L'errance des femmes sans-abri ; l'espace public, une blessure supplémentaire à la précarité.

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L’ E R R A N C E des FEMMES SANS-ABRI

L’espace public, une blessure supplémentaire à la précarité



L’errance des femmes sans-abri conditionnée par l’espace public

Philippine Barbato - Mémoire de Master 2 - Session 2019 - Encadrant : Loic Daubas.



“Dans une société qui s’affiche égalitaire, il se pourrait bien que la ville soit une nouvelle frontière du féminisme” Yves Raibaud

Raibaud Yves, La ville faite par et pour les hommes, p. ?.

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REMERCIEMENTS

Un mémoire ne s’écrit jamais seul. Je souhaiterais ainsi remercier mon enseignant encadrant Loïc Daubas pour ses commentaires, remarques et critiques avisés. J'adresse des remerciements particuliers à Maxime Decommer, pour le partage de ses connaissances et intérêts sur le genre et la ville. Ma compréhension du sujet n'aurait pas été la même sans la bienveillance de Maëlle et Bénédicte, bénévole et directrice de l'interm'Aide, qui m'ont permis de recueillir le témoignage de Nelly. Il m'apporta un éclairage indéfectiblement fondamental qui excède bien largement le cadre de mon sujet.

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Je voudrais également remercier Rachel et Sibylle qui durant plus d'un semestre ont supporté mes interminables discussions sur le féminisme. Pour terminer, les plus importants certainement, mes parents et Nane qui rendirent ce travail et ces études d’architecture possible.


SOMMAIRE Remerciements Introduction

p5 p9

PARTIE 1 UNE PERTE D'IDENTITÉ, NOUVELLE IDENTITÉ, LA VILLE EN CAUSE

p 15

1/ FEMMES EN ERRANCE, FEMMES EN SOUFFRANCE - la laïcité, un enjeu pour les femmes - la ville, un quotidien difficile - la ville, miroir grossissant de la société 2/ L'APPROCHE D'UNE RÉALITÉ - l'art de se proteger : dénégation du corps, prostitution informelle - invisibilité : passer inapercue - invisibilité : honte, culpabilité et perte d’identité

PARTIE 2 UNE MOBILITÉ CONTRADICTOIRE CONDITIONNÉE PAR L’ESPACE PUBLIC 1/ LIRE L’ESPACE AVEC LE GENRE - la ville rejette les femmes, la ville enferme les femmes - du privé dans l’espace public - l’exclusion de la femme dans l’espace public - une sur-mobilité 2/ LA MOBILITÉ COMME ÉCHAPPATOIRE - le mouvement de l’errance - une théâtralisation, une défense - le mouvement pour être quelqu'un

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p 33


3/ LA MOBILITE CONTROVERSEE - condamnation du vagabondage - difficultés liées à l’intime

PARTIE 3 QUELS ESPACES POUR L’ERRANCE FÉMININE

p 33

1/ OU SONT-ELLES ? - retour sur un parcours difficile - un constat douloureux 2/ DES LIEUX À INVENTER - pour les femmes, des lieux sans hommes - des petits espaces sécurisés, sécurisants, protégés

3/ UNE MENTALITÉ À FAIRE ÉVOLUER - combattre la précarité mais pas les pauvres - des urbanités à considérer

Conclusion Annexes Bibliographie

p 68 p 71 p 83

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INTRODUCTION

Avant-propos LUCHA FEMINISTA

les rues de Valparaiso, un féminisme qui dérange, des violences policières ; la réalité résiste. Et pour finir les personnages, une mère et sa fille, la police, des étudiant.e.s révolté.e.s, des journalistes. Des femmes qui trouvent la liberté sexuelle et d’autres cherchent la liberté de choisir.

“¡No es no! ¡No es no! ¿Qué parte no entendiste, la N o la O?” 1 Au départ, il y a ses listes interminables de harcèlements de rue, d’abus et d’agressions sexuels. Il y a des histoires qu’on efface, des récits douloureux, une abnégation politique, des cicatrices, de la colère et une résignation qui n’est plus acceptable. Alors, il y a résistance. Et pendant que les universités sont bloquées, les étudiant.e.s se mobilisent, les voix qui veulent être entendues et considérées se lèvent. La marche commence. Le corps comme moyen d’expression, on crie, on saute, on demande l’égalité sexuelle et ça semble déjà trop... Maintenant le décor, un pays catholique, 1

12 juin 2018, nous sommes au Chili. Enième marche pour faire entendre la voix des femmes. Lors de mon année d’échange au Chili, j’ai assisté aux prémices de la révolution sexuelle féministe. Emancipation féminine, libérté sexuelle, réaproppriation du corps ; des mots, des revendications.

No c’est no, qu’est-ce que t’as pas compris, le «n» ou le «o» ? 9


Photographies personnelles du 12 juin 2018, Valparaiso, Chili. 10


Photographie personnelle du 12 juin 2018, Valparaiso, Chili.

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Motivations Pour moi, tout a commencé il y a longtemps. Au début, c’était juste des passages, des rires naifs. Ensuite c’était des jeux de regards, des sourires hésitants. Puis sont venus des gestes, des échanges sympathiques. Aujourd’hui, la préoccupation commence. Petite, lors d’une discussion de repas de famille, l'un d'entre nous affirmait qu’il ne faut jamais partir de soi pour parler de précarité. Que ce n’est pas intéressant. Comme souvent j’étais d’accord, alors que j’agis et pense précisément l’inverse. C’est partant de moi, partant de nous, que chaque jour sans exception, nous croisons dans la rue des visages, des êtres, des corps qui mangent, boivent, parlent, se droguent, dorment sur les trottoirs sales et bruyants. Ce sont ceux qui n’ont rien, ceux qui ne sont personne, ceux qui ne vivent pas très loin, tout près même, juste en bas, dans ma rue, dans nos rues : les sans A. Les sans Abris. Les sans Attention. Les sans Argent. Les sans Amour. Les sans grand chose en fait. C’est aujourd’hui; partant de ce quotidien que je pense avec plus d’acuité, certaines questions politiques et sociales qui traversent mon temps. Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de les penser sans éprouver concrètement ces situations. Cela veut dire que dans ce cas précis, et même si cela biaise mon jugement, voir chaque jour depuis des années, des vies s’échouer de précarité, toutes formes confondues en bas de chez soi, façonne l’existence et intime radicalement à ce que soit repensées notre place et notre parole. Ainsi, en tant qu’étudiante en architecture, quelques questions me viennent : A qui revient le droit de décision en matière d’architecture ? 1

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Ainsi, en tant que femme, éveillée sur les questions de genre, je me questionne sur les difficultés quotidiennes auxquelles les femmes qui vivent leur intimité “à vue”, font face : les agressions, les harcèlements, les viols. Ainsi, en tant qu’usagère de l’espace public, je me demande comment est-il possible de réussir à vivre l'intime dans l'espace public ?

Intentions Un constat : Les normes de genre sociétales actuelles, attribuent aux individus, des rôles et des statuts spécifiques en fonction de leur genre1. Ces rôles supposent une pratique de l’espace public différente, qui se voit plus conditionnée pour les femmes. Les études se font plus nombreuses et révèlent pour la majorité des femmes une sensation d’exclusion. Ne pas être à sa place, devoir surveiller son comportement, se sentir moins acceptée voir vulnérable en certains lieux, à certains horaires. Cet espace genré, la rue, la route, un pont, un square, peut-être un passage salutaire pour se débarrasser d’une souffrance. Mieux la supporter. S’en dépouiller. Seulement, à partir d’un certain seuil de traumatisme, ce que l’on appelait voyage ou fugue se prolonge et devient “errance”2. Une errance que bon nombre de femmes qui se retrouvent en situation de grande précarité et sans domicile fixe, subissent chaque jour. Sauf qu’être femme SDF aujourd’hui, c’est survivre dans un espace majoritairement conçu, construit et approprié par les hommes3 ; la femme est donc conduite à vivre l’errance de façon particulière parce qu’elle est réduite à ce que Francoise

Faure E., Hernandez E., Luxembourg C., La ville : quel genre ?, p. 10. Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 11. Maruéjouls-Benoit É, Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes, p.109. 12


Héritier appellait le “privilège exorbitant d’enfanter”1. Mais au fait, de qui parle-t’on ? D’après l’INSEE, 38%2 des sans abris en France sont des femmes. Comme point de départ des trajectoires d’errance, on retrouve une extrème pauvreté. Leurs histoires sont propres mais un même point de chute les lie : la violence. Elle module le parcours de bon nombre d’entre elles, qu’elle soit économique, physique, verbale, psychologique ou sociale. Selon P.A Vidal Naquet, il y a dans l’errance, trois types3 de femmes : les “invisibles”, les femmes des groupes de marginaux, puis les femmes qui, la trentaine passée, sollicitent dans une quête sans fin les services et les associations. Ici, nous nous intéresserons aux invisibles. Elles représentent la majorité des femmes en errance et sont plus vulnérables4. Cet aspect flou, insaisissable, ces disparitions et réapparitions, sont communs à ces femmes sans nom. On ne les voit pas, mais elles sont là. Elles mettent à mal nos idéaux et dérangent nos représentations. Un sujet qui serait à lire sous l’angle spécifique de la “survie identitaire”. Et c’est par l’étude de la ville, vue comme un espace discriminatoire, et ses incidences sur la construction personnelle que je tenterais de répondre. Comment l’espace public de nos villes actuelles françaises, engendre-t’il une errance identitaire chez les femmes seules sans abris ?

identitaire. Cette “identité de genre” -comportement admis socialementdétermine le rôle de la femme SDF et engendre des pressions, tant sur l’identité sociale, personnelle, que sa pratique de la ville. Il s’agira de parler des stratégies qu’elles mettent en oeuvre pour faire face aux violences sexistes et aux regards de la société, qui mettent à mal leur féminité. Mais aussi de parler des formes d’aides et de solidarités liées au statut de dominée des femmes. J'enrichirai ma recherche par l'analyse de données brutes tirées de sources écrites ou de films documentaires et d'autres que je produirai via un entretien avec une femme récemment sortie de la rue et des enquêtes personnelles de terrain. Etudier l’exclusion d’un point de vue sexué, reviendra à poser la différence entre les inégalités de sexe, qui concernent les différences biologiques, et les inégalités de genre, qui posent la question des différences sociales entre les hommes et les femmes. La finalité de la recherche sera de comprendre quels sont les enjeux actuels des politiques publiques face à cette exclusion. Car si penser l’accompagnement de ces femmes, implique de tenir compte des problèmes relatifs à leur identité de genre ou de sexe, les politiques publiques des villes mettent-elles en place des dispositifs capables de les soulager ? Mots clés : Femmes seules SDF, identité de genre, errance féminine, l’espace public.

L’objectif de ce mémoire ne sera pas de trouver une solution à la précarité féminine -le problème me parait bien plus profond-, mais de comprendre comment l’espace public entraîne une errance 1

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Fine A., Françoise HÉRITIER, Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, Les sans-domicile. Boinot K., Femmes sans abris, précarité asexuée ?, p. 103. Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 27. 13



PARTIE 1 UNE PERTE D'IDENTITÉ, NOUVELLE IDENTITÉ, LA VILLE EN CAUSE "Le patriarcat n'est pas un simple système d'oppression sexuelle. Il est aussi l'expression d'un système politique qui a pris appui, dans nos sociétés, sur une théologie." 1 Elisabeth Badinter

Cette partie s’attache à comprendre pourquoi et comment la ville reflète les stigmates sexués, reçu tant, de l’héritage ecclésiastique que de l’éducation. Alors que les femmes logées peuvent éviter plus facilement les espaces publics la nuit, qu’en est-il des femmes qui n’ont pas de logement et se retrouvent parfois sans aucunes solutions d’hébergement ? Comment la ville peut-elle informer la réflexion sur l'errance physique et psychique des femmes SDF ? C’est donc dans un contexte spatial dans lequel la femme SDF n’est pas la bienvenue,

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Badinter E., L'Un est l'autre.

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mais s'y trouve, qu’il s’agira d’inventorier les possibilités d’agir qu’elles déploient lorsqu’elles sont confrontées à la nuit urbaine, pour les analyser au regard des pratiques de protection dans l’espace public, et de la question de la dignité.


Lors de son procès en 1893, on reprochait à Olympe de Gouges -auteure de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne-, de ne pas rester à sa place de femme.

Illustration : Catel et Bocquet, Olympe de Gouges, éd. Casterman, 2013. 16


1/ FEMMES EN ERRANCE, FEMMES EN SOUFFRANCE A) LA LAÏCITÉ, UN ENJEU POUR LES FEMMES La question de la laïcité dans l'égalité des sexes est cruciale pour comprendre les inégalités sexuelles qui traversent notre temps. Entre asservissement et dépendance, les conséquences des religions sont telles que les femmes se sont vues priver de leurs droits propres. La réflexion d’Elisabeth Badinter -grande philosophe, femme de lettre et féministe française-, nourrie par la philosophie des lumières et les idées de Simone de Beauvoir, réévalue la place de la femme dans la société et anime les débats sur le sujet de la laïcité. Pour mesurer son importance quant à l’émancipation des femmes, il faut d’abord se souvenir que les trois grandes religions monothéistes ont partie liée avec le patriarcat. Elle explique que, dès l’origine, les religions reconnaissent le pouvoir absolu du père et commandent encore aujourd’hui que la femme soit conforme au statut de seconde, un statut inférieur à celui de l’homme1. Elle doit lui obéir de même qu’il obéit à Dieu. D’emblée, l’homme et la femme n’appartiennent pas exactement à la même humanité. Égaux, mais différents, dira-t-on. La libération des femmes et l’égalité des sexes se voit donc compromise quand le modèle dont on s’inspire est la Bible, la Torah ou le Coran. Une différence de l’ordre de la nature s’ajoute : il crée, elle procrée. Une complémentarité des sexes en modèle unique -homme/ femme- s’érige, lequel s’accompagne d’une incontournable hiérarchie entre les deux. Théologie et physiologie s’épaulent pour instaurer une distinction des rôles et des fonctions. À lui, le rapport à Dieu, 1

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la gestion de la ville, la puissance paternelle, l’autorité maritale et la survie de la famille. À elle, l’éducation des enfants, le soin de la maison, le bien-être de l’époux. Une séparation spatiale nait : le monde extérieur pour lui, l’univers du foyer pour elle. Si le système patriarcal s’est imposé depuis plus de quatre mille ans, nul doute que les religions ont largement contribué à sa pérennité. Elles ont longtemps détenu les armes du monopole du sacré et la la détention de la clé du paradis, qui, en excusant leur hégémonie, leur à données force face aux puissances séculières2. Il fallut en France la force de la philosophie des Lumières et la violence d’une révolution pour imposer la notion des droits de l’Homme et une première laïcisation de la société. Le mathématicien, économiste, philosophe et homme politique Nicolas de Condorcet, était un pionnier dans la lutte pour les droit des femmes. Dans sa tribune

Sur l’admission des femmes au droit de cité, il contre-argumente les objections énoncées par les philosophes réprobateurs de l’égalité des droits naturels, civiques et civils3. "Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes, ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes : et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens." 4

Vincent A., Élisabeth Badinter, au nom de la mère laïcité. Durant C., Elisabeth Badinter : "Sans une bonne part de laïcité, la libération des femmes est impossible"?. Donzel M., Un pionnier de l’engagement des hommes : Condorcet. Boinot K., Femmes sans abris, précarité asexuée ?, p. 5. 17


Cependant, les droits de l’Homme n’avaient d’universels que leur nom, puisque les femmes en étaient bien exclues. Écartées du monde économique, privées du droit de vote, elles sont restées, bien au-delà des hommes, sous la coupe de l’Église. La loi de 1905, en opérant la distinction entre le privé et le public, le croyant et le citoyen, et en reconnaissant la liberté de conscience, porta un sérieux coup d’arrêt à l’imperium religieux. Elle fut un formidable moteur de l’émancipation des femmes1. Le pouvoir spirituel n’a donc plus que la force de persuasion pour conquérir chaque conscience. Dans notre Etat laïc, où le politique passe avant le religieux, c’est l’assemblée du peuple qui véhicule la loi. Les résultats de cette laïcisation des sociétés démocratiques sont considérables pour les femmes et la laïcité reste la condition sine qua non de leur émancipation. B) LA VILLE, MIROIR GROSSISSANT DE LA SOCIÉTÉ Conjointement à l’importance de la laïcité dans la l’émancipation féminine, le genre, définit par l’Unesco, semble être une entrave supplémentaire à la liberté des femmes :

“Les rapports sociaux des sexes ou encore rapports socialement et culturellement construits entre femmes et hommes. Lorsqu’on parle de genre, on parle du sexe social, construit socialement par la socialisation, et qui induit certains comportements ou certaines attitudes”. Le genre est une construction sociale, élaboré pour étudier comment les sociétés pensent, organisent et hiérarchisent la différenciation des sexes et normalisent les comportements sexuels2. Il pose les catégories de femmes, d’hommes, de sexe, 1

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de sexualité et les notions de féminin, de masculin, de féminité et de virilité comme des constructions sociales et non comme des données naturelles biologiques ou sexuelles intangibles. Le genre construit inconsciemment l’identité de chacun et chacune, à travers des problématiques sociales et culturelles, et fonctionne selon deux modes : l’accentuation de la différence entre les deux groupes sociaux -femmes/ hommes- et l’uniformisation à l’intérieur de ces deux groupes. Il n’est donc ni une théorie, ni un complot, mais un constat sociologique dans lequel on conditionne et enferme, dès la naissance, les enfants dans leur environnement sexué par l'assignation à des rôles sociaux spécifiques stéréotypés liés au fait d'être fille ou garçon. Un apprentissage d’une norme, de rites, de critères, de règles et de principes dessine donc un destin social ; l'éducation, l’environnement, l’expérience sont constamment confrontés à la question, et la famille, l’école, les pratiques culturelles, les médias ou le sport, le nourrissent. Ce que Françoise Héritier appelle la valence différentielle des sexes construit une résistance à l’exclusivité féminine de la reproduction, résultat du poids des stéréotypes et du consentement sociétal à la norme de genre3. Parallèlement, c’est le maintien de la domination masculine qui génère le dénigrement du genre. Des normes sont transmises et intégrées de façon inconsciente, mais souvent, sont source de discrimination et d'inégalité entre les sexes. La réaction épidermique à toute tentative de déconstruction des stéréotypes sexués et des processus de hiérarchisation est typique d’une résistance à l’égalité entre les femmes et les hommes4. Empiriquement, les espaces extérieurs de nos villes accréditent les stéréotypes de genre. La ville faite par et pour les hommes

Donzel M., Un pionnier de l’engagement des hommes : Condorcet. Maruejouls-Benoit É., Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes, p. 70. D'Onofrio S., Terray E., Françoise Héritier, p. 23. Maruejouls-Benoit É., Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes, p. 102. 18


n’est pas seulement une ville du passé ; elle se construit, aujourd’hui encore, à travers un archipel de petits espaces -tels que city-stades, skateparks, street-basket ou terrains de pétanque- ou sous la forme de grands stades, consacrés aux sports de ballon et destinés quasi exclusivement à un public d’homme : "Cherchez dans la

ville un équipement spécifique où 60 000 femmes s’adonnent à leur loisir favori !” 1. Autant d’îlots spécifiques dédiés aux loisirs masculins qui reflètent l’ampleur du décalage : d'après Yves Raibaud, "75% du budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons". De manière implicite -l'absence de commodités, de services, de lieux dédiésou explicite -l'agressivité des garçons, les conseils de prudence des parents et de l’entourage-, on enraye la mixité et on dessine une frontière entre filles et garçons dans leurs loisirs. Autant de phénomènes qui aboutissent sur un repli dans les activités conformes au destin féminin, et qui nourrissent, une fois de plus, les stéréotypes de genre.

