Notes de lectures fluviales 1883 - 1895

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Notes de lectures fluviales 1855 à 1933

Troisième partie : 1882 à 1895

recueillies par

Francis Dumelié


Notes de lecture C'est plus d'un siècle de promenade dans l'histoire des voies navigables, fleuves et canaux, à travers essentiellement trois publications :

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Les comptes-rendus annuels de l'Association pour l'Avancement des Sciences, en général assez austères, très techniques, sans beaucoup d'illustrations que j'ai dû souvent raccourcir ou au moins alléger de considérations qui dépassent l'intérêt que chacun peut porter à cette histoire. Les Fleuves et canaux y tiennent une bonne place dans la rubrique " Techniques de l'Ingénieur ".

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La Revue " La Nature", une merveille pour l'époque dans le domaine de la vulgarisation, dont presque chaque article est magnifiquement illustré des gravures réalisées pour la plupart par l'atelier parisien de Louis Poyet, fils d'un coiffeur de St Etienne, et qui fut sans doute le premier publicitaire. Les articles sont écrits par des journalistes scientifiques non seulement érudits, mais vraiment investigateurs. Là aussi, j'ai dû parfois couper, afin d'une part d'essayer d'équilibrer la longueur de tous ces textes, mais aussi pour supprimer des longueurs inhérentes à l'époque, où l'on s'écoutait parfois écrire comme on dirait aujourd'hui qu'on s'écoute parler. J'ai toujours respecté le style, un rien pompier, très patriotique, souvent moralisant lorsque par exemple, un auteur s'insurge violemment contre le halage fait par les mariniers, leurs femmes et enfants ou encore dénonce en 1908 l'hygiène déplorable régnant à bord des bateaux… J'ai souvent dû supprimer les innombrables citations latines, accessibles de nos jours à bien peu de lecteurs, et il est vrai qu'on ne pouvait rien écrire de sérieux au 19° siècle sans y aller de son latin.

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La revue " Le Cosmos", moins illustrée que La Nature, plus marquée par son obédience religieuse. Ça ne transparaît pratiquement pas dans les sujets qui nous intéressent ici.

On est frappé par le foisonnement d'inventions, de déclinaisons d'un même principe autour des nouveaux moyens de propulsion, machines à vapeur, puis moteurs à explosion. On découvre le rôle tellement précoce de la traction électrique sur les voies d'eau, les projets parfois gigantesques dont assez peu ont été réalisés. On vit cette féroce concurrence eau-rail qui n'a toujours pas cessé, et malheureusement, alors que le moteur diesel installé dans chaque bateau gagne définitivement la course à l'équipement, plus rien ou presque ne paraît sur les voies d'eau après les années 1930 dans les journaux de vulgarisation scientifique, que ce soit "mécanique populaire" ou "La science et la Vie" qui deviendra plus tard "Sciences et vie". On découvre aussi que les projets parfois extraordinaires qui tendaient à faire franchir les montagnes aux voies fluviales ont tous été abandonnés et que de nos jours, seules les régions ou pays de plaines exploitent ou continuent d'enrichir leur réseau fluvial, même si le nôtre s'est réduit de plus de 50 % en un siècle… Note : il a fallu convertir les sommes en francs car celui-ci passe d' une parité de 1 F= 2,78 € en 1850 à 1 F = 0,44 € en 1930 ( ça ne s'arrêtera pas, puisque nous aurons en 1950 : 1 F = 0,02 € ! )


L'année 1888

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Le 15 février, violent incendie aux Halles.

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Le 16, le Pont d' Arcole s'affaisse de 30 centimètres.

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Le 3 avril, nouveau Ministère présidé par M. Floquet. M. de Freycinet est nommé Ministre de la guerre.

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Le 8, incendie à la Gare St Lazare.

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En mai, mise en circulation de faux billets de 500 Francs (1250 €)

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En novembre, inauguration de l'Institut Pasteur.

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Début du service postal entre le Canada et les Etats-Unis.

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Le 3 septembre On fête pour la première fois la Fête du travail à Montréal (Québec) ; elle deviendra congé férié pour tout le Canada en 1894.

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John Dunlop réalise le premier pneumatique pour automobile.

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Décès de Guillaume 1er "Roi de Prusse"

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L'Ascenseur de la Louvière, en Belgique article de C.Dupuy dans la revue La nature du 25 Août 1888 Cet ascenseur pour bateaux a été inauguré récemment par la société Cockeril, à l'endroit où le nouveau canal du centre vient se réunir à l'embranchement de Houdeng, du canal de Bruxelles à Charleroi. Ce canal passait seulement à 15 km de la tête du canal de Yon à Condé, mais avec une différence de niveau de 89,45m. De plus, l'eau manquait absolument pour alimenter le grand nombre d'écluses nécessaires pour racheter cette différence de niveau. Monsieur Génard, ingénieur distingué du corps des Ponts et Chaussées de Belgique, proposa d'établir des ascenseurs hydrauliques du système Clark ; c'est l'un de ces ascenseurs qui vient d'être terminé, que nous allons décrire. Il est destiné à racheter à lui seul une différence de niveau de 15,40 m. Le reste sera racheté par trois autres ascenseurs ayant une course de 16,93 m et par six écluses. L'ascenseur actuellement terminé peut livrer passage à des bateaux de 300 à 400 tonneaux

Les sas ont les dimensions suivantes : longueur 43 m ; largeur 5,80 m ; profondeur d'eau 2,40 m. Ils sont guidés verticalement au centre par des guides glissant dans des rainures, et aux extrémités par des glissières permettant la libre dilatation des sas. Ces guides sont fixés sur une grande charpente métallique formant passerelle qui entoure les deux sas et porte la cabine du mécanicien ; le tout est visible sur la gravure ci-dessus. Chaque sas est composé d'une immense caisse métallique reposant sur la tête d'un piston hydraulique de 2 m de diamètre, et d'une hauteur de 19,45 m, avec une épaisseur de parois de 75 millimètres. Il est composé de huit tronçons assemblés par des boulons intérieurs et les joints sont faits au moyen d'une mince feuille de cuivre écrasée par les boulons. Le poids supporté à la descente par un tel piston est de 1050 tonnes. Il se meut dans un cylindre en fonte fretté sur toute sa hauteur par des cercles d'acier.

