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Science et Technologie
Édition Spéciale
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2007
CAPA pesquisa francesfim
PESQUISA FAPESP
ÉDITION SPÉCIALE 2007
LE MEILLEUR DE LA RECHERCHE BRÉSILIENNE
au Brésil
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DIVULGATION/PROJET AIGLE ROYAL
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Prédateur surveillé La harpie de la photo est un bébé femelle âgé de 4 mois, pesant 4,4 kilos et mesurant 1,83 mètres d’envergure. Elle vit dans un nid à presque 32 mètres de hauteur, sur la cime d’un châtaignier à Parintins, dans l’état d’Amazonas. Dans les prochains mois, quand elle fera son vol inaugural, elle deviendra la première de son espèce à être surveillée, au Brésil, par des satellites. Elle a reçu un radiotransmetteur équipé d’un système de positionnement mondial, qui contrôlera ses déplacements au cours des trois prochaines années. La technologie a été développée par trois institutions, l’Institut National de Recherches Spatiales (Inpe), l’Institut National de Recherches sur l’Amazonie (Inpa) et l’Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables (Ibama). La harpie, connue également comme aigle royal, est l’un des plus grands oiseaux de rapine au monde. Elle vit environ 40 ans et habite les forêts tropicales des Amériques Centrale et du Sud. Publié en septembre 2007
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RITA SINIGAGLIA–COIMBRA/UNIFESP
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LÉO RAMOS
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CLAUDIUS CECCON
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> ENTRETIEN 10 José Sérgio Gabrielli,
président de Petrobras, entrevoit une situation privilégiée du pays en termes de biocombustibles, mais prévient qu’il ne sert à rien de démoniser le pétrole
> POLITIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE
> SCIENCES 22 NEUROSCIENCES
16 ÉVALUATION
Des études montrent que la recherche brésilienne se distingue au niveau mondial dans onze champs de la connaissance 24 ARTICLES SCIENTIFIQUES
La production universitaire bat des records dans le pays, bien que ses répercussions ne soient pas aussi expressives
> SECTIONS 3 IMAGE 6 LETTRE DE L’ÉDITEUR 8 MÉMOIRE 98 HUMOUR
Des expériences de pointe menées sur le cerveau voyagent de l’Université de Duke à Natal afin que la science puisse contribuer à transformer des communautés pauvres
32 PSYCHIATRIE
Une technique expérimentale se révèle efficace dans le traitement de troubles psychiatriques graves 38 MÉDECINE
Un traitement expérimental à base de chimiothérapie et de cellules souches évite que 14 patients se soumettent à des injections d’insuline 44 PALUDISME
Une technique expérimentale se révèle efficace dans le traitement de troubles psychiatriques graves COUVERTURE: MAYUMI OKUYAMA PHOTO: MIGUEL BOYAYAN
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> RUBRIQUES
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> POLITIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE > SCIENCES > TECHNOLOGIE > HUMANITÉS
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48 PHARMACOLOGIE
La protéine du venin du crotale cascavelle pénètre dans les cellules en multiplication et se révèle capable de transporter des médicaments et des substances anti-tumorales 52 CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Pour éviter la stagnation de l’économie, l’encouragement à la production peut être associé à des crédits de carbone
56 PHYSIQUE
Observé pour la première fois à l’échelle la plus petite possible, un alliage d’or et d’argent révèle un comportement inattendu des atomes
> TECHNOLOGIE 60 OPTIQUE
Des chercheurs de São Carlos développent des équipements dotés de diodes émettrices de lumière (DEL)
66 INGÉNIERIE ÉLECTRONIQUE
Des urnes électroniques équipées d’un système d’identification numérique devraient être utilisées pour les élections municipales de 2008 72 ÉNERGIE
Ce qu’il manque pour que cette huile s’impose comme un biocombustible brésilien
> HUMANITÉS 82 SOCIOLOGIE
Des intellectuels sont en faveur de changements pour sauver la fête la plus traditionnelle de l’État de Bahia: le Carnaval 88 ICONOGRAPHIE
L’image du Noir au Brésil a été forgée avec l’arrivée de la photographie au XIXe siècle
78 NANOTECHNOLOGIE
Des résines nanostructurées fonctionnent comme des bactéricides et des fongicides dans des lave-linge et des matelas
94 HISTOIRE
Différents profils montrent que Pedro II s’intéressait davantage à l’essence qu’à l’apparence du pouvoir
DÉTAIL DE FEIRA, CARYBÉ, 1984
FONDATION IBERÊ CAMARGO
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WWW.REVISTAPESQUISA.FAPESP.BR
EDUARDO CESAR
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FONDATION D’APPUI À LA RECHERCHE DE L’ÉTAT DE SÃO PAULO
CELSO LAFER
PRÉSIDENT JOSÉ ARANA VARELA
VICE-PRÉSIDENT CONSEIL SUPÉRIEUR CELSO LAFER, EDUARDO MOACYR KRIEGER, HORÁCIO LAFER PIVA, JOSÉ ARANA VARELA, JOSÉ DE SOUZA MARTINS, JOSÉ TADEU JORGE, LUIZ GONZAGA BELLUZZO, MARCOS MACARI, SEDI HIRANO, SUELY VILELA SAMPAIO, VAHAN AGOPYAN, YOSHIAKI NAKANO CONSEIL TECHNIQUE & ADMINISTRATIF RICARDO RENZO BRENTANI
PRÉSIDENT-DIRECTEUR CARLOS HENRIQUE DE BRITO CRUZ
DIRECTEUR SCIENTIFIQUE JOAQUIM J. DE CAMARGO ENGLER
DIRECTEUR ADMINISTRATIF
Novembre, 2006
Décembre, 2006
Avril, 2007
Mai, 2007
ISSN 1519-8774
CONSEIL ÉDITORIAL LUIZ HENRIQUE LOPES DOS SANTOS (COORDINATEUR SCIENTIFIQUE), CARLOS HENRIQUE DE BRITO CRUZ, FRANCISCO ANTONIO BEZERRA COUTINHO, JOAQUIM J. DE CAMARGO ENGLER, MÁRIO JOSÉ ABDALLA SAAD, PAULA MONTERO, RICARDO RENZO BRENTANI, WAGNER DO AMARAL, WALTER COLLI
DIRECTRICE DE RÉDACTION MARILUCE MOURA
RÉDACTEUR EN CHEF NELDSON MARCOLIN
ÉDITEURS CARLOS FIORAVANTI, CARLOS HAAG (HUMANITÉS), CLAUDIA IZIQUE (POLITIQUE S&T), FABRÍCIO MARQUES, MARCOS DE OLIVEIRA (TECHNOLOGIE), MARCOS PIVETTA (VERSION EN LIGNE), MARIA DA GRAÇA MASCARENHAS, RICARDO ZORZETTO (SCIENCES)
ÉDITRICES ASSISTANTES DINORAH ERENO, MARIA GUIMARÃES
ÉDITRICE D’ART MAYUMI OKUYAMA
CONCEPTION ET MAQUETTE ARTUR VOLTOLINI, MARIA CECILIA FELLI
PHOTOGRAPHES EDUARDO CESAR, MIGUEL BOYAYAN
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Cerveau, biocombustible et Carnaval
ANDRESSA MATIAS TEL: (11) 3838-4201
ONT COLLABORÉ A CE NUMÉRO ALEXANDRE KERKIS, ANDRÉ SERRADAS (BANQUE DE DONNÉES), BRAZ, BUENO, CLAUDIUS CECCON, FERNANDO SATO, GEISON MUNHOZ, GIOVANNI SERGIO, GONÇALO JÚNIOR, IRINA KERKIS, JULIA CHEREM, LÉO RAMOS, MARCELO URBANO FERREIRA, NATAL SANTOS DA SILVA, NEGREIROS, RITA SINIGAGLIACOIMBRA ET YURI VASCONCELOS.
TRADUCTION VERS LE FRANÇAIS JORGE THIERRY CALASANS, ÉRIC RENÉ LALAGÜE, PATRÍCIA C. RAMOS REUILLARD ET PASCAL REUILLARD
LA REPRODUCTION TOTALE OU PARTIELLE DES TEXTES ET DES PHOTOGRAPHIES EST INTERDITE, SAUF AUTORISATION PRÉALABLE
DIRECTEUR TECHNIQUE PAULA ILIADIS TÉL: (11) 3838-4008 e-mail: publicidade@fapesp.br
DIRECTION DU TIRAGE RUTE ROLLO ARAUJO TEL. (11) 3838-4304 e-mail: rute@fapesp.br
IMPRESSION PROL EDITORA GRÁFICA
DIRECTION ADMINISTRATIVE INSTITUTO UNIEMP FAPESP RUE PIO XI, Nº 1.500, CEP 05468-901 ALTO DA LAPA – SÃO PAULO – SP
SECRETARIA DO ENSINO SUPERIOR GOVERNO DO ESTADO DE SÃO PAULO
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MARILUCE MOURA – DIRECTRICE DE RÉDACTION
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oici la troisième édition spéciale de la revue Pesquisa FAPESP en langue française. La première couvrait la période de mars 2002 à mai 2005, et la seconde de juin 2005 à août 2006. Nous avons réuni cette fois 18 des reportages les plus significatifs parus entre novembre 2006 et septembre 2007 dans nos éditions mensuelles en langue portugaise, afin d’offrir aux lecteurs français une vision globale et multiple de la production scientifique et technologique brésilienne menée pendant cette période. Désireux de suivre le même modèle que celui de nos éditions habituelles, nous reproduisons ici des reportages liés aux recherches dans les domaines de connaissance les plus divers, ainsi que des textes explicatifs sur la politique scientifique et technologique actuelle de notre pays. Près de la moitié des articles
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présente des projets réalisés dans des institutions de recherche de l’État de São Paulo et financés par la Fondation d’Appui à la Recherche de l’État de São Paulo (FAPESP) – l’une des plus importantes en la matière au Brésil. Les autres articles font part de projets développés dans d’autres états brésiliens. Il s’agit là d’un reflet de la réalité brésilienne : São Paulo est en effet l’état le plus riche et le plus industrialisé du pays, il abrite quelques-unes de ses meilleures universités et est responsable d’environ 50 % de la production scientifique brésilienne. En janvier 2008, la revue Pesquisa FAPESP a atteint sa 143e édition. Avec un tirage mensuel de 35 000 exemplaires, son principal objectif est de diffuser la production scientifique brésilienne de manière précise et rigoureuse, sans pour autant perdre la clarté indispensable à toute publication journalis-
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() MÉMOIRE
Du luxe pour voir les étoiles Une demande de fonds pour observer Vénus provoque des discussions à propos de l’aide à la recherche il y a 125 ans N ELDSON M ARCOLIN
OBSERVATÓRIO NACIONAL
Publié en août 2007
Observatoire construit à Punta Arenas, Chili: méthode développée par Edmund Halley
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n épisode qui a eu lieu il y a 125 ans a provoqué l’un des premiers débats sur l’investissement dans le domaine des sciences au Brésil. D’un commun accord avec l’empereur dom Pedro II, le ministre de la Marine, Bento de Paula Souza, demanda au Parlement brésilien des fonds de 30 contos [ancienne monnaie de compte] pour financer trois expéditions scientifiques qui avaient pour objectif d’observer des points favorables au passage de Vénus sur le disque solaire. Les observations, le 6 décembre 1882, aideraient à déterminer la distance entre la Terre et le Soleil. Une des expéditions s’est rendue à Olinda, dans l’état du Pernambouc. Mais les principales se sont concentrées sur l’île de Saint Thomas, dans les Antilles, et à Punta Arenas, au sud du Chili. “Ces deux endroits ont formé la base d’un immense triangle et l’un des sommets touchait la planète Vénus”, explique Marcomede Rangel, physicien à l’Observatoire National, institution qui cordonna les expéditions et qui, à l’époque, s’appelait Impérial Observatoire de Rio de Janeiro. “Par ressemblance de triangle, il était possible de déterminer la distance de la Terre à Vénus et de Vénus au Soleil.” Plusieurs autres pays ont
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REPRODUCTIONS MIGUEL BOYAYAN/REVISTA ILUSTRADA/IEB/USP
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Illustrations d’Angelo Agostini dans sa Revista Ilustrada: moqueries sur dom Pedro II et la recherche astronomique
envoyé des équipes pour faire des observations dans divers endroits du monde. La demande de l’empereur et du ministre a suscité des protestations à la Chambre des Députés et au Sénat, ainsi que plusieurs dessins humoristiques dans la presse, en particulier dans la Revista Ilustrada, dessinée et éditée par Angelo Agostini. “Ça a été l'un des plus vifs débats sur l’usage de la science de base”, affirme Ronaldo Rogério de Freitas Mourão, chercheur au Musée d’Astronomie et des Sciences Similaires (Mast) et savant sur le sujet. Au Sénat, Silveira da Mota, contraire à la concession des fonds, réclamait: “Le peuple veut d’autres choses, il ne veut pas d’observations astronomiques (...) le peuple veut des chemins de fer, beaucoup de café, beaucoup de tabac, beaucoup de liberté individuelle, des gouvernements très économes et très moralisés (...) le peuple veut tout cela, il se fout de ce qui se passe sur les étoiles... c’est un luxe”. À la Chambre des
Députés, le député Ferreira Viana faisait chœur avec le sénateur. Les politiciens ne comprenaient pas quels bénéfices les expéditions apporteraient à la population. Résultat: le Parlement n’a pas autorisé les 30 contos. Mais, pour répondre à la demande de l’empereur, le conseiller
Leão Velloso a obtenu l’argent de deux riches fermiers et les expéditions ont pu avoir lieu. La polémique à propos de Vénus a été, d’après l’anthropologue de l’Université de São Paulo, Lilia Moritz Schwarcz, auteur du livre As barbas do imperador (La barbe de
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l’empereur - Companhia das Letras, 1998), un fait isolé pour l’époque. En 1882, l’activité scientifique était encore à ses débuts, et celui qui s’y intéressait le plus, même en tant qu’amateur, était justement dom Pedro II. Dom Pedro était un mécène des arts, des lettres et des sciences. L’empereur désirait non seulement permettre l’autonomie culturelle à l’élite locale mais il avait aussi pour but de se distinguer des autres souverains, y inclus ceux du passé. “À l’époque, pour être considérés lettrés les rois et les reines devaient être des scientifiques “, explique Lilia. Un autre facteur qui a contribué à éviter des polémiques dans les sciences à cette époque était le fait que dom Pedro pratique les sciences de façon privée – il était astronome amateur et possédait un observatoire au Palais de São Cristóvão. Il y avait aussi le Musée de l’Empereur, où se trouvaient les momies qu’il avait rapp d’Égypte, le matériel ethnographique et la collection des gemmes de Leopoldina. “Là-bas, seuls pouvaient entrer les scientifiques qu’il invitait.”
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ENTRETIEN
José Sérgio Gabrielli de Azevedo
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diaboliser ‘ Nous n’allons pas le pétrole maintenant M ARILUCE M OURA | Publié en mars 2007
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après son retour de Londres où il était allé suivre un post-doctorat. En réalité, à côté de cette vie universitaire réussie Gabrielli a toujours exercé son côté politique; par goût, dans une certaine mesure, mais sans doute aussi imprégné d’une notion de la politique en tant que mission – notion qui a fortement marqué une grande partie, peut-être la meilleure, de la génération 1968. Militant de cet intense mouvement étudiant de la fin des années 1960, Gabrielli s’est distingué par diverses actions: du point de vue légal, il a été président du Directoire Central des Étudiants (DCE) de l’État de Bahia. Clandestinement il a fait partie de l’Action Populaire (AP), un parti alors en transit entre la gauche catholique – son lieu d’origine – et les pensées marxistes. Ses activités lui vaudront un séjour en prison en 1970. À la fin des années 1970, c’est tout naturellement qu’on le retrouve parmi les fondateurs du Parti des Travailleurs (PT). Et quelques années plus tard, en membre discipliné du parti, il accepte la tâche ardue d’être candidat au poste de gouverneur de l’État de Bahia en 1990; ardue dans la mesure où son adversaire n’était autre que le toutpuissant sénateur Antonio Carlos Magalhães qui, on s’y attendait, remporta ces élections. Certaines facettes du passé du président de Petrobras sont encore moins connues. C’est le cas par exemple de son bref passage dans le monde du journalisme: en 1970 il est chargé de la rubrique internationale du nouveau journal Tribuna da Bahia, un journal dirigé par le carioca Quintino Carvalho et qui avait l’intention de dépoussiérer la presse de Bahia. Une anecdote en particulier marqua cette période, pour le plus grand plaisir des collègues du journaliste temporaire: un soir, le colonel Luís Artur de Carvalho, chef redouté de la Police Fédérale de l’État de Bahia, se trouvait dans les locaux de la rédaction pour une raison quelconque. En apercevant Gabrielli au fond de la salle, il s’écria: “Monsieur
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Gabrielli, comment va l’AP?”. Sans perdre son calme, il lui répondit: “elle envoie beaucoup d’informations, colonel”. Bien sûr, un journaliste en charge des informations internationales travaillait alors constamment avec les télégrammes de l’AP, l’Associated Press. Mais c’est de futur que José Sérgio Gabrielli parle dans cette interview accordée à la revue Pesquisa FAPESP. Il y aborde les défis que doit relever une entreprise productrice de pétrole comme Petrobras face aux changements climatiques mondiaux, parle de la chance d’une situation privilégiée du pays en matière de biocombustibles, estime que diaboliser le pétrole est une attitude infondée vu qu’il intègre de manière très profonde la vie contemporaine telle qu’elle est, établit une comparaison très singulière entre le Centre de Recherches de Petrobras et l’École de Sagres, du XVIe siècle, et évoque avec beaucoup d’enthousiasme le réseau de recherches entre Petrobras et les universités brésiliennes,dont le potentiel générateur de connaissances est très prometteur. ■ N’est-ce pas un contresens que le président d’une entreprise de dérivés de combustibles fossiles fasse un discours en faveur de l’environnement, comme cela s’est vu notamment lors de votre participation au Forum Économique de Davos en janvier? — J’ai participé au forum d’un événement appelé Energy Summit, qui réunit les principales entreprises de pétrole et les principales entreprises d’énergie électrique mondiales. Une trentaine de personnes, au maximum. Et dans ce forum la discussion sur les changements climatiques, les perspectives de croissance de la demande de pétrole et la conservation énergétique sont absolument fondamentales. Quelle est aujourd’hui la position de l’industrie pétrolière? Premièrement, de comprendre que l’ère du pétrole ne sera pas remplacée par celle d’un autre combustible à cause de son épuisement, mais parce
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orsque José Sérgio Gabrielli de Azevedo, 57 ans, économiste de l’État de Bahia, est apparu sur la scène politique brésilienne au début du premier mandat de Lula en acceptant la direction des finances et des relations avec les investisseurs de l’entreprise Petrobras, la réaction de certains fut teintée d’ironie, pour ne pas dire de sarcasme: parfait inconnu mais avec de sérieuses références, où se cachait-il depuis si longtemps? Quatre ans plus tard, dont les deux derniers à la présidence de Petrobras après le départ de José Eduardo Dutra, il se trouvera difficilement quelqu’un pour questionner sa compétence aux commandes de l’entreprise. En effet, Petrobras a enregistré en 2006 un bénéfice de 25,9 milliards de réaux et atteint une part de marché de 230 milliards de réaux, soit 33 % de plus que l’année précédente. Et pourtant, cette entreprise qui est la plus grande au Brésil et l’une des plus grandes entreprises de pétrole au monde a affronté cette même année quelques turbulences politiques désagréables, en particulier avec la Bolivie. Mais le président de Petrobras y a fait face avec courage. Avant d’intégrer Petrobras, Gabrielli a apparemment toujours été un universitaire. À l’âge de 25, 26 ans, avant même d’entreprendre un doctorat à l’Université de Boston en 1976, il était déjà professeur à la Faculté d’Économie de l’Université Fédérale de l’État de Bahia (UFBA) tout en y terminant son 3e cycle. Lors de son séjour aux États-Unis, il se pencha sur le financement des entreprises étatiques brésiliennes à partir de méthodes économétriques sophistiquées. Puis il réintégra son ancienne faculté, et après avoir franchi toutes les étapes de la carrière enseignante il en devint le directeur entre 1996 et 2000. Son parcours au sein de l’UFBA allait se compléter en 2002 avec la fonction de recteur adjoint en charge de la Recherche et du Troisième Cycle, peu
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que vont apparaître des combustibles alternatifs économiquement viables. ■ Lesquels?
— Plusieurs. En ce moment il y a les biocombustibles, avec toute la perspective d’une meilleure efficacité des automobiles et d’une plus grande conservation d’énergie. Cela implique une politique urbaine qui minimise l’utilisation individuelle du véhicule et qui soit également efficace du point de vue du principal problème que connaît le monde par rapport aux émissions: la perte de l’énergie dans les constructions, l’utilisation des combustibles pour la génération électrique, base du chauffage et du refroidissement des habitations et autres édifices... Le rapport le plus récent de l’ONU place les véhicules à la seconde place des sources les plus importantes d’émissions. Puis viennent le déboisement et les brûlis, autres problèmes de poids. Les sources sont nombreuses, leur identification permet d’adopter des politiques exigées pour chacune d’elles et, donc, de visualiser des possibilités d’effets et d’ajustages dans la lutte plus réelle contre le réchauffement, au lieu de désigner un coupable et de diaboliser ce coupable... ■ Ou d’alimenter l’illusion selon laquelle on parviendra à se passer de tout le combustible fossile utilisé par les véhicules dans le monde... — Ça c’est un peu une illusion. Aujourd’hui l’important est d’attirer l’attention sur le fait qu’eau propre et air pur sont fondamentaux pour la vie. Cependant la vie humaine moderne n’existe pas sans pétrole. ■ Cela révèle d’une certaine manière un paradoxe. Comment l’affronter? — Il n’existe pas simplement un “comment”. Nous devons minimiser les impacts de la production de pétrole sur l’environnement et rendre viable l’utilisation plus efficace de ce pétrole avec l’augmentation de l’utilisation de sources plus propres de génération d’énergie. ■ Quand vous affirmez que la vie moderne n’existe pas sans pétrole, à quoi faites-vous référence? — Je parle de transport, de génération d’énergie et de pétrochimie. Regardez autour de vous, dans la vie moderne, on rencontre le pétrole presque partout. ■ Et cela demeurera ainsi, d’après vous, plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. — Des siècles je ne pense pas. Plutôt des décennies. Aujourd’hui la situation de demande de pétrole dans le monde est plus ou moins équilibrée – l’offre et la demande sont de 82 à 84 millions de barils de pétrole par jour. La croissance prévue de la demande varie autour de 1,6, 1,8 % par an, et la croissance de l’of-
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fre aussi. Donc on ne peut pas dire qu’il y ait de grands problèmes dans ce domaine. Les réserves connues aujourd’hui permettent de tabler sur 70 à 80 années de production. D’un autre côté, l’utilisation de nouvelles technologies pour récupérer des champs matures et pour produire du pétrole dans des situations encore impossibles il y a peu de temps auparavant augmente. Nous produisons à plus de 1 800 mètres de profondeur et la perspective est d’aller jusqu’à plus de 6 000 mètres de profondeur. Il y a dans le Golfe du Mexique un puits de 11 kilomètres de profondeur en eau rase. Et au Brésil on espère exploiter en dessous de la couche de sel qui a 6 000 mètres de roche, dont 2 kilomètres de sel... ■ Mais vous ne pensez pas que, face à l’équati-
on qui se forme en termes environnementaux, cette technologie ultra sophistitiquée d’exploitation profonde sera un peu inutile? — Elle est viable parce que le prix du pétrole est élevé. Mais par rapport à ce même facteur, des alternatives vont apparaître: la viabilité de l’énergie de biocombustibles, de l’énergie éolienne, solaire, des vagues maritimes et nucléaire croît. Si le prix du pétrole baisse, beaucoup de ces technologies naissantes n’auront plus de raison d’être. ■ Quand on pense à la matrice énergétique du Brésil pour 2030, on dit que l’énergie hydroélectrique doit continuer à représenter 50 % du total. — L’énergie hydroélectrique représente aujourd’hui 85 % de la matrice électrique et près de 47 % de la matrice énergétique comme un tout. Mais le Brésil est un cas à part, peut-être parce qu’il est, parmi les grands pays du monde, le seul à posséder autant de combustibles renouvelables dans la matrice énergétique, grâce à l’énergie hydroélectrique et à l’alcool. Il suffit de penser que 40 % de l’essence brésilienne, ou son équivalent en termes énergétiques, c’est l’alcool. ■ Malgré tout, quand on mesure la matrice énergétique brésilienne future, on mise sur une bonne part de l’utilisation du pétrole, non? — Oui. Et cela pose deux grands défis en matière de substitution des combustibles. L’un d’eux est lié au biocombustible, aussi bien l’éthanol que le biodiesel. Ils vont prendre la place de l’essence et du diesel, qui eux vont rester ou, dans le cas du diesel, on arrêtera d’importer. Donc Petrobras doit s’occuper de cela. ■ Cela veut-il dire que Petrobras devra rédui-
re d’une manière ou d’une autre sa production? — Non, pas réduire! Petrobras doit trouver une filière pour écouler sa production, parce que l’industrie du pétrole, à la différence d’autres, n’est pas une industrie fordiste qui s’ajus-
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te à la vitesse de la chaîne de transmission. C’est une industrie dans laquelle sont faits des investissements pour travailler à 100 %. Donc il s’agit de trouver de nouvelles filières. Par exemple: nous sommes en train de faire à Rio de Janeiro un complexe pétrochimique qui utilisera directement du pétrole lourd pour produire la pétrochimie, avec une technologie nouvelle dans le monde. Personne ne fait cela, tout le monde utilise du gaz naturel ou du naphte, mais nous, nous allons le faire. De cette manière nous pouvons diminuer la production d’huile combustible et ne plus avoir de problème avec l’essence et le diesel, l’essence et le naphte. La prévision est de débuter la production en 2012. L’autre alternative est de rencontrer des voies pour utiliser ce type d’huile et l’essence et le diesel dans d’autres marchés. Le monde va continuer à être demandeur pour le transport. Nous produisons 2 millions de barils, le monde en consomme 85 millions. Notre objectif est de produire 2,3 millions de barils de pétrole en 2011. ■ Et quelle est aujourd’hui la destination prévue de cette production pour Petrobras? — D’ici 2011, nous allons construire cette entreprise pétrochimique et une nouvelle raffinerie dans la région Nord-Est pour optimiser surtout la production de diesel. Nous aurons alors 350 000 barils supplémentaires de capacité de traitement. Nous allons augmenter la capacité des raffineries actuelles de plus de 200 000 barils et dans le même temps les productions de biodiesel et d’alcool. Le biodiesel, nous en achetons 800 millions de mètres cubes ou 800 milliards de litres par an. À partir de 2008, nous allons en produire 150 millions de mètres cubes. ■ Par rapport au transport, les projections de
Petrobras établissent-elles la proportion d’utilisation de chacun de ces carburants? — Difficile de répondre précisément. Aujourd’hui, sur le marché de l’essence, l’alcool représente environ 40 %, avec 25 % d’alcool anhydre plus l’alcool hydraté. Pour le diesel nous nous situerons entre 2 à 5 %. La flotte de véhicules au gaz naturel est croissante. Le problème de ce gaz, c’est que son prix relatif est déséquilibré; j’entends par là que ça n’a aucun sens que ce combustible, le gaz naturel, ait un prix élevé alors qu’il y en a très peu au Brésil. ■ Et les questions politiques autour du gaz ne
paraissent pas très simples. — La croissance de la demande de gaz naturel pour les véhicules va probablement connaître une réduction. Sa participation dans la matrice énergétique comme un tout est passée de 4 %, 5% à 8 % en trois ans. La perspective est que cette matrice du gaz augmente jusqu’à atteindre peut-être 10 % de la ma-
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trice énergétique brésilienne totale. Et je pense que le volume de biocombustible sera beaucoup plus élevé ici au Brésil que dans le reste du monde, où il atteindra environ 10 % du marché en 2015. La participation des autres formes alternatives, énergie éolienne, solaire, etc. est vraiment très faible. ■ Mais c’est alors qu’entre à nouveau en scène l’énergie nucléaire. Le ministre Sérgio Rezende a parlé à nouveau emphatiquement du programme nucléaire brésilien. — L’énergie nucléaire est, sans l’ombre d’un doute, l’énergie la plus propre, toutefois elle est aussi la plus dangereuse parce qu’elle ne produit pas un chauffage lent et progressif mais brutal et explosif, aussi bien du point de vue des accidents que de son utilisation non pacifique. La régulation et le suivi de tout programme sont des éléments-clés pour son équilibre. D’autre part, l’énergie nucléaire a un autre problème grave qu’est le résidu, sa réutilisation, qui doit encore être résolu. ■ Entre-temps..., dans l’industrie du pétrole...
— Dans l’industrie du pétrole, si on considère les actuelles réserves prouvées dans le monde, nous disposons de 60 à 70 ans de production pour celles dont la probabilité de développement commercial est de 90 %. Si on prend aussi les réserves possibles, celles dont la probabilité de développement est de 50 % avec la technologie et les conditions commerciales actuelles, nous passons alors à plus de 150 ans. Si l’on ajoute encore les réserves probables, l’horizon de production est énorme. ■ Et si l’on ajoute la possibilité des champs ma-
tures... — Oui, si l’on prend en compte le développement technologique nécessaire pour récupérer des champs matures qui sera induit par les prix élevés du pétrole – cette récupération secondaire dans laquelle on injecte du CO2 dans le puits pour produire plus de pétrole –, si l’on considère la technologie thermique pour augmenter la récupération de pétrole, enfin des technologies plus sophistiquées et plus chères, et si l’on inclut dans le panorama de la production future les sables bétumineux du Canada et le pétrole extra-lourd du Venezuela, si l’on prend tous ces éléments en compte on obtient une prévision de 200 ans de production de pétrole...Aucun défi technologique n’est trop élevé dans cette longue période et tout dépendra en grande partie du comportement du prix du pétrole. Rappelons que notre alcool est devenu viable 30 ans auparavant grâce à une question de prix, et qu’il a ensuite connu une crise à cause d’une question de prix. Quand le prix du pétrole a augmenté, nous nous sommes tournés vers la politique du Proalcool. Et de la production de la canne à sucre nous
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sommes allés vers une politique de l’industrie automobile. Quand le prix du pétrole a chuté et que simultanément le prix du sucre a augmenté, le Proalcool n’était plus viable. ■ En dévoilant ce large horizon, votre intention est-elle de faire allusion à une possibilité de brûlage.... de pétrole moins agressive pour l’environnement? — Non, ce que je dis, c’est surtout que le pétrole ne va pas quitter la scène parce qu’il va s’épuiser, mais qu’il peut perdre sa viabilité économique parce qu’il y aura d’autres sources plus propres et économiquement viables. ■ Mais quelles sources et processus plus propres
peuvent l’emporter sur le pétrole dans la matrice énergétique mondiale? — La cellulose, par exemple – la production de cellulose à partir d’un processus enzymatique en utilisant des résidus végétaux. Cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements pour l’instant, aussi bien en ce qui concerne la capacité de production d’enzymes, la capacité de capture de ces résidus, le traitement même de la cellulose ou le processus de transport de ses résultats. Mais elle peut se développer.Autre exemple: l’hydrogène, qui implique une révolution technologique, et pas seulement du combustible. La principale limitation que je vois dans cette technologie, c’est qu’elle exige un autre moteur, qu’elle exige une transformation du parc automobile, une nouvelle conception. Pour moi elle est donc plus distante que les biocombustibles. Quant aux avancées en termes d’économie de l’énergie, aujourd’hui nous disposons déjà de technologies, cependant encore chères, de construction de bâtiments intelligents, de vitres adaptées avec la nanotechnologie, etc., qui reflètent, rabattent la chaleur et parfois réduisent jusqu’à 60 % l’utilisation d’énergie dans un édifice. ■ Le problème concerne-t-il plus le chauffage ou le refroidissement? — Les deux, parce qu’il y a des édifices qui ont besoin d’être chauffés en hiver et refroidis en été. Il y a aujourd’hui toute une dynamique urbaine dans les grandes métropoles qui visent à minimiser l’utilisation d’énergie dans les transports, toute une politique d’expansion du réseau de transport de masse, parallèlement au développement de moteurs plus efficaces d’utilisation domestique pour les réfrigérateurs, des cuisinières plus efficaces, des ampoules, etc. Il y a donc à la fois un mouvement d’économie qui va diminuer l’impact des combustibles fossiles, et un mouvement d’expansion de production de sources plus propres. ■ Cependant j’insiste: comment Petrobras, une entreprise qui a commencé à construire au début des années 1950 le rêve brésilien de l’au-
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Dans notre plan stratégique antérieur à l’IPCC, depuis 2004, 2005, nous envisagions déjà Petrobras comme leader mondial dans le domaine du biocombustible en 2011. Notre objectif stratégique est de nous positionner sur ce marché
tosuffisance en pétrole dans le pays, désormais atteint, et qui, en plus de l’immense poids économique a un extraordinaire poids socioculturel dans cette nation, ajuste-t-elle son plan stratégique au discours actuel sur le risque des changements climatiques? — Dans notre plan stratégique antérieur à l’IPCC, depuis 2004, 2005, nous envisagions déjà Petrobras comme leader mondial dans le domaine du biocombustible en 2011. Notre objectif stratégique est de nous positionner sur ce marché, pour des raisons proactives et pour des raisons défensives. Dans le premier cas, nous pensons que ce marché va croître. Et les raisons défensives sont les suivantes: comme il y aura des changements, il vaut mieux faire partie de ceux qui changent que de ceux qui seront changés par les autres. C’est d’ailleurs tout à fait impressionnant, quand nous allons à une rencontre comme celle de Davos, de constater l’image de Petrobras à ce niveau. Elle est vue comme une entreprise qui s’occupe de ce domaine depuis longtemps. Nous avons un brevet sur le transport d’alcool, l’alcoduc, nous
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La logique du Cenpes est celle de l’École de Sagres, qui a associé l’expérience du marin à la connaissance des sages universitaires et aux rêves des cartographes. Et ça, c’est un élémentclé: associer des perspectives rêvées aux intérêts de l’industrie et de la connaissance scientifique avons la technologie de traitement de l’acidité dans les raffineries et dans les citernes, nous avons avec l’industrie automobile brésilienne une longue expérience dans la production d’automobiles fonctionnant à l’alcool, plus grande que dans n’importe quel autre pays du monde, nous avons une logistique montée pour la distribution de l’alcool, et tout cela place Petrobras dans une position très remarquée. Donc, du point de vue de Petrobras ce ne sera pas le principal secteur d’investissements, mais il aura une place très importante, y compris en termes relatifs de capital. Dans le cas du biodiesel, j’aimerais évoquer ici une autre dimension du programme, la dimension sociale. L’émission de carbone vient surtout de l’Hémisphère Nord, même si sa croissance est supérieure dans l’Hémisphère Sud. Et bien: s’il faudra, pour diminuer cette émission, augmenter la quantité de biocombustibles parmi d’autres choses, à moins que pendant cette quête ne se produise une révolution technologique dans l’Hémisphère Nord, ce qui peut se produire, si l’on considère la technologie ac14
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tuelle, la plus grande probabilité de croissance en matière de sources de biocombustibles est dans l’Hémisphère Sud. Et sur la base de plusieurs plantes, comme le ricin, les oléagineux, la jatropha curcas, le tournesol, etc., etc. Cela modifiera un peu la balance de la géopolitique en matière de carburants. ■ Peut-on y croire dur comme fer?
