaux en 2015)… Mais il est vrai que l’euphorie n’a été que de courte durée puisque le Roi, dans le discours du Trône, n’a pas hésité à mettre à l’index les retards cumulés en matière de développement dans le pays. Le développement qui se fait à plusieurs vitesses laisse sur le carreau des millions de pauvres que l’INDH ne saurait, à elle seule, sauver. C’est la raison pour laquelle le Roi a demandé la mobilisation de 50 milliards de Dh pour rattraper les couacs constatés.

Ahmed Benchemsi a été nommé directeur de la communication et du plaidoyer de la région Moyen-Orient et Afrique du nord (Mena) de HRW. Le nouveau travail de Benchemsi consistera à mettre la lumière sur les abus des droits de l’Homme et « être un porte-parole de HRW auprès des médias arabes et internationaux». Sera-t-il d’une particulière tendresse pour son pays ?

Que réserve L. Daoudi comme surprises? Dès la rentrée prochaine, l’université marocaine est priée de faire plus avec moins. Plus d’étudiants, d’un côté, et moins de professeurs, de l’autre. De là à parler de qualité et de recherche scientifique…

SAHARA

LE PLAIDOYER DE Y. AMRANI 12

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L’ETAT PERD SES MARQUES

ET LES RETROUVE… Fini le laisser faire, laisser filer… L’Etat qui a perdu de son aura cherche à retrouver ses marques. Toute substitution aux institutions de l’Etat en matière d’incrimination et de pénalisation sera traitée avec la fermeté et la rigueur nécessaires. C’est en ces termes le ministre de la Justice et des Libertés, M. Ramid, a réagi devant le parlement en faisant allusion aux actes d’agression dont été victimes récemment des citoyens et des citoyennes. Personne n’a le droit de se substituer à l’Etat ou à ses institutions en matière d’incrimination et de pénalisation, martèle-t-il, précisant que l’Etat ne fera preuve d’aucune tolérance envers ces personnes qui ont été appréhendées et traduites devant la justice dans les cas concernant ces incidents et abus. Il a été enjoint, en cela, par Hammouchi qui entend sévir contre tout dépassement.

Youssef Amrani, chargé de mission au cabinet royal, a fait valoir, à Washington, que le plan d’autonomie au Sahara, sous souveraineté marocaine, offre le meilleur cadre possible pour un règlement durable négocié de bonne foi, sur la base du réalisme et de l’esprit de compromis ». Invité à prendre part au débat organisé par le think tank américain Brookings Institute, sur le thème «Le Maroc et le contexte régional», l’ancien diplomate marocain a rappelé que «le Maroc a consenti d’énormes sacrifices dans le but de trouver une solution de com-

promis juste, pacifique, sur la base d’une troisième voie consensuelle négociée que véhicule le plan marocain d’autonomie». Selon Y. Amrani, la dernière résolution du Conseil de sécurité «a mis en exergue la prééminence, la validité et la crédibilité de l’initiative marocaine d’autonomie (…) durable». Mais en fin diplomate, il sait aussi que rien n’est définitivement acquis auprès des instances internationales. D’où les appels à la vigilance.


DJIHADISTES À MELLILA

EXTRATERRESTRES

FOYER DE RECRUTEMENT

LA CHASSE EST OUVERTE

Un recruteur de Daech a été neutralisé par les services marocains et espagnols. L’intéressé, 29 ans, originaire de la ville marocaine occupée de Mellilia, possédait des «fichiers multimédias à connotation jihadiste» et son «matériel de propagande et d’endoctrinement était exclusivement destinée à la radicalisation de femmes», qu’il recrutait pour les envoyer dans la zone syro-irakienne sous contrôle de Daech, notamment en Syrie, précise le ministère espagnol de l’Intérieur. La police espagnole a aussi réussi à mettre la main sur une adolescente de 14 ans qui s’activait sur le réseau pour assurer de nouvelles recrues pour Daech. De quoi inquiéter les services espagnols… Et marocains !

Le célèbre astrophysicien britannique Stephen Hawking a lancé 20 juillet à Londres un programme visant à observer les confins de l’espace à la recherche d’une vie intelligente extraterrestre. Soutenu par le physicien et entrepreneur russe Youri Milner, ce projet de dix ans, baptisé « Breakthrough Listen » (doté de 100 millions de dollars), est présenté comme le plus ambitieux jamais entrepris pour trouver un signe d’intelligence extraterrestre. « Dans un univers infini, il doit y avoir des traces de vie. Quelque part dans le cosmos, peut-être, une vie intelligente regarde », a laissé entendre S. Hawking à cette occasion.

CANICULE

CHAIR DE POULE ! LES DERNIÈRES VAGUES DE CHALEUR ONT FAIT DES DÉGÂTS DANS L’AVICULTURE, PROVOQUANT DES PERTES ALLANT DE 10% OU 15% DES EFFECTIFS DANS LES RÉGIONS DU CENTRE COMME KHOURIBGA, OUED ZEM OU BÉNI MELLAL, INDIQUENT DES PROFESSIONNELS DE LA FILIÈRE AVICOLE. LA CANICULE DONNE EN EFFET LA CHAIR DE POULE AUX ÉLEVEURS. YOUSSEF ALAOUI, À LA TÊTE DE LA FISA, SOULIGNE QUE « LES DÉGÂTS NE SONT PAS ENCORE CHIFFRÉS ». POURTANT, LE MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE AVAIT INSTAURÉ DES SUBVENTIONS POUR ÉQUIPER LES FERMES SOIT EN PAD COOLING, SOIT EN BRUMISATEURS. CES ÉQUIPEMENTS PERMETTENT EN EFFET DE FAIRE BAISSER LA TEMPÉRATURE DE 8 À 10 DEGRÉS. LES ÉLEVEURS ONT-ILS ÉTÉ SENSIBILISÉS À TEMPS ?

REDOUTÉE PAR LES AGRICULTEURS, LA BACTÉRIE TUEUSE XYLELLA FASTIDIOSA A ÉTÉ CONFIRMÉE, FIN JUILLET, DANS DES VERGERS CORSES. UN CAS POSITIF A ÉTÉ IDENTIFIÉ EN CORSE-DU-SUD « SUR DES PLANTS DE POLYGALE À FEUILLE DE MYRTE (POLYGALA MYRTIFOLIA) DANS UNE ZONE COMMERCIALE DE LA COMMUNE DE PROPRIANO ». CE DÉVELOPPEMENT A MIS EN ÉMOI DES PRODUCTEURS AUSSI BIEN D’OLIVES QUE DE CLÉMENTINES OU DE CHÂTAIGNES. CAR LA BACTÉRIE, TRANSPORTÉE PAR DES INSECTES COMME LE CERCOPE, PEUT SE PROPAGER À L’ESSENTIEL DES PLANTES PRÉSENTES EN CORSE, À L’ÉTAT SAUVAGE COMME CULTIVÉ. ET LE DRAME C’EST QU’IL N’EXISTE AUCUN TRAITEMENT POUR SOIGNER LES PLANTES CONTAMINÉES. DE QUOI ÉCHAUDER LES MAROCAINS !

ALERTE À LA BACTÉRIE TUEUSE

ÇA SE CORSE ! PERSPECTIVES MED

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ENTENDU FLOTTE RAM

ENTRETIEN À L’ÉTRANGER ! On est loin des années fastes qui avaient permis à RAM de disposer d’un service efficient de maintenance reconnu à l’international. Aujourd’hui, c’est vers la Roumanie, voire vers la Chine, que les avions RAM sont détournés pour subir les contrôles d’usage. Un surcoût qui n’est pas sans inquiéter nombre d’observateurs de l’aviation civile. Les « cost killers » de la compagnie nationale n’ont pas cherché à capitaliser sur les acquis chèrement glanés par les équipes nationales de maintenance pour relancer une activité fortement rémunératrice. Plus qu’ils ne cherchent à équilibrer les comptes de RAM par tous les moyens possibles et imaginables… Quitte à s’inscrire en faux par rapport à la dynamique que le pays cherche à développer dans le secteur de l’aéronautique. Le gâchis est bien là, visible à l’œil nu. Sauf pour ceux que la myopie aveugle !

AFFAIRE DRAPOR

GUERRE DE P-DG LES MEMBRES DE LA FAMILLE JAKHOUKH, IMPLIQUÉS DANS L’AFFAIRE « DRAPOR », ONT ORGANISÉ FIN JUILLET UNE SORTIE MÉDIATIQUE POUR ÉCLAIRER L’OPINION PUBLIQUE SUR LES DERNIERS REBONDISSEMENTS. L’ACTION INTERVIENT PEU DE TEMPS APRÈS QUE MUSTAPHA AZIZ BRIOUIT, BRAS DROIT DU PATRON DÉFUNT, SE SOIT AUTOPROCLAMÉ PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DRAPOR. UNE DÉCISION CONTESTÉE PAR LA FAMILLE QUI EXIGE LA NOMINATION DE L’UN DES FILS DU DÉFUNT, BADR JAKHOUKH EN L’OCCURRENCE, À CE POSTE. SANGLÉE DE SES AVOCATS, LA FAMILLE CRIE AU COMPLOT EN ACCUSANT L’EX-ASSOCIÉ ET MEMBRE DU COMITÉ DE DRAPOR MUSTAPHA AZIZ BRIOUIT DE MENER UNE MACHINATION CONTRE ELLE. AINSI, LA NOMINATION CONTESTÉE DE M. AZIZ AU POSTE DE PDG EST QUALIFIÉE DE « TENTATIVE D’ACCAPAREMENT ET DE SPOLIATION DES ENTREPRISES DU GROUPE DRAPOR, AINSI QUE DES BIENS LÉGUÉS PAR FEU LAHCEN JAKHOUKH. DANS CETTE GUERRE DE P-DG, TOUS LES COUPS SONT PERMIS. FAISANT QUE L’AFFAIRE SENTE LE SOUFRE PUISQUE DES JOURNALISTES QUI TENTÉ DE DÉMYSTIFIER L’AFFAIRE ONT ÉTÉ INTIMIDÉS.

TANJA MARINA BAY

IAM

LE SALUT AFRICAIN Abdeslam Ahizoune s’est montré des plus confiants quant à la situation d’IAM lors de la présentation des réalisations semestrielles de l’opérateur historique. Chiffres à l’appui, le président a confirmé le leadership national d’IAM et exposé prouesses et défis de l’entreprise sur le continent africain. Malgré le repli de 2,0% à 10 442 M Dhs des activités au Maroc dans un contexte marqué par une concurrence qui ne faiblit pas dans le Mobile, le Groupe IAM affiche des revenus consolidés de 16 583 M Dhs, en amélioration de 13,9% comparativement au premier semestre 2014, grâce à la hausse de 55,7% à 6 556 M Dhs de celles en Afrique (+5,3% pour les filiales historiques) et aussi en capitalisant sur l’intégration de ses 6 nouvelles filiales africaines. Pour ce qui est des perspectives, A. Ahizoune se veut optimiste et affirme que les investissements réalisés dans les filiales africaines comme au Maroc, (grâce au revenu Data qui sera boosté par le lancement de la 4 G+ durant ce mois de juillet), ne se concrétiseront qu’à partir du deuxième semestre 2015. 14

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LES ANNEAUX DU DÉTROIT TOUT LE GOTHA DE LA CAPITALE DU DÉTROIT A ÉTÉ CONVIÉ, FIN JUILLET, À LA RÉCEPTION OFFERTE PAR LA SOCIÉTÉ DE GESTION DU PORT DE TANGER VILLE (SGPTV) À L’OCCASION DU LANCEMENT DE LA COMMERCIALISATION DES ANNEAUX DE TANJA MARINA BAY INTERNATIONAL. LA NOUVELLE MARINA DISPOSE D’ATOUTS INESTIMABLES À MÊME DE CONSTITUER UNE DESTINATION PHARE DU TOURISME DE CROISIÈRE ET DE PLAISANCE À LA L’ÉCHELLE DE LA MÉDITERRANÉE. A RAPPELER QUE CE PROJET ENTRE DANS LE CADRE DE LA RECONVERSION DE LA ZONE PORTUAIRE DE TANGER VILLE EN PREMIÈRE MARINA URBAINE DU ROYAUME. TANJA MARINA BAY INTERNATIONAL DISPOSERA DE L’UNE DES MEILLEURES OFFRES DE SERVICES AUX PLAISANCIERS, AVEC UNE CAPACITÉ DE PLUS DE 1400 ANNEAUX DISPONIBLES À PARTIR DE L’ÉTÉ 2016.TANJA MARINA BAY INTERNATIONAL REPRÉSENTE UN INVESTISSEMENT DE L’ORDRE DE 700 MILLIONS DE DIRHAMS. IL EST À RAPPELER QUE LE COÛT GLOBAL DU PROJET DE RECONVERSION DE LA ZONE PORTUAIRE DE TANGER VILLE EST DE 6,2 MILLIARDS DE DIRHAMS, DONT 2.2 MILLIARDS DE DIRHAMS POUR LES COMPOSANTES PORTUAIRES ET 4 MILLIARDS POUR LES COMPOSANTES URBAINES. « CE PROJET D’ENVERGURE, ASSURE M. OUANAYA, P-DG DE LA SGPTV TANJA MARINA BAY INTERNATIONAL, CONTRIBUERA AU DÉVELOPPEMENT DE LA RÉGION EN CRÉANT RICHESSE ET EMPLOIS ».


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HUMEUR Lhoucine Louardi

SANTÉ !

La FDT veut faire trinquer le ministre de la Santé. Et pour cause ! le sulfureux dossier lié à la gestion de la Fondation Hassan II pour la promotion des œuvres sociales dédiée au personnel de la santé publique. L’affaire est bien plus lourde que la gestion de Bouya Omar. Les sonnantes et trébuchantes qui tombent annuellement dans l’escarcelle de ladite fondation peuvent rendre maboul tout quidam qui salive à l’idée de se faire du fric : 50 MDH. Avouez qu’il y a de quoi édifier avec plein d’asiles susceptibles d’accueillir les 48% et des poussières de la population que le camarade ministre voit déjà déjantés. Voilà une histoire de fous qui risque de condamner d’avance l’élan « société civile » que Lhoucine Louardi s’est découvert en troquant le stéthoscope pour le maroquin ministériel. Surtout qu’il se rêve déjà en militant de la première heure pour déraciner le phénomène des interventions en faveur d’une minorité au détriment de la masse. Surtout que le gestionnaire de la Fondation ne serait autre qu’un autre « camarade » qui s’est arrogé le droit de se faire rétribuer à la hauteur de la tâche en s’accordant un traitement ministériel ! N’allez surtout pas croire que le pauvre PPS s’en sortirait richement décoré d’une telle galère. Surtout si la FDT fait preuve de sérieux, cet « al-maakoul » que le parti du Livre érige en ligne de conduite pour tous ses militants, du troufion de base jusqu’au cador du Bureau politique.

Mustapha Ramid

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PERSPECTIVES MED

Il adore faire son cinéma, le ministre de la Justice et des libertés. Le postillonnant ministre islamiste ne se contente pas d’exhaler les bulles d’air qui colonisent sa bouche en éructant ses ordres et oukases. Il adore aussi défendre ses projets auprès des médias qui veulent bien « marketter» le discours officiel, y compris ceux qui font avancer le pays à reculons! N’a-t-il pas élu domicile dans des rédactions pour « vendre » un projet de code pénal des plus rétrogrades ? Nul ne lui reprochera, à coup sûr, de jouer à la sur-médiatisation de circonstance. D’autant que les avocats du diable, et il en connaît un bout lui dont le bureau ronronne jour et nuit, courent les rues. Mais il a aussi son côté colérique qui s’exprime par des ruptures bien choisies. Comme celles qui ont mis à la rue deux de ses collaborateurs lâchés pour incompétence. Où alors via des attitudes butées à l’endroit des élus qui le chatouillent aux entournures. Comme ce fut le cas lorsque le dossier de sa sœur avocate a défrayé la chronique. Pour couper court aux diverses interrogations des représentants du pouvoir législatif, ô combien légitimes, Mustapha Ramid joue à plein tube l’invective s’il ne cherche pas à rabrouer l’assistance par ses envolées lyrico-colériques. L’homme, on le voit, adore cultiver les clivages. Tout en se prononçant en faveur du consensus. L’illogisme d’une telle démarche ministérielle est bel et bien tranché. Jamais clivages et consensus ne feraient bon ménage. A moins que la logique du polygame ne l’emporte chez lui. Celle qui consiste à consommer la chose et son contraire sous un même toit.

UN MINISTRE A LA BARRE !


Abdelilah Benkirane

LARMES À L’OEIL

L

RIRE DE TOUT

a sensibilité du chef du gouvernement est à fleur de peau. Manque de pot, elle ne se manifeste, à grand flot de larmes vite essuyées, que lorsqu’il est question d’amis proches. Tout le Maroc se souviendra d’un Benkirane, larmes à l’œil, marchant dans le cortège funéraire de feu Baha. Mais si le patron de l’Exécutif s’est laissé aller sous la coupole, il y a quelques semaines, en évoquant les dramatiques cas des personnes à mobilité réduite, c’est parce que lui même avait accueilli, chez lui, un de ses amis diminués. La question qui se pose dès lors divise l’opinion. Ses thuriféraires louent la sensiblerie de l’âme du leader du PJD qui fait preuve d’une empathie à toute épreuve. Et la preuve dans tout ça ? Allez vérifier dans les dossiers de lutte contre la prévarication pour voir qu’aucun n’a été ouvert depuis l’avènement de ce gouvernement qui fait grand cas du pardon. Même les ministres qui ont été débarqués de l’Exécutif, ils l’ont été sans pour autant que la poussière qui ornait les tapis qu’ils foulaient ne soient aspirée… Si ce n’est pas l’oubli. Voilà qui ouvre grand la porte à ses adversaires qui polémiquent autour de Benkirane et de son action. A leurs yeux, les larmes ainsi versées, en direct, empruntent beaucoup à l’animal que le Chef du gouvernement affectionne particulièrement lorsqu’il évoque ses adversaires. Larmes de crocodiles, alors ? La majorité de ses détracteurs le pensent. Tout en soulignant que l’état dans lequel se trouve le pays a de quoi faire pleurer. Reste à savoir si on pourrait suggérer l’enrichissement du dictionnaire des expressions courantes. On aurait dès lors le choix, en parlant de larmes. Entre un crocodile et un Benkirane, vers où pencherait votre cœur ? En tout cas, jamais les larmes n’ont été utilisées politiquement dans le Royaume. Avec le PJD, les politologues découvrent la puissance d’une arme politique. Pourvu qu’elle ne soit pas de destruction massive ! PERSPECTIVES MED

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CHRONIQUE BONJOUR LES DÉGATS

URNES ET BIDONVILLES Par : Said Akechmir

L’

été sera plus chaud cette année. Non pas à cause des incidences liées au changement climatique, mais pour des raisons politiques bien évidentes. Car voilà que le pays renoue avec la fièvre électorale qui rythme sa construction démocratique. Une flopée de scrutins professionnels, communaux et régionaux est attendue… Mais la question qui se pose avec la plus grande acuité a trait, elle, au personnel politique mobilisé pour l’occasion. Les élites locales seront-elles capables de combler le vide constaté au niveau de l’ensemble du territoire pour répondre aux attentes de la masse des électeurs ? Pour répondre à cette question nodale, nul besoin de rappeler qu’il est nécessaire de décortiquer la philosophie tapie derrière pareilles consultations et, chemin faisant, aborder les pouvoirs dévolus aux institutions élues. Nous voilà donc face au véritable « nœud gordien » du dossier qui, en principe, devrait épouser la logique de la démocratie participative. Sauf que le législateur n’a pas encore jugé bon de faire confiance aux élites locales appelées à gérer bourgades, villes et régions. Le pouvoir tutélaire dévolu aux représentants des autorités locales n’a en rien reculé d’un iota la suprématie de l’Intérieur. Ce qui relance, bien sûr, le débat autour de la décentralisation et de son pendant évolue inscrit dans le marbre démocratique sous le vocable de la déconcentration. Cela est susceptible de freiner bien des ardeurs et bloquer l’éclosion d’une race de politicards capables d’imaginer le devenir de tout bout de champ territorial. DES ÉLUS QUI TAPENT Là où la mainmise de l’Intérieur SUR LA TABLE, CRIENT reste toujours assez prégnante selon une perception éculée de AU SCANDALE ET l’Etat et de ses représentants. DILIGENTENT DES L’Etat étant toujours séparé de la population par son célèbre COMMISSIONS comptoir… Ce qui fausse, bien D’ENQUÊTE évidemment, le jeu démocratique. L’appréhension générale que l’on se fait de l’Etat n’a pas encore évolué au point d’amener la société à considérer que « l’Etat, c’est nous ». Si la part belle dans la gestion publique, à l’échelle locale, comme régionale, reste celle des représentants de l’Intérieur, c’est que l’élan démocratique

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voulu est bloqué par les partisans de la « démocrature ». Pour caricaturer davantage, le pouvoir accordé aux élus ne pèse pas bien lourd face à celui dont jouit toujours le représentant de l’Intérieur. Et lorsqu’on parle de reddition des comptes, et c’est là l’aboutissement de l’exercice démocratique, ce ne sont pas les véritables détenteurs des cordons de la bourse qui sont interpellés, mais plutôt les élus. Comme quoi, l’on se perd toujours dans les méandres de la démocratie que consacre et la lettre et l’esprit. Une réalité pour le moins regrettable à l’heure où le pays n’a plus le droit de fermer les yeux sur les dépassements des acteurs de la gestion de la chose locale. Des élus qui soudoient des électeurs pour garantir leur fidélité dans les urnes… Le tout à coups de dérogations et autres passe-droits qui engraissent bien des acteurs. Ou encore des représentants de l’autorité locale qui ferment les yeux sur les dépassements moyennant des sonnantes et des trébuchantes. La grande peur est que l’on dessoule vite après les épreuves votatives de septembre. Pour découvrir, la migraine en plus, que rien n’a changé. Car il ne faut pas croire que le monde rural vivra chaque année au rythme des récoltes record qui diffèrent l’exode rural. Et que les ceintures de misère qui enferment les centres urbains dans des couronnes crades vont disparaître par magie. Pour ceux qui refusent de voir la réalité en face, il suffit de leur rappeler le cas de Douar Jdid, à Sidi Bernoussi, à Casablanca. C’est grâce à la complicité d’un agent de l’autorité qu’un bidonville est sorti de terre ex-nihilo. Moyennant 20.000 Dh la baraque, le Moqadem de la région s’est investi à fond pour lutter, à sa manière, en faveur du logement social. Et cet épisode est loin d’être isolé. Pour s’en convaincre, il suffit de recourir aux photos satellites pour visualiser l’avancée de ces cancers urbains. On imagine mal comment une telle tendance serait éradiquée un jour sans qu’un réel pouvoir soit du côté de véritables élus qui font honneur à leur mandat. Des élus qui tapent sur la table, crient au scandale et diligentent des commissions d’enquête. De cette démocratie là, bien locale, on est encore loin. Quel dommage !


POINTS CHAUDS

LE MAROCAIN A MAL À SON IDENTITÉ. CELA TRANSPARAIT DE PLUS EN PLUS

POUR QUI SONNE LE GLAS ?

DES DÉCHIRURES AUX RUPTURES

À TRAVERS L’IRRUPTION DE PRATIQUES MOYENÂGEUSES QUI TRANCHENT AVEC LES VALEURS DE LA TOLÉRANCE. UNE QUESTION SE POSE ALORS D’EMBLÉE: L’OUVERTURE DE LA SOCIÉTÉ MAROCAINE AUX VENTS DE LA MODERNITÉ S’AVÈRE-T-ELLE INSUPPORTABLE AU POINT DE REFUSER TOUTE AÉRATION DES ESPRITS ? EN TOUT CAS, DES ÉPISODES ASSEZ EXPLICITES DES ERREMENTS D’UN PAN DE LA SOCIÉTÉ CONTINUENT À DÉFRAYER LA CHRONIQUE. PORTANT UN SÉVÈRE COUP AU « VIVRE ENSEMBLE » QUE LE PAYS PEINE À ADOPTER. DES FILLES EN TENUE LÉGÈRE SONT PRISES À PARTIE PAR UNE FOULE AU BORD DU DÉLIRE, UN PRÉSUMÉ TRAVESTI A FAILLI ÊTRE LYNCHÉ… EN PARALLÈLE, ON OSE INTERDIRE FILMS ET ÉCRITS SUSCEPTIBLES DE PORTER ATTEINTE AUX BONNES MŒURS DE LA SOCIÉTÉ. LE GOUVERNEMENT ASSUME CE TOUR DE VIS SANS CILLER ET VA MÊME JUSQU’À PROPOSER UN PROJET DE CODE PÉNAL DES PLUS LIBERTICIDES. C’EST À CROIRE QU’UNE CHAPE DE PLOMB S’ABAT SUR LA SOCIÉTÉ AU RISQUE DE LA SCLÉROSER DAVANTAGE. IL FAUT CRAINDRE QUE LES DÉCHIRURES ACTUELLES NE CONDUISENT À DES IMPASSES DES PLUS DESTRUCTRICES. ALORS QUE LES DÉFIS AUXQUELS LE PAYS EST CONFRONTÉ, Y COMPRIS DANS LEURS DIMENSIONS SÉCURITAIRES, DAECH N’EST PAS LOIN, INCITENT À PLUS DE CLAIRVOYANCE ET INVITENT À LA MULTIPLICATION DES RUPTURES. OSERA-T-ON ÉCRIRE LE ROMAN NATIONAL AVEC CETTE ENCRE LÀ ? PERSPECTIVES MED

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POINTS CHAUDS REPLI IDENTITAIRE & DÉRIVES PURISTES

MALAISE SOCIÉTAL ALLAL EL MALEH Les Marocains s’accommodent mal des dérapages que suscite une « mal-pensance » affublée de la dimension religieuse. Et ils le font savoir. Mais est-ce suffisant pour expliquer l’émergence de ces épiphénomènes qui se focalisent sur le rejet de l’autre pour la simple raison qu’il est accoutré différemment ? Le repli identitaire, cultivé des années durant en hors sol, a tendance à s’enraciner. Il faudra y prendre garde au regard des périls que cela engendre pour le pays et pour sa stabilité. Daech est à l’affût.

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aut-il s’étonner de voir la société marocaine tiraillée jusqu’aux déchirements autour de questions considérées comme relevant du « désordre moral » ? Faut-il s’offusquer de constater que dans ce pays qui prône un islam quiétiste, ouvert et tolérant, des femmes sont mises au ban de la société si elles ne sont pas sauvagement agressées pour le port d’habits jugés « indécents » ? Faut-il fermer les yeux sur les débordements des foules promptes à s’enflammer pour des affaires relevant de « la perversion sexuelle » ? Non et mille fois non ! Car tous ceux qui suivent de près l’évolution de la société marocaine ont eu à constater les dérives de plus en plus palpables du repli identitaire. Tel est le fruit de plusieurs années d’une gestion lâche de l’évolution du discours religieux. Un discours qui persiste à distiller, même dans les prêches du vendredi, pourtant canalisées par le ministère des Habous et des affaires islamiques,

les sentiments de la haine nourris à l’endroit des chrétiens et des juifs. Tout en louant les bienfaits du djihad que tout bon musulman est appelé à entreprendre. Rares sont les imams qui prêchent la concorde entre les divers peuples tout en appelant à respecter les autres, tous les autres. Rien d’étonnant à ce que les prédicateurs qui font grand cas de la révélation persistent indéfiniment dans cette voix, sans issue. Car la tare réside au niveau de leur formation forgée essentiellement au feu de l’apprentissage par cœur des «leçons toutes faites », et c’est le comble de la culture du «Naql», plutôt que sur le recours à la raison pour décortiquer les bases d’un dogme mis à mal par l’évolution de la société. Et là, comme l’ont relevé il y a plus d’un siècle de cela toute une élite arabo-musulmane qui nourrissait l’espoir d’une renaissance de la Ouma, c’est la défaite du recours à « Al Aql » qui est ainsi consacrée. Nos imams persistent donc à user et abuser de la même

L’OUVERTURE DU MAROC A UN PRIX : LA LIBÉRATION DES ESPRITS !

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TOLÉRANCE ZÉRO En haut, c’est l’image capturée de l’attaque en règle d’un «travesti» à Fès qui a fait le tour du monde. En bas, une séquence du film très controversé «Much Loved» qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive … « boîte à outils » que des ancêtres lointains ont pu adapter, en leur temps, pour rester à jour. Sans se soucier de la moindre actualisation d’un discours vermoulu qui a fait son temps. Pour que la société change, il faut oser la libérer de ce cordon ombilical qui alimente les torrents du sous-développement qui remportent tout ce qui est valable sur leur passage dévastateur. Jamais le discours religieux n’a exigé autant d’efforts de la part des exégètes. A l’heure où Daech s’est révélé capable non seulement de produire sa lecture exclusiviste de l’Islam, mais promet la destruction de tous les Etats encore debouts sur l’échiquier arabo-musulman pour réinstaurer le Califat. D’ailleurs, rien d’étonnant à ce que le Maroc aussi soit la cible de ce groupe terroriste qui n’a ni foi ni loi… Si l’on excepte, bien sûr, la culture paroxystique du djihad, le culte du sacrifice et le règne par la terreur. Le ministre de l’Intérieur n’a-t-il pas fait état de la guerre menée à l’échelle nationale pour limiter les dégâts d’une telle culture du suicide ? Pas moins de 30 filières de recrutement de djihadistes ou de cellules qui s’apprêtaient à livrer bataille ont été démantelées depuis 2013. Bien entendu, la veille et l’anticipation dont font preuve les services concernés sont la clé du succès dans cette guerre ouverte contre le terrorisme. Ce qui n’a pas empêché le Maroc de figurer parmi les pays où le djihadisme a trouvé le terrau approprié. Pas moins de 1350 marocains ont rejoint, selon les chiffres officiels, les zones de conflit qui ensanglantent le Machrek… Alors que dans le chaudron libyen, nul ne saurait évaluer le nombre de nationalités qui ont rejoint les rangs des divers groupes djihadistes qui alimentent le chaos régional.

Il ne faut pas croire que le pouvoir d’attraction que représente l’internationale djihadiste pour les jeunes et les moins jeunes ira en diminuant. Le processus complexe du lavage des cerveaux mené de main de maître par la nébuleuse terroriste réussit justement là où la raison n’a pas de pouvoir. Et c’est à ce stade là que la réforme du système éducatif s’avère des plus impérieuses au regard des défis d’instabilité auquel le Maroc est confronté directement ou non. Rien ne doit être laissé au hasard dans ce qui s’apparente, aujourd’hui, à une refonte de la géopolitique régionale. D’autant plus que tout observateur averti aura eu à mesurer combien restent fragiles les alliances aussi fortes que celles que l’on affublait du terme stratégiques. Lorsque les intérêts commandent le lâchage d’un allié, tout est fait pour hater les transformations pré-programmées. Et dans cette progression là, il ne faut pas baisser la garde. Bien au contraire, l’anticipation des dangers actuels et futurs commande de mieux amarrer l’îlot de stabilité que re présente le Maroc. Et dans cette vaste opération d’anticipation, il faut saluer à son juste titre la volonté exprimée par la plus haute autorité du pays de promouvoir cet islam du « juste milieu » auprès de nos partenaires africains déjà en bute à l’avancée du wahhabisme. Mais ce n’est là, à n’en point douter, qu’une partie de la réponse attendue sur la voie de la réforme de la société. Le meilleur paravent contre les dérives suicidaires reste lié intimement à la promotion de la démocratie et de ses valeurs universellement reconnues. Et dans ce processus là, nul besoin de rappeler l’importance que revet la promotion de la femme et de ses droits inaliénables. Bien entendu, il ne s’agit pas là juste PERSPECTIVES MED

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POINTS CHAUDS

chaotique, dont fait preuve l’actuel gouvernement. Le meilleur exemple nous provient du projet de code pénal que le ministre de la Justice et des libertés tente de promouvoir. Un projet des plus liberticides. Rien d’étonnant, dès lors, de constater la survivance d’une culture passeiste au sein d’une partie de la classe politique en déphasage. La promotion de la culture de la vertu, avec un habillage religieux, est symptomatique de l’incapacité de cette composante de la société à assimiler l’air du temps. Celui qui dicte une autre approche centrée sur l’humain et sur ses droits fondamentaux inaliénables. On est encore loin d’accepter le partage des différences, celles qui font le cumul de la richesse de toute nation. Car même lorsqu’on dispose du pouvoir, en partie comme en totalité, on n’impose pas. Telle est la règle élémentaire de la démocratie. Celle qui fait grand cas de la majorité, bien sûr. Sans pour autant écraser, au passage, la minorité. Le PJD a encore bien des leçons à apprendre dans l’exercice du pouvoir. Passée la période de la fascination, réussira-t-il le pari de couler dans le moule de la démocratie ? Car in fine, le populisme a aussi ses limites au-delà desquels nul ne saurait s’aventurer sauf à vouloir taquiner la queue du diable. Le MUR, ce bras idéologique de cette formation islamisante, a

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tendance à l’oublier. C’est ce qui fait le lit de tous les débordements. Comme à Inezgrane et dans bien d’autres bourgs et cités.

d’un saupoudrage législatif et/ou réglementaire plus qu’il n’est question de faire valoir auprès de la société des implications que tout engagement charrie dans son sillage. Il faut faire preuve de pédagogie pour que les ruptures induites par toute transformation sociale soient partagées par l’ensemble de la communauté. A ce niveau-là, il faut croire que l’enjeu est capital puisqu’il incite à imaginer les outils permettant de vaincre les résistances. Celles que dressent comme autant d’embûches les adversaires d’un pays ouvert, moderne, tolérant et acteur agissant en matière d’altérité. Autant dire qu’il s’agit-là de mettre en place les ingrédients d’une révolution sociale tranquille à même de garantir ce « vivre ensemble » que les Marocains ont le droit d’exiger loin de toutes les excommunications intempestives et autres formes de rejet que rien ne légitime. Le pays est encore au milieu du gué. Les tensions continueront à alimenter le subconscient collectif tant que le récit national, à imaginer sur la base d’une démocratie globale, n’est pas encore bien assimilé. C’est ce que laisse entendre, fort malheureusement, la gestion des libertés, pour le moins 22

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LE POIDS DES FEMMES

DU POLITIQUEMENT LOURD

Dans le Royaume, il faut croire que la promotion de la femme au sein de la société n’a pas encore atteint le point de maturité absolue. Même si les chiffres démographiques confirment la primauté du sexe féminin sur le sexe masculin, les femmes représentant plus de la moitié de la population, la classe politique peine toujours à faire honneur à cette partie de la société… Des résistances culturelles, parfois parées du voile cultuel, expliquent sans doute une telle injustice. Cela transparaît d’ailleurs des chiffres liés aux élections professionnelles, locales et régionales que le pays négocie. Le nombre de sièges alloués aux femmes dans chaque préfecture, province ou préfecture d’arrondissements oscille entre 1 et 9. Le total des sièges au niveau des régions se chiffre à 678, dont 428 au titre de la première partie ouverte à égalité aux candidats hommes et femmes et 250 au titre de la deuxième partie consacrée aux femmes, soit environ 37%... On est encore loin de frôler le seuil de la parité. Et ce malgré les efforts menés tambour battant par des formations politiques qui font leur le combat pour l’égalité entre les sexes. Politiquement s’entend, les femmes représentent toujours ce « sexe faible » tant décrié par les partisans de l’égalité. Si rien n’est perdu pour autant, le pays gagnerait sûrement bien des places si le projet de société axé sur le progrès et la démocratie bénéficie de toute l’attention requise. Une affaire de « récit national » à imaginer… Mais surtout à faire partager.


ENJEUX POLITIQUES

EPREUVES ÉLECTORALES

ENTRE LUTTES & CHUTES

LE PROCESSUS ÉLECTORAL QUI A DÉMARRÉ EN CETTE SAISON ESTIVALE S’ANNONCE CHAUD. LA CLASSE POLITIQUE QUI Y EST ENGAGÉE DOIT SUER, SANG ET EAU, POUR RATTRAPER LE TEMPS PERDU. L’INSTALLATION DE LA 2ÈME CHAMBRE, DANS SES NOUVEAUX HABITS CONSTITUTIONNELS, EST PROGRAMMÉE EN BOUT DE COURSE. AU MÊME TITRE QUE L’ÉMERGENCE (OU NON) D’UNE NOUVELLE ÉLITE LOCALE, COMME, RÉGIONALE POUR GÉRER LES ENTITÉS TERRITORIALES QUI CONSACRENT, ENCORE AUJOURD’HUI, DES DISTORSIONS EN TERMES DE DÉVELOPPEMENT ET DE CRÉATION DE RICHESSE. D’ORES ET DÉJÀ, CHACUNE DES FORMATIONS POLITIQUES EN LICE AFFUTE SES ARMES POUR GAGNER ET LE CŒUR ET L’ESPRIT DES ÉLECTEURS. MAIS LE POSTULAT DE BASE QUI MET À RUDE ÉPREUVE LES ÉTATS-MAJORS MOBILISÉS POUR L’OCCASION EST LIÉ, LUI, AU TAUX DE PARTICIPATION AUX DIVERSES ÉPREUVES VOTATIVES. EN D’AUTRES TERMES, IL S’AGIRA POUR LES POLITIQUES COMME POUR LES OBSERVATEURS D’ÉVALUER LE DEGRÉ DE SOLIDITÉ DU CAPITAL SYMPATHIE DES CITOYENS DE BASE POUR LA CHOSE POLITIQUE. D’AUTANT PLUS QUE LORS DES DERNIÈRES ÉCHÉANCES POLITIQUES, ET ELLES ÉTAIENT PARTICULIÈREMENT SENSIBLES DU FAIT DES BOURRASQUES AYANT ACCOMPAGNÉ CE QU’IL EST CONVENU D’APPELER « PRINTEMPS ARABE », MOINS DU TIERS DU CORPS ÉLECTORAL A CHOISI DE FAIRE LE DÉPLACEMENT AUX BUREAUX DE VOTE POUR ÉLIRE LA MAJORITÉ DEVANT PILOTER LE PAYS. PORTANT AINSI AU PINACLE LE PJD, CETTE FORMATION ISLAMISTE QUI, ASSURE SES CADORS, VEILLE SUR LE DÉROULEMENT DES ÉLECTIONS EN COURS. DE QUOI DEMAIN SERA-T-IL FAIT ? LA DEUXIÈME CHAMBRE QUI NE COMPORTERA PLUS QUE 120 MEMBRES CONSACRERA-T-ELLE « LA MAJORITÉ DANS LA MAJORITÉ » OU REPRODUIRA-T-ELLE LE STATU QUO ANTE, CELUI QUI A FAIT DE CETTE INSTITUTION LA PIRE DES ÉPREUVES POUR LE CHEF DU GOUVERNEMENT ET SON ÉQUIPE ? ET QUE DIRE DES SCORES QUI SANCTIONNERONT LES ÉLECTIONS LOCALES ET RÉGIONALES? SAURONT-ILS CONSACRER LA DOMINATION DE LA MAJORITÉ QUI GOUVERNE OÙ VERRA-T-ON LA BALANCE PENCHER PLUTÔT VERS L’OPPOSITION ? LÀ, L’ENJEU EST DE TAILLE. CAR ON N’EST PLUS SÉPARÉS DES PROCHAINES LÉGISLATIVES QUE DE QUELQUES MOIS. D’OÙ LA FÉBRILITÉ DES UNS ET L’ANGOISSE DES AUTRES. PERSPECTIVES MED

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ENJEUX EPREUVES ÉLECTORALES

SCRUTINS ET ENJEUX LOURDS Par : A. Ben Zeroual

Les épreuves électorales ont démarré avec les professionnelles. Et consacré la supériorité d’une opposition que l’on donnait pour moribonde. Le PAM assume la fonction de « superstar » en essuyant les foudres du PJD. Pourtant, rien n’est encore bouclé pour des élections aux enjeux multiples. Les yeux sont déjà braqués sur les législatives de 2016.