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Chaque extrémité des canaux métalliques de raccordement est fermée par une porte-vanne qui s'ouvre en s'élevant verticalement. Chaque extrémité du sas est munie d'une porte semblable. Le raccord étanche entre le sas et l'extrémité des canaux métalliques supérieurs et inférieurs se fait par des coins métalliques garnis de caoutchouc. Il y a deux ascenseurs, et par suite deux sas semblables dont l'un monte quand l'autre descend, et dans ce but, reliés entre eux par une canalisation munie de vannes. Ces deux ascenseurs se font donc équilibre, et le mouvement de descente de l'un d'eux qui entraîne par suite la montée de l'autre se fait uniquement par la différence de poids constituée par une quantité d'eau supplémentaire introduite dans le sas descendant. Le personnel nécessaire à toute la manœuvre est seulement de trois hommes. Des turbines installées dans un bâtiment voisin et alimentées par une chute d'eau formée par la différence de niveau du canal luimême, actionnent un accumulateur hydraulique puissant servant aux manœuvres des coins hydrauliques, des cabestans et de la levée des porte-vannes. Tel est cet appareil remarquable qui a fonctionné dernièrement devant S.M le roi des Belges et qui a donné d'excellents résultats.

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Le Canal de la Mer du Nord à la Baltique. Revue Le Cosmos 14 juillet 1888 Le 3 juin 1887, l'Empereur d'Allemagne a inauguré à Holtenau, dans la baie de Kiel, les travaux du canal maritime qui doit permettre de communiquer directement de la Mer du Nord à la Baltique, sans passer les détroits danois. Depuis, les travaux sont poussés avec une grande activité, et on peut estimer avec certitude, que dans deux ans, il sera livré à la navigation. L'examen d'une carte suffit pour indiquer l'importance commerciale de l'œuvre, mais cette hâte dans son accomplissement est justifiée par d'autres causes.

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Le commerce se contentait jusqu'alors du petit canal qui existe entre Lübeck et Altona et de celui plus considérable, qui fut creusé en 1797 entre la baie de Kiel et la rivière l'Eider. Mais l'empire d'Allemagne a vu un intérêt stratégique de premier ordre à ouvrir une voie praticable à ses plus grands navires de guerre. La pensée d'établir un canal maritime au sud du Schleswig-Holstein date du commencement du siècle. Depuis 1864, époque où la France eut le tord, qu'elle a expié si cruellement, de laisser l'Allemagne s'emparer de ces provinces, ces études ont été reprises sur ordre du gouvernement prussien. Après la guerre de 1870, un arsenal important ayant été créé dans la baie de Kiel, l'ouverture d'un canal prenait d'autant plus d'importance, et c'est ce projet qu'on exécute actuellement pour un coût d'environ 200 millions (1). La longueur du canal est de 98 km. Il aura 58 m de largeur et 8 m de profondeur, permettant aux plus gros navires marchands de se croiser. Pour le passage des plus grands navires de guerre, il sera nécessaire de faire se garer les bateaux de commerce. La fermeture du canal s'impose par suite de la différence de niveau des deux mers. Elle aura lieu du côté de l'Elbe à demi-hauteur de marée, et du côté de la Baltique lorsque le niveau s'abaissera ou s'élèvera de 0,50 m, attendu que si le canal ne pouvait pas être fermé, les courants qui viendraient s'y manifester constitueraient une gêne pour le remorquage. On obtiendra en définitive, la possibilité d'ouvrir l'écluse de l'Elbe pendant quatre heures jour et nuit ; celle de la Baltique pourra, dans les conditions ordinaires, rester constamment ouverte. Du côté de l'Elbe, l'embouchure sera protégée par deux jetées circulaires convergentes constituant une sorte d'avant port destiné à faciliter l'entrée des navires dans l'écluse. Du côté du golf de Kiel, les jetées dont il s'agit ne sont que le prolongement du canal dans la baie. Ce canal qui mettra en relations faciles et rapides les deux grands arsenaux de la flotte allemande, Kiel et Wilhemshaven, augmentera la puissance d'action de la marine allemande dans une singulière proportion. Il est bon, de remarquer cependant que la nouvelle voie sera sans doute impraticable pendant plusieurs mois chaque hiver.(2)

(1) 520 millions d' € (2) Voir la suite en 1895 - 67 -


La traction des bateaux par cable télodynamique. Article de M.Maurice Levy, inventeur Le Cosmos15 décembre et 29 décembre 1888 On a fait beaucoup pour étendre et améliorer le réseau de nos voies navigables, mais peu pour les exploiter avec profit. J'ai été chargé d'une mission ayant pour objet l'étude des divers moyens de traction mécanique ou électrique des bateaux. D'accord avec M. Guillain, directeur de la navigation, des routes et des mines au Ministère des Travaux publics, nous avons pensé que dans l'état actuel de la science, la traction par câble télodynamique doit être le moyen le plus immédiatement et le plus universellement praticable, parce qu'il n'impose aux bateaux aucun appareil spécial et aucune attente soit au départ, soit en route. Ce mode de traction a été expérimenté à diverses reprises et, jusqu'ici, sans succès. A cause de l'obliquité de la traction, et du déplacement de son point d'application, le câble tend constamment à exécuter des oscillations tournantes, pareilles à celles que l'on produit quand on saute à la corde, mais bien plus désordonnées. Les améliorations que j'ai apportées à ce mode de traction, évitent tout décâblement , particulièrement par l'emploi de poulies portant une seconde gorge légèrement hélicoïdale, débouchant à ses deux extrémités dans la première et portant aussi un cran. L'ensemble du système de traction a été installé à Joinville le Pont, sur les Canaux de Saint Maur et de Saint Maurice. Ce point a été choisi pour L'ensemble du système de traction a été installé à Joinville le Pont, sur les Canaux de Saint Maur et de Saint Maurice.Ce point a été choisi pour l'essai du système, parce que la rencontre à angle droit de deux canaux présente la plus grande difficulté que l'on ait à vaincre dans la pratique, en raison de l'évolution que sont obligés de faire dans ces circonstances des bateaux remorqués.