— J’y crois et, comme je le disais, le biocombustible va représenter quelque chose de l’ordre de 10 % du marché mondial des carburants. On est en train de parler de 8 millions de barils par jour, ce qui équivaut à quatre fois la production actuelle de pétrole de Petrobras. Donc cela va entraîner un changement au niveau du rôle de l’Amérique du sud dans la géopolitique du secteur. Et cela même avec les perturbations sur le continent? — Cela fait partie de la vie, on n'a pas le choix. Il n’existe pas de région au monde plus perturbée que l’Iran, l’Irak ou le Moyen-Orient. Mais il y a un autre composant sur lequel j’aimerais attirer l’attention ici: la production agricole d’un produit de base combustible est différente de celle d’un produit de base alimentaire ou industriel. Premièrement, elle doit être plus stable que pour les aliments, parce qu’il y a moins de substituts. ■
■ Cela signifie que ceux qui seront engagés dans cette production auront une garantie de vente totale. — Exactement, vu que l’offre doit avoir un flux continu. Deuxièmement, il doit y avoir une structure de contrat à long terme, ce qui n’est pas habituel dans ce marché. Donc nous aurons des canaux logistiques de distribution spéciaux. Il y aura une série de transformations dans les rapports Nord-Sud, et nous devrons surmonter les mécanismes de protection de la Communauté Européenne et des États-Unis vis-à-vis de leurs agriculteurs qui sont moins efficaces que ceux du Sud. Cela rend une telle protection inefficace du point de vue de la production générale. Nous devrons accélérer le Cycle de Doha, etc., et là nous ne travaillerons pas sur la protection mais sur l’efficacité de la productivité. Mais il y a un autre problème: vu la dimension des besoins en carburants, cela a un grand impact sur la zone plantée. Et les biocombustibles vont entrer en compétition avec les aliments dans certains endroits, comme cela s’est déjà produit. C’est le cas de la tortilla mexicaine: le prix du maïs a augmenté, celui de la tortilla également.Ainsi, en augmentant la zone plantée il faut veiller à ce que la production alimentaire ne perde pas sa viabilité. Deuxième problème: la déforestation. Évidemment, il faudrait faire ça dans les zones déjà déboisées.
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■ Mais si nous parlons ici de soja, de canne à
sucre, etc., nous avons déjà une frontière très étendue. — Oui, au Brésil, mais il y a le reste du monde. En résumé, nous devrons être plus efficaces dans l’utilisation des terres déjà déboisée pour produire plus. Et il y a un troisième problème: l’eau. L’agriculture est une grande consommatrice d’eau, et si elle augmente, l’offre en eau peut connaître des difficultés. Une vision globale de ce problème est par conséquent nécessaire, parce qu’il n’existe pas de solution partielle. Il faut combiner politique d’État – et je parle d’État national et de relations internationales – et mécanismes de marché. De véritables politiques d’État pour la planification, la répression, la régulation, avec une politique de prix, de pénalités. ■ Ne s’agit-il pas d’une équation difficile à ré-
soudre? — Très difficile. Sur le plan international il y a d’un côté les États-Unis, qui refusent d’admettre qu’ils sont à l’origine du problème, et de l’autre les producteurs potentiels de biocombustibles préoccupés par la vision à court terme, par la seule rupture des barrières commerciales, sans... ■ Les producteurs potentiels sont le Brésil...
— Le Brésil, l’Inde et la Chine. Il y a une croissance de la demande énergétique polluante dans ces pays.Surtout en Chine,où il existe une perspective de milliers d’usines thermo-électriques à partir du charbon. Ce sont ces problèmes qui doivent être discutés au niveau international et dans chaque nation. De plus, le mécanisme de crédit de carbone est intéressant mais totalement insuffisant pour affronter le problème.En bref,cela veut dire acheter le droit d’émettre du CO2. On ne peut pas compter làdessus à long terme. Des mesures plus restrictives, de contention, sont nécessaires. Et la technologie joue un rôle absolument clé dans cette question,aussi bien pour la conservation que pour les biocombustibles, et même pour la séquestration du carbone dans la production de combustibles fossiles. Il y a une réinjection de CO2 et plusieurs technologies en développement qui séquestrent le carbone dans la production de pétrole. En phase initiale. ■ J’aimerais aborder la question du program-
me des réseaux de recherche de Petrobras, qui utilise lesdites participations spéciales, 1 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, pour investir 1 milliard de réaux en recherches dans les universités au cours des prochaines années. — Ce sont des ressources s’élevant à 1,4 milliards de réaux pour les trois prochaines années. Le programme englobe 26 domaines thématiques liés au pétrole, au gaz et au biocombustible – qui ne se réfèrent pas seule-
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ment à leur production – et six zones régionales, tournées vers le type de problème que nous connaissons dans différentes régions du pays. Cela implique 72 institutions de recherche. Il y a des recherches très diverses, notamment sur les bactéries, les réactions chimiques de base, les matériaux, la nanotechnologie.
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Profitant de vos associations, si le Cenpes repose sur l’École de Sagres, quel est le modèle du réseau institutionnel? — Internet. Ce qui caractérise Internet c’est la structure de réseau où la rupture d’un nœud ne casse pas l’autre. ■
dant des combustibles traditionnels? — Non, nous avons des recherches sur les biocombustibles. Et si l’on en revient au Cenpes, nous sommes en train d’effectuer des recherches sur la cellulose, sur les bactéries anaérobiques absorbeuses de soufre, etc. ■ Quelle est la vision du président de Petrobras
■ Donc nous en venons, via le Cenpes, à un ma-
sur le Cenpes? — Petrobras possède aujourd’hui, c’est un fait indubitable, le plus grand centre de recherche et de développement technologique du pays et d’Amérique latine. 3 000 personnes y travaillent. Quelle est la logique du Cenpes? C’est la logique de l’École de Sagres...
riage entre le référentiel classique de l’École de Sagres et le référentiel plus contemporain du réseau virtuel. Si cela ne marche pas, c’est une idée pour le moins originale... — Oui... L’École de Sagres est concentrée sur un pôle, et le réseau est diversifié, pulvérisé et décentralisé. Et notre défi est précisément d’articuler de manière productive un modèle avec l’autre. Nous allons, c’est certain, continuer la recherche appliquée au Cenpes et compléter cette avancée en entraînant l’ensemble de ce réseau. Et nous espérons influencer d’une manière ou d’une autre le système entrepreneurial brésilien avec l’idée d’innovation.
■ C’est une idée tout à fait étonnante! Pourquoi une référence du XVIe siècle? — L’École de Sagres a associé l’expérience du marin à la connaissance des sages universitaires et aux rêves des cartographes. Et ça, c’est un élément-clé: associer des perspectives rêvées aux intérêts de l’industrie en ce qui concerne la recherche des résultats et la poursuite de ses objectifs, avec la recherche universitaire, avec la connaissance scientifique en général – c’est ça le Cenpes. Et il réussit parce qu’il associe connaissance de base et application. Ce n’est pas un centre de recherche universitaire, c’est un centre de recherche appliquée mais ayant une base scientifique. C’est un centre de recherche d’entreprise, et il fonctionne bien. Les possibilités de développement de la connaissance sont ainsi très grandes. Mais il n’a jamais été – et ça c’est un autre trait important – isolé. Ni par rapport à d’autres centres de recherche, ni par rapport aux centres universitaires du pays. Il a créé un réseau de recherches très intense avec toutes les grandes universités du Brésil. Ainsi, cette recherche appliquée de Petrobras se propage dans l’université brésilienne et internationale. Mais elle est devenue à nos yeux insuffisante; parce qu’elle n’était pas institutionnelle, elle se faisait de groupe à groupe, de chercheur à chercheur. L’idée de constitution du réseau institutionnel débutée en 2005 vise à augmenter la capacité de génération de recherche et de connaissance dans ce système dans le pays tout entier. Et c’est un réseau parce que chaque partie possède au minimum quatre institutions. Il y a généralement une institution-clé, qui est le leader, et les autres qu’elle coordonne, de l’état d’Amazonas à celui du Rio Grande do Sul.
— Oui, bien sûr, en ne payant pas la période suivante. Petrobras fonctionne sur la base du bulletin d’évaluation, et l’argent vient à 100 % de Petrobras. ■ Petrobras est accusée, même si c’est sur le ton
Notre pays lui-même expérimente depuis déjà un certain temps la structure de réseau de recherche pour faire des bonds en termes de génération de la connaissance. Les choses ont commencé à partir du Programme Génome de la FAPESP lancé en 1997, il y a donc presque dix ans... — Exactement,ce fut la base de la génomique... ■
■ Quoi qu’il en soit, on n’est pas trop dépen-
■ Et Petrobras peut-elle exiger des résultats?
■ Le réseau de recherche a-t-il été pensé à par-
tir de la grande expérience de certains dirigeants actuels de Petrobras dans l’université? — Partiellement. C’est une association entre cela, l’expérience du Cenpes et l’expérience des domaines d’affaires de Petrobras. Lors de la discussion au niveau de la direction, l’expérience universitaire s’est révélée importante – pas seulement la mienne, mais aussi celle du directeur Ildo Sauer, acquise à l’Université de São Paulo. Le processus interactif a fonctionné et, comme cela se produit chez Petrobras, ce fut le résultat d’un processus collectif de définition. Et le réseau n’est en rien nouveau ou original, internationalement. Il y a plusieurs expérimentations similaires dans les grandes entreprises de pétrole. ■ Le réseau va-t-il rester concentré au Brésil?
— En ce moment nous sommes concentrés au Brésil mais nous sommes ouverts, parce que ce réseau a et doit avoir des contacts et des relations avec le monde entier, sinon il cesse de fonctionner. J’insiste sur le fait que la grande différence entre des modèles du passé et ce réseau actuel est que ce dernier se base sur des relations institutionnelles. Des contrats sont signés avec les institutions, dans lesquelles est prévue une structure de gestion spécifique de ces contrats. PESQUISA FAPESP
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de l’ironie et de la plaisanterie, d’être plus forte dans la politique culturelle du pays que le Ministère de la Culture. Elle aurait ainsi un savoir-faire pour faire quelque chose de similaire en science et en technologie... — Les programmes culturels de Petrobras sont alignés sur les politiques du Ministère de la Culture. Dans le cas des organismes de soutien à la recherche (CNPq, Capes, etc.), le cadre est différent, parce nous investissons dans un sous-ensemble des domaines concernés par ces institutions. ■ Pour conclure la discussion, les changements mondiaux ne placent-ils pas Petrobras face à un dilemme fondamental de croissance? — Non, je ne le vois pas comme ça. Depuis les 150 dernières années, l’industrie du pétrole dans le monde est responsable des formes de la vie moderne. Sans elle, le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Il n’y aurait pas les avions que l’on a, les voitures, on aurait d’autres moyens de transport, d’autres types d’énergie, d’autres moyens de génération électrique, tout... Donc elle ne peut pas être diabolisée, d’accord? Sans pétrole, nous n’aurions pas d’industrie pétrochimique. Il convient de mettre sur les points sur les i. Dans le cas du Brésil, Petrobras est intensément liée, depuis ses débuts, au développement du pays. Dans son essence même, elle a une relation avec l’industrie brésilienne, avec la lutte contre les problèmes d’inégalité, avec la nationalité, l’affirmation nationale, l’indépendance. Des valeurs intrinsèques de la stratégie et de la vie de Petrobras. Elle a résisté et soutenu, elle a eu une relation d’amour et de haine avec le Proalcool – sans Petrobras, le Proalcool ne se serait probablement pas développé. Maintenant, avec le biodiesel et l’expansion de l’exportation d’alcool, Petrobras se positionne vis-à-vis de ces segments en tenant compte de leur importance. Il est important de les incorporer chez Petrobras parce qu’il s’agit d’un problème national d’efficacité énergétique. Petrobras évalue aujourd’hui le crédit de carbone de ses émissions. Et elle consacre 40 % de ses investissements au raffinage, qui s’élèvent à 23 milliards de dollars en quatre, cinq ans, pour améliorer la qualité du diesel et de l’essence. L’investissement total de Petrobras est de 87 milliards de dollars jusqu’en 2011. Et tout cela s’intègre parfaitement dans l’histoire de Petrobras, et je ne vois aucun “être ou ne pas être... oh!” devant nous. Aucune crise existentielle profonde. ■
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ILLUSTRATIONS CLAUDIUS CECCON
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eux études publiées dans la revue Anais da Academia Brasileira de Ciências [Annales de l’Académie Brésilienne de Sciences] ont dressé un portrait inédit de la production brésilienne qui se distingue sur la scène scientifique internationale. Les chercheurs – Rogerio Meneghini et Abel Packer, du Centre d’Information sur les Sciences de la Santé pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (Bireme) – ont analysé le meilleur de la production universitaire brésilienne entre les années 1994 et 2003: un ensemble de 248 articles scientifiques cités plus de cent fois dans d’autres articles de publications liées à la base de données Thomson-ISI (Institut for Scientific Information). Cet échantillon représente 0,23 % des 109 916 articles de chercheurs brésiliens publiés dans des revues et indexés dans l’ISI pendant cette période. Les répercussions d’un article se mesurent habituellement par le nombre de mentions dans d’autres articles. Dans un second temps, les auteurs se sont attachés à regrouper les 248 articles en domaines de connaissance. Après avoir rencontré des dénominateurs communs pour 114 d’entre eux, ils en sont arrivés à la conclusion que 25 centres brésiliens d’excellence se distinguaient, et ce dans 11 domaines en particulier: Parmi les douze articles sur la Forêt Amazonienne – la plupart traitant des conséquences de l’exploitation forestière
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– huit étaient liés à l’Institut National de Recherches de l’Amazonie (Inpa), installé à Manaus. Pour Meneghini, “c’est une donnée très positive, car elle montre qu’il est possible de produire des recherches de haut niveau en dehors des grands centres”. Et la proximité avec l’objet d’étude n’explique pas l’impact. De fait, “beaucoup d’institutions d’autres pays mènent également des recherches en Amazonie”. ■ Les chirurgies cardiovasculaires constituent le thème des dix-huit articles les plus cités. La plupart des recherches sont reliées à de grands réseaux de recherche internationaux, et nombre d’entre elles abordent le même sujet: l’efficacité de techniques telles que l’angioplastie et l’implantation de stents pour désobstruer les artères. Des études réalisées par des institutions de São Paulo, l’Institut du Cœur (InCor) et l’Institut de Cardiologie Dante Pazzanese. À noter également les répercussions d’une autre innovation: la nouvelle technique de réduction de ventricules gauches dilatés, créée par le chirurgien Randas Batista de l’État du Paraná. ■ Vingt groupes brésiliens étudiant le métabolisme oxydatif des cellules ont produit dix articles mentionnés plus de cent fois. À noter en particulier cinq articles de l’équipe d’Aníbal Vercesi, professeur de la Faculté des Sciences Médicales de l’Université d’État de Campinas (Unicamp). Ses travaux ont permis de comprendre les relations entre les activités de la mitochondrie et la mort cellulaire. Trois autres travaux proviennent du groupe d’Ohara Au-
ÉVALUATION
En quoi
sommes-nous bons?
Des études montrent que la recherche brésilienne se distingue au niveau mondial dans onze champs de la connaissance F ABRÍCIO M ARQUES
Publié en février 2007
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gusto de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP), en partenariat avec l’Uruguayen Rafael Radi. Ils sont la conséquence d’une recherche qui a abouti à la formation d’un radical carbonate, composé jusqu’alors inconnu dans les organismes vivants. ■ Sept articles sur la catalyse chimique témoignent du succès des recherches coordonnées par Jairton Dupont et Roberto F. De Souza, professeurs à l’Université Fédérale de l’État du Rio Grande do Sul (UFRGS). En 1992, ils ont développé de nouveaux sels fondus, liquides à température ambiante et hautement stables, avec de nombreuses applications possibles dans l’industrie chimique. Ils ont réussi à produire divers liquides ioniques, applicables dans plusieurs champs de la science. ■ Trois articles brésiliens sur le séquençage génétique ont connu un retentissement important. Le principal d’entre eux porte sur le génome du phytopathogène Xylella fastidiosa, qui a d’ailleurs fait la couverture de la revue Nature le 13 juillet 2000. La xylella est responsable de la maladie qui s’attaque aux oranges. Le séquençage fut possible grâce à un programme coordonné par la FAPESP, qui a organisé le réseau en lien avec des institutions de São Paulo.“Il est encore tôt pour savoir si c’est la meilleure manière d’atteindre l’excellence en biologie moléculaire”, observe Meneghini,“mais notre capacité à organiser des réseaux de recherche au niveau national en ressort largement gagnante”. ■ La recherche brésilienne en neurosciences a produit 16 articles de grande importance. L’un des groupes à s’être distingué travaille dans le domaine de la pharmacie expérimentale et est dirigé par Frederico Graeff, de la Faculté de Philosophie, Sciences et Lettres de l’Université de São Paulo à Ribeirão Preto. Son étude cherche à comprendre les effets soulageants ou anxiogènes des médicaments sur le comportement des souris. L’équipe ayant le plus produit d’articles est celle d’Iván Isquierdo, à l’Université Fédérale de l’État du Rio Grande do Sul, avec des travaux sur les mécanismes de la mémoire. Le pharmacologiste Xavier Albuquerque, des universités Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et de Maryland, États-Unis, a analysé les aspects biophysiques de la transmission
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Fondation Oswaldo Cruz et la Faculté de Médecine de l’USP à Ribeirão Preto. ■ Enfin, trois articles sur l’utilisation de contraceptifs oraux et leurs effets sur les maladies vasculaires mettent en avant la participation de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp) dans des études menées avec de grands réseaux de recherche internationaux.
synaptique au niveau des neurones. L’un des articles est écrit par un Brésilien – Luiz Antônio Baccalá, de l’Université de São Paulo –, mais la recherche a été menée dans un laboratoire de l’Université américaine Duke. Ce laboratoire est dirigé par le Brésilien Miguel Nicolelis, connu pour ses travaux sur les connexions sensorimotrices (voir reportage p. 34). Meneghini et Packer observent que Xavier Albuquerque et Miguel Nicolelis ont tous deux été élèves de César Timo-Iaria, chercheur à l’USP et pionnier en matière de neurosciences au Brésil (décédé en 2005). ■ La physique des particules est à l’origine de 13 articles,en grande partie grâce aux collectes de données réalisées par deux réseaux de recherche: l’un relié à l’Institut de Physique de l’USP et l’autre au Centre Brésilien de Recherches Physiques. Les lauriers sont partagés: chacun des articles compte en moyenne 154 auteurs, originaires d’une dizaine de pays différents. ■ La physique quantique fait l’objet de sept articles, divisés en deux catégories: la 18
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première est davantage tournée vers le champ théorique et est dirigée par Constantino Tsallis du Centre Brésilien de Recherches Physiques ; Tsallis est à l’origine de concepts qui portent son nom, comme l’entropie Tsallis. La seconde est axée sur la physique expérimentale et est conduite par Luiz Davidovich de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). ■ Quatorze articles se penchent sur la génétique humaine, avec en particulier les études de Mayana Zatz et de Maria Rita Passos Bueno. Chercheuses à l’USP, elles ont identifié les gènes impliqués dans la dystrophie musculaire humaine. L’unité d’Endocrinologie de la Faculté de Médecine de l’USP y a également contribué avec deux articles sur un type de pseudo-hermaphrodisme, une maladie génétique. ■ Les recherches sur les maladies infectieuses, comme la toxoplasmose, le Sida et la maladie de Chagas, apparaissent dans quatorze articles. Trois institutions se distinguent: l’Université Fédérale de l’État des Minas Gerais (UFMG), la
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Si ce relevé permet de souligner le volet international de la recherche brésilienne, les auteurs observent qu’il est cependant nécessaire de prendre en compte le contexte dans lequel s’insèrent ces données. La prédominance d’articles de médecine et de biomédecine (108 des 248 articles) ne s’explique pas seulement par la performance des scientifiques, elle est aussi due au fait que ce champ est particulièrement productif dans le monde entier. Dans une autre étude à paraître, Meneghini et Packer ont recensé les articles mentionnés au moins cinquante fois dans d’autres textes. Se sont alors distingués des travaux réalisés dans les domaines des mathématiques, des sciences informatiques, de l’anthropologie, de l’ingénierie, de la médecine vétérinaire et de la biophysique. Dans certains de ces domaines la production universitaire est moins grande, d’où le nombre inférieur de mentions. Le faible impact des recherches brésiliennes sur les sciences humaines est attribué au fait qu’il s’agit de thèmes régionaux, qui n’ont pas éveillé l’attention sur le plan international. Les résultats obtenus donnent lieu à un ensemble de réflexions. C’est notamment le cas du nombre élevé d’études réalisées par de grands réseaux internationaux en médecine, physique de particules et astronomie. Il s’agit d’articles sur l’incidence de maladies et l’efficacité de médicaments, ou qui dépendent du recueil de données par l’intermédiaire d’accélérateurs ou de télescopes. Parmi les 37 articles les plus cités (tous mentionnés plus de 250 fois), 18 sont de ce type. En moyenne, chacun de ces articles compte 21 auteurs de 9,4 pays différents – alors que la moyenne générale de l’ensemble des articles est de 3,8 pays. D’après Meneghini, “ce sont des recherches importantes, mais l’objectif de certaines est presque exclusivement bureaucratique, avec une participation des chercheurs limitée à la transmission de données en grandes quantités”.
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D’autre part, seuls 4 articles sur les 37 sont de la responsabilité exclusive d’auteurs brésiliens. Si cela montre l’importance de la collaboration internationale, les chercheurs ont néanmoins été amenés à écrire un second article spécifique sur le sujet. Symptôme de dépendance ou de faiblesse? Eduardo Krieger,président de l’Académie Brésilienne des Sciences (ABC), ne voit pas cela comme un problème:“30 à 35 % de recherches publiées par des Brésiliens bénéficient d’une collaboration internationale, un chiffre tout à fait correct. [...]. Cette distorsion apparaît dans le classement des plus cités parce que les auteurs nordaméricains ont tendance à citer davantage leurs compatriotes”. Planifier l’avenir – L’idée de procéder à un relevé des informations est survenue en 2004, après que le Britannique David King – assistant scientifique du gouvernement du Royaume-Uni – ait publié dans la revue Nature une étude portant sur 1 % des articles les plus cités dans le monde entre 1993 et 2001. L’article propose un classement des 31 pays qui produisent les recherches de plus grand impact sur la planète. Le Brésil y occupe honorablement la vingt-troisième place. L’étude montre également que le pays a publié 27 874 articles sur la base de données Thomson-ISI entre 1993 et 1997 (0,84 % du total), et 43 971 entre 1997 et 2001 (1,21 % du total). Mais de quelles études brésiliennes étaitil question? Le classement ne répondait pas à cette question, d’où le travail effectué par Meneghini et Packer. Connaître les points forts et les points faibles est essentiel pour pouvoir planifi-
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er l’avenir et accroître la performance de la recherche. Selon Krieger, les 11 domaines dont les études se distinguent le plus peuvent aider le gouvernement à orienter des investissements, toutefois il serait erroné de miser excessivement sur des domaines aux applications pratiques et laisser de côté la recherche de base. Et d’ajouter: “ Il faut étendre les domaines d’excellence, sans pour autant oublier que chacun d’eux a été construit sur une base scientifique solide sans engagements”. Il convient de souligner que la science ne se produit pas par génération spontanée. Professeur de l’UFRGS et responsable du groupe reconnu pour ses travaux en termes de catalyse chimique, Jairton Dupont rappelle que les progrès observés dans son domaine de connaissance résultent d’investissements opérés à partir des années 1980, grâce au premier Programme de Soutien au Développement Scientifique et Technologique (PADCT) du gouvernement fédéral: “La chimie était une sorte de parent pauvre du système des sciences et de la technologie, mais elle a réussi à beaucoup avancer au cours des vingt dernières années”. Pour lui, son groupe a connu la réussite parce qu’il était prêt pour l’inattendu – le processus innovateur de catalyse chimique est né de la difficulté à importer des réactifs. Aníbal Vercesi, à l’origine des travaux sur le stress oxydatif, signale que la reconnaissance de son champ de recherche vient de la grande popularité conquise à l’étranger durant les dernières années: “Il n’y a pas de mystère. Tout dépend de beaucoup de travail et de la participation de bons étudiants et de bons collaborateurs, outre la quête d’interaction avec d’autres chercheurs. Je rends visite à plusieurs laboratoires étrangers et ma porte est grande ouverte pour ceux qui veulent connaître notre travail”. Toutefois, seul un de ses cinq articles cités plus de cent fois compte sur la participation d’étrangers. Pour Eduardo Krieger, le défi est de pourvoir des ressources capables de garantir le maintien d’une croissance annuelle de 8 % au niveau des articles publiés. C’est le cas depuis vingt ans, même si l’économie avance à un rythme beaucoup plus lent. Il affirme:“Notre système de recherche est jeune et évolue beaucoup. Nous devons aider le pays à se développer et croiser les doigts pour que la croissance de l’économie permette à la science brésilienne d’effectuer de nouveaux bonds”. ■ PESQUISA FAPESP
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Qui produit le plus en matière de santé et de biologie? L’Université de São Paulo (USP) est celle qui produit le plus d’articles sur la santé et la biologie. De 2001 à 2003, elle a publié 5 696 articles indexés dans la base de données Thomson-ISI (Institut for Scientific Information) et 6 368 dans la base de données Medline. Cette place de leader est mise en évidence dans une étude publiée dans le Brazilian Journal of Medical and Biology Research. L’article y propose un classement des 20 universités brésiliennes les plus productives dans ce domaine et responsables de 70,87 % des près de 25 000 travaux publiés entre 2001 et 2003. L’auteur principal de l’étude est Ricardo Zorzetto, journaliste, éditeur provisoire des articles scientifiques de la Pesquisa FAPESP et chercheur au sein du groupe de Jair Mari, professeur du département de psychiatrie de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp). Le gros de la production revient à des institutions de la région Sud-Est. La seconde place est occupée par l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), avec 2 476 articles dans la base ISI et 2 318 dans la base Medline. Viennent ensuite l’Unifesp, l’USP de Ribeirão Preto et l’Université d’État de Campinas (Unicamp). Sont également présentes dans le classement la Fondation Oswaldo Cruz, les Universités Fédérales des États de Minas Gerais, du Rio Grande do Sul, du Paraná, du Pernambouc, de Santa Catarina, de Bahia, du Ceará et du Pará, trois unités de l’Université d´État de São Paulo (Unesp), l’Université d’État de Rio de Janeiro, le campus de l’Unicamp à Piracicaba et l’Université de Brasília (UnB).
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Capacité croissante La production universitaire bat des records dans le pays, bien que ses répercussions ne soient pas aussi expressives Publié en août 2007
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de tête a connu des changements par rapport à 2005: l’Allemagne a détrôné le Japon et pris sa deuxième place, avec 8,1 % du nombre total d’articles. En 4e position apparaît la Chine, avec 7,9 % des articles, qui devance pour la première fois l’Angleterre et ses 7,27 % d’articles. La Capes a également diffusé un autre classement, qui prend en compte le nombre de citations des articles brésiliens dans les textes d’autres chercheurs entre 2002 et 2006 (un indicateur usuel des répercussions de la recherche) ainsi que la qualité des publications dans lesquelles ils apparaissent. Dans ledit “classement d’impact”le pays redescend à la 20e place, derrière la Suisse dont les articles sont cités 551 537 fois (contre 206 231 pour le Brésil), et derrière d’autres nations ayant publié un nombre significativement inférieur d’articles – Suède, Pologne, Belgique, Israël, Écosse, Danemark et Autriche. Si la position du Brésil n’est pas plus basse, c’est parce qu’en termes de répercussion il a réussi à dépasser des pays comme la Russie, l’Inde et même la Chine, qui ont publié davantage. Dans le cas des Chinois, le nombre d’articles publiés est quatre fois supérieur à celui des Brésiliens. D’après Jorge Guimarães,“la répercussion de nos articles est supérieure à celle du groupe des pays émergents avec lesquels nous sommes de fait en compétition. [...]. En nombre d’articles, le Brésil connaît un désavantage dans les domaines technologiques, mais dans certains cas cette différence disparaît au niveau de l’indice d’impact”. La différence entre les deux classements a donné lieu à l’interprétation selon laquelle la croissance de la recherche brésilienne serait plutôt liée à la question de la quantité qu’à celle de la qualité. Toutefois, les spécialistes pensent que la vérité se situe davantage dans un moyen terme entre les deux relevés. José Fernando Perez, physicien et ancien directeur sci-
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entifique de la Capes, souligne: “En théorie, si un article n’est pas cité c’est parce qu’il n’a rien apporté de nouveau à la connaissance. Mais il peut y avoir une certaine distorsion lorsqu’on analyse isolément l’indice d’impact, car des pays à la production restreinte peuvent bénéficier de la répercussion extraordinaire d’un petit nombre d’articles”. Tradition – Rogério Meneghini observe
que certains pays scandinaves ont devancé le Brésil parce qu’ils excellent par tradition dans certains domaines:“La Suède est forte dans plusieurs domaines. Le Danemark a eu par exemple un physicien comme Niels Bohr, qui a aidé à former des générations de chercheurs”. Les travaux du scientifique, mort en 1962, ont contribué d’une manière décisive à la compréhension de la structure atomique et de la physique quantique. Meneghini poursuit: “Ce sont des pays qui ont hérité d’une science de très haut niveau et, grâce à cela, ils conservent une influence et dictent les directions dans certains domaines”. Mais la principale distorsion dans les indices d’impact peut avoir une autre origine. Plusieurs travaux dans le champ de la scientométrie – discipline qui cherche à générer des informations pour stimuler le dépassement des défis de la science – suggèrent un “effet psychosocial” dans la logique des citations: les NordAméricains ont tendance à citer beaucoup plus les Nord-Américains, les Allemands eux-mêmes, et ainsi de suite. Pour Meneghini,“la rigueur imposée aux auteurs par les revues scientifiques est la même, indépendamment de leur origine. Mais les citations d’articles de pays comme le Brésil, l’Inde et la Chine sont invariablement moins nombreuses que celles des pays développés”. ■
F ABRÍCIO M ARQUES
BUENO
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n 2006, la production universitaire brésilienne a battu un nouveau record: 1,92 % des articles publiés dans des périodiques indexés dans la base de données Thomson-ISI (Institut for Scientific Research) – collection qui réunit les publications les plus importantes au niveau mondial – provenaient du Brésil. Quantitativement, les chercheurs brésiliens ont publié 16 872 articles, soit environ mille de plus qu’en 2005. Une telle performance a permis au Brésil de passer de la 17e à la 15e place dans le classement des 25 nations les plus productives, en devançant de peu des pays développés comme la Suède et la Suisse. Les données ont été diffusées par la Coordination Brésilienne de Perfectionnement du Personnel de Niveau Supérieur (Capes), une agence du Ministère de l’Éducation qui évalue les programmes de 3e cycle. Jorge Almeida Guimarães, président de la Capes, déclare: “En 2002, nous occupions la 20e place ; en 2005 nous sommes passés à la 17e. Le résultat actuel n’était attendu que pour 2009”. Le plus impressionnant est la vitesse de croissance de la production brésilienne: entre 2004 et 2006, l’augmentation fut de 33 %. Pour Rogério Meneghini, coordinateur scientifique de la bibliothèque électronique SciELO Brasil,“la croissance est exponentielle et résulte, notamment, de la stratégie de la Capes à exiger rigoureusement la publication d’articles”. Les domaines concernés par la plus forte augmentation de la production universitaire entre 2005 et 2006 ont été ceux de l’immunologie (23 %), de la médecine (17 %), de la production animale et végétale (13 %), de l’économie (12 %), de l’écologie et de l’environnement (12 %) et des ingénieries (11 %). Les États-Unis conservent leur traditionnelle première place, avec 32,3 % de la production scientifique mondiale. Par contre le peloton
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Unité multiple: Un groupe de cellules nerveuses interconnectées constitue la base fonctionnelle du système nerveux central
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Connexions sans frontières Des expériences de pointe menées sur le cerveau voyagent de l’Université de Duke à Natal afin que la science puisse contribuer à transformer des communautés pauvres
M ARILUCE M OURA ,
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Publié en février 2007
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l s’agit effectivement d’un rêve, ou plutôt de sa transposition dans le monde réel. C’est l’espoir qui anime l’esprit de celui qui a recherché intensément depuis deux décennies à capter le cerveau et à décoder les signes peu visibles des connexions existantes entre la pensée et le mouvement, l’intention et l’action, le désir et la réalisation. Ce rêve, qui commence à se matérialiser avec des briques, du ciment et des professionnels de haut niveau du Nord-Este brésilien, s’appelle l’Institut International de Neurosciences de Natal (IINN). Son idéalisateur s’appelle Miguel Nicolelis, 45 ans, éminent neurobiologiste de l’Université de Duke. Il est né à São Paulo et s’est formé en médecine à l’Université de São Paulo (USP) en 1984. Il est surtout connu, malgré sa grande contribution en neurosciences de base, pour ses expériences avancées utilisant des électrodes neurales greffées sur des singes et qui pourront déboucher sur la mise au point de prothèses humaines, comme des bras et des jambes artificiels robotiques commandés directement par le cerveau, entre autres résultats.Autrement dit, par la pensée, ou par la volonté . Pour éviPESQUISA FAPESP
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Action à distance: Nicolelis a entraîné des singes de nuit à mouvoir des bras mécaniques grâce au pouvoir du cerveau
L’équipe brésilienne de Duke estime que la recherche de pointe doit s’articuler avec l’action sociale
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ter toute injustice, nous nous devons d’inclure deux collègues de Nicolelis, également co-idéalisateurs de l’Institut, Sidarta Ribeiro et Cláudio Mello. Il nous faut imaginer la distance parcourue depuis 2002, dans un laboratoire en pleine expansion jusqu’à atteindre ses 1200 mètres carrés actuels à l’Université de Duke, à Durham en Caroline du Nord. L’institut brésilien a commencé à fonctionner au cours de l’année dernière et est actuellement installé dans un bâtiment loué de 1500 mètres carrés dans une rue modeste de la capitale du Rio Grande do Norte, très proche de la Favela Viasul, alors que s’érigent les formes les plus ambitieuses et les plus solides de son siège sur le campus de l’École Agricole de Jundiaí à Macaíba qui appartient à l’Université Fédérale du Rio Grande do Norte (UFRN). Il s’agit d’une petite ville localisée à environ 20 kilomètres de Natal et qui ne compte pas plus de 60 mille habitants, alors que Natal en compte environ 800 mille. Au mois de janvier dernier, dans la cohue des ouvriers travaillant à la construction des trois bâtiments de l’institut, on espérait intensément qu’une partie de ces installations
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puisse être inaugurée durant le II Symposium de l’Institut International de Neurosciences de Natal qui allait avoir lieu du 23 au 25 février. L’un de ces trois bâtiments est destiné au centre de santé materno-infantile du projet, l’autre au propre centre de recherche et le dernier au centre d’éducation communautaire. On perçoit déjà que Nicolelis et ses collègues les plus proches ont une approche associant la recherche de pointe et l’action sociale, et ils ne s’en cachent pas. À tel point que dans la salle d’attente du siège actuel de l’IINN, qui abrite également l’Association Alberto Santos Dumont de soutien à la recherche (AASDAP), un panneau fixé sur le mur indique aux visiteurs que cette organisation de société civile d’intérêt public (Oscip), créée par leurs soins le 17 avril 2004 afin de viabiliser l’institut, “a comme objectif la gestion de ses propres ressources et de celles de tiers pour la mise en œuvre de projets sociaux et la recherche scientifique”. Il ajoute également: “il se fonde sur le fait que la science de pointe peut, dans des pays en développement comme le Brésil, être un puissant agent de transformation socioéconomique pour les communautés vivant dans des régions pauvres du territoire national”. Le premier bâtiment de l’institut que le visiteur venant de la capitale peut apercevoir à Macaíba, dans la rue à droite qui mène au campus, est le centre de santé. 500 mètres plus loin, pratiquement à l’entrée du campus, à gauche, s’élève le centre de recherche. Un peu plus loin on peut apercevoir les futures installations du centre d’éducation communautaire. Sur le chantier, de nombreux panneaux indiquent les soutiens politiques et financiers apportés à cette entreprise. Le gouvernement fédéral est représenté par le Ministère de la Santé et par le Ministère de l’Éducation à travers la Fondation de Coordination et de Soutien au Personnel Enseignant (Capes). L’université de Duke, l’UFRN et la mairie de Macaíba sont également citées sur ces panneaux. Seuls les donateurs privés n’apparaissent pas, comme Lily Safra, veuve du banquier Edmond Safra, qui a offert à la fin de l’année 2006 une somme qui, à sa demande, n’a pas été révélée. Mais selon Nicolelis, il s’agit de la plus grande contribution privée déjà versée à une entreprise de recherche au Brésil.