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as de changement de dernière minute pour le calendrier électoral. Au ministère de l’Intérieur, les responsables ont été catégoriques face aux arguments présentés par les partis de l’opposition. Avant d’être rejoints en cela par le chef du gouvernement dont les affirmations visaient à lever tout équivoque sur toute impréparation du processus. Ni la saison estivale et la période des vacances, ni la rentrée scolaire et politique n’ont constitué, entre autres, d’arguments valables pour procéder à un quelconque décalage. Quand bien même d’autres considérations, moins triviales celles-là, ont été avancées par les mêmes formations pour empêcher que les épreuves ne soient entachées d’une quelconque irrégularité. Il en va ainsi de la prolongation de l’inscription sur les listes électorales, prolongée jusqu’au 20 août, soit à la veille du démarrage des élections territoriales. Ce qui, chemin faisant, pose un problème en terme de corps électoral figé, soit le nombre de votants potentiels, et charrie aussi dans son sillage les questions liées aux pro-

LE PAM SUPER STAR OU SOUFFRE-DOULEUR ?

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PERSPECTIVES MED

cessus d’invalidation. Comme il en va aussi pour la délimitation des collectivités locales et leur publication dans le Bulletin Officiel, surtout que la carte a été modifiée selon le dernier découpage dont la validation est encore en souffrance. En 2009, s’évertue-t-on à rappeler, tout ce processus technico-politique avait été bouclé au mois de février alors que les élections furent programmées pour juin. Est-on dès lors face à une opération marquée du sceau de l’improvisation ? L’irrecevabilité de ces arguments politico-juridiques par le gouvernement a fait que le meccano s’est emballé dès le 4 août pour l’élection des représentants des chambres professionnelles. Celles-ci, devenues désormais plus régionales que locales, en conformité avec les dispositions de la Constitution, devant aboutir, le 2 octobre, à la désignation des élus devant occuper les 20 sièges qui représentent le 1/6ème de la deuxième chambre. Et il faut dire que les commentaires à chaud d’une telle épreuve qui a consacré la victoire des formations de l’opposition, PAM en tête, restent des plus mitigés.

SOUFFRE-DOULEURS

En effet, si le taux de participation aura été de 43%, en amélioration de 3 points par rapport au précédent suffrage, il n’en reste pas moins que l’on n’a pas assisté à un


raz-de-marée électoral. Les politiques minorent, à ce stade, le poids réel d’une telle performance en se contentant de souligner que la bataille des élections professionnelles ne mobilise pas, traditionnellement, grand monde. Et préfèrent se focaliser sur les autres épreuves qui s’avèrent beaucoup plus expressives à leurs yeux : les élections municipales et régionales. Celles-là mêmes qui contribueront à former « le gros morceau » du nouvel habillage de la chambre des conseillers. Mais pas seulement. Car à une année des prochaines législatives, les états-majors politiques, mobilisés autour de ces épreuves, restent convaincus de l’importance des résultats qui préfigureraient déjà de la carte politique du Maroc en 2016. C’est à l’aune de cette réalité qu’il faudra lire les déclarations au vitriol faites par le chef du gouvernement à l’endroit du PAM. Elyas El Omary, cheville ouvrière de « la chose électorale » s’étant félicité de la performance des encartés PAM qui ont dominé les élections professionnelles (19% des élus) et, en fin manœuvrier, sollicitant par là même les félicitations du patron du PJD qu’il s’empêche d’exprimer en faveur d’un rival taxé de tous les maux. Pourtant, ces épreuves qui n’ont pas consacré la suprématie de la majorité qui cogère les affaires du pays n’ont pas été totalement inopportunes ni pour le PJD, ni pour le PPS, allié de circonstance d’une coalition qu’il défend avec bec et ongles. Ces deux formations ont réussi à doubler leurs performances par rapport à 2009. Des performances qui restent assez pâles face aux prouesses réalisées par des machines électorales assez bien rodées de la trempe du RNI, parti majoritaire d’appoint, et de l’Istiqlal. Si les politiques préfèrent parler de « petit corps électoral » mobilisé pour les professionnelles, c’est pour se donner bonne contenance. Car au niveau de la représentativité partisane, ce corps est loin d’avoir été politisé à 100%. En effet, 18% des candidatures se sont présentées à ces épreuves sans étiquette politique, avec pas moins de 27 listes. Ce qui ouvre la voie aux tractations et autres marchandages de bas étage qui contribuent à travestir le jeu électoral. Et c’est bien à ce niveau là que l’on mesure le poids réel des baronnies et autres puissants lobbies qui marquent de leurs empreintes indélébiles le champ politique. D’ores et déjà, on parle d’une majoration du score réalisé par le PAM de 3 points. Et le reste suivra…

ATTENTES Si le marqueur de ces premières épreuves a profité à l’opposition, même si les socialistes en ont fait les frais, il n’en reste pas moins que « la messe est encore loin d’être dite », résument les divers acteurs politiques obnubilés davantage par les communales et les régionales. Car l’enjeu politique est de taille pour ces élections qui contribueront aussi, faut-il le rappeler, à meubler

la chambre des conseillers. D’abord, parce que ces épreuves-là sont considérés comme un test grandeur nature pour les législatives programmées pour 2016. Pas moins de 14 millions d’électeurs, en effet, sont invités à y prendre part pour choisir les dirigeants des entités territoriales, locales et régionales. Un enjeu qui n’est pas à minorer, non plus, au regard de la mobilisation des « grands gabarits », de l’opposition comme de la majorité, pour conduire les coalitions futures. Le PJD a choisi de propulser au devant de la scène pas moins de 5 de ses ministres pour en découdre avec les adversaires jugés de poids. Mais les questions qui se posent avec acuité ont trait, d’abord, à la capacité des formations en lice à drainer un taux de participation des plus honorables. Car avec un pourcentage faible des suffrages exprimés le processus encaisserait un coup des plus sévères en terme de crédibilité. Consacrant de la sorte le schisme déjà constaté entre la classe politique et les masses qu’elle est censée représenter. Ensuite parce que le pays qui vit un décalage en matière de développement socio-économique, a besoin d’une nouvelle élite d’édiles capables de gommer les aspérités qui confirment la séparation entre un Maroc jugé utile et un autre, plus vaste, considéré comme inutile. Et last but not least, il s’agira de mettre sur rails le projet de régionalisation avancée que le pays promeut, depuis quelques temps déjà, pour éviter les divers écueils dressés face au règlement définitif du dossier du Sahara. Bien entendu, l’édifice constitutionnel gagnera en clarté avec ces épreuves qui prendront fin en octobre prochain. Toutefois, bien des voix qui participent aux diverses épreuves électorales ne se font point d’illusions quant à la gestion des villes, comme des régions, conformément aux attentes démocratiques que consacre la déconcentration. En effet, contrairement aux partisans du « tout démocratique », la voie choisie n’a pas encore opéré de rupture définitive avec la primauté allouée aux représentants de l’Etat à l’échelle des entités territoriales. Quand bien même on se serait focalisé sur la dimension démocratique du principe qui lie la responsabilité à la reddition des comptes. Verra-t-on des gouverneurs et/où des walis répondre de leurs actes en orientant les dépenses vers tel ou tel projet ? La question est tout sauf tranchée… PERSPECTIVES MED

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NATION CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ

L’URGENCE D’UN DOSSIER Par : Abedrrahmane Mekkaoui

Tout récemment, le banc et l’arrière banc du système sécuritaire marocain s’est déplacé à la chambre des représentants. Une première dans le monde arabo-musulman à saluer à l’heure où le Maroc est engagé dans la lutte contre le terrorisme aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Et que de lourdes menaces pèsent sur la stabilité de la région.

N

ul besoin de rappeler ici que nos voisins maghrébins comme sahélo-sahariens vivent des mutations difficiles et lourdes de conséquences. On remarque d’abord qu’aucune information n’a circulé quant à la teneur de cette réunion qui s’est déroulée à huis clos. Tout au plus constate-t-on que des cadors de partis politiques se sont empressés de déclarer que la question de sécurité et de défense relève de l’inconnu, soit un domaine réservé aux professionnels. Il y en a même qui ont souligné que la culture partisane est vierge de toute réflexion se rapportant à un sujet aussi complexe et stratégique. La seule formation qui a mis au devant de la scène la question de la mise sur pieds du Conseil national de sécurité, en conformité avec les prescriptions de la Constitution de 2011, est l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Bien entendu, une telle saillie est d’importance et va au-delà des joutes politico-politiciennes. La question nodale qui est à mettre en évidence est liée au retard enregistré quant à l’avènement dudit conseil. S’agit-il dès lors d’une question politique, institutionnelle, juridique, technique, économique ou de compétence ? Toujours est-il que cette problématique reste en suspens alors qu’on attendait de voir tous les acteurs droit-de-l’hommiste tétanisés face à cette initiative alors qu’ils ont toujours milité pour la transparence et la bonne gouvernance sécuritaire. Pour les spécialistes des questions stratégiques, militaires et sécuritaires, « il faudrait repenser la défense et éviter la violence ». La défense est un enjeu trop vital pour être le

FAIRE DIALOGUER PENSEURS, PRATICIENS ET REPRÉSENTANTS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

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domaine réservé d’experts et de professionnels. Car elle engage la survie de la Nation, de ses institutions, de son territoire, et de ses intérêts vitaux, tout autant que ses valeurs et sa capacité à résister aux menaces. La défense reste bien sûr une politique. C’est un engagement pour les hommes et les femmes qui ont choisi le métier des armes. Mais c’est aussi l’expression de la volonté d’un peuple de rester maître de son destin. Penser la défense, c’est l’objet d’échanges et de débats multiples et variés. Car n’oublions pas que depuis la fin du système bipolaire, les guerres n’ont jamais cessé. Chaque paix est suivie d’une guerre, latente ou déclarée. Et ce qui se passe dans notre hinterland est assez parlant pour craindre les miasmes de l’instabilité. Les réflexions sur l’esprit de défense permettront, ainsi de faire dialoguer penseurs, praticiens et représentants de la société civile autour de la paix et de la guerre. Il s’agit de nourrir sur la place publique une réflexion qui engage notre avenir. Malgré la survivance du postulat « secret défense », dans les pays démocratiques qui ont ouvert le débat autour des questions de sécurité et de défense, décideurs politiques, professionnels et chercheurs se retrouvent autour de débats féconds. Et tout cela représente une aide à la décision qui revient de droit au chef de l’Etat. C’est à lui que revient la responsabilité de toute décision politique et stratégique engageant le pays. Bien entendu, la dimension gouvernance sécuritaire et de défense est garantie par l’implication de tous les acteurs, y compris les commissions parlementaires et sénatoriales. Un simple regard porté sur la production des rapports du Sénat français, à titre d’exemple, devrait inspirer quant à la pertinence de l’ouverture du débat sur les questions stratégiques. Les expériences humaines dans le domaine reposent sur des matrices de réflexion sur comment penser la défense


et éviter la violence. Quatre axes principaux sont à souligner dans ce cadre conceptuel. La maîtrise de la technologie moderne par l’état-major dans la prise de décision et de commandement. De nouveaux paradigmes doivent être pris en compte pour évaluer les dangers et identifier et gérer les menaces. Car la défense et la sécurité relèvent d’un champ dynamique et non pas statique (Terminator). Il faut prendre en considération le symbole des pulsions destructives de l’homme et s’assurer que la défense concerne chaque citoyen et engage le pays dans son ensemble (Minotaure). Il faut évidemment se projeter dans le futur et ne pas rester prisonnier du présent. La pro-activité doit être épaulée par une doctrine à définir dans un cadre consensuel détectant les vulnérabilités pour faire face aux menaces d’aujourd’hui et de demain (Valmy). Et last but not least, il faut tirer les conclusions de tout déploiement de la force en faisant preuve d’une grande souplesse dans les techniques opérationnelles. Ceci est d’autant plus vrai que les armées classiques d’avant peinent à répondre aux impératifs de défense et de sécurité face à des mouvements de guérilla (Gladiator), En somme, la réflexion tend à repenser les dangers actuels et futurs en impliquant tous les intervenants, notamment la société civile qui demeure l’appui essentiel pour tout service de sécurité et pour toute armée. Un conflit sans l’engagement du peuple, avec toutes ses composantes, est une guerre perdue comme disait Raymond Aron. En conclusion, une telle institution stratégique garantira notre capacité de décision opérationnelle, à tous les niveaux et à court, moyen et long terme. Nos dernières opérations extérieures ont suscité au Maroc un véritable débat et des réactions mitigées, voire contradictoires, surtout après la mort du pilote marocain Bakhti : différentes divisions sur la guerre au Yémen et une union sacrée autour des actions intérieures (opération Hadar) et extérieures de maintien de la paix et de la sécurité internationale (Afrique, Europe, Asie), outre son engagement dans la coalition internationale contre le terrorisme. Ce débat pourrait faire croire que le Maroc ne dispose pas de doctrine claire et pérenne qui lui permette de décider de sa participation ou non à une opération quelconque. Dans ce cadre, on doit poser la question sur comment trancher quand l’Exécutif, la classe politique et la société civile sont divisés et comment éviter que la décision géostratégique soit l’otage des agendas politiques. Pour tout dire, comment continuer à valoriser la puissance décisionnelle du chef de l’Etat, seul responsable selon la Constitution, de la défense de l’intégrité territoriale du pays et de sa stabilité, sans passer par un processus parlementaire long et incertain. Un pays comme le Maroc qui veut pouvoir peser sur le destin de la région, grâce à ses capacités de projection militaire et sécuritaire, ne peut s’affranchir d’un cadre de réflexion cohérent et responsable. Cette maîtrise doit s’articuler autour de trois axes directeurs, calculer les gains, coûts et risques d’une action, produire des analyses à la hauteur des enjeux et menaces (finalité et conséquences), et enfin le soutien de la population à toute opération militaire par le biais d’une communication stratégique adéquate et parfaitement maitrisée. Un Maroc fort devrait disposer de structures solides et crédibles pour endiguer tous les défis, endogènes et exogènes.

« SECRET DÉFENSE »

DÉFIS MULTIPLES

Par : A.E.M.

C’

est un précédent dans les annales du parlement marocain. Les poids lourds de la sécurité et de la défense ont investi, début juillet, la chambre des représentants à l’occasion de la réunion de la commission des affaires étrangères et de la défense. FAR, Gendarmerie royale, DGED et DGST, épine dorsale de la défense et de la sécurité du Royaume, y ont été dignement représentés. Pour singulière qu’elle soit, cette rencontre s’inscrit dans une nouvelle dynamique induite par les nouvelles dispositions constitutionnelles susceptibles de doter le pays d’un Conseil national de sécurité. Un Conseil qui, formellement, tarde à voir le jour… Même s’il y a lieu de croire qu’une structure moins formelle et néanmoins efficace se réunit pour évaluer les défis sécuritaires et de défense auxquels le Maroc est confronté. En tout cas, cette ouverture du « tout sécuritaire » sur l’instance législative est à saluer à l’heure où de lourdes menaces pèsent sur la stabilité du pays. Au point d’avoir forcé le pays à déployer, il y a quelques mois de cela, ses forces de défense anti-aérienne au niveau de tous les sites stratégiques pour parer à toute éventualité. A l’époque, il faut le rappeler, des informations avaient circulé quant à une possible violation de l’espace aérien par des avions libyens tombées entre les mains de djihadistes libyens. Depuis, le Maroc joue au messi dominici pour le règlement de la crise libyenne. Un processus qui, il faut le souligner, n’est pas du goût de tous les acteurs d’un conflit larvé. Mais il faut dire aussi que l’urgence à laquelle les services de sécurité réagissent est bien celle liée au phénomène Daech. Surtout que nombre de Marocains ont intégré les divers fronts ouverts par cette nébuleuse terroriste dans le Machrek comme dans le Maghreb. D’où les démantèlements successifs de cellules djihadistes qui défrayent la chronique et qui contribuent, à coup sûr, à donner une image d’efficacité aux structures appelées à les gérer dans un cadre souvent préventif. Mais au-delà de ces actions spectaculaires, il ne faut pas oublier que le pays s’acharne à conjurer, loin des regards, d’autres défis susceptibles de peser lourd dans la balance de la défense et de la sécurité. Il s’agit, bien sûr, du verrouillage des frontières pour empêcher l’essor de divers trafics qui, dans l’hinterland sahélien, se liguent pour ne former qu’un réseau pour le financement du terrorisme. Et à ce niveau aussi, la veille stratégique s’avère capitale pour empêcher toute contagion. Et last but not least, nul besoin de rappeler que le Maroc est visé dans son intégrité territoriale via toutes les manœuvres orchestrées par les partisans d’un leadership régional nourri à Alger. Une bataille qui prend diverses formes, tantôt diplomatiques, au niveau des diverses institutions internationales pour servir et valoir une prétendue cause d’un peuple sahraoui. Et tantôt déstabilisatrice à travers la multiplication des actes de sédition dans les provinces méridionales et au-delà. Mais il faut dire que la gestion des divers dossiers de défense et de sécurité est des plus complexes, comme le prouve les câbles diplomatiques qu’un hacker continue à faire divulguer en un flot incessant via les réseaux sociaux… Comme quoi, la veille doit être totale. PERSPECTIVES MED

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NATION PROTECTION DES BIENS PUBLICS

QUI VEUT LA PEAU DE M.T. SBAI ? Par : Mohammed Taleb

L’Instance pour la protection des biens publics (INPBP) qui lutte contre la corruption qui gangrène le pays à tous les étages a de quoi gêner les prévaricateurs. Dès lors, on complote pour faire éclater l’institution de l’intérieur. M.T Sbai qui fait de son combat une raison de vivre est au centre d’une cabale qui ne dit pas son nom. Une affaire éminemment politico-politicienne.

D

epuis sa création en 2006 par une centaine de militants des droits de l’homme, l’Instance pour la protection des biens publics au Maroc (INPBPM) s’est singularisée dans son combat pour s’imposer. Aucun effort n’a été ménagé pour contrecarrer les corrompus que l’Instance cible. Surtout que la marge de manœuvre dévolue à cette inhabituelle structure s’est élargie avec les changements que le pays a connus depuis l’avènement de ce qu’il est convenu d’appeler « printemps arabe ». Réélu président en 2014, le militant Mohammed Tarik Sbaï, connu pour son franc-parler et son jusqu’au-boutisme, est devenu la cible des « ennemis de la réforme ». Rien de plus normal puisque l’ONG a, progressivement, haussé la barre de ses revendications. Partant de « sa conviction que la corruption ronge la société, mine les bases du développement économique et du progrès social, provoque le déclin des valeurs morales et une baisse de confiance dans les institutions, l’INPBP place « l’abrogation du système des privilèges » au centre de ses revendications. Pour ce faire, elle préconise la promotion d’un système d’évaluation et d’audit incorporant

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le principe de déclaration des biens par toute personne appelée à occuper un poste de responsabilité. En dépit des manœuvres, tracasseries et embêtements, l’INPBP n’a cessé de reprendre du poil de la bête. Et comme le coup qui ne tue pas rend plus fort, l’ONG est sortie encore plus solide de toutes les épreuves qu’elle a été condamnée à traverser. Mais depuis quelques semaines déjà, il faut croire que l’INPBP s’est retrouvée dans une drôle de galère qui gite de tout bord. Le naufrage est-il prévisible depuis que Abdelaziz Derouiche, ancien vice président s’est autoproclamé « calife à la place du calife » ? En tout cas, force est de souligner qu’un climat délétère règne au sein de l’ONG depuis que A. Derouiche a déclaré à la presse que la « commission administrative réunie le 16 juin » avait évincé le Président Mohammed Tarik Sbaï. Une guerre de légitimité sourd depuis entre les deux anciens frères de combat. Et comme la structure ne saurait s’accommoder d’un quelconque bicéphalisme, A. Derouiche, conseiller communal de l’arrondissement Souissi (Rabat), affirme que le sort de son rival a été définitivement scellé. Depuis que « la commission administrative


s’est réunie pour élire un nouveau bureau exécutif et un nouveau président ». Pour voire clair dans cette fronde, le prétendant à la présidence assure que son élection s’est réalisée dans un parfait respect de la loi. « Nous avons le quitus du ministère de l’Intérieur et la seule partie habilitée à convoquer la commission administrative est moi », plaide-t-il. Quant à Sbaï, il assure que « selon les statuts de l’association, le président est la seule partie habilitée à appeler à tenir des réunions de la commission administrative ». Une affirmation qui jette le discrédit sur les affirmations de son rival. D’autant que « la commission administrative s’est réunie le samedi 4 juillet et a maintenu Sbaï avec la majorité absolue ». Une commission qui n’est plus aussi fournie que lors du congrès tenu en 2014. A cette date, la commission administrative était composée de 88 membres. Mais depuis, elle ne compte plus que 49 membres suite au retrait de 39 membres appartenant au parti de l’Avant-garde socialiste (PADS). L’avocat au barreau de Rabat revient sur ces détails qui ne sont pas anodins : en martelant que « 26 membres étaient présents lors de la réunion du 4 juillet tandis que 6 membres s’étaient excusés». « Je ne sais pas comment le dénommé Derouiche peut prétendre organiser une soi-disant réunion du bureau exécutif avec 13 membres, tous affiliés à l’USFP, alors que le statut de l’instance fixe le quorum à 15 membres » s’interroge-t-il. D’autant plus que le dernier congrès avait fixé à 21 membres le seuil pour la constitution d’un bureau exécutif. Pour se jouer de la légalité, « A. Derouiche a du ajouter deux autres membres qui n’appartiennent pas à l’instance », affirme l’autre vice-président, Mohammed Samir Bouzid. Pis, s’interroge

ce dernier, « comment se fait-il que des gens qui prétendent être des défenseurs des droits de l’homme sollicitent-ils les autorités pour interdire la réunion du samedi 4 juillet ? Sbaï enrage face à autant de manœuvres déstabilisatrices. « Ils sont allés au tribunal et ont enregistré une plainte pour interdire la tenue de la réunion de la commission administrative légitime », déplore-t-il. Mais il faut dire que le tribunal de première instance n’a pas donné suite à la requête des « factieux ». Réalité qui n’a pas été infirmée par A. Driouich

qui voit en ce refus « une connivence de la part des autorités ». Pour Sbaï, une cabale plus large est menée contre lui et son instance. « La machination de certains acteurs contre nous n’est pas nouvelle. Il y a toujours eu des menées contre l’instance et son autonomie ». Selon ses dires, même des sympathisants du parti de l’Istiqlal ont cherché à lui couper l’herbe sous les pieds. Mais les comploteurs ont vite déchanté face à des militants autonomes qui ont mis les mains et les pieds pour préserver l’indépendance de l’instance à l’égard des partis politiques qu’ils soient de droite ou de gauche. « Voilà, le secret de réussite de l’instance mais également l’origine des ses problèmes surtout avec ceux qui ont des intérêts mercantiles et qui veulent faire du chantage en se servant de l’instance », assure Sbai. Ni favoritisme, ni chantage ne sont le lot de l’ONG qui bataille sur tous les fronts contre la prévarication qui mine le pays. Le feu aux lacs s’est déclaré, assure le militant controversé, lorsqu’une association sahraouie a remis à l’association un « dossier » concernant le président du conseil communal de Guelmim, Abdelwahab Belfkih. « Si on avait laissé de côté ce dossier, comme le suggéraient certains socialistes qui étaient avec nous, on n’aurait pas eu tous ces maux », déplore Sbai. Faisant allusion au Parti que pilote Driss Lachgar, le président de l’INPBP ne mâche pas ses mots lorsqu’il affirme : peut-on Imaginer qu’un parti politique de l’opposition s’allie à l’Intérieur et conspire avec lui ! ». Autant dire que dans cette affaire, Belfkih s’avère, aux dires de Sbaï, être un « protégé de l’Intérieur ». Et c’est le nom du ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur qui est ainsi nommément cité. « Que Charki Draiss vienne me contredire » tonne-t-il en PERSPECTIVES MED

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NATION

L’Instance de lutte contre la corruption a organisé, avec le coucours de la coopération culturelle française, un concours de caricatures pour faire émerger de jeunes talents. De ces planches «primées», une problématique centrale se dégage: l’argent pourrit la politique. soulignant détenir une photo de Belfkih baisant la main du commis de l’Etat. Selon ses dires, « Abdelwahab Belfkih a même réussi à infiltrer des organes sécuritaires censés protéger les intérêts de la nation et son intégrité territoriale. «Un retraité de la DST qui lui sert de conseiller », lâche-il. Et de s’interroger : « pourquoi cet édile n’a pas oser porter plainte contre moi au lieu de pousser le Conseil municipal a le faire pour injure et diffamation ? ». Sbai qui ne perd pas le nord assure qu’il ne mangeât pas de ce pain là : « Je lui ai dit, simplement, preuve à l’appui, vous êtes un voleur, vous dilapidez l’argent publique, faites du chantage aux entrepreneurs et recevez des pots de vin sous forme de pourcentage dans des affaires, vous encaissez des chèques et des traites, etc.» Toutes les preuves ont été jointes à la plainte déjà déposée auprès du procureur général de la Cour d’appel de Marrakech. 14 dossiers en tout auxquels s’ajoute un autre dossier déposé auprès du ministère de la Justice… Et si rien n’a bougé entretemps, c’est parce que le ministre de la justice a mis en veilleuse « toutes les plaintes déposées concernant les collectivités locales », assure Sbai. En attendant l’issue des épreuves électorales que le pays s’apprête à engager… 30

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DU TOUT-VENANT FERTILE !

THÈSE ET PHOTOSYNTHÈSE Pour tous ceux qui ont eu à approcher Sbai, militant affable, c’est la force de son caractère et de son engagement qui lui assure son incommensurable charisme. L’homme est sincère dans ses dires et dans son combat contre la corruption, ce cancer qui ronge la société à tous les étages. C’est une mine d’informations que doivent e bousculer tous les journalistes qui se font un point d’honneur que de pousser au loin les enquêtes d’investigation. Mais le sérieux avec lequel il aborde tous les dossiers qui transitent par l’ONG qu’il dirige (et il fait partie intégrante de toute un chaine internationale mobilisée autour du même combat) n’occulte en rien la charge anecdotique de quelques sulfureuses affaires. Comme c’est le cas pour le tout-venant que le Président du conseil communal de Guelmim avait fourgué à une entreprise en charge de réaliser la voirie… Un tout-venant qui s’est révélé, ô miracle, des plus fertiles puisque le revêtement en goudron n’a pas pu empêcher des plantes de faire leur apparition… C’est là un des secrets de la photosynthèse que l’Intérieur, comme la Justice, sont en droit de vérifier. Car aux dires de Sbai, Belfkih qui a une carrière de sable impose aux entrepreneurs de faire leurs emplettes chez lui … On est face à une violation flagrante de l’article 22 de la charte communale. « Ces pervers corrompus constituent une menace pour la stabilité du pays et de la Monarchie ».


CHRONIQUE VÉCU ICI

SACRÉS VOILES !

A

rrivé à l’âge « mûr », j’appréhendais le retour au Maroc tel un jeune puceau à la veille de son premier rendez vous galant. A cheval entre l’Hexagone et le Maroc, on a pris l’habitude, ma progéniture et moi, d’alterner les vacances estivales entre l’Europe et la « mère patrie ». Il faut dire que je n’ai eu guère le choix puisque la progéniture à majorité française, et un petit chouia marocaine, est ancrée intellectuellement dans son pays natal, sur le plan des valeurs, d’appartenance culturel, etc … Rien de plus normal afin d’éviter toute sorte d’ambigüité dans les petites têtes frisées aux lardons. Toujours est-il que nous voilà sur le chemin des vacances. L’effervescence est toujours intacte. Nous allons enfin retrouver le Maroc duquel on ne garde que les meilleurs souvenirs. Et oui la mémoire est sélective. Mais bien avant de poser le pied à Tanger, sur les interminables autopistas ibériques, nos «compatriotes » qui ont élu domicile dans plusieurs pays d’Europe se chargent de nous rappeler d’où nous venons et vers où nous allons. Très vite une évidence s’est imposée à nous. Devrions-nous déchanter ou continuer de croire en un Maroc meilleur? Si les « pijoux » et autre vieilles guimbardes ont laissé place à de nouvelles berlines d’une autre classe, cette marche en avant s’est accompagnée d’un retour spectaculaire vers le passé. Les barbes mangent les joues d’une majorité d’hommes et les voiles couvrent les têtes des femmes de la plus jeune à la plus vielle. Ouah ! POUR UNE FOIS JE PEUX Ce que nous AFFIRMER QUE L’OPÉRATION transmet le petit écran sur TRANSIT PORTE BIEN SON la radicalisation NOM rampante des PUISQUE NOUS VOILÀ PARMI banlieues n’est NOTRE FAMILLE EN UN TEMPS point une vue de l’esprit. Des RECORD. conséquences de leurs ablutions, les toilettes non adaptées à de telles pratiques muent en marécages. Subissant des pratiques non « catholiques » sous le poids des jambes lourdes, les lavabos cèdent et sont désormais scellés aux murs avec des méthodes jamais vues. Pauvres

Par : Mustapha El Maleh

espagnols! Je suis convaincu qu’ils se disent au fond d’eux mêmes qu’Isabelle de Castille n’a pas terminé son labeur. On est très loin de l’urbanité de Cordoue, Séville ou Grenade et du savoir vivre que les musulmans purent y installer… Dans bien des têtes de Moros, l’idée ancrée est qu’ils sont les seuls à être sur le bon chemin qui les mènera droit au Paradis. Si c’est l’unique moyen pour accéder à cet Eden, qu’ils y aillent tous seuls. L’embarquement est tout aussi folklorique, c’est à qui montera en premier comme si c’était l’arche de Noé. Mais n’allez pas croire que cette précipitation est le fruit du hasard. L’objectif est de se ruer sur les fonctionnaires (police et douane) pour décrocher le sésame d’entrée au bled, et tant pis pour les règles de sécurité répétées en boucle en cas de sinistre. Nous sommes entre les mains d’Allah et si malheur devait se produire ça ne sert à rien de lutter contre et la voix nasillarde de la speakerine ne changera rien, tout est écrit ! Le fameux Mektoub qui nous sclérose depuis des siècles est toujours de mise. Paupières alourdies par d’interminables heures de travail à scruter toute sorte de documents dans toutes les langues, passeports, cartes de séjour et autres visa, les policiers (un duo) et le douanier continuent tant bien que mal leur tâche rythmée par le cliquetis des claviers et le bruit sourd du tampon qui s’bat sur les passeports. L’unique différence entre les policiers embarqués à bord et le douanier c’est que les premiers dévisagent les voyageurs et réclament inlassablement la fameuse CIN marocaine alors que le second ne lève nullement les yeux et ne pipe pas mot surtout avec des usagers dépassés et déphasés. A Tanger, l’entrée au Maroc s’est faite sans encombre puisque l’attente n’a duré que quelques minutes aux antipodes de la minutie quasi maladive des Espagnols qui redoublent d’acuité dès qu’il s’agit d’entrer dans l’espace Schengen. Pour une fois je peux affirmer que l’opération transit porte bien son nom puisque nous voilà parmi notre famille en un temps record. Sans fil conducteur commun, sauf la joie d’être ensemble, on commence à refaire le monde tout en scrutant les rides marquant de plus en plus les uns et les autres, des crinières envahies par des cheveux blancs . Alors me diriez vous, il est comment le Maroc de 2015 ? Ne nous emballons pas…

PERSPECTIVES MED

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NATION ELECTIONS PROFESSIONNELLES

LE POIDS DES SAS …

A

LA NOUVELLE CARTE SYNDICALE VIENT D’ÊTRE DÉVOILÉE ! BIEN QU’EN RECUL, LES SANS AFFILIATION SYNDICALE DEMEURENT « LE PREMIER SYNDICAT » AU MAROC AVEC PRÈS DE LA MOITIÉ DES VOIX AUX ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES. UMT, CDT, UGTM ET UNTM SONT LOIN DERRIÈRE. VICTIME DES QUERELLES « INTRA-SOCIALISTES», LA FDT SE RETROUVE ORPHELINE.

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Par :Mohammed Taleb

vec un taux de syndicalisation qui n’excède pas les 3% selon le HCP, il faut croire que la bataille engagée autour des élections professionnelles n’aura pas mobilisé grand monde. Pourtant, la base électorale est forte de 11 millions de travailleurs… Le décompte final aura montré que sur la base électorale mobilisée, 50% ont voté pour les 35 organisations syndicales en lice alors que reliquat des voix s’est porté sur les Sans affiliation syndicale (SAS). En d’autres termes, les élections professionnelles ont une nouvelle fois remis en question la représentativité du mouvement syndical national qui n’excède pas les 1,5% des travailleurs ! Ce qui revient à dire qu’un peu plus d’un salarié sur 100, privé et public confondus, adhère à une organisation syndicale. Si le taux de syndicalisation est insignifiant, il y a lieu de noter qu’il tourne autour de 20% en Tunisie et oscille entre 60 et 70% dans les pays scandinaves. Bien que la part des SAS aie reculé (de 55,09% en 2009 à seulement 49,79% avec 17.399 sièges en 2015), les résultats présentés courant juin par le ministère de l’Emploi montrent que le mouvement syndical paye les frais de sa balkanisation et des dissensions et querelles politiques qui le nécrosent.

L’UNIFICATION, LA POMME DE DISCORDE Face à ce drame qui est loin d’être l’apanage du Maroc -le reflux de la syndicalisation étant universel-, « un effort d’unification demeure la seule et unique solution pour rehausser le taux de syndicalisation exceptionnellement bas », analyse Larbi Habchi, membre de l’ex-bureau central de Fédération démocratique du travail (FDT). « Malgré leur recul, les SAS restent prédominants », regrette ce membre du groupe fédéral à la Chambre des conseillers. « Il y a, certes, plus d’adhésion à l’action syndicale, mais la situation actuelle du syndicalisme est due surtout au fait que le Patronat n’a pas encore bien assimilé les rôles que doivent jouer les syndicats », explique-t-il. Selon lui, « les patrons préfèrent toujours des membres de leurs familles ou de leurs proches comme délégués du personnel ». Ce qui a « une incidence très grave sur l’action syndicale», s’insurge-t-il en déplorant « la non tenue d’élections professionnelles chez une importante partie des entreprises ». Même son de cloche chez l’ancien patron de la FDT, scindée en deux depuis juillet 2014 : FDT-Azzouzi


et FDT-Fatihi. Pour Abderrahmane Azzouzi, les résultats étaient « en général attendus », du fait que les « SAS représentent presque la moitié». Ce qui veut dire, pour lui, que les syndicats doivent travailler davantage pour encadrer les travailleurs. Pour ce faire, « il va falloir enlever les entraves de l’action syndicale collective », souligne-t-il. « Nous sommes convaincus que l’action commune peut porter ses fruits à ce niveau. C’est pourquoi nous avons pris la décision de nous porter candidats avec nos frères de l’UMT et la CDT ». L. Habchi chez qui résonne le même avis explique que «le fond du problème » au sein de la FDT et de toute la scène syndicale était l’unification. « Nous avons toujours défendu deux slogans : l’unification et l’indépendance de la décision syndicale », précisant que « Lachgar voulait faire de la FDT une annexe, autrement dit un instrument dans la politique de l’USFP, chose à laquelle nous nous sommes toujours opposés », ajoute cet ancien fonctionnaire du ministère des Finances. « Quand on a fait le choix de proposer des candidats dans les listes de l’UMT et la CDT c’était dans le cadre d’une conception claire, celle de l’unité syndicale », rappelle L. Habchi pour qui l’unification est « une inévitabilité, une fatalité historique qu’on ne peut conjurer ». Selon ce farouche défenseur de l’unité syndicale, « il y a des changements et des bouleversements à l’échelle internationale qui dictent que l’action syndicale a besoin de regroupement au sein de blocs très forts et indépendants pour pouvoir se déployer ». « Le temps des bras syndicaux des partis politiques est révolu », conclut-il. Ce choix d’unification ne semble pas être du goût des centrales proches des partis politiques à savoir la FDT- Fatihi et l’UGTM qui rament avec le courant rapprochant Driss Lachgar et Hamid Chabat. In fine, c’est la FDT en tant qu’organisation qui a perdu de sa superbe.

LA REVANCHE DE L’UNMT Le principal enseignement que l’on peu tirer de ces élections est le suivant : le syndicat de l’USFP a cédé sa place au syndicat proche du PJD. En effet, après les SAS qui ont raflé 17 399 sièges sur les 34 964 en jeu, l’Union Marocaine du Travail (UMT) a occupé la première marche du podium en ce qui concerne les centrales syndicales. La centrale dirigée par Miloudi Moukharik, première lors des élections de 2009, a confirmé son leadership en décrochant 6 175 sièges, soit 17,79% contre seulement 13,22% en 2009. Le plus ancien syndicat créé sous le protectorat en 1955 a, entre autres, profité du ralliement d’un nombre important d’affilié à la FDT-Azzouzi. Alors qu’on ne s’y attendait pas, la Confédération démocratique du travail

(CDT) est arrivée deuxième. La centrale créée en 1978 par Noubir Amaoui a profité, elle aussi, du retour sous son égide d’une partie importante des affiliés à la FDT-Azzouzi et a su tirer son épingle du jeu. Ainsi, l’ex-bras syndical de l’USFP a obtenu 3240 sièges (soit 9,27%) grâce notamment à son poids dans le secteur public (14,71%). Contrairement à leur nouvel allié exclu du cercle fermé des syndicats représentatifs (la FDT-Fatihi), l’Union générale des travailleurs marocains (UGTM) a réussi à se maintenir dans la cour des grands. Le syndicat de Hamid Chabat a même progressé (plus 1,15%) par rapport à 2009 en remportant 7,57% des sièges (2644). Le bras syndical de l’Istiqlal est talonné par l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM) qui a remporté 7,36% des sièges. La centrale syndicale de Mohamed Yatim a pu améliorer de 2,67% sa représentativité (4,69% en 2009) pour remplacer désormais la FDT à la table des négociations sociales. Avec 1339 sièges, la FDT qui ne représente que 3,83%, n’a désormais plus de place dans le club des syndicats représentatifs. Et pour cause : le syndicat baigne dans les querelles intestines de la grande famille Ittihadie.

LA FDT-FATIHI DÉNONCE LE TRUCAGE

BENKIRANE DÉFIE LA CENTRALE

À écouter l’Exécutif, les élections professionnelles se sont déroulées dans des conditions normales et dans un climat empreint de concurrence positive et de neutralité. S’exprimant lors du Conseil du gouvernement du 2 juillet, le Chef du gouvernement, Abdellilah Benkirane, a assuré que son équipe a assumé « entièrement sa responsabilité de supervision de l’opération électorale » et « a joué son rôle dans le pilotage efficace et neutre de cette opération ». Mais le secrétaire général de la FDT, Abdelhamid El Fatihi, est d’un tout autre avis : « on va poursuivre le gouvernement », a-t-il dit en substance, ajoutant : « nous n’attendions que les résultats officiels selon les établissements et l’appartenance syndicale surtout dans le secteur privé. Nous avons, également, envoyé deux lettres, respectivement aux ministres de l’Intérieur et de la Justice étant donné qu’ils sont nommés par SM le Roi pour suivre l’opération électorale, et nous attendons les réponses ». Après cette première manche procédurale, « nous allons nous diriger vers la Justice », l’organisation internationale du travail et le Conseil nationale des droits de l’homme (CNDH). Interrogé sur le fondement de leurs accusations considérées comme des allégations par l’Exécutif, Fatihi a déclaré : « Nous croyons que notre cause est fondée, nous avons entre les mains beaucoup de preuves palpables. Nous défions le ministre de l’Emploi de publier les résultats détaillés. 50% des délégués du personnel n’ont pas rempli les déclarations de candidature. Il y avait les procès-verbaux qui étaient rempli directement sans aucun respect de la procédure qui exige que le candidat doive remplir et déposer une déclaration de candidature individuelle, portant sa signature légalisée, auprès de son employeur. » Et d’insister : « nous avons ses éléments et bien d’autres que nous avons recoupé et vérifié. »

PERSPECTIVES MED

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NATION RÉFORME DE LA RETRAIRE

LA CHARRUE AVANT LES BŒUFS Par : M.T.

Cherchant à tout prix à passer la réforme des retraites dans le consensus, le gouvernement, qui vient de faire une « proposition unilatérale » aux syndicats, a vite déchanté. Alors que le niet syndical semble être ferme et définitif, la proposition du gouvernement, qui est loin d’être incontestable, semble manquer de cohérence et poser bien des problèmes à d’autres parties prenantes dans la réforme.