Le mouvement du câble est donné par une usine que l'on voit ci-dessous

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Sur tout le parcours, le câble est soutenu par des poulies à gorges de 0,75 m de diamètre ; un galet placé au-dessus l'emprisonne, de façon à ce qu'il ne puisse s'en échapper en aucun cas.

Dans les parties droites, les poulies tournent dans un plan vertical ; dans les courbes, elles sont plus ou moins inclinées, jusqu'à être horizontales s'il est nécessaire (Voir ci-contre) pour que l'effort auquel elles sont soumises soit autant que possible normal à l'axe.

Le câble porte, de distance en distance, des manilles dans lesquelles passent les amarres des bateaux à remorquer Ces manilles sont attachées à une bague mobile entre deux autres fixées sur le câble, de telle sorte que la torsion de ce dernier ne puisse jamais enrouler la corde venant du bateau. Cette corde s'engage avec le câble d'acier dans la gorge de la poulie, mais celle-ci, dans sa rotation, présente bientôt l'un des crans pratiqués dans son bord, et la remorque sollicitée obliquement, s'échappe sans que le câble puisse en faire autant. L'amarrage du bateau se fait très simplement : un homme saute à terre, et passe la remorque dans l'une des manilles. Ramenée à bord, elle est fixée sur le bollard, et tendue progressivement alors que débute l'entraînement du bateau, sans secousse. Il n'y a plus qu'à gouverner le bateau correctement pour lui faire tenir le chenal. Le câble entraîne les bateaux remorqués à une vitesse de 4 km par heure ; les chevaux de halage ne leur en donnent pas trois . Il y a donc avantage notable pour la rapidité du trafic. L'essai de Joinville le Pont prouve que le système apportera une économie notable. L'expérience s'est faite avec le câble parcourant 500 mètres seulement. On va faire de nouveaux essais sur une longueur de plus de 5 kilomètres avec un câble de 11 000 mètres. Tout fait espérer qu'ils seront aussi heureux que les premiers, et que bientôt, un grand nombre de nos voies navigables seront pourvues de ce mode de halage…

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L'année 1889

En février : la compagnie du canal de Suez est dissoute et liquidée. Plus de 870 000 souscripteurs, en majorité des petits épargnants français, perdent leurs versements et sont ruinés. Nombre d'entre eux se suicident. Début du Scandale de Panama (1889-1893). -

Le 2 avril, le drapeau est hissé au sommet de la Tour Eiffel terminée.

C'est l'année de l'exposition universelle qui a vu la construction de la tour Eiffel, du Grand Palais, etc.…On dispose deux ans après des statistiques suivantes : Pendant le cours de l'exposition, on a mangé 516 000 kg de pain, 425 000 kg de viande, 140 000 kg de poisson,208 000 kg de primeurs et bu 9 870 hectolitres de vin, 1 316 hl de bière, 200 hl de cidre, 180 de cognac et liqueurs variées, et 337 300 bouteilles de Champagne. -

Le 16 mai, inauguration de l'exposition Universelle par le Président Carnot.

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15 juillet : La loi Freycinet fixe la durée du service militaire actif à trois ans dans le cadre d'un service personnel, obligatoire et universel, mais inégal.

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L'Angélus, de Millet, est vendu 600 000 F (1,5 million d'€) à M. Chauchard. L'artiste en avait obtenu 800 F (1760 €) en 1860…

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Le 8 novembre, clôture de l'exposition, avec pour cette seule journée plus de 400 000 visiteurs

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Le 10 décembre, début d'une terrible épidémie de grippe à Paris. - 70 -


Le dévasement des cours d'eau. Revue Le génie civil avril 1889

Dans les rivières, ou les canaux, dont le courant n'est pas excessivement rapide, les eaux, si elles sont chargées de matières étrangères, forment des dépôts qui prennent rapidement une importance assez grande pour obstruer le lit et entraver la navigation. Le colmatage employé avec tant de succès en certaines circonstances, n'a pas d'autre principe. Mais ce qui est avantageux dans certains cas devient désastreux quand il s'agit de rigoles d'écoulement ou de voies navigables. On doit procéder à des curages ou à des dragages onéreux, remède qui ne suffit pas toujours ; l'apport en matières solides est quelquefois si considérable que malgré l'emploi d'un puissant outillage, on n'arrive pas toujours à lutter contre l'envasement du chenal. C'est le cas qui se présente dans certains canaux des Indes dont les eaux roulent des quantités de vase, sur des lits peu en pente. Un ingénieur, M. Apjohn, a eu l'idée d'appliquer au dévasement de ces cours d'eau le système appliqué à Paris, pour forcer la circulation des matières solides dans les égouts. Des wagons circulant au-dessus du chenal des eaux, ou des bateaux, qu'elles portent dans les collecteurs, sont munis d'une vanne que l'on peut descendre dans la cunette (1) jusqu'à quelques centimètres du fond. Dans ces conditions, si le wagon ou le bateau est arrêté, il se forme à l'amont une charge d'eau qui détermine dans l'espace inférieur une émission violente du liquide, et tous les corps solides sont entraînés. L'appareil descend lentement le courant, trouve toujours le chenal dégagé devant lui, jusqu'à l'orifice de l'égout où les matières amoncelées sont enlevées par des équipes spéciales. Voici comment M.Apjohn est arrivé à appliquer ce principe dans l'Inde, notamment aux environs de Calcutta, pour débarrasser de 2,40 à 3 mètres de vase accumulée sur 60 et 70 mètres de longueur, des canaux, à leur débouché dans des rivières à marées.