C) LA VILLE, UN QUOTIDIEN DIFFICILE Etre draguée lourdement, être suivie dans la rue ou jusqu’à son domicile, être l’objet de contacts physiques non désirés, d’attouchements dans les transports publics, d’agressions sexuelles avec menaces... Le caractère violent de ces comportements doit être décelé pour définir le harcèlement de rue comme une culture urbaine, non sans conséquence. Ce droit d’importuner dessine une “ghettoïsation des femmes”2. En outre, elle les assigne à une place identifiée. Un terrorisme sexuel qui participe à l'objectivation du corps des femmes dans 1

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la vie publique et donc à leur infériorisation. Entre culture du harcèlement, fabrication du genre et héritage ecclésiastique, nos villes françaises semblent bien être le terrain d’expérimentation le plus accessible. Sans s’y opposer, la ville accepte, accueille et porte inégalités et différences. La question de la précarité, envisagée sous l’angle du genre, est passionnante dans ce qu’elle révèle de consternant, en particulier chez les femmes. Dans l’univers où la représentation de la femme comme pivot de l’ordre familial est fortement imprégnée, imaginer la désapprobation de la société face à l’errance, tant physique que psychologique, des femmes SDF est tangible. En ne répondant pas aux rôles et aux comportements admis socialement, elles représentent les femmes qui n’en sont pas au regard de la société3. Elles subissent quotidiennement la stigmatisation sociale et le regard méprisant des autres. Les travaux de Maryse Marpsat ou de Pascale Pichon mettent la lumière sur l’idée que le fait d’être femme et de vivre la rue, bien qu’ayant des points de convergence avec l’errance masculine, présente au quotidien des aspects distincts, en conséquence de la stigmatisation véhiculée autant, par la société, que par son espace.

“Il serait pourtant utile de saisir plus finement les parcours de ces dernières, qui, si elles sont moins nombreuses à devenir SDF, paraissent plus soumises aux actes de violence comme aux effets de dégradation de leur image.” 4

Raibaud Y., La ville faite par et pour les hommes, p. 16. Raibaud Y., La ville faite par et pour les hommes, p. 38. Thalineau A., Être femmes à la rue, p. 115. Pichon P., Vivre sans domicile fixe : l'épreuve de l'habitat précaire, 2002. 19


Des histoires de harcèlement et de sexisme de rue ordinaire et quotidien mises en BDs par Juliette Boutant et Thomas Mathieu.

Boutant J. et Mathieu T., Projet Crocodiles, 2018. 20


2/ L'APPROCHE D'UNE RÉALITÉ A) L'ART DE SE PROTÉGER : DÉNÉGATION ET PROSTITUTION INFORMELLE Dans nos ville, le corps de la femme est agressé d’une façon bien particulière. Les femmes en errance vivent dans le même espace public que les autres femmes, mais de façon plus aiguë et avec une vulnérabilité accrue. Elles sont en souffrance, déstructurées, “cassées” ; elles ont déjà connu des violences, et la rue, la précarité, la fragilité multiplient les possibilités d’agression1. On a parfois tendance à oublier les différences physiques et biologiques fondamentales entre hommes et femmes. Pourtant, une évidence est profondément enfouie dans notre inconscient de femme : contrairement aux hommes -eux aussi victime de viol- elles peuvent être enfantées par leur violeur. Pour maintenir leur intégrité physique, selon leur histoire, leur âge, leur culture, ou leur degré d’errance, les femmes adoptent des stratégies de défense, différentes les unes des autres. Entre débrouillardise et dissimulation mêlées, toutes ces stratégies reviennent à se rendre invisible à soi-même, et aux autres ; à devenir l’ombre de soi. Pour ne pas susciter la crainte en s’isolant, les femmes, et en particulier les plus jeunes, ont besoin d’être plus vigilantes ; surtout la nuit. Ainsi, pour ne pas être repérées, il arrive qu’elles se donnent une apparence masculine, par leurs vêtements comme dans leurs attitudes, pour éviter les agressions. Pour Joan Passaro, les femmes sans-abri sont contraintes à un double jeu : dissimuler leur féminité pour se protéger, jusqu’à arriver à une dénégation du corps pour ne pas être une proie2. Cheveux rasés. Poitrine comprimée ou masquée. 1

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Couches de vêtements superposées. Hygiène volontairement négligée. L’incurie se dessine comme une armure à la violence. Etre un homme pour fuir le regard d’autres hommes ; tel est le sordide “jeu de rôle”. En s’infiltrant dans le monde des testostéronés, elles se masculinisent pour disparaître des potentiels prédateurs. En cherchant à passer inaperçues, elles peuvent aller trop loin dans l’oubli d’elles mêmes, car à force de vouloir se fondre, elles oublient leur identité sexuelle. Pire, elles la nient en gommant la différence. Outre la dénégation physique, certaines femmes se placent sous la protection masculine3. Mais l’homme, en garantissant la sécurité, laisse présager une contrepartie. Dans son roman Sur la route des invisibles, Claire Lajeunie recueille le témoignage d’Elina, ancienne femme sans-abri, “ Même

si je ne me lavais pas, je me débrouillais toujours pour me maquiller, rester belle, ressembler à une femme. C’était trop important. (...) Etre jolie m’a beaucoup aidée. Les mecs me forçaient à coucher avec eux, ils abusaient de moi, mais au moins, je dormais au chaud”. Une vérité sans fard qui révèle la dure réalité de la rue. La protection dépasse ici toute bienveillance en s’inscrivant dans une relation d’exploitation et de dépendance, où le corps de la femme est l’ultime moyen de troc. Comme d’un commun accord, Elina échange son corps contre du confort ; témoin de la promiscuité dans laquelle elle pouvait vivre. Alors, une prostitution informelle, inconsciente, de survie s’installe. De cette relation s’ébauche, peut-être

Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 42. Boinot K., Femmes sans abris, précarité asexuée ?, p. 104. Dierickx A., Femmes sans abri : pourquoi elles se masculinisent, Le Vif. Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 45. 21


Photos prises par l'auteur. 22


aussi, le besoin d’être quelqu’un à deux. Dans l'incapacité d’être soi, le couple s’écrit comme une échappatoire à la solitude. L’impuissance face à l’adversité paraît surmontable à deux, et attendre que l’autre la rend plus supportable en est à l’évidence, une aspiration. Alors que choisir entre la dépendance et l'inexistence ?

B) INVISIBILITÉ : PASSER INAPERÇUE Pour ne pas se mettre en danger en laissant deviner leur précarité, elles peuvent développer une grande ingéniosité pour maintenir leur apparence, leur habillement, leur propreté1. Selon P.A. Vidal-Naquet, elles accordent une grande importance à leur apparence physique ; il est pour elles capital de maintenir leur corps propre. La propreté permet de passer inaperçue, de fréquenter les lieux publics sans être identifiable comme sans abri, être comme tout le monde. Elle s’inscrit ici dans un souci d’invisibilité et de normalité, le propre renvoyant au bien, au normal2. Il rend invisible, il permet de se fondre, anonyme, dans la foule. Une véritable théâtralisation de la normalité est mise en oeuvre ; car par soucis de dignité, par peur d’être stigmatisées, ou par quiétude, il est essentiel pour certaines de ne pas être confondues avec une clocharde.

Vendredi 14 décembre ; il est 20h : J’arrive à la gare de Rennes. Le train est en retard. Il arrivera quai 8. J’ai vingt minutes à attendre. Je m’approche du quai, deux personnes attendent déjà. Une des deux personnes attire mon attention. Une cinquantaine d’année, toute habillée de noir, le visage marqué. D’apparence assez ordinaire. Il 1

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fait froid. Elle parait comprimer dans sa doudoune épaisse, j’imagine qu’elle a empilé une bonne couche d’affaire. Deux gros sacs de course colorés l'accompagne. Un sac de vêtements encadrait sa droite, l’autre, sa gauche. Ils clôturent un espace, une zone à ne pas outrepasser. Deux murs invisibles, surement sécurisants et réconfortants. Elle s’adosse à une barrière, dos au vide de l’escalier ; légèrement repliée sur elle même, le regard au loin. Une quinzaine de minutes plus tard, l’espace d’attente devant le quai commence à se remplir. Discrètement, elle prend ses deux sacs et s’en va. Le train une fois arrivé, je récupère ma soeur et nous prenons la direction de la sortie. J'aperçois, un peu plus loin, cette même femme, adossée cette fois-ci, à une tablette haute. L’évidence de sa précarité me saute désormais aux yeux. Certes, je n’ai aucunes certitudes quand à sa situation, mais ses attitudes, sa manière de s’inscrire dans l’espace et de le pratiquer, coïncide étrangement avec mes connaissances acquises sur le sujet (cf photos explicatives et relevé en plan). En se réfugiant dans une gare, elle s’assure d’une certaine manière, une protection contre les agresseurs. Les agents de sécurité et les usagers, même s’ils ne sont pas toujours bienveillants, leur seul présence est au minimum dissuasive. Elle se déplace en permanence, et ne s’installe jamais au même endroit, tel est le circuit d’une femme sansabri. Elle le répétera sûrement une bonne partie de la nuit. Elle construit, pendant une temporalité courte, un espace “à elle” : fragile, passager, fugace. Un territoire se dessine. Une urbanité éphémère s'installe. Le plus surprenant dans tout cela, est sa manière à elle de se rendre invisible. S’inscrire dans un espace de passage, la

Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 41-44. Maurin M., Femmes sans abris : vivre la ville la nuit, p. 143. 23


Point A, premier lieu d'arrêt. Point B, deuxième lieu d'arrêt. Deux trajets supposés sont en pointillés.

Relevé à la main de la gare de Rennes. 24


gare, où les usagers ne sont présents que pour un temps limité, réduit déjà les probabilités de reconnaissance de sa condition. Et pour parfaire son imperceptibilité, elle construit un mouvement en se déplaçant. En somme, elle se fait passer pour une usagère “normale”. Sa propreté, les soins qu’elle se porte et sa neutralité ne laissent rien paraître. Elle se montre discrète, silencieuse, effacée. Peu d’éléments pourraient trahir sa précarité matérielle. Et c’est bien le plus déroutant. Grâce à leurs apparences conservées, maquillées, propres sur elles, parfois coquettes, elles ne nous semblent pas si éloignées de nous. Elles nous interpellent d’autant plus que leur errance résonne en nous, et nous renvoie à notre parcours de vie, à notre image personnelle, à nos représentations. Alain Thalineau, sociologue chercheur à l’Université de Tours explique que le corps des femmes SDF devient un enjeu identitaire. En effet, c’est une arme pour ne pas être stigmatisée, un refus d’endosser l’apparence d’un SDF et donc, une protection de soi. D'après Nadège Passereau “c’est

l’apparence aussi qui permet de tisser des liens, d’aller vers l’autre et de se socialiser”1. Garder le lien social est un bien fondamental. Il humanise, et nous relie les uns aux autres. C’est ce qui nous ancre dans la réalité. Mais si s’occuper de son apparence permet de conserver du lien, comment faire quand on a du mal à joindre les deux bouts, quand on perd espoir ? Comment trouver l’équilibre entre le fait de vouloir rester une femme et en même temps de vouloir le cacher ? Le poids de l’apparence est tel qu’il est l’ultime moyen de garder sa dignité. Chercher du travail, faire des démarches administratives, se réinsérer socialement, passe infailliblement par l’estime de soi. 1

2 3

Et si elles ne se considèrent pas légitime à un avenir meilleur, elles ne sortiront pas de l’errance. B) HONTE, D'IDENTITÉ

CULPABILITÉ

ET

PERTE

De la stratégie d'invisibilité, la honte est le deuxième ressort. Les femmes sont habitées par la honte, car leur présence dans la rue suppose une absence, ailleurs, celle du foyer, de la famille. Marie-Claire Vaneuville évoque, dans son livre Femmes en errance, de la survie à l'existence, la honte d’avoir échoué dans leur rôle de mère : “Elles ressentent tout le poids du

regard extérieur, tout le poids du regard qu’elles portent sur elles-mêmes”. En fait, elles ont fait leurs, les représentations de la femme qui imprègne notre société, et elles savent qu’elles n’ont pas satisfait aux attentes et aux exigences envers elles. Elles ne répondent pas aux archétypes, aux rôles essentiels dévolus à la femme : elles n’ont pas de foyer, elles n’ont pas su être mère, leurs enfants sont souvent placés. La précarité matérielle, l’exclusion et l’errance dans lesquelles les femmes s’enfoncent avec le temps, exacerbent la honte, qui, dans un cercle vicieux, entraîne une non-estime de soi, la dévalorisation et le mépris. Confrontée par la mésestime des autres, la culpabilité s’alourdit et devient, pour certaines, stérilisante3. Les hommes ressentent aussi la honte, mais contrairement aux femmes, les échecs ne sont pas les mêmes. La majorité des hommes arrive dans la rue suite à un échec de l’ordre professionnel. Pour les femmes, l’échec est d’ordre familial : victimes de violence conjugales, divorces... Il ne s’agit donc pas de la même honte puisque les références, les représentations ne sont pas

Dagry M-A., L'hygiène, un combat quotidien pour les femmes sans-abri. Meysenq L.,"J'ai été violé 70 fois en 17 and de rue" : le grand tabou des agressions sexuelles sur les femmes SDF. Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 47. 25


Photos prises par l'auteur. 26


les mêmes. Elles n’ont pas réussi quelque chose qui touche à l’image de la femme, qui relève du très intime1. Cela peut expliquer pourquoi leur errance nous touche profondément, nous dérange presque ; car être mère aujourd’hui, c’est souvent détenir une preuve de son existence en tant que femme, c’est une façon d’être reconnue. Bien sûr, ce sont des ressentis très primaires, d’autant plus que nous parlons des représentations les plus majoritaires, les moins réfléchies, celles qui touchent à l’inconscient collectif. C’est justement à partir de ces archétypes traditionnels que des bases sont construites, des bases acquises dès l’enfance, autant dans l’environnement scolaire, que familial. Il habite les invisibles. Elles souffrent en silence et se taisent. Autant un rempart pour se protéger de l’hostilité de l’espace des villes, qu'un malheur. Au même registre que l’invisibilité, le silence l’alimente et a pour effet de supprimer la demande. Une conséquence telle, qu’elles n’osent plus demander de l’aide à leur famille ou aux services sociaux. Dans le documentaire

Elles sont des dizaines de milliers sans abri de Mireille Darc et Valérie Amsellem, Maryse, femme SDF raconte : “Non je ne parle jamais de ça. Vous savez j’ai un tempérament de, ce qui est pas bon, je le garde pour moi. Je fais jamais profiter des choses négatives à mon entourage. Je garde ma dignité, j’ai l’impression que ça n’a pas de prix. C’est beau, c’est magnifique.” Cette invisibilité a d’ailleurs longtemps participé à une non-prise en considération de leur existence2. La honte s'interprète donc comme un obstacle qui prolonge leur errance et les freine dans une possible sortie de la rue. Elles deviennent leur propre censeur. A se voir plus coupables que victimes, elles se perdent dans l’errance. Ainsi, et progressivement, les 1

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invisibles perdent les repères de leur identité : elles n’habitent plus de logement, elles n’habitent plus leurs corps.

Mardi 9 octobre, il est 10h : Je sors de chez moi, direction l’ENSAB. Je passe rue la Motte Fablet, une femme m'aborde discrètement et me demande, presque en chuchotant “Bonjour Mademoiselle, auriez-vous un ticket restaurant, je suis désolée, j’ai très faim, je n’ai pas mangé depuis 2 jours (...) J’habite à l’extérieur de Rennes, je cherche juste à manger”. Elle était plutôt jeune, jolie, ses joues étaient un peu creusées. Accompagnée d’un sac rempli qu’elle portait sur son épaule, élancée, elle marchait d’un ton décidé. Son regard était triste. Elle paraissait déboussolée, perdue, comme si quelque chose de bouleversant venait de se produire. Avant de lui répondre je suis restée sans voie quelques secondes. Elle aurait dû, j’aurais voulu, je m’attendais à ce qu’elle me demande “Je cherche un café sympa, vous en connaissez un ?” ou “vous savez où se trouve la place SainteAnne?”. C’est physiquement et typiquement le profil d’une femme que je n’aurais jamais projeter dans une situation de précarité. En s’inscrivant dans une rue commerçante du vieux Rennes, elle s’assure pouvoir aborder plusieurs personnes. En choisissant une heure creuse, elle se protège d’une reconnaissance possible. Son anonymat demeure. Sa façon de faire la manche consiste à aller à la rencontre d’un donateur potentiel en se mêlant aux passants. MarieClaire Vaneuville explique que “Les femmes

ont souvent préparé un discours, une histoire bien ficelée. Puis elles se fondent à nouveau dans le flou de la foule”. D’une certaines manière, en choisissant leur client, elle passe inaperçue. Inaperçue pour

Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 23. Boinot K., Femmes sans abris, précarité asexuée ?, p. 105. 27


Point A et B : lieu de notre rencontre. La ligne en pointillés : son trajet.