C

ela fait plus d’une dizaine d’années que l’épineuse question de la réforme du système des retraites a été propulsée sur le devant de la scène sans pour autant qu’aucun des gouvernements qui se sont succédé n’aie pu dégager une solution. Nul besoin de rappeler qu’un comité national chargé de la réforme avait été crée en 2004 et que les divers scénarios élaborés afin de garantir la pérennité des caisses n’ont jamais recueilli l’unanimité. S’étant trouvé au pied du mur, étant donné que le déficit actuariel ne permet plus d’atermoiement et que l’examen des bilans actuariels montre l’urgence de l’action, le gouvernement Benkirane est entré dans une course contre la montre pour arriver à l’échéance de 2016 avec un consensus des syndicats quant à la réforme. Voulant à tout prix avoir l’aval des syndicats, le gouvernement a mis, officieusement, une proposition catégoriquement rejetée par les syndicats individuellement « sondés ». Abdelilah Benkirane avait proposé lors des réunions tenus récemment avec les syndicats de porter la valeur des allocations familiales à 300 dirhams contre 200 DH actuellement, d’élargir ces allocations pour couvrir les cinq premiers enfants contre les trois premiers et augmenter le seuil des salaires exonérés de

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l’IR (impôt sur le revenu) de 30.000 à 36.000 dirhams annuellement. La question qui s’impose donc : est-ce que ces dispositions sont-elles supportables ? Est-ce qu’elles ne vont pas poser problème pour les autres caisses qui au moment où elles s’attendaient à une baisse de leurs charges devraient donc envisager leur augmentation ?

NIET SYNDICAL

Voulant à tout prix passer la réforme de retraite dans le consensus, le gouvernement vient de tenter un dernier coup pour avoir l’aval des syndicats. Afin de semer la discorde entre les centrales qui font bloc commun, il a opté, contrairement à l’approche participative qu’il ne cesse de vanter, pour des réunions séparées avec les syndicats. Qualifiant l’offre gouvernementale de « maigre, voire misérable », les syndicats l’ont catégoriquement refusée. Pour le secrétaire national de l’UMT, Mohammed El Wafi, le gouvernement est loin d’être à la hauteur des aspirations des syndicats. Selon lui, « Benkirane veut avoir la légitimité et l’appui des syndicats pour sa réforme du système de retraite » principalement en ce qui concerne la CMR. « Il veut obtenir notre


accord sur l’augmentation de la cotisation de 10 à 14 %, la diminution du rendement de 2, 5 à 2% et le relèvement de l’âge à 65 ans », a-t-il déploré. L’Exécutif « n’a pris en considération ni le point de vue ders syndicats ni celui du Conseil économique social et environnemental (CESE)», rappelle-t-il. Partageant le même point de vue, le secrétaire général de la FDT, Abderrahmane Azzouzi, a stigmatisé le non-respect du gouvernement de son engagement, lors du round du 17 juin dernier, de mettre en place une commission mixte pour étudier les mémorandums revendicatifs conjoints en fustigeant « l’initiative unilatérale du gouvernement ». « Alors que nous nous attendions à une réunion de la commission mixte, le gouvernement a procédé autrement en choisissant de convaincre les syndicats un par un », a-t-il expliqué. « L’offre gouvernementale unilatérale ne répond même pas au strict minimum des revendications exprimées par le mouvement syndical », indique-t-il. Ce « strict minimum », selon aussi bien A. Azzouzi que M. Wafi se rapporte au seuil revendicatif établi par le Bloc syndical UMT, CDT, FDT et qui tourne autour de trois points essentiels. A commencer par l’application de ce qui reste de l’accord du 26 avril 2011 conclu avec le Gouvernement d’Abbas El Fassi, dont le point le plus important est la ratification de la convention 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Chose que l’actuel gouvernement a accepté dans un premier temps avant de choisir la voie de l’atermoiement. Deuxièmement, l’abrogation de l’article 288 du code pénal qui « porte atteinte à la liberté de grève » et en troisième lieu, l’amélioration des libertés syndicales, l’élargissement de la protection sociale et l’amélioration du pouvoir d’achat à travers la baisse de l’IR et l’augmentation des salaires. Pour les syndicalistes, « la tergiversation du gouvernement est inacceptable dès lors quoi que certaines décisions ne nécessitent aucun dirham pour leur mise en application ».

ENTÊTEMENT… Même s’il affiche sa volonté de privilégier le consensus et le compris avec les syndicats, le gouvernement exprime sa ferme volonté de présenter son projet de réforme au Parlement dès la session d’automne et d’introduire ses dispositions dans la loi de finances 2016. Afin de séduire les syndicats, des sources autorisées soufflent qu’aucune décision n’a été prise quant à l’adoption des propositions en l’absence d’une réaction des syndicats. Mais cela n’a pas empêché certaines voix de tonner contre l’impact lourd qu’elles peuvent avoir sur les comptes de la CNSS et sur le budget de l’Etat. En effet, alors que le gouvernement défend une théorie selon laquelle leur effet est supportable, d’autres par-

ties prenantes remettent en cause la soutenabilité de cette démarche et son impact négatif sur les autres caisses. Des sources au sein de la CNSS indiquent que l’augmentation des allocations familiales et la pension minimale (de 1000 à 1500 Dh/mois) se traduiraient par d’énormes difficultés pour le régime. Sauf dans deux cas de figure : une augmentation des cotisations (supportée par les travailleurs) ou financées par l’Etat. Dans le premier cas, alors que la branche des allocations était excédentaire par le passé, il faut souligner que ce n’est plus le cas depuis la mise en place de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Le rapport de la Cour des comptes sur le système de retraite indique que si la CNSS devrait prendre en charge seule les revalorisations proposées, elle enregistrerait son premier déficit pas plus tard qu’en 2021. D’autant plus que, selon les « projections de budgets actuariels » élaborées par les magistrats de la Cour des comptes, les départs à la retraite devraient connaître une croissance notable dès 2020. D’autres observateurs craignent même que cette augmentation de la pension minimale à 1500 DH ne favorise le phénomène déjà proliférant de la sous-déclaration. Pour ce qui est de la deuxième possibilité, elle demeure loin d’être concrétisée étant donné la situation déficitaire du budget de l’Etat qui n’a pas besoin de plus de charges. En ce qui concerne la CMR, bien que l’essentiel des pensions soit constitué de celles supérieures à 1500 DH dans la fonction publique (donc épargné partiellement de l’effet de l’augmentation), le régime collectif d’allocation de retraites (RCAR) est loin d’être épargné par cette revalorisation. Et ce, du fait que la majorité des affiliés à ce régime sont des travailleurs à très bas salaire, notamment, les agents des collectivités locales. En tout état de cause, la proposition gouvernementale est loin de passer son incidence réelle sur les régimes de retraite. Du côté du gouvernement, on prétend que c’est le coût de la réforme à supporter au lieu de subir les conséquences d’une banqueroute programmée. Mais d’autre part, des voix s’élèvent pour souligner que via cette piste, le gouvernement ne fait qu’ajourner le problème du régime de retraite dans sa globalité. PERSPECTIVES MED

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MAGHREB LE MONDE ARABE SOUS PRESSION

SANGLANT ÉCHIQUIER Par : A.Ben Driss

Le 14 juillet, l’Iran puissance au « seuil de la capacité nucléaire », aura réussi un coup de maître en se débarrassant des boulets de l’embargo qui handicapait ses capacités. Mettant ainsi un terme à des années de suspicion et de marginalisation de Téhéran sur l’échiquier international.

C’

est cet accord avec les Occidentaux, USA en tête, qui consacre le rôle de premier plan déjà assumé par le régime des Mollahs dans la région proche-orientale. Notamment en matière de lutte contre le djihadisme promu par Daech et ses consoeurs. Il n’est donc pas étonnant, non plus, de voir Bagdad et Damas saluer, en premier, l’aboutissement des négociations sur le nucléaire iranien. Téhéran ayant pris sur elle de s’investir corps et âme pour empêcher l’effondrement des régimes irakien et syrien. Mais il faut dire que les pays du Golfe qui nourrissaient les pires appréhensions quant à l’émergence acceptée et acceptable de « la puissance chiite » par la communauté internationale n’ont pas brillé, à cette occasion, par une position

L’IRAN QUI A GAGNÉ EN «HONORABILITÉ» CHERCHE À AMADOUER LE CLAN SUNNITE EN MAL DE «SOFT POWER»

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commune. Au-delà du sultanat d’Oman, allié de circonstance de l’Iran dans la région, ce pays ayant convaincu les Américains de prendre langue avec les Iraniens, les Emirats arabes unis ont applaudi au dénouement que Ryad persiste à considérer comme véritable accélérateur de la domination régionale par l’Iran. Donnant ainsi foi à sa stratégie combative pour éviter une domination iranienne supposée, comme le confirme sa guerre totale au Yémen et le maintien de sa pression militaire, avec une coalition arabo-musulmane, pour endiguer le danger Houthi, communauté chiite yéménite, en vue de réinstaller le système « légitime » de Hadi quitte à ce que ce pays renoue avec la partition.

NOUVELLE DONNE Face à tous ces développements, la diplomatie américaine a été fortement sollicitée pour convaincre ses alliés de la scène proche-orientale du bien fondé de sa démarche conciliatrice auprès de l’Iran. Mais les arguments massues présentés par J. Kerry à ses partenaires ont trait aux contrats d’armement qui leur sont proposés pour leur assurer une supériorité militaire. Un accord de défense « stratégique » avec


les pays du CCG n’est pas à exclure dans cette dynamique. Consacrant, in fine, les termes du fameux accord de Quincy liant Riyad à Washington. Seul Israël, dont l’arsenal a été hyper-modernisé grâce aux largesses du complexe militaro-industriel US, continue à crier au loup. Au point de mobiliser le congrès américain pour faire barrage à un accord jugé « stratégiquement périlleux » pour la survie d’Israël. Une réalité qui consacre la tension entre la Maison Blanche et le cabinet israélien. Si Téhéran a raison de souligner le caractère « historique » de l’accord conclu sur le nucléaire, c’est que les négociateurs occidentaux ont fini par s’aligner sur les arguments de Moscou et de Pékin qui privilégièrent « la solution diplomatique » à toute autre option. L’Iran se présentant à la communauté internationale comme un paravent contre l’extension du terrorisme daechien dans la région. Et les percées réalisées aussi bien sur le front irakien que sur celui syrien est imputable à la forte implication iranienne dans une démarche plus globale d’endiguement du terrorisme sunnite dont les ramifications « explosives» dépassent et de loin ces deux fronts ouverts. La Turquie, pourtant impliquée aux côtés de nombreuses factions qui visent la chute du régime Assad, n’aura pas échappé à « l’effet boomerang » qui a fini par avoir lieu le 20 juillet à Suruç (Sud), lorsqu’un attentat attribué à l’organisation « Etat Islamique » a fait 32 morts. Et ce n’est pas un hasard que de voir Ankara s’engager militairement, via des bombardements aériens, dans le chaudron syro-irakien. En ciblant des positions de Daech, certes, mais surtout en soumettant au pilonnage systématique les foyers qui abritent les combattants kurdes du PKK. Mais aussi en ouvrant sa base d’Incirlik aux forces américaines « missionnées » pour éradiquer Daech et consorts de la région. Mais il faut dire qu’Ankara cultive ses propres calculs aussi bien internes qu’externes en matière de lutte contre le terrorisme. La guerre ouverte contre les positions kurdes et le laisser-aller affiché à l’endroit de l’organisation Al-Nosra, filiale d’Al-Qaida en Syrie, ne semble guère du goût de Washington quand bien même l’administration US continuerait à assimiler le PKK à une organisation terroriste. Le cautionnement de la démarche d’Ankara dans sa lutte totale contre les Kurdes risquant d’affaiblir les alliances recherchées, sur le sol, pour contrer le terrorisme en

Irak et en Syrie.

REVIREMENTS ? Bien entendu, dans cette spirale de violence, nul besoin de rappeler que l’Arabie Saoudite n’est pas épargnée non plus du danger Daech. La multiplication des attentats est symptomatique du facteur « incontrôlable » des djihadistes, y compris par ceux qui les manipulent et les soutiennent. Le Koweït non plus d’ailleurs. Et même les EAU ont eu fort à faire pour empêcher le pire : le démantèlement d’une cellule djihadiste forte de plus d’une cinquantaine de membres faisant foi. Autant dire que la région s’apparente à un véritable baril de poudre. Certes, Téhéran ne ménage aucun moyen pour tenter d’apaiser les craintes nées dans l’espace arabe depuis l’accord du 14 juillet. Des responsables de haut rang n’hésitent pas à tendre la main aux pays sunnites qui craignent pour leur survie depuis que le fameux « croissant chiite » ne fait que se renforcer. Deux arguments de taille sont ainsi mis en avant pour inaugurer une nouvelle page dans l’histoire régionale marquée au feu d’un confessionnalisme agissant et d’un communautarisme exacerbé. D’abord, l’échec du pari sur un effondrement total du régime syrien. La résilience dont a fait preuve ce dernier, avec plus de 50 fronts ouverts depuis 2011, a de quoi pousser les « bout-en-feu » à revoir leur stratégie. Ensuite, le surdimensionnement de Daech

dont le péril n’est plus localisé… On comprend dès lors le bouillonnement politico-diplomatique que vit la région avec l’entrée en lice du joueur iranien décomplexé. Au-delà de la main tendue aux puissances sunnites, Arabie saoudite en tête, Téhéran maintient son offensive en présentant un plan de règlement de la crise syrienne. Un plan qui bénéficierait aussi de l’appui de Moscou, capitale qui devient une escale irremplaçable pour la diplomatie saoudienne… On comprend dès lors pourquoi des informations circulent quant à la rencontre, loin des médias, entre dignitaires du régime syrien et décideurs saoudiens. L’histoire de la région vit-elle à la veille d’un tournant stratégique où le curseur principal sera focalisé sur la réconciliation plus que sur la confrontation par forces interposées ? L’Egypte qui suit de près l’évolution de la situation ne veut surtout pas être distancée par les puissances régionales rivales, Turquie et Iran en tête. En considérant l’accord du 14 juillet comme une opportunité historique pour débarrasser la région des armes de destruction massive et en étant favorable à toute solution à la crise syrienne, dans le respect de son intégrité territoriale, l’Egypte entend réassumer le rôle de leadership régional perdu depuis les accords de Camp David. Un retour des plus difficiles au vu du Sinaï, en proie à une insurrection pilotée par Daech et du chaos libyen gros de risques incalculables pour la zone sud-méditerranéenne.

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MACHREK DAECH

UN MONSTRE INCONTRÔLABLE Propos recueillis par A. Ben Driss

En un an, le nouveau Califat d’Abou Bakr al-Baghdadi a vite atteint l’âge adulte pour faire des petits. La multiplicité des allégeances remplit bien des cases sur l’échiquier arabo-musulman. Ce monstre incontrôlable dont les tentacules s’étendent, dans des bains de sang, est-il tellement puissant au point de tétaniser la coalition internationale qui le combat ? Spécialiste des questions militaires et géostratégiques, Abderrahmane Mekkaoui, décortique les ressorts de la puissance de cette nébuleuse terroriste qui défraye la chronique. PERSPECTIVES MED: IL Y A UN AN FUT PROCLAME DAECH, ACRONYME DE L’ETAT ISLAMIQUE QU’ABOU BAKR AL-BAGHDADI PARE DES HABITS D’UN CALIFAT DU 3EME MILLENAIRE. CE NOUVEL ACTEUR CENTRE SUR LA SCENE MACHREK ALLAIT S’ETENDRE BIEN AU-DELA POUR TOUCHER EGALEMENT LE MAGHREB EN BOUSCULANT LA GEOPOLITIQUE REGIONALE. LE MOUVEMENT RESTE-T-IL MARGINAL ? ABDERRAHMANE MEKKAOUI : Je pense que la coalition internationale contre Daech, pilotée par les Etats-Unis d’Amérique, est partagée entre deux approches stratégiques. La première reste liée à l’endiguement de ce mouvement en lui traçant des lignes rouges à ne pas transgresser, et ce sans pour autant mettre le paquet pour régler les problèmes de la région où le groupe terroriste sévit, en Irak et en Syrie. Tout au plus pourrait-on supputer que la solution des « deux Etats », en Irak comme en Syrie, sont privilégiées avec, en prime, la promotion d’un foyer national kurde. La 2e approche est celle du déracinement et de l’éradication de Daech. Mais d’après les dernières déclaration du Président américain Obama, il n’y a pas de volonté politique US d’éradiquer Daech et ce pour plusieurs raisons. D’abord, les Américains ne s’entendent pas avec les Irakiens, et surtout avec l’armée et la milice populaire, ce « Hachd chaabi » partagé entre plusieurs fractions chiites extrémistes (Celles d’Ali al-Akbar ou d’Abou Fadl al-Abbas, etc). Ensuite, le facteur hésitation américain s’explique par l’investissement stratégique dans cette guerre qui reste très 38

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faible au regard des moyens engagés en Afghanistan ; le rapport est donc clairement établi lorsqu’on évoque 2,5 milliards, contre 100 milliards engloutis annuellement en Afghanistan. Et last but not least, on est face à un embarras américain puisque le chef de la Maison Blanche n’a aucune volonté politique pour envoyer des troupes au sol, exception faite des opérations commandos, rares au demeurant. Et même l’encadrement des milices modérées en Syrie, soit un total de 5.000 hommes, reste très dérisoire. Et il faut dire que les alliés locaux de Washington, comme Ankara et Amman, restent aussi assez réservés. Ni l’état-major turc, ni son alter égo jordanien, ne veulent entrer dans une guerre régionale s’il n’y a pas d’implication occidentale forte et massive pour les accompagner et les épauler. D’autres facteurs d’ordre géopolitique et géostratégique expliquent aussi le statut quo, comme le confirme la mésentente entre Washington et Moscou, les Russes étant décidés à dissuader toute intervention des autres alliés US dans cette choucroute moyen-orientale. Autant dire que Daech dispose encore d’assez de temps pour renforcer sa structure militaire et renforcer ses rangs de jour en jour et exprimer son mode opérationnel plus dynamique que statique. En somme, l’organisation terroriste profite des contradictions des uns et des autres pour se renforcer davantage. COMMENT EXPLIQUER SES SUCCES MILITAIRES AINSI QUE SON POUVOIR D’ATTRACTION ? LE REFERENTIEL RELIGIEUX JOUE-T-IL, DANS CE CAS, LE ROLE DE CATALYSEUR ? A.M : Daech promeut une idéologie attrayante, électrisante et magnétisante pour les jeunes musulmans déboussolés. Une idéologie basée sur une partie des

L’OPPORTUNISME DE DAECH EST LÉGENDAIRE. IL CAPITALISE SUR LES CONTRADICTIONS DES UN ET DES AUTRES POUR S’IMPLANTER


discours religieux performant et percutant, ses moyens considérables, sa logistique forte et un mode opératoire basé sur la terreur de la guérilla, Daech réussit à désarticuler les armées classiques et à entretenir une image et un statut particuliers aux yeux des jeunes musulmans désemparés.

textes religieux, Coran et hadiths compris, et défigurant les textes fondamentaux. Daech dispose de moyens de communication sophistiqués, au moins en cinq langues, d’un patrimoine financier considérable évalué en liquidités à 2 milliards de dollars (5 millions barils vendus/j et tirés de 6 puits de pétrole, outre les objets d’art dévalisés des musées, églises et temples historiques et vendus aux mafias) et de ressources humaines non négligeables. Avec une trésorerie aussi conséquente, une structure militaire composée à 80% d’Irakiens en Irak (des ex-officiers du parti Baas et de la confrérie Nakchabandia forte de plusieurs millions à travers le monde), Daech fait mal. Pour résumer, son

LE DOCUMENT DECLASSIFIE DE L’ARMEE US ET DATE DE 2012 LAISSE ENTENDRE L’EXISTENCE D’UNE CONNIVENCE REELLE ENTRE LES DESSEINS DU PENTAGONE DANS LA REGION ARABE EN VUE D’ENDIGUER LA POUSSEE CHIITE ET LA PROMOTION DE DAECH EN IRAK. EST-IL JUDICIEUX DE PARLER DES LORS D’UNE «CREATION » US PLUS QUE D’UN ALLIE DE CIRCONSTANCE QUI ALLAIT BENEFICIER DU SOUTIEN DE LA TURQUIE, PAYS DE L’OTAN, ET DES PAYS DU GOLFE? A.M : Je pense qu’au début 2014, l’idée était de promouvoir une zone tampon entre ce qu’il est convenu d’appeler le croissant chiite et les pays sunnites, ladite zone allant d’Al-Anbar, Mossoul, Nainaoua en Irak jusqu’à Alep en Syrie. Mais ce projet a dévié en se transformant en monstre qui veut absorber tout le Moyen Orient, y compris une partie de la Turquie. L’idéal de l’Etat-tampon s’est transformé en idéal divin, avec l’émergence du Califat d’Al-Baghdadi. Cette métamorphose a pris les dimensions d’une véritable menace pour tous les pays du Golfe outre l’Egypte considéré comme le poumon du monde arabe. Daech opère bien dans le Sinaï. D’ailleurs, on pourrait mesurer le degré de dangerosité de Daech à l’aune des attentats en Egypte, au Koweït, en Arabie Saoudite, au Yémen, en Tunisie, en Libye, etc. Ainsi, le califat n’a pas de frontière, c’est une idéologie en mouvement. Et contrairement à ce que prétendent nombre d’analystes, si Daech est entrain de rétrécir géographiquement, ses idées vont résister pour plusieurs décennies. Remarquons que depuis la mort du Prophète, la Ouma islamique a connu 805 mouvements de type Daech. ASSISTE-T-ON A UNE « REPETITION

DE L’HISTOIRE », AL-QAIDA, SOUTIEN INDEFECTIBLE DE WASHINGTON DANS LA LUTTE CONTRE LES SOVIETIQUES EN AFGHANISTAN, AYANT FINI PAR SE TRANSFORMER EN MONSTRE INCONTROLABLE PAR SES GENITEURS ? A.M : La question qui se pose est la suivante. S’il n’y avait pas de guerre en Afghanistan, aurait-on entendu parler d’Al-Qaeda ou fallait-il créer cette nébuleuse terroriste ex nihilo pour mener d’autres actions ? Ce qui est sûr c’est que les fondateurs de Daech, comme le Front Al Nosra et l’Organisation Khorassan, les terroristes takfiristes et insurrectionnels, ont tous fait leur classes à Tora Bora, en Afghanistan, et à Pechawar, au Pakistan. Leurs références doctrinaires sont les mêmes ; Sayed Qotb, Al Moudoudi, Azzam, Al Makdissi Mohamed, Abou Koutada, etc. C’est ce qui fait dire que Daech est une Al-Qaida améliorée, revue et corrigée, alliant le jihad international au jihad de maîtrise. La situation reste très complexe et c’est de la volonté politique des géniteurs ou des adversaires de Daech qui n’est pas du tout claire, selon les observateurs, que dépend l’avenir de la lutte engagée contre ce type de terrorisme. UNE TRENTAINE DE MOUVANCES DJIHADISTES ONT FAIT ALLEGEANCE A DAECH ET ADOPTE SON DRAPEAU NOIR. COMMENT DES LORS JUGULER CETTE EXTENSION QUI VA AU-DELA DU CROISSANT FERTILE POUR TOUCHER LA REGION DES GRANDS LACS EN AFRIQUE ET BIEN AU-DELA, MAGHREB ET EUROPE N’ETANT PAS EPARGNES ? A.M : Si on croit aux résultats établis par le Centre d’études militaires et de renseignement US, chacun des mouvements ayant fait allégeance à Daech l’avait fait en fonction de son agenda et de ses intérêts propres. Dans la savane africaine, Boko Haram, appellation promue par l’église protestante contre le mouvement créé par Mohamed Youssouf en 2001, dont le véritable nom est le Mouvement pour la Sunna et le Djihad (« la prédication et le combat »), n’était dans les années 1980 qu’une confrérie religieuse pacifiste. Elle a PERSPECTIVES MED

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MACHREK Eddine d’Iyad Ghali au Mali, Jund Al Khilafa de Bouira en Algérie, Okba Ibnou Naffia en Tunisie, les Daech de Syrte et Derna en Libye, Daech du Sinaï et Daech de Khorasan, en Afghanistan, ont tous intégré le giron du prétendu « Etat Islamique ». Mais ce qui est inquiétant, ce sont bel et bien ces milliers de sympathisants en Europe, en Asie et en Amérique. On parle même de dizaines de millions de sympathisants et pas qu’en terre arabo-islamique… LA PROPAGANDE DE CETTE NEBULEUSE TERRORISTE 2.0 EXPLIQUE-T-ELLE, A ELLE SEULE, LE SUCCES QU’ELLE RENCONTRE A UNE SI GRANDE ECHELLE? QUELS SONT LES RESSORTS DE SON SUCCES ET LES POINTS FAIBLES SUSCEPTIBLES DE HATER SA DECONFITURE ? A.M : Ce sont des mouvements locaux, composés de jeunes déshérités, rejetant totalement l’Occident, qui ont fini par succomber au discours religieux percutant de Daech. L’absence d’un puissant contre discours explique la montée en flèche des sympathisants. Bien entendu, Daech ne présente pas une armure sans défaut. Ses principaux points faibles sont liés aussi bien à l’absence de moyens aériens, même s’ils ont fait usage de drones, qu’à des contradictions internes qui seraient à l’origine de tentatives de putsch contre Al-Baghdadi. Daech ne semble pas aussi blindé qu’il n’y paraitrait. Règlements de compte et absence de projets politique et économique fiables devraient l’affaiblir davantage face à une coalition de plus de 60 Etats.

été poussée au radicalisme par les témoins de Jéhovah qui voulaient christianiser le Nigéria, 5è producteur mondial d’hydrocarbures. La résistance des pacifistes musulmans du Nord était combattue par l’armée nigériane, dont les trois quarts des officiers sont passibles de la TPI, soutenue en cela par l’église protestante. Aux massacres perpétrés par les militaires, ce mouvement a répondu par la violence et le terrorisme, une spirale qui n’en finit pas, malgré l’arrivée du nouveau Président qui a mis en tête de liste de son mandat la lutte contre le terrorisme. Ce mouvement avait déjà présenté son allégeance aux Talibans qui lui a été refusée par le Mollah Omar, avant de se tourner vers AQMI pour bénéficier de la rente des kidnappings (120 millions d’euros) pour finir par l’allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi pour profiter de ses largesses. C’est ainsi que la Wilaya du Soudan occidental en Afrique, affiliée au califat, a été déclarée. Mais il faut souligner qu’une telle reconversion vers la marque de fabrique daéchienne n’est pas le propre des seuls djihadistes du Nigéria. Ansar 40

PERSPECTIVES MED

DES ANALYSTES CRAIGNENT QUE LA CONTAGION DAECH PUISSE FAIRE TACHE D’HUILE EN ARABIE APRES LES ATTENTATS SANGLANTS DU KOWEÏT. PARTAGEZ-VOUS CES CRAINTES ? A.M : La contamination est bel et bien là et affecte toutes les sociétés moyen-orientales. Plusieurs strates de la population adhère malheureusement aux thèses de Daech et l’alimentent en hommes et en argent tout reprochant à leurs dirigeants leur trahison face aux refuzniks chiites. Il faut craindre que cela ne fasse tâche d’huile. N’Y A-T-IL PAS RISQUE DE VOIR LE SPECTRE DE DAECH PLANER SUR L’ASIE, A PARTIR DU PAKISTAN, POUR TOUCHER LA CHINE ET LES PAYS DU CAUCASE? A.M : L’hypothèse reste valable. Car dans les rangs de Daech on dénombre des Chinois ouigours, des Indous, des Pakistanais, sans oublier les Japonais, les Tchéchènes, les Ouzbeks et autres Bosniaques. Le danger est bien réel au vu de la déstabilisation qui s’opère sous nos yeux dans plusieurs pays arabes. Daech s’apparente aujourd’hui à un monstre incontrôlable.


DAECH ET LE MYTHE DU CALIFAT

DANS LA GALAXIE D’AL-QAIDA Par : A. BenZeroual

Daech et Al-Qaida, deux sigles du terrorisme djihadiste, ne représentent en fait que les deux facettes d’une seule et même pièce. Telle est la conviction d’Alexandre Del Valle, géopolitologue et enseignant des relations internationales à l’Université de Metz et chercheur associé à l’Institut Choiseul.

«

Le mythe du califat a été transporté par des salafistes depuis des décennies, depuis l’époque des Frères musulmans, soit depuis les années 70. De plus, celui qui a commencé à lancer l’idée du califat sans vouloir l’appliquer tout de suite, mais qui en parlait systématiquement, est Oussama Ben Laden. Celui-ci a contribué à ancrer l’idée de la résurrection du califat », rappelle A. Del Valle. Mais le géopolitologue nuance en soulignant « la différence » entre les deux nébuleuses terroristes. « Al-Qaïda était une nébuleuse déterritorialisée qui consacrait sa lutte à des ennemis précis, tandis que l’Etat islamique veut à la fois attaquer l’ennemi lointain et l’ennemi proche tout en appliquant à la lettre ce que Ben Laden disait, sans jamais le faire, c’est-à-dire faire renaître le califat. L’Etat islamique est donc la continuité d’al-Qaïda, et même sa suite logique, car celle-ci n’avait pas que pour but de lutter contre les communistes puis contre les «croisés», mais voulait également rétablir le «véritable» califat pour permettre au «vrai» islam de régner et d’éliminer les autres formes d’islam. » Aux yeux de cet analyste, « l’Etat islamique n’a pas non plus éliminé l’idée d’attaquer l’ennemi lointain, occidental. La différence d’avec al-Qaïda est que Daech pense qu’on peut à la fois attaquer l’ennemi proche et l’ennemi lointain. Ainsi, on aura des kamikazes qui continueront à frapper car ces deux organisations, malgré leurs différences en termes de territorialisation, ont pour but premier d’éliminer les «mauvais» musulmans (chiites, laïcs etc) et d’établir une certaine lecture de la charia dans tous les pays musulmans. Deuxième objectif pour l’EI : une fois que cet Etat islamique sera établi dans les pays arabes, il faudra partir à l’assaut du monde(…) L’idée du califat est de réislamiser tous les pays arabes et de les placer dans une même organisation en faisant voler en

éclats les frontières, puis, ensuite, d’attaquer l’ensemble du monde non-islamique. D’où l’importance des attentats dans les pays occidentaux, qui n’ont pas pour but uniquement de faire plier des gouvernements qui interviendraient contre des musulmans, cela est un prétexte, mais surtout de créer une sidération. » Une thèse développée dans son livre « Le Chaos syrien » : « sidérer les populations et les gouvernements ennemis, afin de leur faire tellement peur qu’ils anticipent le danger en se rendant(…) C’est d’ailleurs ce que veut rétablir aujourd’hui l’essentiel de la famille djihadiste en tuant les «mauvais» musulmans et les ennemis directs de l’islam, ceux qui bombardent au Moyen-Orient (Etats-Unis) ou y occupent des terres (Israël), mais aussi de répandre l’islam au reste du monde.» Remontant dans l’Histoire musulmane, le géopolitologue rappelle que la mission du calife consiste à « répandre la bonne parole et lancer l’assaut lorsque l’infidèle, dûment averti, refuse de se convertir. N’oublions pas qu’il s’agissait d’un djihad offensif, or le calife aujourd’hui répète souvent la phrase des califes Abbassides : sa mission est de diriger la communauté des croyants selon la charia et, en même temps, d’aller obliger les autres nations infidèles à se soumettre à l’islam et à la charia. » Si Al-Qaida est « une organisation assez tribale, arriérée et même vieuxjeu, l’Etat islamique, lui, mène le «djihad 2.0». Daech a lancé le djihad sur FaceBook, Twitter, avec des vidéos utilisant trois ou quatre caméras avec plusieurs angles, des productions hollywoodiennes, presque des jeux de rôle suscitant l’adhésion de manière très moderne. » Et c’est bien là où réside son danger, la « starmania » nourrissant l’hydre saguinaire. PERSPECTIVES MED

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MACHREK « DE L’ADMINISTRATION DE LA SAUVAGERIE »

DAECH A SON VADE MECUM: BARBARE ! Par : A.B.Z.

En l’espace d’un an, l’organistion terroriste Etat Islamique, dont l’acronyme arabe est Daech, se joue des frontières et assume une barbarie transnationale sans égale. Son vade mecum est explicité dans un ouvrage traduit en plusieurs langues et vendu en ligne « De l’administration de la sauvagerie ».

I

l serait illusoire de réduire la montée en puissance de l’organisation terroriste « Etat Islamique » à la seule manifestation d’une quête de puissance de l’aile sunnite de l’Islam en Irak. Celle qui aurait largement pâti de la démocratisation de l’occupation US sous Breimer, avec la montée en puissance des chiites. En Irak, comme en Syrie, les forfaits sanglants des affidés d’Abou Bakr Al-Baghdadi, autoproclamé leader incontesté du nouveau Califat dont les frontières s’étendraient de l’Atlantique à la mer rouge et bien au-delà, s’accommodent bien d’une barbarie globale bien orchestrée. Dans ce jeu sanglant de vassalisation en marche, les victimes appartiennent aussi bien aux minorités qu’à la ma-

LE RÊVE IMPÉRIAL DE « L’ETAT ISLAMIQUE » S’ARTICULE AUTOUR D’UNE STRATÉGIE SANGLANTE : ADMINISTRER LE CHAOS.

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PERSPECTIVES MED

jorité. Les groupuscules d’Al-Qaida, comme Jabhat Al-Nosra, sunnite par exellence, n’aura pas échappé aux fourches caudines de Daech. Autant dire que les illuminés d’Al-Baghdadi n’ont pas d’état d’âme dès lors qu’il est question de domination territoriale et idéologique. Ceux qui refusent les liens de l’allégeance sont tout simplement liquidés. Aux yeux des experts, tout cela procède d’une stratégie délibérée baptisée « l’administration de la sauvagerie». On est donc face à un véritable vade mecum dont tout daéchien type devrait assimiler. Mais que livre en substance cet opus qui serait le fruit de toute une «réflexion» développée par Abou Bakr Naji (pseudonyme d’un djihadiste inconnu) après les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan par l’administration US frappée en son cœur par les attentats du 11 septembre 2001 ? Pas moins qu’une remise à plat des tactiques et stratégies de lutte contre « l’ennemi proche » que représente le conglomérat des régimes arabes inféodés au «Grand Satan» et « l’ennemi lointain» qu’incarne l’Amérique, fer de lance de la domination occidentale. Ledit vade mecum, rédigé entre 2002 et 2004, se propose d’explorer de nouvelles voies pour réaliser les principaux objectifs de la


mouvance djihadiste: bouter les Occidentaux des territoires musulmans, renverser les régimes en place, instaurer des Etats islamiques en vue d’abolir les frontières coloniales et restaurer le califat, la monarchie universelle islamique. Dès lors, « l’administration de la sauvagerie » représenterait la plus critique des étapes que la communauté des croyants est appelée à franchir. Ce serait une synthèse des textes des principaux idéologues jihadistes ainsi que des plus grands stratèges modernes d’Amérique Latine, d’Extrême Orient et d’Europe. Grand cas est fait du recours à la lutte armée, la seule voie susceptible de recréer le califat, Cité de Dieu sur terre. Aux yeux de l’idéologue en puissance de Daech, « tout processus de construction étatique, quelle que soit sa nature ou sa finalité, repose sur une violence originelle. Toutes les autres voies, notamment l’action pacifique, ne seraient que chimères.» L’hypothèse fondamentale sur laquelle la stratégie de Naji repose n’est autre que le retrait américain de la région qui interviendrait tôt ou tard tout en trainant dans son sillage l’effondrement de plusieurs régimes, comme ce fut le cas en Afghanistan avec la déconfiture soviétique. Et dans cette perspective là, les jihadistes, préparés à cette éventualité, pourraient enfin s’emparer du pouvoir, mettre fin aux frontières coloniales et s’émanciper de la domination occidentale. Et pour hâter ce processus, rien ne vaut d’affaiblir les Américains et endommager leur image en Irak. Parallèlement, les jihadistes devraient s’implanter dans un certain nombre de zones et en faire des sanctuaires. Ces zones d’implantation devront répondre à un certain nombre de conditions objectives comme une géographie accidentée, la faiblesse du régime, la prédisposition de la population, l’existence d’un mouvement jihadiste local et l’abondance des armes. La Jordanie, les pays du Maghreb, le Nigéria, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et le Yémen pourraient ainsi être des terrains privilégiés. Mais la liste n’est pas définitive. Elle pourrait évoluer au gré des circonstances. En effet, quatre régions qui ne figurent pas dans la liste initiale de Naji sont devenues le principal laboratoire de sa stratégie : l’Irak, la Syrie, la Libye et le Sinaï. Une fois l’implantation réussie, le groupe jihadiste, devra, selon l’auteur, suivre un plan en trois étapes.

« Démoralisation et épuisement » pour affaiblir l’ennemi moralement et matériellement en le harcelant de manière continue. Attentats et attaques spectaculaires sont autant d’outils privilégiés. Etape cruciale aussi pour attirer les jeunes, professionnaliser les combattants et mener des campagnes de communication pour faire connaître les objectifs du groupe, justifier les opérations, effrayer les ennemis et manipuler les sentiments des populations. Toutefois, il ne faudrait pas se faire d’illusion, ces opérations ne pourront pas, à elles, seules provoquer l’effondrement des régimes. Il faudrait compter sur des facteurs extérieurs. La prophétie de Naji s’avère juste : les jihadistes comptent parmi les principaux bénéficiaires de l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et l’effondrement de plusieurs régimes arabes en 2011. «L’administration de la sauvagerie», deuxième étape la plus importante, intervient après la chute d’un ou plusieurs régimes, avec le chaos qui s’ensuivrait. Il faudrait profiter de cette situation pour créer une véritable plateforme qui servirait de base pour reconstituer l’unité originelle de la communauté islamique. Pour réussir une

telle étape, violence extrême, bonne gestion des territoires soumis et propagande doivent être privilégiés. La terreur, contre les ennemis et les populations soumises, serait l’un des meilleurs moyens pour conquérir des territoires et les conserver. Massacres, enlèvements, décapitations, crucifixion, flagellation, amputations, bûchers, lapidations, etc seraient « bonnes pour la cause ». En sanctuarisant ladite plate-forme qui s’apparente à une structure étatique, l’application de la charia n’en sera que plus facilitée. Cette bonne gouvernance du chaos doit être relayée par une propagande de grande ampleur pour frapper les esprits et catalyser l’imaginaire du plus grand nombre. « Proclamation du califat » devrait intervenir rapidement si les deux premières étapes ont été réalisées. Reste donc à fédérer les autres groupes jihadistes actifs dans les quatre coins du monde musulman. Cela déclencherait selon Naji « une dynamique qui aboutirait tôt ou tard à un nouvel Âge d’or de l’islam». Rien d’étonnant à ce que Abou Bakr al-Baghdadi, leader de l’organisation Etat islamique, se soit autoproclamé calife le 29 juin 2014. Plusieurs groupes en Syrie, en Libye, au Nigéria, en Tunisie, au Yémen lui ont prêté serment.

AL-BAGHDADI ET LES 30.000 VOLEURS L’Histoire retiendra sans aucun doute l’ampleur des dégâts causés par le sinistre Aboubakr Al-Baghdadi, autoproclamé Calife de « L’Etat Islamique en Irak et au Levant», à l’espace arabo-musulman. Profitant du pourrissement de la situation politique en Irak, ce groupe terroriste qui s’est particulièrement illustré dans la prise de Fallouja, en janvier 2014, allait vite faire parler de lui en investissant des zones en Syrie où convergèrent des groupes djihadistes pour renverser le régime Assad. Al-Baghdadi qui s’apparente à un sphinx, démentant ainsi les informations sur sa « mort » lors d’un bombardement sur l’un de ses QG en Irak, n’en reste pas moins le leader charismatique qui a réussi à drainer sous sa bannière pas moins de 30.000 djihadistes. Une armada particulièrement violente qui défraye la chronique principalement dans ces deux pays où le ressentiment sunnite trouverait son explication dans la communautarisation prononcée des sociétés. Mais il faut dire que Daech, acronyme de cette organisation terroriste, a su faire des émules au-delà de l’Irak et de la Syrie, pays qui partagent des frontières avec le Koweït, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Liban, la Palestine et… L’Egypte. Cela sans parler de la Turquie qui assume un rôle des plus roubles dans l’expansion de cette mouvance djihadiste. On comprend dès lors comment des attentats, portant la signature de Daech, ont déjà ébranlé bien des pays limitrophes alors que l’hydre a réussi à se déployer bien au-delà, en Libye, en Tunisie… Voire au Nigéria. Son drapeau noir, assimilé au sceau du prophète, est même localisé depuis peu en Afghanistan et au Pakistan. PERSPECTIVES MED

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MAGHREB ALGÉRIE DANS LA TOURMENTE

CRISES À TOUS LES ÉTAGES ! Par : A. B.D.