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Un chaland en fer est pourvu à son avant d'une vanne de 5,70 m de largeur sur 2,40 m de hauteur, suspendue à un cadre oscillant sur un chevalet établi sur le ponton. Son poids est tel qu'elle tend toujours à plonger ; on n'a donc qu'à manœuvrer les retenues placées à l'autre extrémité du cadre pour l'élever ou l'abaisser. Quand on la fait plonger, des chaînes, fixées à sa partie basse et manœuvrées de l'arrière du ponton, permettent de la ramener vers la position verticale, et servent à contrebalancer la poussée des eaux. Si le chenal à dégager a plus de 5,70 m de largeur, on réunit deux ou un plus grand nombre de chalands pareils, de façon à le barrer presqu'entièrement. L'eau obligée de s'échapper par le petit espace laissé entre la partie inférieure de la vanne et le fond, affouille celui-ci, et un déplacement lent du ponton permet d'approfondir le chenal de 0,15 à 0,60 m en une seule passe, sur toute sa longueur. On arrive ainsi à dévaser, à cette profondeur, un chenal de 90 mètres en deux heures. Les vases molles ne résistent pas à ce traitement ; les vases dures sont plus réfractaires. Quand on les rencontre, on munit l'arête inférieure de la vanne de dents en fer, et les matières désagrégées sont entraînées par l'eau. L'expérience a montré que ce procédé donne de bien meilleurs résultats que les chasses,(2) qui d'ailleurs n'agissent efficacement que sur les points voisins de l'émissaire des eaux. Nous connaissons nombre de propriétaires qui dépensent des sommes relativement importantes pour le curage des cours d'eau qui traversent leurs terres, et auxquels ce système, appliqué sur une échelle plus modeste, pourrait rendre d'excellents services. Une bien faible mise de fonds leur permettrait sans doute de réaliser de sérieuses économies.

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La propulsion des bateaux par une hélice aérienne 1889. Article de B.Bailly Le Cosmos 10 Août 1889 Le professeur Vogt poursuit, à Copenhague, d'intéressantes expériences sur la propulsion aérienne des bateaux. L'inventeur, partant de ce fait incontesté, que l'hélice immergée, par suite d'influences peu connues sur les formes du navire, ne donne pas tous les effets que l'on est en droit d'attendre de la force qui lui est appliquée, voit différents avantages à l'emploi d'une hélice aérienne, prenant pour point d'appui l'air ambiant. Il cite entre autres les suivants : -

Economie de 40 pour 100 sur la puissance de la machine en éliminant l'action disturbatrice de l'hélice.

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Forme du navire pouvant être déterminée d'après sa moindre résistance et son meilleur état de navigabilité.

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Division de la cale en compartiments étanches plus complète.

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Absence de trépidations, etc.

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Les expériences de l'inventeur, contrôlées par d'autres essais, faits sous la surveillance d'officiers de la marine danoise, ont donné des résultats bien meilleurs que ceux prévus par plusieurs techniciens. Cependant, les appareils employés, construits économiquement, étaient loin de présenter les meilleures conditions. L'hélice en toile à voiles était assez grossière, les renvois de mouvement, assez primitifs, absorbaient beaucoup de force. Malgré ces mauvaises conditions, les effets obtenus ont été jugés assez satisfaisants pour attirer l'attention des spécialistes. Nous citerons ici une proposition américaine pour la propulsion sur les canaux d'après ces idées. Le bateau à faire progresser porte, en haut d'une charpente appropriée, une hélice aérienne et une dynamo destinée à lui donner le mouvement. Cette dynamo reçoit l'électricité d'une station centrale, par un conducteur qui longe la rive sur des poteaux, absolument comme cela se passe sur certaines lignes de tramway électrique. Les ailes de l'hélice ont une inclinaison variable pour qu'on puisse leur donner la position la plus favorable en raison de la force du vent et de sa direction. Dans ces conditions, le bateau qui n'a plus à porter de machine à vapeur, de chaudières, de charbon, voit sa charge morte réduite au minimum, et ses cales ne sont plus encombrées. D'autre part, les rives du canal, qui ne sont plus soumises aux remous causés par l'hélice, ne souffrent pas. Pour juger de l'économie du système, il faudrait nécessairement des expériences plus complètes sur la propulsion aérienne des bateaux. En tous cas, l'idée est au moins ingénieuse. Il est juste d'ajouter que les partisans de l'hélice immergée estiment qu'on peut employer ce mode de transmission de la force à l'hélice sous l'eau, et qu'on y retrouverait la même économie dans le déplacement utile des bateaux. (1) La question reste donc bien tout entière entre le travail comparé des deux genres de propulsion.

(1)

voir Touage électrique sur les canaux 1892 et Un gouvernail propulseur, 1898

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Nouveau pont sur la Tamise, à Londres. Revue Le Cosmos du 20 avril 1889 Pour conserver la Tamise praticable, aussi avant que possible, aux bâtiments de mer, on avait refusé jusque là aux innombrables habitants de la partie orientale de Londres (East-End) tout moyen de communication facile entre les deux rives du fleuve. Il fallait remonter jusqu'au London Bridge pour trouver une voie carrossable permettant de le traverser. Il y a longtemps que l'extension de la ville a créé cet état de gêne, et dès le commencement de ce siècle, on cherchait déjà les moyens d'y porter remède. C'est à cet ordre d'idées qu'est dû le tunnel imaginé et construit au milieu de tant de difficultés, il y a cinquante ans, par le célèbre Brunel. Mais l'on sait que, malgré les sommes énormes enfouies dans cette œuvre, on n'a pas atteint le but qu'on se proposait. Le Tunnel, passage pour les piétons, reste plutôt une curiosité qu'un moyen de communication pratique. A la gêne qui résulte de cet état de choses pour les habitants de l'East-End, est venu se joindre un autre inconvénient. Le London Bridge, malgré ses dimensions monumentales, ne peut plus suffire au mouvement entre les deux parties de la ville, et il fallait de toute nécessité, trouver un moyen de le décharger d'une partie de la circulation par la création d'une nouvelle voie. La construction d'un nouveau pont en aval fut donc résolue, sur un point situé un peu plus bas que la Tour. On demanda aux ingénieurs de fournir un projet de pont tel que le passage des grands navires ne fût pas entravé, et que néanmoins la circulation pût s'y faire presque sans interruption. Cinq plans différents furent présentés et rejetés. C'est un sixième seulement, dû à M.H.Jones, qui a été adopté. C'est celui que représente notre gravure.