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N À Durham, le groupe voulait découvrir si le singe apprenait à décoder (à lire pour ainsi dire) le message qui lui était envoyé sous la forme de microstimulations électriques pour ensuite l’associer à un mouvement
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ous allons quitter temporairement Macaíba pour revenir au magnifique campus de l’Université de Duke, qui occupe la cinquième place au classement des universités les plus renommées en matière de recherche aux États-Unis. Dans une froide aprèsmidi d’automne du 17 novembre 2006, dans un des bâtiments du secteur biomédical du campus, Nicolelis, dans sa grande salle raisonnablement organisée et divisée en deux parties, se félicite de la défense de thèse présentée il y a quelques heures par son élève de doctorat, Nathan Fitzsimmons.“Dans notre spécialité, tout le monde a jusqu’à présent réussi à lire les signes provenant des zones motrices du cerveau. Cependant, quand vous faites bouger un bras robotique il faut également recevoir le signal de retour pour comprendre ce qui se passe. Et nous y sommes parvenus, car il a fondamentalement découvert la formule, un algorithme pour renvoyer les signaux vers le cerveau, un feedback sensoriel! Sa présentation fut très bonne”, déclare-t-il. Ses commentaires se réfèrent aux récentes études concernant les greffes d’électrodes corticales sur des musaraignes et des singes. Il s’agit d’une étude menée sur des singes de nuit, deux femelles pour être exact, et répondant aux noms de Thumper et Pocie, comme l’indique avec amusement Nicolelis sur son blog du Globo on-line. C’est un modèle très proche de l’homme et les résultats pourraient être d’une importance considérable en termes d’applications destinées justement aux futures prothèses rêvées et commandées par le cerveau. En outre, ces résultats pourraient apporter à la science de base un nouvel éclairage sur les transformations micro-anatomiques du cerveau produites par l’apprentissage. “En résumé, les mêmes électrodes utilisées pour enregistrer les signaux électriques des zones motrices permettraient d’envoyer directement un message numérique au cortex somesthésique, région superficielle du cerveau qui identifie les stimulus appliqués sur la surface du corps, et vérifier ainsi si le cerveau apprend à identifier ce qui lui parvient”, explique le chercheur. En d’autres termes, Nicolelis et son groupe voulaient savoir si le singe apprenait à décoder (à lire pour ainsi dire) le message qui lui était envoyé sous la forme de micro-sti-
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vient à avoir du sens”, déclare-t-il. Ce message abstrait lié à un ordre moteur “produit une transformation micro-anatomique”, rajoute-t-il. Pourquoi Nicolelis en est il persuadé? “Nous nous sommes aperçus qu’avec différents algorithmes déclenchés en même temps tout au long de l’apprentissage, le processus du message arbitraire se transformait clairement en ordre moteur. Parallèlement à la stimulation du cortex somesthésique, nous sommes pour la première fois parvenus à lire les signaux produits dans d’autres zones du cerveau, la zone motrice, et aussi à décoder avec précision l’intention des animaux, le mouvement qu’ils allaient faire avant qu’ils ne l’exécutent”, déclare-t-il de manière détaillée. Ceci dans un laps de temps de l’ordre de 100 à 200 millisecondes. À ce stade, l’équipe de Nicolelis a d’ailleurs commencé à mener des expériences encore plus excitantes sur des singes de nuit, qui semblent davantage relever de la fiction scientifique et qu’il a baptisées : “contacts immédiats du quatrième type”. Certains des résultats obtenus sont impressionnants mais il préfère agir avec prudence et ne rien avancer avant d’obtenir des confirmations plus évidentes.
l’année dernière, les chercheurs se sont mis à utiliser 16 électrodes au lieu des quatre utilisées jusqu’alors dans leurs expériences. Nicolelis nous explique que dans la littérature neuroscientifique les ordres relatifs au mouvement sont normalement attribués à l’introspection, quand le fait de s’arrêter ou de bouger est déterminé à l’intérieur du propre cerveau et, dans un modèle que le chercheur appelle de deuxième type, ils sont attribués à l’environnement extérieur. Il s’agit donc d’une chose culturelle et apprise. C’est, par exemple, l’impulsion immédiate de tout conducteur pour arrêter son véhicule dès que le feu orange s’allume et annonce le feu rouge. “ Au Brésil, il y a cependant une chose très particulière et différente du reste du monde qui est d’accélérer quand le feu passe à l’orange ”, déclare le chercheur en plaisantant. Chez les primates et peut-être chez certains autres mammifères (les chiens, par exemple), s’arrêter ou bouger peut également être déterminé par une commande verbale. “J’ai baptisé contact immédiat du troisième type la réponse à un message provenant d’un système artificiel et transmis directement au cerveau par un ordre numérique, qui est arbitraire et qui par-
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mulations électriques et l’associer ensuite à un mouvement.“Nous sommes partis d’une chose très simple, avec un modèle fixe, pour nous acheminer vers une chose plus complexe, mobile et possédant une dimension spatio-temporelle.” Lors d’une première expérience, les animaux devaient apprendre à associer arbitrairement les stimulations électriques envoyées dans le cortex, par un mouvement à gauche ou à droite qui leur permettrait de trouver la nourriture située dans des compartiments placés des deux côtés. Par exemple, si le stimulus électrique se manifestait, le singe devait aller à gauche, sinon vers la droite. Les singes ont mis 40 jours pour apprendre. Lors d’une deuxième expérience avec un modèle plus complexe comprenant des variations temporelles, il ne leur a fallu étonnamment que 10 jours pour apprendre. “Probablement parce qu’ils ont généralisé l’information, et ceci a favorisé leur apprentissage”, observe Nicolelis. Par la suite, quand les chercheurs ont renversé le modèle appris, chaque singe a mémorisé plus rapidement le nouveau modèle. Le modèle le plus simple a été appris en quatre jours, et le plus complexe en trois jours. Les expériences se sont poursuivies et, au mois de novembre de
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Rêve concret: Des ouvriers érigent des centres de recherche (ci-dessus) et d’éducation communautaire
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ouze chercheurs et un nombre variable de chercheurs visiteurs travaillent actuellement à l’IINN du Rio Grande do Norte, sous les ordres de Sidarta, 35 ans, coordonnateur scientifique de l’institut. Le 11 janvier dernier, Eduardo Schenberg, élève de Koichi Sameshima, neurologue de l’Hôpital SyroLibanais de São Paulo, faisait partie de ces chercheurs. Il s’agit d’une institution avec laquelle l’IINN maintient un accord de coopération qui a déjà débouché sur des résultats intéressants, principalement grâce aux études menées sur la maladie de Parkinson. Malgré la prévision du déménagement à court terme d’une bonne partie des laboratoires vers le nouveau siège à Macaíba, les installations actuelles louées du siège de l’institut sont bien équipées pour une bonne partie des recherches utilisant des électrodes, en effet le vivarium des rongeurs et le centre chirurgical semblent de premier ordre. Le bâtiment possède également des salles destinées aux expérimentations sur les PESQUISA FAPESP
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êtres humains qui font partie de la ligne de recherche de Sidarta sur le sommeil et la mémoire. Les 20 employés du département administratif se répartissent entre le bâtiment principal de l’institut et un deuxième bâtiment proche, consacré à la santé communautaire de la population locale. Sidarta s’est formé en biologie en 1993, à l’Université de Brasília (UnB). Il est également titulaire d’un 3e cycle en biophysique de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), d’un doctorat en neurobiologie cognitive moléculaire de l’Université Rockefeller (1995-2000), et a fini par intégrer le laboratoire de Nicolelis à l’Université de Duke en 2000, tout d’abord en tant que post-doctorant et ensuite comme chercheur associé. Il occupe actuellement le poste de coordonnateur de l’IINN avec le plus grand naturel. Une partie de la communauté neuroscientifique brésilienne critique justement son rôle de coordonnateur au sein du groupe de Nicolelis. Pour certains, ce choix indique un verrouillage au
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lieu de l’ouverture attendue et de l’interaction souhaitée entre les différents groupes neurologistes du pays. “Sidarta est un chercheur brillant, extrêmement prometteur, mais sa désignation en tant que directeur scientifique est frustrante car elle ne semble pas être le fruit d’un processus de sélection clairement défini. L’Institut commence maintenant à sélectionner des chercheurs post-doctorants, alors qu’au départ tout semblait cloisonné, selon une des critiques émises durant le I Symposium de l’IINN en 2005.” Ce commentaire émane de Luiz Eugênio Mello, recteur adjoint de 3e cycle de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp), spécialiste en neurophysiologie et qui a largement contribué au domaine de l’épilepsie. Mello est depuis peu conseiller scientifique de la FAPESP et parle sans détours de son admiration pour le travail de Nicolelis qu’il qualifie de “scientifique brillant sur le front de la science moderne qui avance vers les domaines d’application”. Il confirme également l’élargissement actuel dans la recherche d’interaction avec d’autres scientifiques brésiliens. Il participe d’ailleurs lui-même à un projet de coopération avec l’IINN, coordonné par Iván Izquierdo, de l’Université Pontificale Catholique du Rio Grande do Sul (PUC-RS), duquel fait également partie le groupe de Marco Antonio Máximo Prado, de l’Université Fédérale de Minas Gerais (UFMG).
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Ce rêve commence à l’Institut Juqueri dans les années 20 ou 30 Dès ses débuts, l’Institut Juqueri situé à Franco da Rocha, São Paulo, avait l’ambition d’être un centre de recherche de pointe
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“Le fait que le groupe se soit présenté comme pionnier et fondateur de la neuroscience dans le pays, lors du premier Symposium, a ébranlé la communauté scientifique. Cette dernière s’est alors demandée si ce qu’elle avait réalisée durant ces 30 ou 40 dernières années ne valait rien”,déclare Mello.Selon lui, l’IINN a pu voir le jour à Natal grâce à un groupe en neurosciences qui avait déjà été monté à l’UFRN il y a 30 ans, sous les ordres d’Elisaldo Carlini, de l’Unifesp. Il déclare également que sans cela, il aurait pu s’agir de toute autre ville. En réalité, derrière les disputes et les jalousies compréhensibles de la communauté universitaire, se cache une certaine crainte liée au faible budget alloué à la recherche dans le pays. “Comme les ressources de Nicolelis sont suffisantes, le groupe est politiquement bien articulé et scientifiquement très compétent, mais il y a une certaine crainte qui plane quand une entreprise dite collective fait preuve de centralisme sur le choix de ceux qui en feront partie.” Peu de personnes savent que Sidarta s’estime coresponsable de l’idée de l’institut, non sans raison. Nicolelis lui laisse toute liberté d’assumer cette condition. Quand on lui demande, dans son bureau à Natal, si l’institut est vraiment né d’un rêve de Miguel Nicolelis qui a ensuite contaminé de nombreuses personnes, Sidarta répond qu’en réalité ce n’est pas tout à fait le cas.“Ce rêve a commencé à l’institut Juqueri dans les années 20 ou 30. À ses débuts, cet institut localisé à Franco da Rocha, São Paulo, avait l’ambition d’être un centre de recherche de pointe réunissant à cet effet des neuroscientifiques et des médecins d’influence psychanalytique. Cette histoire m’a été racontée par mon professeur de neuroanatomie, Marcos Marcondes de Moura, qui avait été directeur de l’institut Juqueri. Il me parlait beaucoup du programme de recherche mené par l’institut dans le but de comprendre les maladies mentales, la banque du cerveau etc. Ils avaient de grandes ambitions, tant sur le plan théorique qu’expérimental ”, déclare Sidarta. Il en conclut que l’idée de faire de la science neurologique de pointe au Brésil a été influencée par Marcondes. “J’avais cette idée à l’esprit quand je me suis rendu aux États-Unis et j’ai essayé de la transmettre à d’autres. J’en ai parlé à Cláudio Mello, également de Brasí-
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lia et qui fut mon directeur de recherche à l’Université Rockefeller. Nous avons alors commencé à créer un groupe qui adhérait à cette idée au sein de l’université. Cette idée parvint aux oreilles du président de l’université, Torsten Wiesel, qui se montra aussitôt enthousiaste”, déclare-t-il. Quand Sidarta connut Nicolelis en 1998, il fut enchanté par son travail et ses méthodes, et il lui parla de son idée. “Miguel fut également enchanté par cette idée, mais il occupait alors une bonne place à l’Université de Duke. C’était certainement le neuroscientifique brésilien de plus grand renom sur le plan mondial. Il était professeur titulaire de deux excellents laboratoires et bénéficiait d’un bon financement.” Sa réaction fut positive et il trouva l’idée excellente. En fonction de ses engagements politiques (dans sa jeunesse il fut un militant de la lutte pour la redémocratisation du pays et fit partie des fondateurs du Parti de Travailleurs, le PT), il proposa son aide. On pensait alors à créer un institut de pointe situé dans une belle région,
afin d’attirer des gens du monde entier, les recherches étant orientées par les problèmes et non par les techniques. “C’était une idée très romantique, il y avait même un accès à la forêt pour y étudier les animaux en liberté dans la nature”, déclare Sidarta. La première contribution de Nicolelis fut d’utiliser sa renommée pour viabiliser le projet.“Il devint cependant de plus en plus enthousiaste et finit par apporter une réelle nouveauté au projet: lui conférer une mission sociale”, déclare-t-il. Ainsi, grâce à Miguel, l’idée qui n’était au départ que scientifique “acquit alors une autre dimension”. Il le fit durant le passage de la nouvelle année 2002 2003, tôt le matin, après la victoire de Lula aux élections présidentielles, avec une volonté de transmettre à la société les valeurs ludiques, éthiques, méritoires et même disciplinaires de la science, conscient du fait que la connaissance est libératrice ”. Sidarta rajoute également que “sans la force de volonté d’entreprendre de Nicolelis, les choses n’auraient pas avancé”. PESQUISA FAPESP
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Créateur et créature: Idéalisateur de l’institut de Natal, Sidarta analyse l’action des neurones durant le sommeil des rongeurs
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icolelis, devant son ordinateur situé à gauche de son bureau, explique que les implants utilisés sur les animaux, faits de tungstène et de résine, ont une taille de 4 à 5 millimètres, dont 2 millimètres introduits dans le cerveau. Il nous montre ensuite la salle de neuro-ingénierie du laboratoire où sont fabriquées les électrodes. Le fait de greffer un élément étranger au corps, avec une partie externe et l’autre interne, est problématique car cela favorise les infections. Un des singes du laboratoire porte cependant une électrode dans le cerveau depuis plus de six ans et ceci sans aucun problème. De toute manière, comme il faut penser à l’avenir, des ingénieurs liés à différents groupes de recherche travaillent à la mise au point d’implants sans fils pour obtenir des neuroprothèses plus efficaces. “L’ATR, un des principaux laboratoires de robotique japonais, a décidé de s’associer à cette collaboration internationale en menant des recherches sur de meilleurs bras robotiques et sur une veste capable de fonctionner comme un exosquelette”. Notre conversation aborde les expérimentations importantes liées à la maladie de Parkinson, qui ont prouvé que Nicolelis avait raison sur un principe qu’il défend depuis des années. En effet, les unités fonctionnelles du cerveau sont constituées de populations de neurones, et non d’un unique neurone. Suite à ces expériences, des neurochirurgiens de Duke ont rencontré des collègues de l’Hôpital Syro-libanais durant un workshop à São Paulo, pour les entraîner à une technique sous électrodes qui offre en peu de temps des indications plus précises sur les zones à retirer pour éviter les désagréables symptômes de la maladie. Comme le patient est complètement réveillé pendant l’opération, il est également possible d’observer ses réponses qui mènent à des principes absolument inattendus. “À titre d’exemple, nous savons maintenant qu’il est possible de produire un comportement moteur complexe avec seulement 300 cellules. Il est évident qu’il faut un nombre déterminé de neurones pour favoriser tout comportement, mais il est possible que quelques centaines soient suffisants pour réaliser une tâche, au lieu de milliers”, déclare Nicolelis. De manière simplifiée, Ni-
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colelis présuppose tout d’abord que l’unité fonctionnelle du cerveau n’est pas le neurone mais une population de neurones. En deuxième lieu, que cette population ne possède pas toujours les mêmes éléments car son état change constamment, c’est à dire que certains neurones sont convoqués pour faire bouger le bras, mais plus tard d’autres, et non les mêmes, peuvent être appelés à répéter la même tâche. C’est pour cela qu’il y a des traces de comportement moteur dans des zones du cerveau qui normalement n’ont rien à voir avec le mouvement. “En d’autres termes, le système est distribué, souple et non rigide ”, résume-t-il. Il souligne également que “le concept de code distribué n’élimine pas le concept de spécialisation. Ils ne s’excluent pas entre eux”. Tout cela laisse supposer que le cerveau humain possède peut-être des millions de neurones dans un réservoir potentiel destiné à suppléer à tout instant aux nécessités de ces cellules pour exécuter chaque comportement. De plus, en cas d’absence de cellules spécialisées, les autres peuvent s’acquitter de la tâche. Cette notion de population de neurones comme unité fonctionnelle du cerveau semble être “très sensée et très intelligente”, selon les termes du neurologue Iván Izquierdo qui, comme Nicolelis, fait partie des Brésiliens les plus cités dans la littérature scientifique.“Il est évident que sous certains aspects une cellule est une unité, mais pas de ce point de vue fonctionnel”, déclare-t-il. Izquierdo, réputé pour ses études menées sur la mémoire et les mécanismes de sa consolidation, est en train de finaliser l’analyse d’une collaboration avec le groupe de l’IINN, portant sur des études neurophysiologique, neurochimique et neuropharmacologique chez les personnes âgées. “Nous attendons un financement du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq) et nous allons travailler sur un modèle animal: les musaraignes transgéniques.” Il espère ardemment que l’institut de Natal sera un succès afin qu’il puisse devenir un grand pôle d’attraction pour les scientifiques du sud et du centre du pays. Luiz Eugênio Mello pense également que l’idée des populations de neurones est très intéressante. “Cela semble sensé, mais des démonstrations
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Depuis des années, Nicolelis défend l’idée que les groupes de neurones, et non chaque neurone, constituent les unités fonctionnelles du cerveau
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Populations fluctuantes: des groupes distincts de cellules nerveuses peuvent contrôler une même action à différents moments
précises sont difficiles à réaliser en fonction de la question même des populations fluctuantes.” Nicolelis imagine un modèle contenant des neurones fluctuants, mais également liés à un noyau restreint, spécialisé et toujours actif. Quant à l’application réelle de bras robotiques et d’autres prothèses, elle a, selon lui, un bel avenir “si nous réussissons à franchir certains obstacles, par exemple en introduisant entièrement PESQUISA FAPESP
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l’implant dans la tête pour éviter les infections et en l’actionnant sans fils avec des ondes radios, c’est notre objectif ”. Miguel Nicolelis nous montre une vidéo optimiste de l’institut qui se situe aux abords de la rivière Potengi, affluent du Jundiaí. À la question du choix de Natal, il me répond:“parce que si nous arrivons à le faire à Natal, il deviendrait évident que des instituts de ce type peuvent être créés dans n’importe quelle région du Brésil ”. Sur les murs, près de son ordinateur, sont accrochées de nombreuses couvertures de revues allant du très spécialisé Journal of Neuroscience jusqu’à IstoÉ, revue brésilienne d’information plus générale. En traversant le campus pour arriver à l’autre laboratoire, dans une fin d’après-midi glacée, il nous parle de son livre qui relate l’histoire de ses expériences et destiné aux non-initiés, qu’il doit terminer avant sa publication début 2008, ainsi que de deux autres livres plus scientifiques. “Mon objectif est de présenter une théorie plus ample de l’interaction existante entre le cerveau et la technologie que notre culture est en train de créer. Ceci peut nous aider peut-être à expliquer des phénomènes qui ne se limitent pas au cerveau, mais qui concernent de multiples cerveaux qui interagissent. Je pense que certains comportements sociaux sont peut-être définis à l’image du fonctionnement naturel du cerveau.” Il s’agit d’une idée audacieuse. En ce qui concerne les investissements actuels à Duke, Nicolelis annonce qu’ils sont en train d’investir 40 millions de dollars dans deux laboratoires. Et à Natal? Ils ont déjà certainement franchis la barre des 25 millions de dollars estimés. Il rêve également d’un institut virtuel du cerveau, dirigé par l’un des 20 groupes internationaux en neurosciences de pointe, duquel feront partie de nombreuses unités réparties à travers le monde. Il s’agirait donc d’une collaboration scientifique horizontale, sans frontières et basée sur l’interaction des talents. Un type d’archipel de la connaissance, luttant contre la pauvreté actuelle, la misère néolithique, selon les termes de Sidarta. Il rêve également d’autres instituts de recherche dans le Nord-Este. Rêver, selon l’hypothèse de recherche de Sidarta, n’est peut-être que simuler de possibles avenirs basés sur la mémoire du passé. ■
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> PSYCHIATRIE
Magnétisme
contre la dépression
Une technique expérimentale se révèle efficace dans le traitement de troubles psychiatriques graves R ICARD O Z ORZET TO Publié en janvier 2007
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na Paula a du mal à se souvenir de la dernière fois qu’elle a vu sa mère sourire. Depuis sa première crise dépressive, il y a quasiment 20 ans, Maria vit dans un état de tristesse et passe ses journées entières, allongée sur le canapé, ruminant des pensées qui jaillissent d’un monde toujours gris. Elle a déjà testé tous les types d’antidépresseurs connus, mais aucun n’a été capable de mettre fin à une apathie qui l’accompagne encore aujourd’hui et qui l’a obligée à quitter son travail dans l’entreprise familiale de la région métropolitaine de São Paulo. Les remèdes, utiles dans la plupart des cas, ne faisaient que retarder la prochaine rechute de Maria. Il y a six mois, lors de sa dernière rechute, les médecins ont dû recourir à une application de décharges électriques dans le cerveau, sous anesthésie générale, l’électroconvulsothérapie, plus connue sous le nom d’électrochoc (traitement considéré comme l’un des plus efficaces dans les cas les plus graves), bien
que controversé pour avoir déjà été appliqué de manière cruelle et même utilisé comme technique de torture sur des prisonniers. Ce traitement peut aider à rétablir le fonctionnement normal des cellules nerveuses, bien qu’il provoque généralement des pertes de mémoire passagères, qui peuvent durer quelques jours et parfois des mois. Comme les décharges électriques ne fonctionnaient également pas, Maria a commencé, au mois de novembre à l’Institut de Psychiatrie de l’Université de São Paulo (IPq/USP), à se soumettre à une thérapie contre la dépression qui, ces dernières années, éveille l’intérêt des psychiatres et neurologues du monde entier. Il s’agit de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr), une séquence de pulsations magnétiques intenses capables de stimuler ou d’inhiber l’activité du tissu nerveux. Il y a peu de temps encore la SMTr n’était réservée qu’aux expérimentations scientifiques, et semble produire les mêmes effets que l’électroconvulsothérapie pour soigner la dépression. Ses effets se traduisent par un réajustement du fonctionnement de régions déterminées du système nerveux central, mais avec moins d’effets indésirables. L’Institut de Psychiatrie de l’USP a autorisé l’utilisation de la SMTr pour le traitement de dépressions au mois d’octobre 2006, après que l’équipe du psychiatre Marco Antonio Marcolin l’ait testé de manière expérimentale durant six ans pour lutter contre la dépression, pour traiter
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IMAGES FONDATION IBERÊ CAMARGO
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Cyclistes, 1989, huile sur toile d’Iberê Camargo: autonomie et mouvement
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Études de la série Cyclistes en 1990, Iberê Camargo
des douleurs chroniques et certaines formes d’hallucinations propres à la schizophrénie ainsi que pour aider à la récupération d’individus victimes d’accidents vasculaires cérébraux. L’institut analyse actuellement la manière de solliciter l’inclusion de la SMTr dans la liste des procédures remboursées par le Système de Santé brésilien en matière de dépression pour l’offrir gratuitement à un plus grand nombre de personnes. Cette thérapie, déjà adoptée pour cette même finalité au Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande, en Israël et dans certains pays d’Europe, est encore onéreuse et coûte 300 réaux pour chacune des 20 séances nécessaires au traitement aigu de la dépression dont souffre une personne sur dix tout au long de sa vie. Il s’agit en général d’une séance par jour durant un mois. Quinze jours après le début du traitement, Ana Paula notait déjà les premiers signes de récupération de sa mère. La dose d’antidépresseur que Maria prend encore a été réduite à un quart de la dose initiale, et l’équipe de Marcolin a commencé à supprimer le sédatif qu’elle prenait pour dormir. Ce traitement est réellement simple. Le matin du 6 décembre, dans une petite salle du premier étage de l’institut, la psychiatre Maria do Carmo Sartorelli approche une bobine en forme de 8 et de la taille de la paume de la main du côté gauche de la tête de Maria, assise sur une chaise inclinée. On entend ensuite une série de crépitements rapides durant dix secondes, 34
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suivis de 20 secondes de silence et ensuite d’une nouvelle séquence de pulsations, cela répété plus de 23 fois.“Après les applications, ma mère est sortie en discutant et non muette comme auparavant ”, déclare Ana Paula.“J’ai été surprise par son changement d’humeur”. À chaque crépitement, un courant électrique de quelques millisecondes et d’une intensité élevée (jusqu’à 5 mille ampères) passe par la bobine. La séquence rapide de branchement/débranchement produit des fluctuations dans un champ magnétique qui traverse le crâne et crée un courant électrique de très faible intensité dans une zone spécifique du cortex qui est la couche la plus externe du cerveau. Bien qu’il soit faible, ce courant électrique est suffisant pour déclencher la transmission de l’impulsion nerveuse d’une cellule à l’autre, explique le physicien Oswaldo Baffa Filho de l’USP à Ribeirão Preto, qui mène des recherches dans ce domaine. Reprogrammant des neurones – La SMTr et l’électrochoc fonctionnent sur la base du même principe physique, soit le passage de courant électrique par l’encéphale qui contient l’ensemble des structures du système nerveux central qui inclut le cerveau. Mais il y a également des différences importantes entre ces deux systèmes, comme l’intensité et l’étendue du courant électrique appliquées au système nerveux central. Alors que la SMTr crée un courant de quelques milliampères dans une zone restreinte du cerveau, l’électroconvulsothérapie produit un courant environ mille fois plus élevé, jusqu’à 2 ampères, qui traverse tout l’encéphale et provoque des convulsions identiques à celles observées durant des crises d’épilepsie (le patient ne sent pas les convulsions et ne s’en souvient pas car il est anesthésié durant toute la séance). Quelle que soit la technique utilisée, on estime que ce passage de courant électrique reprogramme certains gènes des cellules nerveuses qui reprennent ensuite un fonctionnement approprié, similaire à l’effet produit par les antidépresseurs. Dans le traitement de la dépression, la région visée par la SMTr se situe du côté latéral gauche de la tête, au dessus des yeux. C’est à cet endroit que se trouve le cortex préfrontal dorsolatéral, une région de la taille d’une pièce de 10 centimes et qui est associée à la mémoire à
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court terme, au raisonnement logique et à l’évaluation des objectifs que l’on désire atteindre. Cette région est en général moins active chez les individus souffrant de dépression que chez les autres, et cela quelle que soit l’origine du problème, qui peut dépendre de facteurs génétiques, hormonaux ou environnementaux. Selon Marcolin, l’individu se soumettant à des sessions de SMTr ne sent généralement rien, bien qu’il puisse ressentir un léger mal de tête ou des contractions du cuir chevelu qui généralement disparaissent quand l’appareil est éteint. Il y a presque 10 ans, cette quasi-absence d’effets indésirables a éveillé l’attention de Marcolin et ceci l’a motivé à se dévier de sa ligne de recherche. Au vu des résultats des premières expérimentations, il a abandonné sa spécialité touchant aux interactions entre les drogues psychiatriques et d’autres médicaments pour mener des recherches sur l’efficacité de la SMTr pour lutter contre la dépression et d’autres maladies qui, chez certains individus, entraînent généralement une perte de raison et une perte de contrôle sur leur propre vie. Outre les études internationales menées dans ce domaine, deux expérimentations conduites à l’USP attestent ces bénéfices et étayent la décision que devra prendre l’Institut de Psychiatrie afin d’autoriser la SMTr dans le traitement de la dépression (principalement dans les cas où ni les médicaments, ni les thérapies psychologiques ne produisent l’effet escompté). Le travail le plus récent en la
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matière et publié en décembre par l’International Journal of Neuropsychopharmacology montre que la SMTr est aussi efficace que l’électroconvulsothérapie pour réduire les signes de la dépression persistante, appelée dépression réfractaire. Le psychiatre Moacyr Rosa, de l’équipe de Marcolin, a sélectionné 42 personnes d’une tranche d’âge comprise entre 18 et 65 ans, toutes souffrant de dépression réfractaire afin qu’elles puissent recevoir un des deux traitements possibles: la SMTr ou l’électroconvulsothérapie. Rosa a traité aléatoirement la moitié de ce groupe avec cinq sessions hebdomadaires de SMTr pendant un mois, alors que l’autre moitié s’est soumise à 12 applications d’électroconvulsothérapie durant la même période. Durant cette étude, Rosa a mesuré le degré de dépression à trois reprises au moyen d’une échelle allant de 0 à 40 points (une ponctuation inférieure à 7 indique une absence de dépression et une ponctuation supérieure à 22 confirme une dépression grave), stade où apparaissent généralement des changements brutaux de comportement comme l’insomnie ou le contraire quand l’individu dort trop fréquemment, quand il se nourrit de manière exagérée ou perd complètement l’appétit, quand il n’a plus de désir sexuel ou veut fréquemment mettre fin à ses jours.
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Autres bénéfices – Après la deuxième semaine de traitement, la ponctuation des participants des deux groupes était passée en moyenne de 32 à 25. Quinze jours plus tard le degré de gravité était passé à 15, dépression considérée de modérée à légère. D’une manière générale, 40% des individus s’étant soumis à l’électroconvulsothérapie et la moitié de ceux s’étant soumis à des sessions de stimulation magnétique ont bien répondu à la thérapie. Pour les médecins cela signifie qu’ils avaient réduit de moitié les signes de dépression présentés en début d’étude. À la fin de la recherche, 20% des individus du premier groupe et 10% du second n’étaient déjà plus considérés déprimés.“La proportion des candidats qui ont vu leur état s’améliorer est relativement faible, mais il faut se rappeler que les cas traités par l’Institut de Psychiatrie de l’USP sont toujours d’une extrême gravité ”, déclare Marcolin. La chose la plus importante démontrée par cette étude est que la SMTr a favorisé une amélioration identique à l’électroconvulsothérapie, laquelle nécessite une anesthésie générale pour chacune des trois séances hebdomadaires. Ce fait est important et ce n’est pas le seul. En effet, deux ans auparavant, l’équipe de Marcolin avait découvert un autre atout de la SMTr. L’excitation de ré-
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Application: Une bobine déclenche un courant électrique d’intensité élevée en millisecondes s
gions déterminées du cerveau à l’aide de pulsations magnétiques rapides et intenses accélère l’action des antidépresseurs. Demetrio Ortega Rumi, psychiatre de l’USP, a prescrit à 46 personnes souffrant de dépression profonde une thérapie de cinq semaines à base d’amitriptyline, un des antidépresseurs les plus efficaces pour rétablir l’équilibre des messagers chimiques du système nerveux central qui, pense-t-on, se situent à des niveaux inférieurs à la normale en cas de dépression. Au début de la deuxième semaine, Rumi a séparé les participants de cette étude en deux groupes. Une moitié s’est soumise à 20 sessions de SMTr et le reste a suivi un même nombre de séances de stimulation inactive, où la bobine était placée sur la tête, produisait les mêmes crépitements mais ne créait pas de champ magnétique. Durant l’expérimentation, aucun des deux groupes ne savait quel traitement il recevait. L’effet produit par la véritable stimulation a été évident. Dès la première semaine, Rumi s’est aperçu que l’intensité dépressive avait diminué, passant en moyenne de 32 à environ 20 points pour les individus traités avec la bobine active, alors que l’échelle de l’autre groupe indiquait encore une dépression profonde avec environ 30 points. À la fin de la quatrième semaine la plupart des patients ayant reçu une véritable stimulation ont vu leur état s’améliorer énormément. En effet, la moitié n’était déjà plus déprimée et le reste n’indiquait qu’une légère dépression. Seuls 12% des patients s’étant soumis à une sti36
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mulation simulée se sont débarrassés du problème grâce au médicament, selon les résultats publiés en 2005 dans la revue Biological Psychiatry. Avant les antidépresseurs - L’équipe
de Raffaella Zanardi de l’Université Vita-Salute à Milan en Italie a noté des effets identiques à la SMTr sur des personnes traitées avec trois autres antidépresseurs plus récents : l’escitalopram et la sertraline, qui inhibent la recapture du neurotransmetteur sérotonine, et la venlafaxine, inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Dans cette étude relatée dans un article du Journal of Clinical Psychiatry de décembre 2005, les participants ayant reçu de véritables impulsions magnétiques ont vu leur état de santé s’améliorer plus rapidement que ceux traités par stimulation inactive, bien qu’à la fin de cette étude tous les participants n’avaient plus de cadre dépressif. “Ces données suggèrent que la stimulation magnétique anticipe l’action de l’antidépresseur, qui met généralement de deux à quatre semaines pour produire l’effet escompté”, déclare Marcolin. Marcolin ne fait cependant pas l’unanimité. Les plus prudents pensent qu’il est encore prématuré d’autoriser la SMTr pour soigner la dépression. Ceux qui préfèrent attendre davantage rappellent que jusqu’à présent les études n’ont inclus qu’un nombre relativement faible de participants, entre 40 et 60 individus, et cela durant à peine quelques semaines. Mais
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cette situation commence à changer grâce à la conclusion des études menées sur un plus grand échantillon de patients. Lors de la rencontre annuelle du Collège Américain de Neuropsychopharmacologie qui a eu lieu au début du mois de décembre, Sarah Lisanby, psychiatre de l’Université de Columbia et de l’Institut Psychiatrique Public de New York, a présenté la conclusion d’une étude portant sur 301 individus dépressifs, suivis dans 24 centres aux États-Unis, au Canada et en Australie. Dans cette étude financée par Neuronetics, une des entreprises qui fabriquent les équipements de SMTr, les participants n’ont pas pris d’antidépresseurs durant quatre semaines et la moitié a été traitée par stimulation magnétique transcrânienne, alors que l’autre moitié s’est soumise à une fausse stimulation. Les indices d’amélioration ont été plus expressifs dans le premier groupe. Selon Sarah Lisa,ces données corroborent les effets antidépressifs de la SMTr et sont comparables à ceux obtenus avec les antidépresseurs dans le traitement d’individus souffrant de dépression modérée et présentant une certaine résistance aux médicaments. “Mais cette efficacité est moindre que celle obtenue avec l’életroconvulsothérapie”, déclare la psychiatre, chef de la Division de Stimulation Cérébrale et de Modulation Thérapeutique de Columbia, à New York. Les résultats de cette étude ont servi à étayer une demande de réévaluation de la SMTr auprès de la Food and Drug Administration (FDA), agence nord-américaine régulatrice en matière d’aliments et de remèdes. Des spécialistes de la FDA vont se réunir à la fin du mois de janvier pour évaluer les faits les plus récents en termes de sécurité et d’efficacité de la SMTr, avant de décider s’ils approuvent son ample utilisation aux États-Unis où elle n’est encore utilisée qu’à titre expérimental. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir sur la SMTr. Les premières expérimentations indiquant son action antidépressive n’ont été publiées qu’en 1996 par Alvaro Pascual-Leone, neurologue de l’Université d’Harvard, aux États-Unis, un siècle après que le médecin et physicien français Jacques-Arsène D’Arsonval ait essayé pour la première fois d’utiliser le magnétisme pour modifier l’humeur d’un individu. Actuellement, on ne sait pas exactement si le cortex préfrontal dorsolatéral est la région la plus in-
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diquée pour les applications de SMTr ou si d’autres zones du cerveau produiraient de meilleurs résultats. On s’interroge également sur l’intensité de la fréquence de pulsations la plus appropriée. Au début des expérimentations, l’application de cette technique a provoqué certaines crises d’épilepsie sur des individus sains et des personnes souffrant de dépression. Adriana Conforto, du Département de Neurologie de l’USP, a étudié à l’Université de Berne en Suisse l’effet de différentes techniques pour définir le degré de sensibilité de chacun à ce type de traitement et déterminer le dosage spécifique, efficace et sûr pour chaque personne. La fréquence et l’intensité de la stimulation sont deux autres paramètres qui garantissent la fiabilité de cette thérapie. “L’association de techniques de neuronavigation et de neuroimage fonctionnelle en matière de stimulation magnétique transcrânienne possède un grand potentiel en termes de sécurité et d’efficacité ”, déclare Adriana. Les physiciens Oswaldo Baffa, Dráulio Araújo et André Cunha Perez travaillent avec le neurologue João Leite à Ribeirão Preto, afin de résoudre un autre problème : comment déterminer l’endroit le plus approprié de la tête pour y apposer la bobine de SMTr. Ils essayent de créer un programme informatique qui puisse lire les images de résonance nucléaire magnétique du cerveau pour placer la bobine de manière précise dans des zones comme le cortex préfrontal. “Il est crucial que les choses soient bien faites”, déclare Pascual Leone, de Harvard.“Nous sommes très attentifs en termes de contrôle de qualité, de sécurité et d’indication d’utilisation.” L’équipe de l’IPq de São Paulo travaille à l’élaboration de directives qui orienteront les applications de la SMTr pour pouvoir suivre le patient après que la dépression ait été initialement vaincue. Le chemin à parcourir est long mais prometteur, déclare l’équipe du neurologue espagnol Jaime Kulisevsky, dans un article de 2003 qui évalue l’utilisation de la SMTr contre la dépression: “De nombreux traitements cliniques utilisés en psychiatrie ont été mis au point lentement, tout d’abord à travers un processus d’approbation enthousiaste, puis pratiquement tombé dans l’oubli, pour réapparaître ensuite grâce à une utilisation clinique élargie et sensée”. ■
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Électrochoc polémique Quand le premier électrochoc fut appliqué en 1938, bien avant l’apparition des premiers médicaments psychiatriques, les médecins italiens Ugo Cerletti et Lucio Bini pensaient que l’induction de convulsions cérébrales identiques à celles observée dans l’épilepsie guériraient les troubles mentaux car un épileptique ne pouvait pas être également schizophrène. On a découvert plus tard que cette idée était erronée. Cependant, on a pu prouver que l’électrochoc utilisé de manière appropriée pouvait traiter la dépression profonde ainsi que d’autres troubles comme la schizophrénie. L’électrochoc, environ 70 ans après sa première application, est toujours l’une des thérapies médicales les plus controversées. Mais comparer l’électrochoc appliqué de nos jours dans les hôpitaux à ce qui était fait jusqu’au début des années 1980 revient à comparer les chirurgies actuelles à celles où les bons chirurgiens de l’époque étaient PESQUISA FAPESP
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ceux qui amputaient le plus rapidement possible afin d’éviter la douleur. Les séances d’électrochoc actuelles sont bien éloignées des scènes de film comme Vol au dessus d’un nid de coucou, où les personnages se retrouvent complètement débilités après avoir reçu, sans anesthésie, des chocs bien plus intenses que ceux d’aujourd’hui. De nos jours, les médecins appliquent une anesthésie générale et utilisent des relaxants musculaires avant de commencer le traitement. Une séquence très brève de décharges électriques, d’une à deux millisecondes, provoque une convulsion enregistrée par un électroencéphalogramme. L’anesthésie évite la souffrance et le relaxant évite la contraction musculaire durant la convulsion, évitant ainsi de possibles blessures. De surcroît, les patients se soumettant à un électrochoc reçoivent de l’oxygène et sont sous contrôle cardiaque permanent.