La situation en Algérie suscite craintes et interrogations. Aux rumeurs alarmantes répond un mutisme de mauvais aloi. Surtout lorsqu’il est question d’explosifs découverts dans la résidence présidentielle de Zéralda et d’échange de coups de feu entre dignitaires du pouvoir.

L’

agitation est à son comble dans la blogosphère algérienne. Les rumeurs les plus folles circulent entre internautes sur une tentative d’assassinat contre l’hôte du Palais El Mouradia. Le feu de départ s’est déclaré à la mi-juillet lorsque des informations ont circulé sur la découverte d’explosifs dans les jardins de la résidence présidentielle de Zéralda où le Président Bouteflika a ses habitudes. L’omerta observée par le pouvoir n’allait «céder» face à une opinion publique perdue que lorsqu’à la surprise générale, Bouteflika limogea, au cours de la troisième semaine du mois de juillet, le général-major Ahmed Mouley Melliani, patron de la Garde républicaine, le général-major Djamel Kehal Medjdoub, responsable de la Direction générale de la sécurité et de la protection présidentielle (DSPP), et le génaral-major Ali Bendaoud, patron de la Direction de la sécurité intérieure. Mais là encore, la démarche présidentielle est restée brouillonne auprès d’une opinion publique aux abois. Point de communication officielle autour de ce mouvement pour le moins inattendu au

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PERSPECTIVES MED

niveau de structures des plus sensibles. Car si deux gros calibres chargés de veiller sur la sécurité présidentielle sont tombés, ce qui donne du crédit aux informations ayant circulé quant à un échange de tirs au niveau du Palais présidentiel, la surprise reste totale quant au dégommage d’Ali Bendaoud, officier supérieur du DRS qui non seulement jouissait de la confiance présidentielle, mais surtout avait pour charge de conjurer toutes les menaces contre la sécurité intérieure du pays. L’affaire dépasse, sans doute, la remise à plat d’un système qui semble aux abois depuis que la manne pétrolière a tendance à s’amenuiser. Et ouvre la voie à de multiples conjectures à l’heure où l’armée algérienne, appelée à gérer le peril terroriste sur le flan est et la fièvre communautaire au sud, est l’objet de toutes les critiques. Depuis que des appels pressants lui ont été faits en vue de combler le passage à vide par lequel passe le système. Un système paralysé en haut de l’échelle, mais aussi à tous les étages. La question qui revient dans toutes les bouches a trait à la dimension sacrificielle de


ce trio d’influence. Les trois hauts gradés de l’armée ont-ils été punis parce qu’ils ont osé critiquer l’inertie du régime face aux multiples défis que l’Algérie est

INSTABILITÉ EN LIBYE

SKHIRAT, DERNIÈRE CHANCE ?

appelée à gérer ? Ont-ils été éconduits parce qu’ils ne composent pas comme il se doit avec Saïd Bouteflika, frère du Président diminué que l’on affuble de tous les pouvoirs ? Où ont-ils juste servi d’exemple pour minorer le puissantissime rôle dont on affuble DRS et son inamovible patron Toufik ? Pour d’innombrables commentateurs avertis,

Les parties en conflit en Libye, pays en proie au chaos depuis la

comme pour des acteurs politiques qui composent

chute du régime Kadhafi, devaient se retrouver à Skhirat, au Ma-

l’échiquier de l’opposition, « l’Algérie n’en finit pas

roc, pour dégager une solution à même de faire taire le langage des

de reproduire le schéma de la complotite aiguë ».

armes. Cette rencontre, la ènième du genre, intervient à l’heure où

Traduisant une lutte des clans qui sourd dans le pays depuis que le 4ème mandat de Bouteflika a démarré. C’est le verrouillage systématique qui serait en cours dans le pays, notamment depuis qu’un vaste mouvement a touché les walis. La succession ouverte dans le pays depuis que Bouteflika a été contraint à la chaise roulante n’en finit pas de produire plein de rebondissements. A commencer par les messages adressés par l’Armée, via Gaid Saleh, au FLN, parti historique obligé de partager le pouvoir. Une sortie maladroite décriée par une classe politique qui cuve l’ineptie d’un système où la rente et les passe-droit sont légion et où la démocratie relève du slogan. Sans plus. C’est la raison pour laquelle des observateurs ne s’étonnent pas de voir la meccano du système broyer les siens. Sans autre forme de procès.

des pays occidentaux, alarmés par l’ampleur du chaos régional, seraient décidés à intervenir militairement pour garantir une transition au forceps. Car depuis que Daech a pris de l’ampleur dans ce pays désarticulé, on craint le pire pour les pays limitrophes. En tout cas, la rencontre de Skhirat bénéficie d’un à-priori favorable consécutif à la reprise du dialogue entre Toubous et Touaregs. Ces deux communautés de la ville libyenne d’Oubari ont signé fin juillet une déclaration commune à Bruxelles. Il ne s’agit pas encore d’un cessez-le-feu, mais le dialogue direct en vue de jeter les bases d’un futur accord de paix à Oubari, après neuf mois d’un conflit qui a fait plusieurs centaines de victimes. C’est en tout cas ce que les signataires espèrent. Reste à convaincre des communautés marquées par des affrontements très durs dans une région déstabilisée depuis la chute du système Kadhafi, où les enjeux liés au trafic de drogue et à l’exploitation des champs pétroliers attisent les convoitises.

ETAT D’URGENCE EN TUNISIE

LES BOULETS DU DJIHADISME L’état d’urgence décrété sur l’ensemble du pays pour la première fois depuis le 5 mars 2011 par le président tunisien est appelé à durer. Ce qui inquiète nombre de militants des droits de l’homme échaudés déjà par l’entrée en lice de la loi antiterroriste. Pour justifier une telle décision, Béji Caid Essebssi avait indiqué que « la Tunisie est en état de guerre, exigeant des moyens appropriés et une large mobilisation populaire, dans le respect des libertés. » Endiguer les graves menaces de Daech après le carnage de Sousse est l’une des priorités du chef de l’Etat qui, dans une adresse télévisée à la nation, avait souligné que « si la catastrophe de Sousse se répète, l’Etat risquerait de s’effondrer ! ». L’aggravation de la crise en Libye, dont il déplore les risques de par-

tition et ses conséquences, est jugé comme un facteur aggravant. Cette reprise en main de la situation par le pouvoir s’accompagne d’un tour de vis répressif contre les médias. Pas moins de trois journalistes ont comparu devant la justice, dans des affaires distinctes, avec des chefs d’accusation allant du « complot contre la sûreté de l’Etat » à la «diffamation et attribution d’actes illégaux à un fonctionnaire de l’Etat.» Les journalistes, présents en grand nombre, ont organisé un sit-in devant le tribunal de Tunis pour protester contre cette décision abusive qui met à mal la liberté de la presse dans le pays. La tension reste vive dans le pays de la «Révolution des jasmins» où la crise socio-économique qui sévit. Ce qui donne lieu à des mouvements de protestation qui n’en finissent pas. Cela sans parler des plaies démocratiques encore ouvertes depuis l’assassinat de deux figures de proue de la gauche tunisienne.

Sanda Ould Boumama est libre. Ce porte-parole du mouvement Ansar Dine pendant l’occupation djihadiste à Tombouctou et Gao au Mali s’était rendu aux forces mauritaniennes en mai 2013 pour échapper à l’intervention militaire française. Plus de deux ans détenu au secret, sans être jugé, il vient d’être relaxé. Sur la base de quel deal ? Mystère ! PERSPECTIVES MED

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PANORAMA LES TALIBANS GUERROIENT

GUERRE DES CHEFS Les attentats contre les forces afghanes ont repris de plus belle après une période d’accalmie. Traduisant les dissensions au sein du mouvement dont le chef est déjà contesté. L’annonce tardive du décès du mollah Omar, chef historique des Talibans, est symptomatique d’une telle réalité. Le mollah Akhtar Mansour « choisi » comme successeur, est l’objet d’une cabale. Tayeb Agha, chef du bureau politique installé au Qatar en 2013, a décidé de claquer la porte. Le responsable, qui avait représenté l’organisation lors d’une tentative de négociations avec les Etats-Unis en 2011, considère comme «erreur historique» le fait d’avoir caché deux ans durant la mort du mollah Omar. Le décès de ce dernier remonterait à avril 2013, selon les services de renseignements afghans, dans un hopital de Karachi, au Pakistan. Même le frère du mollah Omar, Abdul Manan, a refusé de faire allégeance au mollah Mansour. Comme d’autres, il rejette le mode de nomination et l’attribution du titre de «commandeur des croyants» au successeur du mollah Omar. Ces divergences révèlent au grand jour les dissensions talibanes sur la question des négociations avec le gouvernement de Kaboul. La révélation de la mort du mollah Omar est intervenue quelques jours avant une nouvelle réunion entre insurgés et représentants officiels afghans à Murree, au Pakistan. Pourparlers soutenus par le mollah Mansour, proche d’Islamabad. Mais d’autres dirigeants insurgés, tel Abdul Qayyum Zakir, un ex-responsable militaire qui fut emprisonné à Guantánamo, s’y opposent. C’est ce camp qui souhaite que le fils du mollah Omar prenne sa suite.

FAMILLE BEN LADEN

LA MALÉDICTION DU CIEL… DES MEMBRES DE LA FAMILLE D’OUSSAMA BEN LADEN FIGURENT PARMI LES VICTIMES DU CRASH D’UN AVION D’AFFAIRES PRIVÉ EN GRANDE-BRETAGNE. LES 4 PASSAGERS À BORD DU PHENOM 300 DU CONSTRUCTEUR EMBRAER ONT TROUVÉ LA MORT DANS UN CRASH, EN TENTANT DE SE POSER SUR L’AÉROPORT DE BLACKBUSHE, UNE SOIXANTAINE DE KM AU SUD-OUEST DE LONDRES. SELON LA POLICE LOCALE LE PILOTE ET TROIS PASSAGERS SONT MORTS. LA FAMILLE BEN LADEN ESTELLE VICTIME D’UNE MALÉDICTION DU CIEL ? A RAPPELER QUE LE PÈRE D’OUSSAMA BEN LADEN, MOHAMED, MAGNAT DE LA CONSTRUCTION, EST MORT EN 1967 DANS UN ACCIDENT D’AVION EN ARABIE SAOUDITE. OUSSAMA BEN LADEN A TROUVÉ LA MORT EN 2011 DANS UN RAID DES FORCES SPÉCIALES US MENÉ AU PAKISTAN. 46

PERSPECTIVES MED

AL-QAIDA RÉACTIVÉE AU MALI

ATTAQUES MEURTRIÈRES

Onze soldats maliens ont été tués dans une attaque contre un camp dans la région de Tombouctou, dans le nord du Mali. Cette attaque est la deuxième plus meurtrière en un mois, après celle qui a ciblé, le 2 juillet, un contingent burkinabè de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma) au sud-ouest de la ville de Tombouctou, faisant six tués. L’opération avait alors été revendiquée par Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi). «Des hommes armés non identifiés ont attaqué le poste de sécurité de la Garde nationale du Mali (composante de l’armée) de Gourma-Rharous», à environ 140 km à l’est de Tombouctou, indique le gouvernement malien dans un communiqué. «Le bilan est de onze gardes tués et un blessé», affirme-t-il, en condamnant un «acte terroriste, lâche et barbare perpétré par des individus sans foi ni loi». Concentrées dans le nord du Mali, les attaques djihadistes se sont étendues depuis le début de l’année vers le centre, puis à partir de juin dans le Sud, près des frontières ivoirienne et burkinabè. Le 2 juillet, des Casques bleus burkinabè rentraient à leur base lorsqu’ils sont tombés dans une embuscade à moins de 50 km au sud-ouest de Tombouctou, selon la Minusma. Bilan : six morts et deux blessés dans leurs rangs, deux véhicules détruits par les assaillants. Et tout récemment encore, deux militaires maliens ont été tués et quatre blessés dans une nouvelle embuscade vers Nampala, ville-garnison dans la région de Ségou (centre) proche de la frontière mauritanienne, qui avait déjà été visée par une attaque djihadiste meurtrière en janvier. Ces attaques illustrent la difficulté d’isoler les djihadistes des rebelles, ayant signé le 20 juin un accord de paix entériné par le camp gouvernemental le15 mai.


ENFIN, UNE TERRE-BIS EN VUE

ARCTIQUE

A 1400 ANNÉES-LUMIÈRE !

L’ONU a été saisie officiellement par la Russie de sa revendication portant sur plus d’un million de kilomètres carrés supplémentaires dans l’Arctique. La requête de Moscou affirme que des années de recherche scientifique démontrent son droit sur les vastes ressources naturelles situées au fond de l’océan Arctique. A rappeler qu’en 2001, l’ONU avait réclamé à Moscou d’apporter davantage de preuves pour appuyer sa revendication. Cette demande comprend le pôle Nord et donnerait potentiellement à la Russie l’accès à des dépôts d’hydrocarbures d’un total de 4,9 milliards de tonnes, selon les estimations du gouvernement russe. Le droit de la mer en vigueur fixe actuellement la zone économique exclusive d’un pays à 200 milles marins (environ 370 km) de ses côtes, lui donnant la souveraineté dans cette zone pour en exploiter les ressources. Au-delà, les eaux sont considérées juridiquement comme étant internationales. La demande de Moscou comprend une partie de la dorsale de Lomonossov, revendiquée aussi par le Danemark et le Canada, ainsi que celle de Mendeleïev, considérée par la Russie comme étant partie intégrante du continent eurasiatique. Parallèlement, le président Vladimir Poutine a accentué l’attention portée à la question de l’Arctique, établissant une commission spéciale chargée de développer les projets économiques dans la région, tandis que les manœuvres militaires d’ampleur s’y sont multipliées. La doctrine militaire navale russe a même été modifiée récemment pour mettre l’accent sur l’importance stratégique de l’Arctique, avec notamment le développement de la flotte du Nord.

LA DÉCOUVERTE D’UNE EXOPLANÈTE AU PROFIL TRÈS PROCHE DE LA TERRE, EN ORBITE AUTOUR D’UNE ÉTOILE QUI RESSEMBLE BEAUCOUP AU SOLEIL DE NOTRE SYSTÈME A REMIS À L’ORDRE DU JOUR LE DÉBAT AUTOUR DES EXTRATERRESTRES. BAPTISÉE PAR LES SAVANTS DE LA NASA KEPLER 452B, LA NOUVELLE PLANÈTE SERAIT « PLUS GROSSE ET PLUS VIEILLE » QUE NOTRE PLANÈTE BLEUE. ELOIGNÉE DE QUELQUE 1400 ANNÉES LUMIÈRE DE NOTRE SYSTÈME, SON OCCUPATION PAR L’HOMME S’AVÈRE DES PLUS… LOINTAINS RÊVES.

MOSCOU REMET UNE COUCHE !

BARCELONE

J. CARLOS DÉBOULONNÉ ! ADA COLAU, ÉDILE DE BARCELONE A DÉCIDÉ DE RETIRER LE BUSTE DE L’EX-ROI D’ESPAGNE JUAN CARLOS DE LA MAIRIE DE BARCELONE. «IL N’EST PLUS CHEF DE L’ÉTAT», A RAPPELÉ LA NOUVELLE ÉLUE AUX COULEURS DE « PODEMOS » ALORS QUE DES VELLEITÉS D’INDÉPENDANCE CONTINUENT DE S’EXPRIMER EN CATALOGNE.

«J’ai besoin d’argent, pas de discours», par Wild Drawing. Un dessin dans l’une des rues d’Athènes qui traduit le ras-le-bol des Grecs lors de l’éclatement de la crise économico-financière. PERSPECTIVES MED

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PANORAMA BOKO HARAM MASSACRE

LARGE SPECTRE Boko Haram confirme sa ferme volonté de faire déborder ses menées guerrières au-delà du Nigéria, son sanctuaire hstorique. Le Cameroun fait les frais de cette volonté morbide qui intervient après que les pays des Grands Lacs ont décidé d’unir leurs efforts pour conjurer le danger djihadiste. Ainsi, 8 personnes ont trouvé la mort dans le village de Tchakamari, proche de la frontière du Cameroun et du Nigeria, ainsi que la localité de Kangaléré, après une offensive éclair qui a fait fuir des dizaines de villageois. Ces attaques n’ont pas encore été revendiquées. Mais, pour les autorités, elles portent la marque du groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest, ex-Boko Haram. Un des assaillants a été tué. Ces dernières semaines, la menace terroriste s’était concentrée surtout à Fotokol et Maroua.

OBAMA À L’UA

DISCOURS CRITIQUE LORS DE SA TOURNÉE EN AFRIQUE DE L’EST, LE PRÉSIDENT AMÉRICAIN BARACK OBAMA, A LONGUEMENT CRITIQUÉ LES RÉGIMES AUTORITAIRES DANS LE CONTINENT. A LA TRIBUNE DE L’UNION AFRICAINE À ADDIS-ABEBA, UNE PREMIÈRE POUR UN HÔTE DE LA MAISON BLANCHE, IL A ESTIMÉ QUE «LES DIRIGEANTS AFRICAINS QUI S’ACCROCHENT AU POUVOIR METTENT EN PÉRIL LES PROGRÈS DÉMOCRATIQUES SUR LE CONTINENT». «LES PROGRÈS DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE SONT EN DANGER QUAND DES DIRIGEANTS REFUSENT DE QUITTER LE POUVOIR À L’ISSUE DE LEUR MANDAT», A-T-IL MARTELÉ. «PERSONNE NE DEVRAIT ÊTRE PRÉSIDENT À VIE», A-T-IL AJOUTÉ. OBAMA A AUSSI FAIT GRAND CAS DE LA CORRUPTION, L’AUTRE GRAND MAL QUI RONGE LE CONTINENT. AUSSI A-T-IL APPELÉ L’AFRIQUE À VAINCRE LE «CANCER DE LA CORRUPTION» ET ADHÉRER AUX PRINCIPES DÉMOCRATIQUES, SI ELLE VEUT ASSURER SON DÉVELOPPEMENT. 48

PERSPECTIVES MED

NIGÉRIA

L’ARMÉE CHERCHE L’INITIATIVE CRITIQUÉE, L’ARMÉE DU NIGÉRIA A SUBI DES REMANIEMENTS EN PROFONDEUR POUR LA SORTIR DE SA LÉTHARGIE. C’EST CE QUI EXPLIQUE SA MONTÉE AU FRONT CONTRE BOKO HARAM, DÉSORMAIS ACTIF SOUS LE LABEL DAECH. L’ARMÉE A ANNONCÉ AVOIR LIBÉRÉ, DÉBUT AOÛT, 178 PERSONNES RETENUES PAR LA SECTE ISLAMISTE, DONT 101 ENFANTS, ET AVOIR CAPTURÉ UN COMMANDANT REBELLE AU COURS DE L’OPÉRATION. L’INTERVENTION MILITAIRE A EU LIEU À AULARIA, À 70 KM AU SUD DE MAIDUGURI, LA PLUS GRANDE VILLE DU NORD-EST DU PAYS. PARMI LES 178 OTAGES LIBÉRÉS, «101 ENFANTS, 67 FEMMES ET 10 HOMMES ONT ÉTÉ SAUVÉS» A DÉCLARÉ TUKUR GUSAU, PORTE-PAROLE DE L’ARMÉE. SELON L’ARMÉE, DES CENTAINES DE FEMMES ET D’ENFANTS RETENUS CAPTIFS PAR BOKO HARAM ONT ÉTÉ LIBÉRÉS CES DERNIERS MOIS, NOTAMMENT DANS LA FORÊT DE SAMBISA, UN DES REPAIRES HISTORIQUES DU GROUPE ISLAMISTE. DES FRAPPES AÉRIENNES SUR LE VILLAGE DE BITA, NON LOIN DE LA FORÊT DE SAMBISA, ONT ÉTÉ MENÉES POUR DÉSTABILISER LES DJIHADISTES.

LE BURUNDI DANS LA TOURMENTE

UN GÉNÉRAL À TERRE LE GÉNÉRAL ADOLPHE NSHIMIRIMANA, EX-CHEF D’ÉTAT-MAJOR ET NUMÉRO DEUX DU POUVOIR A ÉTÉ TUÉ DANS UNE ATTAQUE À LA ROQUETTE, UNE SEMAINE APRÈS LA PROCLAMATION DE LA VICTOIRE CONTESTÉE DU PRÉSIDENT PIERRE NKURUNZIZA POUR UN TROISIÈME MANDAT. L’ÉLIMINATION DE CE RESPONSABLE RESSUSCITE LE SPECTRE DE LA GUERRE CIVILE QUI A DÉCHIRÉ LE BURUNDI DANS UN PASSÉ RÉCENT. CE PAYS D’AFRIQUE DE L’EST A VÉCU DEPUIS SON INDÉPENDANCE DANS L’INSTABILITÉ ALIMENTÉE PAR DES COUPS D’ETAT ET DES CONFLITS INTER-ETHNIQUES ENTRE TUTSIS ET HUTUS. MALGRÉ CETTE CRISE POLITIQUE SANS PRÉCÉDENT DEPUIS LA FIN DE LA GUERRE CIVILE (1993-2006), LE POUVOIR BURUNDAIS A ORGANISÉ DES LÉGISLATIVES ET DES COMMUNALES LE 29 JUIN ET UNE PRÉSIDENTIELLE LE 21 JUILLET, BOYCOTTÉS PAR L’OPPOSITION ET REMPORTÉS PAR LE CAMP PRÉSIDENTIEL. LA CONTESTATION DU MANDAT DE P. NKURUNZIZA A FAIT UNE CENTAINE DE MORTS ET CONTRAINT QUELQUE 170 000 PERSONNES À L’EXIL, SELON L’ONU.


SECRET D’ETAT EN ALLEMAGNE DÉDOUBLEMENT DU CANAL DE SUEZ

INTIMIDATIONS MÉDIATIQUES

LES MILLIARDS ATTENDUS L’ENTRÉE EN SERVICE DU NOUVEAU CANAL DE SUEZ, LE 6 AOÛT, S’EST FAIT GRÂCE À L’OUVERTURE D’UNE NOUVELLE VOIE DOUBLANT, SUR 35 KILOMÈTRES, LE CÉLÈBRE CANAL DE 193 KILOMÈTRES RELIANT LA MER ROUGE À LA MÉDITERRANÉE, ET L’ÉLARGISSEMENT ET L’APPROFONDISSEMENT D’UN TRONÇON SUR 37 AUTRES KILOMÈTRES. LE PARI DU PRÉSIDENT ÉGYPTIEN POUR LA RÉALISATION DE CE PROJET EN 12 MOIS A ÉTÉ TENU GRÂCE À UNE SOUSCRIPTION DE 9 MILLIARDS DE DOLLARS QUI A ATTIRÉ DE NOMBREUX EGYPTIENS. LA NOUVELLE VOIE DOIT PERMETTRE DE DOUBLER LE TRAFIC À L’HORIZON 2023, ASSURE-T-ON, PROMETTANT QUELQUE 97 NAVIRES PAR JOUR SUR LE CANAL CONTRE 49 ACTUELLEMENT ET LE BRASSAGE D’UN CHIFFRE D’AFFAIRES ANNUEL DE 13 MILLIARDS DE DOLLARS (CONTRE 5 ACTUELLEMENT).

«On ne sait pas s’il faut en rire, ou avoir peur.» C’est en ces termes que Markus Beckedahl, rédacteur en chef du site allemand « Netzpolitik » s’est exclamé après avoir appris qu’il faisait l’objet, avec le rédacteur Andre Meister, d’une enquête du parquet fédéral. Netzpolitik a révélé, le 25 février dernier, l’existence d’un budget secret alloué en 2013 par l’Office fédéral de protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz ou BfV), le renseignement intérieur allemand, à la surveillance de vastes quantités de données numériques, et notamment à la construction de «graphes sociaux». Et récidiva le 15 avril en dévoilant en détail l’organisation d’une unité du BfV dédiée à «améliorer et étendre ses capacités de surveillance sur Internet», y compris par des «méthodes non conventionnelles de surveillance des télécommunications». Dans les deux cas, le site a publié, en plus des articles, les documents originaux sur lesquels ils s’appuient. L’enquête, suspendue, n’est pas classée pour autant. La justice attend désormais «la réception d’une expertise» qui doit déterminer si le site a publié des documents relevant du «secret d’Etat». Les «Net-activistes», journalistes qui ont cofondé en 2010 l’association de défense des libertés sur Internet « Digital Gesellschaft », la menace d’une accusation de «haute trahison». L’affaire est plus que sérieuse, la peine encourue pouvant aller d’un an de détention par article publié à 15 ans de réclusion – voire, dans les cas les plus graves, la prison à vie. On comprend dès lors pourquoi la solidarité des gens des médias s’est vite manifestée, cela sans parler des réactions de l’opposition politique dénonçant l’inquisition.

LE NOMBRE DES CANDIDATS RUSSES AU JIHAD S’EST FORTEMENT ACCRU S’INQUIÈTE MOSDAECH ATTIRE LES COU. ECHAUDÉ PAR LES DERNIÈRES VARUSSES GUES DE DÉPARTS DE JEUNES EN SYRIE ET EN IRAK, DMITRI PESKOV, PORTE-PAINQUIÉTUDES À ROLE DE VLADIMIR POUTINE, A ÉVOMOSCOU QUÉ «UN PHÉNOMÈNE DANGEREUX». L’ORGANISATION TERRORISTE DAECH A LANCÉ EN MAI DERNIER UNE VERSION RUSSE DE SON MAGAZINE OFFICIEL, INTITULÉ ISTOK («SOURCE» EN RUSSE).

TENSION EN INDE

LES MUSULMANS CIBLÉS LES VIOLENCES ENTRE COMMUNAUTÉS HINDOUE ET MUSULMANE ONT TENDANCE À AUGMENTER EN INDE. « THE TIMES OF INDIA » QUI FAIT ÉTAT DES STATISTIQUES DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR SOULIGNE QUE «LE NOMBRE D’INCIDENTS LIÉS À DES VIOLENCES COMMUNAUTAIRES ENTRE HINDOUS ET MUSULMANS EN INDE DURANT LES CINQ PREMIERS MOIS DE L’ANNÉE A AUGMENTÉ DE 24%, ET LE BILAN DE VICTIMES A GRIMPÉ DE 65%, PAR RAPPORT À LA MÊME PÉRIODE DE L’AN DERNIER». AINSI, 287 INCIDENTS DUS AUX AFFRONTEMENTS COMMUNAUTAIRES ONT ÉTÉ SIGNALÉS DANS LE PAYS JUSQU’AU 31 MAI, CONTRE 232 ENREGISTRÉS POUR LA MÊME PÉRIODE EN 2014, ALORS QUE LE BILAN DES DÉCÈS EST PASSÉ DE 26 À 43 ET CELUI DE BLESSÉS DE 701 À 961 DURANT LA PÉRIODE DE RÉFÉRENCE.

DRAMES AU LARGE DE LA MÉDITERRANÉE

DÉRIVES GÉNOCIDAIRES

EN L’ESPACE DE SEPT MOIS, 224 000 MIGRANTS ONT FOULÉ LE SOL EUROPÉEN APRÈS AVOIR TRAVERSÉ LA MER MÉDITERRANÉE, INDIQUE LE HAUT COMMISSARIAT AUX RÉFUGIÉS DES NATIONS UNIES (HCR). L’INSTITUTION, DONT LES CHIFFRES ONT ÉTÉ ACTUALISÉS À LA FIN JUILLET, AFFIRME AVOIR DÉNOMBRÉ 98 000 EN ITALIE ET 124 000 EN GRÈCE. DURANT LA MÊME PÉRIODE, PLUS DE 2 100 PERSONNES SONT DÉCÉDÉES OU DISPARUES EN MER. LES DRAMES QUI SE DÉROULENT AU LARGE DE LA LIBYE POUSSENT DES RESPONSABLES ITALIENS À PARLER DE « GÉNOCIDE » DONT L’EUROPE SE REND RESPONSABLE EN NE VOLANT PAS AU SECOURS DES MIGRANTS EN DÉTRESSE. TOUT AU PLUS PENSE-TON, CÔTÉ EUROPÉEN, À INAUGURER UN CYCLE DE CONCERTATIONS AVEC LES PAYS ÉMETTEURS DE MIGRANTS. PERSPECTIVES MED

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PERSPECTIVES MED


ÉCONOMIE &

MARCHÉ

LE MAROC A MAL À SA CROISSANCE

UN MODÈLE ET UN PROJET

L’ÉCONOMIE MAROCAINE SOUFFRE D’UNE ARYTHMIE ENDÉMIQUE. EN MAL D’UN MODÈLE PLUS DYNAMIQUE ET PLUS INCLUSIF, LA MACHINE PEINE À S’EMBALLER. POURTANT, LE VERDICT DES BAILLEURS DE FONDS RESTE IMMUABLE : UNE ÉCONOMIE RÉPONDANT AUX ATTENTES SOCIALES, NOTAMMENT EN MATIÈRE D’EMPLOI, NE PEUT S’ACCOMMODER QUE D’UN TAUX DE CROISSANCE DE 7%. ET SUR UNE LONGUE PÉRIODE ! LE PAYS NE MANQUE PAS D’ATOUTS À FAIRE VALOIR ET DE POTENTIALITÉS QUI NE DEMANDENT QU’À S’EXPRIMER. ENCORE FAUTIL QUE LE VOLONTARISME SOIT DE LA PARTIE. UN VOLONTARISME QUI S ‘ARTICULE AUTOUR DE MÉGAPROJETS AUSSI STRUCTURANTS QUE MOBILISATEURS DES FONDS QUI DORMENT DANS LES BAS DE LAINE ET DES COMPÉTENCES EN MAL D’EMPLOI. L’ETAT DOIT ÊTRE LE MOBILISATEUR CENTRAL DANS UN TEL PROJET DE RELANCE EN REDONNANT CONFIANCE À TOUTES LES COUCHES DE LA SOCIÉTÉ. C’EST BIEN À L’AUNE D’UNE TELLE DYNAMIQUE VERTUEUSE QUE LA CROISSANCE POURRAIT ÊTRE DE LA PARTIE. UNE CROISSANCE PROFITABLE À TOUS LES ENFANTS DE LA NATION. LE MAROC A LE DEVOIR D’ASPIRER À UNE CROISSANCE À DEUX CHIFFRES. PAREILS ESPOIRS, LÉGITIMES, PEUVENT ÊTRE PERMIS POUR PEU QUE LE CAPITAL HUMAIN PUISSE S’ÉPANOUIR ET QUE LES RICHESSES DE SON SOUS-SOL SOIENT MISES À CONTRIBUTION. SERAIT-CE TROP DEMANDER ? PERSPECTIVES MED

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ÉCONOMIE PROJET DE BUDGET 2016

LES SONDAGES VONT BON TRAIN Par : A.B.Z

Passée l’euphorie d’une révision à la hausse du PIB, grâce à la récolte céréalière record, il faut s’attendre à ce que l’économie nationale évolue dans les mois à venir sous une triple contrainte. Un dialogue social en panne, des revendications patronales pressantes et une ré-industrialisation cahotante. Tout n’est pas aussi rose dans le tableau général.

A

croire les déclarations de Mohamed Boussaid, tout va pour le mieux et dans le meilleur des mondes. Les grands équilibres sont saufs et la croissance sera au rendez-vous en 2015, avec un taux de croissance de près de 5%. Mais c’est aller vite en besogne que d’affirmer que tous les indicateurs sont au vert. Car l’effet de l’endettement, de plus en plus lourd au point d’atteindra la cote d’alerte, est minoré. Et on se plait au niveau de l’Exécutif de faire la part belle aux « nouveaux métiers » du Maroc qui consacrent, selon eux, la ré-industrialisation du pays. Par la grâce d’une sous-traitance liée aux multiples écosystèmes qui se greffent à la stratégie industrielle. Si on crédite cette politique volontariste de bien des acquis, comme les exportations de la filière automobile qui ont damé le pion aux phosphates, il n’en reste pas moins que des chiffres inquiétants sont à prendre en considération quant à l’atonie de l’activité économique. En 2014, pas moins de 7611 entreprises ont mis la clé sous le paillasson (contre un total de 4.000 en 2011, soit avant l’arrivée

LE RAS-LE BOL DES

OPÉRATEURS ÉCONOMIQUES S’EXPRIME VIA LES

FERMETURES ET LES LOCK-OUT EN SÉRIE

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PERSPECTIVES MED

aux affaires de l’actuel Exécutif). Une érosion qui risque de s’accentuer au regard des multiples défis auxquels les opérateurs économiques restent confrontés. Défis qui poussent 17% du tissu productif à déclarer vouloir opérer des licenciements. Sous ce prisme là, autant dire que le climat socio-économique est loin d’être rose. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, l’euphorie dans laquelle l’équipe Benkirane semble installée aura cédé la place à un état d’alerte général sonné par le Roi lors du discours du Trône. Tant le système économique reste prisonnier de défaillances dont pâtit toujours un large pan du pays, souvent assimilé au « Maroc inutile ». D’où l’appel à la mobilisation de quelque 50 milliards de Dh pour tenter de rééquilibrer la donne, particulièrement en milieu rural.

ATTENTES

Mais la tension sociale qui persiste dans le pays a des raisons de se cristalliser davantage autour du chantier des réformes que le chef du gouvernement entend mener au forceps. Avec pour épine dorsale la révision du régime des retraites que les centrales syndicales, les plus représentatives, promettent de bloquer. D’autant plus que dans sa quête de réforme, le train engagé par Abdelilah Benkirane a subi un mauvais aiguillage qui a abouti à des rencontres séparées avec les syndicats.


Rencontres au cours desquelles le patron de l’Exécutif a tenté de « vendre » cette grande réforme en achetant une paix sociale au rabais. La mésentente entre les acteurs du dialogue social risque de peser lourd dans la balance. Quand bien même le patronat a tenté de désamorcer, à chaque fois, des crises aigues. Notamment en s’alliant aux grandes centrales syndicales que le gouvernement faisait tout pour ignorer. Pour voir plus clair dans le jeu de l’Exécutif, l’attention reste focalisée sur la lettre de cadrage que le Chef du gouvernement adresse, traditionnellement, au département des Finances en charge de préparer le projet de budget. Mais il faut croire que la proactivité dont fait preuve la CGEM reste entière même si le deuxième mandat de Meriem Bensaleh vient juste d’être entamé. En effet, faisant preuve de « la constance du jardinier », une rencontre a déjà réuni les représentants du Patronat avec le responsable en chef de la Direction générale des impôts (DGI). Une rencontre des plus studieuses au cours de laquelle la CGEM a exprimé le vœu de voir clair dans le calendrier des réformes attendues de l’Exécutif. Deux ans après les assises de la fiscalité, les opérateurs économiques cherchent, côté impôts, visibilité et lisibilité, cohérence et stabilité et justice et équité. En se félicitant du climat empreint de sérénité qui a marqué cette rencontre, les acteurs économiques qui font preuve de fébrilité à la veille de l’élaboration du projet de budget 2016, n’ont pas manqué de faire partager au Patron de la DGI leurs doléances. Notamment pour ce qui se rapporte à la TVA dont on revendique la convergence vers deux taux et dont on attend à ce que le remboursement des crédits soit généralisé. La révision de la fiscalité locale n’a pas été ignorée, non plus, à cette occasion. Dans ce sillage, le Patronat n’a pas hésité à appeler à la clarification des textes fiscaux et à la simplification des procédures. Des chantiers d’importance pour réussir le grand chantier que la CGEM appelle de ses vœux : l’intégration de l’informel. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la Confédération patronale a laissé expirer sa volonté de mener à terme une étude sur l’informel. De cette réunion d’information, force est de souligner que le Patronat a surtout cherché à faire valoir son sacerdoce : le levier fiscal doit être assimilé à un facteur de compétitivité pour l’entreprise marocaine. Aux yeux des employeurs, en agissant sur ce levier, c’est l’emploi qui sera ainsi promu, avec à la clé la création de plus de richesses et donc plus d’impôts.

AUTOCRITIQUE ? Pour compléter le tableau, force est de souligner que le PJD, fer de lance de la majorité, n’a pas hésité à se lancer dans la bataille économique. Lors d’une journée de réflexion, le groupe PJD au parlement a passé au crible le modèle économique marocain qui reste, à leurs yeux, assez fragile pour permettre une croissance inclusive. Pour les élus de cette formation qui avait placé l’amélioration substantielle du taux de croissance au centre de son programme économique, le seuil de 7% a été mis en évidence, l’heure n’est plus aux prétentions. C’est sur le long terme que le taux de croissance du PIB, à 6,5%, devra être fixé. Pour favoriser une telle dynamique, le groupe fait sienne la lutte contre les contraintes institutionnelles qui bloquent la croissance. La rente relève, dans ce cadre-là, du cœur de cible. Une révision des accords de libre échange, avantageux pour les partenaires commerciaux du pays, serait aussi à l’ordre du jour. Avec, en sous main, le développement de l’offre export nationale. Cela sans oublier, bien sûr, l’investissement public, créateur de richesse à long terme. De quoi sera fait le projet de budget 2016 ? Nombreux sont ceux qui donnent leur langue au chat. Surtout que des injonctions royales des plus fermes concernent les efforts de rattrapage au niveau des zones dont le développement du pays n’a pas encore profité.

Le patronat au grand complet a raison de faire preuve de proactivité pour conjurer le mauvais sort

MAUVAISE GOUVERNANCE UN BOULET…

L’instabilité politique, la corruption et les pratiques de la concurrence dans le secteur informel représentent les 3 difficultés majeures auxquelles sont confrontées les entreprises au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Ce sont là les conclusions d’une nouvelle enquête menée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, le Groupe de la Banque mondiale et la BEI dans la partie méridionale et orientale du bassin méditerranéen (SEMED), rendue publique en juillet dernier. Plus de 6.500 chefs d’entreprise ont été sondés avec une focalisation sur les pays dans lesquels la BERD est active : Jordanie, Egypte, Maroc et Tunisie. L’instabilité politique figure parmi les cinq problèmes les plus souvent cités. C’est même la préoccupation numéro un en Egypte et en Tunisie. Les entreprises d’Egypte et du Maroc considèrent la corruption comme le deuxième obstacle, par ordre d’importance, tandis que ce phénomène n’arrive qu’en quatrième position en Jordanie et en Tunisie. Hors Jordanie, les entreprises estiment que la concurrence du secteur informel fait partie des trois principales entraves à l’activité économique. Selon le rapport, le secteur informel s’est développé dans le sillage de systèmes bureaucratiques de plus en plus complexes et à la faveur d’une règlementation opaque et de garanties juridiques insuffisantes.

PERSPECTIVES MED

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ÉCONOMIE SITUATION ÉCONOMIQUE

FRAGILES ÉQUILIBRES Par : Mohamed Taleb

Après s’être montrée résiliente durant la difficile période de l’après-crise 2007-2008, l’économie nationale est devenue de moins en moins rassurante ces dernières années. Seul le gouvernement nage à contre-courant et tente de rassurer via un discours anesthésiant. Exercice d’une fatuité déconcertante à l’heure où une thérapie de choc doit être menée pour que les rouages de l’économie tournent à rythme soutenu.

E

ssoufflement du modèle de croissance, chômage endémique, endettement insoutenable, effritement du pouvoir d’achat, décélération de la demande intérieure (moteur de la croissance), industrie en berne, défaillances incessantes des entreprises, surtout les PME et TPE, investissement peu rentable, bourse qui décroche… Voilà autant de voyants dans le rouge qui ont de quoi alarmer tous les acteurs dans le poste de pilotage. Et pourtant, le gouvernement Benkirane persiste à naviguer à vue. Si les « warnings » émis par les différentes institutions nationales ont pullulé au cours des trois dernières années, le dernier en date, le rapport 2014 de Bank Al Maghrib (BAM), est particulièrement inquiétant. Le tableau ainsi brossé est des plus sombres et n’augure rien de rassurant pour l’économie nationale.