Le pont traverse le fleuve en trois travées et s'appuie sur deux tours d'un bel aspect, plantées en son milieu. C'est entre ces tours qu'aura lieu le passage des grands navires. Les travées qui aboutissent aux rives sont fixes. Leurs tabliers sont suspendus. - 75 -


La partie comprise entre les tours est composée de deux parties de trente mètres chacune, formant pontlevis et venant se rejoindre au centre de la travée quand elles sont abaissées. Le tablier qui constitue la voie, d'une rive à l'autre, est assez élevé au-dessus du niveau du fleuve pour que les petits navires puissent passer en dessous, même à mer haute. Pour les grands navires, les ponts-levis de la partie centrale se relèvent et laissent un passage de 60 mètres d'ouverture, ce qui assure au besoin le passage de deux grands navires en même temps. Les immenses tabliers mobiles sont manœuvrés par des appareils hydrauliques, établis dans les tours et dont la puissance est telle qu'entre l'ouverture et la fermeture du pont, il ne s'écoulera pas plus de cinq minutes. Si court que soit cet intervalle, on a voulu que, pendant ces opérations, la circulation ne soit pas interrompue au moins pour les piétons. Elle est assurée par une passerelle placée plus haut que la mâture d'aucun des navires qui circulent sur cette partie du fleuve et qui réunit les parties hautes des deux tours. On y accède par des escaliers et aussi par des ascenseurs. Notre gravure représente le pont ouvert pour permettre le passage d'un navire de fort tonnage, au moment où les deux parties de la travée relevées viennent masquer les porches des tours sous lesquels passe la voie carrossable. Les appareils hydrauliques, employés de plus en plus, pouvaient seuls permettre de donner cette solution du problème, car ce n'est qu'avec leur aide que l'on peut soulever, facilement et rapidement, des masses aussi considérables que celles représentées par les parties mobiles d'un pont de cette dimension.

(1)

1,5 millions d' €

(2)

1760 €

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L'année 1891

DEPART DE L' ECHASSIER SYLVAIN DORNON Se rendant de la Place de la Concorde à Moscou. Dessin d'après nature. - ( Bibliothèque Nationale) -

Départ, le 13 mars, de la Place de la Concorde, de M. Dornon qui doit, sur des échasses, accomplir le trajet de Paris à Moscou.

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7 avril : rempoissonnement de la Seine au moyen de quarante mille truites et dix mille saumons.

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Le 24 avril, hausse considérable du pain à Paris.

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Le congrès international des mineurs a décrété le chômage du 1° mai, à titre de manifestation populaire en faveur d'un minimum de salaire et de la journée de huit heures.

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Décès du baron Haussmann, et de l'ancien Président Jules Grévy.

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Le 26 juillet, à St Mandé, une catastrophe ferroviaire fait 45 victimes et de nombreux blessés.

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Le 27 août : Accord d'alliance franco-russe.

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Le 12 novembre, un violent orage s'abat sur Paris, cause de grands dégâts et de nombreux accidents.

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Le 11 décembre, réception de M. de Freycinet à l'Académie française.

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Le peintre français Paul Gauguin part pour Tahiti.

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Le savant hollandais Eugène Dubois découvre les premiers restes d'Homo Erectus sur l'île de Java en Indonésie.

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Mise au point du moteur à essence.

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Invention du fer à repasser électrique et du ventilateur.

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Alimentation d'un bief de canal depuis la mer par un moulin. D'après Scientific american 1891 L'appareil représenté ci-dessous donne une excellente démonstration de ce fait que les systèmes les plus simples sont souvent les meilleurs. Celui-ci, destiné à monter à une petite hauteur une grande quantité d'eau pour alimenter le bief supérieur d'un canal, rend d'excellents services et on est revenu à son emploi après avoir essayé de le remplacer par des procédés plus modernes, plus perfectionnés, mais qui n'ont pas donné le même résultat avec la même économie.

Voici à quelle occasion il a été construit : il existe, entre la baie de New York et Jersey-City, aux Etats Unis, une péninsule d'environ 5 kilomètres de largeur. Le canal Morris, qui fait quelques détours, la traverse en un seul bief de 13 kilomètres, dont le niveau est à 1,20 mètres au-dessus des hautes mers sur les rivages où il aboutit. A chaque extrémité, il y a une écluse pour permettre l'entrée et la sortie des bateaux.Pour alimenter ce canal, on n'avait que l'eau de la mer, et la machine ci-dessus a été imaginée en 1859 pour effectuer ce travail. C'est une simple roue hydraulique de grande dimension, dont les aubes suivent, à quelques centimètres de distance, les contours d'un radier en maçonnerie de forme cylindrique. Seulement, au lieu de tourner comme une roue motrice, celle-ci tourne en sens contraire, entraînée par une machine à vapeur, et chaque aube amène, en passant, une certaine quantité d'eau du bief inférieur dans le bief supérieur.Cette roue est formée d'un tambour en tôle, de 3,65 m de longueur et de 3,05 m de diamètre, portant des palettes, de même longueur, naturellement, et de 1,06 m de largeur. La partie extrême du canal est munie d'une porte articulée sur le fond servant de vanne. Quand la roue fonctionne, elle tombe d'elle-même et laisse passer l'eau. Dès que le mécanisme est arrêté, le liquide tend à s'échapper, il relève la porte, et l'ouverture du canal est complètement fermée. Le système a été disposé de telle sorte que la roue peut agir dès que la marée est à moitié haute, c'est-àdire pendant environ 3h 1/2 avant la pleine mer, et pendant 3h 1/2 après. Ces 7 h de travail journalier suffisent à compenser les pertes de 24 heures. Le travail de la roue fait monter le niveau de l'eau dans le bief supérieur d'environ 25 cm par heure. En raison des dimensions du canal, cela représente à peu près 20 000 tonnes par jour, ce qui est obtenu avec la très faible consommation de 1,5 tonnes de charbon par jour. On a essayé de remplacer cette roue par une pompe centrifuge de grand débit, mais on n'a pas réussi, et on a dû revenir à l'installation primitive. Cette machine présente encore un avantage d'un ordre spécial sur tous les autres systèmes : elle monte avec l'eau de la mer de nombreux poissons vivants, une multitude de crabes, et le canal se trouve ainsi tout naturellement, et avantageusement empoissonné. - 78 -