Relevé à la main de la rue de La Motte Fabet à Rennes. 28


se protéger, mais surement aussi par pudeur. De cette expérience je retiens l’importance de la dignité dans le quotidien des invisibles. “Je suis désolée”, elle cherche à s’excuser d’être là, de me demander de l’aide. “J’habite à l’extérieur de Rennes”, elle cherche à se justifier de quelque chose. Sûrement pour que mon geste ressemble plus à d’un coup de main qu’à de la charité. La discrétion et la furtivité de sa demande manifestaient une possible gène, retenue, voir timidité qu’elle pouvait avoir. Comme si elle ne le méritait pas. Plus elle parlait, plus elle se justifiait, plus elle me signifiait la honte qu’elle avait à me réclamer quelque chose. Pour ne pas conclure La féminité renvoyant à des attributs sociaux assignés au sexe féminin, à savoir des dimensions morales (discrétion, dévouement, respectabilité, pudeur, retenue), physiologiques (santé et reproduction), esthétiques (beauté) et sociales (maternité, tenue d’un foyer), la femmes SDF met en tension plusieurs vulnérabilités qui peuvent se cumuler ou se confronter : le fait d’être sans-abri et le fait d’être une femme. Elles sont donc assujetties à un lot d'injonctions contradictoires : l’injonction à l’autonomie engendrée par leur situation de grande précarité, et l’injonction à la conformité des rôles sexués attendus dans la société. Ce qui est certain, c’est que toute l’activité de recherche de protection, de sécurité, de tranquillité et de repos face à la nuit urbaine, n’a lieu d’être que lorsque l’on ne possède pas d’espace privé et intime. La rue n’est pas faite et n’a jamais été pensé pour que des gens y vivent. Seulement, le constat est tel, qu’aujourd’hui, la société salariale produit une “vulnérabilité de masse”1. 1 2

De cette première lecture, l’idée générale que les femmes présentent des vulnérabilités particulières n’est plus à défendre. Elles pensent leur pratique de la ville pour anticiper tout potentiel accident. Des pratiques qui font fatalement appel à cette expérience de la vulnérabilité publique féminine. Le fait de se rendre invisible, d’être accompagnée par un chien ou se mettre sous la tutelle masculine, affirment cette nécessité d’être protégées face à des risques d’agressions. Ainsi, deux solutions s’offrent à elles : être protégée par quelqu’un -et donc manquer totalement d’indépendance- ou disparaître dans la foule. Outre combattre leur situation d’errance, elles luttent contre les disjonctions de l’espace public qui les mettent à l’écart. C’est donc bien la construction d’une fragilité en raison de leur appartenance à une catégorie de sexe, et la production sociale et genrée des espaces publics, qui conditionne leur errance. Contrairement aux hommes, les femmes ont moins de dépendance à l’alcool ou à la drogue dans l'errance2, et n’atteignent pas autant le stade de la déchéance. Alors on peut se demander si, perversement, les stigmatisations de rôles leurs assigneraient des réflexes profondément féminins qui les refrèneraient plus dans de “bonnes manières”, et ainsi, repousserait l’échéance de la chute ?

Maurin M., Femmes sans abris : vivre la ville la nuit, p. 148. Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 42. 29


“Quand je suis venue la première fois, j'ai monté les escaliers, je me suis assise sur les marches, je me suis dit Nelly c'est honteux. Qu'est ce que tu fais ici ? T'as pas honte de toi ? Et je me suis mise à pleurer, je me suis dis bah tant pis, je peux plus. Je suis rentrée (...) C'est dur, surtout quand t'es maman et que tu t'es obligé d'abandonner tes enfants, que tes enfants te parlent plus parce que ya ça ça. Je vais essayer de pas pleurer, mais désolée.” Nelly Chave, 49 ans - Tours - 8 mois d’errance.

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Entretien avec Nelly Chave, cf annexe, p. ?. 30


"Puis t'sais quand t'as toujours été violée, t'oses plus regarder ton corps. Tu te dis, t'as été violée étant petite, la rue ca t'arrives, tu te dis mais c'est toi qui cherchée ça ? Tu vois. Voilà. (...) Tu te regardes pas comme femme, tu dis “t’es qui toi”, tu te poses pleins de questions." 1 Nelly Chave, 49 ans - Tours - 8 mois d’errance.

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Entretien avec Nelly Chave, cf annexe, p. ?. 31



PARTIE 2 UNE MOBILITE CONTRADICTOIRE, CONDITIONNEE PAR L’ESPACE PUBLIC “Il reste encore beaucoup de retard à rattraper dans ce domaine, tant la domination masculine, les effets du genre et les inégalités tenant au sexe furent longtemps ignorés par la recherche. “ Guy Di Méo

Cette partie s’attache à comprendre pourquoi et comment l’espace participe à la construction d’une sexuation des pratiques et des stratégies d’évitements des espaces publics, chez les femmes SDF, en mobilisant les concepts de patriarcat et de sexe social. Par conséquent, mettre en lumière les différences, les oppositions, les hiérarchies qui organisent les pratiques spatiales des femmes afin de comprendre ensuite, celles des femmes en situation d’errance. Comment la ville peut-elle informer la réflexion sur l'errance géographique des femmes SDF ?

ailleurs, dans la répartition des temps de vie : les femmes s’occupent majoritairement du travail domestique, elles représentent 85%3 des travailleurs pauvres, et sont plus nombreuses à s’arrêter de travailler à chaque naissance d’enfant. Elles sont toujours dominées dans l’occupation des espaces, où elles subissent la violences des hommes : l’espace du “chez soi” où se déroule à l’abri des regards les “violences conjugales” ; l’espace de la rue où elles apparaissent encore, comme des proies potentielles, en particulier la nuit ; l’espace professionnel où elles subissent le sexisme et le harcèlement.

Certes, considérer la dichotomie sociospatiale peut paraître dépassé aujourd’hui en France, alors que 85%2 des femmes sont sur le marché du travail. Il n’empêche que les différences perdurent, ici comme

Les progrès sont indéniables, mais les réalités sont tenaces. La domination masculine reste suffisamment universelle pour qu’il soit légitime de considérer l’existence d’une “classe des femmes”.

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Marius K., Raibaud Y., Genre et construction de la Géographie, p. 10. Marius K., Raibaud Y., Genre et construction de la Géographie, p. 16. Denefle S., Conférence sur la thématique Ville et genre. 33


"La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. La femme a le droit de monter sur l'échafaud : elle doit avoir également celui de monter à la Tribune."

Illustration et citation : Catel et Bocquet, Olympe de Gouges, éd. Casterman, 2013. 34


1/ LIRE L’ESPACE AVEC LE GENRE A) LA VILLE REJETTE LES FEMMES Les villes françaises ont été dessinées en réponse aux besoins de l’économie urbaine, pour répondre aux structures familiales traditionnelles et à l’idée acceptée des différences de rôle entre l’homme et de la femme en société. Aujourd’hui de nombreux changements sociaux, économiques, démographiques et urbains sont à prendre en compte et remettent en cause les principes sur lesquels, les urbanistes du 19e et 20e siècle avaient dessiné nos villes. Les nouvelles configurations familiales, la participation des femmes au marché du travail1, le vieillissement de la population et l’apparition de problèmes urbains liés à l’étalement urbain, ou la gentrification, en sont des exemples. Des mutations qui nous poussent à prendre conscience de la diversification des modes de vie et de leurs besoins, dans une urbanité qui n’est pas prête à les accueillir. Depuis quelques années, on assiste à l’apparition de nouveaux types de ménages2. L’hégémonie de la structure couple et deux enfants s’éteint, et fait place à une hétérogénéité des profils : femmes seules avec enfants, femmes célibataires, familles recomposées etc. Une évolution sociale insufflée par l’urbanisation des villes. Le progrès des modes de vie dans le logement, la santé ou l’éducation accompagne et génère, une évolution des rapports entre les sexes. La femme s’émancipe. Ces évolutions génèrent de nouvelles formes de pratiques urbaines qui renouvellent perpétuellement le tissu 1

urbain et mettent en difficulté les politiques urbaines sur la gestion de la vie quotidienne, et l’accès que les femmes ont à la ville3. La femme vit la ville, mais la ville refuse B) DU PRIVÉ DANS L’ESPACE PUBLIC

Aujourd’hui, les femmes présentes dans la ville, se situent généralement là où les tâches domestiques qui leur incombent les conduisent. D’après Jacqueline Coutras, pionnière de l’urbanisme de genre, il n’y a pas de ségrégation spatiale sexuée visiblement repérable -pas de “ghetto“ sexué-1. Mais, il existe un cloisonnement des espaces-temps quotidien dû à la répartition sexuelle du travail domestique. L’un se constate autour de l’emploi marchand et l’autre est lié à l’habitat, à la famille et à la vie privée, auquel les femmes sont communément assignées. La pratique de l’espace public est ainsi conjuguée aux normes de genres, dont la fréquence est imposée par les tâches conventionnelles : approvisionnement, accompagnement des personnes etc. C’est donc comme des mères, des épouses, des filles, des personnes dont le statut social est affiché, qu’elles se retrouvent le plus souvent dans les lieux publics. Mais que représentent les “lieux publics“ pour les femmes ? Empiriquement, J.Coutras explique que les activités domestiques et familiales établies par la société, anéantissent toutes formes “d’aventure“ dans la rue. Celles qu’on peut nommer de “flâneuse“, sont difficilement saisissables :

Maruéjouls-Benoit É., Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe,p. 24-26. Le Sager Diouf K., Femmes et villes : note, Agence d'Urbanisme de l'Agglomération de Tours, p. 25. Le Sager Diouf K., Femmes et villes : note, Agence d'Urbanisme de l'Agglomération de Tours, p. 28.

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Illustration : Colcanopa, association du cotĂŠ des femmes. 36


“Les femmes sont trop en situation d’alarme

pour s’affranchir de l’espace et du temps linéaires, pour pouvoir se laisser emporter par l’inattention, la distraction et ainsi se rendre disponible à l’événement 1 “. Ces femmes qui pratiquent les lieux urbains publics s’y trouve donc, soit, parce que ces lieux représentent une extension de l’espace privé, soit, parce qu’elles s’aventurent dans des espaces extérieurs non familiers, où elles sont vues comme des “femmes publiques“. C) LA SUR-MOBILITÉ

A première vue, les espaces de nos villes françaises sont mixtes. Tout le monde a un accès libre aux transports en commun, aux rues, aux espaces publics. Elle paraît égalitaire. Mais l’évidence de la mixité n’avive pas pour autant le partage des lieux de circulation et de sociabilité. Depuis un siècle, les femmes ont investi le domaine du travail rémunéré. Pour beaucoup, elles n’ont pas pour autant abandonné ou partagé le travail domestique. Un travail non rémunéré, gratuit, de “l’ordre du don“2; où seul le temps est compté. Le géographe Guy Di Méo explique que cette double peine amène à une pratique de l’espace public plus riche, plus large, plus étendue, en terme de vécu et de représentation urbaine. Une prérogative à première vue, mais la réalité est autre… Guy Di Méo fait remarquer que ces tâches accumulées précipitent leur parcours, rendant leur pratique intense, active, nombreuse et répétitive dans le temps et l’espace. Rentabiliser son temps par souci d’efficacité : penser la rationalité, l’accessibilité, la centralité et la distance 1

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canalisent leur déplacements. Au lieu de vivre la ville, elles acceptent l’idée de vivre la ville pour les autres. Une surconsommation dévouée et inconsciente, de temps et d’espace. Le “droit à la ville“ dont parlait Henri Lefbvre en 1968, s’accompagne aujourd’hui, d’un droit universel à la mobilité. La “sousmobilité“, à laquelle certaines catégories sociales sont victimes, est aujourd’hui étudiée sous la question de la “sur-mobilité“3. La sur-mobilité dont Frédéric Toupin parle4, aurait comme conséquence d’obliger les personnes intéressées à se déplacer plus qu’elles ne le souhaiteraient ; comme une surconsommation non désirée de temps et d’espace. Ce phénomène nouveau touche particulièrement les femmes, car elles sont les plus assujetties à des violences verbales ou physiques dans l’espace public. Comme un générateur d’inéquité et d’inégalité sociales, il soulèverait des discriminations en termes de mobilité spatiale. Par souci d’insécurité, elles préfèrent éviter certains espaces, quitte à rallonger leur chemin. Zones aux accès mals balisés, sombres, étroites, espaces confus où l’architecture créé des guet-apens, ou des lieux à conotation sexuelle. Le parcours urbain d’une femme se voit modifié suivant plusieurs facteurs : le jour, la nuit, caractéristiques spatiales (long, haut, étroit, vide), etc. D) MURS INVISIBLES

Bien trop souvent, l’espace se voit sectionné par des frontières invisibles qui fragmentent les territoires de la ville. Cette distance sépare les hommes et les femmes, contribue à la territorialisation d’espaces anxiogènes1 et l’institutionnalisation tacite

De Hesselle L., Être femme dans l’espace public, Imagine demain le monde. Alter N., Théorie du don et sociologie du monde du travail, Revue du MAUSS, vol. n. 20, n. 2, 2002, p. 265. Gibout C., La "sur-mobilité" : une question de genre ?, p. 155-158. Toupin F., urbaniste chargé d’études à l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération de Tours. 37


de territoires masculins. Guy Di Méo “des

limites non matérialisées, non formulées, ni forcément représentées“1, comme des murs invisibles qui dressent une distance, entre les femmes et les espaces de mauvaise réputation et autres interdits sexistes. Dans son livre enquête qui repose sur l’exploitation d’entretiens réalisés auprès de cinquante-sept Bordelaises de plus de vingt ans, Murs invisibles, il décrypte les manières dont ces femmes se représentent les espaces urbains et les pratiquent au quotidien. Les opinions des femmes interrogées valorisent les espaces où elles se sentent bien. Elles les repèrent comme des lieux beaux, clairs, calmes, paisibles, rassurants, ouverts, propres, arborés, végétaux, où l’architecture et urbanistique sont esthétiques. Au contraire, elle rejettent des espaces souvent qualifiés d’instables, fermés, sombres, étouffants, agités, agressifs, violents, minérals et oppressants. L’espace des pratiques s’oppose à l’espace des refus2. Pourquoi y a t-il encore des zones que les hommes s'approprient et que les femmes évitent ? La pratique et l’appréhension de la ville se voient donc sexuées. Bon nombre de femmes ont un sentiment d’insécurité ; un mal-être qui devrait être révélateur et susciter l’attention des architectes et urbanistes. Envisager les aménagements d’équités -non ségrégationnistes- ne coûte pas plus cher, et ne profiterait pas seulement aux femmes. Les personnes âgées, à mobilité réduite, les sans-abri, tous ceux que l’espace public exclu déjà. “Si nous rendons l’espace plus confortable et attractif pour les femmes, il le sera pour tout le monde !“ 3 Le manque de praticité de certains trottoirs, l’absence de bancs et de toilettes 1 1

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publiques l’obscurité de la nuit ou la carence de panneaux piétons qui indiquent, par exemple, la proximité d’un poste de police. L’appropriation de l’espace public par les femmes est donc une lutte constante qui les oblige à voir la ville singulièrement. Les observations menées dans trois communes de l’agglomération de Bordeaux par Edith Maruejouls montrent que la majorité du mobilier urbain, des grands projets d’aménagement, des structures sportives ou culturelles sont occupés et appropriés par des hommes. L’espace apparaît comme le support et le produit de rapports de genre. La présence éminente des hommes dans l’espace public n’est pas la seule cause de l’absence des femmes. Les femmes ne sont pas indemnes des représentations traditionnelles véhiculées par la société, elles les ont intégrées et s’interdisent consciemment ou pas, une certaine pratique de la ville. Entre stigmatisation intégrée, violences urbaines et cumul du travail rémunéré et domestique, ces femmes, rejetées par la ville, parviennent rarement à l’intégrer. Elles demeurent spectatrices. Les questions qui confrontent études urbaines et études sur le genre amorcent des débats sur la mobilité, les choix résidentiels, l’émancipation et la sécurité. La posture est nouvelle et constitue un acquis théorique important sur le droit à la ville. Comme l’explique Sylvette Denèfle ”Les

villes sont créatrices de pratiques nouvelles qu’elles soient spontanées ou inscrites dans des projets politiques. Les projets de ville sont des projets de vie meilleure, voire de société nouvelle.” Penser un urbanisme d’équité, égalitaire et de mixité permettra, j’en suis convaincue, de remettre en cause l’immobilisme des rôles traditionnellement assignés aux hommes et aux femmes. L’urbanisme comme vecteur de progrès

Raibaud Y., Le genre et le sexe comme objets géographiques, Acte du colloque de Doc’Géo, Pessac, France, 2007. Di Méo G., Murs invisibles, p. 317. Di Méo G., Conférence : Femmes, genre et géographie sociale, Université Michel Montaigne Bordeaux 3. Van Enis N., La place des femmes dans l'espace public, seulement une question d’aménagement du territoire?, p. 5. 38


social, émancipateur, et catalyseur de prospérité. Nos villes françaises, dessinées par et pour les hommes, excluent les minorités en tout genre1 : les hommes en situation de précarité, les femmes, les handicapés, les transgenre… Si l’accessibilité à la ville se voit affectée par des questions de genre, l’épreuve est géminée lorsque l’on parle d’une femme sans-abri. Etre une femme et être en situation de précarité : un double malheur, une double vulnérabilité. L'objectif du prochain chapitre sera donc de voir comment l'espace public des villes conditionne une certaine mobilité propre à chaque femme en errance. La mobilité comme une souffrance psychique, une difficulté supplémentaire à vivre son intimité, et un subterfuge.

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Raibaud Y., La ville faite par et pour les hommes, p. 23.

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2/ LA MOBILITÉ COMME ÉCHAPPATOIRE A) LE MOUVEMENT DE L’ERRANCE Les Anglo-Saxons ont un mot pour expliquer la condition et l’expérience des sans domicile fixe : homelessness1. Leur inscription dans la ville autorise à penser leur condition en termes d’expérience urbaine. Leur vécu est immanquablement associé à la ville, et la relation qui les lie se constitue à partir de pratiques, de représentations et d’une histoire, propre à chaque personne. Il y a mille et une manières de vivre et de conjuguer l’errance. L’errance s’inscrit donc dans un espace, l’espace de la ville2. La ville devient leur maison, les rues leur couloir, les espaces abandonnés leur intimité. Comme des refuges urbains, chaque élément de la ville à ses qualités spatiales et participe à construire un espace hospitalier. Que ce soit des espaces d’habitudes ou de passages, ils s’inscrivent tous dans une temporalité. Ce mouvement n’est pas la conséquence d’un voyage, ni d’une fugue temporaire, mais d’une errance profonde, un déplacement sans finalité apparente. Pour les femmes en errance, un passage temporaire à la rue -quelques nuits dans un escalier, une voiture ou autre- peut se renouveler et s’installer dans le temps3. C’est lorsque la répétitivité s’installe que l’errance débute. Cela fait alors partie d’un cheminement, d’un long parcours, d’une histoire de la rue. C’est l’arrivée dans cette instabilité dans le temps qui est le signe de l’errance. Elle n’a de sens que dans le temps (10,15 ans…), et le temps semble un indicateur essentiel pour en mesurer son stade. 1

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L’errance est un parcours, une femme hébergée peut malgré tout être en errance, car l’errance est jalonnée de moment “avec abri” et “sans abri”. L’errance est le mouvement, la fuite en avant qui permet de tenir, de continuer, de “se débrouiller”..., qui permet de survivre. Un départ permanent, un mouvement sans fin, alimenté par la recherche d’une issue, même si elles ne la trouvent pas, même si chaque fois qu’elles croient l’avoir trouvée, elle s’avère illusoire : il faut recommencer. L’errance ressemble à une quête, une quête répétée, infinie, qui passe parfois par des situations d’urgence ; comme une impossible poursuite de l’inaccessible : reconnaissance, place, amour. L’errance est “linéaire”, Une femme prise en charge dans un hébergement, peut avoir l’impression d’en avoir fini avec l’errance. Mais, il faut du recul pour constater un parcours dans l’espace et le temps, et l’errance a tellement partie liée à l’intime que lorsqu’on la vit, on n’en a parfois pas conscience. On est à l’intérieur d’une fuite en avant impossible à objectiver, et si les femmes hébergées ne s’identifient pas à l’errance, c’est parce qu’elles n’ont pas de vue globale sur leur existence. L’errance est immobile, élément habituellement révélateur du statut sans domicile fixe.