LA CROISSANCE «CONTINUE D’ÊTRE RYTHMÉE PAR LES CONDITIONS CLIMATIQUES»

DECROCHAGES Optant pour une politique de l’autruche, l’Exécutif

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PERSPECTIVES MED

persiste à refuser de regarder en face la réalité, se contentant de surfer sur la vague de « l’amélioration conjoncturelle des équilibres ». Une amélioration en trompe l’œil qui est, pourtant, loin d’être la résultante des politiques publiques. Le fait qu’il y ait eu des progrès réalisés sur le plan des équilibres ne doit pas dissimuler le fait que la croissance « continue d’être rythmée par les conditions climatiques ». D’autant plus que ladite amélioration demeure « conjoncturelle » nous a confié l’économiste, Mohammed Chiguer pour qui cette embellie est attribuable essentiellement à des « variables exogènes » (lire entretien). Même son de cloche dans le rapport de BAM qui souligne que « l’ensemble des évolutions constatées indique que (…) l’économie nationale est restée en 2014 sur un palier de faible croissance avec une absence de signes tangibles d’un dynamisme global générateur de richesses et d’emplois ». La preuve : l’économie nationale n’a généré que 21 000 emplois, soit la deuxième plus faible création au cours des quatorze dernières années. Pis, l’industrie nationale en a détruit 37000, selon le HCP… Pas de quoi désarçonner le Chef de l’Exécutif qui se soucie peu des variables exogènes sur lesquelles un modèle économique ne peut pas capitaliser. A. Benkirane préfère invoquer la « bénédiction de


Dieu ». Croyant en sa bonne étoile, le patron de l’Exécutif s’est mis, récemment, à énumérer les aspects de cette bénédiction divine qui va de « la chute des prix du pétrole à la pluviométrie exceptionnelle...». Et pourtant, au lieu de « corriger les irrégularités, non résolues par le passé» pour lesquelles « son gouvernement a été choisi par Dieu », il s’en remet à lui pour que cette clémence se poursuive. « On aura de la pluie, si Dieu le veut, cette année et en 2016 », a-t-il déclaré au lendemain de la présentation du budget exploratoire 2016 par le HCP. C’est avec ces mots qu’il a voulu remettre en doute la prévision de croissance du HCP pour 2016 en qualifiant les pronostics d’Ahmed Lahlimi de « déclarations tendancieuses ».

SIMPLISME Dans la même logique politicienne, le ministre de l’Economie et des finances, Mohammed Boussaid, va plus loin en estimant que l’économie nationale est en bonne santé. Voire qu’elle est en « transition et qu’un nouveau modèle de développement porté par l’Export est en train d’émerger ». Le ministre RNIiste s’est adonné à un raisonnement simpliste pour arriver à cette conclusion unique dans son genre. Parmi les aspects de cette transition, il a cité, entre autres, l’ouverture progressive de l’économie nationale avec un « taux de 63,6% en 2014, au lieu de 51,2% en l’an 2000 » et le changement de la structure des exportations imputé à la montée en puissance des métiers mondiaux du Maroc. S’exprimant, récemment, lors d’un débat organisé par un journal de la place, le ministre a fait grand cas de « l’autonomisation de l’économie vis-à-vis des aléas du climat ». Selon lui, la VA agricole est moins marquée par la volatilité, liée aux conditions climatiques, qu’elle ne l’était par le passé grâce à la mise en œuvre du Plan Maroc Vert !». Boussaid a poussé plus loin en considérant que l’économie nationale connait «une diversification des moteurs de croissance», qui se manifeste par une inflexion de la demande intérieure qui tirait la croissance, à partir de 2012-2013 en faveur de la demande extérieure ! ». Ce raisonnement rudimentaire, voire superficiel, a suscité l’ironie de l’économiste M. Chiguer qui estime que le ministre « prend les vessies pour des lanternes. Il fait de son illusion une réalité, en croyant que la demande extérieure va tirer la croissance au lieu de la demande interne », se moque-t-il.

THERAPIE DE CHOC Contrairement à M. Boussaid, le Wali de BAM, fidèle à son franc-parler et à son analyse objective, considère qu’il est naturel au regard

de la situation actuelle de se demander « dans quelle mesure les nombreuses stratégies sectorielles, lancées en majorité depuis plus de 5 ans, ont pu atteindre leurs objectifs et produire les synergies et l’élan nécessaires pour enclencher une véritable transformation structurelle de l’économie et accélérer le rythme de la croissance ». Abellatif Jouahri ne se leurre pas lorsqu’il constate « la lenteur de la dynamique économique, en dépit de la volonté et des efforts déployés »… Une situation qui interpelle « sur ses raisons et ses retombées sur le développement humain ». La patron de la Banque centrale pousse plus loin ses critiques en rappelant que « s’il y a un domaine où l’écart entre les ambitions et les réalisations tangibles est inquiétant, c’est bien celui de l’éducation et de la formation ». A ses yeux, « la dégradation continue qu’il connaît représente un handicap majeur pour le processus de développement dans sa globalité », martèle-t-il tout en regrettant le fait que c’est « une réalité qui nous éloigne de la trajectoire vers l’émergence tant ambitionnée pour notre pays ». La solution face à l’échec des tentatives de réforme, selon lui, réside dans « une thérapie de choc où toutes les parties prenantes devraient réaliser qu’au-delà des intérêts catégoriels, c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu ». En attendant l’administration de cette thérapie de choc prônée par le régulateur, l’économie nationale a d’innombrables maux qui la perturbent. Reste à savoir par quoi il faut commencer. Toujours d’après BAM, il n’y a pas que l’éducation qui est en panne, mais l’investissement dans sa globalité. Quoique le taux d’investissement soit en baisse durant les dernières années (29,4% de PIB en 2014

contre 30,3% en 2013 et 32,6% 2012), il reste l’un des plus importants à l’échelle planétaire. Cependant, « ses résultats restent bien en-deçà des espérances aussi bien en termes de croissance que d’emplois », indique-t-il. Le PIB non agricole est revenu d’une croissance de 4,8% entre 2000 et 2008 à 3,1% durant les dernières années provoquant, ainsi, une persistance du chômage à des niveaux élevés en milieu urbain et en particulier parmi les jeunes (4 sur 10). Ne se contentant pas de critiquer acerbement la rentabilité de l’investissement public, le rapport de BAM va plus loin en considérant que « cette problématique du niveau de rendement concerne également les investissements directs étrangers (IDE)». Se basant sur le niveau important des sorties au titre des dividendes, qui ont commencé à impacter sensiblement la balance des paiements (15 milliards de dirhams (Mrds Dhs) pour un flux d’IDE de 36,5 Mrds Dhs en 2014), il a remis en cause les incitations accordées aux IDE. Elles devraient, selon BAM, être évaluées sur la base d’une analyse coût/bénéfice rigoureuse pour s’assurer de leur apport pour le pays. Un point de vue partagé par M. Chiguer qui appelle à l’élaboration d’une balance entrée/ sortie propre à chaque secteur afin d’évaluer sa rentabilité. Saad Belghazi n’apprécie que peu les envolées du patron de BAM. Cet économiste estime que l’institution financière dirigée par A. Jouahri est la mieux placée pour trouver ce couple coût/bénéfice. « Ce sont eux qui doivent trouver ce couple... C’est leur mission. Ils doivent proposer une politique dans ce sens», martèle-t-il. Et de tenter de clouer le rivet en s’interrogeant sur les raisons d’un tel désengagement des responsables de leurs mission (lire entretien). PERSPECTIVES MED

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ÉCONOMIE MOHAMMED CHIGUER

LE DIKTAT DU FMI Par : M.T

Mohamed Chiguer, économiste, revient sur les fragilités de l’économie marocaine. Fragilités renforcées par un dogmatisme lié aux orientations du FMI.

PERSPECTIVES MED : BANK AL MAGHRIB (BAM) A MIS EN CAUSE LA QUALITÉ DE LA CROISSANCE DE L’ÉCONOMIE NATIONALE EN ESTIMANT QUE L’AMÉLIORATION DES ÉQUILIBRES EST DUE À DES FACTEURS CONJONCTURELS. PARTAGEZ-VOUS CE POINT DE VUE ? Mohammed Chiguer : nous avons une très mauvaise croissance, c’est connu avant bien que BAM publie son rapport. C’est une croissance très limitée, précaire et volatile, qui est générée par des activités à très faible valeur ajoutée et qui, malheureusement, ne cesse de générer des inégalités et d’être accompagnée du chômage essentiellement des jeunes. En ce qui concerne l’amélioration perçue de la situation actuelle, BAM a complètement raison. Ce sont des variables exogènes qui sont à son origine : campagne agricole exceptionnelle, baisse du prix du baril du pétrole, léger frémissement de reprise chez nos partenaires européens (60% de notre commerce extérieur),reflété en une petite reprise de la demande extérieure adressée au Maroc. Ces éléments n’ont rien à voir avec la politique publique du gouvernement ou de l’Etat marocain. POURTANT, LE MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES ASSURE QUE « L’ECONOMIE 56

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MAROCAINE EST EN TRANSITION ET QU’UN NOUVEAU MODELE DE CROISSANCE PORTE PAR L’EXPORT EST EN TRAIN D’EMERGER ». QU’EN PENSEZ-VOUS ? Comme on dit, le ministre prend les vessies pour des lanternes. Il a fait de son illusion une réalité, il croit que la demande extérieure va tirer la croissance au lieu de la demande interne…Il parle d’une transition ! Je crois qu’il a été obnubilé par la conjoncture, il n’a rien compris de l’économie marocaine. Où elle est cette demande extérieure dont il parle ? C’est essentiellement la demande interne dans ses différentes composantes (les dépenses des ménages et l’investissement essentiellement public) qui tire la croissance. Par ces propos, Boussaid m’a rappelé l’ancien ministre de l’Economie, des Fiances et de la privatisation, Fathallah Oualalou, qui disait entre 1999 et 2002 que le Marco est arrivé à s’affranchir des aléas climatiques et que la croissance ne dépendra plus de l’agriculture. Il se trouve que ce n’est pas vrai la croissance hors agriculture ne dépasse pas les 3%. D’autant plus que le PIB non-agricole n’arrive pas à retrouver ses niveaux de croissance d’avant 2008. Ces gens-là font de la politique et de la désinformation. Par contre, BAM fait de l’analyse objective. Pour moi, il n’y a rien d’étonnant dans cela, le ministre défend ce qu’il est en train de faire, alors qu’il ne fait rien. Non pas par ce qu’il est incapable, mais parce que tout cela le dépasse. La politique publique jusqu’à maintenant n’a aucun prise sur l’économie marocaine. S’il n’y avait pas cette tendance favorable des prix du pétrole, on n’aurait pas pu décompenser par exemple. C’est une rente conjoncturelle. P.M : BAM EST REVENU SUR CE QU’ON PEUT QUALIFIER DE « REVERS DE LA MEDAILLE » DE LA RENTABILITE DES IDE.

LES SORTIES DES DIVIDENDES, DE 15 MRDS DHS EN 2014, IMPACTENT LA BALANCE DES PAIEMENTS. QUE SUGGERE POUR VOUS L’APPEL A L’EVALUATION SUR LA BASE D’UNE ANALYSE COUT/BENEFICE ? BAM n’a relevé que ces transferts, mais qu’en est-il des autres secteurs ? En principe, on devait avoir une balance propre à chaque secteur pour savoir quelle est la rentabilité des secteurs. Prenons l’exemple du tourisme, on nous dit qu’il draine 57 Mrds Dhs de devises, mais on ne nous dit pas à quel coût en ce qui concerne l’importation, entre autres, des produits qu’on propose aux touristes, les biens d’équipement… Et s’il s’agit de chaînes étrangères qui gèrent, il faut noter qu’il y a des transferts qui se font avec surfacturation à travers, par exemple l’assistance technique, etc. C’est pour cela que je dis que si on arrive à élaborer ses balances d’entrée et sorties, peut être qu’il s’avérait que le tourisme n’est pas assez rentable. Idem en ce qui concerne les multinationales, on parle des entrées, mais on ignore les flux financiers sortants. C’est valable aussi en ce qui concerne Renault. Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à prendre des décisions courageuses pour changer la donne ? Tout simplement parce que le Maroc est prisonnier de son modèle prescrit ou inspiré par le FMI. On n’arrive pas à s’affranchir de l’idéologie FMI. Et ce, parce que jusqu’à aujourd’hui, on ne s’appuie pas sur l’opinion publique, on ne s’appuie pas sur la démocratie. Notre démocratie est à ses débuts. Chose qui ne nous permet pas de contrebalancer les pressions étrangères. Mais, si demain les puissances étrangères arrivent à être convaincues par notre démocratie, elles vont certainement changer de comportement. Ils ne vont pas imposer ou dicter, ils ne vont pas faire pression… Tout est relatif et malheureusement au Maroc l’économie se mélange à la politique.


SAAD BELGHAZI

LE DANGER DE LA DETTE Par : M.T

C’est une kyrielle de dysfonctionnements qui caractérisent l’économie nationale. L’économiste Saad Belghazi épingle les quelques défaillances criardes. En prônant la réforme.

PERSPECTIVES MED : QUE PENSEZ-VOUS DE LA SITUATION ECONOMIQUE ET DES INDICATEURS ALARMANTS QUI SE PROFILENT? Saad Belghazi : Ce qui est alarmant d’abord, c’est le déficit commercial et les réels risques qu’il exerce sur les finances publiques. Quoiqu’il se résorbe très lentement, si le déficit de la balance commerciale se maintient longtemps, on va s’endetter de plus en plus et au lieu de fiancer des investissements, on va se retrouver en train de payer des intérêts et des services de la dette. Donc, il faut réduire l’endettement. Comment ? En retenant les capitaux et la main d’œuvre. Tout simplement, en leur offrant un contexte où ils se sentent plus compétitifs vis-à-vis de l’étranger. Pour ce faire, il a un ensemble de facteurs sur lesquels il faut jouer qui sont la fiscalité, les prix des terrains, les loyers et surtout les valeurs du dirham. Donc il faut veiller à avoir un système qui assure l’équilibre commercial. On est rentré dans cette trajectoire grâce à un facteur exogène qui est la baisse des prix des matières premières et à leur tête le pétrole, mais ce rythme est lent. Aujourd’hui, l’enjeu est de l’accélérer par ce que le Maroc n’est pas tout seul sur la scène internationale, les autres pays concurrents eux aussi accélèrent. EST-CE QU’ON PEUT COMPRENDRE DE CELA QU’IL FAUT TRAVAILLER DE PLUS EN PLUS SUR L’OFFRE EXPORTABLE POUR RESORBER LE DEFICIT COMMERCIAL ? Développer les exportations est un impératif, mais développer les importations l’est aussi pour moderniser le pays. Pour réduire le déficit commercial, le plus important est d’attirer des investissements (IDE) et retenir la main d’œuvre qualifiée dans le pays. C’est ce qu’il faut faire pour agir sur la rentabilité relative aux activités. BAM, PRECONISE QUE LES INCITATIONS OFFERTES AU IDE DEVRAIENT DORENAVANT ETRE EVALUEES SUR LA BASE D’UNE ANALYSE COUT/

BENEFICE POUR S’ASSURER DE LEUR APPORT POUR LE PAYS. QU’EN PENSEZ-VOUS ? C’est eux qui doivent le trouver ce couple, c’est leur mission. Ils sont bien placés pour poser le problème, ils doivent proposer une politique. Pour quoi se désengagent-ils de leurs responsabilités ? Le problème en ce qui concerne les IDE, c’est qu’au lieu d’inciter les opérateurs étrangers à réinvestir leurs bénéfices au Maroc, on les incite à les exporter. Le problème est dans la politique incitative toujours dans le cadre du principe de l’ouverture. C’est évident que cela pèse sur la balance des paiements. Mais le problème n’est pas dans l’ouverture, mais dans la manière dont on la gère. Bank Al Maghrib ferait bien de se réveiller pour avoir une politique de change adéquate au lieu de faire des critiques stupides. QU’ENTENDEZ-VOUS PAR UNE POLITIQUE DE CHANGE ADEQUATE ? Les étrangers viennent au Maroc, on doit les inciter à rester et à y réinvestir leurs bénéfices au lieu de les transférer à l’étranger. On doit d’abord réfléchir sur la manière avec laquelle on les a amené pour investir, dans le cadre de la privatisation, dans des portefeuilles au lieu d’investir dans des secteurs qui sont fortement utilisateurs de main d’œuvre. Et en cela, le seul moyen de le faire était d’assurer une certaine compétitivité de la main d’œuvre locale. Donc il fallait avoir un dirham conséquent. Pour avoir un bon dirham, il faut avoir de l’inflation. Et pour soutenir l’inflation, on doit avoir un système de protection sociale qui tienne la route. Qu’est-ce qu’on faisait sinon qu’on subventionnait les importations de pétrole, de blé, de sucre et autres matières premières. C’est ce qui résumait notre politique sociale. A l’absence de politique sociale se greffe celle d’une compétitivité cohérente. Il n’y a pas que ça, fort heureusement. Car des choses positives étaient en train de se réaliser. N’empêche, il y a un côté révision de la politique macroéconomique qui s’impose. PERSPECTIVES MED

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ÉCONOMIE ENDETTEMENT ET CROISSANCE

DES RATIOS ALARMANTS !

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L’ENDETTEMENT BAT SON PLEIN. N’AYANT CESSÉ D’ENFLER DEPUIS L’ARRIVÉE D’A. BENKIRANE AUX AFFAIRES, SON ASCENSION VERS DES ÉTAGES SUPÉRIEURS INCONNUS JUSQUE-LÀ SEMBLE IRRÉMÉDIABLE. LE SEUL TAUX D’ENDETTEMENT PUBLIC EST APPELÉ À PASSER, SELON LE HCP, LA BARRE DES 81,2% EN 2016 (CONTRE 78,2% EN 2014). UNE PROGRESSION INSOUTENABLE FACE À UNE DÉCÉLÉRATION DE LA CROISSANCE.

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Par : M.T

ne année après l’investiture du gouvernement Benkirane, on assiste à un glissement incontrôlé de l’endettement du pays. La dette publique qui représentait près de 57% du PIB allait chatouiller dangereusement la barre « tolérable » des 60%. Mais depuis 2012, le processus n’allait guère être enrayé. Il a suffi d’un an pour que la ligne rouge des 60% soit dépassée. À fin 2013, assure le Haut commissariat au plan (HCP), elle atteint 678 milliards de dirhams, soit 77,4% de PIB ! Dès lors, A. Lahlimi s’alarme-t-il pour rien ? Loin s’en faut ! Surtout lorsqu’on sait qu’un tel seuil ébranle la confiance en des économies plus solides que la nôtre. Le traité de Maastricht (Traité sur l’Union européenne) est assez parlant en ce sens qu’il souligne que tout Etat ayant franchi un tel plafond est passible de sanctions si jamais rien n’est entrepris pour faire revenir la dette à des niveaux soutenables. Mais l’économie marocaine qui n’est pas tenue par le respect drastique des « facteurs de convergence » n’en a cure. Du coup, c’est l’envolée de la dette qui semble poindre à l’horizon. Selon les dernières statistiques actualisées du HCP, le ratio de l’endettement public global, qui s’est élevé à 78,2% du PIB durant l’exercice écoulé, devrait atteindre 79,6% durant l’exercice en cours. Pis, son trend haussier marquera aussi de son fer l’année prochaine. Le HCP prévoit un dépassement de la barre de 81% en 2016 ! Autant dire qu’à court terme, le risque est grand de voir se profiler le défaut de paiement comme ce fut le cas en 2012. Rappelons qu’il a fallu attendre 2 ans avant que le Chef du gouvernement ne passe aux aveux en soulignant que le Trésor n’avait pas de quoi payer les salaires des fonctionnaires durant cette année-là jusqu’à ce que les vannes des aides des pays du Conseil de coopération du golfe (CCG) soient ouvertes. Le dossier reste brûlant. Et l’actuel gouvernement est dans l’incapacité de briser le cercle vicieux de la dette, quatre années après avoir été propulsé à la cabine de pilotage. Le Haut commissaire au plan qui s’exprimait, fin juin, lors de la présentation du Budget exploratoire de 2016, n’a pas écarté la possibilité de voir le Maroc recourir de nouveau au marché obligataire international. « Il se peut qu’on assiste très prochainement à une nouvelle sortie du Trésor sur le marché financier», a-t-il précisé. Selon lui, la décompensation, avec ce qu’elle implique en termes de réduction des dépenses


budgétaires, associée à l’augmentation de la pression fiscale (renforcement de la collecte des recettes fiscales) devraient se traduire par un allégement du déficit budgétaire à 4,4%, en 2015, au lieu de 5,2 en 2014. Ce qui n’empêcherait tout de même pas le Trésor de s’endetter encore plus. Dans ce sens, A. Lahlimi a souligné que « l’endettement global du trésor devrait représenter 63,8% du PIB en 2015 au lieu de 63,4% en 2014 ». Partant de l’hypothèse optimiste selon laquelle il y aurait « un accroissement des flux nets des investissements directs étrangers de 15% !», le HCP prévoit, « compte tenu de la préservation des stocks en devises à 6,1 mois d’importations (…)», que « le besoin de financement complémentaire devrait être mobilisé sous forme d’emprunt public sur le marché international ». Notons, par ailleurs, que le recours au marché international opéré durant les trois dernières années n’est intervenu qu’après épuisement des possibilités de lever des fonds sur le marché intérieur. Et ce, au vu de ce qu’a provoqué le recours inouï à l’endettement intérieur en matière d’assèchement des liquidités. Mais, également, compte tenu des craintes d’une hausse des taux d’intérêt, sous l’influence de ce qu’appellent les économistes «l’effet d’éviction» déclenché quand l’Etat recourt intensivement à la dette pour financer son déficit budgétaire, provoquant ainsi l’amenuisement de l’épargne. Une raréfaction qui, par conséquent, conduit à la hausse des taux d’intérêt. Cette dérive prend des proportions plus inquiétantes à l’aune de la décélération prévue du taux de croissance économique. Ce qui interpelle à plus d’un titre quant à la soutenabilité de la dette marocaine. En effet, l’économie marocaine va de plus en plus mal comme l’atteste la décélération de son principal moteur de croissance, à savoir la demande intérieure. Celle-ci a poussé le HCP, malgré la bonne compagne agricole, à réviser à la baisse le taux de croissance pour 2015 évalué à 4,8%. Désormais, la croissance sera plus modeste avec un taux de 4,3%. Pis encore, les conjoncturistes du HCP ne prévoient pas d’éclaircie, le cycle de la décélération de la croissance étant inscrit dans le moyen terme. Pour 2016, le taux de croissance pronostiqué ne dépasserait pas les 2,6%. Une contreperformance qui s’explique, selon A. Lahlimi, par « la légère reprise des activités non agricoles sous l’effet (…) d’une demande intérieure moins soutenue ». Apparemment la clémence de Dame nature n’arrive plus à lisser les creux de la vague. « La demande intérieure restera la locomotive de la croissance en 2015 », a-t-il affirmé avant de souligner qu’on remarque qu’elle risque de tomber en panne. Plus préoccupant encore, l’«on remarque, d’année en année, une décélération de la demande intérieure », a souligné A. Lahlimi.

DEMANDE INTÉRIEURE

PAS DE 2ÈME SOUFFLE ! Tout en affirmant que la demande intérieure « continuerait en 2015 de soutenir la croissance économique nationale, avec une contribution plus importante qu’en 2014 », Ayache Khellaf, Directeur de la prévision et de la prospective du HCP, a souligné que ce niveau reste inférieur à la moyenne des dernières années. « La demande intérieure devrait s’accroître de 2,8% en volume, au lieu de 5% par an durant la période 2008-2013 », a-t-il indiqué tout en expliquant que la principale composante de la demande intérieure, à savoir la consommation des ménages, est en ralentissement. Sa contribution à la croissance devra par conséquent se maintenir au même niveau (1,9 point) pour ne pas dire diminuer. A. Khellaf qui détaillait le Budget exploratoire de 2016 a expliqué, chiffres à l’appui, que la décélération n’épargne aucune composante de la demande intérieure que ce soit la consommation des ménages ou celle des administrations publiques ou encore l’investissement. Force est de constater, en effet, que malgré la manne provenant de l’évolution, à l’échelle internationale, des prix des produits pétroliers et des matières premières non énergétiques, le rétablissement de ces équilibres, en 2015, a dû être opéré au détriment de la consommation et de l’investissement. « Le taux d’accroissement de la demande intérieure est passé de 6% par an, entre 2000 et 2009, à 3,3% durant les 5 dernières années », a-t-il détaillé ajoutant que celui de « l’investissement est, lui aussi, négatif depuis 2013 et devrait se redresser à peine en 2015 et 2016 ».

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ÉCONOMIE POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE

AVEU D’ÉCHEC ! Par : M.Taleb

Devant garantir une stabilité de son environnement, la politique européenne de voisinage a révélé ses limites face aux vagues de soulèvements qui ont accompagné le « printemps arabe ». Ce bouillonnement régional impose à Bruxelles un changement de paradigme.

E

n réaction aux événements du « printemps arabe» qui ont bouleversé le pourtour méditerranéen, l’Union Européenne (UE) est tentée depuis 2011 par la révision de sa politique de voisinage. Surtout que les bouleversements qui ont marqué l’échiquier depuis fin 2010 ont conduit à de rares progrès, comme c’est le cas pour la Tunisie, mais aussi à « une plus grande instabilité et à des tensions politiques accrues » qui ont engendré d’autres maux qui s’ajoutent à d’autres. C’est dans ce sillage que la Commission européenne et la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, ont lancé, le 4 mars dernier, un appel à toutes les parties prenantes pour contribuer à une refonte en profondeur de la politique européenne de voisinage (PEV). Cet appel intervient dans le cadre d’une consul-

UN BON DIAGNOSTIC… EN ATTENDANT LA RELANCE ?

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tation sur l’avenir de la PEV et qui a pour objectifs le réexamen approfondi de ses principes, de sa portée et de ses instruments à la lumière des chamboulements que la région a connus. Constatant que « la nature de la transition est très variable d’un pays à l’autre », le document de consultation conjoint, adopté par la Commission européenne et sa haute représentante remet en cause, voire revoit de fond en comble la PEV. Celle-ci n’a pas « toujours permis d’apporter des réponses adéquates à ces situations nouvelles, ni à l’évolution des aspirations des partenaires de l’UE», peut-on lire dans le document de la consultation qui précise que, dès lors, « elle n’a pas entièrement satisfait les intérêts de l’UE non plus ». La Commission européenne a pris plusieurs années pour arriver à la même conclusion tirée sept ans auparavant par le Sénat français : même si la PEV a étendu l’influence de l’UE à certains égards, les programmes de réforme ont marqué le pas dans plusieurs domaines. Faute de quoi, selon elle, «il est nécessaire de procéder à une analyse plus claire des intérêts, tant de l’UE que de ses partenaires, pour faire en sorte que la PEV soit capable


de remplir son office ».

INVERSION DES SAISONS

Le constat dressé par les Eurocrates, selon lequel la PEV pratiquée depuis le lancement du processus de Barcelone a achoppé face au « printemps arabe » n’est pas nouveau. En effet, le rapport d’étape du Sénat français, élaboré sept ans auparavant (9 juillet 2008) avait, rendu patente cette relation déséquilibrée entre une Europe qui décide et des partenaires qui subissent et obéissent, sans concertation. Reprenant les doléances et griefs des différents partenaires de l’Union, on y lit que la notion de voisin postule « l’existence d’un centre et de périphéries». Or, les pays partenaires, qui estiment que la PEV pilotée par la Commission européenne ne respecte pas leur dignité, ne veulent pas être « les banlieues de l’Europe ». Les partenaires méditerranéens reprochaient à la PEV son caractère trop unilatéral et technocratique, et trop peu partenarial. « La Commission est en effet toute puissante dans ce processus, où ils n’ont pas leur mot à dire », ajoute le rapport qui souligne que « les plans d’action sont plutôt imposés par la commission que négociés et comportent tous la même structure, alors qu’ils sont censés s’adapter à la singularité de chaque partenaire ». Les exigences de la commission étaient trop ambitieuses par rapport au financement qu’elle apporte, notamment en comparaison avec des financements octroyés aux pays anciennement candidats à l’adhésion et aujourd’hui membres de l’Union européenne, révèle en creux le rapport. Dans ce sens, il avait cité le cas du Maroc qui a reçu, dans le cadre de la PEV, environ 200 millions d’euros par an au maximum entre 2007 et 2013. Alors que sur la même période, la Pologne avait reçu un total de 10 milliards d’euros, tandis que la Bulgarie et la Roumanie ont bénéficié, à elles seules, de 33 milliards d’euros d’aide financière. De ce point de vue, le rapport avait établi que la PEV est encore trop « euro-centrée», créée par l’UE et pour elle, au détriment de la concertation et de la prise en compte des préoccupations des pays voisins. Un tropisme qui l’a empêchée de voir venir les profondes mutations sociopolitiques qui ont conduit à l’explosion

de janvier 2011. Ceci étant, la commission conclut qu’il est aujourd’hui clairement nécessaire de revoir les hypothèses sur lesquelles la politique est fondée ainsi que sa portée et qu’il est « nécessaire de procéder à une analyse plus claire des intérêts, tant de l’UE que de ses partenaires, pour faire en sorte que la PEV soit capable de remplir son office ». Le but est de veiller à ce que la PEV puisse, à l’avenir, soutenir plus efficacement la mise en place d’un espace de stabilité, de sécurité et de prospérité partagés avec les partenaires de l’UE.

LE MAROC À L’APPEL

Cet appel au changement de paradigme ne semble pas concerner l’élève marocain qui fait preuve de docilité face à ses partenaires européens. En effet, la Commission européenne et la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont publié fin mars, un document conjoint, qui tout en évaluant les efforts entrepris par le Maroc, cible ses lacunes et lui édicte les pistes qu’il devra suivre pour y remédier. Portant sur la mise en œuvre du plan d’action de la PEV durant l’année 2014, ledit document a apprécié la poursuite du processus de réforme tout au long de cette année y compris, la mise en œuvre de la nouvelle politique sur la migration et sur l’asile, la réforme du code de la justice militaire, l’adoption de la loi de finances organique outre la ratification du protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre

la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradantes (OPCAT). La commission a bien noté que d’autres réformes prévues par la Constitution sont en cours d’élaboration, notamment, concernant la justice, le processus de régionalisation avancée et le code la presse. En revanche, la Commission a fortement critiqué les projets de loi sur l’accès à l’information et la lutte contre la corruption. Ceux-ci comportent, selon elle, des régressions par rapport aux versions précédentes: dans le premier cas, du fait des dispositions limitant le champ d’application de la loi et, dans le second, en raison du manque de pouvoir d’investigation pré-judiciaire et d’auto-saisine de l’Instance nationale de la probité et de la lutte contre la corruption. Elle a déploré également la non-mise en place de plusieurs lois organiques qui devraient être adoptées par la présente législature, conformément à la Constitution. Estimant que les efforts devront s’accélérer, entre autres, pour la promotion de la concertation avec la société civile, l’égalité des sexes ainsi que le renforcement des libertés d’association, de rassemblement et d’expression, la commission a également appelé le Maroc à plus d’efforts sur le plan des principes démocratiques et des droits de l’Homme pour mettre en œuvre la Constitution de 2011. Cela n’empêche pas qu’elle ait exprimé, à travers le présent document, son entière satisfaction à l’égard de l’un de ses élèves les plus assidus.

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ÉCONOMIE SOMMET MONDIAL DE L’ENTREPRENEURIAT

L’AFRIQUE SI CONVOITÉE… Par : M.T.

L’Union africaine s’apprête à accueillir fin juillet, dans son siège offert par la Chine, Barack Obama. Le périple africain du Président US intervient dans la foulée d’une course économique entre les grandes puissances sur le continent noir dont le potentiel de développement est encore bridé. Bien qu’il a pu s’imposer en tant qu’acteur incontournable lors du sommet Afrique-Etats-unis (2014) en abritant, à Marrakech, le « Global Entrepreneurship Summit (GES) 2014 », le Maroc risque de perdre ses points d’avance. Absence de l’UA oblige.

L’

Union africaine se prépare à accueillir, fin juillet, un visiteur exceptionnel qui n’est autre que le président américain Barack Obama. Son safari en Afrique comporte également sa participation au sommet mondial de l’entrepreneuriat prévu au Kenya. La participation de l’hôte de la Maison Blanche à cet évènement international de haute facture s’inscrit dans la continuité du sommet Afrique-Etats-Unis auquel plus de 40 pays africains avaient pris part à Washington en août 2014, indique un communiqué de la présidence US. L’intérêt prononcé par la première puissance pour cet événement d’envergure, qui se tient pour la deuxième fois sur une terre africaine, après l’édition 2014 organisée novembre dernier au Maroc, montre à quel point le Continent Noir est devenu au centre d’une concurrence acharnée entre les grandes puissances économiques. Quels sont donc les aspects de cette guerre qui ne dit pas son nom ? Quels

LE MARCHÉ AFRICAIN «LA DERNIÈRE DES FRONTIÈRES» DU DÉVELOPPEMENT DU BUSINESS

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pourraient être ses impacts sur le Maroc ? Celui-ci, bien qu’il ait pu s’imposer en tant qu’acteur incontournable lors des sommets de Washington et de Marrakech, risque de perdre des points d’avance à cause de la politique de la chaise vide observée, depuis quelques décades, de l’organisation panafricaine pour la constitution de laquelle il avait pourtant milité à l’aube des indépendances. Ceci est d’autant plus problématique qu’il a tenté ces derniers temps de se jouer des écueils susceptibles de contrarier son ambition de s’imposer en tant que hub de l’intégration financière africaine, voire de remplir les fonctions d’une véritable passerelle d’investissement vers l’Afrique. Rabat étant convaincu de la pertinence du choix d’une coopération Sud-Sud à raffermir davantage tout en garantissant une ouverture sur le monde sur la base de nouveaux paradigmes de co-développement et de co-prospérité.

ENGOUEMENT FORT Avec un taux de croissance régulier de 6% durant la dernière décennie, le continent dont le PIB est supérieur à 2000 milliards de dollars, même avec un potentiel de développement non encore libéré, suscite l’engouement de nombreux acteurs. Les puissances,


grandes et moyennes, salivent à l’idée de faire des affaires dans un Continent où tout est encore à faire, ou presque. Rien d’étonnant dès lors que de voir s’aligner, sur le marché africain considéré comme « la dernière des frontières » du développement du business, divers protagonistes qui vont des « ex-colons» européens à des pays comme l’Inde, la Turquie ou le Brésil… Mais il est vrai que dans cette course, les deux puissances qui font le plus parler d’elles sont la Chine et son rival économique l’Amérique. C’est dans ce contexte qu’intervient le prochain périple d’Obama en Afrique. Après la montée en puissance chinoise sur le continent, symbolisée par le complexe ultramoderne aux 20 étages construit par l’Empire du Milieu pour abriter le siège de l’U.A, les Américains sont devenus plus que jamais convaincus qu’ils doivent agir pour couper l’herbe sous les pieds de leurs concurrents. Ceci est d’autant plus vrai pour la Chine qui ambitionne de doubler le montant de ses échanges commerciaux avec l’Afrique d’ici à 2020, pour les porter à 400 milliards de dollars et les investissements directs à 100 milliards de dollars. C’est ce qui explique l’intérêt soudain du pays de l’Oncle Sam pour l’Afrique « jamais considérée comme une priorité de la politique étrangère américaine depuis la fin de la guerre froide », selon l’économiste Rachid Achachi. Pour le chercheur à l’Université Ibn-Tofail de Kenitra, « sur le plan purement économique, l’Afrique n’a jamais présenté un intérêt pour les Américains », mais présente plutôt « un intérêt stratégique » (Lire entretien ci-après). La preuve, selon ce dernier, le volume des IDE US destinés à l’Afrique reste dérisoire. Avec son avancée hors pair, l’Empire du Milieu n’inquiète pas que les Américains, mais aussi leurs alliés européens. Devenu depuis quelques mois la première puissance mondiale (16,5% de l’économie mondiale en termes de pouvoir d’achat réel, devant les 16,3% des Etats-Unis, selon le FMI), le géant asiatique, qui cherche à ressusciter la route de la soie et qui a mis en place la nouvelle banque asiatique d’investissement et d’infrastructures, ne part pas seul à la conquête de l’Afrique. En d’autres termes, il ne cherche pas à s’accaparer le plus gros morceau du gâteau plutôt que s’appuyer sur un partenariat très fort et pérenne qui rassure avant tout ses partenaires que ce soit les BRICS ou les pays africains. Pour ces derniers, Pékin a pu, grâce à des actions concrètes, notamment à travers son cadeau

aux Africains (siège de l’UA), montrer qu’elle n’est pas venue en Afrique rien que pour exploiter ses richesses, mais également pour l’aider dans son processus de développement par la construction d’infrastructures et l’établissement de relations bilatérales équitables. Que ce soit vrai ou non, c’est l’image qu’elle se force de promouvoir. S’agissant de son mode d’emploi avec ses alliés, Pékin n’agit pas en tant que première puissance qui doit s’accaparer la part du lion. Mais veille aussi sur les intérêts de ses partenaires. Ainsi, les BRICS tirent leur force de leur vision commune pour le développement des relations avec le continent. Dans ce sens, ils projettent ensemble de hisser, à court terme, leurs échanges qui ont cru plus rapidement que ceux de l’Afrique avec toutes les autres régions du monde, à 500 milliards de dollars en 2015. Dans cette démarche ils s’appuient sur une image qu’ils ont pu dessiner comme étant une « force salvatrice » de l’impérialisme colonial que la décolonisation n’a pas pu enrayer. En témoigne, les propos tenus par les activistes africanistes. C’est le cas, notamment, du Camerounais Thierry Mbepgue qui préside le Mouvement africain pour la libération du continent (MALCON). Pour ce dernier, « la présence des nations BRICS est une présence salvatrice » qui « libère peu à peu l’Afrique ». Contrairement aux imprécations des afro-pessimistes quant à un avenir noir pour l’Afrique comme l’intellectuel français, Jacques Attali (Une brève histoire de l’avenir 2006), beaucoup d’intellectuels africains voient qu’une « autre Afrique est possible» avec les BRICS ou toutes autres forces à condition que cela entre dans une politique basée sur le respect des pays africains en tant qu’Etats indépendants et souverains. Force est de rappeler que l’attrait africain n’a pas laissé de marbre les pays du Conseil de Coopération du Golfe (GCC). Leur commerce avec l’Afrique a bondi de 270% entre 2000 et 2009. Les pays du CCG cherchent à diversifier leurs économies, mais surtout à garantir leur sécurité alimentaire. Dans leur viseur, les 30% des ressources naturelles et 60% des terres arables mondiales disponibles sur le continent noir.

Africains, de réaliser d’énormes avancées. Ainsi, le Royaume est devenu le deuxième investisseur interne du continent après l’Afrique du Sud. Quoique absent de l’Union africaine, le Maroc, qui siège au cinquième rang des puissances économiques continentales, est devenu ces dernières années le premier investisseur africain dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et dans la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Et ce, malgré que le volume des échanges commerciaux avec les pays d’Afrique subsaharienne encore très faible. En effet, quoiqu’ils aient augmenté de 20% ces dernières années, les échanges avec les pays africains ne représentent que 7% des exportations et moins de 3% du commerce extérieur du pays. Pourtant, le Maroc semble déterminé à percer vers le sud quel que soit le prix. Pour ce faire, Rabat a adopté une stratégie qui tourne autour de deux axes. D’un coté, et pour ne pas déranger les grandes puissances et éviter un affrontement avec elles, il cherche à promouvoir la coopération tripartite par le biais d’un renforcement des liens bilatéraux avec l’Afrique en lien avec l’Europe, les USA, la Chine ou encore la Russie. D’un autre coté, en renforçant une coopération sud-sud profitable à toutes les parties. Rien d’étonnant de la part d’une force tranquille fort inspirée de son passé d’empire chérifien.

LE MAROC, RETOUR AUX ORIGINES

Ayant bien assimilé les leçons de l’histoire, le Maroc africanise de plus en plus son économie en adoptant une démarche basée sur des partenariats gagnant-gagnant. Ces liens qui se consolident ont permis aux Marocains, en compagnie de leurs partenaires PERSPECTIVES MED

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ÉCONOMIE COURSE ÉCONOMIQUE EN AFRIQUE

QUELS INTÉRÊTS POUR LE MAROC ? Par : M.T.

Fin juillet, le président américain Barack Obama est attendu au siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba comme il participera au sommet mondial de l’entrepreneuriat prévu à Nairobi. Quels sont les enjeux d’un tel déplacement de marque pour le Maroc qui a gelé, depuis des décades, sa présence au sein des instances de l’organisation panafricaine ? L’économiste et chercheur Rachid Achachi apporte son éclairage.