Un Canal remarquable

Sous ce titre, l'Engineering and building Record, de New York, désigne un canal de 26 km de longueur, établi en tunnel, d'une extrémité à l'autre, entre Worsley et Saint Helens, en Angleterre,. Il sert à la fois à drainer les mines de houille des domaines du Duc de Bridgewater et à en transporter les produits. On emploie à cet effet des chalands ordinaires, mais la propulsion est déterminée de la manière suivante : la voûte du souterrain porte des traverses contre lesquelles, les hommes, étendus sur les charges de houille, exercent une poussée avec leurs pieds…

Le canal de Bridgewater au 21° siècle

Le Marquis de Bridgewater

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L'année 1892

LA DYNAMITE A PARIS - LE RESTAURANT VERY APRES L'EXPLOSION D'après une photographie instantanée- ( Bibliothèque Nationale) -

En février, nouveau Ministère avec à sa tête Emile Loubet. M. de Freycinet reste Ministre le la guerre.

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En mars, nombreux attentats anarchistes à la dynamite.

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Fin mars, arrestation de l'anarchiste Ravachol.

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Le 30 mai, incendie des Moulins de Corbeil. Il y a 29 victimes et deux disparus. Les dégâts sont chiffrés à 5 millions de Francs ( 12,5 millions d'€).

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Début juillet, commencement d'une épidémie de choléra à Paris.

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Le 11 juillet, exécution de Ravachol à Montbrison.

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Le 15 septembre, les casseuses de sucre des raffineries se mettent en grève pour protester contre la baisse de leur rémunération qui passe de 60 centimes les 100 kg à 50 centimes ( de 1,5 € à 1,25 € )

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Le 22 septembre, fêtes du centenaire de la République.

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Le 8 octobre, fin de l'épidémie de choléra.

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Le 15 novembre, arrêt ordonnant les poursuites contre la Compagnie de Panama.

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Limitation à 10 heures par jour du travail des 13-18 ans, interdiction du travail de nuit pour les femmes.

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En Angleterre, la syphilis est un véritable fléau de la société victorienne, et fait des ravages dans les ports, où elle touche particulièrement les marins, mais aussi à Londres où le nombre de prostituées est évalué à environ 100 000. Elle est alors considérée comme le juste châtiment des péchés de la chair.

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Le savant écossais Sir James Dewar invente la bouteille isolante qui porte son nom (bouteille thermos). - 80 -


La Batellerie française en 1892. Etude statistique de M. de Foville, extraite de l'Economiste français 1892

Il existe en France une cité de 40 000 âmes dont on chercherait vainement le nom dans le dictionnaire des communes, et l'emplacement sur une carte d'état major, par cette raison que ses 16 000 maisons changent de position tous les jours. Sa population est en effet, une population flottante, au sens propre du mot, qui habite les 16000 bateaux qui, tout au long de l'année, parcourent les 12 000 km de voies navigables, fleuves, rivières et canaux qui sillonnent notre territoire… Tels sont, en effet, les chiffres fournis par le deuxième recensement de la batellerie française, exécuté le 15 mai 1891. Le premier recensement avait eu lieu le 15 octobre 1887.Le nombre de bateaux ordinaires, mus autrement que par la vapeur, est passé de 15 730 à 15 925. Dans ces totaux, les bateaux français qui entraient pour 13 632 en 1887, n'entrent plus que pour 13 603 en 1891. Les bateaux belges sont passés dans le même temps, de 1645 à 1892.Le fait caractéristique de l'époque actuelle, c'est que l'ancienne batellerie, la petite batellerie de famille, a désormais à compter avec la concurrence de la grande batellerie industrielle, dont la loi du 5 Août 1879 a favorisé l'essor (1). Actuellement, un bateau de 38,50 m de longueur sur 5 de largeur est sûr de trouver en France, sur toutes les voies principales, des eaux assez profondes, des écluses assez vastes, des voûtes assez hautes pour ne pas risquer d'être arrêté au passage ; et, comme les frais généraux sont loin de se proportionner aux tonnages, des Compagnies se sont formées qui prennent pour type normal de leurs constructions ce type maximum, et qui font beaucoup d'affaires. En 1887, on avait déjà compté 933 bateaux de 35,50 m et audessus. En 1891, on en trouve 2016. Le nombre des grosses coques a donc plus que doublé en quatre ans. Voici d'ailleurs comment se répartit, au point de vue de la capacité, la batellerie ordinaire recensée en 1891 : Jauge des bateaux