“Je cherchais une chose dont je n’avais pas conscience, inconnue, enfouie en moi… J’ai erré dans les rues, sans cesse et sans but, j’ai marché des jours entiers sur les pavés d’indifférence à la recherche de quelque chose de différent.” 4

Zeneidi-Henry D., Les SDF et la ville, géographie du savoir-survivre, p. 72. Vaneuville M., Femmes en errance, de la survie à l’existence, p. 31-35. Vaneuville M., Femmes en errance, de la survie à l’existence, p. 35-40. Valère V., Le Pavillon des enfants fous, 1978, Hachette. 40


Elles marchent désespérément pour trouver quelque chose, sans idée de ce qu’elles cherchent, mais elles le cherchent. La vie dans la rue est une vie de marche, une quête infinie s’annonce et s’érige en un nomadisme sans finalité, éminemment incertain. Elles parcourent la ville, souvent avec un même circuit, comme si un événement extérieur venait briser leur boucle de malheur. Elles s’épuisent à arpenter les rues sans relâche ; des châtiments physiques terribles qui semblent presque intentionnels comme si elles voulaient se punir de leur précarité. Une souffrance physique s’ajoute donc à leur douleur intérieure. Une double peine. Elles paraissent impassibles, imperturbables, extérieures à tout conformisme. Le rythme de la ville les dépasse.

B) UNE THÉATRALISATION, UNE DÉFENSE Dans son livre, Femmes en errance, de la survie à l’existence, Marie-Claire Vaneuville explique que la mobilité est une défense couramment adoptée par les femmes dans la rue. L’immobilité se transforme en mouvement. On assiste souvent à une “théâtralisation”1 pour ne pas se faire repérer. Par honte qu’on les identifie comme des SDF, elles se déplacent dans la ville, sans s’arrêter. L’appropriation d’un espace dans la ville, à l’abri des interventions policières ou d’autres personnes, n’est pas fréquent2. La raison n’est pas d’ordre spatial mais plutôt temporel. S’immobiliser, se construire un petit territoire privé, serait accepter et signaler sa situation d’errance, s’exposer au regard réprobateur de la société et aux risques de harcèlements ou d’agressions de rue auxquels les femmes 1

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SDF s’exposent. Dans le mouvement il y a comme un refus d’accepter sa situation, l’importance de garder sa dignité, et se protéger des violences de la ville. Ainsi sont les femmes que nous pouvons croiser dans des infrastructures publiques comme des gares, avec une valise ou des sacs de courses et qui vont “choisir” furtivement le client pour la manche. L’idée de mouvement se constate plus la nuit que la journée. La particularité de la nuit c’est la solitude, le manque de ressources et d’encadrement social. L’environnement y est inquiétant, sombre, trop calme ; c’est la nuit qu’elles sont plus isolées. Lorsque les accueils de jour ferment, il faut trouver un endroit ou dormir. Trop soumises aux violences urbaines, certaines refusent de dormir dans la rue. Viens alors un combat parce qu’elles ne veulent pas se résigner. Le sujet n’est pas nouveau : le 115 du Samu social est saturé partout en France. En 2014 le 115 de Seine-Saint-Denis recevait en moyenne “6 800 [appels] pour

15 écoutants et la durée d’attente pour avoir un interlocuteur pouvait dépasser trois heures“ 3. En 2017, un article de l'humanité affiche : “A Paris en 2016, 5.391 femmes seules ont appelé au moins une fois le 115, soit une hausse de 66% en dix ans. Un quart d'entre elles était en errance depuis plus de six mois et 69% n'avaient jamais appelé auparavant. Mais souffrant d'une extrême saturation, le taux de réponses positives du numéro d'urgence a chuté de 72% en 2006 à 23% en 2016.“1 Dans le documentaire Femmes invisibles survivre dans la rue, de Claire Lajeunie, Martine sans domicile fixe depuis 5 ans, passe une partie de ses nuits dans les bus de la ville de Paris :

Vaneuville M., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 28. Thalineau A., Etre femmes à la rue, p. 113-121. Publié par Le Monde, Hébergement d'urgence : saturé, le 115 de Seine-Saint-Denis est en grève, 2015. Publié par L'humanité, Le samu social de Paris sensibilise sur la situation des femmes sans-abri, 2017 41


Martine, 57 ans, sans domicil fixe depuis cinq ans. Lajeunie C., film documentaire, Femmes invisibles survivre dans la rue.

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“On se laisse guider. Ca fait 1h de trajet donc ca vaut quand même la peine d’avoir chaud quoi. Ca m’est déjà arrivé de dormir toute la nuit dans le bus.” L’espace clos du bus rassure Martine. Le mouvement n’est pas le sien, mais celui du bus. Elle est en confiance, accepte de se laisser porter et quelques fois s’autorise à s’endormir. Quand les bus ne sont plus là, Martine arpente les rues de Paris : “Encore il y a des fois je suis obligé de m’arrêter parce que stop. J’ai jamais trop kilométré mais je marche à peu près 10/15 kilomètres.“ Sa nuit s’écrit donc par le circuit d’un transport en commun et le sien. C’est seulement la journée, en accueil de jour, à l’abri et au chaud, qu’elle se repose de ses nuits interminables sans sommeil. Son rythme de vie est décalé. Deux univers se heurtent : d’un côté celui de la vitesse, indissociable du mouvement ; de l’autre, celui de la position statique. Lorsque la ville s’éteint, Martine s’éveille. A l’inverse, son épuisement dû à sa mobilité nocturne la maintient immobile pendant toute la journée. Comme un cercle vicieux, Martine est impuissante face aux temps, et elle en est consciente : “Quand on reste un peu trop souvent dehors, on dort pas assez, on perd un peu la notion du temps”. L’insécurité de la ville l’oblige à être en constant mouvement pour être moins atteignable. Sa mobilité peut se comprendre comme un subterfuge. S’arrêter serait accepter la ville, en faire partie. Marcher c’est l’oublier, s’en éloigner. Le bus crée une distance avec la ville, comme un mur invisible qui la protège. Elle voit les événements mais elle ne les vit pas, elle ne les subit pas. Comme une échappée, elle s’absente le temps d’un voyage. 1

C) LE MOUVEMENT QUELQU’UN

ÊTRE

Pour d’autres, la nuit est une manière d’échapper au regard de la population, des commerçants, des institutions, de la police etc. Quand elles se posent, elles trouvent des territoires secrets, de protection, des lieux de repli : bouche de chaleur, porche ou entrée de métro1… Les parcours de marche dans la vie quotidienne sont majoritairement longs. Dans le documentaire Elles sont des dizaines de milliers sans abri de Mireille Darc et Valérie Amsellem, Maryse, retraitée de soixante-onze ans, passe ses journées dans des expositions d’arts. Lorsque Mireille Darc lui demande : “tous les jours vous êtes occupée ? “ Maryse répond : “en principe oui, je le

fais assez souvent, la semaine est assez complète, il y a toujours des choses à voir et on en apprend, et évidemment on n’arrête pas d’apprendre…“ Maryse remplit ses journées avec des moments d’apprentissages, d’éveils, de divertissements, avant de poursuivre son errance dans les rues de Paris. Elle a trouvé sa façon à elle de demeurer en contact avec le monde. De nourrir son imagination et sa sensibilité. Aller au musée est devenu un lieu qui l’aide à s’en sortir. Il lui permet de s’abandonner, d’oublier l’extérieur. Vivre, l’espace d’un moment, la vie banale d’un citoyen lambda. Peutêtre une manière d’oublier sa condition. Peut être une manière de se mentir à soi même, aussi. Maryse trouve toujours des endroits pour passer ses nuits “au chaud”. Elle connaît les endroits, sait repérer les lieux visibles et cachés, où envisager une nuit est possible. Des espaces qui le jour et la nuit changent d’utilisation. Des halls d’immeubles, des

Vaneuville M., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 30.

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POUR


Maryse, 71 ans. Darc M., Amsellem V., film documentaire, Elles sont des dizaines de milliers sans abri.

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salles d’attentes d’hôpitaux, etc. Par souci de dignité, elle refuse de demander une aide à son entourage. Maryse et Martine se battent tous les jours, à leur manière, pour accomplir des activités qui semblent être simples mais qui représentent une lutte constante pour une femme en situation d’errance. Avoir un rituel au réveil fait partie de la vie quotidienne. Ces moments fatidiques que sont les routines quotidiennes sont précieuses ; dans le livre Sociologie de la vie quotidienne, le sociologue Javeau Claude l’explique : “Toutes ces activités forment la trame de l’existence quotidienne.“1 C’est justement lorsqu’on les abandonne que le stade d’errance peut dépasser le cap inévitable de la déchéance, de l’abandon totale de soi. Même si Maryse et Martine peinent à trouver le chemin de la sortie, leur lutte quotidienne est notable. Dans leur grande précarité matérielle, elles résistent au pire. La mobilité comme échappatoire pour l’une, la mobilité comme preuve d’existence pour l’autre. Pour le cas des hommes SDF, l’appropriation des espaces publics se fait2. Seul, ou à plusieurs. Ce qui m’interpelle dans ces deux histoires, à défaut de pouvoir vivre la ville, elles vivent les infrastructures publiques de la ville : les bus et les musées. Plus qu’un divertissement, ce sont les seuls espaces qui les reçoivent. Les espaces extérieurs des villes, originellement discriminantes pour les femmes, se voient comme une oppression supplémentaire à la précarité des femmes, seules. Quand elles n’ont pas d’autres choix que de s’y rendre, leur mobilité dans le temps et l’espace les rends insaisissables, invisibles et les 1

2

immunise de diverses menaces. La ville les rejette, la société les rejette, alors il reste les lieux neutres : des lieux à usage unique, fréquentés, fermés (gares, musées, hôpitaux, transport en communs...). Dans une conférence TEDx, Edith Maruèjouls résume parfaitement la situation “L’homme occupe la ville, la femme la traverse”, une situation d’autant plus extrême pour une femme en errance.

Javeau C., Sociologie de la vie quotidienne, p. 33. Zeneidi-Henry D., Les SDF et la ville, géographie du savoir-survivre, p. 204-206. 45


3/ LA MOBILITÉ CONTROVERSÉE A) CONDAMNATION DU VAGABONDAGE L’idée d’errer représente aussi la déviance, un danger potentiel, par rapport à une norme, un idéal sociétal. Le verbe “errer”, du latin errare, est daté du Ve siècle et signifie “action d'aller çà et là, sans but” (Le Petit Robert). Au XII siècle, le sens figuré d’errer se vulgarise et devient synonyme d’erreur, de s’égarer, de se tromper. Son image est multiforme, elle incide sur l’âme, la raison, son envers la folie, le châtiment, la souffrance. Elle renvoie à l’expression “chien errant”. L'absence de maître traduit la dangerosité sociale et condamnée à la solitude. L’errance exprime la sauvagerie, le caractère animal, et déshumanise. Au XVIe siècle, les vagabonds sont associés à des petits métiers de “mauvaise réputation,

jongleurs, chanteurs, arracheurs de dents, joueurs de dés ou prostituées…” (Vexliard, 1956, p. 91.). La société leur manifeste une grande méfiance, et se montre plus sévère pour les femmes que pour les hommes1. L’errance vu comme du vagabondage, et à ce titre passible d’une sanction qui va de la flagellation publique à la maison de correction. Une criminalisation de l'errance se dessine car la mobilité représente le non-respect des normes sociétales. Des frontières s'élèvent au sein de la population des pauvres, et font émerger la figure du vagabond comme le mauvais pauvre. En séparant le vagabond d’elle même, la société a définit ses normes, ses limites. En désignant l’ennemi de la société auquel elle s’oppose, elle marque ses marges, et l’homme en errance en fait sans conteste partie2. 1

2 3

L’intransigeance à l’égard des femmes s’explique en partie quand on sait que la prostitution est assimilée à l’époque au vagabondage. L’errance féminine est donc socialement et moralement suspecte car une honnete femme reste dans la maison du père ou du mari. Une transgression du supposé destin sociosexuel ou biologique déroge à la sédentarité de l’univers domestique auquel les femmes sont vouées. Le mouvement perçu comme une activité masculine, et par opposition la fixité à la féminité. L’anthropologue de renom, Françoise Héritier l’explique dans son livre La plus belle histoire des femmes, “Par exemple,

chez nous, en Occident, "actif" (…) est valorisé, et donc associé au masculin, alors que "passif", moins apprécié, est associé au féminin.” 3. La valeur considérée comme positive, dominante est rattachée à la mouvance, donc à la masculinité. Le vagabond est celui qui s'inscrit dans la mobilité, donc dans l'errance. Un statut socialement handicapant qui l'est davantage pour des femmes, rapidement assimilées à des "femmes publiques". Cette stigmatisation genrée a des répercussions effectives sur la dignité des invisibles. D'une part, la désapprobation de la société à leur égard, remet en cause leur légitimité à être dans la précarité, une mobilité récusée socialement. D'autre part, la singularité de leur errance les pousse à une sur-mobilité, cause de désocialisation, d'isolement et de marginalisation. En fait, la mobilité en elle-même est une autre forme d'exclusion.

Boinot K., Femmes sans abris, précarité asexuée ?, p. 102. Zeneidi-Henry D., Les SDF et la ville, géographie du savoir-survivre, p. 24. Héritier F., Perrot M., Agacinski S., Bacharan N., La plus belle histoire des femmes, p. 27. 46


B) DES DIFFICULTES LIEES À L'INTIME Comme on a pu le voir antérieurement, la marche représente le quotidien de la vie des femmes en grande précarité. Aussi contraignante que dépendante, la mobilité constitue un enjeu fort de la vie à la rue. En effet, il semblerait que la mobilité soit un élément influent de l’usure corporelle. Si le corps paraît au premier abord comme un objet anthropologique et biologique, il nous apprend néanmoins beaucoup sur la survie identitaire. La santé, les postures, l’habillement, les attitudes, les gestuelles, sont des indicateurs précieux.

"Une marche s’inscrit dans les muscles, la peau, elle est physique et ramène à la condition corporelle qui est celle de l’humain".1 Les longues marches laissent des marques et des blessures irréversibles sur leurs corps, sur leurs peaux, dans leurs habitudes. Ces journées a arpenter la ville font partie de la vie à la rue. Une personne en errance peut être un marcheur qui cherche à subvenir à ses besoins (chercher un lieu pour dormir, chercher le repas de la journée, aller voir des amis…), elle peut être aussi dans la quiétude (faire la manche, se reposer...). Malheureusement, pour les marcheuses invisibles, la mobilité est un fait subit. Les soins les plus courants, délivrés par les infirmiers sont les soins aux pieds. Élément signifiant, car les pieds sont les plus exposés à la marche et s'abîment en raison du froid, des frottements, résultant des conditions de vie dans la rue. Aussi, les femmes sont soumissent à des changements corporels importants, cause des privations récurrentes de nourriture, la fatigue de stress qui pèsent notamment sur leur activité hormonale2. Elles témoignent également du fait qu’elles n’ont progressivement plus leurs 1

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menstruations, dont on sait qu’elles peuvent fluctuer en fonction des conditions de vie des femmes dans leurs dimensions à la fois physiques et psychologiques. Alors des questions naissent ; lorsque le corps d’une femme est exposé, pudeur et intimité sont difficiles à vivre : comment uriner, comment gérer ses règles, comment envisager des rapports sexuels lorsqu’on vit en grande précarité, dans un monde en grande majorité masculin ? Les femmes sont culturellement ou par éducation, beaucoup plus attachées à leur hygiène, empreinte de leur identité féminine, et elles accordent beaucoup plus d’importance à leur apparence que les hommes : pour les femmes, le corps est l’outil premier de séduction2. Son entretien nécessite des lieux appropriés, mais l’espace de la rue ne remplit pas les conditions élémentaires d’hygiène et d’intimité nécessaires aux femmes. Une carence importante, car elle est symbolique de leur identité. En errance, prendre soin de soi, n’est plus de mise. Sans compter que plus le degré d’errance est profond, plus l’estime de soi s’efface, et plus la féminité s’éteint. Constamment dévalorisée, l’image de soi s’est effacée et elle reste à reconstruire... La mobilité les contraint dans l'entretien quotidien de leur corps. Envisager l'intimité dans la rue n'est pas simple. L'instabilité géographique à laquelle elles font constamment face les enferme dans un circuit continuel ou l'arret est banni. Outre les questions d’intimité, la mobilité efface toute possibilité de construire un “chez soi”. Pourtant la nécessité d’un espace privé n’est plus à prouver quant à la construction personnelle. “L’abri” permet à chacun d’exprimer son individualité, de se sentir chez soi, afin de construire son identité3. C’est le lieu de la prise de conscience de soi qui permet de trouver

Le Breton David, Marcher (Eloge des chemins et de la lenteur), chap 2. Marcillat A., Femmes sans-abri à Paris, étude du sans-abrisme au prisme du genre, p. 94. Larceneux F., J'habite donc je suis, p. 3. 47


une stabilité. Délimiter, sécuriser, relier, rassurer, tel sont ses bienfaits qui permettent une interaction entre individus et l’espace public. Sans espaces intimes, l’interaction entre individu et la ville est constante. L’équilibrage entre le besoin de communiquer avec les autres et le besoin de s’en protéger, dont Serfaty Garzon parle, disparaît1. Les infrastructures publiques, les centres d’accueils avec lesquels elles sont en interférence sont des espaces à faible projection identitaire et ne permettent pas de se sentir “chez soi”. Marc Augé les nomme des “non-lieux” :

de femmes en errance. Pourtant plus d’un tiers des SDF sont des femmes. Symboliquement, elles portent le poids d'enjeux sociétaux actuels inquiétants. L’importance d’étudier l’espace public à travers des questionnements sexués contribue à une compréhension plus juste des territoires urbains. Il en est de même pour la précarité. Légitimer la survie identitaire, c’est mettre en lumière ces femmes, leur donner la parole, pour peut-être, aspirer à plus de parité. Ainsi, confronter les études urbaines aux études sur le genre doit pouvoir servir les politiques, urbanistes, architectes, paysagistes, pour leurs orientations vers l’égalité des droits à la ville. Du moins, le temps que les rôles de sexe soient toujours porteurs de dysfonctionnement, ce sur quoi l’analyse des situations urbaines nous éclaire. D'après la psychologue Gladys Mondière, ce qui différencie le plus les femmes des hommes SDF, sont les traumatismes : violences conjugales, physiques, familiales, abus sexuels3. Alors quand on sait que la majorité des femmes arrivent dans la rue pour échapper à des violences conjugales4, que 40% des femmes SDF ont été abusées sexuellement et que 60% ont été violentées physiquement3 ; on se demande machinalement, qu’imaginer de mieux pour elles qu’un logement ? Mais alors comment penser qu’un logement puisse être vécu plus dangereusement encore que la rue ? Si ce n’est de concevoir que l’errance puisse être une stratégie pour s’extraire de la violence ?