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diabète Un pari radical contre le
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Un traitement expérimental à base de chimiothérapie et de cellules souches évite que 14 patients se soumettent à des injections d’insuline Publié en mai 2007
M ARCOS P IVET TA
Le samedi 13 mai de l’année dernière, le dentiste Jaider Furlan Abbud, domicilié dans la commune pauliste de Pontal située à 30 kilomètres de Ribeirão Preto, a fêté ses 31 ans. Comme il est de coutume dans ce type de fêtes, il avait un peu exagéré sur la nourriture, surtout sur les sucreries. Le lendemain, en allant aux toilettes, il a eu la surprise de voir la cuvette des toilettes envahie de fourmis. C’était un signe classique d’excès de sucre dans les urines. Le lundi, il s’est aussitôt rendu chez le médecin et ses doutes se sont confirmés. Il souffrait de diabète de type 1, également appelé diabète juvénile ou insulinodépendant. Incrédule, il s’est alors rendu chez un deuxième spécialiste qui lui a confirmé le diagnostic. Pour contrôler la maladie il allait devoir, durant sa vie entière, se soumettre à des injections quotidiennes d’insuline, hormone qui retire le glucose du sang et que son pancréas ne produisait plus en raison de l’attaque inflammatoire caractéristique de ce type de diabète. La désagréable routine des piqûres allait immédiatement devoir faire partie de son quotidien.“Je n’arrivais pas à y croire”, se remémore le dentiste. Le 29 juillet de l’année dernière, moins de deux mois après avoir reçu le diagnostic, Jaider quitta l’Hôpital des Cliniques de la Faculté de Médecine de Ribeirão Preto de l’Université de São Paulo avec 13 kilos en moins. Mais il était très heureux car il n’avait déjà plus besoin de ses deux ampoules quotidiennes d’insuline pour contrôler la maladie. Il s’était soumis à un traitement expérimental onéreux et agressif contre le diabète de type 1. Il s’agissait d’un traitement comprenant de pénibles sessions de chimiothérapie par l’utilisation des drogues qui dépriment le système immunitaire, accompagné d’une autogreffe de la moelle osseuse. Son pancréas allait de nouveau produire de l’insuline. Le dentiste, marié et sans enfants, ne se fait plus de piqûres depuis plus de neuf mois. Il fait partie des 15 Brésiliens, d’une tranche d’âge comprise entre 14 et 31 ans qui, de novembre 2003 à juillet 2006, ont testé cette thérapie entièrement mise au point par une équipe du Centre de Thérapie Cellulaire (CTC) de l’université. Tous les patients (à l’exception d’un, justement le premier à s’être soumis à un traitement différent des autres, utilisant une thérapie à base de corticoïdes) ont obtenu des résultats positifs et se sont remis à produire de l’insuline. “Nous ne pouvons pas parler d’une cure du diabète car il nous faut encore suivre longtemps les patients pour voir si les effets se maintiennent et nous devons également réaliser des études sur plus d’individus”, déclare l’immunologiste Júlio Cesar Voltarelli, principal idéalisateur de cette ligne de recherche.“Mais notre travail aura un impact très important dans ce domaine”. C’est cet apparent succès d’une approche thérapeutique inédite (l’adjectif apparent se justifie car nous ne savons pas encore si ses bénéfices seront durables ou temporaires) qui a poussé une équipe de chercheurs du CTC, un des Centres de Recherche Innovation et Diffusion (Cepids) financés par la FAPESP, à publier un article scientifique de neuf pages dans une des revues médicales de grand renom : le Journal of the American Medical Association (Jama) du 11 avril. Le périodique reconnaissait l’excellence du travail et le commentait dans son éditorial dans ces termes:“L’étude de Voltarelli est la première de nom-
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Cristaux d’insuline: hormone qui régule le niveau de sucre dans le sang et qui n’est pas produite par les diabétiques de type I
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breuses tentatives en matière de thérapies cellulaire qui seront probablement testées pour contrer l’avancée du diabète de type 1”, déclare dans l’éditorial de Jama, Jay S. Skyler, de l’Institut de Recherche sur les Diabètes de Université de Miami. Il faut également souligner que cette expérimentation a été essentiellement menée par des Brésiliens. “C’est une contribution nationale pour la recherche sur le diabète ”, déclare Marco Antonio Zago, coordonnateur du CTC. Parmi les 13 auteurs de l’article publié dans le Jama, 11 appartiennent à l’USP de Ribeirão Preto pour seulement 2 collaborateurs étrangers. Il y a encore beaucoup de questions en suspens dans le traitement expérimental en cours de test à l’USP de Ribeirão Preto et les chercheurs eux-mêmes ne nient pas les incertitudes. Pourquoi cette thérapie combinée semble fonctionner ? Les patients se sont remis à produire de l’insuline grâce à la chimiothérapie ou grâce à l’autogreffe de la moelle osseuse? Ou bien grâce à la synergie entre ces deux procédures? On ne le sait pas encore. C’est justement pour ce motif que les Brésiliens veulent poursuivre les recherches. “Cette première étude possède un caractère exploratoire”, déclare Voltarelli. Le traitement reste encore mystérieux, à l’exemple de la propre genèse du diabète de type 1. Bien qu’il y ait des facteurs génétiques qui favorisent son apparition, la maladie se manifeste dans l’organisme en raison du contact avec un élément externe qui provoque un dysfonctionnement du système immunitaire. Le problème est que jusqu’à présent personne n’a réussi à découvrir pourquoi les cellules de défense du corps humain agressent la région pancréatique qui fabrique l’insuline. Il peut également y avoir plus d’un élément extérieur qui déclenche ce processus. On soupçonne, mais encore sans aucune preuve, que l’inflammation pourrait être causée par un virus, des radicaux libres, du lait de vache, parmi d’autres agents infectieux possibles. La recherche d’un traitement contre le diabète de type 1 qui remplacerait les pénibles piqûres quotidiennes est compréhensible. Bien qu’ils ne représentent au maximum que 10% de la population totale des diabétiques, soit 200 millions de personnes dans le monde et environ 10 millions au Brésil, les patients qui dépendent de l’insuline sont les cas les plus graves. Pour les individus souf40
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frant de diabète de type 2 et pour les diabètes gestationnels qui touchent temporairement certaines femmes durant leur grossesse, la maladie peut être en général simplement contrôlée par des diètes et des exercices physiques. Pour le diabète juvénile, qui normalement apparaît dès l’enfance ou au début de la vie adulte, ces mesures ne sont plus suffisantes. La lutte contre cette pathologie requiert nécessairement des doses externes d’insuline. Dans le cas contraire, le malade peut mourir rapidement. L’insuline est essentielle pour la vie car elle retire le glucose du sang qu’elle envoie ensuite dans les cellules où il se transforme en énergie. Les symptômes des trois types de diabète sont les mêmes, bien qu’ils soient normalement plus aigus pour les patients du type 1 et se manifestent sous la forme d’une soif intense, d’une envie constante d’uriner, d’une perte de poids même sans suivre de diète, d’une vision embuée, de fatigue et de douleurs dans les jambes. Trois ans sans insuline – Les chiffres
prouvant le succès de l’expérimentation brésilienne sont éloquents. Un des patients ne prend déjà plus d’insuline depuis 37 mois. Plus de trois ans. Quatre autres patients ne voient plus d’aiguilles depuis environ 23 mois, et sept depuis huit mois. Le traitement expérimental n’a pas produit de résultats immédiats dans deux cas. Cependant, plus d’un an après s’être soumis à la thérapie, ces patients ne sont plus également dépendants des doses externes d’hormone. Parmi les 14 patients traités, un seul a rechuté en contractant une virose et a dû recevoir à nouveau des doses d’insuline. Les effets collatéraux du nouvel abordage thérapeutique agressif ont été toutefois modérés. Un des malades a contracté une pneumonie et deux ont présenté des dysfonctionnements endocriniens. Mais pour que ce double traitement à base de chimiothérapie et d’autogreffe de cellules souches ait une chance de fonctionner, les chercheurs pensent qu’il faut bien sélectionner les patients qui se soumettront à ce traitement. Tous les individus qui, d’une certaine manière ont bénéficié de ce traitement thérapeutique, avaient été diagnostiqués diabétiques de type 1 au maximum six semaines avant le début du traitement.Il s’agissait donc d’individus en début de maladie. ■
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Ce type de sélection se justifie scientifiquement. Les chercheurs pensaient qu’il restait encore une petite quantité de cellules bêta dans les îlots de Langerhans, situés dans le pancréas, durant le stage initial de la maladie. Avec le développement de la maladie, ces cellules restantes auront le même destin que les autres et seront détruites par le dysfonctionnement immunitaire qui provoque le diabète de type 1. Les individus qui ont participé à cette expérimentation à Ribeirão Preto possédaient encore, par exemple, entre 20% et 40% des cellules bêta normalement présentes dans un organisme sain. Partant de cette présupposition clinique, sachant qu’en début de maladie il y a encore des cellules du pancréas à sauver de l’attaque inflammatoire typique du diabète, les chercheurs du CTC ont décidé de tester le traitement sur des patients récemment diagnostiqués diabétiques. Ils déclarent que la thérapie aura ainsi plus de chances de fonctionner. Le raisonnement est simple: si les cellules bêta non détruites sont préservées, l’organisme, une fois libéré du dysfonctionnement immunitaire qui agresse le pancréas, pourra les multiplier et ainsi reprendre une production normale d’insuline. C’est ce qui a pu se passer avec les malades qui ont bien répondu au traitement.
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Cet abordage thérapeutique inédit et testé sur 15 patients évite les doses élevées de chimiothérapie et d’immunothérapie (cyclofosfamide et globuline antithymocyte), et est suivi d’une greffe des cellules souches hématopoïétiques, capables de se différencier et de créer d’autres types de cellules comme les globules rouges du sang, les plaquettes et les globules blancs du système immunitaire. Ces cellules avaient été préalablement retirées de la moelle osseuse du propre individu et conservées dans du nitrogène liquide. Cette deuxième procédure est connue sous le nom de greffe autologue de la moelle osseuse (ou autogreffe), et ne présente aucun risque de rejet. Le traitement expérimental promeut donc une double attaque du diabète, sous une forme identique à celle utilisée pour lutter contre certains types de cancers, comme certaines leucémies. Tout d’abord, la chimiothérapie détruit pratiquement tout le système immunitaire du patient, source du problème inflammatoire qui attaque et tue les cellules bêta du pancréas. Des cellules souches hématopoïétiques sont ensuite injectées pour accélérer la reconstruction du système immunitaire du patient. Il s’agit donc d’un nouveau système immunitaire qui, pour des raisons méconnues, ne semble pas indiquer de dysfonctionnement inflammatoi-
re qui attaque les cellules bêta.“C’est comme si les défenses de l’organisme repartaient de zéro et que le patient ait à nouveau le système immunitaire d’un enfant”, déclare Voltarelli, qui teste également des thérapies utilisant des cellules souches pour soigner d’autres maladies auto-immunitaires, comme le lupus et la sclérose systémique. C’est pour cela que les individus qui se soumettent au traitement, outre le fait de perdre leurs cheveux, souffrent de vomissements et d’autres problèmes désagréables, et doivent à nouveau reprendre tous leurs vaccins.Au final, la “mémoire” de leur système immunitaire a été apparemment effacée ou du moins est en sommeil. Les résultats préliminaires, mais encourageants, du traitement expérimental contre le diabète du type 1 ont fait le tour du monde. Tant bien que mal, de nombreux reportages sur les études menées et réalisés au Brésil et à l’étranger avaient parfois un ton de sensationnalisme, comme si les chercheurs de l’USP avaient annoncé la cure de cette maladie, chose qu’ils n’ont jamais faite. Pour vous donner quelques exemples de divulgation dans la presse internationale, des journaux comme le français Le Monde, le britannique Financial Times et le nordaméricain The Wall Street Journal ont re-
Détails des îlots de Langerhans dans le pancréas: les cellules bêta (en vert et orange) produisent de l’insuline
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Cellules souches hématopoïétiques (en jaune): précurseurs du système immunitaire
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Effet lune de miel – Le reportage, qui a également offert un droit de réponse à Voltarelli, questionne dans ses grandes lignes le bénéfice supposé de ce traitement. Il insinue également qu’il est plus facile de tester de nouvelles thérapies risquées à base de cellules souches en Asie et en Amérique Latine, où les contrôles légaux sont moindres, qu’en Europe et aux États-Unis. Kevan Harold, un des chercheurs de l’Université de Yale (EUA) interviewé par la revue anglaise, déclare que les patients souffrant de diabète de type 1 peuvent passer par une phase appelée lune de miel dans laquelle ils se remettent à produire temporairement de l’insuline. Si l’on suit ce raisonnement, la reprise de production d’hormone dans le pancréas, suite au traitement, ne serait qu’une réaction passagère et naturelle de l’organisme. Les chercheurs du CTC réfutent ce type d’argument. “Il n’y a pas de période de lune de miel qui puisse expliquer que 14 patients sur 15 se soient remis à produire de l’insuline, certains sur plusieurs années”, répond l’endocrinologiste Carlos Eduardo Couri, autre rédacteur de l’article publié dans la revue Jama.“Il y aurait trop de coïncidences.” Lainie Ross Friedman, spécialiste en éthique médicale de l’Université de Chicago, interviewé par la revue New Scientist et contraire à l’expérimentation brésilienne, a également accordé une entrevue à la revue PESQUISA FAPESP. Sa plus grande restriction concerne l’inclusion d’enfants dans ces études. “Le Brésil est signataire de la Déclaration d’Helsinki (charte sur les principes étiques de la recherche scientifique promue par l’Association Médicale Mondiale) et les premiers tests thérapeutiques n’auraient pas dû inclure des enfants, mais seulement des
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laté cette étude. Certains de ces reportages questionnaient également les résultats obtenus par l’équipe de Ribeirão Preto. L’article le plus critique a peut être été celui publié par la célèbre revue hebdomadaire britannique de divulgation scientifique New Scientist dans son numéro du 21 avril. Avec un titre exagérant la réalité décrite par l’équipe du CTC, où était utilisée l’expression “cure du diabète avec des cellules souches”, la revue donnait la parole à des chercheurs étrangers qui ont émis une série de doutes techniques et même éthiques sur l’expérimentation brésilienne.
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adultes”, déclare Lainie. “Il aurait également dû y avoir un groupe de contrôle (patients qui reçoivent le traitement conventionnel pour le diabète de type 1, et dont l’évolution clinique servirait de base pour comparer l’efficacité de la thérapie alternative).” Quand ce système thérapeutique a été adopté, huit des 15 individus traités avaient moins de 18 ans. Selon elle, ces enfants n’auraient dû participer à cette expérimentation que dans une deuxième phase, au moment où il aurait été clairement prouvé sur des adultes que la thérapie alternative était meilleure que la conventionnelle. Lainie considère également que cette expérimentation est très dangereuse et fait allusion aux risques augmentés de cancer, de stérilité, et même de mort par l’adoption d’un traitement antidiabétique si agressif. Il y a même des chercheurs brésiliens qui, sur un ton plus amène et sans retirer le mérite de cette étude, émettent des réserves sur l’expérimentation du CTC. “J’ai une profonde admiration pour le travail osé et courageux du docteur Júlio”, déclare Mari Cleide Sogayar, de l’Institut de Chimie de l’USP, qui travaille également sur le diabète. “Mais le traitement proposé représente une avancée hétérodoxe et il faut bien évaluer son rapport coût/bénéfice.” L’équipe du CTC est la première à admettre les risques et les limitations du traitement thérapeutique, même dans l’article publié dans la revue Jama. Mais même ainsi, les scientifiques n’arrêtent pas de se débattre avec les critiques et à défendre la sincérité éthique de l’expérimentation. Selon Voltarelli, l’étude clinique a rempli tous les réquisits moraux et juridiques exigés dans le pays et il a fallu plus d’un an pour que cette étude soit approuvée par la Commission Nationale d’Éthique de la Recherche (Conep), instance rattachée au Ministère de la Santé qui autorise ce type de travail.“La Conep est plus rigoureuse que la FDA (organisme gouvernemental nord-américain qui veille à la qualité des aliments, des médicaments et qui régule les études cliniques)”, déclare l’immunologiste du CTC, laissant entendre qu’une partie des critiques émanant des chercheurs étrangers se doit au fait que ces études ont été menées par un groupe n’appartenant pas aux grands centres scientifiques mondiaux. Selon lui, l’utilisation de mineurs dans l’expérimentation se justifie car la maladie se manifeste chez les enfants et les PESQUISA FAPESP
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adultes de manière différente. Voltarelli déclare également qu’il a essayé de créer un groupe de contrôle mais qu’il n’est pas parvenu à réunir un nombre suffisant d’intéressés.“Mais nous allons essayer de créer un groupe de contrôle pour les prochaines études ”, admet-il. En ce qui concerne les problèmes de santé inhérents au traitement expérimental, l’équipe du CTC maintient une politique totalement transparente. “Nous parlons de tout durant le processus de sélection des candidats, même d’une possibilité de décès”, déclare Couri. “Cette possibilité est minime, mais elle existe. À tel point que la majorité des patients interrogés ont préféré ne pas se soumettre à cette thérapie.” Un des grands soucis de l’équipe du CTC est de ne pas donner de faux espoirs de guérison aux diabétiques de type 1. Depuis que les résultats positifs de l’expérimentation ont été divulgués dans la presse, Voltarelli reçoit 200 e-mails par jour provenant de patients voulant se soumettre à ce traitement. “10 demandes quotidiennes proviennent des ÉtatsUnis”, déclare l’immunologiste. Les chercheurs sont conscients du fait que le traitement expérimental ne représentera pas une solution définitive pour la maladie. Outre les doutes inhérents au mécanisme d’action de la thérapie et à la durée de ses bénéfices, Voltarelli souligne que le traitement est très onéreux et risqué pour pouvoir être proposé comme procédure standard aux millions de diabétiques de type 1 existants dans le monde. Chaque patient traité dans cette expérimentation de l’USP de Ribeirão coûte actuellement entre 20 et 30 mille réaux. L’hospitalisation est d’au minimum 20 jours dans une unité d’isolement, complétée par des soins intensifs dans le centre de greffe de la moelle osseuse. Les procédures nécessaires à la thérapie testée au CTC ne peuvent être exécutées que dans des hôpitaux hautement spécialisés. Le rêve des chercheurs est de découvrir un traitement efficace contre le diabète moins agressif et moins onéreux. Un des espoirs de l’équipe du CTC réside dans les cellules souches mesenquimales, autre type de cellule primitive que l’on rencontre également dans la moelle osseuse. Ces cellules semblent être capables de déprimer le système immunitaire. “Grâce à elles, nous allons peut-être parvenir à éviter la chimiothérapie qui est l’étape la plus agressive du traitement”, déclare Voltarelli. ■
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> PALUDISME
Une variabilité génétique permet au Plasmodium de tromper les défenses de l’organisme humain C ARLOS F IORAVANTI
Un maître en
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’est comme s’il possédait mille vêtements et autant de masques. Tout les deux jours, quand il se reproduit dans les globules rouges du sang, le protozoaire vecteur du paludisme parvient à créer de nouvelles combinaisons de son matériel génétique et à produire ainsi des protéines extrêmement diversifiées qui lui permettent de tromper les défenses de l’organisme humain. Cette capacité de recombinaison génétique, démontrée par un groupe de recherche de l’Université de São Paulo (USP), possède de sérieux débouchés pour la mise au point de vaccins destinés à lutter contre cette maladie, car le défi n’en est que plus grand. Les symptômes peuvent également varier d’une personne à l’autre, de manière subtile, à tel point que cette maladie typique des pays pauvres est indétectable dans un premier temps. Les études, réalisées sur le terrain et qui complètent les recherches menées en laboratoire, indiquent que des individus peuvent développer des résistances à certaines de ces variations tout en restant sensibles à d’autres, pouvant ainsi contracter de nouveaux types de paludisme avec la même intensité que la première fois. Dans l’un des laboratoires de l’Institut de Sciences Biomédicales (ICB) de l’Université de São Paulo (USP), la biologiste Erika Hoffmann a mesuré cette variabilité génétique en étudiant la MSP2, une protéine abondante de la membrane de surface du Plasmodium falciparum, parasite vecteur des formes les plus graves du paludisme, qui provoque des convulsions, des pertes de conscience et de fortes fièvres. Son étude, publiée en juin dans la revue Gène, s’est basée sur des échantillons de sang prélevés sur huit habitants de la commune d’Ariquemes, dans l’état de Rondônia, où cette maladie était assez commune. Elle a démontré que ces hommes étaient infectés par au moins 44 variantes ou souches différentes de Plasmodium falciparum avec neuf versions différentes de la protéine MSP-2. L’un de ces hommes portait neuf souches si différentes les unes des autres qu’elles se comportaient comme des pa-
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rasites différents. Ceci indiquait, autant pour cet individu et dans une moindre mesure pour les autres, qu’ils avaient été infectés par des Plasmodium falciparum génétiquement très différents entre eux, bien qu’ayant été détectés dans une zone où le niveau de transmission était très faible. La MSP-1, qui est une autre protéine commune de la surface du Plasmodium, se modifie beaucoup et n’est pas ainsi reconnue par l’organisme. C’est aussi l’une des principales candidates qui sera utilisée dans un vaccin destiné à lutter contre le paludisme. C’est comme si le labyrinthe, en lui-même perturbateur, se ramifiait chaque fois plus, sans fil d’Ariane pour retrouver la sortie. Certaines souches du parasite peuvent être plus agressives que d’autres, d’où un degré variable de la gravité de la maladie. Elles déclenchent différents symptômes qui se manifestent par de simples maux de tête, des diarrhées et des étourdissements au lieu des frissons et des fièvres intenses se manifestant toutes les 48 heures. “Nous savons, du moins, qu’une partie de la réponse de l’organisme dépend du type spécifique de souche du parasite”, déclare le médecin Marcelo Urbano Ferreira, coordonnateur du groupe de l’ICB. Si un individu n’a jamais eu de contact avec une souche, principalement les plus rares, la maladie a tendance à être plus grave. En cas d’apparition d’une variation connue de l’organisme, le paludisme peut se développer (les parasites se reproduisent tout d’abord dans le foie et ensuite dans les globules rouges du sang), mais sans aucun symptôme. “L’apparition possible d’infections sans symptômes ou de certains symptômes qui ne sont pas nécessairement les plus typiques complique énormément l’établissement d’un diagnostic et le traitement du paludisme”, déclare Ferreira. C’est une autre raison pour laquelle la maladie pourrait se répandre facilement et cela de manière silencieuse car, généralement, les individus ne consultent les services médicaux qu’au moment où les symptômes se manifestent, sans symptômes ils ne se rendront pas dans les dispensaires afin d’y recevoir un traitement
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déguisement
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À la recherche du protozoaire revêche: l’assistant de recherche Adamílson Luís de Souza prélève le sang de Mercedes Andreatto da Silva, professeur d’une communauté rurale d’Acrelândia
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En contact avec le paludisme
Médecins sans frontières: des chercheurs visitent les habitants de communautés rurales et prélèvent des échantillons...
et continueront infectés. C’est pour cette raison qu’en cas de piqûre ils peuvent infecter les moustiques vecteurs du paludisme à la recherche de sang, qui à leur tour peuvent infecter un autre individu. Dans un article de révision publié en mai, José Rodrigues Coura et son équipe de l’Institut Oswaldo Cruz de Rio de Janeiro ont estimé qu’un cas de paludisme sur quatre était asymptomatique en Amazonie, ce qui compliquait le contrôle de cette maladie. On estime que 2,4 milliards d’individus sont exposés à l’infection, soit 40% de la population mondiale, principalement dans les régions tropicales et subtropicales de la planète. Chaque année, 300 à 500 millions de nouveaux cas de paludisme apparaissent, faisant du paludisme la maladie parasitaire la plus répandue au monde et qui provoque la mort d’au moins 1,5 millions de personnes, principalement d’ enfants de moins de cinq ans vivant en Afrique, continent qui souffre le plus de cette infection. Au Brésil, le nombre de nouveaux cas par an
est passé de 50 000, il y a trois décennies, au niveau actuel de 600 000 cas par an. Ce bond est dû à la création de routes, à la construction de centrales hydroélectriques, aux migrations internes, aux installations d’individus en milieu rural et à la croissance de villes qui dénotent l’effort entrepris pour peupler le territoire national. C’est pour cette raison que le paludisme est aujourd’hui rare dans les grands centres urbains et se concentre en Amazonie, qui représente plus de 90% des cas enregistrés en Amérique du Sud. Réponses variées – Les recherches menées par l’équipe de l’ICB ont mis en évidence une complication supplémentaire. En effet, l’organisme humain peut actionner des mécanismes de défense différents en réponse à différentes souches. Mônica da Silva Nunes, médecin travaillant dans l’équipe de Ferreira, a identifié les lymphocytes T qui agissent comme cellule de défense, dans des échantillons de sang prélevés chez des habitants de la zone rurale d’Acrelândia,
LES PROJETS Rapprochement génomique et post-génomique dans l’étude des paludismes humains par Plasmodium vivax et P. falciparum en Amazonie brésilienne MODALITÉ
Acquisition de l’immunité contre P. vivax: étude longitudinale en communauté rurale amazonienne MODALITÉ
Ligne Régulière d’Aide au Projet de Recherche
Projet Thématique COORDONNATEUR COORDONNATEUR
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HERNANDO DEL PORTILLO — ICB/USP INVESTISSEMENT INVESTISSEMENT
3.087.101,23 réaux (FAPESP)
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commune de l’état de l’Acre. Elle a également identifié six variantes de la protéine MSP-1 du P. vivax, espèce qui est actuellement responsable de la plupart des cas de paludisme enregistrés au Brésil et dans le sud et sud-est asiatique. Parallèlement, Melissa da Silva Bastos, dont les travaux sont dirigés par Sandra Moraes-Ávila, de l’Institut de Médecine Tropicale de São Paulo,menait des recherches sur les variantes de la MSP-1 en induisant la production d’anticorps qui sont un autre type de défense contre les microorganismes.En comparant leurs résultats, elles en ont conclu que les régions de la protéine MSP-1 qui varient le plus sont celles qui actionnent les réponses les plus intenses de l’organisme, en produisant davantage de cellules de défense ou plus d’anticorps. Les régions les plus stables de cette protéine sont celles qui ont le moins mobilisées de lymphocytes T. Les études en cours menées sur la protéine MSP-2 de Plasmodium falciparum, réalisée conjointement par Kézia Scopel et Erika Braga de l’Université Fédérale de Minas Gerais, indiquent que la production d’anticorps pour lutter contre une souche de cette protéine ne signifie pas nécessairement que l’organisme pourra s’en protéger chaque fois qu’elle apparaîtra. Elles ont également constaté que le système de défense identifie certaines variantes, mais ignore pratiquement les autres.“La plupart du temps le système immunitaire de l’individu ne cherche pas à identifier la variante du parasite qui l’infecte”, déclare Ferreira. “C’est pour cela que seule une partie du vaste répertoire des variantes de la MSP-2 est identifiée par le système immunitaire d’individus souffrant de paludisme au Brésil.”
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...de sang où cela est nécessaire, même en forêt. Seuls les brûlis interrompent leur parcours souvent fait en moto
C’est donc en produisant davantage de cellules de défense ou d’anticorps que l’organisme réagira avec plus ou moins de rapidité pour essayer de contrer le parasite qui, après la piqûre du moustique vecteur, arrive au foie en 30 minutes. C’est là, dans le plus gros organe interne du corps humain, qu’au bout de dix jours chaque cellule en crée 40 000 autres qui envahissent les globules rouges circulant dans les veines et les artères. Durant la reproduction asexuée du parasite, qui s’effectue à l’intérieur des cellules sanguines, la molécule d’ADN qui porte les gènes crée une autre copie d’elle-même. Cependant, la molécule en formation qui devrait être identique à l’originale peut se rebeller, former une anse, et ajouter ou perdre certains segments d’ADN. Ainsi, les copies d’ADN seront plus grandes ou plus petites que la version originale. C’est ainsi que se forme une diversité génétique plus grande que celle qui peut apparaître durant la reproduction sexuelle du moustique. Tous les deux jours, chaque cellule du Plasmodium crée huit à 32 cellules qui rompent les membranes des globules rouges, et c’est à ce moment là que les pics de fièvre les plus élevés apparaissent. Une des particularités de ce travail est le lien étroit établi entre l’activité de laboratoire et le travail de terrain. Mônica a examiné les réactions des cellules et des anticorps à la protéine MSP-1 en travaillant dans un laboratoire construit dans le dispensaire d’Acrelândia, commune créée à partir d’un programme visant à l’installation de population en milieu rural. Du mois de février 2004 jusqu’au mois de juin 2005, elle y a étudié le paludisme apporté ou acquis par les 467 habitants d’une zone rurale située à 50 ki-
lomètres de la ville. Durant son séjour dans cette région et dans d’autres de l’Amazonie, elle a pu constater que 63% des habitants avaient déjà souffert de paludisme provoqué par le Plasmodium vivax et 45,8% par le P. falciparum.
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ônica parcourait chaque jour les dispensaires à la recherche de nouveaux cas de fièvre, qui pourraient également être le symptôme d’autres maladies comme la dengue. Peu de temps après la saison des pluies, quand les rivières baissent et que se forment des trous d’eau favorables à la propagation des moustiques transmetteurs, elle prélevait des échantillons de sang de 10 à 15 individus par jour (comme nous le verrons plus tard, chaque infection était provoquée par des parasites génétiquement différents entre eux). Marcelo Ferreira, qui coordonne le groupe et qui a vécu pendant deux ans dans l’état de Rondônia, a fait tout son possible pour que ses élèves puissent connaître le paludisme de près. “Nous pouvons aller beaucoup plus loin dans notre travail scientifique si nous ne prenons pas le paludisme comme un simple objet d’étude, mais comme une chose porteuse de souffrance humaine “, déclare-t-il. Selon lui, c’est le travail de terrain qui favorisera des avancées originales et une plus grande compétitivité entre les groupes de recherche brésiliens car le Plasmodium falciparum, plus répandu en Afrique, est déjà adapté à la vie de laboratoire, alors que le Plasmodium vivax, prédominant au Brésil, ne peut pas encore être cultivé in vitro. Depuis août 2005, Natal Santos da Silva, médecin infectiologiste originaire de l’état de l’Acre ayant étudié à São Paulo, représente l’équipe de l’USP à AcrelânPESQUISA FAPESP
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dia. Il fait 150 à 200 kilomètres par jour en moto, la plupart du temps sur des chemins de terre, pour rencontrer les habitants de la zone rurale d’Acrelândia souffrant de paludisme. Dès qu’il les rencontre, il réalise des examens et prélève des échantillons de sang sur une période d’un mois afin d’évaluer l’efficacité de la chloroquine et de la primaquine, deux des médicaments les plus utilisés pour lutter contre le Plasmodium vivax, et pour essayer de comprendre pourquoi la maladie réapparaît après le traitement, parfois durant le même mois. Sur les 78 habitants étudiés, 14 ont eu jusqu’à quatre rechutes par an. Un enfant de 2 ans, qui ne fait pas partie de cette étude mais dont il s’est occupé, avait déjà contracté quatre types de paludismes. “Si nous arrivons à identifier un modèle résistant au Plasmodium vivax, nous pourrons proposer des changements dans le type de traitement ou même dans la médication”, déclare le médecin qui travaille avec le soutien d’une équipe de contrôle du paludisme rattachée au Secrétariat d’État à la Santé de l’Acre.“Il se peut que les médicaments ne fonctionnent plus de manière adéquate, surtout dans les zones à risque élevé de transmission.” Il rappelle que le dosage standard de la primaquine (utilisée pour lutter contre les formes initiales du Plasmodium dans le foie conjointement avec la chloroquine et qui élimine les parasites du sang) est, au Brésil, la moitié de celui préconisé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Silva restera un an, mais il doit redoubler d’effort et aider à la création d’une base permanente de recherche, renforçant la prise en charge médicale et les liens établis avec les habitants de cette commune. ■
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Directement dans le noyau: les cellules en phase de division dans le poumon de la souris deviennent vertes lorsqu’elles produisent la protéine fluorescente dont le gène a transporté la crotamine
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Le facteur
des cellules La protéine du venin du crotale cascavelle pénètre dans les cellules en multiplication et se révèle capable de transporter des médicaments et des substances anti-tumorales Publié en septembre 2007
ALEXANDRE E IRINA KERKIS/INSTITUTO BUTANTAN
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xpert dans la découverte de personnes talentueuses qu’il laisse travailler en toute liberté, le chimiste Tetsuo Yamane a formé au Brésil un groupe de recherche qui a déjà des ramifications dans d’autres pays et qui, en quelques années, a identifié les propriétés très rares d’une protéine du venin du crotale cascavelle – un serpent typique des régions arides où prédomine une végétation xérophyle, la Caatinga et le Cerrado. Appelée crotamine, cette protéine traverse la membrane cellulaire et transporte des gènes ou d’autres molécules, y compris vers le centre des cellules. Mais pas n’importe quelle cellule, seulement celles qui sont en train de se multiplier. C’est la raison pour laquelle cette protéine peut être utilisée pour diagnostiquer des maladies, pour transporter des médicaments et, à en juger par les expérimentations les plus récentes, pour détruire des tumeurs. Aujourd’hui âgé de 76 ans, Yamane est à la tête d’un laboratoire de biotechnologie à l’Institut de Recherches Énergétiques et Nucléaires (Ipen) et au Centre de Biotechnologie de l’Amazonie (CBA). Il a commencé à mettre en place de nouvelles possibilités d’études de la crotamine vers 1993, au moment où il songeait à rentrer au Brésil après quarante années passées aux États-Unis. Isolée dans les années 1950 par le biochimiste José Moura Gonçalves, la crotamine avait déjà été très étudiée en raison de sa capacité à paralyser les muscles des rongeurs. Quarante ans plus tard, elle ne semblait plus receler de grands mystères. Mais c’était sans compter sur un chimiste, fils de Japonais, dont la hardiesse s’était forgée au contact quotidien de scientifiques renommés tels que Richard Feyman et Linus Pauling pendant ses études de 2e et 3e cycles à l’Institut de Technologie de Californie (Caltech). Sa capacité à formuler de nouvelles interrogations devint encore plus forte durant ses quasi dix années de travail aux côtés des physiciens du Laboratoire Bell, là même où furent inventés le transistor, le laser, le circuit intégré et la communication par satellite. Lorsqu’il fit la connaissance de la crotamine, Yamane intrigué par les doutes sur les mécanismes alors encore obscurs de l’action de la protéine dans l’organisme et sur les interactions possibles de cette molécule dont la structure fait penser à un dragon en laine. La crotamine pourrait-elle interférer sur la division des cellules? C’est cette question de Yamane, en poste depuis 1994 à l’Institut Butantan et ne travaillant alors qu’avec les biochimistes Gandhi RádisBaptista et Álvaro Prieto da Silva, qui suscita l’intérêt du biologiste cellulaire Alexandre Kerkis et de son épouse Irina, biologiste. Tous deux sont Russes et avaient travaillé dans l’un des plus grands centres de recherche russe, en Sibérie, avant que la pe-
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restroïka ne fragmente la structure de production de la connaissance scientifique. Après un temps passé à l’Université d’État du Norte Fluminense (Rio de Janeiro), le couple Kerkis vint à São Paulo en 1999. Ils entrèrent à l’Institut de Sciences Biomédicales (ICB) de l’Université de São Paulo (USP) et commencèrent à étudier les cellules souches embryonnaires des souris. C’est alors qu’ils rencontrèrent Yamane, et ensemble ils découvrirent de nouvelles propriétés de la toxine qui paraissait pourtant ne plus rien avoir à cacher. Ils vérifièrent que la crotamine, à très petites doses, atteignait en à peine cinq minutes le noyau des cellules souches embryonnaires des souris mais aussi celui d’autres types de cellules. C’était la première fois que l’on démontrait qu’une protéine jusqu’alors perçue seulement comme une toxine jouait également le rôle de facteur cellulaire: elle traverse la membrane des cellules en phase de division et atteint le noyau, siège des chromosomes. Là, cette petite protéine adhère aux centromères, où les chromosomes dupliqués se maintiennent unis pendant la division cellulaire. Puis, dès que les chromosomes se séparent en cellules indépendantes la crotamine sort de la cellule et reste dans l’espace intercellulaire, comme si elle attendait un autre moment pour entrer à nouveau en action. Publiés en juin 2004 dans le FASEB Journal, ces résultats ont ouvert de nouvelles perspectives de recherche et d’utilisation de cette protéine. “Nous commençons à voir la toxine différemment”, confia Mirian Hayashi, une pharmacologiste qui travailla avec Yamane au Butantan pendant trois ans après avoir participé à trois autres recherches sur le développement de médicaments au Japon.