nombre

capacité totale en tonnes

Plus de 300 tonnes

4 191

1 477 860

de 300 à 200

3 297

838 652

de 200 à 100

2 459

391 733

de 100 à 50

2 892

218473

de 50 à 3

3 086

69 512

Totaux

15 925

2 996 230

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Les deux premières catégories représentent, à elles seules, 47 % du nombre total des bateaux et 78 % du tonnage total. On a, dans ces dernières années, expérimenté plusieurs systèmes de traction mécanique à l'usage de la navigation intérieure. Récemment, les Parisiens ont pu voir fonctionner les câbles ambulants de M. Lévy, installés entre Charenton et Saint-Maur. Les ingénieurs sont unanimes à louer les élégantes solutions mises en œuvre, imaginées par l'inventeur ; mais les bateliers, eux, sont non moins unanimes à en dédaigner les bienfaits. Les bateaux à vapeur, d'autre part, ne pouvant pénétrer impunément dans les canaux, où leur vitesse se heurterait à tant d'obstacles, et où leur sillage ferait tant de dégâts, on a le droit de dire que les moyens de locomotion perfectionnés restent, chez nous, à l'usage exclusif des voies fluviales. C'est surtout la Seine, aujourd'hui, qui, par la richesse de son trafic et l'excellence de ses aménagements, attire les steamers, grands et petits. La science et l'industrie ont absolument transformé cette vieille rivière, autrefois si accidentée Entre Rouen et Paris, c'est peut-être 100 millions de francs (2) qu'on a dépensés. Les 225 km d'eau qui séparent la capitale de la France de celle de la Normandie, sont maintenant divisés en neuf biefs séparés par de magnifiques barrages, reliés par des écluses monumentales. Aussi les vapeurs remontent-ils en moins de 30 heures d'une ville à l'autre, alors que le voyage durait un mois sous la Restauration (3)

(1) Etablissement par M. de Freycinet du gabarit qui porte encore son nom. (2)

320 millions d'€ de 2010)

(3)

1814-1830

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Le plan incliné pour le transbordement des bateaux à Beauval, près de Meaux. 1892 Exposé de M. Mallet devant la Société des Ingénieurs civils.(1892) dans la revue La Nature L'écluse ordinaire, pour permettre le passage des bateaux d'un niveau à l'autre, présente, comme on sait, l'inconvénient d'exiger une consommation d'eau considérable. Tous les ingénieurs se sont efforcés d'y remédier. Nous avons récemment évoqué la mise en service des ascenseurs à bateau en Belgique (La Louvière). Il nous semble intéressant de mentionner aujourd'hui une installation beaucoup plus modeste dans laquelle l'entraînement du bateau s'opère sur un plan incliné avec traction funiculaire à crémaillère ; cette installation, due entièrement à l'initiative privée, se recommande par une série de dispositions de détails particulièrement ingénieuses

Elle a été réalisée aux abords de la ville de Meaux, pour mettre en communication deux voies navigables importantes : le canal de l'Ourcq et la rivière de la Marne, qui passent tous deux auprès de cette ville, à faible distance sur une grande longueur, mais sans aucune communication entre elles. On est donc obligé de faire un détour de près de 100 km pour passer du canal à la rivière, lorsque la distance des deux cours d'eau est d'à peine 500 mètres. Frappé de cette difficulté, un entrepreneur de transport par eau, Monsieur Fournier, homme d'initiative, se décida à faire la dépense d'une jonction directe pour éviter un pareil détour, et il choisit à cet effet l'endroit dit Beauval, en amont de Meaux, immédiatement au-dessous du barrage des Basses Fermes.(1) La distance des deux cours d'eau est de 550 m, et la dénivellation de 12,17 m. Pour franchir cette dénivellation, il eût fallu quatre ou cinq écluses de type ordinaire, ce qui eût exigé une dépense excessive, et qui eût exigé d'ailleurs sur le canal une prise d'eau qu'on n'eût pas pu obtenir. On établit à chaque extrémité un bassin en communication directe avec le cours d'eau correspondant, et on relia ces deux bassins par une voie à double pente sur laquelle circule un chariot porteur du bateau à transporter. Le chariot est amené dans le bassin de départ, on y échoue le bateau, et il est conduit jusqu'au bassin d'arrivée par l'action d'un câble télodynamique (2) agissant sur une roue dentée engrenant avec une crémaillère posée sur la voie. Le câble est mis en mouvement par une turbine actionnée par une chute d'eau empruntée au barrage posé sur la rivière en ce point.


Le bâtiment construit à cet effet pourrait recevoir six turbines, mais une seule suffit jusqu'à présent pour mettre en mouvement le transbordeur. Le chariot se compose de deux poutres en tôle et cornières réunies par des entretoises formant un châssis de 24 mètres de longueur, pouvant porter un bateau de 28 m, sans que le débordement de deux mètres à chaque extrémité ne présente le moindre inconvénient. Les traverses qui supportent la voie sont très rapprochées à cause de la charge considérable qu'elle supporte. La voie sort de chacun des bassins avec une pente assez forte qui est celle de la paroi du fond assurant la retenue d'eau. Elle est de 4% dans le bief du bas, et de 6% dans celui du haut.. Un astucieux dispositif de rails doublant la voie normale avec une pente différente de celle-ci, permet de maintenir l'horizontalité du bateau pendant tout le transfert. Il y a là, comme on voit, une série de dispositions des plus ingénieuses qui, jointes à l'application toute nouvelle des crémaillères au remorquage des bateaux, donnent un intérêt tout particulier à cette installation réalisée uniquement, ainsi que nous l'avons dit, par l'initiative privée. (1) Le barrage des basses-fermes a été supprimé. Sur place, il reste comme seuls vestiges les restes du pont au-dessus du début du chenal d'accès au plan incliné, et les fondations du bâtiment des turbines, avec l'un des axes encore en place. (2) Câble mis en mouvement par un moyen mécanique quelconque.

Vue du site dans google maps. On voit très nettement la trace de l'ancien plan incliné signalée par une flèche blanche, entre la Marne et le canal de l'Ourcq. Entre l'usine et le chemin de la marine, marqué de points rouges, l'ancien canal d'amenée de l'eau de la marne aux turbines. Une partie de ce canal a été comblée.