"L'espace du non-lieux ne crée ni identité singulière, ni relation, mais solitude et similitude.2" Pour ne pas conclure Sans repères spatiaux, temporels, familiaux et écrasée par les représentations sociales durement enracinées dans l'inconscient collectif, la construction du “je” se voit compromise. La mobilité se lit sous deux angles. Elle est au premier abord une issue pour échapper à la violence dans l’espace urbain ou une alternative capable de se faire sentir “ordinaire”, oublier sa précarité matérielle. Elle revêt un autre visage, celui du jugement réprobateur de la société, et celui d’une exclusion intrinsèque multivoque : marginalisation, désocialisation, isolement. Une exclusion qui semble être une nécessité au vu des discriminations émises par l’espace public de nos villes. Leur manière d’occuper l’espace révèle bien les rapports sociaux de sexes existants. Elles s’effacent, se font discrètes, se fondent dans la foule, lorsque cela est possible. Moins visible, leur situation apparaît donc moins spectaculaire. Cette invisibilité donne souvent l’impression qu’il n’y a peu 1

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Serfaty-Garzon P., Chez soi, Les territoires de l’intimité, p. 105. Augé M., Non-lieux, p. 130. Mondière G., Etre une femmes SDF, est-ce dfférent ?, p. 6-7. 48




PARTIE 3 QUELS ESPACES, QUELLE PLACE POUR L'ERRANCE FÉMININE ? "Afin d'assurer l'égalité des femmes et des hommes, les discriminations multiples et les obstacles doivent être pris en compte (...) La participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision est un préalable de la société démocratique (...) L'élimination des stéréotypes sexués est indispensable pour l'instauration de l'égalité des femmes et des hommes." Principes de la Charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes, 2006.

Face à une pauvreté et une exclusion qui ne cessent d’augmenter de jour en jour, les interventions architecturales et associatives et les décisions des politiques publiques ont un vrai retard et se retrouvent face à un problème d’une ampleur effrayante1. Lorsqu’un tel écart est constaté, de cette «ville divisée» surgit la nécessité de restituer les connexions à partir d’une structuration capable d’articuler les différents ensembles d’une même ville. L'objectif de cette partie sera de repérer les espaces urbains hospitaliers aux femmes, de comprendre leur particularité et de les questionner. Entre interventions tactiques et pérennes, l’important sera de rendre 1

possible l’articulation de ces différences devenues intolérables. L'idée sera de travailler sur des interventions ponctuelles, stratégiques et spécifiques qui devront être capables de répondre à la problématique de la femme dans l’espace public, permettre une visibilité sur le long terme et une adaptabilité aux situations futures qui sont difficilement prévisibles. Cela posera la question de la place de l’architecte face à la précarité et les enjeux actuels des politiques publiques face à cette exclusion. Les décideurs prennent-ils en considération la problématique des femmes SDF dans l'évolution de la ville ?

Denèfle S., Utopies féministes et expérimentations urbaines, p. 21.

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"En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les Droits suivants de la femme et de la citoyenne."

Illustration et citation : Catel et Bocquet, Olympe de Gouges, éd. Casterman, 2013. 52


1/ OU SONT-ELLES ? A) RETOUR SUR UN PARCOURS DIFFICILE Lundi 02 février, 14h00, je rencontre pour la première fois Nelly Chave. Nous sommes seules dans une petite pièce, éclairée en second jour, à L’interm’Aide, un accueil de jour pour les femmes SDF à Tours. Unique centre d’accueil du département réservé aux femmes en situation difficile, avec ou sans enfants, qui sont à la recherche d’un endroit où se poser. C’est ici que Nelly a passé une bonne partie de ses journées lorsqu’elle était sans-abri. Elle est arrivée dans la rue suite à des violences conjugales subies lors d'un premier mariage. Elle laisse derrière elle, ses enfants, son mari, et son confort financier. Pendant ses 8 mois d’errance, elle rencontre son actuel conjoint. Aujourd’hui sortie de la rue, elle accepte de me raconter son histoire. Entre nuitées d'hôtel, squats, cages d’escalier, attentes interminables, leur difficile vie d’errance s’est écrite à deux. La journée de Nelly commence à 5h30, lorsque son mari part travailler. Impossible de s’imaginer seule à errer dans le paysage nocturne de Tours, Nelly se réfugie dans la gare “Parce qu'il y avait des contrôleurs,

j'étais rassurée, j'étais pas toute seule, par exemple je me serais mise sur les quais (elle parle ici des bords de Loire), c'est pas possible, je sais pas ce qui me serait arrivé. Je voulais que s'il m'arrive quelque chose, je criais et quelqu'un pouvait me protéger. En fait c'est une protection. Tu peux pas rester toute seule”. Elle y restera jusqu’à l’ouverture de l’interm’Aide, à 9h30. Elle y trouvera vite réconfort, un appui, une stabilité. Une cuisine, des douches, des salles de repos, un espace de vie, des 1

bénévoles, des professionnels de la santé, en somme un lieu qui crée des repères, et participe à sa sécurisation. A 17h30, l’interm’Aide ferme ses portes. Elle attendra une heure, avant de retrouver son mari. La journée, Nelly se débrouille pour être en sécurité, loin de la ville, loin des hommes. Soit, elle se réfugie au centre d’accueil, soit elle vadrouille dans la gare. Lorsque je la questionne sur le rapport qu’elle entretient avec l’espace public, s’il y a des endroits dans la ville qu’elle évite, où elle ne se sent pas à l’aise, Nelly déclare “J'allais pas où il

y avait des hommes. Un homme qui est seul et qui voit que tu t'habilles bien parce que tu veux t'en sortir il va te regarder en te disant qu'est ce que tu fais ce soir. Non je ne peux pas”. Protection et sécurité déterminent donc ses journées. Lorsqu’elle retrouve son conjoint, c’est comme une nouvelle journée qui commence, les préoccupations sont autres, les difficultés aussi. S’ils ont un squat, c’est plus commodément qu’ils terminent leur journée. Dans le cas inverse, ils doivent trouver un endroit où dormir. Parking, cage d’escaliers, caves de maison ; incertitude et ballottement, avec l’angoisse permanente de passer une nouvelle nuit dehors. A deux, la gare n’est plus un espace obligé, mais l’infrastructure du tram le devient : “nous avec mon mari on faisait les aller-retour jusqu'à temps que ça ce termine pour être au chaud”. Les espaces fréquentés individuellement, ou à deux, ne sont donc pas les mêmes. Le couple, l’alliance qui unit deux personnes, leur permet d'accéder à plus de liberté

Ecrit tiré de l'analyse faite de l'entretien avec Nelly Chave. Cf Annexes.

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Schéma d'une journée type de Nelly

Schéma d'une nuit type de Nelly Schéma fait par l'auteure. 54


spatiale. Plus d’endroits sont accessibles, la cohabitation avec d’autres personnes peut-être envisagée. A travers l'entretien, je comprends que Nelly s’interdise des espaces, surtout lorsque la prééminence écrasante masculine l’étouffe : “Avant de

connaître ça, mon mari m'avait emmenée à la halle du jour, y'a que des hommes. Imagine t'es une seule femme à prendre ta douche (...) bah j'allais pas avec les hommes alors se que je faisais, j’attendais le soir, je prenais mon savon et je me lavais à la Loire. Par contre oui, j'ai attrapé des maladies. Pas maladies truc. Mais j'ai chopé des boutons tout ça”. Elle s'exclut des dispositifs d’aide mis en place pour les SDF, elle s’empêche de répondre à des petites intimités qui sont déterminantes dans la survie, par peur d’un risque lié aux hommes. Et si elle ne s’en prive pas, elle les subit : “A Tours tu as des camions où tu vas chercher à manger, la croix rouge, le restau du coeur, et quand j’y allais, un homme qui voit une femme, t’es belle quoi. Toi t’as juste envie de prendre ta nourriture et t’es pas respectée”.

B) UN CONSTAT ATTENDU L’espace public est manifestement relégué d’office par Nelly. Moins elle y est, mieux elle se sent. Il apparaît comme quelque chose qu’elle veut éviter. Lui échapper c’est éviter de se mettre en danger et s’y confronter c’est possiblement être une proie. Alors que l'espace public devrait être l’espace des rencontres, des possibilités, des solutions. Comment faire pour trouver les structures d’accueil pour les sans-abri dans la ville ? Comment savoir où sont les endroits sécurisés ? Où est-il possible pour une femme de se doucher, de manger ? 1

s’inscrire dans le circuit du système de la survie. Quant aux dispositifs sociaux, sa mise à l’écart témoigne de leurs non adaptabilité. Devoir s’en écarter ou alors ne pas s’y sentir à l’aise exprime l’idée qu’ils ont été pensés pour répondre à une problématique, celle des sans-abri et les hommes en sont les premiers spéculateurs. De celui qui pense la structure d’accueil à celui qui l’occupe, la possibilité qu’il y ait des femmes en errance n’a visiblement pas été évoquée. Est ce normal que dans un centre d’accueil, qui s’affiche mixte, les douches soient “collectives” ? Penser l’occupation d’un espace sans comprendre, et visiblement savoir, qui sont ses futurs usagers relève d’une vision formidablement limitée. Aujourd’hui à Tours, le nombre d’espaces pour les SDF, qu’ils soient pensés en tant qu’accueil spécifique ou investis informellement, sont très peu nombreux. Et le constat est plus désastreux encore lorsqu’il s’agit des femmes. Les cartographies de la page 56-57 illustrent, comment les hommes, distinctement des femmes, occupent les infrastructures et les espaces publics. Pour l'errance en couple : les parc -seulement accessibles en journée-, les parking sous-terrain, les bords de Loire, les rues, les places, les structures d’accueil mixtes, le tram, la gare. Pour les femmes : l’interm’Aide, la gare, le tram, seulement accessibles eux aussi, en journée. Quant à la nuit, la carte exprime l'évidence de la difficulté de la précarité féminine.

Ecrit tiré de l'analyse faite de l'entretien avec Nelly Chave. Cf Annexes.

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Carte des espaces publics possiblement accessibles par les hommes, la journée.

Carte des espaces publics possiblement accessibles par les hommes, la nuit.

Cartes faites par l'auteure, grâce aux données récupérées lors de l'entretien avec Nelly Chave. Cf Annexes. 56


Carte des espaces publics possiblement accessibles par les femmes, la journée.

Carte des espaces publics possiblement accessibles par les femmes, la nuit.

Cartes faites par l'auteure, grâce aux données récupérées lors de l'entretien avec Nelly Chave. Cf Annexes. 57


2/ DES LIEUX À INVENTER A) POUR LES FEMMES, DES LIEUX SANS HOMMES La menace physique et verbale est fortement ressentie par les femmes en errance. Elles vivent une sensation de danger permanent, dans un environnement en tension, souvent impulsé par les hommes1. Les dispositifs d’urgence restent très peu adaptés et développés pour les femmes seules, en couple ou accompagnées de chiens, et prenant en charge les problèmes relatifs à leur identité de genre. Cette absence de lieux répondant à leur intimités, notamment aux problèmes renvoyant à l’identité de sexe, à leur image, à leur corps, à leur rapport aux autres, à la prise en charge de leur santé et à leurs besoins vitaux. D'où l’importance d’un refuge où les femmes ne se sentent pas menacées dans leur corps, qui leur permette de se désinhiber et de retrouver la sensibilité ; où elles puissent apprécier la douceur, le bien être, la détente. Ainsi, pour réapprendre doucement à aimer leurs corps et se réapproprier leur existence. En fait, des lieux sans hommes. A Tours, Grenoble, Paris, les acteurs sociaux trouvent des réponses qu'ils jugent pertinentes dans la construction de centres dédiés uniquement aux femmes, et d’autres, uniquement aux hommes. Des lieux non-mixtes, spécifiquement féminins, qui répondraient à l’étape importante de recherche de son intimité et de l’estime de soi, pour mieux vivre, par la suite, la mixité. Car lorsque l’on a cessé de regarder l’autre, quand on pense depuis si longtemps qu’il représente un danger, c’est une expérience forte que de se retrouver au 1

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milieu d’autres personnes, de les découvrir à la fois différentes et identiques, de les écouter sans danger. Accepter de rentrer dans le circuit pour s’extirper de la survie c’est aussi écouter l’histoire des autres, relativiser la sienne. Le dialogue, comme une revanche à la solitude2. Ces lieux permettent alors d’être portés par la voix des autres quand on n'arrive plus à mettre de mots sur son histoire. Quand la honte est plus forte que le désir de parole. Quand les émotions ne trouvent plus le chemin des mots. Quand seule la parole des autres ouvre la porte de l’enfermement. Des lieux autant pour retrouver son corps de femme que pour sortir du silence et de la solitude. Je vois cette réponse comme une solution provisoire, qui répond à une immédiateté, sans vraiment traiter le problème de fond. Construire des espaces féminins pose la question d’une régression, un retour à la non-mixité. Combattre les discriminations par des ségrégations est discutable. Si aujourd’hui, les structures d’accueil n’assouvissent pas les besoins de toutes et de tous, c’est qu’elles n’ont pas été pensées en conséquence. Et c'est justement par la spatialité qu'on y trouvera, je pense, une réponse. Comme si dans un même bâtiment, il y avait deux univers. En constante interférence mais qui ne s’entrechoquent pas. Laisser la liberté de se croiser ou non ; indiquer des connexions, supposer des interactions. En somme, ne pas imposer une mixité mais l’envisager. Projeter des doubles circulations, des connexions visuelles, imaginer la mixité dans des espaces de vie et offrir des

Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 97. Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 103. 58


Qu'est ce que tu fais ici ? T'as pas honte de toi ? Et je me suis mise à pleurer, je me suis dis bah tant pis, je peux plus. Je suis rentrée (...) C'est dur, surtout quand t'es maman et que tu t'es obligée d'abandonner tes enfants, que tes enfants te parlent plus parce que y'a ça ça. Je vais essayer de pas pleurer, mais désolée.” Un court extrait du récit émouvant de la vie militante de Nelly. Elle raconte son premier contact avec l’interm’Aide. La honte et la peur du jugement furent, pendant quelques minutes, la raison de sa réticence à entrer dans le centre. Elle a mis quelques mois avant de connaître cette structure d’accueil. Ce temps de latence qui s’inscrit dès l'arrivée dans la rue, jusqu’au contact avec une association, varie en fonction des conditions de vie, de l’histoire et de la sensibilité de chaque femme. Si pour Nelly, ce temps n’a pas excédé quelques mois, la durée de cette étape est propre à chacunes. Un mois, six mois, deux ans, dix ans, c’est le moment pendant lequel elles sont seules face à la rue. Elles n’ont, soit pas connaissance de l'existence de centre d’accueil, soit elles refusent encore d’y aller ; par souci de honte, par manque d’estime de soi ou par peur. L'espace public devient donc, la dernière attache qu’elles ont avec la société. Même si elles le fuient, elles n’ont pas d’autres choix que de cohabiter, chaque jour, chaque nuit. C’est dans cette période qu’elles se plongent dans l’isolement, l’exclusion, la désociabilisation, parfois l’alcool, parfois la drogue. Sans réseau, sans aide, tout est plus difficilement surmontable. Plus la durée de cette étape est longue, plus la reconstruction sera difficile, plus le travail dans l’accompagnement vers le retour au logement sera anguleux, plus la sortie de la rue se voit compromise. Tout le travail

abris. Travailler sur la flexibilité et la réversibilité. Amener l’évolutibilité pour répondre modestement aux particularités de chacun. Discuter, rencontrer, partager, éveiller et recoudre progressivement les traumatismes fréquemment causés par le sexe opposé. Insuffler, animer, engager des évolutions dans les rapports sociaux entre sexes est réalisable par l’architecture. La preuve en est ; les réflexions architecturales et urbaines archaïques nous ont largement démontré qu’elles pouvaient être à l’origine de réclusion, d’exclusion et de rétrogression sociale. Chris Blache, socio-ethnographe, explique qu'à l'ère industrielle, il y a eu un très fort apport de main-d’œuvre dans les villes. Les femmes avaient des petits métiers afin d'arrondir les fins de mois : elles revendaient des restes de nourriture, les chutes de tissu, du tabac, etc. Puis l'architecte Haussmann, avec sa volonté de contrôler l’espace, a rentré tout le monde à l’intérieur. Une logique militaire, drastique, un ordre masculin et bourgeois instauré. Des marchés couverts sont dessinés. Les “marchandes de quatre saisons”, n'avaient alors plus raison de traîner leur charrette dans les rues1. Un progrès social certes, mais un recul au droit à la ville pour les femmes. D’où la responsabilité de l’architecture dans la vie quotidienne des citoyens. Une architecture qui supposerait, peut-être, de se construire en concertation avec les personnes concernées, notamment lorsqu'il s'agit de centre d'accueil.

B) DES PETITS ESPACES SÉCURISÉS, SÉCURISANTS, PROTÉGÉS

“Quand je suis venue la première fois, j'ai monté les escaliers, je me suis assise sur les marches, je me suis dit Nelly c'est honteux. 1

Alouti F., Comment rendre la ville aux femmes ?.

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de la construction de leur avenir, de leur autonomie, de leur réintégration au mode de vie en société, est inévitable pour la réinsertion1. Si la rue se dessine alors comme un passage obligé pendant l’errance, la question que je me pose est : Comment, par l’architecture et l’urbanisme, l’espace urbain peut-il les accompagner dans ces moments d’errance solitaire ? L'idée est de réduire ce temps d’errance ou du moins, le rendre plus supportable. Des interventions tactiques, spécifiques, orientées créent des repères, des stabilités, et participent à la sécurisation des femmes. Il s’agit donc d’imaginer des lieux sans ruptures dans l’organisation, sans changement d’horaire entre été et hiver. Des espaces où, nouer des relations y soit à nouveau possible, dans un climat de confiance de discrétion, et de respect de l’intimité. En fait, la ville vient progressivement proposer des accroches où l’appropriation, la sociabilisation et l’intimité soient traitées. Ils retiendront la chute progressive, la perte de confiance, l’abandon de soi grâce à des responsabilités, des gestes quotidiens, qui les stimuleront. Ces espaces deviendront des repères et des rituels qui permetteront de se tenir debout, de réinventer la construction du soi, et l’apprentissage les petits bonheurs du quotidien. La vie dans la rue, quelques semaines, quelques mois ou quelques années, modifie indéniablement le rapport à l’intimité. Auguste Comte expliquait : “L’équilibre mental résulte

d’abord, et pour une bonne part du fait que les objets matériels avec lesquels nous sommes en contact journalier ne changent pas ou changent peu, et nous offrent une image de permanence et de stabilité”. Réfléchir à des alternatives capables d’alléger la dureté de la rue, d’accompagner 1

2

ses femmes dans la survie physique, identitaire et psychique et d’éviter la rupture de contact entre la personne en situation d’errance et les points d’appuis récemment abandonnés. Ainsi, on réduit le choc lors de l’arrivé dans un logement et l’importance soudaine d’autonomie et de responsabilités, si réinsertion il y a. Il en est de même pour le suivie psychologique ou psychiatrique. A ma connaissance, aucune étude n’a encore été menée par des architectes ou urbanistes, pour réfléchir à la problématique féminine de l’errance. La question s’étudie aujourd’hui, seulement sous l’angle de la sociologie, l’anthropologie, la géographie ou la psychologie. Une problématique depuis peu explorée, un sujet délicat, qui met donc du temps à se déployer. Les références étant absentes, la projection urbaine est alors faiblarde. Néanmoins, en 2018, la ville de Montreuil a installé des casiers à destination des sans-abri ; un dispositif visant à faciliter leur vie, mais également leur réinsertion. Des casiers bleus vifs, mesurant 1.80 x 0.5 mètres, implantés en centre ville, accessibles 24 heures sur 242. Ils permettent de conserver argent, papiers, vêtements ou tout autres effets personnels à l’abris des vols et des intempéries. Une intervention à petite échelle qui répond à une intimité et aborde un problème dominant dans l’errance des femmes : la mobilité despotique qu’elles s’imposent se voit s’amplifier sans la lourdeur de leur maison sur le dos. Des douleurs physiques mais aussi, le risque de se faire voler leurs papiers importants -qui les lient à la possible sortie de la rueet une partie de leur accroche à ce qui existe encore. Un dispositif qui résonne étroitement avec les dires de Nelly :

“Mais moi étant femme, tu touches pas à mes affaires. Mon mari laissait ses affaires

Vaneuville M-C., Femmes en errance, de la survie à l'existence, p. 97. Bucco A., Montreuil : des casiers en libre-service pour les gens de la rue, publié par Aleteia. 60


mais moi je les emmenais. Tu deviens parano à force. Donc t'oses plus laisser tes affaires nul part. Par contre les sacs ils sont gros oui.” 1 Des casiers solidaires qui offrent un peu de place aux personnes en errance, là où la tendance est plutôt de les effacer.