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NCBI
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Structure de la crotamine: composant majoritaire du venin du crotale cascavelle.
les tests sur les cellules et sur les souris, les fractions les plus actives étaient la gyrotoxine et la crotamine. Composant majoritaire du venin du crotale cascavelle, la crotamine est une petite protéine. Elle ne possède que 42 acides aminés, soit presque autant que l’insuline – l’hormone comprenant 51 acides aminés et qui contrôle la quantité de sucre dans le sang. Mais elle est minuscule si on la compare, par exemple, à l’hémoglobine, prodigieuse molécule comprenant quatre chaînes de 140 acides aminés qui transportent l’oxygène à toutes les cellules du corps. Sa petite taille explique sa capacité à traverser facilement la membrane des cellules. Mais comment fait-elle? La réponse est la suivante: en s’unissant aux molécules de la surface cellulaire, connues comme protéoglycanes d’héparane sulfate et qui transitent à l’intérieur de la cellule. Il ne s’agit pas d’une union fortuite. Pour Ivarne Tersariol, biochimiste et professeur de l’Université Fé-
Contre la douleur et les parasites –
C’est également au sein du Butantan qu’une autre équipe découvrit chez le crotale cascavelle une substance au pouvoir analgésique six cent fois supérieur à celui de la morphine, et apparemment sans effets secondaires significatifs. Au cours d’une expérimentation réalisée à l’USP, le venin du Crotalus durissus terrificus – qui vit sur les terres du sud et de l’ouest du Brésil – s’est montré plus efficace contre le parasite de la leishmaniose que celui d’autres sous-espèces: une typique de la Caatinga et une autre des régions Sud-Est et Centre-Ouest. Dans 50
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LE PROJET Étude du système de transport effectué par des peptides cationiques MODALITÉ
Ligne Régulière d’Aide à la Recherche COORDONNATEUR
TETSUO YAMANE – IPEN INVESTISSEMENT
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dérale de l’État de São Paulo (Unifesp) et de l’Université de Mogi das Cruzes (UMC), “le moment où les cellules produisent le plus d’héparane sulfate se déroule durant le cycle reproductif ”. Le groupe de chercheurs a démontré dans un article publié dans le Journal of Biological Chemistry que l’affinité entre les molécules de crotamine et le protéoglycane d’héparane sulfate est essentiellement le fruit de forces électrostatiques: la crotamine est une molécule dont la charge électrique est positive, tandis que celle des héparanes est négative. En fait, la crotamine n’est pas totalement positive: l’un de ses côtés est électriquement neutre. Cette particularité a augmenté les perspectives de relier d’autres molécules, aussi bien du côté positif que du côté neutre. Mais cela n’était encore qu’une théorie, tout comme l’hypothèse que la crotamine, positive, puisse se lier à l’ADN, négatif. Certains indices montraient que cela était possible. Toutefois la crotamine ne pourrait pas s’unir directement à l’ADN, sauf au moyen d’une autre protéine conjuguée à l’ADN. Pour lever le doute, Mirian Hayashi conversa avec Vitor Oliveira. Chimiste diplômé de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar), Oliveira travaillait sur des projets d’analyse de structure de protéines dans une université privée. Il utilisait à l’Unifesp un équipement capable d’analyser la manière dont les molécules absorbent les composantes d’un type particulier de lumière. La réponse apparut en cinq minutes, par l’intermédiaire d’un dessin: oui, la crotamine s’unissait directement à l’ADN. Peu de temps plus tard, une expérimentation du groupe démontra que la crotamine pourrait de fait transformer une forme d’ADN circulaire, à savoir le plasmide dans le noyau des cellules du foie, du poumon et de la moelle osseuse qui se trouvent en multiplication continue. L’ADN étranger fonctionna normalement, comme s’il était originaire de là, dans une cellule sur quatre: un résultat tout à fait notable. D’autres résultats montrent que la crotamine paraît être liée à la défense de l’organisme – et non uniquement le composant d’un venin. Sa structure tridimensionnelle ressemble à celle de la béta-défensine, une protéine que l’on trouve dans la salive et dans le mucus (du nez par exemple) des êtres humains et d’autres animaux.“Des molécules comme celles-
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là font partie des premières défenses des organismes”, note Irina Kerkis. De la même manière que les béta-défensines, la crotamine pourrait intégrer le système immunitaire inné, qui fonctionne intensément durant la gestation et au cours des premiers mois qui suivent la naissance, lorsque l’organisme ne produit pas encore d’anticorps contre les microorganismes. C’est pour cela que les serpents utilisent aussi quelque chose d’eux-mêmes – comme le venin – mais en grande quantité pour se défendre: la glande du venin est une glande salivaire modifiée, rappelle M. Hayashi. Néanmoins, tous les Crotalus durissus terrificus ne produisent pas de crotamine. Gandhi Rádis-Baptista a vérifié que tous ont un gène responsable de la production de crotamine ; certains des représentants de cette espèce – jusqu’à 1,5 mètres de longueur et aisément identifiables de par leur sorte de grelot au bout de la queue – produisent une protéine à la structure similaire. Cette dernière s’appelle crotazine, et ses effets sont encore méconnus. Rádis-Baptista travaille actuellement à l’Université Fédérale de l’État du Pernambouc. Son parcours paraît ressembler à celui des autres participants de cette aventure, dont le destin semble se décliner ainsi: ne pas créer de racines, ou du moins changer de travail pour un autre au challenge encore plus élevé. Mirian Hayashi a quitté le Butantan il y a un an, peu après Yamane ; désormais elle travaille à l’Unifesp comme professeur de pharmacologie.Vitor Oliveira a laissé l’université privée pour revenir à l’Unifesp où il enseigne la biophysique. Irina Kerkis a quitté l’USP au profit du Butantan, tandis qu’Alexandre Kerkis travaille maintenant dans une clinique médicale. Fábio Nascimento, le biochimiste qui a effectué les expérimentations sur les héparanes sulfates, est aujourd’hui dans une entreprise de biotechnologie en Suisse. Incertitudes futures – Même distants
l’un de l’autre, les chercheurs souhaitent continuer à travailler ensemble sur des problèmes qu’ils ne parviendraient peutêtre pas à résoudre seuls. Extraite et adroitement purifiée par Eduardo Oliveira à l’USP de Ribeirão Preto, la crotamine forme des ensembles de deux ou trois unités qui réduisent sa capacité de transport de molécules. Éviter la formation de ces agrégats peut s’avérer plus dif-
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Le Crotalus: un espoir aussi contre des parasites tel que celui de la leishmaniose
ficile que la production d’une version synthétique de la crotamine, qui éviterait de dépendre de la purification du venin. Même s’il reste encore beaucoup de travail à faire, les chercheurs négocient déjà avec des entreprises intéressées par l’utilisation d’extraits de crotamine comme vecteur de gènes. En 2004, ils ont sollicité le brevet sur les utilisations potentielles de cette molécule, afin de ne pas répéter l’histoire d’autres molécules découvertes par des Brésiliens mais qui, n’ayant pas été brevetées ni soutenues par des entreprises, ont été récupérées par d’autres groupes de recherche. Ils savent que posséder un brevet n’est qu’un des prérequis pour s’aventurer sur le long chemin du développement d’un médicament. Plus tard, si les prochains tests en laboratoire confirment le potentiel de la crotamine, le groupe devra relever un autre défi: produire la molécule en plus PESQUISA FAPESP
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grande quantité – à une échelle pilote, puis à une échelle industrielle – de façon à faciliter les négociations avec des entreprises ou des institutions prêtes à faire les tests finals, avant que la molécule ne devienne un médicament ou un indicateur pour des diagnostics sur le cancer.Yamane conclut:“Ceux qui ont de bonnes idées peuvent nous contacter. Nous sommes un groupe ouvert”. Il a d’ailleurs réussi à attirer d’autres groupes – d’Allemagne, de Pologne, des États-Unis et du Japon – pour travailler sur la crotamine. Et d’ajouter, fidèle à la hardiesse qui a marqué sa carrière scientifique: “Tous peuvent contribuer ; ce n’est qu’ainsi que la science avance. [...]. Linus Pauling rappelait toujours qu’en commençant un travail nous devons penser à la manière d’y contribuer de façon originale”. ■
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> CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Marée verte Pour éviter la stagnation de l’économie, l’encouragement à la production peut être associé à des crédits de carbone Publié en septembre 2007
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arabá, Parauapebas, Curionópolis, Tucumã, Pau D’Arco, Rio Maria, Xinguara et d’autres municipalités du sud-est de l’État du Pará forment une région économiquement dynamique. Au cours des années 1960 et 1970 elle a été la scène de grands projets d’élevage encouragés par le gouvernement fédéral. L’agriculture familiale a reculé mais, ensuite, parallèlement à l'exploitation minière, aussi bien celle des grandes entreprises que de milliers de chercheurs d’or anonymes, elle recommença a se développer. Les villes n’ont cessé de croître. En raison de la transformation rapide de la Forêt Amazonienne en terres à usage agro-pastoral, le bilan liquide de gaz carbonique (émission moins séquestration) en 2004 est estimé à presque 300 millions de tonnes, l’équivalent de 35% des émissions dans toute la Région Nord cette année. Le gaz carbonique libéré vers l’atmosphère aide à réchauffer la planète et accélère les changements climatiques. À première vue, il n’y a pas de raison de s’inquiéter car ces émissions peuvent être réduites. Une des solutions conçues pour éviter les déboisements et les brûlis qui libèrent le gaz carbonique est de compenser les fermiers en leur proposant, pour maintenir la forêt debout, des crédits de carbone. Les propriétaires terriens gagneraient pour regarder la forêt au lieu de cultiver la terre ou d’élever du bétail. Néanmoins, cette alternative peut être un désastre pour l’économie régionale car, suivant une étude de l’économiste Francisco de Assis Costa, professeur visiteur du Centre d’Études Brésiliennes (CEB) de l’Université d’Oxford, Angleterre, elle génère une diminution dramatique de l’activité économique, des impôts et des emplois. “Cette stratégie pour réduire l’émission de carbone, si elle est employée uniquement comme une forme de compensation économique dirigée vers un agent économique, les producteurs ruraux, ne va pas bénéficier le développement régional de l’Amazonie, ni aider à incorporer l’Amazonie à l’économie nationale “ alerte Costa, chercheur au Núcleo de Altos Estudos Amazônicos (Centre des Hautes Études Amazoniennes - Naea) de l’Université Fédérale du Pará, à Belém.“Pour que ça marche, l’argent doit entrer dans l’économie comme une force productive, et non simplement comme un revenu.” D’après lui, transformer les fermiers en rentiers équivaut à faire en sorte que le propriétaire d’une petite industrie
de meubles, par exemple, ferme son entreprise et ne survive que du loyer de son immeuble, les fournisseurs de bois et d’autres matières premières pour la fabrication de meubles auraient moins d’acheteurs et seraient forcés de réduire leur production ou de vendre à des prix réduits. La supposée affaire inmanquable, gagner de l’argent sans rien faire, serait loin de représenter le développement sur des bases productives, puisque les maillons qui font fonctionner l’économie, en produisant et en distribuant la richesse, seraient rompus. Ses conclusions sont le fruit de simulations mathématiques qui ont reproduit le fonctionnement réel de l’économie du sud-est du Pará en 2005, auquel il a ajouté une nouvelle marchandise, l’air. Se basant sur une méthodologie classique d’entrées et de sorties de produits, proposée par l’économiste russe Wassily Leontief dans les années 1970, Costa a analysé la circulation des 101 produits de la production rurale identifiés par le Recensement Agro-Pastoral du Pará de 2004 sur 18 secteurs de l’activité économique et ses dédoublements – de l’agro-pastoral et l’exploitation minière à la consommation finale des familles – dans les 31 municipalités du sud-est du Pará, une région 20% plus grande que tout l’État de São Paulo. Les résultats sont plutôt décevants. Dans le premier cas, le mécanisme de compensation par la réduction des émissions – et cela à travers un accord juste avec les fermiers avec des montants équivalents à ceux qu’ils recevraient avec l’agriculture ou l’élevage – compense uniquement une partie du revenu perdu avec le renoncement à la production. Si les fermiers réduisaient de moitié la production, en recevant 50% du gain annuel géré par la terre pour maintenir la forêt et réduire également de moitié l’émission de gaz carbonique, l’économie locale recevrait 435 millions de réaux de plus, par les crédits de carbone. Ce n’est pas tant que ça, car la valeur brute de la production économique de la région, correspondant à la circulation totale des marchandises, est presque 60 fois supérieure. Suivant ce scénario, la production chute de 50% et l’émission de gaz carbonique un peu plus que la moitié (56,7%), mais au coût de la rétraction de l’économie locale (9,3%) et de la masse des salaires (11,3%). Diminuent, également, les profits (10,5%) et, légèrement, les impôts (0,1%). Le nombre d’emplois est celui qui souffre le plus, en chutant pas moins de 41,9%. Un autre scénario analysé par Costa considère une stratégie qui maintiendrait la forêt native et en même
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temps éviterait ces pertes par des incitations à la rentabilité dans les zones qui demeureraient intouchables par les mécanismes générateurs de crédits de carbone (la production d’autres fermiers substituerait celle de ceux qui ont adhéré au programme de réduction d’émission de carbone). Dans ce cas, l’économie locale augmenterait de 5,4%, les salaires de 9,8%, l’emploi de 9,9%, les profits de 4,7% et les impôts de 3,8%. L’économie régionale gagnerait 90 millions de réaux et l’économie nationale 340 millions de réaux. Le problème est que les émissions de gaz carbonique augmenteraient également (6,7%).“L’échec de la politique de contention des émissions de gaz carbonique correspondrait, dans ce cas, à un succès économique notable”, conclu Costa. Ses calculs ont indiqué que le revenu global de l’économie régionale perd 1,8 réaux pour chaque réal enlevé à la production ; par contre, le revenu de toutes les chaînes de production et de consommation gagne 1,8 réaux pour chaque réal incorporé par l’économie. Dans cette étude, il réunit deux domaines d’intérêt, le développement régional en Amazonie, sur lequel il a publié 12 livres (l’un d’eux en allemand, résultat de son travail de doctorat, réalisé à la Freie Universitat, à Berlin), et les changements climatiques. Comme professeur visiteur du CEB, il a intensément participé aux débats sur les changements climatiques qui ont eu lieu de janvier à juillet de cette année à Oxford, ville qui concentre la production scientifique mondiale dans ce domaine. L’étude de Costa démontre aussi que l’implantation isolée de ce mécanisme entraîne un effet contraire à celui désiré, davantage de déboisement et plus de pollution atmosphérique, puisque tous les fermiers ne gagneraient pas forcément pour arrêter de cultiver ou de créer des pâturages.“Un fermier arrêterait de déboiser et gagnerait des crédits de carbone, mais son fils continuerait à déboiser”, exemplifie le chercheur. L’émission de gaz carbonique ne diminuerait effectivement que dans un scénario utopique, si tous les milliers de fermiers conservaient la forêt debout, malgré le contrat conclu uniquement avec une partie d’entre eux. Costa croit que les politiques de contention de déboisement (et de réduction des émissions de carbone) doivent être liées à des politiques de production qui con54
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cilient des stratégies de développement local, endogènes et durables du point de vue environnemental, sans permettre l’épuisement des ressources naturelles de la région.“Nous devons créer nos propres innovations”, dit-il.“Les expériences d’autres pays ne nous sont pas toujours utiles.” Une des possibilités serait d’employer la moitié des 435 millions de réaux par an prévus pour les fermiers de la région, qui la recevraient pour réduire l’émission de gaz carbonique suivant un programme consistant de recherche scientifique qui pourrait mener vers une agriculture moderne, sans surplus d’émission ; l’autre moitié serait destinée à la modification des méthodes actuelles de production agricole, en maintenant, ainsi, la dynamique de développement économique de la région. Encouragement à la production - Si, par exemple, les 435 millions de réaux étaient destinés à un programme de réduction de l’émission de gaz carbonique qui invertisse la base productive – à partir des systèmes productifs qui émettent plus, vers ceux qui émettent moins – cette conversion serait possible grâce à la recherche scientifique et technologique et des aides. D’après Costa, l’économie locale augmenterait de 5,6%, la masse des salaires de 2,7% et la masse des profits de 6,9%, tandis que l’émission de gaz carbonique chuterait de 32,3%. D’après lui, c’est une situation de gains réciproques, les émissions chutent et l’économie se développe. Suivant une autre simulation, par laquelle d’autres secteurs de l’économie se développent plus que l’agriculture, et en maintenant l’objectif de réduire les émissions de 50% en cinq ans, l’emploi augmenterait de 155,3% et la masse de salaires de 112,3%. Mais cette impulsion économique indépendante de l’agriculture conduit à une augmentation de 60% des émissions de gaz carbonique par rapport à l’année précédente, cela permet une croissance et une diversification de l’économie locale, mais la stratégie pour contenir les émissions échoue. Maintenir la forêt n’est pas la seule forme qui permette aux pays en développement d’obtenir – et de négocier – des crédits de carbone. Il y en a d’autres, définies comme des Mécanismes de Développement Propre (MDP), qui supposent des alternatives moins polluantes de production des biens industriels tels que le
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papier ou le ciment. Cependant, la majorité des projets de MDP développés en Afrique du Sud, au Brésil, en Chine et en Inde, les pays où le nombre de projets de MDP est le plus élevé au monde, implique également une concentration de revenus, très souvent du chômage et, paradoxalement, des dommages à l’environnement, puisque, suivant une étude du biologiste Eduardo Ferreira, de l’Environmental Change Institute (ECI), de l’Université d’Oxford, les impacts de ces projets ne sont pas toujours explicités. Ferreira a visité en mai huit projets de MDP en cours au Brésil et a constaté qu’ils n’arrivent pas tous à retenir autant de carbone qu’espéré. Par contre, ceux de petite échelle, qui justement provoquent le plus grand impact social positif, se heurtent à beaucoup de difficultés pour obtenir un financement. Par ailleurs, les entreprises qui développent des projets de MDP sont victimes des délais et de la bureaucratie du gouvernement dans l’approbation des projets. Dans un article publié en février dans Nature, Michael Wara, de l’Université de Stanford, États-Unis, renforce l’argumentation suivant laquelle le marché mondial de carbone n’a pas, pour l’instant, fonctionné comme prévu: il n’aide pas à créer un marché pour les technologies propres, à faible consommation de carbone, et ne permet pas aux pays en développement de devenir, de fait, des participants actifs dans la lutte contre les impacts du réchauffement mondial, dans la mesure ou il fonctionne comme une aide indirecte et insuffisante pour les économies périphériques. Il ne s’agit pas d’un problème simple, même dans d’autres pays. Dans une interview au journal anglais The Guardian, Ngaire Woods, directrice du Global Economic Governance Programme de l’Université d’Oxford, a déclaré, en se référant aux débats sur les perspectives de la réduction de l’émission de carbone au Royaume-Uni, que les fonctionnaires du gouvernement regardaient uniquement des parties du problème, certains essayaient de travailler avec les prix, d’autres avec les impacts des changements climatiques, d’autres encore avec la pauvreté dans le monde. D’après elle, il n’existe nulle part un plan stratégique cohérent. ■
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Production moins polluante Des transformations dans l’économie du sud-est de l’État du Pará provoquées par un programme qui réduit de moitié l’émission de CO2 en cinq ans (par rapport aux valeurs de 2004, en %) Scénarios
Propriétaires qui reçoivent l’équivalent de la moitié de la production pour conserver la forêt D’autres fermiers remplacent la production de ceux qui ont adhéré au programme de réduction des émissions de carbone dans le scénario précédent La production se déplace vers les formes productives qui émettent moins de carbone D’autres secteurs de l’économie se développent plus que l’agriculture
Valeur ajoutée
Salaires
Profits
Emploi
Impôts
–0,1
Bilan liquide de CO2
–9,3
–11,3
–10,5
–41,9
–56,7
5,4
9,8
4,7
9,9
3,8
8,2
5,6
2,7
6,9
56,6
2,2
–32,3
128,8
112,3
131,5
155,3
134,8
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SOURCE : FRANCISCO DE ASSIS COSTA/UFPA/CEB
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La danse des métaux Observé pour la première fois à l’échelle la plus petite possible, un alliage d’or et d’argent révèle un comportement inattendu des atomes M ARIA G UIMARÃES IMAGENS F ERNAND O S ATO Publié en janvier 2007
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Science et art: des simulations montrent comment se forment et se brisent les liaisons entre atomes
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tirée à ses extrémités, une très fine lame d’or et d’argent s’étend et devient plus mince au milieu, jusqu’à atteindre son rétrécissement maximum et se briser. Observée avec un microscope électronique, cette image en mouvement – qui fait penser au fromage fondu qui s’étire entre les dents et le croque-monsieur – n’est en rien ordinaire. Elle montre ce qui se produit avec la lame au niveau des atomes, les unités qui composent la matière. Au fur et à mesure que la lame s’étend, les liens entre les atomes se brisent et d’autres se forment dans une danse sinueuse, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un fil de l’épaisseur d’un seul atome. Cet alignement d’atomes fait penser à un collier de perles – un collier éphémère et minuscule, formé de trois atomes et qui ne dure que trois secondes. Physicien expérimental de l’Université d’État de Campinas (Unicamp) et du Laboratoire National de Lumière Synchrotron (LNLS) de Campinas, Daniel Ugarte est l’une des rares personnes à avoir eu le privilège d’observer un phénomène aussi exceptionnel et rapide. Sa collaboration avec le groupe de physiciens théoriques dirigé par Douglas Galvão – également de l’Unicamp – est à l’origine de grandes avancées dans l’étude du comportement des métaux à l’échelle nanométrique, au millionième de millimètre. Ce n’est qu’après avoir saisi le fonctionnement des matériaux à cette échelle qu’il sera possible de les utiliser à des fins technologiques. Ugarte et Galvão savaient déjà que l’or et l’argent à l’état pur se comportaient de manière distincte juste avant de se rompre. Tous deux peuvent former un fil de
l’épaisseur d’un atome – ou des chaînes atomiques suspendues – lorsqu’ils sont étirés dans des directions différentes et spécifiques pour chaque métal. Dernièrement, Galvão et l’étudiant de doctorat Fernando Sato ont, avec Pablo Coura et Sócrates Dantas de l’Université Fédérale de Juiz de Fora, exploré de nouvelles frontières en simulant sur ordinateur le comportement d’alliages d’or et d’argent – avec des proportions différentes pour chacun des métaux. En observant les résultats, Ugarte a remarqué quelque chose de curieux: dans plusieurs cas, l’alliage se comportait comme l’or pur. L’équipe de théoriciens décida alors d’analyser à nouveau les animations et constata que les atomes d’or migraient vers la région de plus en plus fine du métal étiré au lieu d’être éparpillées de manière homogène sur la feuille métallique. En conséquence, la chaîne atomique suspendue ne contient quasiment que de l’or pur. D’après Ugarte,“ce n’est que lorsqu’il constitue au moins 80 % de l’alliage que l’argent commence à exprimer ses propriétés”. Le physicien et ses collègues ont relaté ces résultats inattendus dans le numéro de décembre de la revue scientifique Nature Nanotechnology. Théorie et pratique – La collaboration entre Ugarte et Galvão a débuté en 2001, donnant lieu à une rare conjugaison d’esprits théoriques et expérimentaux. Elle a également permis d’associer des outils pour une investigation complète, tels que les simulateurs informatiques, la microscopie, la cristallographie et la mesure du transport du courant électrique. Chacune de ces techniques peut analyser un aspect différent de ces structures infinitésimales: le microscope montre les
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Molécules dans le détail: l’ordinateur montre ce qui échappe au microscope
atomes en mouvement, mais il ne distingue pas clairement ceux de l’or et ceux de l’argent ; la cristallographie décrit la configuration spatiale des atomes, mais elle ne donne pas d’informations sur les propriétés du transport électrique du matériau. Ainsi, c’est la concordance entre les résultats obtenus par les domaines et les instruments différents qui donne du poids aux découvertes et dévoile ce qu’un regard isolé ne parviendrait pas à distinguer.
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u que les alliages métalliques ne se comportent pas comme des métaux purs, l’étude des amalgames apporte des nouveautés qui, dans le futur, transformeront l’électronique à l’échelle moléculaire en réalité. Le défi majeur de la production d’alliages est posé par les propriétés atomiques des matériaux. Si elles sont trop différentes, elles empêchent un emboîtement harmonieux entre les atomes. Selon Sato, la bonne relation entre des métaux dépend de la distance entre deux atomes dans le métal pur, spécifique pour chaque élément. Comme les atomes de l’or et ceux de l’argent s’organisent selon des distances similaires, l’alliage qui unit ces deux métaux est stable et plus facile à créer ; et dans certaines proportions – comme trois atomes d’or pour un d’argent –, il peut même exister spontanément dans la nature. 58
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Dans leurs travaux de simulations, Galvão et Sato ont fait une autre observation inattendue au niveau de la structure. Si l’alliage contient moins de 10 % d’or, les atomes d’argent s’organisent en pentagones autour de ceux en or, formant un fil d’or recouvert d’argent qui fonctionnerait comme un fil électronique ordinaire, à une échelle plusieurs millions de fois inférieure. Meilleur conducteur d’électricité que le cuivre des fils ordinaires, l’or est utilisé sur des fils lorsqu’un transport électrique de haute qualité est requis. Dans la mesure où il est plus résistant pour le transport d’électrons, l’argent fonctionnerait comme un isolant dans la structure découverte par les physiciens théoriciens. Pour l’instant, cette structure n’est que théorique ; elle a été perçue à travers les simulations sur ordinateur mais pas encore dans la réalité, toutefois Galvão se montre optimiste: “Vu que jusqu’à présent les résultats expérimentaux confirment les suppositions théoriques, les chances d’avoir une structure en pentagones dans la réalité sont de 95 %”. Si la découverte est confirmée, elle constituera une avancée importante pour l’électronique moléculaire. Des expérimentations sur le comportement des composants atomiques d’alliages métalliques avaient déjà été réalisées auparavant, mais Jefferson Bettini du LNLS est l’un des premiers à l’avoir observé au microscope en temps réel. D’autre part, les expérimentations ont été faites à température ambiante, une condition rendue possible au cours des dix dernières années grâce à l’appareil conçu par l’étudiant de 3e cycle Varlei Rodrigues. Par ultra-haut vide, l’appareil crée des conditions ultrapropres dans l’environnement où se produisent les ruptures sur les plaques très fines de métal. Le vide est important car l’environnement doit être parfaitement propre, vu que n’importe quel atome intrus peut altérer la composition du matériau étudié. En général, ce degré de propreté est atteint quand sont réalisées des expérimentations à des températures de moins 260 et moins 270º C
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– et qui, selon Ugarte, ne donnent pas de résultats satisfaisants parce que la température affecte également les propriétés du métal.“À des températures si basses, les matériaux paraissent tous égaux”, ajoute Ugarte.Les vidéos qui enregistrent la rupture du métal à température ambiante et dans du nitrogène liquide montrent que le métal froid ne refait pas ses liaisons de façon aussi dynamique qu’à température ambiante. Dans ces conditions, le processus est plus lent, moins fluide et moins représentatif du quotidien. Ugarte souligne:“Si un téléphone portable est composé de nanofils, il devra fonctionner à température ambiante”. Le cas des nanofils métalliques montre bien que la nanoscience est encore en phase d’exploration. De fait, la migration des atomes d’or pur vers le point de rupture et les structures en pentagones qui protègent le fil d’or sont des réactions tout à fait inattendues. De plus, Ugarte observe qu’“à l’échelle atomique les objets sont collants”. Un nanofil est très difficile à manipuler parce qu’il est spontanément attiré par le substrat sur lequel il s’appuie, telle une force de gravité exacerbée. Mais la doctorante Denise Nakabayashi a développé un appareil qui permet de manipuler des fils d’1 micron (un millième de millimètre). La plus grande partie des applications de la nanotechnologie reste à venir. D’après Galvão, 80 % de ce qui est fait dans ce domaine en est au stade de la compréhension du fonctionnement des métaux à l’échelle nanométrique, et pas encore à celui des applications pratiques. Il estime que dix à quinze années sont nécessaires pour que la nanotechnologie fasse partie du quotidien. Et même si les chaînes atomiques suspendues ne durent normalement que quelques secondes, il présume que construire des nanofils stables ne sera pas un problème: il suffit pour cela d’utiliser un autre matériau comme support. La difficulté est de construire des fils à la composition connue, de manière efficace et contrôlée. Une des possibilités est d’utiliser des molécules synthétiques telles que la Lander, construite en 2002 par des chercheurs danois et français et qui s’appelle ainsi de par sa ressemblance à un module d’exploration lunaire. Elle est composée d’atomes de carbone et d’hydrogène – un axe long avec des projections latérales qui fonction-
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nent comme des pattes. Dans un article publié en 2004 dans la revue Nature Materials, Galvão et Sato ont expliqué par l’intermédiaire de simulations comment la molécule Lander se déplace entre des atomes détachés et laisse derrière elle de petits fragments de nanofils de cuivre. Pour construire d’autres nanomatériaux, des molécules sur mesure peuvent être d’une grande utilité. Toutefois, Galvão souligne qu’une grande partie de ce type de découverte est due au hasard: “La chance favorise, mais le regard doit être prêt à voir”.
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orsque, et si, les obstacles techniques et en matière de connaissance seront franchis, les nanocircuits pourront changer considérablement l’électronique. Non seulement grâce à leur taille, qui permettra de fabriquer des appareils plus petits, mais aussi grâce à leurs propriétés. À l’échelle nanométrique, la conduction de l’électricité ne suit pas les mêmes règles du monde microscopique. L’énergie qui traverse les nanofils vient par intermittence, elle n’est pas continue comme dans les prises électriques d’une maison. Cependant la transmission est efficace, même si elle n’est pas constante; et selon Galvão elle ne dissipe pas d’énergie, ce qui signifierait que les circuits électriques ne produisent pas de chaleur. Bien que l’on sache encore assez peu de choses sur le comportement atomique des matériaux, la connaissance jusque-là acquise, alliée à l’imagination humaine, ont déjà permis de créer une grande quantité de produits qui font la joie des férus de technologie. Le site Internet du Projet sur les Nanotechnolo-
gies Émergentes (www.nanotechproject.org) fournit une liste de plus de 300 de ces produits, qui vont des nanotubes de carbone pour des écrans plats d’ordinateurs jusqu’aux nanoparticules d’argent qui combattent les bactéries et la moisissure sur les emballages alimentaires. La haute technologie nécessaire pour étudier des atomes est chère, raison pour laquelle les projets d’Ugarte ont des budgets astronomiques – un microscope électronique peut coûter entre 3 et 7 millions de réaux. Ces travaux exigent des installations spéciales qui ont nécessité la construction d’un nouveau bâtiment – dont la construction est coordonnée par le physicien du LNLS. Mais Ugarte estime que ce sont les ressources humaines qui limitent la progression de la nanoscience expérimentale, et non les ressources financières. Il est fréquent que les années du 3e cycle soient utilisées par les étudiants pour construire ou apprendre à utiliser un équipement, qui sera finalement mis en application lors du doctorat, à l’exemple de Varlei Rodrigues et de Denise Nakabayashi. “On n’arrive pas à trouver des personnes qui aiment bricoler ; il est nécessaire de comprendre, penser, être patient, se tromper dans les mesures. Les étudiants sont habitués à trouver des réponses immédiates sur Internet”, observe Ugarte, qui tente de changer cette habitude. Ce qu’il inculque à ses étudiants, il l’applique aussi à la maison avec ses enfants. Pedro, 6 ans et Maia, 4 ans, font des pâtes maison, dévalent des pentes sur une carriole à roulements fabriquée artisanalement et ont déjà construit un télescope avec leur père. ■
LES PROJETS Étude théorique multi-échelle de nanostructures pures et hybrides
Microscope électronique de transmission analytique pour la nanocaractérisation spectroscopique de matériaux
MODALITÉ
Projet Thématique
MODALITÉ
Ligne Régulière d’Aide à la Recherche COORDONNATRICE
MARÍLIA J. CALDAS – USP
COORDONNATEUR
DANIEL UGARTE – LNLS INVESTISSEMENT
85 268,00 dollars US et 181 110,54 réaux (FAPESP)
INVESTISSEMENT
2 500 000,00 dollars US (FAPESP)
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Feu de signalisation innovateur: une lentille spéciale distribue et émet l’effet lumineux des DEL
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TECHNOLOGIE
OPTIQUE
La révolution
des DEL Des chercheurs de São Carlos développent des équipements dotés de diodes émettrices de lumière Y URI VASCONCELOS | P HOTOS E DUARD O C ESAR Publié en septembre 2007
De nouveaux feux de signalisation au design innovateur, plus légers, plus compacts et qui possèdent comme source lumineuse des diodes émettrices de lumière – lesdites DEL, ou LED en anglais – à la place des traditionnelles ampoules incandescentes, ont été conçus par des chercheurs du Centre de Recherche en Optique et Photonique de São Carlos (CePOF) de l’Université de São Paulo (USP). Le nouvel équipement est plat, d’une épaisseur inférieure à 2 centimètres et facile à installer. Parmi ses autres avantages, la faible consommation d’énergie, soit 15 % de moins que les appareils traditionnels. D’autre part, il continue à fonctionner en cas de coupure d’électricité dans la région où il se trouve, grâce au jeu de batteries compactes qui lui confère une autonomie d’une heure et demie.