PERSPECTIVES MED : CONSCIENTS DE LA PERCEE DE LA CHINE EN AFRIQUE, LES AMERICAINS ESSAYENT DE SE RATTRAPER EN MENANT UNE OFFENSIVE ECONOMICO-POLITIQUE SUR LE CONTINENT. Y-A-T-IL UN CHANGEMENT DE PARADIGME EN CE QUI CONCERNE LA STRATEGIE AMERICAINE POUR L’AFRIQUE ? RACHID ACHACHI : Pour l’implication américaine en Afrique, il faut savoir qu’on ne peut différencier la stratégie économique de la stratégie militaire et diplomatique. Le continent africain n’a jamais été considéré comme une priorité dans la politique étrangère américaine depuis la fin de la guerre froide. Et même avec la montée en puissance de la présence économique de la Chine en Afrique, la réaction américaine ne ciblait que d’en ralentir l’avancée en recourant tantôt à des opérations de déstabilisation régionale, comme par exemple au Soudan, pour créer un climat d’instabilité dans le but de décourager les Chinois, tantôt en

L’AFRIQUE N’A JAMAIS PRÉSENTÉ UN

INTÉRÊT «ÉCONOMIQUES» POUR LES AMÉRICAINS

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PERSPECTIVES MED

usant d’influence diplomatique pour annuler des contrats chinois en cours de négociation avec des pays africains. Mais sur un plan purement économique, l’Afrique n’a jamais présenté un intérêt pour les Américains du fait même de la nature des IDE américains. On sait que la plupart de ces derniers sont orientés vers les industries technologiques, comme les télécommunication…, ce qui réclame des pays stables avec une main d’œuvre qualifiée. Sur ce terrain-là, les USA s’orientent plus vers des pays pauvres, mais avec une main d’œuvre plus qualifiée comme l’Inde, la Chine et le Brésil. En revanche, pour tout ce qui est industries de transformation et industries lourdes, c’est plutôt l’apanage de pays émergents comme la Turquie, le Brésil et la Chine… Et le volume des IDE US reste dérisoire en Afrique depuis plus de dix. Autant dire qu’on ne saurait affirmer que les USA cherchent à mettre en place une nouvelle stratégie pour rivaliser avec la Chine en termes d’IDE. Ceci dit, il ne faut pas mettre sur le même affluant les IDE chinois et américains. Car quand les Chinois investissent en Afrique, c’est dans les matières premières dont l’industrie chinoise a besoin comme le pétrole et le gaz. On comprend dès lors pourquoi Washington recourt


au processus de déstabilisation. Surtout que l’empire du Milieu cherche avant tout à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie en matière énergétique. Pour ce faire, la Chine s’efforce de diversifier ses partenaires et ses fournisseurs en hydrocarbures comme le Nigeria et le Soudan. Ce qui n’est pas, par contre, une priorité américaine. C’est pareil, également, pour l’UE qui cherche également à diversifier ses sources énergétiques d’où sa présence sur le Continent en Afrique subsaharienne et ailleurs. LE PRESIDENT OBAMA EFFECTUERA UNE VISITE EN AFRIQUE DURANT LAQUELLE IL RENCONTRERA LES RESPONSABLES DE L’UNION AFRICAINE A ADDIS ABEBA ET PARTICIPERA AU « GLOBAL ENTREPRENEURSHIP SUMMIT (GES) 2015 » A NAIROBI (KENYA). LE MAROC, QUI A ORGANISE LE GES 2014, NE RISQUE-T-IL PAS D’EN PATIR A CAUSE DE SON ABSENCE DE L’ORGANISATION PANAFRICAINE? R.A : Le fait que le Maroc soit absent de l’UA ne change rien parce que les grandes puissances, Américains, Européens ou Chinois, ne réduisent pas leur politique économique extérieure à des accords multilatéraux avec tel ou tel organisme. Ils font très bien la part des choses. Pour tous ces investisseurs, le Maroc demeure le pays le plus stable de la région politiquement et économiquement. Et d’ailleurs, le partenariat entre le Maroc et les Etats-Unis n’est pas nouveau. Depuis les années 90, les accords de libre-échange, les partenariats stratégiques même au niveau de la sécurité régionale et sur le plan militaire sont là pour le rappeler. L’UA peut très bien faire du lobbying pour faciliter l’arrivée des IDE américains en Afrique, mais n’entre pas en concurrence avec des accords purement bilatéraux que les USA ont conclues avec le Maroc ou avec n’importe quel autres pays de la région. EST-CE QUE CES RECENTS DEVELOPPEMENTS NE VONT PAS AVOIR D’INCIDENCE OU IMPACTER LES ACQUIS DU MAROC EN TERMES DE SA STRATEGIE DE PROMOTION DE LA COOPERATION SUD-SUD? R.A :Là, on voit bien percer des rivalités régionales parce que les visites royales dans certains pays africains pour consolider le partenariat et y investir ont donné lieu à des périodes de froid diplomatique, comme ce fut le cas avec la France. Bien sûr, cela n’a pas été reconnu officiellement, mais pratiquement c’était le cas parce que la France a vu que le Maroc était en train d‘empiéter sur « son » territoire. D’où les actes de provocation à l’égard du Maroc, entre autres, l’affaire de la fouille du ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, à l’aéroport Paris-Roissy-Charles de Gaulle. Der-

rière ces tentatives d’humiliation et de provocation Paris cherchait à faire comprendre au Maroc qu’il n’a pas à dépasser certaines limites sans l’accord de l’Hexagone et sans la préservation des intérêts de la France. Mais là encore, les USA sont restés discrets. Donc le problème est beaucoup plus complexe et multilatéral. SI LES DEMARCHES ENTREPRISES PAR LE MAROC DANS LE CADRE DE LA PROMOTION DE LA COOPERATION SUD-SUD ONT SUSCITE LA JALOUSIE VOIRE LE DESARROI DE CERTAINES PARTIES, EST CE QU’IL N’Y A PAS LE MEME RISQUE AVEC LES USA? R.A :Pas du tout... Parce que les Américains n’ont pas des intérêts sur place qui peuvent être menacés, au contraire. Créer des structures d’accueils et des passerelles, ce que revendique le Maroc, serait bénéfique pour les Américains. Parlons ouvertement, le Maroc ne peut pas se permettre d’empiéter sur le terrain de la France s’il n’était pas sûr d’avoir l’appui potentiel d’autres puissances. Les décisions royales et de l’Etat marocain sont quand même calculées. Nul ne s’aventure comme ça. La politique américaine en Afrique est une politique d’intermédiation et de procuration. C’est-à-dire qu’ils n’interviennent jamais directement dans des conflits en Afrique ou bien pèsent lourdement sur certaines décisions des gouvernements africains. Ils le font toujours par procuration ou à travers des alliés. Et à ce sujet, les Marocains constituent un des alliés américains dans la région. Ceci étant, la pénétration bancaire et dans certains domaines tels que la télécommunication en Afrique pourrait servir de plate-forme aux IDE américains. Je pense qu’en coulisses il y a des synergies en place entre la future politique américaine en Afrique et la politique marocaine au détriment de bien des intérêts dans la région. La réaction de la France est très révélatrice dans ce sens. JUSQU’A QUEL POINT LE MAROC EST-IL CAPABLE DE S’IMPOSER COMME PARTENAIRE DES AMERICAINS ET S’IMPOSER COMME PASSERELLE DES IDE AMERICAINS VERS L’AFRIQUE ? R.A :Pour être clair, la marge ou le pouvoir qu’a le gouvernement américain pour influencer l’orientation des IDE vers l’Afrique ou ailleurs se limite à PERSPECTIVES MED

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ÉCONOMIE des mesures incitatives et à des aides indirectes. Et ce, du fait que finalement, ce n’est pas le gouvernement qui investit, mais plutôt les multinationales. Le gouvernement vient négocier avec les gouvernements des accords de libre-échange, des facilitations douanières etc (…) Le tout pour stimuler et inciter les multinationales à venir invertir. Mais le choix final revient aux multinationales. Celles-ci reçoivent des aides du gouvernement par exemple pour réorienter une partie de leurs investissements vers certains pays, mais la majeure partie de leurs investissements est dictée par des critères purement pragmatiques qui sont la stabilité politique, le partenariat de longue date, la qualification de la main d’œuvre disponible sur place... Et si on parle de ces critères pragmatiques, le Maroc dispose d’un avantage comparatif certain dans la région. Donc je ne vois pas en quoi les multinationales seraient intéressées d’investir ou bien de réorienter des IDE destinés au Maroc vers des pays africains instables politiquement avec la montée du terrorisme et de l’instabilité régionale... Quoique que je m’inscrive contre l’accord de libre échange déficitaire entre le Maroc et les USA, je crois qu’il est le révélateur d’un partenariat stratégique très profond.

LE MAROC NE PEUT PAS SE PERMETTRE D’EMPIÉTER SUR LE TERRAIN DE LA FRANCE S’IL N’ÉTAIT PAS SÛR D’AVOIR L’APPUI POTENTIEL D’AUTRES PUISSANCES 66

PERSPECTIVES MED

À PROPOS DE LA PARTICIPATION DU PRESIDENT US AU SOMMET MONDIAL DE L’ENTREPRENEURIAT PREVU AU KENYA, TOUS LES MEDIAS QUI ONT RELAYE L’INFORMATION DISENT QUE C’EST LE PREMIER SOMMET QUI VA SE TENIR SUR UNE TERRE AFRICAINE EN PARFAITE NEGLIGENCE DU SOMMET DE MARRAKECH TENUE NOVEMBRE DERNIER …? R.A :C’est le communiqué de la Maison Blanche qui compte. Celui-ci n’affirmait pas cela. Donc, il ne s’agit pas d’un point de vue américain. Ce sous-entendu qui consiste à ignorer le sommet de Marrakech n’est pas le fait de la diplomatie américaine, ce sont des médias qui l’affirment. Par conséquent, ce qui compte pour le Maroc ce n’est pas ce que disent les médias. Parce que si les Américains avaient ignoré ouvertement le sommet de Marrakech, c’aurait pu être problématique. Auquel cas, on aurait pu dire que c’est la diplomatie américaine qui a décidé de l’ignorer. Mais tant qu’il s’agit que des médias, cela ne pose, à mon avis, aucun problème. Même si on peut aisément deviner que derrière les campagnes médiatiques, le lobbying de certains pays africains reste latent. On sait très bien que l’Algérie finance ou aide des journalistes et des journaux qui font du lobbying même aux USA. Dès lors, on peut dire qu’ignorer le sommet de Marrakech résulte d’une politique de désinformation visant à écarter le Maroc de la scène africaine menée par des pays de l’UA. ÇA RESTE UNE PROBABILITE ? R.A :Je ne pense pas que cela relève de la probabilité, mais c’est certain. On ne peut pas attaquer des pays comme ça. Le Maroc ne peut pas se permettre d’empiéter sur le terrain de la France s’il n’était pas sûr d’avoir l’appui potentiel d’autres puissances L’Afrique n’a jamais été considérée comme une priorité de la politique étrangère américaine depuis la fin de la guerre froide. Les USA essayent de freiner la montée en puissance de la Chine sur le contient.


DÉVELOPPEMENT DURABLE

ENVIRONNEMENT

CHANTIERS DURABLES

LES MAROCAINS MESURENT AU FIL DES SAISONS LE POIDS DE LA DÉRÉGULATION DU CLIMAT. ET LA MEILLEURE EXPRESSION LOCALE DES ALTERNANCES QUE LA PLANÈTE BLEUE VIT A TRAIT AUX ÉVOLUTIONS EN DENTS DE SCIE DES RENDEMENTS AGRICOLES. UNE ANNÉE PLUVIEUSE S’AVÈRE CLÉMENTE AUSSI BIEN POUR L’ÉCONOMIE QUE POUR LES ÉQUILIBRES SOCIAUX. N’EMPÊCHE, TOUS LES INDICATEURS CONFIRMENT QUE LE PAYS QUI A SU NÉGOCIER UNE CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT EST CONFRONTÉ À PLUSIEURS DÉFIS DE TAILLE. A COMMENCER PAR LA GESTION DE LA CHOSE HYDRIQUE FACE À UNE DEMANDE DE PLUS EN PLUS CROISSANTE. LE DOSSIER EST DES PLUS ÉPINEUX LORSQU’ON ÉVALUE LE POIDS DU STRESS HYDRIQUE DANS LEQUEL LE PAYS BASCULERA TÔT OU TARD. MAIS LES CHANTIERS OUVERTS RESTENT IMMENSES QUE CE SOIT AU NIVEAU DE LA GESTION DES SOLS ET DU LITTORAL QU’AU NIVEAU DE LA GESTION RAISONNÉE DES DÉCHETS. LA FORTE PRESSION QUI S’EXERCE SUR LE MILIEU AMBIANT APPELLE À UNE PLUS GRANDE VIGILANCE. QUE DE CHANTIERS DURABLES DOIVENT ÊTRE MIS EN BRANLE POUR LIMITER LES DÉGÂTS D’UNE GESTION CHAOTIQUE. SURTOUT QUE TOUT DÉSÉQUILIBRE INDUIT SA PART DE DÉRÉGULATION AUX CONSÉQUENCES IMPROBABLES. LA STRATÉGIE PRESQUE BOUCLÉE EN TERMES DE DÉVELOPPEMENT DURABLE GAGNERAIT CERTAINEMENT À ÉVITER L’ASPHYXIE D’UN MANQUE DE COORDINATION ENTRE LES DIVERS ACTEURS EN LICE. LÀ AUSSI, LE CHANTIER OUVERT EST LOIN D’ÊTRE DE TOUT REPOS… PERSPECTIVES MED

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ENVIRONNEMENT EN ATTENDANT LA COP 21

LA TERRE EN COUPES RÉGLÉES… Par : A. BenDriss

Le Maroc se prépare aussi pour la C0P21 qui se déroulera fin novembre à Paris. L’enjeu national étant de faire grande impression pour favoriser les financements idoines d’un plan de développement durable des plus ambitieux.

L

e rendez-vous parisien est diversement apprécié par les militants contre le réchauffement climatique. Militants auxquels se joignent des figures de proue de la politique. Ni le leader du pays hôte de la COP21, ni son alter ego américain, et encore moins le leader chinois, n’entendent « doucher » la planète en piteux état, de l’aveu même des Nations-Unies. L’enjeu reste, bien entendu, lié à l’inflexion des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Les plus optimistes des observateurs donnent du crédit aux tractations politico-diplomatiques qui ont précédé la grande messe de Paris. Mais il faut dire que des climato-sceptiques n’hésitent pas à faire valoir des contre-arguments de poids pour exprimer « l’état d’urgence » avec lequel la communauté internationale doit composer pour éviter le déclin de la civilisation humaine. Des scientifiques font valoir que la température terrestre a de bonnes chances d’augmenter de 3° à la fin du siècle si jamais l’infléchissement n’interviendrait pas plus tôt, d’ici à 2020 à tout casser. Et que la surchauffe de 1,5° charrierait un « emballement » aux retombées imprévisibles. La bataille s’avère des plus délicates entre souci de développement socio-économique et efforts de rattrapage d’un côté et recours raisonné aux sources énergétiques à l’origine du réchauffement climatique. Un consensus serait-il prévisible sur une renonciation draconienne à l’exploitation des ressources existantes en hydrocarbures (à 50%) et en carbonifères (à 80%) ? Car aux yeux de nombreux militants de la durabilité, les décideurs doivent changer de focale au lieu de rester les yeux rivés sur les rejets en dioxyde de carbone à faire baisser. La loupe grossissante devrait plutôt cibler les chiffres liés à la production de l’énergie sale pour les réduire dans des proportions soutenables aussi bien pour l’essor économique que pour l’équilibre vital de la Planète terre. Une « halte à la vampirisation » du sous-sol commun fait ainsi partie de la panoplie d’actions urgentes à entreprendre pour éviter l’avènement d’une nouvelle ère d’extinction massive d’espèces. Ce n’est 68

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donc pas pour rien que le chef de la diplomatie américaine confond réchauffement climatique et « arme de destruction massive ». Ce qui soulève bien des questions sur « le désordre du monde» face auquel l’ONU s’avère dramatiquement désarmée. L’enjeu politico-diplomatique est de taille lorsqu’on mesure l’ampleur d’une telle déclaration américaine à l’origine du chaos irakien. Des observateurs avertis sont échaudés à l’idée d’une récupération de la question climatique par les puissances actuelles, USA en tête. Ils évoquent « l’avènement d’un « géo-pouvoir » qui prend pour objet d’intervention non plus la vie humaine, mais la planète Terre » dans sa globalité. Partant de ce constat, force est de souligner que la COP risque de consacrer une épreuve de force inégale entre les nations. Car le risque est grand de voir la logique de l’anthropocène (celle qui rend l’homme responsable du devenir du globe) s’appliquer de manière indifférenciée à tous les pays qu’ils soient ou non gros émetteurs de gaz à effet de serre. Un assujettissement des plus pauvres est d’autant plus scandaleux lorsqu’on sait que des données, vérifiées, confirment que les deux tiers du carbone rejeté dans l’atmosphère est l’œuvre de 90 entreprises. C’est pourquoi des voix s’élèvent pour parler de « capitalocène », l’empreinte destructrice du globe étant imputable plus au capital qu’à l’homme. Et dans cette logique, nul besoin de rappeler que ce sont bel et bien les pays industrialisés qui ont importé les matières premières pour exporter les nuisances écologiques. C’est dans cette mêlée-là que le Maroc est appelé à faire valoir sa stratégie de développement durable. Celle qui anticipe l’avenir en faisant grand cas des énergies renouvelables, avec ses plans solaires et éoliens. Saura-t-il tirer le meilleur parti d’une messe où les crédits carbone, dévalués par un désintérêt des puissances économiques, ont toutes les chances de revenir sur les devants de la scène ? Qui vivra verra !


RESSOURCES HYDRIQUES

LE PLEIN D’AMBITIONS

Par : M. Taleb

AVEC LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES QUI SE FONT DE PLUS EN PLUS SENTIR, LE MAROC EST APPELÉ À ENGAGER DES VÉRITABLES BATAILLES POUR ÉVITER DE TOMBER DANS LE STRESS HYDRIQUE. CHARAFAT AFILAL, MINISTRE DÉLÉGUÉE CHARGÉE DE L’EAU BAIGNE DANS L’OPTIMISME. QUE L’ON COMMUNIQUE À NOS LECTEURS.

LE MAROC DOIT S’ESTIMER HEUREUX DE NE PAS PARTAGER SES RESSOURCES HYDRIQUES CONVOITÉES

PERSPECTIVES MED : OÙ EN EST-ON DE LA STRATÉGIE NATIONALE DE L’EAU ? CHARAFAT AFILAL : La Stratégie Nationale de l’Eau a été adoptée en 2009 afin d’accompagner les besoins en eau exprimés par les stratégies sectorielles, notamment le Plan Maroc Vert. Cette stratégie a présenté les grandes lignes et les principales orientations de la politique de l’eau à adopter durant la période 2010-2030. Elle est entrée en application immédiatement après son adoption. Depuis, c’est une nouvelle impulsion visant le renforcement de la politique de l’eau qui a été amorcée. Les objectifs et orientations de cette Stratégie ont ensuite servi de base pour la réalisation du Plan National de l’Eau (PNE), dont on vient d’achever l’élaboration, et qui est un document réglementaire en application de la loi 10-95 et constitue ainsi le prolongement de la stratégie nationale de l’eau. Le PNE constitue désormais la référence nationale de la politique de l’eau, qui définit les priorités nationales pour sécuriser l’accès à l’eau à l’horizon 2030. Ce plan, validé par le Comité Permanent du Conseil Supérieur de l’Eau et du Climat, sera présenté lors de la 10ème session de ce conseil. Et une fois approuvé par décret après avis dudit Conseil, le PNE donnera aux décideurs de la visibilité sur les actions à engager sur le moyen et long termes par l’ensemble des acteurs du secteur de l’eau et constituera une base pour une gestion et une utilisation des ressources en eau plus cohérente, intégrée et durable. Le Plan National de l’Eau propose en effet des actions qui combinent la gestion et le développement de l’offre, aussi bien des ressources en eau conventionnelles que non conventionnelles, la gestion de la demande en eau, ainsi que la valorisation et la préservation des ressources en eau. QU’EN EST-T-IL DU PARACHÈVEMENT DU DISPOSITIF RÉGLEMENTAIRE NÉCESSAIRE À LA MISE EN APPLICATION DE L’ENSEMBLE DES DISPOSITIONS DE LA LOI 10-95 SUR L’EAU ? C.A : La loi sur l’eau 10-95, entrée en vigueur il y a 20 ans, a constitué à son adoption un tournant décisif dans la politique hydrique du Maroc. C’était un cadre réglementaire exhaustif, couvrant la majorité des aspects liés à la gestion de l’eau. Cette loi, qui constitue le cadre réglementaire qui régit le secteur de l’eau, repose sur un certain nombre de principes de base dont la gestion intégrée, planifiée, décentralisée, concertée et participative des ressources en eau, la domanialité PERSPECTIVES MED

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ENVIRONNEMENT

publique des eaux, le « préleveur-payeur » et le « pollueur-payeur » et la valorisation des ressources en eau et leur protection contre la pollution et la surexploitation. Depuis, ce sont 81 textes d’application qui ont été promulgués. Cette loi, considérée comme « révolutionnaire » à l’époque de son adoption, a cependant montré quelques dysfonctionnements ainsi que certaines insuffisances dans sa mise en œuvre. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a inscrit la révision de la loi sur l’eau dans son agenda législatif. Des concertations nationales et régionales sur la révision de la loi 10.95 sur l’eau ont été menées conformément à l’approche participative prônée par le Ministère dans la gestion du secteur de l’eau, et plus particulièrement en ce qui concerne l’amélioration du cadre législatif et réglementaire. Le processus d’approbation est actuellement en cours. Nous avons déposé le projet de révision de la loi 10-95 sur l’eau auprès du Secrétariat général du gouvernement (SGG), qui est actuellement en phase de publication. Y A-T-IL UNE ÉVALUATION DE LA POLITIQUE DE L’EAU À L’HEURE OÙ LE PAYS EST AU SEUIL DU STRESS HYDRIQUE ET COMMENT LE MAROC COMPTE-T-IL GÉRER LA SÉCHERESSE ? C.A : La politique de l’eau est constamment évaluée. En fait, toute la politique engagée actuellement a pour objectif principal d’assurer la sécurité hydrique. Grâce à sa politique proactive de mobilisation de l’eau conduite depuis plus de quatre décennies, le Royaume s’est vu doter d’une importante infrastructure hydraulique qui lui a permis de subvenir, sans difficultés majeures, aux besoins en eau potable et industrielle, de développer l’irrigation à grande échelle et de faire face aux phénomènes naturels extrêmes, notamment la sècheresse. Il faut savoir que cette dernière constitue une donnée structurelle qui est prise en compte dans tous les documents de planification. Il existe par ailleurs des schémas directeurs de gestion de la sécheresse, établis par les Agences de bassin hydraulique, et qui déterminent les mesures à déployer au niveau de chaque bassin.

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PERSPECTIVES MED

QUID DE LA PROTECTION DES EAUX SOUTERRAINES? QU’AVEZ-VOUS PRÉVU POUR LUTTER CONTRE LA POLLUTION DES NAPPES AINSI QUE POUR LEUR RECONSTITUTION ? C.A : Les eaux souterraines constituent une véritable ressource stratégique à préserver pour les générations futures. Les ressources eau souterraines sont cependant assujetties à une surexploitation avancée dans la majorité des nappes. Nous enregistrons un déficit annuel de près d’un Milliard de m3. Pour préserver ces ressources stratégiques et garantir leur durabilité, un mode de gouvernance des ressources en eau souterraines est en cours de mise en place, basé sur une approche contractuelle à travers les contrats de nappe, privilégiant ainsi la participation, l’implication et la responsabilisation des différents acteurs concernés : décideurs, planificateurs, gestionnaires, usagers des ressources en eau au niveau du bassin, .... Pour le moment, un contrat de nappe a dores et déjà été élaboré dans la région du Souss-Massa-Drâa et d’autres sont en cours de finalisation. Le processus est donc bel et bien engagé. EXISTE-T-IL DES PLANS D’ADAPTATION DE LA GESTION DE L’EAU POUR L’AGRICULTURE ? QUELLES SONT LES MISSIONS IMPARTIES AUX AGENCES DE BASSIN DANS CE CADRE-LÀ ? C.A : L’économie et la valorisation de l’eau en irrigation constituent des enjeux primordiaux pour notre département. Des efforts soutenus sont consentis dans le secteur agricole, notre premier client avec plus de 80% de la consommation d’eau. De ce fait, et pour accompagner le Plan Maroc Vert, le Plan National de l’Eau propose des actions concertées, portant essentiellement sur le développement de l’offre d’eau d’irrigation, la gestion et la valorisation de l’eau à travers la reconversion à l’irrigation localisée de 50 000 ha par an à l’horizon 2030, en plus de l’extension de l’irrigation au niveau des superficies dominées par les barrages réalisés ou en cours de réalisation. En effet, et dans le cadre du PNE, les deux départements ministériels de l’Eau et de l’Agriculture ont opté pour la poursuite de la reconversion en irrigation localisée lancée dans le cadre du Plan Maroc Vert jusqu’à l’horizon 2030, ce qui permettra de réduire la demande en eau d’irrigation à 2.3 milliards de m3 par an. QUELLES SONT LES MESURES PRISES POUR LUTTER CONTRE L’ENVASEMENT DES BARRAGES ? ET QUE DIRE DES RISQUES DE L’EUTROPHISATION ? C.A : Je tiens tout d’abord à indiquer qu’il s’agit là d’un phénomène naturel causé principalement par l’érosion. Au Maroc, l’envasement des retenues de barrages entraîne chaque année une perte de capacité de près de 75 Millions de m3. Il faut cependant savoir que tous les barrages sont dotés de « tranches mortes » conçues pour accumuler l’envasement correspondant à la durée de vie économique de ces ouvrages, à savoir 50 ans.


Des chasses d’eau sont également effectuées en période de crue pour évacuer une partie de la vase à travers des vidanges de fond. Des mesures préventives sont aussi entreprises afin de contenir l’effet de l’érosion, dont notamment le reboisement et l’aménagement des bassins versants, que nous réalisons en étroite collaboration avec le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts. Par ailleurs, et en plus de la perte de capacité, l’envasement a également pour conséquence naturelle l’eutrophisation. Nous faisons face à ce risque à travers des mesures préventives, notamment les prises d’eau étagées, l’aération des eaux ou encore les traitements biologiques. QU’ADVIENT-IL DU PROGRAMME NATIONAL D’ASSAINISSEMENT LIQUIDE ET D’ÉPURATION DES EAUX USÉES (PNA) ? QUEL EST LE NOMBRE DE STATIONS D’ÉPURATION DES EAUX POLLUÉES QUI SERONT OPÉRATIONNELLES ET QUELS SONT LES TAUX D’ÉPURATION ET DE RÉUTILISATION QUI SERONT ATTEINTS EN 2015 ? C.A : Suite au lancement du Programme National d’Assainissement liquide et d’Epuration des Eaux Usées (PNA) en 2006, le nombre des stations d’épuration (STEP) fonctionnelles est passé de moins de 18 STEP en 2005 à 90 STEP en 2014. Le taux d’épuration des eaux usées urbaines est passé de moins de 8% en 2005 à 38% en 2014. Les bassins de la Moulouya et du Tensift enregistrent le taux d’épuration le plus élevé, soit près de 90%, grâce à la réalisation des STEP dans les grandes villes de Nador, Oujda, Essaouira et Marrakech. En plus du Programme National d’Assainissement et d’Epuration des Eaux Usées, qui est en train d’atteindre ses objectifs, nous sommes actuellement en train de réfléchir à la mise en place d’un nouveau programme qui concerne le monde rural de manière spécifique. Avec le ministère de l’Intérieur, la réflexion est engagée pour la mise en place d’un Programme Nationale d’Assainissement Rural. L’OPTION DESSALEMENT DE L’EAU DE MER ESTELLE LA DERNIÈRE FRONTIÈRE FRANCHIE POUR ATTÉNUER LES RISQUES DE PÉNURIE ? AVEZVOUS ATTEINT L’OBJECTIF DE 400 MM3/AN ? C.A : Comme vous savez, notre pays présente l’avantage d’avoir près de 3.500 km de côtes sur ses façades atlantique et méditerranéenne, et près de la moitié de la population urbaine vit au bord ou pas trop loin de la mer. Le Maroc a opté assez tôt pour le dessalement de l’eau de mer pour l’approvisionnement en eau potable des provinces du sud en raison de son faible potentiel en ressources en eau conventionnelle, et cela depuis les années 80. Cette alternative est appelée à jouer un grand rôle à l’avenir, avec la baisse progressive des coûts et le développement des technologies de dessalement et avec l’épuisement des autres alternatives conventionnelles au niveau de certaines zones. En

effet, selon le PNE et les études élaborées à ce jour, la capacité de dessalement qui pourrait être atteinte en 2030 se situerait à près de 500 Mm3 par an répartis entre l’approvisionnement en eau potable et le développement des projets touristiques, agricoles et industriels. Des projets de dessalement à grande échelle viennent d’être lancés, notamment pour le renforcement de l’approvisionnement en eau potable du Grand Agadir, où une concession a été signée pour la réalisation et l’exploitation de la future station de la ville d’Agadir dans le cadre d’un contrat partenariat public-privé (BOT). Le dessalement sera également utilisé dans le secteur agricole ; un projet pour l’irrigation de la plaine de Chtouka dans la province de Chtouka-Ait Baha, est en cours de lancement en PPP par le Département de l’Agriculture. Le recours à ce procédé a été fait de concert avec l’ensemble des partenaires et dans le souci d’assurer une gestion intégrée des ressources en eau existantes dans la zone. De même, pour faire face à l’accroissement de la demande en eau, le secteur industriel a entrepris de nouveaux projets de dessalement, en particulier dans l’industrie des phosphates. PERSPECTIVES MED

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ENVIRONNEMENT DÉGRADATION DU LITTORAL

LA LOGIQUE DU LAISSER-FAIRE Par : M. Taleb

Étendu sur un linéaire côtier de près de 3500 km, le littoral marocain constitue une véritable richesse qui fait oublier la fragilité extrême de cet espace géographique. Sa gestion dispersée entre plusieurs acteurs centraux et locaux est mal coordonnée et la loi relative à sa protection, qui bloque depuis la fin des années 80, fait toujours défaut.

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a morphologie des côtes marocaines relativement homogène a favorisé, au fil du temps, un processus de littoralisation. Cette concentration urbanistique a, depuis le protectorat, pris une dimension importante faisant, en quelques décennies, du littoral l’axe majeur autour duquel se structurent la majeure partie des activités économiques et où se concentrent les agglomérations urbaines les plus importantes. Le considérable potentiel de développement que recèle le littoral a donné lieu à un puissant mouvement démographique et a exercé une attraction sur les hommes et les activités économiques. Résultat : les zones côtières accueillent de nos jours plus de 62% de la population urbaine (au lieu de 8% au début du 20è siècle), 80% des grandes zones industrielles mais aussi touristiques. Convoitise économique et concentration humaine font peser plusieurs menaces sur le littoral qui s’est érigé

LE LITTORAL BOUFFÉ PAR LA VORACITÉ DE RENTIERS

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en espace de développement. Tout en admettant qu’il est difficile d’étaler les différentes agressions exercées sur le littoral et de cerner le spectre des dangers qui planent sur cette richesse nationale, il y a lieu de revenir sur quelques unes des plus hostiles à l’équilibre biologique et écologique de nos régions côtières. Extraction anarchique du sable côtier et exploitation des fonds littoraux par dragage, bétonnage aveugle et rejets domestiques et industriels, représentent autant de préjudices portant atteinte à l’intégrité des façades atlantique comme méditerranéenne.

PILLAGE ET BRIGANDAGE Le littoral subit de plus en plus les conséquences de l’extraction anarchique du sable côtier. La dégradation des dunes et l’érosion consécutive des plages, conséquences d’une demande croissante en matériaux de construction et de l’insuffisance des contrôles de l’extraction des sables, constituent une problématique majeure. Un rapport alarmant qui repose sur les conclusions et le recoupement de plusieurs études étayées d’un groupe d’experts, de biologistes et géologues, souligne la consé-


quence d’une exploitation massive et irrationnelle durant les deux dernières décennies du sable de dragage des fonds marins au lieu du sable de concassage. Ce rapport relève, dans le même sillage, les lourds impacts induits par l’activité de dragage. Réalisé en 2011 par l’ « équipe Géosciences de l’Environnement » de la faculté d’Ibn Tofail de Kenitra en compagnie d’autres universitaires de l’Université Mohammed V Agdal, ce rapport révèle des signes précurseurs d’une « catastrophe environnementale » qui menace le littoral. Les auteurs pointent du doigt les conséquences écologiques et les implications lourdes de l’extraction du sable sur l’érosion des dunes et la fragilité de la biodiversité, particulièrement dans la région du Gharb. Une autre étude, réalisée par la chercheuse à l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme, Sanaa Nakhli, arrive à la même conclusion. Elle relève que rien que sur le littoral de Kenitra (140km), 77 carrières sont installées sur les dunes côtières. Ces carrières ont des conséquences très graves sur l’écosystème et provoquent l’ensablement des terres agricoles environnantes, selon la chercheuse. Si mutilations il y a dans la région de Kenitra, que dire pour le reste du patrimoine dunaire livré aux prédateurs ? Expert en environnement, Mohammed Benjelloun a assuré qu’il en va de même pour les régions de Larache et de Safi. Selon ce directeur d’un cabinet d’ingénierie industrielle et d’environnement, le dragage des sables est la plus hostile des menaces pesant sur le littoral : « C’est le plus grand problème qui peine à se résoudre malgré les différents appels », s’est insurgé cet homme de terrain. Et pour cause, selon lui, « il y a un puissant lobby qui retarde la promulgation de la loi sur le littoral ». D’après cet expert, les carrières se multiplient anarchiquement le long des côtes. Et ce, en parallèle avec la polémique politicienne sur l’exploitation des carrières qui n’est, selon notre source, que de la poudre aux yeux. Une polémique qui ne porte pas sur l’intérêt environnemental plus qu’elle ne se focalise sur l’enjeu politique de l’économie de rente et son éradication. D’ailleurs, rien n’a été fait depuis le déclenchement de cette polémique. Étalé dans le temps, le phénomène des érosions menace le trait de côte. Ainsi, il y a plus de 20 ans de cela, ils étaient à l’origine de la disparition d’au

moins 7 plages. Pour rappel, une enquête du ministère de l’Équipement menée entre 1993-1994 avait relevé que sur 47 plages étudiées, 7 avaient disparu et 16 étaient en état d’érosion intensive. Ce qui laisse présager le pire…

BÉTONNAGE ET POLLUTION

D’autres formes d’agression s’attaquent aussi au front de mer. L’artificialisation des rivages qui a accompagné le développement touristique et industriel est loin d’être négligeable. Bien que le Maroc garde toujours des terres côtières vierges, ces dernières ne font pas l’objet d’une protection stricte qui pourrait à les mettre à l’abri du bétonnage qui fait saliver nombre de promoteurs immobiliers. Ce qui est très peu rassurant car le phénomène d’artificialisation des sols s’accélère sur les côtes. Soulignons à ce niveau que le littoral concentre aujourd’hui la majorité des activités industrielles et économiques de grande envergure. C’est le cas notamment des industries chimiques à Safi et Jorf Lasfar, les unités pétrochimiques situées à Mohammedia et Casablanca, sidérurgiques à Nador et alimentaires à Kenitra et Agadir. Une concentration plus perçue sur l’axe Casa-Kenitra (130 km) qui regroupe à lui seul 35 % de la population urbaine (sur une profondeur de 10 à 20 Km) et entre Tanger et Safi où les densités vont de 100 à 400 Habitants par Km2. Il en va de même pour les infrastructures touristiques. La politique touristique a fait du balnéaire une option prioritaire durant les trente dernières années, le littoral a connu des aménagements touristiques importants et concentre aujourd’hui 70% de la capacité en lits classés, 67% des nuitées hôtelières et plus de 60% des séjours touristiques. À eux seuls, les secteurs de Tanger et Agadir représentent 70% des nuitées dans les établissements classés et 70% de la capacité hôtelière homologuée. Ce développement soutenu du balnéaire porte préjudice aux différents milieux naturels qui ne se limite pas aux côtes mais aussi aux forêts limitrophes.

en milieu naturel se font pour près de 60% dans les cours d’eau, dont près du tiers en mer et 11% dans le sol et le soussol. Mais c’est la mer qui constitue au final le principal récepteur des pollutions. Le milieu marin reçoit directement 98% des rejets liquides industriels et agricoles et 52% des rejets domestiques urbains provenant des agglomérations côtières. Et ce sans aucun traitement préalable. La situation est encore plus grave sur l’axe Kenitra-Safi qui concentrerait, à lui seul, plus de 60% des rejets urbains et plus de 80% des rejets industriels. Et puisque plus de 80% des industries sont concentrées sur le littoral, le milieu marin demeure le principal récepteur de leurs rejets. En réalité, la quasi-totalité des industries rejettent leurs effluents en pleine mer sans aucun traitement, tandis que moins de 5% des villes sont dotées de stations d’épuration. Les rejets industriels de Jorf Lasfar, de Safi, de Mohammedia et de la région d’Aïn Sebaâ Sidi Bernoussi constituent un réel danger et une source de contamination par les métaux lourds, notamment le cadmium, le plomb et le mercure dont l’impact sur la biodiversité marine est incontestable. Outre les rejets industriels, plus de 90% des eaux usées urbaines et périurbaines qui avoisinent les 800 Mm3/an sont rejetées sans traitement préalable dans le milieu naturel, milieu marin en tête.

L’une des conséquences directes générées par l’urbanisation et l’industrialisation accélérées des zones côtières planifiées ou spontanées concerne les différents rejets en l’état des eaux usées et autres déchets domestiques comme industriels. À l’échelle du Maroc, les rejets PERSPECTIVES MED

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ENVIRONNEMENT LA LOI TOUJOURS EN PROJET

Depuis la mise en circulation d’une circulaire du Premier ministre en 1964 autour du littoral, divers dahir et arrêtés ont abordé la question du littoral sans pour autant arriver au stade d’une loi. « Un premier texte a été élaboré par le département de l’environnement du temps sous le gouvernement El Youssoufi, en 2011, mais a malheureusement été suspendu en 2002 », assure l’expert en environnement M. Benjelloun. Et puis, un nouveau projet a été lancé en mars 2005 et retravaillé début 2006. Devant passer par le circuit législatif, ce texte à lui aussi fini par tomber à l’eau. En mai 2010, un autre texte légèrement différent du premier avait été adopté par le Conseil du gouvernement et déposé au Parlement pour examen, a subi le même sort. Trois ans plus tard, le projet de loi 81-12 relative au littoral a été adopté en mai 2013 par le Conseil du gouvernement. Mais l’adoption de ce texte, qui reprend la loi française sur le littoral de 1986, très controversée par les professionnels de la pêche et par les exploitants des carrières, ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis 2002. D’autant plus que le texte a été fortement remis en cause par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ce dernier a souligné dans son rapport que le Maroc est le seul pays de la Méditerranée qui ne dispose pas d’une loi sur le littoral. Interrogé sur le cadre législatif régissant le littoral, Abdelwahed El Idrissi, docteur urbaniste et également juriste explique que « si le Maroc a initié dernièrement, un projet de loi sur le littoral, une telle entreprise a été concrétisée en Tunisie à partir de 1994 et en Algérie en 2002. Se livrant à un benchmark entre le cadre législatif existant dans les trois pays du Maghreb, El Idrissi souligne que nos voisins nous distancent de plusieurs longueurs d’avance. Selon lui, le législateur tunisien adopte la logique de la bande littorale non constructible de cent (100) mètres dans l’objectif d’organiser et de maîtriser l’urbanisation, d’une façon d’autant plus contraignante que le rivage est proche. Cette distance est également fixée dans les zones couvertes par un Plan d’Aménagement en fonction de la situation particulière de chaque zone, mais elle ne peut en aucun cas être inférieure à vingt-cinq (25) mètres. Quant à la loi algérienne relative à la protection et à la valorisation du littoral, elle fait inscrire les actions de développement y afférant dans une dimension nationale d’aménagement du territoire et de l’environnement. Les documents d’urbanisme doivent orienter l’extension des centres urbains vers les zones éloignées du littoral et de la côte maritime. Le principe de frapper une bande de cent (100) mètres à partir du rivage de servitude non aedificandi est également retenu. 74

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Pour cet urbaniste, les problèmes urbains en général et particulièrement ceux relatifs au littoral, « doivent être traités au coup par coup et non plus globalement ». Et ce, « de manière à tenir compte de l’interaction entre toutes les composantes foncières, urbaines et environnementales ». Cette logique « est à même de contrecarrer le bétonnage du littoral grâce aux servitudes non aedificandi à incorporer dans la conception urbanistique présidant à la gestion intégrée des zones côtières », précise-il. « Si les législations tunisienne, algérienne, et à l’évidence française, retiennent le principe d’irrecevabilité d’implanter les activités industrielles sur le littoral, l’urbanisme dérogatoire au Maroc, continue à permettre la réalisation des unités industrielles à l’intérieur de cette frange fragilisée », s’alarme-t-il. Au vu de ce qui précède, la législation nationale accuse un retard patent quant à la protection et à la valorisation du littoral, bien qu’il soit constaté communément que les tissus balnéaires sont altérés par une urbanisation anarchique et tentaculaire. « Cette posture témoigne d’une déficience réglementaire et institutionnelle manifeste », conclut ce professeur de l’institut national d’aménagement et d’urbanisme.