1

Ecrit tiré de l'analyse faite de l'entretien avec Nelly Chave. Cf Annexes.

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3/ UNE MENTALITÉ À FAIRE ÉVOLUER A) INVISIBILISER OU CRIMINALISER Le 14 février 2019, la fondation Fondation Abbé-Pierre organise sa première cérémonie satirique "Les Pics d'or", en récompensant les pires installations de mobilier anti-SDF. Une initiative ayant pour but de dénoncer les politiques urbaines qui cherchent à éloigner ou à rendre invisibles les sans-abri dans les centres-villes, sans pour autant apporter de réponses au problème de l’exclusion. Des grilles, des rochers, des poteaux, des bancs et sièges inconfortables, des grillages, des jets d'eau, font partie des dispositifs d'éloigement ; à la gare SNCF de Rennes, des hauts-parleurs diffusent même des airs d’opéra1. En matière de mobilier anti-SDF, l’imagination ne trouve plus aucune limite. L’objectif de ces stratégies -mises en place par les municipalités, architectes, urbanistes- est de supprimer les SDF des centres-villes de manière plus ou moins insidieuse. Les politiques publiques des villes se sont, pour la plupart, engagés dans une lutte contre l'insécurité, une manière de satisfaire la demande de certains citoyens se plaignant du bruit, de la saleté, la mendicité ou de la privation d’espace : “Parfois ils nous

émeuvent, parfois ils nous dégoûtent : les pauvres suscitent la peur, d’où cette tentative de criminalisation.” 2 Les polices municipales évacuent les zones piétonnes et commerciales afin que les consommateurs ne soient pas "importunés". En les rendant invisibles dans les centres villes, la misère s’efface. La pauvreté n’est plus frontale alors la culpabilité, l’engagement et la préoccupation citoyenne se dissipe. Cela aboutit à une sorte de nettoyage de 1

2

l’espace public, mais cela ne résout en aucun cas les problèmes de précarité sociale et matérielle auquelles les plus marginalisés font face. Un mobilier asseptisé qui dessine l’espace de nos villes et nous éclaire un peu plus sur la philosophie des politiques urbaines actuelles face à la pauvreté. Les pouvoirs publiques, les politiques, urbanistes, architectes pensent les espaces de manière à écarter les personnes au lieu de servir le confort des usagers ordinaires, qu’ils soient âgés, jeunes, homme ou femme. Combattre les pauvres, mais pas la précarité. L’architecte a une posture engagée à tenir face à ses questions et les politiques doivent y être sensibles pour que la ville de demain évolue.

B) CONSTRUIRE DEMAIN ENSEMBLE

À l’heure des mouvements #MeToo et des #BalanceTonPorc, la question du genre s’impose de plus en plus dans les débats de société. L’espace public est un lieu, parmi tant d’autres, d’inégalités entre les hommes et les femmes. Les litiges sur la place laissée aux femmes dans la ville, sont toujours riches en stéréotypes et pointent un certain sexisme. Considérer les défaillances spatiales et proposer des réponses, insufflent la pratique et l’appropriation de l’espace public par les femmes et allègent grandement la précarité des invisibles. C’est donc servir la mixité autant que la précarité. Si la ville genrée apparaît aujourd’hui, non pas comme un phénomène résiduel, mais

Bouvier P., Pics d’or : la Fondation Abbé-Pierre distingue les dispositifs anti-SDF, Le Monde. Bancaud D., Dispositifs anti SDF: Ils parviennent à éloigner les plus précaires des centres-villes, 20 minutes. 62


comme une réalité globale sur laquelle il est essentiel de travailler, alors : Quel rôle peut apporter l'architecte face à toutes ces années d'hégémonie spatiale masculine ? L’idéal à atteindre est la création d'espaces publics urbains non construits sur le principe de la fracture mais sur le consensus. Des urbanités pensées pour toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent être amenées à vivre cet espace. Un espace public où le genre est pris en compte via les recommandations des principaux intéressés. L’accès aux infrastructures urbaines -un droit à la centralité-, et une conception de la ville qui anime un espace de conflit et de rassemblement -un droit à la différence-, s’accordent pour former le “droit humain” universel à la ville, dont le géographe David Harvey parle.

“Chacun devrait avoir le droit de créer un espace urbain de qualité selon ses propres envies -loisirs, accessibilité, etc-” 1. La pensée largement répandu du "faire rentrer tout le monde chez soi", érige des bâtiments fermés. Une imperméabilité née entre l’espace de la ville et l’espace du chez soi, par souci de sécurité ; c’est bien là où l’on s’interdit d’aller, par inquiétude, peur ou anxiété, que la question du genre s’appréhende. C’est cette frontière qui crée des différences, enferme des stéréotypes et retient toutes appropriations des voies publiques. On construit son chez soi, à l’intérieur des murs, la ville se charge du reste. Éveiller des porosités, travailler sur l’ouverture d’espaces, dissiper la frontière entre l’intérieur et l’extérieur offre, en mon sens, plus de liberté spatiale et sociale, permettant ainsi, une occupation de la ville par tous. Ouvrir les halls, s’affranchir des barrières, mordre sur la rue, excitent le droit à la ville et inspire à une urbanité accueillante. Pouvoir s'asseoir, s’installer, le 1

Anne-Catherine Remacle, Celles qui marchent dans les villes, p. 7.

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temps d’une respiration, s’approprier des lieux qui ne sont pas les nôtres, excuse la rencontre, indifféremment du genre, de l'âge et du sexe. C’est aussi permettre des protections temporaires la nuit ou le jour, face à l'inquiétude d’une situation soudaine. Des interstices de rencontre non genrés qui objectent à la sectorisation de domaines séxués et tendent à la parité. Ajouter à cela, la réversibilité. Prenons un exemple concret.

Nous sommes à Tours, rue Etienne Marcel. Une petite place vient ouvrir la rue et libère lumière et espace aux habitations attenantes. En plein centre ville, ce délaissé urbain est souvent la résidence de jeunes revendeurs. L’idée est d’y projeter un projet communautaire visant à récupérer un droit humain à la ville, cité par David Harvey. Par la construction d’infrastructures adéquates via une démarche de rassemblement dans l’espace public : les femmes, les hommes, les enfants font entendre leurs visions et leurs vécus des espaces urbains qu’ils vivent chaque jour. Par l’ouverture d’un espace de dialogue entre comité de quartier on pense les futures occupations, on amorce les situations à venir et on construit une urbanité propre à tous. L’important étant bien sûr de dessiner ensemble des espaces pour toutes personnes amenées à y vivre : résidents autant que gens de passage, tels les invisibles. Imaginons une structure modeste accueillante, une cuisine d’été, encadrée par des murs utilitaires : des casiers. Ainsi, cette petite construction offre aux habitants un espace de stockage temporaire, pour les outils de jardinage de Monsieur Thomas, les affaires d’équitation d’Hugo, le sac de la globe-trotteuse Léa ou celui de la SDF Virginie. La cuisine communautaire permet de créer des liens sociaux et de s’approprier l’espace public. Elle peut aussi être une laverie collective,


Photos faites par l'auteure. 64


qui se transforme en Jam session la nuit ou alors une permaculture qui, l’espace d’une semaine, accueille provisoirement un événement culturel (cf dessins p56). En embellissant les voies publiques, le respect d’autrui face à une urbanité s’instaure. Combattre la ville genrée et porter l’errance des femmes en grande précarité c’est créer des espaces spécifiques, imaginés, construits et appropriés par les habitants. Une réflexion servant les citoyens, les voyageurs ou les oubliés de la ville. L’enjeu étant de concevoir des aménagements qui ne génèrent pas de situation de domination d’un groupe sur un autre. Si chaque interstice se voit capturer par l’union citoyenne, c’est la ville accueillante, ouverte, poreuse, égalitaire et réversible qui surgit.

villes mettent-elles en place des dispositifs capables de les soulager ? Oui ! La thématique du genre commence à travailler les politiques publiques, particulièrement au niveau municipal. En octobre 2016, la Mairie de Paris, publie un guide “Genre et espace public” 1 à destination des urbanistes. Il s’organise autour de cinq thèmes : circuler, occuper l’espace : flâner, faire du sport, se sentir en sécurité et être présente et visible. Des directives intégrées dans le cahier des charges du projet de réaménagement de six grandes places Parisiennes via une “clause de genre”2. Une démarche positive pour équilibrer les rapports de genre en ville, et qui bénificiera à l'integration des SDF.

Pour ne pas conclure L’espace public n’est pas neutre. Depuis quelques années, une prise de conscience est à l’œuvre, venant à la fois des mondes universitaires, associatifs et citoyens, avec la multiplication des études et des initiatives. La ville porte des inégalités qui, historiquement et symboliquement nourrissent la séparation des femmes et des hommes. Une épreuve géminée lorsqu’on est une femme et en situation d’errance. Militer pour une ville mixte c’est alléger, atténuer, amoindrir les conséquences physiques et psychiques que les invisibles portent. Le droit à la ville est un droit essentiel pour la citoyenneté et l’égalité des personnes. C’est donc la question de la réappropriation de l’espace public par les femmes et les jeunes filles qu’il faut soutenir. Alors, si penser l’accompagnement de ces femmes en errance, implique de tenir compte des problèmes relatifs à leur identité de genre, les pouvoirs publics des 1

2

Mairie de Paris, Guide référentiel : Genre et espace public, p. 17. Demain la ville, Femmes dans la ville : Audrey Noeltner chausse "les lunettes du genre". 65



CONCLUSION

Des aspirations "L'irruption d'une présence et d'une parole féminines en des lieux qui leur étaient jusque-là interdits, ou peu familiers, est une innovation du dernier demi-siècle qui change l'horizon sonore. Il subsiste pourtant bien des zones muettes et, en ce qui concerne le passé, un océan de silence, lié au partage inégal des traces, de la mémoire et, plus encore, de l'Histoire, ce récit qui, si longtemps, a "oublié" les femmes, comme si, vouées à l'obscurité de la reproduction, inénarrable, elles étaient hors du temps, du moins hors événement." Michelle Perrot

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2 3

Perrot Michelle, Les femmes ou les silences de l'histoire. Badinter Elisabeth, L'Amour en plus. Despentes Virginie, King Kong théorie.

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"Au lieu d'instinct, ne faudrait-il pas mieux parler d'une fabuleuse pression sociale pour que la femme ne puisse s'accomplir que dans la maternité." Elisabeth Badinter "Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l'air." Virginie Despentes


Au terme de ce travail, j’aimerais dire : les femmes en errance existent, je les ai rencontrées. Nelly témoigne pour toutes les autres : l’errance se conjugue aussi au féminin, et les femmes présentent des vulnérabilités particulières qui rendent leur situation plus difficile du fait de la précarité et des rôles de chacun dans la société. La plupart sont invisibles, elles arrivent à survivre en sauvant les apparences, en s’arqueboutant, en se plaçant sous la protection d’autrui ou en étant invisibles. La précarité féminine souligne le lot d’injonctions contradictoires à l’intérieur même du système conforme à la norme de genre. L'absence d’étayage social et familial renvoie, au quotidien, à des relations sauvages entre sexes qui complexifient la survie. C’est dans les territoires urbains actuels de nos villes, que les différences sociales entre les sexes expriment leurs dimensions. La ville se décline au masculin. Elle nous révèle le poids de l'héritage culturel qui en fait un patrimoine trop sexué. La cité renforce les inégalités entre sexes et en crée de nouvelles1. Femmes et hommes, ne sont pas égaux dans l’espace public. Malheureusement, il demeure encore difficile d'appréhender une approche de la ville, de sa construction, de sa gestion, de sa rénovation, avec la perspective du genre. Avec la ville, c’est l’ensemble social qui résiste au combat féministe pour l’égalité. Comme le slam Kery James, "Les

montagnes sont faites de petites pierres" 2 . Freiner les esprits machistes, encourager l'ambition et la confiance, et enrayer la fabrique du genre sont déjà des petits pas vers la parité, et engage les femmes à prendre possession de la ville. Leurs traumatismes socio-économiques les propulsent dans la marginalisation, leurs 1

2 3

obligations domestiques conditionnent leurs déplacements et l’insécurité stigmatise leurs présences dans les espaces publics. Alors, les femmes SDF s'éclipsent, se font discrètes, s’excluent au vu des discriminations émises par la ville. Leur manière d’occuper l’espace, de s’inscrire dans une urbanité déjà construite, traduit bien les rapports sociaux de sexes existants. C’est dire combien semble juste, la sensibilisation et l’engagement sur des sujets qui nous touchent toutes et tous. Mettre en lumière les conditions extrêmes d'existence des invisibles, c’est déjà les reconnaitre, c’est admettre que les stigmatisations socio-culturelles sont destructrices et c’est dénoncer le poids de la sexualisation des territoires. En raison du sujet évoqué, l’ouverture de centre d'accueil -adaptés aux femmes autant qu'aux hommes-, et de plusieurs petits espaces, répondant aux intimités et offrant aux femmes la possibilité de renouer avec leur identité pour mieux se situer dans la relation avec l’homme, seraient assurément constructif. Offrir un urbanisme de haute qualité d’égalité au plus grand nombre d’habitants, quels qu’en soient le statut, le genre et l’âge, c’est rendre la ville plus démocratique. Son usage est mixte, travailler sur le mieux vivre des femmes, c’est travailler pour le bien-être collectif. Et c'est justement dans la ville que s’écrivent les évolutions qui bouleversent l’ordre social3. Reste à nous de les stimuler. Ma conviction intime étant que nous puissions parvenir à améliorer la situation des femmes -logées où sans-abri- et le vivre ensemble par l'ouverture d'esprit et l'architecture. Les architectes et urbanistes sont mis en cause, ils doivent prendre conscience du son nécessaire affranchissement de cette doctrine genrée pour penser la nouvelle ville. Ce mémoire ne règle pas le problème de

Denefle S., Utopies féministes et expérimentations urbaines, p. 196. James K., A Vif. Denefle S., Utopies féministes et expérimentations urbaines, p. 197 68


l’errance féminine, mais il propose quelque chose de fondamental : un dialogue. Un dialogue qui apporte reconnaissance, solidarité et union entre les lotis et les nonloties. Il brise les idées reçues et met en évidence les complexités de ces citoyennes, que certains tentent d’opposer, de mettre à l’écart ou d’oublier. Les présenter comme des personnes inintelligibles, indignes au bonheur, abjectes ou ne pas les représenter du tout nourri la différence. L’éloignement et le mépris persisteront tant que seule l’ignorance nous servira d’intermédiaire. Alors pourquoi conclure ? Pour faire savoir qu’il n’y a pas de réponses immédiates, mais nombre de questions récurrentes imposées par la permanence du doute ; ce doute qui est primordial de cultiver pour ne pas scléroser le dialogue, et peut-être ouvrir des espaces de parole. Pour éclairer les femmes sans-abri et changer notre regard sur la précarité féminine et sur nous-même. Pour réfléchir sur la fabrique du genre, largement véhiculée dans l’intimité du foyer, l’environnement éducatif, l’information et les espaces de culture et d’éveil intellectuel. Pour promouvoir l’engagement citoyen, la politisation architecturale et expérimenter de nouvelles tactiques pour tendre à l’hospitalité urbaine contre l’hostilité tenante. Pour objecter aux actions publiques aussi violentes qu'absurdes, n’ouvrant que sur des impasses inhumaines. Avant d'arriver à un monde meilleur il faut d'abord le rêver... à bientôt pour en parler !