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sente une inversion dans l’efficacité de production de lumière, parce que le taux de conversion des ampoules incandescentes n’est que de 20 %. [...] Les DEL ont cessé depuis longtemps d’être de simples petits voyants lumineux sur les chaînes Hi-Fi, normalement rouges ou verts, et sur d’autres équipements électroniques pour devenir une source effective d’illumination”.
Le retrofit remplace les ampoules des feux tricolores traditionnels et réduit les coûts d’entretien
Pour Vanderlei Salvador Bagnato, coordinateur du CePOF et professeur de l’Institut de Physique de l’USP à São Carlos, “c’est une technologie moins chère que la technologie conventionnelle, économique en termes de consommation énergétique et d’entretien peu coûteux. [...] Nous avons déjà enregistré un brevet de l’équipement complet et, d’après ce que nous savons, aucun autre groupe au Brésil ou à l’étranger ne fabrique des feux comme le nôtre”. Le feu utilise quatre émettrices DEL et sa configuration tire profit de toute la réfraction de la lumière. Baptisé blackout en raison de sa capacité à fonctionner lors de pannes de courant, l’appareil utilise quatre diodes électroluminescentes de haute luminosité dans chaque réflecteur (vert, orange, rouge). Une lentille en plastique au design optique spécial distribue la lumière et émet l’effet lumineux souhaité. D’après Bagnato, l’un des plus grands avantages de cette nouvelle technologie est la sécurité qu’elle apportera au système de circulation des villes: “Elle réduira de beaucoup la probabilité d’accidents et les problèmes de circulation provoqués par les petites pannes de courant, en particulier dans les grandes villes comme São Paulo où le trafic est intense”. Le produit est en voie d’être achevé et le groupe de l’USP a déjà établi des contacts avec des entreprises qui opèrent dans le secteur de la 62
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signalisation routière pour négocier le transfert de la technologie. Le feu blackout ne représente qu’une des applications de l’équipe dirigée par Bagnato qui travaille sur la technologie des DEL. Composé de 70 chercheurs fixes et de 50 collaborateurs ou associés, le groupe étudie et développe depuis quelques années une série d’autres équipements qui emploient cette source lumineuse découverte dans les années 1960 (Voir encadré page 65). Bagnato souligne que “le processus de production de lumière des DEL est beaucoup plus efficace que celui des ampoules communes, et jusqu’à 80 % de l’énergie électrique employée est convertie en énergie lumineuse. Cela repré-
LE PROJET Programme d’Innovation Technologique du Centre de Recherche en Optique et Photonique de São Carlos (CePOF) MODALITÉ
Centros de Pesquisa, Inovação e Difusão (Cepid) COORDONNATEUR
VANDERLEI SALVADOR BAGNATO – USP INVESTISSEMENT
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200 000 réaux/an (FAPESP)
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Substitution avantageuse – Le CePOF de São Carlos – l’un des 11 Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) financés par la FAPESP – a développé une autre application dans le secteur de la signalisation routière: le système retrofit, qui utilise six ou sept DEL et a été créé pour ne remplacer que les ampoules incandescentes utilisées dans les feux de signalisation traditionnels. À la différence du feu blackout, sur lequel les DEL sont intégrées aux lentilles de réflexion, le retrofit ressemble à une ampoule ordinaire et est composé d’une douille à vis, qui permet de remplacer facilement les ampoules traditionnelles. La technologie a été transférée à l’entreprise Meng Engenharia de São Paulo où le produit est en vente depuis novembre 2005.“Nous avons déjà commercialisé près de 15 000 ampoules, qui ont été installées sur les feux de signalisation de São Paulo et de Guarulhos”, déclare Alberto Monteiro, patron de Meng. L’entreprise est spécialisée dans la fabrication de dispositifs pour le secteur de la signalisation routière, urbaine et industrielle. De l’avis de Monteiro,“l’utilisation de l’ampoule à base de DEL apporte une série d’avantages, parce qu’elle est plus économique, plus sûre et plus efficace, tout en offrant une meilleure illumination. Sans compter que la durée de vie du retrofit est grande, ce qui réduit les coûts d’entretien des feux de près de 80 % et la fréquence de remplacement des ampoules. Sur les appareils conventionnels, les changements ont lieu en moyenne quatre fois par an pour permettre au vert et au rouge d’être plus lumineux, et deux fois pour l’orange. Leur coût varie entre 4 et 8 réaux, soit près de 60 réaux par an en plus des dépenses d’entretien et de remplacement. Avec le retrofit, une inspection annuelle est suffisante, parce qu’il dure entre trois à cinq ans”. Chaque retrofit coûte
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environ 500 réaux, ce qui donnerait un total de 1 500 réaux qui, divisés par quatre ans (comme moyenne), donnerait 375 réaux par an.“Avec la réduction des contrôles du feu et du coût d’entretien, l’installation des DEL devient rentable au bout d’un an et demi environ”, ajoute Monteiro. L’efficacité lumineuse et la longue durabilité – plus de 50 000 heures, soit 50 fois plus que les ampoules traditionnelles – sont deux éléments importants qui différencient les DEL des autres. Mais elles présentent aussi un autre avantage comparatif: le faible impact de leur processus productif sur l’environnement. Les ampoules fluorescentes, que l’on présente toujours comme une alternative plus économique que les ampoules incandescentes, utilisent en fait du mercure dans leur composition – une substance hautement toxique. “Ces facteurs ont conduit à une augmentation énorme des recherches au cours des cinq dernières années, et plusieurs entreprises proposent de plus en plus de DEL de haute luminosité et des produits qui se basent sur ces dernières et aux combinaisons les plus variées”, observe le physicien Henrique de Carvalho, membre de l’équipe du CePOF. L’éclairage résidentiel et urbain est l’un des domaines qui bénéficie fortement du développement de la technologie DEL. Des lampadaires fonctionnant avec des diodes émettrices de lumières et projetés par le CePOF sont déjà testés dans des rues de São Paulo. Sur la place centrale de la ville de New York, Times Square, le gigantesque
DEL auxiliaires pour l’éclairage de blocs opératoires
écran du Nasdaq Marketsite Tower en est un exemple; il utilise 18,6 millions de DEL pour décorer la façade du bâtiment et indiquer la cotation des actions négociées à la bourse de technologie nord-américaine. En ce qui concerne les habitations, les chercheurs de l’USP de São Carlos pensent qu’il est possible de remplacer tout l’éclairage par des DEL, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Tout cela sans perte d’intensité, en améliorant la qualité et en réduisant la consommation énergétique. Les lumières d’urgence – qui s’activent en cas de manque d’énergie – sont également une application prometteuse
Réflecteur odontologique développé en partenariat avec l’entreprise Gnatus PESQUISA FAPESP
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pour les DEL. En partenariat avec le CePOF, l’entreprise Direct Light de São Carlos a développé deux modèles de lumières auxiliaires d’urgence avec la technologie DEL. Direct Light a été fondée il y a tout juste un an par d’anciens chercheurs du centre. Pour l’ingénieur électrique Alexandre Oliveira, l’un des sept associés,“le premier lot, de 25 unités, a été acheté par le CePOF lui-même pour être installé dans ses laboratoires. Le deuxième, de cent ampoules, sera mis en vente en septembre”. L’ampoule n’utilise qu’une DEL de 3 watts de puissance et son autonomie est d’une heure avec 70 % d’intensité lumineuse. “En plus d’être plus compactes, nos ampoules utilisent une batterie rechargeable nickel-métal hydrure, qui dure au moins deux fois plus que les batteries plomb-acide employées dans les éclairages d’urgence rencontrés sur le marché”, ajoute Oliveira. Le produit coûte environ 90 réaux, un prix équivalent à celui d’une lumière d’urgence de qualité des concurrents. Le prix est encore élevé mais la tendance est à la baisse, du fait d’une plus grande production. Cabinet du dentiste – La technologie DEL a aussi été utilisée pour le développement de plusieurs produits du domaine médico-odontologique, à l’exemple des lampes buccales pour les ca-
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Des DEL qui changent de couleur illuminent la table qui sert à étudier des microorganismes
binets dentaires – un secteur d’activité également visé par le CePOF. Selon Bagnato, le dispositif – créé par son équipe en collaboration avec l’entreprise Gnatus de São Carlos, qui fabrique des équipements médico-odontologiques – permet aux dentistes de distinguer les couleurs des dents et des gencives avec plus de clarté et de définition. De fait, les lampes halogènes normalement utilisées sur les réflecteurs odontologiques ont une tonalité plus jaunâtre, ce qui rend la visualisation moins précise. Responsable du secteur ingénierie de Gnatus, l’ingénieur mécanique Carlos Banhos met en avant d’autres particularités de cet appareil qui sera en vente au Brésil à partir de septembre: “Comme la lumière émise par la DEL est froide, elle n’émet pas de chaleur et évite au patient un inconfort. De plus, le nouveau réflecteur permettra de réduire de 90 % la consommation d’énergie par rapport aux dispositifs traditionnels”. Gnatus mise beaucoup sur l’équipement, qui sera présenté au cours du deuxième semestre de cette année dans divers congrès odontologiques internationaux, notamment au Mexique, aux États-Unis, en Italie et en Russie. “Nous espérons vendre le produit, baptisé Refletor Gnatus LED, à des clients 64
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étrangers”, poursuit Banhos. L’appareil est environ 10 à 20 % plus cher que les dispositifs conventionnels qui utilisent des lampes halogènes. Le PDT LED est un autre équipement né dans les laboratoires du CePOF et qui a déjà intégré le marché. Il s’agit d’un appareil qui utilise la technologie des diodes émettrices de lumière pour la technique de thérapie photodynamique – ou PDT, en anglais – chez les patients atteints de cancers de la peau, de récurrence du cancer du sein et d’autres lésions superficielles (Voir Pesquisa FAPESP nº 74). Fabriqué par MM Optics, une autre entreprise (spin-off) créée à partir du CePOF, le PDT LED constitue une alternative face aux dispositifs qui utilisent le laser pour le même type de traitement. D’après l’ingénieur mécanique Fernando Ribeiro, l’un des associés de l’entreprise, “il est quatre fois moins cher. Alors qu’un appareil à laser coûte près de 40 000 dollars, le nôtre revient à 20 000 réaux”. Depuis sa mise en vente au cours du premier semestre de l’an dernier, MM Optics en a déjà vendu 20 pour la thérapie photodynamique. L’équipement comporte 21 DEL d’une puissance totale de 3 watts de longueur d’onde de 630 nanomètres. La lu-
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mière émise réagit aux médicaments sensibilisateurs appliqués au patient et qui sont concentrés sur les cellules tumorales. Ribeiro explique que “de par sa solidité, l’appareil nécessite peu d’entretien, ce qui le différencie d’autres produits. Sans compter que la DEL, en émettant une lumière moins concentrée, réussit à traiter une plus grande surface de peau du patient, alors que la portée du laser est plus ponctuelle. [...] Au Brésil, c’est le premier et le seul dispositif avec une technologie DEL destiné à la thérapie photodynamique”. Le succès de l’équipement a amené Ribeiro et son équipe à en développer une nouvelle version. Il s’agit d’un kit constitué de trois dispositifs pour soigner la peau des patients atteints de cancer de la peau, de psoriasis – une maladie qui provoque une desquamation de la peau –, de virus du papillome humain (VPH) génital ou anal – des verrues visibles ou microscopiques – et de cancer de la bouche. Ce projet est mené en collaboration avec la Faculté de Médecine de l’USP de Ribeirão Preto, l'Institut du Cœur (InCor) de São Paulo, l’Hôpital Amaral Carvalho de Jaú et le laboratoire pharmaceutique ESM-Sigma-Pharma d’Hortolândia, entre autres. “La nouveauté du projet est d’offrir un kit qui traite plusieurs infirmités en même temps. Nous sommes à deux pas du design final et commercialisable des dispositifs”, affirme Bagnato. Les chercheurs du CePOF sont tellement enthousiastes par rapport au kit qu’ils ont déjà fait la demande d’un financement auprès de la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) pour conclure le projet de création de cent centres de traitement sur l’ensemble du territoire brésilien. D’après Bagnato, trois entreprises – dont MM Optics et Direct Light – étudient déjà la possibilité de produire le kit. Microscope en couleur – Les cher-
cheurs du CePOF ont créé deux nouveaux appareils à base de DEL pour le domaine scientifique. L’un d’eux est une table éclairée pour les études de photobiologie, appelée biotable. Son fonctionnement est simple: le scientifique pose des microorganismes sur une plaque de plastique transparente sur la table et vérifie leur réaction par rapport
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à l’application de lumières de différentes couleurs installées dans la table. Encore au stade de prototype, l’appareil est testé par plusieurs institutions d’enseignement, à savoir les facultés d’odontologie de l’Université d’État de São Paulo (Unesp), les campus d’Araraquara, de l’USP de Ribeirão Preto et de Bauru, le département de biochimie de l’USP de São Carlos. L’autre appareil est un microscope optique éclairé par des DEL. Le coordinateur du CePOF souligne que “c’est une technologie particulière, qui utilise trois DEL: bleue, rouge et verte. Quand il combine l’intensité de la lumière, le chercheur réussit à mettre en évidence certaines structures morphologiques du microorganisme étudié. Cela serait impossible à faire avec un microscope optique traditionnel”. Connue sous le nom de microscopie par contraste chromatique, cette technologie est encore en phase d’expérimentation et un brevet a déjà été déposé. Selon Bagnato,“tous les développements faits par notre groupe révèlent l’énorme potentiel d'application des diodes émettrices de lumière. Sur la quarantaine de brevets déposés par le CePOF, une quinzaine ont été transformés en produits finals et la moitié concerne des dispositifs à base de DEL. [...] Après l’invention de la lampe électrique et du laser, nous pensons que la DEL représente la troisième révolution dans le domaine de l’optique”. ■
Une histoire lumineuse La première diode électroluminescente, ou DEL, a été créée par le scientifique nord-américain Nick Holonyak Jr. en 1962 au sein du laboratoire de la General Electric de Syracuse, dans l’État de New York. Toutefois, l’intérêt pour l’utilisation de ces nouveaux dispositifs dans les éclairages n’est apparu que dans les années 1990, avec le développement de la première DEL de haute luminosité par un groupe de chercheurs de Hewlett Packard, également aux États-Unis. Henrique de Carvalho, physicien du CePOF de São Carlos signale que “peu de temps après, des chercheurs de l’entreprise japonaise Nichia obtinrent la première DEL bleue de haute luminosité qui ouvrit la voie aux DEL blanches. [...] Aujourd’hui, les DEL balaient tout le spectre électromagnétique, de l’ultraviolet à l’infrarouge”. La DEL est une émettrice de lumière dont le principe diffère de celui des ampoules incandescentes ou fluorescentes. D’après Carvalho, “il s’agit d’un dispositif semi-conducteur qui, avec le passage
de courant électrique, émet de la lumière visible au moyen d’un processus connu comme électroluminescence, avec près de 80 % de la puissance appliquée, conformément à la longueur d’onde de l’émetteur”. L’une des particularités de la DEL est, contrairement aux ampoules ordinaires, qu’elle peut produire de la lumière qui change de couleur, d’intensité et de distribution. En plus des DEL, des chercheurs d’instituts de recherche et d’entreprises sont en train d’améliorer les diodes émettrices de lumière à base de substances organiques, en remplaçant notamment les semi-conducteurs inorganiques en silicium et gallium par des polymères composés de molécules de carbone. Baptisées diodes électroluminescentes organiques (OLED), elles peuvent être produites avec des matériaux malléables et transparents. Elles sont déjà utilisées dans les téléphones portables et les appareils MP3, et les premiers prototypes d’écrans de télévision sont en phase de tests.
Appareil qui remplace le laser dans la thérapie photodynamique pour le traitement du cancer de la peau
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> INGÉNIERIE ÉLECTRONIQUE
Innovation constante Des urnes électroniques équipées d’un système d’identification numérique devraient être utilisées pour les élections municipales de 2008 D INORAH E RENO Publié en décembre 2006
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Lors du second tour des élections présidentielles de cette année, précisément deux heures et demie après la fin du vote, les électeurs ont été officiellement informés par le Tribunal Supérieur Électoral (TSE) que le candidat Luiz Inácio Lula da Silva venait d’être réélu. La rapidité du dépouillement de quasi 102 millions d’électeurs se doit aux urnes électroniques qui, après 10 ans d’utilisation, font désormais partie de la culture électorale brésilienne.“Même dans les villages indigènes qui ne possèdent pas de téléphone ou de télévision, les électeurs savent voter avec une urne électronique”, déclare Giuseppe Janino, Secrétaire à la Technologie de l’Information du TSE. Une autre innovation devrait voir le jour après ce scrutin afin d’améliorer les prochaines élections. Il s’agit d’urnes équipées d’un dispositif de lecture biométrique capable d’identifier automatiquement l’électeur grâce à son empreinte digitale. Les lecteurs biométriques ont déjà été installés sur 25.538 urnes achetées pour les élections de 2006 et envoyées dans les états du Mato Grosso do Sul, Rondônia et Santa Catarina. Durant ces élections, elles ont été utilisées comme des urnes électroniques traditionnelles. Il est possible que pour les élections de 2008, les électeurs de ces trois états, au lieu de signer la liste de présence, apposent leur doigt sur un lecteur d’empreintes. Cependant, il faut préalablement enregistrer les empreintes digitales des électeurs sur les ordinateurs du TSE et réaliser les ajustements nécessaires sur le logiciel de la banque de données.“La technologie d’identification numérique offre daPESQUISA FAPESP
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vantage de sécurité pour identifier l’électeur”, déclare Janino. Les tendances actuelles indiquent que toutes les urnes seront prochainement équipées de lecteurs biométriques. Cette innovation sera introduite par étapes, comme ce fut le cas pour les urnes électroniques en 1996, quand débuta le processus informatisé qui ne concernait que les communes de plus de 200 mille électeurs. Durant la deuxième phase, en 1998, ce fut au tour des villes de plus de 40.500 électeurs d’adhérer à cette nouveauté, pour atteindre l’ensemble de l’électorat en 2000. Connaissance transférée – Le succès du scrutin brésilien a favorisé différents accords de collaboration avec certains pays, principalement d’Amérique Latine et Centrale. “Le Brésil a déjà signé des accords en matière de transfert de connaissance et de technologie avec l’Argentine, l’Équateur, le Costa Rica, la République Dominicaine et le Mexique”, déclare Janino. Durant les élections municipales du Paraguay, en novembre de cette année, la technologie utilisée était entièrement brésilienne. Le TSE leur a cédé 17.000 urnes inutilisées, tout en apportant son soutien au développement du logiciel, permettant ainsi que 3 millions d’électeurs paraguayens puissent choisir leurs nouveaux maires au moyen d’urnes électroniques. Le pays voisin avait déjà utilisé la technologie brésilienne en réalisant un scrutin 50% informatisé durant les élections présidentielles de 2003. Mais il n’y a pas que les pays voisins qui soient intéressés par le processus électoral brésilien. Le tribunal électoral a déjà reçu la visite de représentants d’environ 30 pays qui sont venus connaître la technologie mise au point au Brésil, comme l’Allemagne, le Japon, l’Italie, la France, la Corée du Sud et les États-Unis. Le processus d’informatisation électoral a commencé au Brésil en 1983, quand la justice électorale a organisé l’infrastructure informatique qui a relié tous les Tribunaux Régionaux Électoraux (TRE) et les bureaux d’enregistrement électoral. Ce système a été utilisé pour le réenregistrement électronique de l’électorat brésilien en 1986, pour la comptabilisation des résultats de l’élection présidentielle de 1989, pour le référendum national sur le type de régime à adopter en 68
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1993 et pour l’élection générale de 1994. Le premier appel d’offre public visant à l’acquisition d’urnes électroniques a eu lieu à la fin de l’année 1995. Trois entreprises y ont participé, et le vainqueur fut l’entreprise Unisys qui a fourni au TSE les 77 mille premières urnes électroniques fabriquées au Brésil. Un système électronique de vote est un ensemble de hardware et de logiciel composé de deux modules: le terminal de l’électeur, ou urne électronique, qui inclut toute la capacité de saisie et de stockage de l’information et le micro-terminal utilisé par le personnel électoral. La jonction entre les deux modules se fait au moyen d’un câble relié directement aux cartes internes. L’urne électronique, qui pèse moins de 8 kilos, est équipée d’un clavier numérique et d’un petit moniteur à cristaux liquides. Sa forme est identique à celle d’un micro-ordinateur, mais le projet utilise un hardware bien différent qui inclut des senseurs de mesure pour la batterie interne, pour l’imprimante et un microcontrôleur utilisé pour contrôler à la fois les senseurs et le clavier du terminal de l’électeur. Le produit inclut une série de mesures garantissant la sécurité du processus, comme des mots de passe, des informations cryptographiées et des méthodes de sécurité utilisées dans l’automation bancaire qui réduisent drastiquement les possibilités de fraudes électroniques. En 2002, une équipe de spécialistes de l’Université Publique de Campinas (Unicamp) a réalisé une analyse de fiabilité des urnes électroniques du TSE. La conclusion de cette évaluation préconisait certaines recommandations visant à améliorer la sécurité, mais elle n’a indiqué aucun point qui puisse remettre en cause la fiabilité du système. Appel d’offre public – Six appels d’offres publics ont été réalisés depuis 1995 pour la fourniture d’urnes électroniques, deux ont été remportés par Unisys et quatre par Procomp. “Nous avons en gros un modèle d’urne pour chaque élection”, déclare Janino. En effet, les urnes sont constamment actualisées et perfectionnées. Pour le modèle 2000, par exemple, les urnes ont reçu un dispositif audio afin que les non-voyants puissent, à l’aide d’écouteurs, entendre la confirmation des chiffres saisis sur le clavier qui est également en braille. Leur autonomie est de plus de
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12 heures sans énergie externe. La Justice Électorale brésilienne compte actuellement plus de cent ordinateurs grands systèmes installés au TSE et dans 27 TRE, ainsi qu’environ 18 mille micro-ordinateurs dans 3 009 zones électorales et 407.089 urnes électroniques. La réélection par vote électronique du président Lula, au mois d’octobre, s’est déroulée sans aucun problème, contrastant avec les différents incidents relevés aux États-Unis une semaine après leurs élections. En effet, au début du mois de novembre, lors du vote pour le renouvellement des charges législatives et le choix de 36 gouverneurs, des électeurs de l’Indiana, de l’Ohio et certains de Floride ont dû voter avec des bulletins au lieu d’utiliser l’urne électronique. Des spécialistes ont indiqué qu’il s’agissait là d’un manque d’expérience de la population car un électeur sur trois utilisait l’urne pour la première fois. En outre, le personnel électoral de certains comtés n’était pas préparé pour utiliser ces équipements. Aux États-Unis, chaque comté est responsable de l’élection sous sa juridiction, alors qu’au Brésil elle est centralisée et unifiée sur tout le territoire national. Il s’agit de deux réalités bien distinctes. Le Brésil possède une structure organisationnelle de la Justice Électorale, le TSE étant l’autorité suprême possédant des attributions bien définies. Une évaluation du processus, basée sur les notifications de problèmes rencontrés, est réalisée dès la fin des élections. La planification des futures élections est aussitôt entreprise. “Nous travaillons dans un processus d’amélioration continue, non seulement en matière d’équipements mais aussi de procédures ”, nous explique Janino.“Le grand succès de notre processus informatisé, qui est aujourd’hui une référence mondiale, ne repose pas uniquement sur l’outil urne électronique, mais sur un processus bien élaboré et unifié visant à garantir la fiabilité et la transparence du processus”, déclare-til. Il est intéressant de noter qu’en 1930 le premier Code Électoral Brésilien prévoyait déjà l’utilisation d’une machine pour voter afin d’éviter les vices électoraux et garantir des élections sans fraudes. Cette volonté a mis du temps à se concrétiser, dans l’attente d’une avancée technologique qui aurait lieu quelques décennies plus tard. ■
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Identification numérique Un système mis au point par l’entreprise Griaule est l’un des meilleurs au monde Publié en décembre 2006
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ontrôler l’entrée et la sortie des employés d’une entreprise, autoriser l’accès des guichets électroniques bancaires et protéger son ordinateur personnel ou professionnel des regards indiscrets, sont certaines des applications offertes par un logiciel d’identification d’empreintes digitales mis au point par l’entreprise Griaule à Campinas. Ce logiciel a déjà conquis de nombreux clients aux États-Unis, au Mexique, au Chili, au Venezuela et en Israël. Le savoirfaire technologique de l’entreprise, en matière d’émission de passeports, a été récemment acheté par le Costa Rica, à travers l’entreprise française Oberthur qui fournit ce type de document dans 80 pays. La technologie, mise au point cette année par l’entreprise Griaule, a été incorporée aux 25 mille urnes électroniques. Les urnes équipées de lecteurs d’empreintes digitales et prévues pour être utilisées lors des prochaines élections, ont été remises au Tribunal Supérieur Électoral (TSE) par la société Procomp, une des entreprises partenaires. Ce programme a remporté la huitième place mondiale lors d’un test à grande échelle portant sur 1 milliard de comparaisons d’empreintes digitales et réalisé en 2003 par l’Institut National de standards et de technologie (Nist - siPESQUISA FAPESP
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Un lecteur d’empreintes digitales remplace les mots de passe et les badges
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gle en anglais) aux États-Unis. Il s’agit d’une position enviable pour une petite entreprise qui a dû se battre avec des géants du secteur comme Motorola et NEC. Certaines grandes entreprises, comme Raytheon, se retrouvent derrière Griaule qui fut l’unique entreprise de l’Hémisphère Sud à participer à ce test. Les participants sélectionnés avaient 21 jours pour terminer l’épreuve. Le classement a été réalisé en se basant sur la qualité d’identification de l’empreinte digitale. L’entreprise Griaule a participé à un test identique, promu par l’Université de Bologne en Italie, au mois d’octobre de cette année. Selon les chercheurs de l’entreprise, le programme devrait y remporter la troisième place. Au Brésil, le système d’identification numérique est actuellement utilisé par les Secrétariats d’État à la Sécurité Publique du Tocantins, de Rondônia et de Goiás. Il est également utilisé par le Département de Contrôle de Transport 70
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Routier (Detran) de l’état du Pernambouc afin d’éviter les fraudes dans l’émission de permis de conduire. L’état du Tocantins fut le premier client à adopter le logiciel de l’entreprise quand le Secrétariat à la Sécurité Publique a décidé de remplacer la technologie importée, utilisée pour l’identification civile et criminelle, en fonction du coût élevé de l’expansion et de la manutention de la base de données. Le système actuellement utilisé capture électroniquement les empreintes digitales des dix doigts, la photographie et la signature de chaque individu et permet également la numérisation de ces informations recueillies sur papier. Après comparaison dans le système créé par l’entreprise Griaule, une carte d’identité est délivrée en 10 minutes. 1 million d’empreintes digitales sont déjà enregistrées dans la banque de données du Secrétariat d’État. L’Université Publique de Campinas (Unicamp) a également adop-
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té ce système d’identification numérique afin de vérifier l’identité des candidats aux examens du Vestibular (équivalent du Baccalauréat) qui sont réalisés deux fois par an pour environ 50 000 participants à chaque examen. La conquête d’autant de niches de marché est impressionnante pour une entreprise si jeune car elle n’a été créée qu’en 2002. Elle fut l’une des premières à faire partie de l’Incubatrice d’Entreprises de Base Technologique de l’Unicamp (Incamp). En 1999, les deux associés de l’entreprise Griaule, l’ingénieur électricien Iron Calil Daher et l’ingénieur informatique Alberto Fernandes Canedo, qui à l’époque étudiaient à l’Université Fédérale de Goiás, ont commencé à travailler conjointement à la mise au point de composants de logiciel pour l’identification numérique, une des méthodes d’identification biométrique les plus utilisées dans le monde et qui remplace les traditionnels mots de passe par l’analy-
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se de parties du corps humain comme l’iris, le visage, les mains, la voix et même la signature. Accès libéré – L’authentification biomé-
trique compte deux phases. La première concerne l’enregistrement de l’empreinte digitale, de l’image de l’iris ou du visage, de la voix ainsi que d’autres particularités. Les caractéristiques-clés sont alors converties à l’aide d’algorithmes (ensemble de solutions et d’opérations mathématiques construites pour résoudre un problème) en modèle unique stocké comme une donnée numérique cryptographiée. Dans la pratique, cela signifie que le système n’enregistre pas la photographie du visage ou de l’empreinte digitale mais la valeur que représente l’identité biométrique de l’usager. Lors de la seconde phase, pour pouvoir libérer l’accès, l’usager doit fournir sa caractéristique biométrique qui sera comparée au modèle enregistré dans la banque de données. L’entreprise Griaule a obtenu un financement de la FAPESP afin d’améliorer les algorithmes et perfectionner le traitement des informations à travers le Programme Innovation Technologique pour les Petites Entreprises (Pipe). L’entreprise a également reçu un apport financier de 250 mille réaux, versé par l’Organisme de Financement d’Études et de Projets (Finep), rattaché au Ministère des Sciences et de la Technologie, pour un projet approuvé dans le cadre du CT-Info, Fonds Sectoriel pour la Technologie de l’Information. Le chiffre d’affaire annuel qui, en 2003, était de 100 mille réaux, atteint aujourd’hui 3 millions de réaux. Les exportations représentent 80 % de ce total, le principal client étant les États-Unis. Ceci a poussé l’entreprise à ouvrir une filiale dirigée par Daher à San José, en Californie, à Silicon Valley. L’entreprise Griaule possède six certifications du Federal Bureau of Investigation (FBI) qui lui permettent de participer à des appels d’offre aux États-Unis. “Notre logiciel n’est pas un produit final”, nous explique André Nascimento de Paula, gérant de Coopération Institutionnelle de l’entreprise. Griaule développe des composants de logiciel pour des entreprises qui vont les intégrer dans un produit. Ces entreprises, appelées intégratrices, se chargent du formatage final du produit en accord avec les besoins
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de leurs clients qui comprennent de petits établissements, de grandes corporations et des gouvernements. L’année dernière, l’entreprise Griaule a quitté l’incubatrice pour louer des locaux proches de l’Unicamp. Un lecteur numérique, installé sur le mur à côté de la porte d’entrée, identifie les 20 employés dont la moitié possède un 3e cycle ou un doctorat. L’identification fonctionne en deux étapes et se fait en deux secondes. La première phase, appelée capture, s’initie quand le doigt est apposé sur l’équipement d’identification et dure une seconde. La deuxième étape, appelée recherche, analyse 30 mille empreintes en une seconde. Version gratuite – Les visées commerciales de l’entreprise Griaule sont larges, englobant des clients corporatifs et gouvernementaux. Pour les clients corporatifs et le simple consommateur, l’entreprise a mis au point le système Desktop Login qui utilise l’empreinte digitale pour autoriser l’accès à un ordinateur. Le Desktop Identity est un autre système destiné aux points de vente et au contrôle de pointage du personnel, et le Rex 2006 destiné au contrôle d’accès, équipé d’un lecteur d’identification numérique qui fonctionne en réseau, facilement adaptable aux serrures électriques et aux tourniquets d’accès. Le système Desktop Identity possède une version distribuée gratuitement sur Internet qui peut être installée dans n’importe quelle institution afin d’améliorer le contrôle et la circulation du personnel. La version gratuite possède également un kit de développement destiné aux ingénieurs informaticiens désirant créer de
LE PROJET Amélioration de la qualité d’identification et de la disponibilité (Speed Cluster) de l’entreprise Griaule Afis MODALITÉ
Programme Innovation Technologique pour les Petites Entreprises (Pipe) COORDONNATEUR
IRON CALIL DAHER – Griaule INVESTISSEMENT
301.800,00 réaux (FAPESP)
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nouvelles applications en matière d’identification numérique. Les clients gouvernementaux bénéficient du programme Afis (Automated Fingerprint Identification System), qui effectue une identification numérique à grande échelle. Ce programme est destiné à l’identification civile et criminelle, au contrôle des frontières et des prisons ainsi qu’à l’émission de documents comme la carte d’identité, le permis de conduire, le passeport et la carte d’électeur, entre autres. Malgré la gigantesque base de données qui contient des centaines de millions d’empreintes digitales, l’identification peut s’effectuer en quelques secondes. Comme chaque état brésilien possède des millions d’empreintes, il y en a 10 pour chaque individu, l’entreprise a mis au point le Speed Cluster, qui permet à des dizaines d’ordinateurs de travailler ensemble au traitement de la banque de données et d’accélérer le temps de réponse. L’entreprise a été récompensée l’année dernière par le Prix Finep d’Innovation Technologique, dans la catégorie petite entreprise, décerné par l’Organisme de Financement d’Études et de Projets. L’entreprise travaille actuellement sur un nouveau projet de détection et d’identification numérique du visage humain. “ Dans le domaine de la multibiométrie, nous voulons créer, d’ici 2008, un produit qui englobera l’identification de la signature et de la voix ”, déclare Daher. Une étude réalisée par l’International Biometric Group (IBG), cabinet conseil pour ce secteur aux États-Unis, indique que les ventes globales d’équipements biométriques vont passer de 2,1 milliards de dollars US en 2006 à 5,7 milliards de dollars en 2010. L’identification d’empreintes digitales, un des systèmes biométriques les moins onéreux et le plus répandu, représentera cette année 44% du marché total du secteur, alors que l’authentification du visage se retrouve à la deuxième place avec 19%. Le marché des systèmes biométriques est en croissance continue, mais il n’a pas encore atteint son maximum et il n’y a pas d’entreprises leaders sur le marché, d’où la situation privilégiée de l’entreprise Griaule. “Nous sommes sur le marché depuis quelques années, nous avons un algorithme bien développé, des clients, une chaîne de distribution bien définie et une structure de recherche et de développement bien organisée ”, déclare Daher. ■
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> ÉNERGIE
La montée du
biodiesel
Ce qu’il manque pour que cette huile s’impose comme un biocombustible brésilien M ARCOS
DE
O LIVEIRA
Publié en avril 2007
C La majeure partie du biodiesel est produite avec du méthanol, extrait du gaz naturel, mais il peut être produit avec de l’éthanol
ompagnon de l’éthanol dans le groupe des combustibles renouvelables, le biodiesel commence à s’imposer au Brésil en termes de production et de distribution dans les stations-service. D’ici la fin de l’année, la prévision est de produire un total de 750 millions de litres; une production proche des 840 millions prévus pour 2008 pour atteindre le quota de 2 % d’incorporation de ce biocombustible au diesel minéral du pétrole, conformément à la loi fédérale de 2004 à l’origine du Programme National de Production et d’Utilisation du Biodiesel. Au cours des dernières années, près d’une trentaine d’usines ont déjà été construites ou sont sur le point d’être inaugurées, et de nouvelles technologies de production ont vu le jour. Mais il reste encore beaucoup à faire. La quasi-totalité du biocombustible produit aujourd’hui au Brésil n’est pas à proprement parler renouvelable, parce qu’il est fait avec du méthanol – une matière première essentielle pour le processus de transestérification, la réaction chimique qui transforme l’huile végétale en biodiesel. Le méthanol est un alcool fait de gaz naturel ou extrait du pétrole, en conséquence il n’est pas renouvelable. L’alternative est de recourir à l’éthanol, qui peut aussi être utilisé dans ce type de réaction. Mais le problème c’est que pour faire du biodiesel il faut utiliser plus d’alcool que de méthanol. Pour produire 1 000 litres de biodiesel, les usines incorporent actuellement dans leur processus de production jusqu’à 300 litres de méthanol. Quand la fabrication se fait avec l’éthanol, ce nombre atteint 500 litres d’alcool produit au Brésil à partir de
la canne à sucre. Toutefois, quel que soit le processus on récupère près de 50% de l’alcool choisi, et ce grâce à un processus qui renvoie l’excès au début de la production. À des prix équivalents, dépendant de la région de production du biodiesel, les producteurs se tournent plutôt vers le méthanol car les coûts sont moins élevés. L’une des possibilités pouvant aider à l’incorporation de l’alcool renouvelable dans la production du biodiesel est un système développé par Miguel Dabdoub, professeur du Laboratoire de Développement de Technologies Propres (Ladetel) de l’Université de São Paulo (USP) à Ribeirão Preto. Dabdoub observe que “nous avons au Brésil l’opportunité d’utiliser l’éthanol, mais la plupart des industries ne possèdent pas la technologie pour cela. [...] Nous avons développé un processus qui utilise l’alcool éthylique, avec un concept d’efficacité énergétique qui demande moins d’alcool. Et une grande partie de ce dernier est récupérée à la fin du processus et peut être réutilisée”. Pour ce faire, des catalyseurs ont été développés, c’est-à-dire des substances qui accélèrent la réaction chimique, dans ce cas à base de cuivre et de vanadium. “Nous sommes en train d’élaborer un brevet sur les catalyseurs et sur le nouveau processus”. En plus de l’utilisation de l’éthanol, Dabdoub propose un ensemble complet d’études sur les effluents et le traitement de déchets. “Imaginons que soient produits 2 milliards de litres de biodiesel au Brésil, il faudrait alors dépenser pendant le processus un milliard de litres d’eau, qui doivent être récupérés d’une façon ou d’une autre et retourner vers la production”.