L’ONEE EN ACTION

UNE EAU SAINE À BISSAU L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) reste un acteur majeur dans le développement durable à l’échelle nationale. Mais il représente aussi, à l’échelle internationale, un partenaire sur lequel compte la coopération marocaine avec les pays africains. Au-delà des cycles de formation qui profitent aux cadres africains au niveau de Rabat, cet établissement public s’est engagé auprès de la Guinée pour doter sa capitale Bissau de l’eau potable. L’ONEE a entrepris les travaux d’installations et de raccordement des équipements de renforcement de la production d’eau potable au niveau de la capitale Bissau. Ce projet a permis le renforcement de la production d’eau potable, l’amélioration de la qualité de l’eau par à un système adéquat de désinfection et la sécurisation de l’alimentation en énergie électrique des installations de production d’eau potable. L’investissement de l ‘ONEE dans la capitale guinéenne a permis de doubler le débit d’exploitation des huit forages, en passant de 650 m3/h à 1252 m3/h. Une telle réalisation permet d’assurer la desserte en eau 24h sur 24h des quartiers alimentés à partir des forages dont les groupes électropompes immergés ont été remplacés dans le cadre de cette opération. Le projet consistait en la fourniture et l’assistance technique de la pose de huit groupes électropompes immergés et leurs armoires de commande, huit systèmes de javellisation et huit groupes électrogènes. Cette opération, dont le coût global est de 4 MDH, soit 240 millions de Francs CFA, est prise en charge intégralement par l’ONEE. Ce projet concrétise l’accord de partenariat objet d’une convention cadre de coopération signée entre Ali Fassi Fihri, patron de l’ONEE et René Barros, D.G de Electricidade e Aguas da Guiné-Bissau (EAGB), lors de la cérémonie présidée par le Roi du Maroc et le Président guinéen en mai dernier.


ECONOMIE VERTE

OBJECTIF ZÉRO CARBONE ! Restructurer l’économie mondiale en s’engageant dans un développement à faible intensité de carbone est désormais un impératif si l’on veut réduire à zéro les émissions nettes avant la fin de ce siècle. Car les choix d’aujourd’hui peuvent « verrouiller » pour des années la trajectoire des émissions et rendre les populations vulnérables aux effets du changement climatique.

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n nouveau rapport du Groupe de la Banque mondiale décrit les étapes que les pays peuvent suivre pour réduire à zéro leurs émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) et stabiliser ainsi le changement climatique. Intitulé Decarbonizing Development: Three Steps to a Zero Carbon Future, le rapport définit les étapes à suivre si l’on veut réduire à zéro les émissions de GES. Il s’agira d’abord selon l’institution de Bretton Woods de planifier l’action sur la base de l’objectif final et pas seulement en fonction de buts à court terme, ensuite fixer des prix justes dans le cadre d’un vaste train de mesures porteur de changements en matière d’investissements et de comportements et, enfin, faciliter la transition pour les personnes les plus touchées par ces changements. Selon ce rapport, les mesures nécessaires pour réaliser la transition vers la réduction des émissions nettes à zéro ne seront pas trop coûteuses si les États s’y mettent dès aujourd’hui, mais le coût augmentera si l’on tarde à agir. Le report de ces mesures à 2030 augmenterait leur coût de 50 % à l’échelle mondiale. Ce rapport vise à aider les responsables de l’action publique des pays développés ou en développement à fixer des priorités lorsqu’ils cherchent à abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre pour les placer sur une trajectoire conduisant à un seuil

d’émissions nulles à l’échelle mondiale. La première étape consiste à planifier l’avenir en investissant dès aujourd’hui dans la recherche et les technologies qui seront nécessaires dans quelques décennies, et à éviter de prendre des décisions conduisant au maintien de modèles de croissance à fortes émissions de GES et à la poursuite des investissements dans des infrastructures amenées à devenir obsolètes dans un monde à faible intensité en carbone. Le rapport décrit comment les pays peuvent réduire à zéro leurs émissions nettes en remplaçant les combustibles fossiles par des sources d’énergie propre pour leur approvisionnement en électricité, puis en augmentant leur consommation d’électricité. En outre, il est important d’améliorer l’efficacité énergétique pour réduire la demande. Enfin, la préservation des puits naturels de carbone grâce à une bonne gestion des forêts et des sols permet de compenser les émissions restantes par l’absorption et le stockage du carbone. Par ailleurs, il convient d’adopter un vaste train de mesures — dont la tarification du carbone — pour créer les incitations nécessaires à la mise en œuvre de plans de croissance sobres en carbone et au financement de projets dans ce domaine. La transition vers une croissance à faibles émissions de carbone aura des conséquences économiques. Le rapport explique comment les pouvoirs publics peuvent agir pour faciliter la transition parmi les populations les plus touchées et promouvoir le changement en protégeant les ménages pauvres des effets de la hausse des prix et en aidant les entreprises à se réinventer pour un monde plus propre. L’élimination des subventions aux combustibles fossiles, qui profitent en premier lieu aux catégories les plus riches, et la mise en œuvre de taxes carbone ou de marchés du carbone sont deux moyens de générer des recettes, dont ont besoin les secteurs de l’éducation, de la santé et des infrastructures, tout en réduisant les émissions de carbone. PERSPECTIVES MED

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ENVIRONNEMENT PRÉSERVATION DES SOLS

UN IMPÉRATIF NÉGLIGÉ

Par : M. Taleb

Même en faisant foi du« développement durable » comme choix stratégique, les sols restent les parents pauvres de la politique environnementale par rapport à l’air et à l’eau. Pourtant, le sol est le premier réservoir de biodiversité.

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es sols rendent d’innombrables services à l’homme et aux écosystèmes.Constituant un support de la croissance des végétaux, ils permettent le recyclage des déchets, la régulation du climat et du cycle de l’eau, la filtration, la restitution et l’épuration de l’eau au profit des ruisseaux et nappes phréatiques ainsi que la protection du patrimoine archéologique. Mieux encore, constituant un habitat d’une immense biodiversité, les sols permettent la préservation des autres composantes de l’écosystème, notamment, par le stockage du carbone et la régulation de l’effet de serre. Pourquoi dès lors tombent-ils assez souvent dans les oubliettes? A cette malheureuse règle, le Maroc n’échappe point. Les politiques de développement durable mises en place n’accordent pas ou presque d’intérêt à cette

LES SOLS RESTENT LE PARENT PAUVRE DANS LA SAUVEGARDE DES RICHESSES NATURELLES

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immense richesse. Pourtant, un pays voué à l’agriculture qui plus possède 9 millions d’hectares de surface agricole utile (SAU), dont 16% seulement sont irriguées (1,5 M ha), auxquelles il faut ajouter 65 M ha de terres de parcours et environ 9,7 M ha de forêts, a tout l’intérêt de préserver ses sols. D’autant plus que, d’un côté, près de la moitié des terres cultivables se situent dans des zones recevant une pluviométrie annuelle moyenne inférieure à 400 mm. Et que, d’autre part, le facteur intempérie ne « permet qu’un système de culture précaire à haut risque, basé sur l’alternance céréale/jachère ». Ce qui inquiète le plus à ce niveau est que« les ressources en sol sont peu renouvelables à l’échelle d’une génération humaine », s’alarme le premier « Etat de l’environnement » dressé par les experts du département de l’Environnement en 2010. A fortiori qu’à côté de ce constat, « les sols marocains sont généralement fragiles à cause de leur faible teneur en matière organique, inférieure à 2% (même dans les zones humides) et sont soumis à des facteurs de dégradation naturels ou anthropiques», précise le même document.Face à cette situation inquiétante, la dynamique juridique et institution-


nelle que connaît le domaine de l’environnement, à travers la promulgation des lois environnementales qui manquent, par ailleurs, de textes d’application, n’a pas suivi. Le département concerné indique sur son portail qu’une réflexion a été engagée sur l’élaboration d’un projet de loi spécifique relatif à la protection environnementale des sols au même titre que pour l’eau et l’air, mais cela risque de prendre trop de temps. Lenteur administrative oblige.

DEGRADATION INTENSIVE

En attendant l’élaboration des lois et leur mise en application, autant dire que la situation des sols continue de se détériorer. L’urbanisation rapide et mal raisonnée se poursuit au détriment des terres les plus fertiles. Selon une étude réalisée par le Centre royal de télédétection spatiale, la superficie urbanisée est estimée à beaucoup plus de 5000ha/ an dont plus de 1000 ha/an sont grignotées des terres agricoles. Il en va de même pour l’érosion hydrique et éolienne et les autres facteurs de dégradation des sols telle que la salinisation. Celle-là affecte près de 500 000 ha et cause des pertes importantes en matière de productivité, surtout dans les zones arides et à forte évaporation, sous l’effet de l’usage maladroit et peu rationnalisé des engrais et pesticides. Ainsi, ce phénomène est amené à prendre de l’ampleur avec l’extension des superficies irriguées et l’intensification agricole, notamment dans le cadre du Pan Maroc Vert. Pourtant, l’essence même du développement durable serait de réussir à répondre aux besoins des générations du présent -avec une très faible contrepartie écologique- et sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Une finalité qu’on ne peut franchir qu’à la condition d’une mise en place de mécanismes de réhabilitation ad hoc.

ENFIN, LE CODE MINIER

Ceci est d’autant plus vrai que le Maroc est l’un des rares pays qui ont très tôt légiféré pour garantir la réhabilitation des sols. Un dahir relatif à la défense et à la restauration des sols a été promulgué en 1969 (le dahir n° 1-69-170 du 25/07/1969). Dans son article 6, ce texte de loi prévoit que « dans le cas où l’érosion menace des agglomérations, des ouvrages publics ou d’utilité publique ou des régions agricoles, (…), l’État peut imposer les mesures et les travaux nécessités par la lutte contre l’érosion». Cependant, ce texte de loi a été « isolé » depuis le temps et aucun effort législatif n’a suivi depuis. Bien au contraire, il faut dire qu’il y a eu régression sur d’autres plans. Au moment où les sols subissent les effets néfastes de la pollution minière, un nouveau Code minier vient de voir le jour. Proposé par le ministre de l’Énergie, des mines, de l’eau et de l’environnement, Abdelkader Amara, ce texte interpelle à plus d’un titre. Bien qu’il ait prévu des dispositions concernant l’étude d’impact sur l’environnement

et le plan ou programmes d’abandon à fournir pour entreprendre les activités minières, ces dispositions manquent de force coercitive. Pis, cette loi censée combler le déficit législatif existant ne contient pas de dispositions claires obligeant tout titulaire d’actes miniers de prendre des mesures nécessaires de réhabilitation des sols. Du moins, le mot réhabilitation n’apparaît pas sur le texte de ce code. Interrogé sur ce fait, le ministre rassure. « Le code a introduit des concepts inédits notamment l’exploitation des terrils et des cavités ». Ce natif de Bouarfa, ville minière par excellence (née après la découverte et l’exploitation d’un gisement de manganèse en 1912), se révèle être mieux placé que d’autres pour appréhender les atrocités subies par les agglomérations minières et leurs populations, victimes attitrées du processus de dégradation de l’environnement à cause des rejets solides, liquides et gazeux des mines. Sa ville natale demeure un exemple éloquent. Espérons que le nouveau code met un terme à ces pratiques qui altèrent l’environnement. Nonobstant que le coût de la dégradation associé à chaque phase d’exploitation minière ainsi que le coût de remplacement sont loin d’être cernés, il faut souligner qu’ils demeurent supérieurs aux recettes que peut apporter ce type d’exploitations. Si cette dernière ne s’accompagne pas de réhabilitation, l’impact sur les générations futures est, lui, fatal.

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

DES TERRILS POUR LE FUTUR L’activité minière laisse derrière elle d’énormes terrils (collines artificielles construites par accumulation de résidu minier). Formés à partir des différentes substances stériles dont l’effet est la défiguration du paysage naturel, ces terrils ne sont pas aménagés et sont simplement constitués par l’accumulation des résidus et sous-produits de l’exploitation minière. Selon le type de procédé d’extraction, ces terrils peuvent contenir des composés acides ou caustiques, des métaux lourds ou du cyanure, qui rendront généralement le terrain impropre à toute autre utilisation future.À ce propos, le professeur à l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme de Rabat, Abdelaziz Adidi, explique qu’« une tonne de cuivre donne lieu à 200 tonnes de stériles tandis qu’une tonne d’aluminium génère le double». Cet écologiste explique dans une étude intitulée « De l’aménagement du territoire au développement territorial : quelle transition et quelle articulation ? », que « la protection des ressources naturelles contre l’exploitation abusive et irrationnelle doit constituer un objectif permanent pour une politique d’aménagement rationnel du territoire ». Et de préciser qu’il faut que les autorités veillent à « assurer les conditions de durabilité environnementale(préservation de l’environnement des territoires ruraux, gestion et valorisation du patrimoine naturel et culturel) ». Selon lui, une politique d’aménagement rationnel du territoire fait de « la protection des ressources naturelles contre l’exploitation abusive et irrationnelle » (…), est un objectif permanent ». PERSPECTIVES MED

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ENVIRONNEMENT GESTION DES DÉCHETS

C’EST DU PROPRE ! Par : M. Taleb

Face à l’énorme retard qu’il accuse au niveau de la gestion des déchets solides, la première loi appropriée à ce secteur n’a été adoptée qu’en 2007, le Maroc cherche tant bien que mal à se rattraper. Bien qu’il y ait des avancées à constater depuis le lancement d’un programme national ad hoc, sa mise en œuvre est loin de combler les déficits. Le milieu naturel continue de pâtir des rejets anarchiques des déchets solides, industriels, hospitaliers et dangereux …

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volution démographique et urbanisation accélérée s’accompagnent d’incidences qui incitent à une mise à niveau constante des espaces tant bien urbains que ruraux. Outre les services de base, le pays se trouve, naturellement, dans l’obligation de planifier la gestion des déchets solides (GDS) urbains, périurbains et ruraux produits chaque jour. L’augmentation constante des volumes de ces déchets solides s’accommode mal à la pusillanimité des responsables centraux et locaux. Nul besoin de rappeler que les services de GDS municipaux au Maroc étaient axés, jusqu’à un passé récent, sur le nettoiement uniquement et ne consacraient que peu d’attention et de ressources à l’élimination des déchets. Les déchets étaient gérés d’une manière anarchique avec des consé-

LES DÉCHETS SOLIDES N’ÉCHAPPENT PAS À LA LOGIQUE DES MOYENS LIMITÉS. LES DÉCHARGES CONTRÔLÉES RESTENT LIMITÉES.

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quences graves sur les plans économique, social mais surtout environnemental. Une évaluation des dommages causés à l’environnement par ces déchets, qui a été élaborée par la banque mondiale en 2003, avait estimé déjà leur coût à 0,5% de PIB. Et pour cause, l’inadéquation du cadre juridique et institutionnel. Voulant se rattraper, le Royaume avait commencé à réformer le secteur avec la promulgation, en 2006, de la première loi sur la gestion et l’élimination des déchets. Peu après, un programme national des déchets ménagers (PNDM) a été approuvé en 2007 couvrant une période de 15 ans (2008-2022). À mi-chemin, ce programme est loin de pouvoir atteindre les objectifs. Devant, entre autres, permettre la construction de 43 décharges contrôlées en 2015, le programme n’a permis de construire que 14 en 2014, dont seulement 11 sont opérationnelles et 5 encore en construction. Et ce, malgré l’allocation d’un budget colossal de 43 milliards de dirhams en plus de l’encaissement d’une série de dons et de prêts de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et d’un montant total de 271,3 millions de dollars sans


parler du soutien fourni par d’autres bailleurs de fonds, en particulier, l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ), la Banque allemande pour le développement (KfW) et l’Agence française de développement (AFD).

SEUILS ALARMANTS Les Marocains sont classés parmi les premiers en zone MENA en termes de génération des déchets. La production totale des déchets frôle les 7 millions de tonnes (MT) selon les chiffres officiels (6,852 MT), tandis que la collecte des déchets solides urbains n’excède pas, dans le meilleur des cas, 5,5 MT par an. Soit une couverture qui tourne autour de 74% des déchets générés dans les espaces urbains. Bien que l’infrastructure de gestion des déchets solides ait été améliorée depuis le lancement du PNDM, les réalisations constatées dans le cadre de la mise en œuvre dudit plan sont du moins très peu reluisantes. Ce n’est qu’un peu plus que le tiers (35%) des déchets générés au total qui est déposé dans des décharges sanitaires. Ceci étant, il faut rappeler que ce chiffre est en nette amélioration par rapport au point de départ. Les Marocains n’acheminaient vers les dépotoirs que le un dixième (10%) de leurs résidus en 2008. Cela va sans dire qu’il y a eu une progression à ne pas négliger. Toutefois, on est loin de l’approche parfaite. Prenons le cas de la collecte des déchets, au moment où le taux de collecte n’excède guère les 75%, il y a lieu de rappeler que le PNDM prévoyait dans sa première mouture d’atteindre un taux de collecte de 80% en 2015, de 90% en 2020 et de 100% en 2030. Mieux encore, la deuxième version du plan, révisée en 2012, sous le titre de « Programme national de valorisation des déchets solides », prévoit d’assurer la collecte et le nettoyage des déchets ménagers pour atteindre un taux de collecte de 85% en 2016, 90% en 2020 et 100% en 2030. Tel est le cas, également, en matière de réalisations des décharges contrôlées des déchets ménagers et assimilés. Devant profiter à plus de 130 villes et 350 centres urbains, respectivement, en 2015 et en 2020 (100%), avec la construction de 43 décharges contrôlées en 2015, le programme n’a permis de construire que 14 décharges « contrôlées » en 2014, dont seulement 11 sont opérationnelles, 5 sont encore en construction et 60 sont planifiées. Résultat : 35% seulement des déchets sont acheminés vers des décharges « sanitaires », le reste est livré à la nature transformée ainsi en autant de décharges sauvages. Le PNDM devait, dans un autre monde, permettre la fermeture et la réhabilitation de 120 décharges sauvages, en 2015 et 300 en 2020 (100 %). Quant à ce qui a été achevé, le département de l’environnement indique que 77 décharges sauvages sont en cours de réhabilitation dans 100 provinces tandis que 20 centres de valorisation sont lancés ou en cours de travaux. Un rapport de l’agence allemande de coopération (GIZ) datant d’avril 2014, affirme quant à lui que les dépotoirs réhabilités ou fermés ont été de l’ordre de 24, tandis que 84 dépotoirs sont planifiés à assainir. Quels que soient les chiffres à prendre en considération, dans les deux cas, on s’apercevra que l’on est bien loin de l’objectif de 120 décharges sauvages devant être fermées et réhabilitées vers la fin de l’année en cours et encore loin de l’éradication totale prévue pour 2020.

POISON INDUSTRIEL

Sur les 6,85 MT de déchets générés au total, « plus de 1,5 million de T sont produits annuellement par le secteur industriel » dont approximativement 289 385 milles de tonnes estampillés dangereux. Seules 23,151 milles tonnes sont collectées annuellement, et ce, au détriment des dispositions de la loi 28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination. Celle-ci stipule qu’il faut qu’il y ait prévention de la nocivité, réduction de la production, organisation de la collecte, transport, stockage, traitement et élimination de façon écologiquement rationnelle, des déchets. De surcroît, elle prévoit la valorisation des déchets par le réemploi, leur recyclage ainsi que la mise en place d’un système de contrôle et de répression des infractions. Mais, le processus de mise en application des dispositions de cette loi est trop long, explique Mohammed Benjelloun. Il a fallu attendre entre 3 à 4 ans pour que les décrets d’application voient le jour, ajoute l’expert en environnement. Au demeurant, cette loi stipule que « les communes ou leurs groupements sont tenus d’établir, dans un délai fixé par voie réglementaire, un plan communal ou intercommunal de gestion des déchets (…)» (art 16). Et pour ainsi dire « il n’y a pratiquement aucun plan de déchets au niveau national », s’insurge ce militant écologiste. Parallèlement, un décret qui instaure les dispositions de base pour la mise en place de filières de valorisation de déchets, notamment des batteries usagées, des huiles usées et de matériel électrique et électronique, a vu timidement le jour. Néanmoins, la quasi-totalité du 1,5 million de déchets industriels et dangereux sont très souvent largués dans des décharges publiques sauvages ou encore dans des cours d’eau sans aucun traitement préalable. Du reste, le projet de Centre national d’élimination des déchets spéciaux (CNEDS) qui devrait être initié par le département de l’environnement, est, d’ores et déjà, confronté à d’énormes difficultés. Hérité de l’ancien « Plan national d’assainissement solide du Maroc »,qui prévoyait un investissement de 37 milliards de dirhams (de 2006 à 2021) pour l’amélioration de la gestion des déchets dans 400 centres, ce projet a été remis incessamment aux calendes grecques.

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ENVIRONNEMENT PLAN NATIONAL D’ASSAINISSEMENT LIQUIDE

LA GUERRE DES CHIFFRES Par : M.T.

Où en est-on en matière de mise en œuvre du programme national d’assainissement liquide (PNAL)? Face à une pluie de chiffres contradictoires, la copie officielle est loin d’être reluisante. Ce qui rend difficile toute évaluation à mi-parcours…

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aut-il faire confiance aux chiffres ministériels relatifs au PNAL? Voilà une question des plus épineuses qui mérite tout l’intérêt de la part des producteurs de statistiques. Car en se penchant sur les différents documents et publications des départements concernés, outre les réponses officielles, on se trouve face à une pluie de chiffres contradictoires. En effet, entre le ministère de l’Intérieur, celui en charge de l’Eau et celui de l’Environnement, les contradictions sont énormes. Avant même d’arriver aux réalisations, les différents départements ne s’accordent même pas sur les constats de départ. D’un côté, on déclare qu’à la veille du lancement du PNAL, en 2006, le taux d‘épuration des eaux usées était entre 7 et 8 %, de l’autre, on nous assure qu’il était à moins de 5 %. Ces divergences sont constatées également en ce qui concerne les résultats. De contradiction en contradiction. Le seul département de l’Eau affirme une chose dans un document pour dire son contraire dans l’autre. « Le Maroc compte actuellement quelque 75 stations d’épuration des eaux usées (STEP) fonctionnelles permettant d’atteindre un taux d’épuration de 34% », indique-t-il. Le même département avance dans un autre document que « le nombre

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de STEP fonctionnelles est passé de moins de 18 en 2005 à 90 STEP en 2014, (...) soit un taux d’épuration de 38% en 2014.» Qui dit mieux ?! Entre 75 et 90 STEP, l’écart est de 15 stations et entre 34 et 38% l’écart est aussi important. Et cela ne s’arrête pas là, lorsqu’on prend en compte les données élaborées par le ministère de l’Intérieur. Un document de la Direction de l’eau et de l’assainissement relevant de la direction générale des collectivités locales, datant du février 2013, indique que «les travaux étaient achevés dans 81 communes dont 73 STEP», et d’ajouter qu’en 2013 déjà, les travaux se poursuivaient dans 52 STEP (52 communes). Et quand bien même l’ensemble de ces stations auraient été réalisées en 2015, on restera tout de même sous la barre des objectifs fixés à cette échéance dans le cadre du PNAL. En effet, ce programme qui a bénéficié d’un appui financier de 3,83 milliards de dirhams rien qu’entre 2006 et 2012, prévoyait la réalisation de 159 stations d’épuration des eaux usées. Dans ces conditions, il est permis de douter de la véracité et de la rigueur des chiffres fournis par les divers départements ainsi que des méthodes de calcul retenues. Une situation pour le moins étonnante qui vient semer le doute sur les chiffres avancés quant aux autres plans de mise à niveau environnementale et remettre en surface les problématiques de la gestion transversale et pluri-céphaliques du dossier environnement? Avec deux départements sous la même tutelle, à savoir celle du ministère de l’Energie, se pose la lancinante question de la coopération entre les divers acteurs publics et des déchets ainsi générés. Dommage !


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FICTIONS ET PRIX FICTIFS GUERRE DES PRIX La guerre du pétrole a bien lieu. Mais loin des tablettes des géopoliticiens qui s’en sont fait une raison. Cette guerre là a choisi de déplacer son théâtre des opérations vers la scène littéraire. Des pays qui vivent de la rente multiplient les initiatives pour promouvoir la lecture dans le monde arabe. Sans réussir pour autant à changer en quoi que ce soit le désordre en cours. Les dés du marché sont pipés. L’offre ne crée pas la demande. Du Booker à Katara, une partie de poker menteur est engagée. Qui dit mieux!

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CULTURE PRIX LITTÉRAIRES ARABES

BOOKER MENTEUR

Par : Lamiaa Mahfoud

Qu’est-ce qui fait courir les romanciers arabes de grand talent ? Certainement pas les prix littéraires qui prêchent le faux à défaut de promouvoir une culture engagée et foncièrement authentique. Rien de plus normal à ce que des voix autorisées s’insurgent contre la dépréciation de valeurs sûres de la littérature arabe.

L

a scène intellectuelle arabe serait-elle condamnée à endurer une « traversée du désert » à l’heure où la logique du soft power déployée à grand renfort de pétrodollars semble prendre le dessus sur une réelle politique de promotion de la culture ? La question mérite d’être posée à l’heure où des joutes éclatent ici et là exprimant, en filigranes, le grand malaise qui se saisit de quelques vraies valeurs littéraires. Pour des penseurs qui n’ont plus rien à prouver, c’est « la prime à la médiocrité » qui est ainsi décriée depuis que « la malédiction des hydrocarbures » semble pourrir, il y a des lustres déjà, la scène arabe de la création. Renvoyant ainsi aux devant de la scène le constat, ô combien pertinent, des « Cités de sel » que le grand Abderrahman Mounif avait narré, avec une rare subtilité, dans sa célèbre saga golfique. Avant d’en remettre une couche avec une autre trilogie « Terre noire ». L’or noir empêche-t-il les vraies valeurs créatrices de briller des mille feux que l’espace arabe est en droit d’attendre ? En tout cas, le dernier Booker arabe qui a fait grand cas d’une œuvre romanesque tunisienne n’aura pas manqué de susciter bien des débats. En jeu, la pertinence du choix du jury réuni pour l’occasion. Abdelilah Belkziz, penseur marocain et romancier à ses heures perdues n’a pas manqué de remettre en cause le prix Booker lui-même qui reste, à ses yeux, peu crédible. Certes, Ahmed Al Madini, romancier marocain choisi pour l’occasion a été surclassé par Choukri Mabkhout, lui aussi universitaire et romancier. Mais le jugement de A. Belkziz ne serait pas mû par un quelconque tropisme « national » pour préférer Al Madini à Mabkhout plus qu’il n’est basé sur des critères objectifs. Le copinage et le clientélisme n’épargnent pas la scène intellectuelle arabe et finissent par déteindre sur les jugements critiques qui doivent rester au-dessus de tout soupçon. L’impartialité et l’objectivité passent à la trappe face à d’autres considérations qui, bien des fois, prennent des allures bassement mercantiles lorsque les éditeurs se retrouvent, eux aussi, dans la mêlée. Et bien entendu, ce qui vaut pour le Booker, prix d’Abou Dhabi, vaut aussi pour l’autre distinction, Katara en

l’occurrence, que Doha promeut à bourse déliée. Ce dernier prix aligne sur la table pas moins de 650.000 dollars… Si le prestige de ces distinctions se mesure à l’épaisseur des liasses de billets verts distribuées, force est de souligner que les critiques arabes persistent à ne jurer que par le prix Mahfouz lancé par l’Université américaine du Caire depuis 1996. Voilà une distinction qui s’inscrit dans une vraie démarche de promotion de la littérature romanesque arabe loin des bouillons insipides servis par les nouveaux magistères de la création promus par les Etats golfiques. Khalil Suwayleh, romancier égyptien a réussi à mener une enquête assez révélatrice des liens avilissants que les promoteurs du soft power golfique tentent de tisser sur la toile arabe. Attitude qui rejoint le constat établi par le romancier syrien Khalil Al-Neimi. Tout au plus est face à « une avilissante foire aux enchères ». Celle qui dévoie les talents, jeunes ou moins jeunes, en fixant aux uns comme aux autres la recette du succès : sexe, terrorisme, dépravation des mœurs… Faut-il y voir une aubaine pour l’éclosion de talents à même de prétendre à une consécration internationale comme ce fut le cas pour Naguib Mahfouz ? Rien n’est moins sûr… Tout au plus cette multiplication des prix sert-elle le prestige de ses promoteurs. Ce qui rejoint la case des « cartes politiques » qu’ils ont en main pour faire parler d’eux. Alors que leurs propres créateurs sont poursuivis pour un oui ou pour un non. Comme quoi, rien n’échappe désormais aux manœuvres politico-diplomatiques qui affectent jusqu’à ce que l’âme arabe a de plus pur : l’expression de son ressenti. Que reste-t-il de vertueux dans tout ce chari-vari prétendument culturel ? Les réponses qui se bousculent n’ont d’autres déclinaisons que la liberté d’expression, mise à mal dans de nombreuses contrées arabes, et l’étiolement de l’électorat face au dopage que procurent les chaînes satéllitaires dont l’embrigadement n’est plus à démontrer. Bref, le lavage des cerveaux n’est pas une invention du terroir. Mais son adoption n’en finit pas de faire des victimes. Daech a de beaux jours de terreur devant lui.

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CULTURE ANGELA DAVIS, UNE VIE DE LUTTES

JUSTES CAUSES Par : L.M

A 71 ans, Angela Davis n’a pas perdu sa foi en le combat pour les justes causes. Son parcours est couronné par une lutte sans merci contre le système carcéral, une des réminiscences du système esclavagiste. Une démarche intellectuelle assez singulière pour une universitaire qui rêve toujours de liberté.

S

ous la présidence de Barak Obama, premier noir américain à squatter la Maison Blanche deux mandats durant, le racisme n’a pas disparu. Il y a un an, les brutalités policières envers des Noirs aux USA avaient défrayé la chronique. Brutalités qui n’en finissent pas. Les derniers développements intervenus dans le cas d’Eric Garner, afro-américain de 43 ans tué le 17 juillet 2014, sont symptomatiques des dérives d’une société éclatée. Le policier « blanc » qui avait À L’INSTAR DE N.MANDELA, NOUS asphyxié ce père de famille a été innocenté et « le dossier » lié à DEVONS AVOIR LA VOLONTÉ «l’homicide » constaté par le légiste a été D’ENTREPRENDRE LA LONGUE «bouclé » moyennant 5,9 millions de dollars MARCHE VERS LA LIBERTÉ. accordés par la ville de New York à la famille de la victime. Mais ce serait illusoire de croire qu’un tel dénouement est capable de tirer un trait sur un phénomène aussi malsain qu’éruptif. Profondément enraciné dans le déclassement social que le système capitaliste de « l’Empire » charrie dans 84

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son sillage. Mais bien au-delà de cette violence qui explose à la face du monde via la médiatisation, il est d’autres batailles « contre l’esclavagisme des temps modernes » dans lesquels s’engagent des militants US de la trempe d’Angela Davis. Pour cette battante, « même si des personnes noires ont conquis des positions hiérarchiques au niveau économique, social et politique (l’exemple le plus flagrant étant l’élection de Barack Obama en 2008), le racisme dont la grande majorité de la population noire est victime au niveau économique, carcéral et dans le système éducatif est bien plus important aujourd’hui qu’avant le mouvement des droits civiques. Les revendications du programme des Black Panther sont aussi pertinentes à l’heure actuelle, si ce n’est plus, que dans les années 1960 lorsqu’elles ont été formulées pour la première fois. » Cette égérie du « mouvement noir » américain, née en 1944 en Alabama, ne se contente pas uniquement d’enseigner à l’Université de Santa Cruz (en Californie) plus qu’elle n’assume, infatigable, son rôle de figure de proue du Mouvement des droits civiques américains. En mai dernier, elle n’a pas hésité à faire un déplacement à Nantes, ex-premier


port négrier français, pour commémorer l’abolition de l’esclavage. « J’apprécie que la ville de Nantes n’ait pas tenté de cacher le rôle qu’elle a joué durant cette période de l’histoire », a-t-elle signifié. Rappelant, au passage, qu’une large part de la prospérité nantaise repose sur la traite négrière. Des enjeux de mémoire et de justice pour lesquels cette activiste se bat maintenant depuis des décennies. Féministe, communiste, membre des Blacks Panters, elle eut à subir les foudres du puissant FBI que J. Edgar Hoover avait placé en tant que locomotive dans la lutte contre les mouvements progressistes à l’intérieur des Etats-Unis. La fameuse « chasse aux sorcières » orchestrée par cette puissance institution qui a fait sienne « la démarche maccarthiste », broyant au passage des milliers d’intellectuels, elle en connaît un bout. Elle qui, en 1970, fut accusée de meurtre dans un attentat visant à libérer des prisonniers politiques Afro-américains, les « Soledad Brothers », cavale et devient l’une des personnes les plus recherchées par le FBI. Inculpée par l’État de Californie, en janvier 1971, de meurtre, d’enlèvement et de conspiration, crimes passibles de la peine de mort, elle ne doit sa liberté qu’à l’exceptionnel mouvement de solidarité qui s’est spontanément créé. Un modèle d’organisation militante qui fit vibrer le monde entier autour d’un slogan : « Free Angela ». Cette opposante à la guerre du Vietnam, comme à la campagne US en Irak, ne cache pas ses engagements en faveur de la cause palestinienne. Proarabe? Rien d’étonnant dans la démarche d’une militante qui fait siennes toutes les causes justes. « Je pense qu’il est tout à fait justifié que les populations du monde arabe nous demandent d’empêcher nos gouvernements de mettre en place et de soutenir des régimes répressifs, et tout particulièrement Israël. La soi-disant « Guerre contre la terreur » a fait d’inestimables dégâts dans le monde, parmi lesquels l’intensification du racisme anti-musulman aux États-Unis, en Europe et en Australie. Et nous, progressistes du « Nord global », n’avons certainement pas reconnu et assumé nos responsabilités dans la perpétuation des attaques idéologiques et militaires contre les populations du monde arabe », explique-t-elle. A ses yeux, « les vraies problématiques de la lutte palestinienne pour la liberté et

l’auto-détermination sont rendues invisibles par ceux qui, usant du terrorisme, portent la résistance palestinienne au même niveau d’horreur que l’apartheid israélien ». Lors d’un passage à Londres, elle n’a pas hésité à animer une conférence mêlant « dossier palestinien, G4S (entreprise de sécurité britannique) et système carcéral qu’elle cible particulièrement en prévision de son démantèlement. « G4S a insidieusement profité des soi-disant menaces sécuritaires et des politiques sécuritaires imposées par les États pour s’infiltrer dans la vie des populations du monde entier, et plus spécialement en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Palestine. Cette société, qui est la troisième plus grande entreprise privée du monde derrière Walmart et Foxcomm, et le plus grand employeur privé du continent africain, a appris à profiter du racisme, des politiques anti-immigration et des technologies de sanction en Israël et partout dans le monde. G4S est directement responsable des conditions d’incarcération des prisonniers politiques palestiniens, des prisons en Afrique du Sud, de la nature quasi carcérale de certaines écoles aux États-Unis, du mur d’apartheid en Israël/ Palestine et du mur de séparation sur la frontière entre le Mexique et les ÉtatsUnis. Et, bizarrement, nous apprenons lors de cette rencontre à Londres, que G4S gère également des centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle en Angleterre. En compagnie d’un groupe d’Indiens d’Amérique et de femmes de couleur, universitaires et activistes, A. Davis a fait un déplacement en Palestine en juin 2011 où elle a été traumatisée par ce qu’elle a constaté. « Bien que nous fussions déjà tous engagés dans le mouvement pour la justice en Palestine, nous avons été profondément choqués par ce que nous avons vu et avons décidé d’encourager nos différents groupes à rejoindre le mouvement BDS et à intensifier la campagne de lutte pour une Palestine libre. Certains d’entre nous ont plus récemment réussi à faire passer une résolution exhortant l’American Studies Association à participer au boycott académique et culturel d’Israël. D’autres ont œuvré pour le passage d’une résolution par la Modern Language Associationvisant à censurer Israël pour avoir refusé l’entrée en Cisjordanie à des universitaires qui voulaient faire des recherches

et dispenser des cours dans des universités palestiniennes. » Et d’ajouter que « de nombreux moyens de résistance pour les populations opprimées — la loi internationale stipulant même qu’il est possible de résister par la lutte armée » ne sont pas à dédaigner. Dès lors, il ne sert à rien de baisser la garde. « Tout comme le combat contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud a fini par devenir une des préoccupations premières d’une grande majorité des mouvements de lutte pour la justice dans le monde, la question palestinienne doit devenir la priorité de tous les mouvements progressistes aujourd’hui. On a eu tendance à considérer la Palestine comme une question à part et, malheureusement, souvent marginale. Le moment est venu d’encourager tous ceux qui croient en l’égalité et la justice à se joindre à la lutte pour libérer la Palestine », assure-t-elle. A. Davis une grande militante aussi de l’espoir. Eternelle optimiste, elle affirme du haut de ses 71 ans que « nos luttes mûrissent, grandissent, produisent de nouvelles idées, font surgir de nouvelles problématiques et de nouveaux terrains sur lesquels nous devons mener notre quête de liberté. À l’instar de Nelson Mandela, nous devons avoir la volonté d’entreprendre la longue marche vers la liberté. »

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CULTURE LA BATAILLE DE L’IJTIHAD EN TUNISIE

LE COURAGE DE MOHAMED TALBI

M

LA RÉÉDITION DE L’OUVRAGE DE MOHAMED TALBI “L’ISLAM N’EST PAS VOILE, IL EST CULTE” EST D’UNE ACTUALITÉ BRÛLANTE EN TUNISIE EN PROIE À LA LUTTE CONTRE LE DJIHADISME TERRORISTE. CETTE RÉÉDITION, REVUE, AUGMENTÉE ET CORRIGÉE PAR L’AUTEUR A ÉTÉ PRÉFACÉE PAR PR BACCAR GHERIB.

M. TALBI FAIT PARTIE DE CES INTELLECTUELS TUNISIENS QUI REJOIGNENT, DANS LEUR COURAGE, LA SHORT LISTE DES PENSEURS ARABES À AVOIR BRAVÉ « LES INTERDITS » 86

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Par : B.G

ohamed Talbi vient récemment de défrayer la chronique en déclarant que, de son point de vue, le Coran – et donc l’Islam – n’interdisait pas la consommation du vin et des boissons alcoolisées. Or, au-delà de l’aspect anecdotique de la question soulevée et de son piètre traitement médiatique par nos journalistes, qui est demeuré au ras des pâquerettes, peu de commentateurs ont réalisé que, en lançant ce pavé dans la mare, M. Talbi soulevait un problème de fond aux formidables enjeux culturels et politiques. Car en prenant position sur la question de la licéité du vin et en argumentant sur la base du Coran, il a fait irruption en tant qu’intellectuel dans la chasse gardée, le domaine réservé, des hommes de religion. Mieux, et de manière plus profonde, en s’arrogeant le droit d’interpréter le Coran et en écartant clairement la Chariâa comme source de législation et/ou de la morale islamiques, il pose de manière aiguë la question du rapport de la religion à l’histoire.