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ANNEXE ENTRETIEN AVEC NELLY SACHE

GUIDE DE L'ENTRETIEN Enquêté : Nelly Saché Age : 49 ans Sexe : Femme Statut matrimonial : Mère Infos sur conjoint(e) : Mariée à l’homme qu’elle a rencontré dans la rue. Lieu / statut d’habitation : Actuellement logé dans un appartement en location à Tours. La prise de contact avec l’enquêté : Via le contact de Maelle, bénévole à l’Interm’Aide, qui m’a mis en contact avec Benedicte, directrice du centre d’accueil. Par la suite, elle m’a mise en relation avec Nelly. L’entretien s’est déroulé le lundi 02 février 2019 à 14h10. Pour la situation de l’entretien : Nous sommes seules dans une petite pièce, éclairée en second jour, à L’interm’Aide, un accueil de jour pour les femmes SDF à Tours. Notre rencontre a duré 1h environ pour 40 minutes d’enregistrement. C’était mon tout premier entretien. Il fut essentiellement pour recueillir des données sur la pratique de la ville, ses sensations, ses limites, par une femme qui a vécu à la rue. Présentation générale : Pouvez-vous vous présentez? Pouvez-vous m’expliquer votre parcours? (ville d’origine, école, rue) Vous êtes restée à la rue combien de temps? Comment en êtes vous sortie? La pratique de la ville : Quelle était votre journée type? Que représentait l’espace public des villes? Les rues, la gare, les transports... Quels étaient les espaces que vous fréquentez la nuit? Quels étaient les espaces que vous fréquentez le jour? Y avait il des endroits que vous évitiez dans l’espace public? où vous vous sentiez en danger, plus exposé à du harcèlement ou des agressions? Y avait il des endroits qui vous paraissez accueillants? (pourquoi ils étaient accueillants?) Projection : Qu’est ce que les urbanistes et politiques des villes pourraient faire pour améliorer la ville ? Comment vous vous sentirez mieux dans la ville ? 71


Philippine Barbato : Vous pouvez commencer par vous présentez Nelly Saché : Je m’appelle Saché Nelly, j’ai 49ans, je viens juste de me sortir de la rue. En fait j’étais avec un homme et je suis partie en urgence pour violences conjugales ; qui veut dire que j’ai abandonné mes enfants, j’ai tout laissé tomber et je me suis retrouvé 8 mois à la rue. Qui veut dire dormir dans des cages d’escaliers, savoir où prendre des douches, savoir où je vais dormir le soir. Quand t’es malade tu sais pas comment faire. Les gens, tu leurs dis t’es à la rue, on est des moins que rien. Donc tu vois je me suis retrouvé à la rue et heureusement, j’ai trouvé mon mari. On s’est retrouvé 8 mois à la rue, j’ai fais un AVC. Je connaissais pas ici. Tu sais que étant femme on a des questions d’hygiène, tu sais pas où aller prendre ta douche, tu sais pas où aller manger, quand tu demandes aux gens c’est chacun pour soi, personne t’aidera. Donc avec mon mari on a dormi trois semaines, je te jure que j’ai cru que j’allais mourir, trois semaines dans une maison de retraite qui n'était pas désinfectée. J’ai été obligé d’escalader trois escaliers pendant trois semaines. J’ai fait crise d'asthme, j’ai fais un AVC. Ça été compliqué, et tu te regardes pas comme femme, tu dis “t’es qui toi”, tu te poses pleins de questions. Tu te dis t’as été maman et tout d’un seul coup tu tombes SDF. Bah les gens te regardent pas pareil, mes enfants m’ont pas du tout regardé pareil, ils m’ont rabaissé. On a fait les démarches mon mari à comme même réussi à travailler on a payer 6000e d'hôtel pour quinze jours, pour que le patron de l'hôtel te dise “on accepte plus les clochards”, donc ca a été la vie dure. Donc après j’ai eu une dame qui m’a ramené ici. Ici ils m’ont fait mange à la cuillère, j’était basse basse basse. Donc au début je me reposer, je dormais. Ils m’ont appris à remanger, à re-avoir confiance en moi, à revivre. Sinon on dormait à la rue. Mon mari embauché à 5h30 ; moi j’attendais de 5h30 à 9h30 à la gare, pour que ca puisse être ouvert ici. Intermaide m’a beaucoup aidé. Elles te jugent pas, elles te comprennent, toi t’ose pas venir. Tu te dis mais t’es maman, mais comment ca se fait que tu arrives à la rue? Moi je sais que c’est un homme qui m’a mis à la rue. C’est vrai je reviens à ta question, les hommes, quand t’es à la rue ne te regardent plus comme avant. Pour eux t’es des moins que rien, tu leurs dois tout, tu dois tout leur donner. Et c’est pas possible donc la j’ai abouti. J’ai vu une psychologue qui s’appelle Ghislaine ici. Donc on a commencé à parler de mes papiers, que j’étais à bout, que j’en pouvais plus. Je leur ai dis que je cherchais un appartement. Donc tous les matins je me levais à 5h30 j’attendais à la gare, pour que ca ouvre. Ici c’est bien parce que tu peux manger, prendre ton petit déjeuner, faire ta cuisine et prendre ta douche. Mais quand arrive 18h et que t’appelle le 115 et qu’on te dis qu’il n’y a pas de place. Toi étant femme, bah je devais dire à ma mari excuse moi mais on va être obligé de dormir dans une cage d’escalier ce soir. Et pendant 8 mois ca a été ca. T’es sali, les gens te regarde pas pareil, t’es obligé de faire la manche pour te nourrir. T’es obligé de dire, t’avales ta fierté, et tu demandes “vous auriez pas 1 ou 2 euros”, et les gens te disent bah vous pouvez pas allé travailler. Tu veux répondre quoi? Tu peux pas leur répondre. Et tu vois maintenant je m’en suis sortie. Maintenant j’ai un appartement tu vois, c’est comme toi. J’ai un appartement. Je fais partie de deux associations. Donc je sais pas si tu connais la table de Jeanne-Marie? C’est une associations qui se trouve rue Febvotte, ya des migrants, des femmes et t’as le petit déjeuner à 9h30 jusqu'à 11h30, de 11h30 trouve rue Febvotte, ya des migrants, des femmes et t’as le petit déjeuner à 9h30 jusqu'à 11h30, de 11h30 à 13h30 tu manges, moi je suis responsable des vestiaires. Le samedi je donne des vêtements gratuitement et là on m’a proposé une autre place pour aider. Si tu veux les femmes qui sont ici, j’essaye de les intégrer avec les autres pour qu’elles viennent manger. Mais c’est très dur. En faite, ce que moi j’ai vécu, je veux pas qu’une autre personne le revive. Mais oui j’ai souffert. Psychologiquement… On m’a coupé les cheveux, on m’a uriner dessus, on m’a tapé dessus. PB : Vous avez subi des violences dans la rue? NS : Oui. Tu sais tu essayes de dormir, tu donnes pas une cigarette, on te pisse dessus. Même mon mari qui est un homme on lui a coupé ses locks, on lui a piqué son portefeuille. On nous a volé nos vêtements. On nous a uriner dessus. On nous a craché dessus. Mais elle est ou la loi? Comment ca se fait qu’une femme malade comme moi, ou d’autres femmes, on est encore dans la rue? J’ai été voir une assistante sociale, elle me dit “vous avez la tête sur les épaules, vous pouvez vous débrouiller toute seule”. Donc j’ai mis 8 mois pour trouver un appartement. Mais pas avec l’OPAC, 72


j’ai été obligé d’aller en privé. Je paye pour un 33m2 450 euros. Et à cause de ca le juge m’a enlevé mes enfants. J’ai plus la garde. Quand t’es dehors c’est “tu prends de la cocaïne, tu prends du shit, tu prends de l’alcool” t’es pas solvable pour élever ton fils. Donc mon fils je suis obligé de le voir dans une association. J’ai mi 1 an avant que la juge accepte que je puisse le voir. Je me suis battue. Et je me battrais encore. Tu sais quand t’es à la rue, les juges te vois, t’as pas d’appartement donc tu peux pas prendre un enfant. T’as pas d’argent, tu peux pas nourrir ton enfant. Mon ex conjoint avais dit que je prenais de la cocaïne, du shit et tout ca, donc parole contre parole et bah elle m’a dit Madame Sachet vous pouvez pas voir votre fils. Et pendant un an je suis tombé dans la déprime. Tsais un moment, heureusement qu’il y a mon mari, je lui ai demandé, pourquoi me relever, si on m’enlève mon fils. A Tours tu as des camions ou tu vas chercher à manger, la croix rouge, le restau du coeur, et quand j’y allais, un homme qui voit une femme, t’es belle quoi. Toi t’as juste envie de prendre ta nourriture et t’es pas respectée. PB : C'est un sentiment universel mais qui est sûrement plus important quand on est une femme non ? NS : Oui c'est plus important quand tu es une femme. Mais quand t'es une femme à la rue t'as le droit d'être belle, et c'est pas parce que t'es à la rue que tu n'as pas le droit de bien t'habiller. Eux ils acceptent pas ; si t'es à la rue c'est si t'es belle pourquoi tu viens ici ? Ya pas de respect. On te crache dessus. On m'a pris mon vélo. On a pris tout mes vêtements, tout mes papiers. J'ai écrit au préfet j'ai pas eu de réponse. Mais c'est plus dur pour une femme. Après je connais pas la condition des hommes. Mais moi je dis que c'est plus dur pour une femme d'être à la rue, surtout quand elle peut pas avoir ses enfants. J'ai vu des femmes avec un bébé de trois semaines dormir dans le crédit agricole de Jean Jaurès. C'est pas possible, on est dans un monde ou il faut s'aider. Et après je comprends quand on dit j'ai plus envie d'avancer, je pose mes bagages et oubliez moi tous. Tu vois la j'arrive à te le raconter bien, c'est la première fois ; avant l'assistance sociale elle me posait les questions j'avais du mal, mais la j'ai avancé, donc je veux que ses femmes d'intermaide avancent comme j'ai avancé. Après je peux pas me permettre de leur raconter ma vie, j'ai pas envie qu'elles tombent dans le désespoir. Moi je m'en suis sortie mais yen a qui ont pas de papier donc c'est pas la même situation. Même les bénévoles quand elles me voient elles me disent mais Nelly, t'as évolué. Je te dis pas que je suis pas traumatiser, ya des choses qui resteront gravé. J'ai vu une jeune fille, ya deux gars qui lui tombé dessus, on a été obligé de la séparer avec mon mari, j'ai voulu la séparer je me suis pris des coups. Mais tu peux pas laisser une femme se faire agresser. Même mon mari je vais t'expliquer, un homme qui était à la rue on lui a coupé ses tresses. Et il a eu la honte aussi. Il s'est dit on est un couple, on est à la rue, mais comme mon mari travaillait à cette époque là, on nous a dit on peux pas vous aider car vous êtes solvable. Bah 6000e d’hôtel faut les donner. Mais oui pour les femmes c'est dure. J'ai vu des femmes enceinte dormir dehors avec des couvertures, dormir à la gare et quand tu fais le 115, par exemple on va te dire oui à 16h il y a de la place mais à 18h a bah non il n'y a plus de place. Le problème c'est que à Tours. Je crois que tu as que un foyer qui accepte les femmes. Et moi quand j'ai connu mon mari à la rue on voulait pas se séparer. On avait commencé ensemble, on voulait finir ensemble. PB : Quand vous êtes arrivé à la rue, vous avez directement rencontré votre mari ? NS : Mon mari qui m'a violé jusqu'à la fin, qui m'a battu , ya un moment ou oui j'ai abandonné mes enfants, je suis parti. Et on était dans un parc, on a échangé un regard, bon j'étais obligé de rentrer dans les deux jours parce que je voulais voir mes enfants. Et depuis le 10 août 2017 on s'est jamais lâché. Et on a avancé ensemble. Tu vois je buvais. Je veux pas que les gens nous juge parce qu'on a de l'alcool. L'alcool, malheureusement c'est un soutiens pour toi. Tu veux parler avec qui, si t'essayes de parler avec des gens, on va te dire si vous avez tel avenir c'est que vous l'avez cherché. Essayez de me comprendre avant de me juger. Ya beaucoup de gens qui sont à la rue. Tu sais j'étais prête à faire un livre, mais pour l'instant j'ai d'autres préoccupations. Mais oui j'avais envie de faire un livre, me dire voilà je suis la femme de la rue. Même donner mon nom en disant voilà j'ai vécu ca et ca. 73


Et si on veut, on peut s'en sortir, mais c'est dur. Mais j'aurais été toute seule, j'aurais pas été entrain de te parler. Je serais sous terre. Si j'avais été toute seule, franchement, j'aurais été sous terre. Je te le dis honnêtement. Tu dis que les femmes c'est difficiles mais un homme qui a une fierté c'est très difficile pour lui aussi. Moi je cotois des gens qui sont à la rue, ils ont 16-17 ans. Dans le monde on fait pas attention, on s'occupe de femme et d'hommes mais on voit pas les mineurs qui sont en détresse. Ils veulent remonter mais quand t'es à la rue et que tu n'as pas d'appartement comment tu veux trouver un boulot. Il faut que tu te laves, il faut que tu dormes. Dans ces cas la tu trouves pas de travail. C'est un cercle vicieux. Ils peuvent pas avoir le RSA. Je croyais pas que j'allais pouvoir m’en sortir, il faut avoir beaucoup de caractère, il faut être à plusieurs. Il faut faire le tri aussi, t'as les gens qui veulent pas du tout s'en sortir et t'as les gens qui essayent de monter de temps en temps. Justement le rapport à l'espace public en tant que femme, est ce qu'il y avait des espaces dans la ville à bénir, des endroits dans lequel vous n'alliez pas parce que vous vous sentiez plus victimes, moins à l'aise. J'allais pas ou il y avait des hommes. Un homme qui est seul et qui voit que tu t'habilles bien parce que tu veux t'en sortir il va te regarder en te disant qu'est ce que tu fais ce soir. Non je ne peux pas. En sachant que je suis une femme violé depuis l'âge de 4 ans je peux pas me permettre de côtoyer beaucoup d'hommes. PB : Du coup les espaces dans la ville dans lequel vous vous sentiez bien ? NS : C'est intermaide ici, où il y a que les femmes. PB : Et vous y étiez la journée ? NS : Oui je peux prendre ma douche, le soir je rejoignez mon conjoint, on se donnait rdv. Et des fois ça nous arrive qu'à 22h on avait pas de squatte, et bah on dormait dans des cages d'escaliers. PB : Vous parliez de la gare à un moment. NS : En faite mon mari travaillait à la gare le matin à 5h30 du coup j'attendais jusqu'à tant qu'ici ça ouvre. PB : Pourquoi vous choisissiez la gare ? NS : Parce qu'il y avait des contrôleurs, j'étais rassurée, j'étais pas toute seule, par exemple je me serais mise sur les quais, c'est pas possible, je sais pas ce qui me serait arrivé. Je voulais que s'il m'arrive quelque chose, je criais et quelqu'un pouvait me protéger. En fait c'est une protection. Tu peux pas rester toute seule. Même mon mari il avait peur quand il allait travailler. Mais on avait pas le choix. Si tu travailles pas. Pour travailler faut survivre, pour survivre faut manger, si tu travailles pas tu manges pas. PB : Donc vous passiez la matinée à la gare et le reste du temps à l'Intermaide ? NS : Au début je suis venue parce que je dormais pas la nuit, j'avais un problème de fer, je mangeais plus. Au début je mangeais et je dormais. Ils m'ont fait rencontrer une psychologue et après au bout de trois quatre mois j'ai commencé à remonter la pente. Et en fait quand tu remontes la pente ya toujours quelque chose qui t'arrive derrière. Mais je me suis mise une claque dans la figure. Je me suis dit Nelly bouge toi et essaye d'avancer. T'as les marques psychologiques et les marques physiques aussi. T'es marqué de partout. Même j'en parle maintenant j'ai encore des séquelles. Mais si je vis avec mes séquelles j'avancerais jamais. C'est très dure oui. Tu te regardes dans la glace le matin, tu te dis, Nelly tu travailles dans une association, comment t'as fait pour t'en sortir ? Quand on veut et quand on est aidé. Quand je suis venue la première fois, j'ai monté les escaliers, je me suis assise sur les marches, je me suis dit Nelly c'est honteux. Qu'est ce que tu fais ici ? T'as pas honte de toi ? Et je me suis mise à pleurer, je me suis dis bah tant pis, je peux plus. Je suis rentré, je leur ai expliqué ma situation, ils m'ont super bien aidé. Voilà. C'est dur, surtout quand t'es maman et que 74


tu t'es obligé d'abandonner tes enfants, que tes enfants te parlent plus parce que ya ça ça. Je vais essayer de pas pleurer, mais désolé. Tu sais quand tu vois des femmes en détresse j'arrive à les aider et je me dis Nelly tu étais comme elles. Et tu peux pas forcer une femme à aller à un endroit surtout ou il y a des hommes. Tu sais comment est un homme, donc t'as le regard. Comme moi j'ai été violé de 4 ans à 18 ans. Tu vois j'ai eu 3 hommes, c'est le seul homme qui me tape pas et qui me viole pas. Sinon tous les autres voilà... C'est pour ça que j'ai le regard de la rue. Tu changes de caractère. Je vais être honnête, une femme va m'insulter dans la rue, je vais lui rentrer dedans. Tu n'as plus le contexte de quand t'étais maman, et quand t'es à la rue t'es obligé d'être méchante. Tu peux pas te laisser faire. C'est vrai que par moment si je pouvais taper, je taperais. C'est la rue qui t'apporte ça. Parce que avant j'étais une femme, une maman quoi. Et à la rue, si on te tapes, bah tu tapes. Même si toi t'as pas envie, mon père et ma mère m'ont pas éduqué comme ça, mais je l'ai fait. Je me suis même retrouvé en garde à vue. Tu vois tu vas au commissariat tu dis, mon mari m'a violé. Ils te disent, non on peut pas prendre ta plainte parce que vous êtes marié avec. Je parle depuis peu. Je suis toujours suivie par un psychiatre. Il y a des séquelles que tu peux pas oublier. Et d'en parler c'est bien. C'est bien pour moi mais ça me remémore des flash. Des flash comme tu dors t'as pris sa place, il va se déshabiller et te pisser dessus. Quand tu veux aller te laver on te dis non il n'y a pas de place. T'imagine pour une femme, rester 48h avec de l'urine d'un homme que tu connais pas. Ya beaucoup de gens qui m'en veulent parce que je m'en suis sortie. Ah oui. Il y a beaucoup de jalousie. Je suis une maman j'ai envie de revoir des enfants. J'espère que tu rencontreras d'autres femmes. Mais ca va etre très dure. Quand t'es dans la rue, t'as envie de parler à personne, t'es dans ton monde. PB : J'ai vu des femmes à la gare, à Rennes. NS : A rennes il y en a aussi ? PB : Bah oui. NS : Plus qu'à Tours ? PB : Alors ca je sais pas. NS : Et donc tu as rencontré une femme. PB : En faite je lui ai pas parlé parce que je me sentais trop extérieure, je pouvais pas me permettre de lui poser des questions NS : Tu peux rentrer dans sa vie, c'est normal. PB : Cette femme là elle avait deux sac de course, elle s'est mise à un endroit, elle paraissait vraiment.. elle était belle, elle était pomponné, comme une personne normale. NS : T’as vu, t'as vu. PB : Personne n'aurait pu dire qu'elle était SDF. Du coup je la vois, elle reste une vingtaine de minutes ici, et au bout d'un moment elle se déplace pour se mettre à un autre endroit et la je me suis dit, avec ce que j'ai commencé à lire, ca m'a tilté et je pens que cette femme doit être en situation d'errance. Puisque le fait qu'elle bouge d'endroit c'est presque pour pas se faire voir, pas se faire reconnaître. NS : Voila ! Être discrète. Tu sais tu peux avoir des femmes bourgeoises, pas bourgeoise mais qui sont bien maquillées, mais si tu savais ce qu'elles ont au fond d'elles. C'est dur. Tu l'as revu depuis ? PB : Non, je l'ai jamais revu cette dame. Je l'ai seulement vu une fois à la gare. NS : Ah ça t'as marquée ? 75