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Usine construite par l’entreprise Tecbio à Floriano, dans l’État du Piauí: huile de soja et de ricin
Mais tous ne sont pas en faveur de l’utilisation de l’éthanol. Pour l’entrepreneur Expedito Parente, professeur retraité de l’Université Fédérale de l’État du Ceará, “l’éthanol est presque une marchandise, c’est un produit final et l’utiliser c’est aller à contre-courant du point de vue industriel”. Parente est l’auteur du premier brevet sur le biodiesel brésilien déposé en 1977, et actuellement il travaille comme associé dans l’entreprise Tecbio – une entreprise située dans l’État du Ceará, qui fournit des plantes industrielles pour la production de biodiesel. D’après lui, l’éthanol est un produit noble, qui ne doit pas être utilisé comme matière première. “Dans la Région Nord-Est surtout, le méthanol est meilleur marché, sans compter que sa consommation est près de 50% inférieure à celle de l’éthanol. [...] Le méthanol est essentiellement composé d’un gaz qui pourra être extrait de la biomasse par la gazéification de résidus agricoles, y compris de bagasse de canne à sucre – c’est le biométhanol”. Flamme invisible – Pour Dabdoub, il est
important de ne pas combattre le processus qui se base sur l’alcool méthylique, parce qu’il est actuellement – d’un point de vue économique – le plus viable; tou74
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tefois, il est également important de penser à un combustible 100 % renouvelable: “Dans le processus développé au Ladetel, nous avons aussi travaillé avec le méthanol et les coûts sont moins élevés; mais il faut ajouter que le méthanol, en plus de ne pas être renouvelable, pose des problèmes au système productif du fait de sa plus grande possibilité de contamination et de sa plus grande dangerosité: en cas de combustion sa flamme est invisible, au contraire de l’éthanol”. D’après l’ingénieur agronome Décio Luiz Gazzoni, chercheur à l’Embrapa Soja – une unité située à Londrina, dans l’État du Paraná et appartenant à l’Entreprise Brésilienne de Recherche sur l’Agriculture et l’Élevage: “La technique de transestérification est ancienne, elle a plus d’un siècle. On utilise davantage de méthanol parce c’est une technologie développée dans l’Hémisphère Nord, où il y a encore peu de temps l’éthanol n’existait pas en grande quantité. Le moment est venu de tropicaliser cette technologie. Le méthanol est cher, plus toxique et provoque davantage d’accidents. [...] Au vu des informations que je possède, je crois que d’ici deux ans, avec des investissements publics et privés, nous réussirons à aller dans le sens du processus d’obten-
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tion à base d’éthanol. Plusieurs groupes, dont l’USP, l’Université Fédérale de l’État du Paraná, l’Université Fédérale de l’État de Rio de Janeiro et l’Institut de Recherches Technologiques de São Paulo (IPT), étudient l’utilisation de l’éthanol, une technologie mieux adaptée pour le pays. [...] C’est une question de détails”. Ayant fait partie de l’équipe technique chargée d’élaborer le Plan National d’Agroénergie lancé par le Ministère de l’Agriculture en 2003, Gazzoni est membre du Panel Scientifique International sur les Énergies Renouvelables (ISPRE), lequel appartient au Conseil International pour la Science (ICSU). Gazzoni pense que le développement du biodiesel au Brésil en est encore à l’état embryonnaire,“y compris à l’échelle mondiale. Le stade de développement actuel du biodiesel est comparable à celui de l’alcool dans les années 1980. Il passera encore beaucoup d’eau sous les ponts du point de vue technologique, et le Brésil bénéficie d’avantages par rapport à d’autres pays”. L’un des avantages de ce biocombustible est la grande convergence entre les sources de la connaissance scientifique.“Nous avons besoin de nous différencier maintenant, parce que nous avons été pris de court, contrairement à l’éthanol. Nous n’avons pas été capables de percevoir dans le passé l’importance du biodiesel”. L’argumentation de Gazzoni concerne principalement l’élaboration de cultures pour produire de l’huile végétale: “Nous devons rendre plus productives des cultures comme le palmier, le ricin, le colza, le tournesol et même le soja, mais cela prend du temps. Le point principal est de rechercher plus de densité énergétique dans des cultures auparavant destinées à l’alimentation humaine ou animale”. Au stade où en sont ces cultures aujourd’hui, Gazzoni pense que seule la culture du palmier, avec une production de plus de 3 000 litres par hectare (l/ha) est susceptible d’atteindre 4 000 litres dans 20 ans. Encore loin derrière la bonne vieille canne à sucre, une graminée capable de produire à l’heure actuelle 8 000 l/ha au minimum. Lors d’une conférence donnée en mars dernier à l’Institut des Études Avan-
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cées de l’USP, Gazzoni a rappelé que le monde a produit 6,2 millions de tonnes de biodiesel en 2006, qu’il en aura besoin de 33,5 millions en 2011 et de 133,8 millions en 2020. La production croissante vient surtout d’Europe, où le pourcentage de biodiesel ajouté au diesel sera de 5,75 % d’ici 2010. Sur ce continent, la production a atteint 3,84 millions de tonnes en 2006 – contre 6,06 millions en 2005 – avec en tête pour les deux années consécutives l’Allemagne. L’huile la plus utilisée est l’huile de colza; avant il s’agissait d’un produit d’exportation européen, mais dorénavant elle est utilisée sur le continent lui-même pour faire marcher les autobus, les camions et les voitures, qui fonctionnent aussi pour la plupart au diesel. En Europe, le biodiesel est produit industriellement depuis 1992, et son utilisation est surtout importante en ce moment du fait de la diminution de gaz polluants comme le dioxyde de carbone (CO2). Plusieurs études montrent que l’utilisation d’1 kilo de biodiesel réduit de près de 3 kilos la quantité de CO2 dans
coup de chemin à parcourir, aussi bien au niveau du processus d’utilisation de l’éthanol – qui requiert une amélioration pour contribuer aux coûts industriels – que du développement de cultures présentant une plus grande productivité d’huile et de contrôle des maladies agricoles. “La culture du soja est avantageuse parce que le processus de production d’huile est bien développé et totalement dominé par l’industrie agroalimentaire. [...] Nous pensons qu’il est aussi nécessaire de programmer et de faire le zonage des cultures afin qu’elles soient plus productives dans certaines régions”. Le ricin occupe la deuxième place surtout grâce aux aides allouées aux producteurs de la Région Nord-Est. Le label social établi par le Programme National de Biodiesel est attribué à la production issue d’initiatives de petits agriculteurs et exempte d’impôts les producteurs de cette plante dans les régions Nord, Nord-Est et dans la région semi-aride. L’entreprise Petrobras mène des actions dans ce sens, en achetant des graines de ricin et de
l’atmosphère. Les émissions de polluants du biodiesel sont de 66 % à 90 % inférieures au diesel traditionnel. Au Brésil, la production actuelle du biodiesel repose surtout sur le soja, dont le prix et l’offre séduisent les producteurs; de surcroît, le résidu de la production de l’huile (le tourteau de soja) est une source de protéine qui intéresse le marché de l’alimentation animale. Le fait est que les caractéristiques physiques du soja ne sont pas adaptées ni productives pour le biodiesel. Ses graines ne donnent qu’environ 18 % d’huile, soit une production de 700 l/ha. Comparativement, le ricin produit 47 % d’huile avec une production de 1200 l/ha, et le tournesol 40 % et 800 l/ha. D’après Ricardo Dornelles, directeur du Département de Combustibles Renouvelables du Ministère des Mines et de l’Énergie, le soja est la matière première de 55 % du biodiesel brésilien produit jusqu’à présent: “Le ricin représente 20 % et le reste est composé d’autres oléagineux comme le palmier et le navet fourrager”. Il estime que la recherche a encore beau-
La jatropha curcas n’a pas dévoilé tous ses mystères production de boutures, et surtout les fléaux et les maladies”. “L’une de nos préoccupations”, poursuit Severino, “c’est que beaucoup d’agriculteurs investissent dans la plante et qu’après deux ou trois ans ils viennent nous voir pour que l’on résolve des problèmes liés à la culture. Et on ne la connaît pas encore du point de vue agricole”. Avec d’autres chercheurs, Severino s’est rendu en Inde dans le cadre d’un projet financé EMBRAPA
Proclamée haut et fort plante de l’espoir pour la production abondante de biodiesel, la jatropha curcas – une plante arbustive commune – reste entourée d’interrogations. Elle est encore sauvage, du moins dans une perspective agricole. Sa culture à grande échelle n’existe pas et n’a jamais été pleinement étudiée. On commence à l’apprivoiser, mais il est encore tôt pour croire aux merveilles qui se répandent dans le pays, y compris avec la vente de graines sur Internet. L’alerte a été donnée en février sous forme de manifeste par un groupe de 11 chercheurs de l’Embrapa et de l’Entreprise de Recherche sur l’Agriculture et l’Élevage de l’État des Minas Gerais. Liv Soares Severino, chercheur à l’Embrapa Algodão – située à Campina Grande, dans l’État du Paraíba – déclare: “Nous croyons au potentiel futur de la plante, mais la connaissance technique est limitée parce que nous ignorons plusieurs paramètres de plantation, comme l’espacement entre les plantes, la
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par Petrobras, car on disait que la culture de la jatropha curcas y était développée. “Nous avons finalement découvert qu’ils en savaient aussi peu que nous”. L’un des problèmes mis en avant est la cueillette. La plante a l’avantage d’être pérenne, autrement dit il n’est pas nécessaire de la planter tous les ans. Toutefois les fruits ne mûrissent pas tous en même temps. Il faut donc procéder à plusieurs cueillettes à la main, ce qui augmente le coût de la plantation. Par rapport à la quantité d’huile, on estimait qu’elle serait de plus de 1000 litres par hectare. Mais Severino souligne qu’elle ne dépasse pas les 400 l/ha, même s’il existe un potentiel pour augmenter considérablement cette quantité. Avant le biodiesel, la jatropha curcas était reléguée au rang de plante de jardin potager ou de simple curiosité et d’appréciation personnelle. Néanmoins elle avait déjà connu des temps plus mémorables, lorsque au XIXe siècle son huile – comme d’autres, à l’exemple de celle de la baleine – était utilisée dans les réverbères des rues de Rio de Janeiro.
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tournesol aux petits agriculteurs. Elle a établi une unité de production de biodiesel dans le Pôle de Guamaré, dans l’État du Rio Grande do Norte. Extraction générale – Les alternatives
Au Brésil il existe encore beaucoup d’alternatives, comme le babassu, la cacahuète, la graine de coton, le péqui et la jatropha curcas (voir encadré), sans oublier d’autres plantes amazoniennes dont la culture n’est pas encore établie. Nombre d’expérimentations ont déjà été réalisées. Expedito Parente de Tecbio signale qu’“entre 1977 et 1980, lorsqu’on testait plusieurs matières premières, une productrice de jus de fruit de la passion de l’État du Ceará, Agrolusa, nous a demandé de tenter de produire du diesel avec les graines de cette plante. [...] Ça a marché, et pendant six mois les véhicules de l’entreprise ont roulé avec ce biodiesel. Mais après ils se sont rendus compte que les prix payés par l’industrie des cosmétiques pour l’huile de graines de fruit de la passion étaient beaucoup plus rentables”. Parente a mené une autre expérience curieuse aux débuts du biodiesel brésilien: la production de biocombustible avec de l’huile de sardine. “J’avais reçu d’une entreprise belge 200 litres d’huile de poisson, qui s’est montrée très bon-
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en matière de plantes pour produire des huiles végétales ne manquent pas dans le monde, en particulier sous les tropiques. Mais les régions très froides ne sont pas pour autant en reste ; dans la région de la Patagonie, en Argentine, il existe déjà des initiatives pour la production de biodiesel avec l’huile d’algues marines. En mars, le site du Réseau Science et Développement (SciDevNet) a annoncé que l’entreprise argentine Oil Fox avait conclu un accord avec le gouvernement local pour cultiver des algues marines dans de grandes piscines dans la province de Chubut. Bénéficiant d’investissements allemands d’un montant de 20 millions de dollars, l’entreprise espère produire 240 000 tonnes de biodiesel marin par an sur seulement 300 ha, alors que pour la production de soja il faudrait disposer de 600 000 hectares.
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ne pour produire du biodiesel”. La graisse animale ou le sébum, aussi bien des bovins que des poulets et des porcins, se trouve actuellement dans la ligne de mire des producteurs, avec l’utilisation du même processus de transestérification. “Au Brésil, 700 000 tonnes de sébum bovin sont disponibles annuellement pour la production de biodiesel, un produit passé de l’état de résidu à celui de sousproduit”, déclare Carlos Freitas, consultant et associé de Conatus Bionergia. Son entreprise se prépare à installer une usine de biodiesel dans le nord de l’État du Paraná, d’une capacité de production de 200 tonnes par jour. Au départ elle fonctionnera avec l’huile de soja et de tournesol. “La graisse animale est importante mais, de par la quantité offerte, elle restera toujours en marge des huiles végétales”. Même si elle n’en est qu’à ses débuts, l’industrie brésilienne de biodiesel exporte déjà sa technologie. Dabdoub a déjà été appelé aux États-Unis dans deux usines de biodiesel. L’une d’elles se trouve dans la ville de Gilman, dans l’État de l’Illinois, et appartient à Renato Ribeiro, un Brésilien qui produit de l’huile de soja sur le sol américain. Elle a une capacité de production de 110 millions de litres par an et utilise l’éthanol extrait du maïs. Dans cette opération, 2 millions de dollars américains en équipements ont été exportés du Brésil vers les États-Unis. L’autre usine est située à Durant, dans l’État de l’Oklahoma. Là, Dabdoub a seulement transféré ses connaissances sous forme d’assistance. L’usine est en construction pour produire 80 millions de litres par an, et elle ne fera sans doute venir des équipements brésiliens que dans un second temps. Durant l’élaboration de ce travail, Dabdoub s’est vu proposer un accord pour l’étude du biodiesel entre l’Université de l’État de l’Oklahoma et celle du Texas, dans un partenariat soutenu par la Société Brésilienne de Chimie et son équivalente nord-américaine. L’échange permettra aux étudiants de suivre des stages dans les deux pays. Pour le chercheur, c’est une voie à double sens: “La connaissance ne se donne pas, elle s’échange”. Dabdoub est également pré-
Unité de production expérimentale de l’entreprise Petrobras à Guamaré, dans l’État du Rio Grande do Norte 76
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sident de la Chambre Sectorielle Spéciale de Biocombustibles du gouvernement de l’État de São Paulo. Usine pilote – Le partenariat et les échan-
L’entreprise Marchiori mise sur la fibre de verre pour diminuer les coûts
Peugeot Citroën par l’équipe de Dabdoub en collaboration avec le Lactec. Deux modèles diesel répandus en Europe – une Peugeot 206 et une Xsara Picasso – ont subi des tests et roulé plus de 110 000 kilomètres avec 30 % de biodiesel, et les résultats furent excellents.“Nous avons utilisé de l’huile de palme, de soja et de ricin, dans des proportions différentes, et de l’éthanol dans la production”. D’après Dabdoub, les possibilités de recherche sur le biodiesel sont encore très vastes. L’une d’elle concerne ladite cataly-
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ges avec le milieu universitaire sont également des objectifs visés par l’entreprise Marchiori. Elle a développé des équipements tels que des conduits, des citernes et des réacteurs à base de fibre de verre pour des usines de biodiesel. La fibre de verre remplace le traditionnel acier, et Antonio Martinho Marchiori, ingénieur de production et associé de l’entreprise, signale qu’au final l’équipement est 30 à 40 % moins cher que ceux utilisés actuellement.“Nous avons un brevet de ces équipements et du processus de production de biodiesel avec de la fibre de verre”, ajoute-t-il. L’entreprise a offert une usine pilote d’une capacité de production de 200 litres par jour au Pôle National de Biocombustibles qui fonctionne au sein de l’École Supérieure d’Agriculture Luiz de Queiroz de l’USP.“Nous sommes en train de faire la même chose avec l’Université d’État de São Paulo (Unesp) de la ville d’Ilha Solteira. Dans les deux cas nous avons l’intention, sur la base des études qui seront menées, d’améliorer nos usines sous certains aspects et pour lesquels l’université peut collaborer, comme l’automatisation et l’informatisation”. Un autre grand partenariat récent a réuni autour du même projet l’Association Nationale des Fabricants de Véhicules Automobiles (Anfavea), des entreprises de pièces automobiles, l’Institut de Technologie pour le Développement (Lactec) de Curitiba, État du Paraná, l’Institut de Recherches Technologiques (IPT) et l’Unesp de Jaboticabal. Les résultats ont été présentés en mars au Ministère de la Science et de la Technologie, et les tests sur le mélange de 5 % de biodiesel au diesel minéral approuvés. Grâce à cela, le gouvernement et les entreprises peuvent adopter les 5 % qui sont programmés pour 2010.“Ce sont 140 camions, et quelques tracteurs, qui ont roulé pendant des milliers de kilomètres. Et quand nous avons examiné les moteurs nous avons pu constater une durabilité excellente et une meilleure lubrification”, affirme Dabdoub qui a coordonné les travaux.“Le fabricant de tracteurs Valtra songe déjà à assurer jusqu’à 20 % de biodiesel”. Des tests similaires ont été finalisés en août 2006 pour le groupe français PSA
se enzymatique, ainsi que des études de chercheurs brésiliens et étrangers sur l’utilisation de la bagasse de canne à sucre ou d’autres résidus pour extraire l’éthanol. Dans le cas du biodiesel, l’objectif est d’extraire plus d’huile des résidus de la production de l’huile de soja, du ricin et d’autres plantes utilisées pour la production du diesel végétal. “Nous avons déjà réussi, mais la méthode n’est pas encore compétitive”, observe Dabdoub. Il affirme également que la glycérine – un produit résultant du processus de transestérification et vendu à l’industrie chimique, pharmaceutique et de cosmétiques – pourrait être utilisée comme une nouvelle ressource énergétique dans l’usine de biodiesel. Elle générerait de l’énergie électrique par la création de vapeur pour actionner les turbines, comme cela se fait avec la bagasse de la canne à sucre dans les usines productrices de sucre et d’alcool. “Mais cela ne sera viable que lorsqu’il y aura une chute de l’ordre de 70 % de la valeur actuelle du diesel dérivé de pétrole utilisé dans les chaudières ou pour le chauffage dans les pays de climat froid, compensant de cette manière le pouvoir calorifique moins important de la glycérine à un prix également inférieur. Dans l’état actuel, avec le prix de la glycérine qui atteint les 700 dollars par tonne, l’utiliser dans des chaudières pour générer de l’énergie n’est pas encore une solution viable”. ■
Dans le Lactec à Curitiba, tests sur une voiture fonctionnant avec 30% de biodiesel. PESQUISA FAPESP
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Usages multiples Des résines nanostructurées fonctionnent comme des bactéricides et des fongicides dans des lave-linge et des matelas Y URI VASCONCELOS |
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epuis quelques années, l’une des stratégies adoptées par l’entreprise pétrochimique Suzano est d’investir dans le domaine de la nanotechnologie pour atteindre de nouveaux marchés et poursuivre sa croissance. L’entreprise est leader en Amérique latine dans la production de résines polypropylènes et la deuxième plus grande productrice de résines thermoplastiques au Brésil – deux matières premières versatiles utilisées dans la fabrication d’emballages plastiques, de flacons pour les cosmétiques et les produits d’hygiène, d’ustensiles ménagers, de pièces automobiles et de produits textiles. En mai dernier, elle a présenté, durant la 11e Foire Internationale de l’Industrie du Plastique (Brasilplast 2007) de São Paulo, deux produits élaborés à partir des recherches en nanotechnologie: une résine polypropylène spéciale nanostructurée de particules d’argent utilisée pour la fabrication d’électroménagers du secteur blanc, telles que les lave-linge, et une nouvelle résine avec des
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nanoparticules pour la fabrication de fils et de fibres pour la production de matelas. D’après Cláudio Marcondes, ingénieur en matériaux et responsable du développement de nouveaux produits de l’entreprise, la caractéristique principale des deux innovations réside dans leur action fongicide et bactéricide. Suzano prévoit que d’ici trois ans près de 10 % de ses recettes résulteront des recherches en nanotechnologie. “Avec l’utilisation de cette nouvelle voie de connaissance, nous sommes en train d’ajouter de la valeur à nos produits”, souligne Marcondes. Le nouveau lave-linge est produit en partenariat avec Suggar, fabricant brésilien d’électroménagers installé à Belo Horizonte (État de Minas Gerais). Il s’agit de l’un des premiers appareils produits au Brésil avec l’utilisation de la nanotechnologie comme matière première. La nanotechnologie – ou construction de structures et de matériaux à échelle nanométrique, dans des mesures équivalentes à 1 millimètre divisé par un million de fois – permet la fabrication de produits aux caractéristiques diffé-
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Tuyaux offshore pour le fond de la mer Outre les résines plastiques avec des nanoparticules d’argent, Suzano a présenté lors de Brasilplast 2007 d’autres produits pour le marché du polypropylène. L’un d’eux concerne le secteur de prospection du pétrole en mer. La nouvelle résine est utilisée dans la couche de protection des tuyaux off-shore utilisés dans les eaux profondes. Cláudio Marcondes, responsable du développement de nouveaux produits dans l’entreprise, signale que «ces tuyaux travaillent dans des conditions extrêmes et ils doivent être capables de résister à des températures élevées, à une forte pression et à l’agressivité du milieu». Ils sont fabriqués avec un acier spécial revêtu d’une protection en polypropylène anticorrosif. et isolant thermique. D’une épaisseur d’environ 20 à 50 millimètres, cette couche protectrice garantit la température nécessaire au transport de l’huile. Les tuyaux sont destinés à des puits pouvant aller jusqu’à 2 000 mètres de profondeur, mais Suzano est en train de mener des études pour développer des tuyaux pouvant descendre encore plus bas. Le nouveau polypropylène est vendu aux fabricants de tuyaux Socorril et Termotite, qui les fournissent à leur tour à l’entreprise pétrochimique Petrobras. Suzano intervient déjà sur le marché interne et ses produits sont utilisés dans les champs de pétrole Roncador, Marlim et Alcabora sur le littoral de l’État de Rio de Janeiro, et a également exporté en Angola. Elle estime que le potentiel de consommation de polypropylène de ce secteur sera de 5 000 tonnes en 2007. 80
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renciées, car elle modifie les propriétés des matériaux au niveau atomique. La résine polypropylène nanostructurée de particules d’argent de Suzano est utilisée dans la fabrication de la cuve des lave-linge, ce qui lui confère une action antimicrobienne. L’effet désinfectant de la résine se produit au moyen des charges positives (ions) de l’argent – un matériau connu pour sa propriété bactéricide depuis des siècles –, qui attirent les charges négatives des bactéries, provoquent la rupture de leur membrane cellulaire en fonction de la différence de polarité entre les parties interne et externe du microorganisme, ce qui entraîne leur mort. Pour Marcelo Emrich Soares, directeur industriel de Suggar, la nouvelle technologie permettra d’éliminer 99,9% des bactéries qui se développent dans la cuve des lave-linge, apportant plus d’hygiène et de qualité au processus de lavage des vêtements:“L’environnement dans la machine est exempt de contamination et préparé pour de nouveaux lavages. La nouvelle résine offre également plus de résistance et de durabilité au produit”. Pour l’instant, le polypropylène additionné de nanoparticules d’argent est seulement appliqué sur les lave-linge semi-automatiques, segment dans lequel Suggar participe de manière importante avec près de 30 % des ventes. Mais une entente existe déjà entre les deux entreprises pour appliquer la nanotechnologie sur d’autres types d’électroménagers. Jusqu’à présent, Suzano a fourni 100 tonnes de polypropylène nanostructuré pour la
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production des lave-linge. Chaque cuve pesant environ 6 kilos, la matière première est suffisante pour fabriquer près de 17 000 machines. Matelas hygiéniques – La résine spéciale utilisée dans la fabrication de fils et de fibres de matelas est un autre développement de la recherche de l’entreprise pétrochimique sur des nouveaux matériaux nanostructurés d’argent. D’après Suzano, le développement du produit a demandé un an de recherches et son application est très variée, aussi bien dans les matelas d’hôpitaux et d’hôtels que dans ceux des particuliers. Un autre avantage est que l’action bactéricide du produit ne possède pas de délai de validité. L’hygiénisation des matelas n’étant pas un processus très commun, l’action de la résine contribue au maintien d’un environnement sain et évite ainsi la dissémination des infections. La résine est fournie par le fabricant de produits textiles Döhler (installé dans l’État de Santa Catarina), qui produit déjà des fils et des fibres et les fournit à l’entreprise Castor, responsable de la confection des matelas avec des matériaux nanostructurés. Cláudio Marcondes estime que “le produit devrait entrer sur le marché dans deux mois”. Dans l’entreprise Suzano, les travaux sur la nanotechnologie sont coordonnés par le chimiste Adair Rangel. Il est à l’origine de l’étude et du développement de nouveaux matériaux nanostructurés, mis en place il y a trois ans alors qu’il suivait un doctorat à l’Insti-
Cuve de lave-linge produite avec du polypropylène et de l’argent: effet bactéricide
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tut de Chimie de l’Université d’État de Campinas (Unicamp). Pendant cette période, le Centre de Technologie de l’entreprise a investi 20 millions de réaux dans la recherche nanotechnologique. Actuellement il se compose de près de 40 chercheurs et techniciens. Au total, l’entreprise consacre 1,5 % de son budget, soit environ 2,37 milliards de réaux, à la recherche et au développement de nouveaux produits. Pour pouvoir fabriquer des produits de haute technologie, elle a commencé la construction d’une unité de production spécifique, baptisée Unité Autonome d’Extrusion – une unité située dans l’entreprise Suzano à Mauá, dans la banlieue de São Paulo. Elle débutera ses activités commerciales dès la fin de l’an prochain et sera en mesure de produire 24 000 tonnes/an de résines spéciales. D’après Marcondes, le défi de l’entreprise est double: développer de nouvelles résines polypropylènes avec des nanoparticules et pouvoir traiter ces résines sur les machines déjà installées dans le parc industriel brésilien qui achète ces résines à l’entreprise. L’an dernier, Suzano a enregistré son premier brevet en nanotechnologie, tourné vers l’obtention de nanocomposites à base de polypropylène et d’argile par le biais d’une nouvelle démarche qui les rend compatibles. Le nouveau matériau présente des progrès considérables en termes de propriétés techniques: plus rigide, plus résistant et perméable.“Nous
n’avons pas encore lancé de produit avec ce matériau. Pour l’instant, notre objectif est de présenter le potentiel des résines polypropylènes nanostructurées”, ajoute Marcondes. Planche à découper – L’un des premiers produits nanotechnologiques de l’entreprise a été présenté au public fin 2006, lors du II Congrès International de Nanotechnologie (Nanotec) qui s’est tenu à São Paulo. Il s’agit d’une résine polypropylène avec des nanoparticules d’argent – la première version du matériau utilisé dans la fabrication du lavelinge et des matelas. La principale application de cette résine est le marché des ustensiles ménagers. Suzano a développé, grâce à ce marché, les prototypes d’une planche à découper la viande et d’un récipient en plastique pour conserver les aliments. La planche à découper n’est pas contaminée par les bactéries qui s’installent habituellement dans les fentes provoquées par le couteau. Quant au récipient, observe Marcondes,“il augmente considérablement le temps de conservation des aliments. [...]. Nous sommes en train d’encourager Reflet, l’un de nos partenaires, à produire des ustensiles ménagers avec de la résine nanostructurée, qui coûte 10% de plus que la résine traditionnelle”. Suzano travaille également au développement de films nanostructurés d’ions d’argent et qui seront utilisés dans PESQUISA FAPESP
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la fabrication d’emballages pour les fruits, les produits alimentaires et autres. L’entreprise espère déposer très bientôt deux nouveaux brevets – qui ne peuvent être détaillés pour l’instant – sur deux autres nanoparticules appliquées avec le polypropylène. Marcondes souligne que le volume de production des résines nanostructurées est encore faible mais qu’il tend à croître à mesure que la population perçoit la valeur ajoutée des nouveaux produits fabriqués avec ces résines: “La nanotechnologie nous offre un potentiel énorme. Nous en sommes à la partie émergée de l’iceberg”. Avec une capacité de production de résines polypropylènes de 685 000 tonnes par an, Suzano vend sur le marché brésilien des produits à plus de 500 clients et exporte dans une quarantaine de pays. L’entreprise possède trois usines – à Mauá, Duque de Caxias, dans la Baixada Fluminense et dans le pôle pétrochimique de Camaçari (État de Salvador) –, qui fabriquent ensemble plus de 60 produits. Société d’actionnariat brésilien,elle est contrôlée par Suzano Holding, la principale actionnaire de Suzano Papel e Celulose. Les investissements actuellement réalisés dans les usines de Mauá et de Duque de Caxias augmenteront sa capacité de production de plus de 190 000 tonnes par an jusqu’en 2008, ce qui garantira à cette entreprise la position de leader sud-américain dans le commerce du polypropylène. ■
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LA DI CTA TURE DE LA GA IETÉ Des intellectuels sont en faveur de changements pour sauver la fête la plus traditionnelle de l’État de Bahia: le Carnaval G O N Ç A LO J U N I O R Publié en juin 2007
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orsque les commerces de la région centrale ferment leurs portes en fin de journée, la ville de Salvador 2007 donne davantage l’impression de vivre au rythme du couvre-feu. D’importantes voies comme l’avenue Sete de Setembro et la rue Carlos Gomes se vident rapidement, tandis que la circulation devient beaucoup plus intense au niveau des ruelles et passages voisins des zones de concentration des centres commerciaux – aux alentours de l’avenue Paralela. Le trafic devient si chaotique qu’il fait penser aux embouteillages que connaît São Paulo. Tous semblent pressés de rentrer à la maison. Alors que les travaux de construction du métro finalement reprennent, les habitants de la ville paraissent inquiets, coincés et angoissés. Apparemment le motif principal est la violence du quotidien, qui contraint les habitants de tous âges et de toutes classes sociales à se retrancher chez eux et à limiter leurs sorties aux centres commerciaux – lesquels poussent comme des machines à sous dans toute la ville. Le dernier samedi du mois de mai par exemple, le bord de mer était pratiquement désert aux environs de 21 heures; par contre il était quasiment impossible d’acheter une place de cinéma ou de trouver une table libre dans l’un des multiples fast-foods ou cafétérias du plus grand centre commercial de la ville, le Shopping Iguatemi. Certains disent que la violence est devenue un problème de calamité publique dans la ville, même si les vols à main armée ne sont pas aussi nombreux qu’à São Paulo ou Rio de Janeiro. Ce n’est pas un hasard si le même jour une chaîne de TV locale réalisait une enquête sur le nombre d’agressions subies par chaque habitant. D’après Antonio Albino Rubim, professeur à l’Université Fédérale de l’État de Bahia (UFBA), la fin du règne de Magalhães grâce à l’élection du gouverneur Jacques Wagner apporte au moins l’espoir du début d’une rupture de ce qu’il appelle la “dictature de la gaieté”. L’expression a plusieurs sens. Elle est notamment liée à la façon d’être supposée naturelle du Bahianais, fortement exploitée depuis près de vingt ans par l’industrie PESQUISA FAPESP
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du tourisme, de la musique et du carnaval. Ou encore à l’influence de la télévision, qui parvient sans peine à imposer l’idée d’un lieu où on fait la fête 24/24 h et où on est toujours heureux. Un état de choses symbolisé par les paroles de chansons anthropophagiques telles que We are Carnaval, we are folia, we are the world of Carnaval, we are Bahia. L’idée de Salvador comme “Terre du Bonheur” – modernisée par “Terre de la Gaieté” - n’est cependant pas nouvelle. Dans les années 1930 déjà, Ary Barroso utilisa l’expression pour composer la chanson désormais classique Na baixa do Sapateiro, qui vante les beautés de la femme bahianaise et de ladite “Bonne Terre” du Senhor do Bonfim. Toutefois, ce qui se vit en 2007 est ancré dans un concept plus moderne de “bahianité” ; pour l’anthropologue Goli Guerreiro – auteur du livre A trama dos tambores - A música afropop de Salvador (Éd. 34) [ La trame des tambours – la musique afro-pop de Salvador] –, ce concept peut être compris comme une articulation entre politiciens, artistes, religieux, intellectuels, publicitaires et agents touristiques et il trouve un écho dans diverses couches de la société. La dictature de la fête carnavalesque, poursuit Rubim, serait également liée aux rapports étroits entre le marché carnavalesque, celui de la musique et les pouvoirs de l’État de Bahia et de la ville représentés par Bahiatursa et Emtursa, deux entreprises publiques qui promeuvent le tourisme. Une complicité qui serait rattachée à la figure de l’ancien gouverneur Antonio Carlos Magalhães: en réintégrant le gouvernement de l’État en 1990, il a su capitaliser le phénomène de la nouvelle musique bahianaise – étiquettée péjorativement d’axé-music – et la transformer en produit touristique. Groupes carnavalesques – De l’avis du chercheur, le groupe d’A. C. Magalhães a attiré des artistes, des producteurs et des organisateurs de blocos [groupes carnavalesques] avec une infrastructure et des sponsors, tout en leur laissant une grande liberté pour administrer le carnaval. D’où l’expectative et la crainte de certains groupes avec la montée au pouvoir d’un nouveau parti, le Parti des Travailleurs.