INTELLECTUEL ET IJTIHÂD Ainsi, on ne peut ignorer les conséquences salutaires du premier aspect de la position affichée par M. Talbi, à savoir l’irruption des intellectuels sur le terrain de l’interprétation du texte religieux. Car, s’il y a une quasi-unanimité à relier la décadence de la civilisation islamique à l’arrêt de l’effort d’interprétation des textes religieux (ijtihâd) en vue de répondre aux problèmes soulevés par la vie sociale, on ne s’est jamais vraiment penché sur les modalités de la reprise de cette activité nécessaire à l’évolution philosophique, juridique et morale de sociétés qui, pour différentes raisons, demeurent fortement attachées au référent religieux. En effet, nous pensons qu’un tel exercice ne peut plus être dévolu aux hommes de religion pour au moins deux raisons. D’abord, parce que des hommes élevés dans une tradition vouée à la défense des dogmes peuvent difficilement s’en émanciper et penser au-delà de ce qui leur a été inculqué – et on ne soulignera pas assez, à ce niveau, les mérites intellectuels d’un Tahar Haddad qui a su révolutionner l’approche de la religion tout en étant zeitounien de formation. Ensuite, parce que l’interprétation du texte religieux à la lumière des demandes et des contraintes de nos sociétés, aujourd’hui, exige une ouverture sur l’univer-


sel et une bonne maîtrise des méthodes et des problématiques de la pensée et des sciences sociales contemporaines. D’ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, que l’extraordinaire avancée en matière de droit et de mœurs qu’a représentée la promulgation du Code du Statut Personnel pour notre société, il y a bientôt soixante ans, a été le fruit de l’engagement d’un leader et d’une élite politique nourris de principes universels, allié à un effort d’interprétation présentant la réforme comme venant de l’intérieur même du système religieux. Une approche qui a su mettre en acte la méthode lumineuse exposée par Tahar Haddad, vingt-sept ans plus tôt, dans son audacieux « imra’atuna fi al-chariâa wa al-mujtamaâ ». Une méthode qui consiste à souligner la forme graduelle prise par la révélation au long des vingt-deux ans qu’elle a duré et à postuler le recours au même gradualisme pour justifier les réformes contemporaines, une fois identifiée la voie indiquée par la révélation.

INTERPRÉTATION ET HISTOIRE Cette approche est, par ailleurs, magnifiquement reprise et reformulée par Mohamed Talbi lui-même dans son « Plaidoyer pour un Islam moderne » quand il rappelle que « l’évolution, depuis la Jâhiliyya, en passant par la période du prophète jusqu’à nos jours, n’est pas une droite dont on ne connaît pas le sens. C’est une droite bien précise tel un vecteur. Dieu a créé l’homme, lui a tracé le chemin, et l’a doté de raison en le chargeant de continuer la marche dans cette direction » (149). Il s’agit là d’une invitation à poursuivre l’effort d’interprétation sur la voie indiquée par le Coran, celle, notamment, de l’égalité entre les hommes et de leur liberté. Or, en plus de fonder la légitimité de l’ijtihâd d’aujourd’hui, cette approche montre le nécessaire dépassement de celui d’hier et la caducité de la Chariâa. Celle-ci, élevée aujourd’hui au rang d’un dogme qui hante les vivants et les aliène, s’avère être ainsi une œuvre éminemment historique et terrestre ou, pour parler comme les juristes, du droit positif, élaborée à un moment donné de l’histoire pour d’évidents besoins de légiférer sur la base de sources religieuses qui n’avaient presque rien dit ou alors si peu en matière de droit. Est-il besoin d’ajouter, et indépendamment de la question de l’authenticité du corpus sur lequel elle se base, que cette œuvre porte clairement les marques des problèmes politiques, économiques et sociaux de l’époque de son élaboration et, par-dessus tout, de sa mentalité ? C’est d’ailleurs par son éviction de la Chariâa du référent du musulman contemporain que Talbi porte un coup

très dur à la tradition et qu’il ouvre par là même un large espace pour une interprétation du Coran qui puisse réconcilier la foi du musulman avec les exigences et les contraintes de la société de son temps. Ce faisant, il aura fait pour la morale, ce que Hichem Djaït avait fait pour l’analyse historique : ne retenir que le Coran comme référent digne de foi. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de la levée de boucliers et de la vague d’indignation que suscite cette approche et de toutes les tentatives de décrédibiliser voire ridiculiser son auteur. Car il ne sera pas facile d’évincer du référent des musulmans cette construction qui habite leur imaginaire depuis douze siècles et encore moins d’arracher la légitimité d’interpréter le Coran, jusqu’ici chasse gardée des hommes de religion, leur raison d’être et de vivre. Pourtant, le maintien de l’Islam comme religion vivante, évoluant en harmonie avec les hommes et les sociétés qui la portent, passe inévitablement par des tentatives similaires à celles de Mohamed Talbi, déstabilisant la tradition, mettant en question les dogmes et arrachant des champs de plus en plus larges à l’effort de réflexion et d’interprétation. En cela, il mérite non seulement d’être soutenu, mais sans doute également d’être suivi.

CONTRE DAECH

SALMAN RUSHDIE RÉAGIT

« Il y a un refus de comprendre deux choses. D’une part, nous vivons la période la plus sombre que j’aie jamais connue. Ce qui se passe en ce moment avec Daech est d’une importance colossale pour l’avenir du monde. D’autre part, l’extrémisme constitue une attaque contre le monde occidental autant que contre les musulmans eux-mêmes. C’est d’abord une prise de pouvoir, une tentative d’imposer une dictature fascisante à l’intérieur même du monde islamique. Qui étaient les premières victimes des ayatollahs d’Iran ou des talibans ? Qui fait-on souffrir en Irak aujourd’hui ? Ce sont avant tout des musulmans qui massacrent d’autres musulmans. On a beau jeu d’incriminer les drones américains, mais pour chacun de ces missiles on dénombre mille attaques et attentats commis contre des individus et des mosquées par des djihadistes. Lors de l’affaire des Versets sataniques, les partisans des ayatollahs menaçaient d’abord, à Londres ou ailleurs, ceux qui n’approuvaient pas la fatwa lancée contre moi. Ce qui revient à dire qu’attaquer les extrémistes ne signifie pas attaquer la communauté musulmane. Il faut savoir pour quoi on se bat. Combattre l’extrémisme, je le répète, n’est pas combattre l’islam. Au contraire. C’est le défendre (…) J’observe que ce mouvement n’est plus vraiment arabe. Il rassemble des individus venus de Tchétchénie, d’Australie, du monde entier. J’ai écrit, longtemps avant les événements actuels au Moyen-Orient, que le radicalisme religieux irradiait une sorte de «glamour». Offrez une kalachnikov et un uniforme noir à un jeune sans le sou, sans emploi, désespérant de pouvoir un jour fonder une famille, et soudain vous conférez un pouvoir à celui qui se sent vulnérable et défavorisé. Mais à ce sentiment d’injustice s’ajoutent aussi les discours haineux tenus dans les mosquées radicales. Plus simplement, cette toute-puissance convient aussi aux psychopathes. Beaucoup de ces volontaires ne vont là-bas que pour le plaisir de tuer. » In « L’Express » N° 3343 du 28 juillet 2015

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CULTURE J. JAURÈS ET « LA QUESTION MAROCAINE »

UN AVOCAT DE LA LIBÉRATION Par : L.M

Sans être un « anticolonialiste radical », Jean Jaurès s’est opposé entre 1903 et 1913 à l’établissement du protectorat français sur le Maroc. Si l’appréhension d’un conflit ouvert avec l’Allemagne sur « la question marocaine » n’est pas à minorer, il a critiqué, de plus en plus nettement, la politique de domination coloniale, et proposé de tendre la main aux forces de progrès au sein du monde musulman.

L’

ampleur de la transformation intellectuelle de Jean Jaurès n’allait mieux s’exprimer qu’au milieu des années 1890. C’est l’époque durant laquelle Jaurès a tenté de définir une attitude des socialistes à l’égard des questions coloniales. En disciple de Jules Ferry, il saisit les enjeux pour la paix, mais pas encore celui du respect des peuples. De 1903 à 1912, la question marocaine allait le mobiliser au point de jouer un rôle majeur dans son itinéraire politique, un cheminement qui le conduit à l’anticolonialisme. Elle lui a également donné beaucoup d’espoir dans le règlement pacifique des conflits. Telles sont les idées principales défendues par Rémi Fabre dans le livre publié récemment par la Fondation Jean Jaurès sous le titre fort évocateur : «Jaurès et le Maroc, un long combat pour la paix et le droit des peuples ». L’opus qui met en évidence le parcours de ce leader historique du socialisme français rappelle que dès 1903, Jaurès s’intéressa au Maroc, à l’occasion des opérations militaires déclenchées contre des tribus nomades suite à la mort de 38 soldats français à El Mounyar. Le leader socialiste pensait alors au danger de conquête appuyée par un parti militaire. Il préfère défendre une « pénétration pacifique » de la France,

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consistant en la construction de routes, d’écoles, etc. Le gouvernement clame la légitime défense, et Jaurès reconnaît qu’il faut des mesures de répression. Il reconnaît également que malgré des abus, la colonisation de l’Algérie et de la Tunisie a eu des effets bénéfiques. Il change vite de position en découvrant les exactions militaires et les conséquences éventuelles sur les relations extérieures de la France. Entre 1902 et 1904, alors que la diplomatie française était pilotée par Delcassé, Paris chercha l’aval du Royaume-Uni et de l’Italie pour la pénétration du Maroc. Même en sa qualité de vice-président de la chambre des députés et l’un des inspirateurs du gouvernement Combes, Jaurès n’avait pas connaissance des traités secrets passés entre la France et l’Italie et entre la France et l’Espagne sur le partage des zones d’influence au Maroc et en Libye. L’accord de 1904 donne l’aval des Britanniques à la France pour son incursion au Maroc. Jaurès salue l’accord en ce qu’il représente un pas vers la paix en Europe, mais il a peur qu’il se fasse au détriment des Allemands. Enfin, il critique l’accord financier de 1904 entre le gouvernement et le sultan, obligeant ce dernier à augmenter les impôts de son peuple.


A l’occasion de la crise de Tanger, il milita en faveur d’une conférence internationale témoignant ainsi d’une évolution dans la perception qu’il avait de la politique de « pénétration pacifique » au Maroc. C’est l’internationalisation de « la question marocaine » qui était privilégiée pour servir de « laboratoire de l’entente entre les peuples ». Si Jaurès se réjouit de l’accord d’Algésiras de 1906, il se dresse contre la reprise de la poussée conquérante de la France. Dès 1907, des rébellions se déclenchent contre le sultan et les Français au nom de l’islam. En juillet de la même année, neuf ouvriers dont trois Français sont tués par une foule à Casablanca. En représailles, un navire bombarde la ville, ce qui fait près de 1500 morts. Des militaires débarquent et conquièrent les environs de Casablanca. Une guerre civile se poursuit et, finalement, le chef des rebelles Moulay Hafid est reconnu comme nouveau sultan. Jaurès s’indigne contre cette politique qui va à l’encontre du pacte d’Algésiras. Il propose une réponse de police internationale mais se rétracte après l’opposition des socialistes allemands. Entre 1908 et 1911, une accalmie militaire se fait sentir. Les dimensions diplomatiques et financières passent au premier plan. Un désaccord allemand est réglé par arbitrage international, ce qui est salué par Jaurès. Français et Allemands associent leurs forces dans de grands consortiums pour l’exploitation des ressources du Maroc. Ce dernier aspect est fustigé par le chef socialiste qui y voit une infamie. Les Français ne se retirent pas militairement. Ils imposent un emprunt au sultan, ce qui revient à le rendre financièrement vassal, sachant que ses ressources économiques sont également dans le giron de la France. Cette vassalisation entraîne un regain de tension au sein du peuple marocain et une révolte. Jaurès reste tout de même persuadé que le sultan reste détenteur d’une légitimité. Au printemps 1911, les militaires sont favorables à une extension rapide de la domination française. Le nouveau gouvernement accorde les renforts réclamés par l’armée. Celle-ci marche sur Fès, la capitale, à la demande du sultan. En réalité, l’expédition était déjà prévue de longue date. Jaurès affirme que tout cela est le résultat d’une politique d’étranglement par la France, préparant l’anarchie. L’occupation de Fès déclenche l’arrivée d’un navire de guerre allemand en rade d’Agadir. Jaurès défend le retour à l’acte d’Algésiras. L’Allemagne reconnaît cependant le droit de la France de s’installer au Maroc, en échange d’une partie du Congo français. Jaurès se sent dupé. En réalité, le Maroc « international » de 1905 n’était qu’un moyen transitoire de conquête du pays, pour ne pas trop vite froisser l’Allemagne. Il

dénonce les traités secrets et fustige toute forme de colonisation. Le traité établissant le Protectorat est signé avec le sultan Moulay Hafid le 28 juin 1912. S’ensuivent une grande révolte et une répression de même intensité. Jaurès s’oppose au droit de la France à coloniser et défend l’indépendance des Marocains. Il est lui-même attaqué par les journaux proches des milieux diplomatiques et politiques comme Le Temps. Ils l’accusent d’avoir retourné sa veste par rapport à ses propos favorables à une « pénétration pacifique » de 1903. Ils lui reprochent aussi d’avoir entravé le rapprochement franco-allemand. Sur ce dernier argument, Jaurès s’était illustré par sa conviction qu’un capitalisme international contrôlé par l’opinion peut être source de paix. Au final, Jaurès est persuadé que le Maroc n’a pas à être sacrifié sur l’autel de la paix européenne. Il pense que ces deux causes sont solidaires et que la réconciliation franco-allemande ne se fera pas sur les dépouilles de l’Afrique. Caricaturé en marocain et vilpendé pour son engagement anticolonial, Jaurès n’a pas bougé d’un iota dans ses convictions quant à la grandeur des autres civilisations assujetties par les campagnes coloniales. Le 17ème volume de ses œuvres intitulé « Le pluralisme culturel » (paru en 2014) est révélateur d’un tel engagement. Un engagement qui allait prendre une autre dimension lors du congrès de l’Internationale à Amsterdam incitant les socialistes français à «s’opposer irréductiblement à toutes les expéditions coloniales ». PERSPECTIVES MED

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CULTURE OMAR SHARIF S’EST ÉTEINT

L’EGYPTE PERD SON CÉSAR Par : L.M

C’est l’immense Youssef Chahine qui allait mettre sur orbite un des plus grands acteurs du cinéma mondial Omar Sharif. L’acteur égyptien s’est éteint alors que son pays est en proie à une guerre contre le terrorisme islamiste. Lui qui avait immortalisé la fougue des Arabe pour l’émancipation de l’emprise ottomane…

L

a disparition du mythique Omar Sharif, inclassable acteur égyptien, rappelle aux cinéphiles la fantastique fresque que David Lean livra au public en 1962 : « Lawrence d’Arabie ». Car c’est en campant le rôle de Sharif Ali Ibn El Kharich, vaillant bédouin lié au sulfureux agent britannique, talentueusement joué par Peter O’Toole, que la star égyptienne allait briller de tous ses feux dans le ciel du 7ème art. Le fils d’Alexandrie, né en 1932 dans une famille d’origine libanaise (les Chalhoub de Zahlé), allait finir ses jours au Caire, au bord du Nil, après avoir écumé nombre de continents. Sa vie est aussi complexe que l’est ce Machrek où Joseph Chalhoub, élevé dans le rite grec-catholique melkite, s’est reconvert à l’islam pour épouser l’amour de sa vie, Faten Hamama. Un couple d’artistes hors pair qui allait tenir la production filmique égyptienne en haute estime dans le monde arabe. L’artiste connu pour être un polyglotte n’avait pas la langue dans la poche… En janvier 2011, il s’était joint aux masses égyptiennes qui demandaient le départ du Raïs Moubarak. Lui qui redoutait, et il l’avait fait savoir, la montée en puissance des Frères musulmans. Pour les nostalgiques, « Lawrence d’Arabie » est d’une actualité brûlante à l’heure où l’espace arabe est traversé par des miasmes d’instabilité qui renvoient aux accords de Sykes Picot qui avait dessiné les frontières d’un échiquier sur lequel jouaient deux puissances coloniales du début du 20è siècle : la Grande Bretagne et la France. Que l’on se souvienne que c’est à l’âge de 26 ans que l’avenir allait sourire à Omar Sharif, nom que lui donna son mentor Youssef Chahine, en jouant dans « Le démon du désert». Avant de récidiver, deux années plus tard, avec le même immense cinéaste, en campant le rôle principal dans « Les eaux noires»... face à F. Hamama. Présenté au Festival de Cannes, le film lui valut ses premières 90

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louanges. Et le propulsa au faîte de la gloire aux yeux de nombreux cinéastes mondiaux. « La châtelaine du Liban » de Richard Pottier (1956), « Le docteur Jivago » de David Lean (1965), avec un Golden Globe à la clé« La nuit des généraux » d’Anatole Litvak (1967), « Mayerling » de Terence Young, « Funny Girl » de Willial Wyler (1968)… Que de gloire pour le fils du Nil pour qui rien ne résiste, par même les films western « Mackenna’s gold » de J Lee Thompson (1969), «Les Possédés» d’Andrzej Wajda (1988). Bien entendu, l’acteur égyptien qui tenait le haut de l’affiche s’est démarqué aussi dans le cinéma égyptien où il joua des rôles dans pas moins de 26 films. Une carrière des plus riches qui allait se bonifier avec le temps, lui qui réussissait à n’en faire qu’un avec les personnages qu’il jouait de Che Guevara à Gensis Khan. Après une éclipse qui s’explique sans doute par le train de vie qu’il menait, et le chagrin qui allait suivre son divorce d’avec F. Hamama (ce qui le poussa encore à renouer avec le christianisme), il allait rempiler en jouant dans d’autres productions cinématographiques qui fleurent bon les gros budgets, comme ce fut le cas dans « Le 13e Guerrier » de John McTiernan et « Hidalgo » de Joe Johnson, que dans des films opposés au diktat des blockbusters. « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran » de François Dupeyron, sanctionné par un César et, pour le fun, «Rock the Casbah » de Laïla Marrakchi (2013), film marocain qui allait consacrer sa dernière apparition sur le grand écran. Comptant parmi les meilleurs joueurs de bridge au monde, grand amateur de courses hippiques et grand épicurien devant l’Eternel, O. Sharif qui assumait le rôle de «SDF de luxe» dans la vraie vie, habitué plus des grands palaces de France et d’Amérique où il avait ses habitudes, n’a retrouvé les siens qu’au soir de sa vie. Affaibli par Alzeihmer, il succomba le 10 juillet à une crise cardiaque.


DAECH N’ÉPARGNE RIEN EN SYRIE Contre Assad, tout semble permis pour les djihadistes du prétendu Etat islamique d’Al-Baghdadi. Ainsi, le lion de Palmyre, célèbre statue qui se situe à l’entrée du musée historique de la cité antique, a essuyé les foudres de Daech. Cette organisation terroriste qui entend mettre à genoux le régime syrien se contente, à défaut, de dynamiter l’autre Assad que compte le patrimoine syrien. Le lion en question est une statue de 3,5 mètres et pesant 15 tonnes. Faite en calcaire et datée du 1er avant J.C , elle n’a été découverte, en très mauvais état, qu’en 1977.

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CULTURE C. QUIGLEY DÉCORTIQUE L’OLIGARCHIE ANGLO-AMÉRICAINE

SYNDROME DE LA CONSPIRATION Par : L.M

Le monde serait gouverné par un puissant lobby tapi dans l’ombre. Les théories de la conspiration n’ont jamais déserté le haut du pavé. Faut-il en douter ? C. Quigley, politologue US, se penche sur l’oligarchie angloaméricaine qui cible la direction du monde. Un livre décapant.

«

L’Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine », de Caroll Quigley, livre publié et traduit pour la première fois en langue française, tente de démêler l’inextricable écheveau de groupes et de familles divers qui, depuis leur apparition à la fin du XIXe siècle, n’ont cessé de gagner en influence, adossés aux cartels bancaires et financiers mondiaux. Paru aux Etats-Unis en 1981, quatre ans après la mort de son auteur – selon ses vœux – l’ouvrage décrit par le menu le rôle déterminant d’une aristocratie bourgeoise anglaise qui, en étroite relation avec les élites US, a mis en place un ensemble interconnecté d’organismes, plus ou moins secrets, dans le but de promouvoir un nouvel ordre mondial. Quigley qui enseignait les relations internationales à l’université de Georgetown apporte, dans son opus, des informations de première main sur cette caste aux idéaux de laquelle il était pleinement acquis. Rien de plus normal puisqu’il disposait d’un accès privilégié aux innombrables archives du groupe faites de lettres, rapports, notes,…). N’empêche, le professeur émérite ne reste pas moins critique à l’endroit des méthodes de ces groupes jugées par trop peu démocratiques. Le politologue, dont Bill Clinton

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fut un des étudiants, retrace la généalogie du monde actuel, dont la société secrète de Cecil Rhodes, richissime homme d’affaire (fondateur du Zimbabwe actuel, ex-Rhodésie) et son successeur, le franc-maçon Alfred Milner, constituent toujours les piliers indestructibles. Ces hommes ne cherchaient pas moins que de fonder « une Eglise pour l’expansion de l’Empire britannique ». Pierre Hillard s’interroge, dans l’avant-propos synthétique, sur les causes qui ont conduit le seul monde anglo-saxon à être le réceptacle de cet idéal messianique de gouvernement mondial. S’adossant à des sources insoupçonnables – car provenant des protagonistes eux-mêmes – l’universitaire met en exergue l’opportun rapprochement opéré au XVIIe siècle entre le puritain Oliver Cromwell – qui abrogea la mesure d’expulsion des Juifs d’Angleterre datant de 1290 – et la puissante communauté marrane – Juifs faussement convertis au catholicisme – des Pays-Bas (alors Provinces-Unies). «Cette bascule spirituelle et politique avec ses conséquences économiques en faveur du judaïsme talmudique est le cœur nucléaire de la philosophie mondialiste », dont l’ouvrage de Quigley répercute en évoquant des alliances judéo-protestantes du même type. La lecture de l’opus, rendue fastidieuse pour la quantité de patronymes, connus et inconnus, qui émaillent ses pages, confirme sa qualité de traité de science politique faisant grand cas de la famille mondialiste. Alors vivement la sortie de l’autre classique de Quigley, « Tragédie et espoir », paru en 1966, qui retrace la trajectoire philosophique et politique du monde depuis 1914 au sein de la nébuleuse mondialiste décrite dans «L’Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine».


UN MANUSCRIT DU CORAN À BIRMINGHAM

SACRÉE TROUVAILLE !

Une des plus anciennes versions manuscrites du Coran, qui remonterait à la fin du VIe siècle ou au début du VIIe, a été découverte dans la bibliothèque de l’Université de Birmingham. Les feuillets manuscrits étaient conservés depuis près d’un siècle au sein d’une collection de livres et de documents du Moyen-Orient, sans que personne ne soupçonne leur ancienneté. C’est lorsqu’une chercheuse, l’Italienne Alba Fedeli, s’est penchée sur le texte pour sa thèse de doctorat que l’université a décidé de réaliser une datation au carbone 14. « Le résultat est surprenant », explique David Thomas, spécialiste dans cette université de l’islam et du christianisme. L’analyse a permis d’aboutir à la conclusion que le manuscrit avait été écrit entre 568 et 645 de notre ère, avec un degré de certitude de 95,4%. Or, d’après la tradition islamique, le prophète Mahomet a vécu entre 570 et 632. « L’analyse du parchemin montre qu’il y a une forte probabilité que l’animal dont provient la peau vivait du temps du prophète Mahomet ou peu de temps après », ajoute David Thomas. Des versets des chapitres ou sourates 18 à 20, écrits à l’encre en hijazi, un style calligraphique arabe ancien, sont reproduits dans ce manuscrit qui, selon Alba Fedeli, provient du même codex que des feuillets conservés à la Bibliothèque Nationale de France à Paris. Une exposition du manuscrit est programmée à l’Université de Birmingham du 2 au 25 octobre.

ORAN DANS L’OBJECTIF DE F. BOUDA

ESPACE DE SOUMISSION Lorsqu’un photographe de la trempe de Ferhat Bouda piste, à Oran, l’écrivain et journaliste Kamel Daoud, prix Goncourt 2015 du premier roman pour «Meursault, contre-enquête», miroir de «l’Etranger» de Camus, le résultat s’avère des plus saisissants. Sortant l’intellectuel algérien, sous le coup d’une fatwa depuis décembre 2014, de son silence pour commenter un instantané pris sur le vif. «La prière dans la rue. Mauvais souvenirs des années 1990. A l’époque de gloire des islamistes. Là, la rue est prise, tournée, sommée et obligée par le sacré ; elle n’est plus espace public mais intimité religieuse. La rue est un enjeu : le régime l’interdit à l’expression de la liberté et les religieux en font un espace de soumission. L’ostentatoire est une prédation de l’espace public. La rue est interdite aux marcheurs mais pas aux prieurs. Elle est interdite aux hommes qui protestent, mais ouverte aux hommes qui se prosternent. »

L’Association « Le Printemps de l’Art Mogador » tient le salon d’art contemporain du 7 au 10 août avec l’exposition des créations de pas moins de 80 artistes. Soutenue par le ministère de la Culture, cette exposition où peinture le disputera

ART CONTEMPORAIN

FÊTE DES COULEURS À ESSAOUIRA

au dessin, à la calligraphie, à la photo et à la sculpture sera rehaussée de tables rondes et autres ateliers sur la création artistique. Une occasion aussi pour rendre hommage au peintre souiri Mohamed Zouzaf qui a su rendre hommage à la tradition amazighe.

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FIFA PAR ICI LA SORTIE ! LA GUERRE DES CANDIDATS Faut-il tirer sur les ambulances ? Dans le cas de la FIFA, il faut croire que « Stepp » Blatter, frappé à mort par le scandale de corruption qui a éclaté à tous les étages de l’instance internationale de football, reste la bête à achever tout de suite. Non seulement pour assurer à la Fédération internationale un semblant de continuité, mais aussi et surtout pour permettre le remplacement du Calife par un autre. La course engagée pour la succession de Blatter fait courir nombre de prétendants. Français, brésiliens, jordaniens et sud-coréens mettent leurs candidats dans les starting blocks. Affaire de jours ou de mois ?

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SPORT « SEPP » BLATTER JETTE L’ÉPONGE

SUCCESSION OUVERTE À LA FIFA Par : A.B.D.

Arrosé de faux billets verts, l’empêreur de la FIFA que les scandales ont fini par fragiliser a décidé de jeter l’éponge. Et promet une série de mesures susceptibles d’installer une « douteuse » gouvernance. En attendant que tout rentre dans l’ordre, les sucesseurs affutent leurs armes.

C

oincé dans les cordes depuis que la justice américaine a décidé de se mêler des circuits de corruption qui ont secoué la FIFA, Joseph Blatter s’est fait une raison pour mettre un terme à son règne sans partage à la tête de l’instance internationale. Il programme son éclipse d’une présidence de près de dix-huit ans, le 26 février 2016, à l’occasion d’un « congrès électif extraordinaire». Le Valaisin de 79 ans a dévoilé la date du prochain scrutin, lors d’une conférence de presse organisée le 20 juillet, plusieurs semaines après l’intervention spectaculaire et musclée des agents du FBI du 2 juin. L’annonce de son abdication surprise, quatre jours après sa réélection pour un cinquième mandat, viserait à « défendre l’institution face aux pressions. Il y aura de nouvelles élections pour choisir un nouveau président. « Je ne peux pas être ce président car je suis un vieux président ». Mais il faut croire que le sort s’acharne sur cet Helvète qui croit que le chrono serait susceptible de « laver plus blanc » une instance pourrie jusqu’à la moelle. Car lors de cette conférence de presse, le comédien britannique Simon Brodkin s’est empressé de lancer à la face de Blatter une liasse de faux dollars tout en le remerciant pour l’attribution fictive de la Coupe du monde 2026 à la Corée du Nord. La symbolique est on ne saurait plus parlante… Après cet intermède, le septuagénaire « capo » du foot s’est déclaré résolu à « restaurer la réputation de la FIFA » avant de léguer son trône. « Sepp » Blatter a annoncé la mise en place d’une « task force indépendante », composée de onze membres et censée échafauder un programme de réformes : introduction de limites de mandats pour le président et les membres du comité exécutif, contrôle de leur « probité » et divulgation des « rémunérations individuelles ». Si, en principe, ces réformes doivent être entérinées le 26 février 2016 par les délégués des 209 fédérations nationales qui composent le congrès, il n’en reste pas moins que des voix se sont élevées pour « dénoncer » un processus qui ne saurat être empreint de crédibilité qu’en provenant de structures

indépendantes. Les plus critiques voient en l’offensive de l’Helvète une manière comme une autre pour pérpétuer sa main mise sur la FIFA quand bien même il n’en serait pas. Rejoignant en cela les recommandations de nombre de sponsors de poids qui conditionnent leur générosité par un réel agiornamiento au sein d’une Fédération internationale qui traine derrière elle bien des casseroles. Mais d’autres responsables de la FIFA considèrent qu’un premier pas aura été franchi dans le bon sens. En attendant que le chantier de la bonne gouvernance puisse s’installer dans les rouages de la FIFA, il faut croire que les appétits des uns et des autres se sont aiguisés face à une « succession ouverte » au forceps. Dans les rangs de l’Union des associations européennes de football (UEFA), la fébrilité est palpable. Et les regards sont braqués sur son président, Michel Platini, 60 ans, qui avait demandé à son ancien mentor et ami « Sepp » de démissionner avant sa réélection pour un cinquième mandat. L’ancien capitaine du Onze français, appuyé par Herbert Hainer, PDG d’Adidas, l’un des sponsors historiques de la FIFA, bénéficierait actuellement du soutien de quatre confédérations, dont celles d’Amérique du Sud et d’Amérique du Nord et des Caraïbes. Mais on craint de voir « Stepp » tout faire d’ici là pour empêcher la montée en puissance de M. Platini… S’il a entamé des pourparlers avec plusieurs dirigeants du foot mondial, dont le patron de la confédération asiatique, le Cheikh bahreïnien Al-Khalifa, le triple Ballon d’or a jusqu’au 26 octobre, soit quatre mois avant le scrutin, pour officialiser sa candidature. Jusqu’à présent, seuls le prince jordanien Ali Bin Al-Hussein, battu par Blatter le 29 mai, le président de la Fédération libérienne Musa Hassan Bility et l’ex-légende brésilienne Zico se sont lancés dans la course. La succession est donc ouverte. Reste à savoir si d’ici là le concert des scandales qui a entaché la réputation de la FIFA, et lourdement, n’accouche pas d’autres surprises.

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SPORT GRAND PRIX DE HONGRIE

LE COME BACK DE FERRARI Par :A.B.D.

Ceux qui voyaient briller à tous les coups l’étoile Mercedes ont déchanté lors du Grand prix de Hongrie. C’est Vettel qui a surpris son monde en donnant la victoire à Ferrari. La scuderia retrouve le sourire… Pour longtemps? Rien n’est moins sûr !

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ur la grille de départ du Grand Prix de Hongrie de Formule, hommage a été rendu au pilote français Jules Bianchi, décédé le 17 juillet, en présence de sa famille convoyée depuis Nice à bord du jet privé de Bernie Ecclestone, promteur de la F1 et gérant de Formula One Management (FOM). Un quart d’heure avant le départ, les 20 pilotes se sont réunis en cercle autour de leurs casques et de celui de Bianchi, disparu à 25 ans, déposé sur l’asphalte du Hungaroring par son jeune frère Tom. Les images étaient des plus émouvantes. Au même titre que les sons puisque c’est en silence que l’hymne hongrois a été chanté lentement, comme un requiem, par une cantatrice accompagnée d’un orchestre de chambre. Un peu plus loin sur la grille, toute l’équipe Manor Marussia, celle de Bianchi, avec ses dirigeants Graeme Lowdon et John Booth, a posé autour d’un panneau de course portant l’inscription « We miss you Jules », en lettres rouges sur fond noir. Mais cet intermède des plus émouvants n’allait pas s’éterniser. Les hostilités allaient se dérouler sur une piste appelée à départager hommes et machines. Bien entendu, ceux qui croyaient que tout

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état plié depuis que l’écurie Mercedes avait marqué de sa domination toutes les épreuves allaient déchanter. Et la surprise est venue, cette fois-ci, de la scuderia Ferrari. En effet, c’est l’Allemand Sebastian Vettel qui a damé le pion aux divers prétendants en remportant le Grand Prix de Hongrie pour la première fois de sa carrière. De quoi rendre le sourire à l’écurie du cheval cabré dont les succès sur circuit se faisaient rares. La star de Mercedes, Lewis Hamilton, détenteur de la position de tête, a terminé en sixième position, deux rangs devant Nico Rosberg qui a été victime d’une crevaison tardivequi l’empêcha de rattraper son coéquipier Lewis Hamilton au championnat des pilotes. Même écarté du podium pour la première fois depuis le GP de Belgique, en août dernier, le Britannique a vu son avance sur l’Allemand se chiffrer à 21 points. Vettel, quadruple champion de la F1, amorçait la course au troisième rang de la grille. Avant de dominer la course pour s’offrir une deuxième victoire en 2015 après le Grand Prix de Malaisie, à la fin mars. « Merci Jules, cette victoire est pour toi », a dit Vettel en français à la radio de Ferrari, pendant son tour de ralentissement. En anglais, il a ajouté:


« Tu es toujours dans nos coeurs. Nous savons que tu aurais fait partie de cette équipe, tôt ou tard ». Les huit autres courses de la saison ont été remportées par Mercedes, dont cinq par Hamilton. Red Bull a tiré profit d’une fin d’épreuve mouvementée avec le Russe Daniil Kvyat se faufilant deuxième, méritant ainsi un premier podium en carrière. Son coéquipier Daniel Ricciardo a fini troisième, en surclassant Rosberg en fin de course. Avec quatre tours à compléter, Ricciardo a causé une crevaison à la roue arrière gauche de Rosberg, en essayant de dépasser son bolide. « La fin de la course approchait et je devais tenter quelque chose, a mentionné l’Australien. Je reconnais que la manoeuvre était tardive, mais elle était légitime. Il m’a vu et m’a laissé un espace, mais ensuite il est revenu dans le chemin. » Rosberg était alors en deuxième place et s’approchait de Vettel, mais il a dû se contenter du huitième rang. Max Verstappen de Toro Rosso et Fernando Alonso de McLaren ont complété le top-5. Quand la course a vraiment débuté, Hamilton s’est trouvé pris derrière un Rosberg l’ayant éclipsé, avec derrière eux Vettel et son coéquipier, Kimi Raikkonen. Vettel a pris la tête au premier virage tandis que Hamilton a glissé au classement, sa ligne de course entravée par Rosberg. La course a aussi changé à la suite d’une collision impliquant Nico Hulkenberg de Force India, aux deux tiers

de l’épreuve. Ses freins ont bloqué puis il a heurté une barrière, mais l’Allemand s’en est tiré sans blessure. Plusieurs pilotes ont profité de la période de sûreté pour changer de pneus. Vettel réussira-t-il à se maintenir au top nveau lors du Grand Prix de Belgique, programmé pour le 23 août? Les paris sont lancé à l’heure où 9 épreuves maintiennent le suspens avant la fin de saison…

LA F-1 EN DEUIL

JULES BIANCHI S’ÉTEINT

Le pilote français Jules Bianchi, 25 ans, qui était dans le coma depuis son accident au Grand prix du Japon, en octobre dernier, s’est éteint le 17 juillet au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nice. C’est au 46è tour que le pilote français a été victime d’un terrible accident au volant de sa Marussia à Suzuka (Japon) le 5 octobre 2014. Grièvement blessé à la tête, il a sombré depuis dans le coma. Jules Bianchi avait rejoint Marussia comme pilote titulaire en 2013. Il a couru 34 Grands Prix et marqué 2 points en championnat. En émoi, le monde de la F-1 n’a pas hésité à rendre hommage à la jeune étoile qui s’est éteinte. En effet, lors de l’inhumation du corps du pilote français, des confrères ont choisi de marquer de leur présence la cérémonie funéraire. Lewis Hamilton en tête. A rappeler que Jules Bianchi est le premier pilote à mourir des suites d’un accident en course depuis le triple champion du monde brésilien Ayrton Senna, le 1er mai 1994. PERSPECTIVES MED

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CHRONIQUE JUSTE POUR RIRE

DOUBLE DÉTENTE… Par : Ouled Riab

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our une affaire froufroutante, le bourg Inzegane a défrayé la chronique nationale et… internationale. Autant dire que c’est par les jupes que cette localité, semblable à bien d’autres de ce Maroc profond où le temps semble suspendu, est entrée dans l’histoire immédiate. Pas de quoi tirer une quelconque gloriole. La triste renommée du bourg le dessert tellement que ce n’est pas demain la veille que les touristes locaux y éliront domicile. Avec ou sans Kounouz Biladi. Bien entendu, on passera sur l’instruction et le procès que tout un chacun a pu suivre. Mais il est une incohérence que l’on ne pourrait taire à ce stade de l’évolution des mœurs de la société. Nos pauvres keufs sont vraiment largués. A moins qu’ils ne portent la barbe à la… barbe de leur hiérarchie ! Car ce sont bel et bien eux qui ont établi l’objet du délit. Ils ont vu la dépravation là où elle n’est pas, circulant dans une kissaria. Alors au lieu de mettre aux arrêts les agresseurs des jeunes femmes que rien ne criminalise dans leur mise, c’est vers les victimes que leur ire s’est retournée. Alors, pour résumer, on devrait dire à tous nos compatriotes : « méfiez-vous de la police !» Et que notre romancier Fouad Laroui excuse le parachutage de l’emprunt de l’un de ses tout premiers romans. Car ne voilà-t-il pas que cette vénérable institution qui tente tout pour se refaire une image des plus décentes auprès de l’opinion bascule, par les agissements de quelques uns de ses représentants à Inzegane, dans l’indécence. Arrêter des femmes rien que parce qu’elles étaient accoutrées comme leurs propres femmes et/ou sœurs ! Eux, bien sûr, n’ont pas essuyé le moindre blâme pour avoir constaté un crime là où il n’yen avait pas. Alors, autant dire que Sherlock Holmes n’est pas Marocain. Cela sans

MAIS CE SUR QUOI ON DOIT RÉELLEMENT PHOSPHORER EST L’ÉDUCATION GLOBALE.

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parler de Descartes… Mais il est aussi vrai que l’on n’est pas à une première incohérence près lorsqu’on évalue ce qui se passe au niveau des corps sécuritaires. Souvenez-vous du pauvre gendarme qui avait été porté aux nues par Youtube. Le pauvre a été radié de la fonction rien que parce qu’il osait parler le langage de ceux qu’il est appelé à combattre. Le langage ordurier qui a de quoi offusquer fait partie de notre quotidien. Qu’est-ce que l’on n’entend pas hurler ici et là lorsqu’on ose s’aventurer à pied dans les rues marocaines. Que de mots crus sont lancés à tout bout de champ et que d’injures dépassant l’entendement font vibrer les tympans. Une question se pose dès lors non sans acuité : faut-il recycler tous les préposés au contrôle des citoyens en leur inculquant les textes d’un El Jahiz où les fables d’un El Mouqafa pour qu’ils s’imprègnent du langage qui fleure bon la richesse de la littérature arabe classique ? Tout cela traduit, à n’en point douter, la confusion des genres. Un flic se tient droit lorsqu’il a en face un citoyen respectable. Idem pour tout gendarme qui se respecte. Dès lors, ne faut-il pas agir, non sans fermeté, pour conjurer les amalgames. Ceux qui permettent à des policiers de s’ériger en juges de la foi sans qu’ils n’en soient accrédités et/ou à des responsables de révoquer tel ou tel agent de l’ordre qui adopte des tournures de phrase qui font désordre alors qu’il a toutes les circonstances atténuante pour lui? Voilà autant de questions qui invitent, sans doute, à ce que l’on se triture les méninges. Pour ne pas tomber dans les excès d’où qu’ils proviennent. Mais ce sur quoi on doit réellement phosphorer est l’éducation globale. Celle de tout un peuple, et dans toutes ses composantes, y compris celles qui s’avèrent les plus excitées, pour que l’on évite bavures et dérapages. Le civisme gagnerait à coup sur ses galons perdus qui font que la rue marocaine s’apparente aujourd’hui plus à une jungle qu’à autre chose. Les images du dramatique accident mortel du policier de la circulation de Tanger interpellent. Il faut réagir avant que tout ne f… le camp !


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