PB : Bah oui, je me suis dit que c'était vachement révélateur de la condition de la femme, comment nous on est dans l'espace public. On est obligé de se faire discrète parce qu’on a peur de pleins de chose. NS : Un homme peut se montrer. Un homme peut se montrer. PB : Plus facilement oui. NS : Alors qu'une femme. Tu sais si t'es bien maquillé et que t'es à la rue mais tu vas avoir des jugements, bon bah tiens, je peux pas te dire le langage parce qu’on est entrain d'enregistrer, mais un homme quand il voit une belle femme c'est direction tu viens dans mon lit. Alors que nous, c'est pas ce qu'on recherche. Tu vois des fois tu vas avoir des belles femmes mais elles tombent dans l’alcool, dans la drogue, surtout, je vais te dire que je le dis à tout le monde, ne juger pas ces personnes, si on ne sait que nous. Toi pour l'instant t'es étudiante mais tu sais pas ce qu'il peut t'arriver dans l'avenir. C'est ce que je dis toujours aux gens, ne jugez pas ces gens la. Si il y en a qui se le permette de juger, avant, apprend de connaître la personne. PB : Oui c'est sur, c'est certain. NS : C'est dur ton quand même ton boulot, si tu dois t'accrocher, bon la t'as moi mais je pense que t'auras d'autres occasion de voir d'autres personnes. Mais tu sais que, moi j'ai mis du temps à me libérer, c'est très dur à se libérer, à parler en disant voilà il m'est arrivé ça ça ça. Et par contre sur ton livre tu peux mettre ton livre, ça me dérange pas du tout, tu peux mettre, voilà, Nelly Saché, tu peux mettre mon vrai nom. Au moins, pour moi ça n’importera que je pourrais aider d'autres gens. PB : Bah c'est bien, c'est génial. NS : Ouais c'est vrai t'es contente ? La tu vas pouvoir faire un petit résumé, donc bon je sais pas. La tu fais un résumer c'est ça ? PB : Bah ouais, en faite je vais tout réécrire, tout ce que vous m'avez dit. Et ensuite je vais prendre ce qui m'intéresse pour expliquer heu. NS : Tu peux donner mon nom comme ca. Avant j'avais envie de me cacher, mais je me dis ca m'est vraiment arrivé. Au moins montre que t'es une femme bien et que tu peux t'en sortir. Donc après tu vas le montrer à ton exposé de.. PB : Ouais. NS : C'est ce que a mal fait la journaliste, l'assistante sociale journaliste, elle avait exposé. Mais elle. J'espère que j'aurais des contacts avec toi, avec elle j'ai plus d'autres contacts. PB : Je vais faire comme un petit livre, un petit livret. NS : D'accord. PB : Et du coup je vais l'imprimer en plusieurs modèle. Et j'en donnerais, je vous en donnerais un NS : Ah ouais. PB : C'est promis. NS : Moi ca me permettra de voir ma vision de vie et me dire que peut etre je peux encore plus avancer et monter plus haut. 76


PB : Vous êtes ambitieuse c'est bien. NS : J'ai d'autres associations, j'ai heu, j'ai pleins d'associations qui me proposent. Donc voilà. Et j'ai mes enfants à côté aussi. PB : Faut s'occuper de tout le monde un petit peu. NS : Voilà c'est ça. PB : Mais faut penser à vous hein, c'est le plus important. NS : Alors je vais te dire honnêtement ça fait que trois semaines que... maquillage, soins, tout ca. Ca fait que trois semaines. C'est quand on t'as toujours dit dans ta vie, t'es nulle, t'es une illettré. Puis tsais quand t'as toujours été violée, t'oses plus regarder ton corps. Tu te dis, t'as été violée étant petit, dans la rue ca t'arrives, tu te dis mais c'est toi qui chercher ça? Tu vois, tu voilà. PB : On se remet la faute sur soi-même. NS : Oui, c'est ça. Et tu vois, après je vais être méchante. La personne qui me l'a fait elle est décédé. Je te jure je suis la plus heureuse. J'ai un poids qui m'est parti du truc voilà. Et en plus je vais te le dire, bon je suis sincère c'est le mari de ma mère et ma mère, je lui ai dit ça à l'âge de 4 ans, elle m'a dit je peux pas partir si j'aime cet homme. J'ai dit tu préfères aimer un homme que t'as fille, elle m'a dit oui (voix tremblante, larmes aux yeux). Et maintenant que la personne est décédé. Tu vois tout le monde m'appelle, j'ai dit non à tout le monde. Voilà. Bon t'as d'autre questions. Elle reste babou la (rires).

PB : Je vous écoute, je vous écoute (rires). NS : J'espère que je t'aurais bien conseillé, que je t'aurais bien dit ce que je pensais. PB : Très très bien. Bah du coup, je voulais juste savoir. Oui dans les espaces que vous fréquentez la nuit, avec votre mari. Vous m'avez parlé surtout de cage d'escaliers. NS : Des cages d'escaliers, tu dors dans des garages, et encore si à 4h30 la police te dit pas prenez vos affaires et partez. PB : Ouais. Et jamais vous vous êtes retrouvé NS : Non on voulait pas se séparer. On s'aime tellement qu'on voulait pas se séparer. Mon mari savait que j'avais beaucoup de problèmes de santé à cette époque la. PB : Il fallait vous arrêter quoi qu'il en soit. Vous posez dans un endroit pour vous soulager. NS : Voilà, on est en allé 3 semaines jt'ai dis dans une maison de retraite, j'ai fait une crise d'asthme mon mari croyais que j'allais y passer. Après on a dormi dans des cages d'escaliers. Après tu dors dans un parc, après bah t'essayes de dormir. Je vais être honnête des fois t'essayes de voir si ya des caves qui sont ouvertes. Tu dors dans les caves. Mais heu, tu dors pas. En fait, c'est, jsuis là, tu te dis qui va me réveiller. Ou alors si tu dors dans la rue ; ou alors tu dors dans une banque et la police te dit vous pouvez dégager et tu, en fait tu deviens parano. Et ouais tu deviens parano. Et en fait t'as envie de taper. Toi t'as ton toit, quand tu vas rentrer chez toi et moi non. Et tu vois j'ai fait un AVC jme suis retrouvé dehors. Heureusement qu'il y a mon mari. PB : Et du coup l'intermaide ici ça ferme à 17h30 tous les soirs.

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NS : 17h30, ya des jours qu'ils sont pas ouvert. Bin comme mon mari fini à 18h30 PB : Vous attendez jusqu'à 18h30 déjà. NS : Bah 17h30 ici. Et quand il finissait à 18h30 je me mettais à la gare. Je sais que j'avais un coin ou yavais beaucoup la police qui passait, j'avais un monsieur quand même qui me surveillait. Tsais vaut mieux être dans des lieux publics, puis une femme, dehors en pleine nuit et en plein hiver. Nous on a du faire Chambray, dormir à Chambray et pour faire mes papiers faire Chambray et Tours à pieds. Et pis la gare comme elle a fermé tu peux pas dormir dans les train. PB : Parce que oui, justement, la gare c'est ouvert toute la nuit. NS : Non c'est fermé maintenant. A cause de Vigipirate. Tu peux plus dormir dans les trains. PB : Et dans le Tram, ca vous est arrivé de dormir dans le tram ? NS : Bah on attendez, nous avec mon mari on faisait les aller-retour jusqu'à temps que ça ce termine pour être au chaud. Mais tsais par exemple à 22h tu peux être dans un coin à 23h t'es à la police, t'es obligé de reprendre, t'imagine, toutes tes affaires et repartir dans un autre squat. Ou des fois t'es à plusieurs. Ca nous est arrivé d'être à plusieurs mais tu dors pas. Tu te dis heu, tu connais pas la personne, puis moi c'était que avec des hommes, mon mari me surveillait voilà. Franchement on a dormi heu, au parking à Anatole France. Yavait de la pisse de chien, on mettait des couvertures. On était obligé d'aller à la croix rouge tous les jours pour avoir de nouvelles couvertures. Avant de connaître ça mon mari m'avait emmené à la halle du jours, ya que des hommes. Imagine t'es une seule femme à prendre ta douche. Bah on arrivait à 8h30, bah je disais à mon mari tu prends ta douche avec moi. On avait pas droit mais on avait pas le choix. Je pouvais pas prendre ma douche toute seule. C'est dur. Après avant de connaître ça fallait qu'on lave notre linge PB : Du coup dans la journée vous deviez faire énormément de marche pour une fois trouver un endroit pour dormir, une fois pour allé faire son linge, une fois pour se doucher NS : Pour faire les papiers PB : Oui. La mobilité est énorme. Vous aviez sur vous toutes vos affaires en plus. NS : C'est ça. T'as pas le choix PB : Tous les jours vous deviez marchez au moins 10km NS : On a compter, tous les jours on faisait au moins 20km, à pieds. Et des fois on prenait le tram pour aller dormir mais on se disait si on fraude, on va se ramasser une amende. Et les contrôleurs ne comprennent pas. Alors on faisait Tours-Joué-les-Tours à pieds. Matin et soir. Et moi je te dis j'avais ça d'escaliers à monter. Avec les sacs, les reprendre les ressortir. Tu sais normalement tu peux les poser tes affaires. Mais moi étant femme, tu touches pas à mes affaires. Mon mari laissait ses affaires mais moi je les emmenaient. T'imagine quand tu as tes règles, tu sais même pas ou mettre, te doucher. Tu restes pendant par exemple. Moi personnellement je me suis vue me laver à la Loire. Parce que personne ne m'accepterait pour allé prendre une douche. PB : C'est à dire personne ne vous acceptez ? NS : Avant, bah avant je connaissais pas ici, j'allais pas avec les hommes alors se que je faisais, j’attendais le soir, je prenais mon savon et je me lavais à la Loire. Par contre oui, j'ai attrapé des maladies. Pas maladies truc. Mais j'ai chopé des boutons tout ça. Une femme, tsais t'as une parc de l’île Simon. On passait par dessus avec mon mari, on avait pas le droit. Il me surveillait, je me lavais, 78


et on repartait. Pour une femme c'est très dur. PB : Et du coup, ici l'intermaide c'est un centre qui est que pour les femmes. NS : Que pour les femmes. PB : Et vous pensez qu'il faudrait développer ça. Faire des centres que pour les femmes. C'est peut être une des seules manières de se réinsérer pour une femme quand elle a connue. Quand elle a connu des choses difficiles. NS : Tu sais, oui je peux, mais elles vont mettre du temps avant de remonter les marches. T'as ta fierté de femme. Et t'as ta fierté de maman. Donc tu peux pas tout faire. Mais ici ils aident bien franchement. Moi c'est grâce à eux que je m'en suis sortie. PB : Et à partir de quand vous êtes arrivé ici, c'était quoi le temps entre le moment ou vous êtes arrivez à la rue, et le moment ou vous avez connu l'intermaide ? NS : Ici, le week-end, quand mon mari avait des sous, on allait à l’hôtel, et un jour sur la nouvelle république j'ai vu un appartement, un 33m2, et ce jour là c'était notre dernière nuit d’hôtel. On avait plus d'argent. On avait rien du tout. Et j'ai appelé la personne j'ai dit est ce que je peux visiter l'appartement. Il a était un petit peu pas bien si je touchais que le RSA. Je lui ai expliqué comme toi, écoutez monsieur, je suis à la rue depuis 8 mois. Ce que je demande c'est d'avoir un appartement. Le lundi j'ai visité l'appartement, le samedi on quittait l’hôtel, le vendredi le monsieur il m'a dit venez, je vous donne les clefs à 15h. C'est pas un appartement heu, il est plein d'humidité, mais, je rentre chez moi, j'ai mes clés, on me dit pas comme à l’hôtel, vous avez donné 6000e, j'accepte plus les clochards chez vous. Tu vas où ? Et pis j'ai mis du temps et après bah comme on avait pas à manger, on m'a proposé la table de Jeanne-Marie, c'est la que j'ai demandé si je pouvais travailler. Ça m'a permit d'évoluer. PB : Quand quand vous étiez du coup, avant d'avoir votre logement, vous m'aviez parlé de faire la manche. NS : On faisait la manche, fallait qu'on mange. PB : Et c'est comme ça que vous achetiez à manger. NS : Non je volais, je suis honnête avec vous. J'ai volé pour 100e, en même temps fallait qu'on mange. Et la manche je faisais soit pour acheter des cigarettes, soit pour avoir du gel-douche, soit pour se dire, même si t'es à la rue t'as envie de te faire un plaisir. Donc dès que je gagnais, yavait des gens qui me donnait des caddies quand même. J'avais un petit jeune qui était avec moi il me donnait quand j'avais pas. Et quand t'as 20e avec mon chéri je lui dis viens on va à l’hôtel, on va allé dormir une nuit. En sachant que l’hôtel faut comptait entre 30 et 40. Lui les sous qui travaillait c'était pour mettre à l’hôtel. Et on ose te dire t'es une clocharde après. Donc voilà. Je t'entends plus là. Je te regarde (rires). Tu m'observes là. Tu connaissais pas des gens comme moi ? PB : Heu non, c'est la première fois que je rencontre quelqu'un. NS : Tu me diras ce que tu en penses. Vas-y continu. PB : Bah du coup juste j'ai commencé un petit peu à regarder. Et les architectes et les urbanistes qui s'engagent là dedans et qui veulent trouver des réponses, j'ai commencé à regarder et j'ai vu qu'à Montreuil, vers Paris je crois, ils ont installé des casiers pour les personnes en errance. Du coup des grands casiers pour mettre des gros sacs.

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NS : Ah oui ya ça à la gare PB : A Tours il y a ça aussi ?

NS : A la gare, humm je sais pas, heu non. Vas-y je suis pas sûre. PB : Alors du coup je me dis que par exemple pour une femme ça pouvait être quelque chose de quand même assez bien, qui allégerait d'une certaine manière. Parce que vous m'avez parlé du fait que vous aviez votre sac avec vous, que vous voulez le garder ; et le mettre peut être dans un casier, fermé, ça libérerait déjà d'un poids énorme pendant la journée. NS : Mais ça sera pas gratuit. PB : Bah je crois qu'à Montreuil c'est gratuit. C'est déjà des petites choses comme ça qui pourrait améliorer en fait. NS : Ah oui c'est bien. C'est bien mais ça t'enlève pas. C'est très bien. T'as moins de trucs. Mais le soir tu vas récupérer ton sac, et le soir tu vas appeler le 115 et on te dira t'as pas de place. Après oui tous les jours. Mais imagine t'as 20km, tu vas pas mettre dans ton casier en disant j'ai encore 20km à faire faut que je reprenne mon sac tout ça. Après bah c'est dur mais faut dire tant pis, je garde mon sac. Comme ici tu vois c'est bien pour les femmes, la ya des casiers, ya un truc où ils peuvent mettre leur vêtements. Mais tu sais t'es habitué, qui te dis qu'on va pas te le voler. Tu deviens parano à force. Donc t'oses plus laisser tes affaires nul part. Par contre les sacs ils sont gros oui. Tu sais même quand on dormait à Joué-les-Tours on dormait dans un zone on savait qu'il y avait que des dealers. Et le soirs t'entendais plus un bruit. Heeen, je réveille mon mari, jdis j'ai peur. Mais j'ai quand même fais pendant trois semaines. Mais je suis allé voir le médecin pour qu'il me donne un traitement pour que je puisse dormir. Et ouais c'est chaud. PB : Du coup vous faisiez des petites nuits la nuit, puisqu'on dort pas bien forcément, et la journée vous reposiez encore à l'intermaide. NC : En fait c'était une maison de retraite qui était cassé et il y avait pleins de morceaux de verre et tous les soirs. PB : En fait c’était une maison de retraite mais c'était un squat. NS : Bah mon mari avant de me connaître il l'avait connu, lui il pensait pas en tant que femme qui j'allais le suivre. Mais quand tu l'aimes et que tu as besoin d'amour, bah j'ai suivie. Et c'était des morceaux de verre du coup le soir t'entendais puc puc. Ça fait qu'on avait une pièce mais qui était sale, et nous on avait acheter des balais pour nettoyer, comme c'était des lits de maison de retraite on mettait tout contre la porte et les jeunes à la force ils nous ont vu, on est resté trois semaines. On faisait pas le bazar, on partait le matin à 7h30 et on venez pas avant 23h. On aurait pu se faire arrêter par la police. Mais on était discret. PB : Mais cette maison de retraite, elle est encore en activité ? NS : Non PB : Ah oui c'est ca, elle est abandonné. NS : Ouais. Et maintenant tu vois on est repassé avec mon mari. Des fois on repasse, là où on a dormi, et maintenant tu peux plus y rentrer. PB : Ah ouais 80


NS : Oui, nous on a eu de la chance. Sinon on aurait pu être héberger mais heu, quand tu demandes aux gens tu peux pas m'héberger, t'as pas 300 euros à nous donner ? Attend, je suis à la rue, et toi t'oses me demander 300 euros ? Bah vaut mieux dormir dehors hein. Tu sais de fois, je préfère dormir dehors avec mon mari, avoir peur plutôt qu'on te demande, donne nous de l'argent. Ou alors tu vas t'installer un lundi et maintenant tu pars parce que t'as rien. Non. Non. Mais au moins, ça m'a fait évoluer. Ça m'a fait donner du caractère. Plus méchante quand même. Mais bon ma gentillesse elle est revenue. Tsais quand t'es gentille tu restes gentille. Ouais c'est sur quand même par moment. PB : Oui j'imagine NS : Mais bon après. C'est un secret mais négatif. Mais bon, j'ai avancé, c'est pas comme si j'étais encore à la rue. Après je me dis pas. Peut être qu'un jour je retournerai à la rue. Tsais maintenant que j'ai vécu la rue, je me dis je suis plus à l’abri de rien. Donc je reste toujours sur mes gardes. PB : Encore aujourd'hui quand vous marchez dans la rue vous vous méfier de certains endroits ? NS : Le regard des gens. Heu, les gens qui sont à la rue c'est. Je veux bien donner de l'argent, on m'a aidé. Mais je peux pas donner de l'argent pour l'alcool. Et si tu donnes pas, j'ai été pareil. Moi je bois pas, mais mon mari il buvait à cette époque. Et si on te demande de l'argent, par exemple je vais leur demander 10 euros pour, honnêtement je vais dire j'ai besoin de boire de l'argent, on va te dire non. Donc à la fin je me taisais. J'ai pas envie de mentir, tu vois je vais voir la personne elle va me donner 10 euros, elle va me voir dans un bar elle va me dire oui t'as bu. C'est ce que je répondais au gens, tu sais madame vous quand vous rentrez chez vous vous avez un lit, nous ce qui nous tiens c'est la bouteille parce que ça nous donne chaud au corps. C'est l'alcool ça te tient chaud. Donc voilà. Et on mangeait pas, on avait pas. Tu sais on était tellement à la rue qu'on avait, on a été au camion parce que j'ai été obligé de manger. Mais t'as pas envie de voir les gens, t'as chez vous vous avez un lit, nous ce qui nous tiens c'est la bouteille parce que ça nous donne chaud au corps. C'est l'alcool ça te tient chaud. Donc voilà. Et on mangeait pas, on avait pas. Tu sais on était tellement à la rue qu'on avait, on a été au camion parce que j'ai été obligé de manger. Mais t'as pas envie de voir les gens, t'as envie de tsais rester dans ton coin et tant pis. Puis voilà. Mais à deux ça nous a aider. PB : Peut être vous vous êtes sauvé l'un et l'autre. NS : Ah mais moi je suis honnête et mon mari le dirait aussi, je l'ai sauvé, il m'a sauvé. Si lui il serait alcoolique complètement. Moi je pense que je me serais mise en l'air. Honnêtement. Voilà. C'est fini. PB : Je pense qu'on a fait le tour de tout ce que j'avais à vous demander. NS : Bon t'en pense quoi. Ta conclusion c'est ça. Pour toi c'est la première fois. PB : Oui c'est la première fois. Déjà c'est pleins d'émotions quand même. NS : C'est ça que je ressentais vis à vis de toi. PB : Bah ça fait, ça fait. J'ai regardé pas mal de documentaire l'interview de femme qui habitaient dans la rue et du coup c'est hyper émouvant, c'est prenant, mais quand là vous me racontez vraiment en face NS : T'as vu, en face de la personne c'est plus émouvant PB : Bah bien plus encore oui NS : J'espère que ça marchera pour toi

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