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On a l’habitude de dire que le Bahianais est cordial, mais le fait est que la crainte de la violence a éloigné des fêtes aussi bien les touristes que les habitants de la ville
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Wagner peut faire d’une pierre deux coups: fragiliser l’idéologie de Magalhães très influente dans la vie culturelle de la ville et en finir avec l’omission des pouvoirs publics, qui laissent que l’organisation du carnaval soit manipulée au grand dam de la tradition festive. Selon l’anthropologue Antonio Risério,l’État de Bahia vend nombre de mythes qui ne sont pas vrais. Dans Uma história da cidade da Bahia (Éd. Versal) [Une histoire de la ville de Bahia], il en cite quelques-uns: il est généralement dit que la ville est ensoleillée,alors qu’en réalité il y pleut torrentiellement toute l’année; “Caymmi a entretenu l’idée selon laquelle les habitants ne travaillaient pas, mais le Bahianais travaille comme un forçat”, observe l’auteur; il y a un contraste entre la vision de ville joyeuse et les noms de lieux anciens, comme la Place des Affligés, la Place de la Piété et la Côte de l’Exil, entre autres.“Une image obsessive s’est imposée, où personne n’a le droit d’être triste, mais il suffit de discuter avec les personnes pour rencontrer beaucoup de solitude”. Les observations du sociologue Paulo Miguez vont dans le même sens: “À Salvador on ne peut être triste, et si cela ne se produit jamais la personne sera profondément malheureuse, car la tristesse est une dimension de la vie humaine qui ne peut être méprisée”. Dans sa thèse de
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doctorat intitulée A organização da cultura da cidade da Bahia [L’organisation de la culture dans la ville de l’État de Bahia], Miguez a tiré des conclusions révélatrices sur l’industrie de la musique et du carnaval de Salvador:“Le bourdon, le cafard, tout cela nous enrichit de temps en temps. Un peuple en permanence joyeux devient rasoir parce qu’il n’est pas possible de construire quotidiennement une gaieté à partir de tout et dans une ville aux graves inégalités sociales”. D’après le sociologue, il s’est créée une “île de la fantaisie, même si parfois on démonte le cirque, comme lors de la grève des policiers [en juillet 2001] quand la population est devenue l’otage des criminels”. Comprendre les complexités de Salvador et défendre l’idée d’un vaste débat urgent sur les voies empruntées par la ville est devenu l’une des préoccupations premières des universitaires bahianais au cours des dernières années. En particulier au Centre d’Études Multidisciplinaires sur la Culture (Cult) du Programme Multidisciplinaire de 3e cycle en Culture et Société (Pós-cultura) de l’UFBA. Ce centre a réalisé, du 23 au 25 mai, la III Rencontre d’Études Multidisciplinaires sur la Culture (Enecult), qui a réuni près de deux cents chercheurs venus de tout le Brésil, d’Amérique latine et d’Europe. Carnaval – Les chercheurs affirment que
toute planification de croissance durable pour Salvador doit passer par l’élaboration d’un projet de réévaluation du rôle de l’État et de la mairie vis-à-vis du carnaval, si l’on veut sauver la fête populaire la plus importante de l’État de Bahia. Cela signifie notamment qu’il faut la retirer des mains d’un petit groupe d’organisateurs qui dicte les règles depuis plus de deux décennies et établit des privilèges au nom de ce qu’il appelle la “professionnalisation” du carnaval “le plus démocratique du monde”. Mais dans la pratique, cette machine privatise les espaces publics et asphyxie les manifestations populaires traditionnelles ou liées à la culture afro-brésilienne. On a l’habitude de dire que le Bahianais est cordial, mais le fait est que la crainte de la violence a éloigné des fêtes aussi bien les touristes que les habitants de l’État. Pour Rubim, le Carnaval 2007 a illustré la crise que connaît le modèle de la fête et a davantage servi d’avertisseur: les hôtels n’ont pas fait le plein et il était
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possible d’acheter des déguisements de groupes carnavalesques sans difficultés et pendant la fête. Il suggère: “Il faut créer de nouvelles voies, une logique de marché qui ne soit pas soumise, prédatrice, en quête de gains immédiats, pour laisser de la marge à l’innovation”. Muniz Sodré, éminent théoricien de la communication et l’un des conférenciers de l’Enecult, observe que le carnaval et la musique bahianaise doivent tous deux être repensés:“La culture populaire est faite par les médias de Salvador, en particulier à cause de la force de la télévision. Néanmoins, le peuple se l’approprie toujours, de diverses manières et dans des lieux différents”. C’est pour cette raison qu’il estime que le concept de lieu est impératif pour définir la diversité, “car ce n’est pas le lieu des médias mais de la petite communauté, de province, avec des formes propres qui se manifestent”. Sodré souligne que l’État de Bahia a déjà été le lieu où ces expressions symbo-
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liques différenciées ont soudain occupé le devant de la scène, avant d’être rapidement commercialisées. Si d’un côté le marché de la musique a laissé émerger cette identité jusqu’alors refoulée, de l’autre celle-ci a immédiatement été reprise par l’industrie des loisirs et l’État en tant qu’attraction touristique. Sodré remarque “que cela a joué au départ un rôle politique très fort et le problème est de savoir si ce rayonnement est déjà fini. Personnellement, je pense qu’une telle force est en train de s’épuiser parce qu’on ne s’est pas beaucoup soucié de la continuité”. Si cela a entraîné la formation de certains groupes, affirme-t-il, le carnaval connaît de grandes limitations économiques et la question de l’inégalité n’est pas évoquée. “Les groupes carnavalesques qui étaient de tendance libertaire sont aujourd’hui des organisations encerclées par des cordes”. Ainsi, le concept que l’on voit dans les rues durant la fête va à l’encontre de l’idée du carnaval dionysiaque, liber-
taire. Parmi les organisateurs, les artistes, l’État et la ville, c’est la vieille idéologie du patrimonialisme qui prédomine. “C’est l’idéologie des ententes, des faveurs. Le pays est toujours ainsi, et le contenu de la culture a beau être de gauche on ne peut pas enfreindre cette logique, qui établit des territoires. C’est plus fort que n’importe quelle idéologie de droite ou de gauche”. Injustice – Pour Bob Fernandes, journaliste et membre d’un groupe carnavalesque, le carnaval n’est que l’un des graves phénomènes de l’“évidente” injustice sociale qui a marqué les cinq siècles de l’histoire de l’État de Bahia. Se définissant lui-même comme un “carnavalesque de rue”, il observe que les démagogues ne sont pas ceux qui proposent des débats sur la fête, mais ceux qui défendent sa pérennité à partir de la vision du confort des loges et des gradins réservés aux officiels. “Je marche au milieu de la foule et je sais que modifier la structure ne va pas résou-
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d’un gigantesque mensonge - le fait que Salvador reçoive 1 million de touristes en cinq jours - créé pour vendre l’événement”. Comment cela est-il possible, ajoute-t-il, si la ville ne possède qu’une capacité hôtelière de 27 000 lits? “Il n’y a pas autant de maisons ou d’appartements à louer pour recevoir tant de monde”. D’après ses comptes, si 30 groupes carnavalesques défilent en même temps avec près de 90 000 participants, le nombre de gens dans la rue ne doit pas excéder les 500 000. Bob Fernandes met en avant de graves problèmes culturels et politiques, qui peuvent à moyen terme faire de la capitale bahianaise un lieu invivable. Des symptômes apparaissent déjà avec la circulation chaotique sur les principales avenues, à cause de concessions cédées à des entreprises de construction de centres commerciaux et d’immeubles résidentiels de luxe.“Maintenant ils veulent à tout prix élever le standing des immeubles de bord de mer pour en faire une nouvelle Copacabana,avec des préjudices au niveau de l’environnement et de la qualité de vie qui atteindront toute la ville”. Fernandes souligne sa préoccupation par rapport à une certaine “lâche-
té morale” de la population qui assiste à l’usurpation des biens publics sans réagir”. “Le Bahianais adore lutter tout seul, mais il est incapable de se mobiliser contre les excès de ces petits groupes qui font ce qu’ils veulent dans la ville”, conclut Fernandes en guise de provocation. Défis – Márcio Meirelles, secrétaire à la culture depuis cinq mois, est conscient des défis à relever et des réformes à entreprendre. Il est l’un des rénovateurs du théâtre bahianais depuis deux décennies, et parle de ces défis avec prudence. Parmi ses priorités se trouve la décentralisation de la culture en province, afin de préserver ou de revivre de riches traditions menacées par le rouleau compresseur que sont devenus la musique et le carnaval de la ville. Meirelles sourit avant d’évoquer le guêpier qui l’attend: la relation d’échanges de faveurs entre Bahiatursa, les organisateurs et les artistes du carnaval. “Quand il n’y a plus de chef, de colonel, les rapports doivent changer [...] Il y a beaucoup de gens qui résistent, parce qu’ils vont perdre des privilèges. C’est l’histoi-
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dre le problème de l’apartheid dans l’État de Bahia, mais il peut indiquer que le pouvoir public se penche sur la question. Sinon, du moins augmenter le nombre de ‘propriétaires’ de ce business”. D’après lui, la première mesure à prendre serait d’en finir avec les cordons qui entourent les groupes carnavalesques:“le cordon c’est le pire, c’est la vente de l’espace public et l’imposition du préjugé et de la ségrégation”. Il estime que l’avenir de la fête va dépendre de la capacité du nouveau gouvernement à s’imposer, à discuter et à réaliser un certain type de projet pour la ville: “Salvador est le joyau de la couronne, et il n’est pas possible de ne pas mettre en place un vaste débat jusqu’au carnaval de l’an prochain. Comme il s’agit d’une grande fête populaire, on peut établir une politique durable et plus juste”. Mais pour Fernandes le plus grave concerne le pouvoir établi par les groupes carnavalesques dans l’organisation de la fête: “C’est un carnaval de persécution, avec un objectif absolument réduit à une demi-douzaine d’individus, hommes et femmes. Ce sont des personnes qui réussissent dans un schéma monté à partir
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re classique: celui qui se sent menacé réagit. Et c’est cela que nous commençons à vivre: l’attaque des privilégiés”. Un autre aspect de la culture bahianaise qui éveille l’intérêt des chercheurs est l’importance prise par la musique afro-brésilienne, qui est sortie du ghetto pour s’imposer avec succès à la télévision et sur les stations de radio et alimenter la fête de carnaval à partir des années 1980. Elle est même allée plus loin, en provoquant de profondes transformations, telle que la rupture de barrières de préjugés, en promouvant la réinsertion du Noir dans son espace, dans une ville où 70 % de la population est d’ascendance africaine. Pour Rubim, il s’agit là du côté positif d’une industrie prédatrice, marquée par des équivoques. Miguez met l’accent sur le fait que l’aggravation de la dispute pour intégrer des groupes carnavalesques a au moins permis de laisser de côté les paramètres raciaux et de beauté: “Aujourd’hui la sélection des membres des groupes carnavalesques, j’en suis sûr, donne la priorité à la question économique”. Même l’idée d’établir un calendrier de carnavals hors époque – les mi-carêmes –, qui remplissent les agendas de certains groupes carnavalesques et d’artistes, semble fragilisée par le manque de nouveauté. Pour Rubim, c’est en quelque sorte l’université elle-même qui est responsable du début de la valorisation de la culture afro-brésilienne avec la mise en place du Centre d’Études Afro-Orientales (Ceao) dans les années 1960. D’autre part, c’est l’industrialisation de la région appelée Recôncavo avec la création du pôle pétrochimique de Camaçari et du Centre Industriel d’Aratu dans les années 1970 qui a donné lieu à l’émergence de groupes de Noirs plus conscients de leurs droits et de l’importance de leur culture, avec de nouveaux besoins et en accord avec le mouvement du black power américain et de la musique noire, en particulier le reggae. De cet éveil est né le groupe carnavalesque afro-brésilien Ilê Aiê, tourné consciemment vers la valorisation du Noir dans l’État de Bahia. Caetano Veloso – Le troisième élément fut l’engagement dans les années 1970 d’un groupe de compositeurs issus de la classe moyenne et dirigé par Antonio Risério, Caetano Veloso et Gilberto Gil. Il ne s’est rendu compte de la force de la
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culture noire qu’après son expérience d’exil et son engagement dans le groupe carnavalesque Filhos de Gandhi. Ils allaient planter la semence de ce qui deviendrait l’axé-music. Risério est d’accord avec Rubim et assume son rôle dans l’histoire. Il raconte qu’il y avait une politique qui prônait clairement “un grand tournant Noir, une population traitée dignement, puisque ce qui existait d’intéressant dans la culture locale venait d’eux”. Cet effort est notamment apparu lors de l’enregistrement de Beleza pura [Beauté pure] de Veloso, et à travers le son de l’afoxé (instrument de percussion) que Moraes a réussi à obtenir avec la guitare. “Nous PESQUISA FAPESP
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lançons des signes et aidons à transformer la culture noire en une idéologie hégémonique ”. L’anthropologue se souvint qu’avec Caetano Veloso ils allaient à plusieurs événements liés à la musique noire, promus par des groupes carnavalesques tels que Badauê, Ilê Aiê et Zamzimbá, entre autres. Aux observateurs curieux, reste l’expectative de voir comment sera le rite de louange de certains grands chanteurs aux politiciens. ■ Les images illustrant cet article sont des reproductions du livre O Capeta Carybé, éd. Berlendis & Vertecchia Editores Ltda.
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ICONOGRAPHIE
Portrait en noir et blanc L’image du Noir au Brésil a été forgée avec l’arrivée de la photographie au XIXe siècle C A R LO S H A AG Publié en fevrier 2007
REPRODUCTION/ALBERTO HENSCHEL, RETRATO, C. 1870
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i Castro Alves, en se référant à l’esclavage, demande à Dieu dans O navio negreiro (Le navire négrier), “si autant d’horreur devant les cieux est véritable”, on ne s’étonnera pas que le sociologue Muniz Sodré, dans l’article Uma genealogia das imagens do racismo (Une généalogie des images du racisme), emploie un personnage de terreur pour illustrer sa vision de l’image du Noir dans notre société: “Dracula ne se reflète pas dans le miroir, donc il est sans image. Il est l’inverse de l’identité normalisée par la culture petite-bourgeoise. Dans la société de l’image (anagramme de magie), des dispositifs de la vision, le sujet n’existe que s’il apparaît sur le ‘miroir’, c’est-à-dire s’il a les conditions socioculturelles d’avoir son image publiquement reconnaissable”. Rappelons que le conte, comme la photographie, sont des “enfants” du XIXe siècle. “La perception de cette époque de la photographie est qu’elle n’est pas uniquement une façon de ‘représenter’ le monde, mais de ‘rendre le monde visible’”, analyse Maurício Lissovsky, historien de la photographie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Au Brésil, au milieu des années 1860, le portrait photographique est devenu un objet de désir pour les Blancs et les Noirs. “En ce qui concerne ces derniers, s’ils étaient nés libres ou mis en liberté, se faire photographier comme des Blancs, à la mode européenne et suivant des codes et des comportements empruntés à l’autre, était une tentative de tracer un chemin à l’intérieur d’une société raciste et exigeante”, observe Sandra Koutsoukos, auteur de la thèse de doctorat No estúdio do fotógrafo: representação e auto-representação de negros livres, forros e escravos no Brasil da segunda metade do século XIX (Dans le studio du photographe : représentation et auto-représentation des Noirs libres, affranchis et esclaves au Brésil de la seconde moitié du XIXe siècle), défendue en octobre à l’Unicamp, sous la direction de Iara Lis Schiavinatto. La recherche “dévoile l’invisible” présent sur les images des Noirs coiffés d’un haut-de-forme et de leurs femmes portant des ombrelles, les nourrices et leurs “enfants” blancs, ainsi que les polémiques “espèces de Noirs”, comme les images du photographe Christiano Júnior, qui s’annonçait dans l’Almanach Lammert comme le propriétaire “d’une collection variée de coutumes et de types de Noirs, chose très appropriée à celui qui part en Europe”. En exhibant des Noirs et des demi-nus (adorés par les ethnologues racistes), classés suivant leur origine africaine, ou dans des mises en scène faites en studio à partir de son travail dans les rues et dans les fermes, les images ont attiré l’attention de Sandra, qui a trouvé “nécessaire de voir ce qui était encadré et de découvrir ce qui ne l'était pas”. Mais “Dracula” n’apparaît pas dans le miroir. Alors, que faut-il voir ? En fin de compte, comme le remarque l’anthropologue Manuela Carneiro da Cunha, dans Olhar escravo (Regard esclave), être regardé “dans un portrait, c’est pouvoir être vu et pouvoir se laisser voir, des alternatives liées au rapport entre sujet et portraitiste : si le portrait du seigneur est une sorte de carte de visite, celui de l’esclave est une carte postale, où l’esclave est vu mais ne se laisse pas voir”. Dans l’un, il y a la préservation de l’image de la personne digne et singulière, quelqu’un qui, en commandant une photographie, se fait connaître, s’étale sur le papier comme il aimerait être vu, comme l’on se voit soi-même dans un miroir; dans l’autre, un personnage pittoresque et commun, poursuit
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le professeur.“Dans mon étude, j’ai découvert que, malgré le fait d’être mené au studio du photographe et de poser, soit en travaillant, soit comme toile de fond de son seigneur, l’esclave et l’affranchi ‘se faisaient voir’, se ‘montraient’ et qu’ils ont été, peutêtre autant que les Blancs qui ont posé pour ses photos dans des studios privés, les sujets de ces portraits “, analyse Sandra. Pour la chercheuse, sur presque toutes les images on retrouve le regard fixe sur l’objectif, ce qui donne une voix à l’image. “Plusieurs ne s’intimidaient pas face à cet appareil étrange et donnaient leur contribution personnelle au moyen de l’expression, du regard souffrant qui nous fixe et semble raconter ses histoires. Le luxe ou la mise en scène ne masquaient pas la condition de l’esclave ou de l’affranchi. Si le corps de l’esclave était une propriété, sa personnalité ne l’était pas.” “La photographie est un art merveilleux, un art qui excite les mentalités les plus rusées. Et un art qui peut être pratiqué par n’importe quel imbécile”, se plaignit le grand portraitiste français Nadar. Chance de la postérité. Si elle a mis du temps à être découverte (uniquement en 1839), elle est rapidement arrivée au Brésil, l’année suivante, apportée par l’abbé Compte, élève de Louis Daguerre, l’inventeur de la photographie. Avant Rio, le Français serait passé à Bahia, dont l’avant-gardisme est bien présenté dans le livre récemment publié
REPRODUCTION/MARC FERREZ, CESTEIRO, C. 1899
REPRODUCTION/PHOTOGRAPHE NON IDENTIFIÉ
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A fotografia na Bahia (La photographie à Bahia), organisé par Aristides Alves, et qui présente 215 images faites de la moitié du XIXe siècle jusqu’en 2006 par 107 professionnels bahianais et étrangers. (Une autre source excellente est O negro na fotografia brasileira do século XIX - Le Noir dans la photographie brésilienne du XIXe siècle, de G. Ermakoff Casa Editorial, 306 pages, 130 réaux.) D’ailleurs, jusqu’à l’arrivée de la photographie, le regard du XVIIIe était un regard étranger, lié à la tradition de Franz Post et, plus tard, de Français, d’Allemands et de Suisses qui ont peint le quotidien de la cour tropicale, qui préférait toujours le côté exotique des Indiens ou des Noirs constamment joyeux et en promenade dans les rues de Rio, comme on peut le voir dans les oeuvres de Debret et Rugendas. Le daguerréotype était cher et demandait des poses très longues qui pouvaient durer jusqu’à 60 minutes. Analphabètes – En 1854, le Français An-
dré Disdéri créa un processus de portraits de petite taille (9,5 cm par 6 cm), faits sur papier albuminé, peu cher et permettant une pose rapide, qui ont été une révolution dans un pays d’analphabètes pauvres qui aimaient se voir immortalisés comme les nobles propriétaires des peintures. Le coût d’une douzaine de ces cartes de visite, comme elles étaient appelées, était le même qu’un seul daguerréotype, et pouPESQUISA FAPESP
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vait être offerte en cadeau aux amis et parents, ou être utilisée pour faire des albums de famille. “C’était la démocratisation de l’auto-image pour des groupes sociaux moins favorisés. Avec la carte de visite, la photographie deviendrait une technique au service de tous, un objet de désir et de statut social, une marchandise de troc”, rappelle Sandra. Les journaux regorgeaient d’annonces de studios qui disputaient leur clientèle en offrant des prix avantageux et la capacité de “donner de la noblesse” à celui qui était photographié, soit par la technique, soit par l’outillage qu’ils possédaient au studio et qui ornait l’entourage du sujet photographié. “La photographie donne au Noir pauvre l’opportunité de se distancier de la réalité, de se projeter suivant une image idéalisée, de faire sa représentation. Le besoin de faire le registre d’une ascension sociale demande l’assimilation des codes en vigueur. D’où la répétition et l’uniformisation des poses et des accessoires dans les portraits.” Le studio fonctionnait, explique le professeur, comme une loge et une scène, où le photographe était le directeur et le client, même en participant à la construction de sa scène, le personnage. Une photo, même en dépit de la privation d’éléments importants à la survie, était, pour eux, pour les amis et les parents, la preuve visuelle que sa lutte était en train de valoir la peine. “Le moment exigeait que, outre
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le fait d’être libre, la personne qui était née libre ou qui était affranchie puisse sembler libre pour les autres, en employant, pour ce faire, des symboles qui permettaient d’indiquer cette condition.” Des détails, comme être chaussé, indiquaient le nouveau statut de liberté. Gilberto Freyre, dans Sobrados e mucambos, raconte comment les Noirs “vêtus à l’européenne” étaient attaqués et ridiculisés dans les rues par leur “audace”. De la même façon, plusieurs esclaves étaient emmenés dans les studios pour faire de la figuration sur le portrait de seigneurs et, avec leur humiliation (“mais pas avec leur attitude”, rappelle la chercheuse), garantir le registre du pouvoir du seigneur. Les photos mises en scène, avec des Noirs qui reproduisaient leur travail en studio, étaient des souvenirs (dont l’organisation scénique aseptique, rappelle Sandra, servait à essayer de passer une idée “d’esclavage civilisé”) et des objets ethnographiques, faits sur commande pour entretenir des théories racistes. Dans ces photos, on cherchait des “évidences” de l’infériorité des Noirs et elles servaient également de base pour entériner l’idéal “d’esclavage civilisé”, note la chercheuse.“Malgré l’asepsie et l’ordre reproduit, la condition d’esclave n’était pas masquée ; bien au contraire, son essence 92
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était exposée.” Il y avait aussi un marché pour les photos de nourrices, avec dans leurs bras l’enfant blanc qu’elles avaient allaité.“Dans ce genre de photo, on essayait de faire passer une idée d’harmonie et d’affection, à une période où l’usage des nourrices était condamné par la médecine “, observe Sandra. Tempéraments – Une annonce du Jornal do Commercio (Journal du Commerce), de 1875, faisait l’apologie de la Farine Lactée Nestlé, “la vraie nourrice”, qui, affirmait la réclame, livrait l’enfant de la contamination de maladies inoculées par le lait étranger, corrompu par les mauvais tempérements de toute et n’importe quelle nourrice”. La modernité exigeait des changements, mais les mères résistaient à abandonner le privilège “d’user” une Noire pour nourrir leur enfant. Les photos étaient un essai de “retenue” de l’horloge des nouveaux temps. Sur ces photos, la chercheuse remarque que la force de l’expression du regard de la personne photographiée est encore plus criante, car elle était obligée de porter un luxe forcé. “Elles sont le rappel que, pour avoir une nourrice Noire, il y avait eu un bébé Noir qui, dans la plupart des cas, avait été séparé de sa mère pour qu’elle puisse éle-
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ver le fils du seigneur.” L’invisible devient visible. “L’usage social de la servitude des peuples africains a créé au Brésil une esthétique de l’extériorité utile du corps du Noir. Le seigneur d’esclaves, comme les professionnels de ce secteur, connaissait mieux les détails des dents de leurs serfs que ceux de leurs filles, comme cela se produit actuellement avec les éleveurs de chevaux de race. Nous ne nous sommes toujours pas débarrassés de certains détournements du regard”, analyse l’anthropologue de l’Unicamp Carlos Rodrigues Brandão, dans son article O negro olhar (Le Noir regard).“Dans les journaux et les revues, les Noirs sont plutôt des corps que des visages, plus le type et encore plus la fonction que la personne. Dans un pays où les Noirs ‘purs’ sont des millions, c’est le visage blanc, quel qu’il soit, qui se montre. Les Noirs et les métis sont presque tous des criminels dans le pays, car presque toutes les photographies de criminels sont des métis et des Noirs.” Au Brésil, l’image du Noir comme une machine corporelle est très forte, quelque chose de complexe dans un pays qui a appris à mépriser le travail manuel. Les Noirs sont ceux qui travaillent, ceux qui sont sensuels (même quand ils sont révélés en tant qu'athlètes), ceux qui adorent les fêtes, observe Paulo Bernardo Vaz, professeur au Département de Communication Sociale de l’Université Fédérale de Minas Gerais et auteur d’une étude sur l’image du Noir. “Le flux magnétique qui montre le Noir souffrant, frappé, volant ou exhibant son corps sensuel rend actuelles des significations construites socialement et historiquement et qui suggèrent des cristallisations qui caractérisent le Noir en une forme qui ne favorise pas une estime de soi positive. C’est le regard externe qui montre le Noir dans une représentation péjorative qui peut affecter la construction de son identité. En fin de compte, qui voudrait s’identifier à un sujet qui vit en souffrant ?” Pour Vaz, les moyens de communication offrent au Noir l’opportunité contradictoire d’être un autre et non luimême.“L’‘autre’ représente la menace fantasmagorique de partager l’espace à partir duquel nous parlons et nous pensons, c’est la peur de perdre son espace à soi. Peur primitive, analogue à la terreur nocturne des enfants. L’‘autre’ finit par devenir Dracula, sans image légitime”, analysa Muniz Sodré. La Transylvanie, comme Haïti, peuvent aussi être ici. ■
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Le citoyen qui sentait le roi Différents profils montrent que Pedro II s’intéressait davantage à l’essence qu’à l’apparence du pouvoir Publié en mai 2007
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uand une personnalité de la République affirma que son parti désirait rester 20 ans au pouvoir (phrase qui, d’ailleurs, a été répétée par une autre personnalité actuellement au pouvoir), le Brésil a frissonné. Il est vrai que deux décennies de mandat, c’est excessif. Néanmoins, le Brésil a déjà eu un gouvernant qui s’est maintenu à la tête de l’État pendant 49 ans, 3 mois et 22 jours. “Par la longévité du gouvernement et par les transformations qui ont eu lieu pendant cette période, aucun autre chef d’État n'a autant marqué l’histoire du pays” affirme l’historien José Murilo de Carvalho, qui vient de lancer un livre sur dom Pedro II (1825-1891). Sa capacité à se maintenir au pouvoir est malheureusement proportionnelle à l’ignorance, universitaire et populaire, à propos de son règne. Il y a quelques années, quand tous deux ornaient les billets de banque, il était usuel (et il l’est encore) , face aux barbes blanches du fils, de voir en Pedro II le père de Pedro I. “Au Brésil du XXIe siècle, Pedro II est partout et nulle part. Pour la majorité, il
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n’a pas été un être réel, un gouvernant dont les actions, bonnes ou mauvaises, ont façonné la nation brésilienne moderne. Ses réalisations et ses limitations ont été complètement oubliées”, note le brésilianniste Roderick Barman, de l’Université de Columbia, auteur d’un autre profil du monarque, Citizen emperor (à être traduit, en 2008, par la /l’ Unesp), et qui vient de terminer Brazil: the Burdens of Nationhood, 1852-1910, étude de poids sur le Second Règne face à la consolidation nationale. “La monarchie a garanti l’unité du pays, qui a périclité pendant la Régence, quand les gouvernements rebelles ont déclaré l’indépendance de trois provinces. Elle a été une école de pratiques politiques civilisées, surtout si on la compare aux républiques voisines. Mais elle a été très lente dans l’introduction de politiques sociales, comme l’abolition de l’esclavage et l’éducation populaire, et a été entravée dans certaines réformes politiques, telles la décentralisation politique et l’expansion du droit au vote”, explique Carvalho. Qui a été son idéalisateur ? Ni “Pedro Banane”, épithète créée par les républicains, ni le monarque éclairé,
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Étranger – Pour Pedro II et d’autres “monarques” républicains, Barman note que les Brésiliens, gênés, ont tendance à rappeler qu’il “ne semble pas Brésilien, mais étranger”, ou, comme le note Carvalho, dans le cas de l’empereur,“un Habsbourg perdu dans les tropiques, blond, les yeux bleus, dans un pays avec une petite élite blanche encerclée par une marée de Noirs et de métis”.“C’est presque comme ne pas vouloir/pouvoir accepter que l’on puisse être un bon chef de gouvernement et en même temps un Brésilien typique.”Ainsi s’explique l’admiration quelque peu provinciale pour la culture du monarque, qui semblait tout savoir.“Je le sais déjà, je le sais déjà ! Le savant sait tout par excellence. Il sait plus que la science et plus que la loi. Le Père Éternel, jaloux d’une telle science innée, lui a dit, en guise d’excuse :‘Dom Pedro, succédez-moi ! Je vous remets l’univers !’ Mais le savant, sûr de lui, répondit avec mépris : ‘Je le sais déjà, je le sais déjà !”, disait un poème de l’époque à propos de la façon dont Pedro II réagissait quand on essayait de l’informer de quelque chose.
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le bon vieillard, image cultivée par des monarchistes d’hier et d’aujourd’hui. Malgré cela, il laissa des marques profondes. “Les succès de Pedro II, la création d’une culture politique et d’un idéal de citoyenneté survécurent non seulement à sa chute, en 1889, mais se sont maintenues en tant que normes et directives de la vie publique dans les régimes qui se succédèrent (l’Ancienne République, l’Ère Vargas et la République Libérale). Même le régime militaire de 1964 a été profondément influencé par sa vision du Brésil comme État-nation. Ce n’est que dans les années 1980 que cela a été laissé de côté”, affirme Barman. Pedro II régna, gouverna, administra et commanda pendant cinq décennies.“En conséquence, sans l’élite comprenant/appréciant ce qu’il faisait, il modelait, par la pratique quotidienne et par l’exemple, les attentes de l’élite et du peuple sur la conduite du chef de l’État, ainsi que le style du processus politique brésilien. Même après la télévision, ces attentes ont perduré. Pour ceux qui en doutent, il suffit de comparer l’apparence et le programme du candidat Lula en 1992 et ceux du nouveau Lula, de 2002 et 2006. Le jeune radical s’est transformé en un fac-similé du second empereur.”
Un Habsbourg perdu dans les tropiques. “C’est presque comme ne pas vouloir/pouvoir accepter que l’on puisse être un bon chef de gouvernement et en même temps un Brésilien typique”
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Image rare du souverain en costume royal. “Ce qu’il désirait était l’essence et non les apparences du pouvoir. Ce qu’il voulait avant tout c’était avoir le contrôle”
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Celui qui voit dans l’empereur, presque sans pompe et qui portait une veste à queue-de-pie, un homme qui ne s’intéressait pas au pouvoir, se trompait.“Ce qu’il désirait était l’essence et non les apparences du pouvoir. Ce qu’il voulait avant tout c’était d’avoir le contrôle. Le trauma de sa jeunesse tourmentée (orphelin de mère à 1 an, de père à 9, empereur à 14 ans) lui inculqua la peur d’être sous tutelle”, note Barman. “Perdre le contrôle signifiait, pour lui, être manipulé. L’intensité du désir de Pedro II de contrôler tout et tous a été masquée par un éloignement des feux de la rampe, par l’auto discipline. Il était, ainsi, facile de sous-estimer l’homme, l’amplitude de son autorité. Il a toujours égalé le régime et le pays à sa personne.” Carvalho note néanmoins que dom Pedro ne s’intéressait pas à la politique en tant que jeu de pouvoir.“Il ne calculait pas les coûts et les bénéfices politiques de ses actions et ne planifiait pas le futur de son règne. Je ne lui fais pas d’éloges en tant que gouvernant, mais en tant qu’homme de grand esprit public. Il ne haïssait pas le pouvoir, il l’exerçait jalousement, mais en accomplissant une obligation découlant de sa position d’empereur.” Citoyen – D’après Barman, le contrôle absolu des affaires d’État a été employé pour “conserver et perfectionner la société”, et non pour la refaire. Pedro II était connu pour laisser les problèmes se résoudre par eux-mêmes, ce en quoi il était aidé par le Pouvoir Modérateur. “Il s’inquiétait moins de promouvoir les actions qu’il désirait que d’empêcher que les autres réussissent à mettre en place des politiques qu'il ne désirait pas.” Si l’empereur se pavanait de sa condition de citoyen, ce dernier n’a jamais cessé d’être l’empereur. “Pedro II ne s’est jamais demandé si les Brésiliens désiraient qu’il soit le ‘premier citoyen’, ni s’ils désiraient le genre de progrès et de civilisation à la française, qu’il désirait pour SA nation ”, note l’Américain. Suivant les mots d’un contemporain,“malgré la sympathie, il y a en lui une odeur de roi qui se croit supérieur aux autres”. Ainsi, ses “conseillers” n’étaient pas des personnes mais des livres, en particulier les monographies françaises. “Il a été respecté par presque tous, mais n’a été aimé par presque personne”, note Carvalho. Il a perdu la grande chance de libérer les esclaves avant 1888, par les mains de
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sa fille, considérée jusqu’alors par l’élite et le peuple comme la “béate”, celle qui était mariée “au Français”, incapable de lui succéder. Depuis les années 1850, le marché des esclaves déclinait et l’élite brésilienne notait que les jours de l’esclavage étaient comptés. “Pedro II partageait ce point de vue et, comme un bon civilisé, il n’approuvait pas la captivité. Mais laisser échapper aux membres de son cabinet ses vues sur le futur de l’esclavage était une chose, et inciter les hommes politiques à prendre une attitude en était une autre. Il aimait s’imaginer être dans l’incapacité d’initier le changement”, affirme Barman. Avec la fin de la Guerre de Sécession américaine, le Brésil deviendrait le seul pays de l’hémisphère occidental avec des esclaves. Cela n’était pas en accord avec son succès de monarque éclairé face à ses contemporains européens.“Mais celui qui étudie la bataille pour le Ventre Libre ne peut pas dire que sa posture était uniquement d’intellectuel. Il a payé un très haut prix pour ça. Quand il réduisit son impulsion abolitionniste, les préjudices contre la dynastie étaient faits”, rappelle José Murilo. La conduite de la Guerre du Paraguay, une autre question polémique, porte la marque du monarque “qui pensait qu’il était le Brésil”.“Dans la guerre, le Brésil n’a pas lutté contre le bon ennemi et cela sans doute grâce à la mégalomanie de López. Les justificatives de l’empereur pour poursuivre la lutte jusqu’à l’expulsion de López ont toujours été le but du Traité de la Triple Alliance et la défense de l’honneur du Brésil, mais cela ne me paraît pas suffisant. Son insistance à ne pas négocier demeure une énigme”, observe Murilo. “Il considéra l’agression contre le Brésil comme un affront personnel.‘On parle de la paix dans le Rio de la Plata, mais JE ne fais pas la paix avec López’, écrivit Pedro II à sa maîtresse, la comtesse de Barral. L’insistance de l’empereur à vouloir exterminer López a été démesurée”, concorde Barman. Finalement, la République. Le républicanisme est né très tôt par ici, dans les années 1830, mais il était néanmoins considéré, néanmoins, avec mépris par l’élite et avec une indifférence bienveillante par l’empereur et, d’après le brésilianniste, face à l’incapacité du mouvement à s’établir après 1870, cette attitude n’était pas entièrement erronée. C’est la nouvelle génération qui a entraîné sa chute: ayant pour donnée l’union du Bré-
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sil et son statut d’État-Nation consolidé, ils ne craignaient plus le collapsus de l’ordre politique. Néanmoins, jusqu’aux dernières années du régime, la phrase “L’empereur, mon auguste maître”était employée couramment par les Brésiliens. “Les élites avaient trouvé, avec Pedro II, quelqu’un qui avait supprimé le fanatisme des masses, un monarque habile qui a réuni la liberté et l’ordre, la paix interne et le développement du pays (conditionné à son étroite supervision et sans excès). Il est alors devenu une partie naturelle de l’existence des brésiliens.”Cette “maison en ordre” accorde aux républicains le calme pour grandir.“Face au manque d’un successeur crédible (Pedro II ne considérait pas Isabelle comme telle), à cause de la maladie dont souffrait le monarque, tout semblait garantir une transition vers la République. Le Brésil aurait, ainsi, pu supprimer de son histoire le terrible militarisme qui débuta en 1889”, note Barman. “Mais ses réalisations initiales et son refus de céder ne serait-ce qu’un peu aux politiciens, ouvrir le système, ainsi que sa négligence face aux intérêts de l’Armée, le menèrent au détrônement pathétique .” L’image du groupe de nobles envoyés manu militari en exil a davantage marqué l’imaginaire national que le pouvoir exercé tout au long d’un demi-siècle. Pedro II, qui tendait intellectuellement à la République, était, pourtant, un
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autocentré, confiant que le monde tournait autour de lui. Bien que se doutant de la direction vers laquelle le Brésil se dirigeait, il insista à maintenir l’état des choses, l’éternelle erreur des souverains depuis que les Anglais ont décapité leur roi au XVIIe siècle. Le point faible de l’empire a justement été cette confiance dans la neutralisation exacerbée, le désir de tout contrôler personnellement. “La vie de l’Empire n’a été prolongée que par la campagne abolitionniste, qui dévia l’attention vers la fragilité paradoxale d’un régime aussi bien consolidé.” Avec la fin de la monarchie, le Brésil a souffert des années de dictature militaire, y inclus Canudos, des actions d’un “régime sans racines solides et presque sans légitimité”, note Barman, pour qui le Brésil d’aujourd’hui n’a pas ses origines en 1889 mais dans la première décennie du XXe siècle. C’est Vargas qui a été le responsable de la chute du régime qui renversa l’empereur, qui remit Pedro II en vogue et qui rapatria ses restes mortels.“La majorité des Brésiliens croient que leurs ancêtres ont été des républicains innés et que la monarchie a été une imposition externe.” Étrange aliénation de l’importance, bonne ou mauvaise, de quelqu’un qui, en tant que roi ou “citoyen”, régna sur le pays pendant 50 ans. ■
C ARLOS H AAG
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