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Touage électrique sur les canaux . Revue Le Cosmos du 13 Août 1892 On s'est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, de la recherche d'un moyen à la fois économique et rapide pour le touage des bateaux sur les canaux, et plusieurs systèmes ingénieux ont été proposés. On se rappelle certainement la curieuse installation faite sur le canal de St Maur par Monsieur M. Levy (1) pour le halage télodynamique des péniches. Quelle que soit la perfection du système, il n'a pas été adopté par les patrons de bateaux, qui préfèrent s'en tenir à leurs anciennes routines. Le système de touage électrique de l'ingénieur allemand Otto Busser aura-t-il plus de succès auprès d'eux ? On pourrait le supposer, car il a une grande analogie avec le touage à la chaîne employé depuis longtemps déjà. On sait que dans ce système, le remorqueur emploie une chaîne étendue sur toute la longueur du lit de la rivière et ancrée à ses deux extrémités. Elle passe sur des poulies établies sur le remorqueur et actionnées par une machine à vapeur. Le bateau se remorque lui-même et entraîne les autres.

C'est absolument le système employé par Monsieur Busser, sauf que les poulies dans lesquelles s'enroule la chaîne sans fin, sont fixées sur l'avant du remorqué lui-même et qu'elles reçoivent le mouvement d'un moteur électrique monté sur la même plate-forme. Celui-ci, comme beaucoup de tramways à traction électrique, prend le courant au moyen d'un trolley sur des conducteurs supportés par des poteaux sur le bord du canal. Grâce à ce système, on n'est pas obligé de déplacer le poids mort inutile d'un remorqueur spécial. En outre, l'appareil entier peut être fixé sur les plats-bords d'un bateau quelconque à son entrée dans un canal, et enlevé au moment où il le quitte.

(1) voir "La traction des bateaux par câble télodynamique" revue Le Cosmos 15 décembre 1888

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La navigation électrique de plaisance 1892 . Revue le Cosmos du 8 octobre 1892 article écrit par M. de Contades Voir l'article de Sylvanus P.Thomson, extrait de la revue Nature, de Londres, de 1880. Dès l'apparition des moteurs électriques, on a essayé de les adapter à la navigation, et spécialement à la navigation de plaisance, l'absence de tout moteur encombrant et la facilité avec laquelle on peut dissimuler les piles sous les banquettes, ne laissant voir aucun générateur de force, a toujours séduit. Aussi, il y a une quarantaine d'années, voyons-nous déjà un bateau électrique imaginé par M. Froment, l'inventeur du moteur qui porte son nom. Les premiers essais avaient été faits 20 ans avant lui par le Professeur Jacobi de St Pétersbourg. On se souvient aussi de la présentation du canot électrique de M. Trouvé, "le téléphone" à l'exposition du Palais de l' Industrie en 1881. Depuis, seul M. Trouvé a travaillé sur ces bateaux électriques. Disons encore que le prix d'achat d'un canot électrique et des accumulateurs est très élevé et que peu de personnes consentent à faire une telle dépense purement d'agrément, pour quelques heures par semaine tout au plus. Il semble donc que la meilleure manière de propager la navigation électrique serait de fonder une société qui posséderait un certain nombre de canots, disposerait, de distance en distance, des stations de chargements et louerait les canots aux amateurs à raison de tant par heure, par jour ou par mois. En France, où nous sommes toujours les derniers à tenter quelque chose, cette idée n'a pas encore été mise à exécution. Mais en Angleterre, il y a déjà longtemps que deux sociétés analogues ont été constituées. L'une, Reckenzau & Immisch, possède le canot " Viscountess Bury" long de 19 m et de trois de large, pouvant transporter soixante dix personnes, mais aussi une douzaine d'autres canots de 9 à 21 mètres.

Le moteur pèse 500 kg, et développe une force de 10 chevaux. L'hélice est fixée directement sur son axe. Le bateau peut naviguer à 9 km à l'heure. Les accumulateurs sont au nombre de 180, contenus dans des bacs en ébonite, dissimulés sous les sièges des passagers. Ils pèsent 30 kg chacun, avec le liquide, et possèdent une capacité de 300 ampères-heures. Les stations de chargement sont disséminées de distance en distance, entre Londres et Oxford. L'autre compagnie, Woodhouse & Rawson se trouve à peu près dans les mêmes conditions, sauf que ses canots sont plus rapides, pouvant atteindre 12 km à l'heure, et même 14 pour quelques uns.. En France, nous avons une société qui fabrique et vend des canots électriques et les accumulateurs nécessaires au propulseur : c'est la Société Faure Sellon-Wolckmar, à Paris-Passy. Mais jusqu'ici, elle n'a entrepris aucun commerce de location comme les compagnies anglaises.

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Ceci est fort regrettable, et il faut espérer que d'ici peu, elle fera au moins une tentative de ce genre, en créant sur la Seine quelques stations de chargement. La société construit cinq modèles de canots, fort élégants. Le plus petit, long de 6 mètres, pèse, tout compris, 1 780 kg. Il possède une vitesse de 8,5 km à l'heure et coûte 6000 f (1). Le plus grand mesure 18 m et pèse 13 000 kg. Sa vitesse est de 12 km à l'heure et son prix est de 45 000 f (2). Lorsque les bateaux doivent posséder un moteur d'une certaine force, on ne peut songer comme le fait M. Trouvé, à le placer sur le gouvernail. Dès lors, on perd l'avantage considérable de tourner sur place, alors même que le canot n'aurait aucune vitesse. On peut cependant arriver au même résultat en employant la disposition représentée ci-dessous. Beaucoup d'amateurs, faisant construire eux-mêmes leur canots, pourront l'employer. Nous l'avons vue adaptée à plusieurs embarcations à vapeur, où elle a donné de très bons résultats.

Les prix que nous avons mentionnés montrent combien peu de gens peuvent se payer le luxe d'un canot électrique. Il est donc fort à désirer qu'à Paris, comme à Londres, une société de location s'organise, mettant la navigation électrique pour un prix abordable à la portée de tous les amateurs, en attendant que les stations centrales d'énergie électrique soient assez nombreuses, sur le bord des cours d'eau, pour permettre d'y reprendre de l'électricité comme, dans les gares, les locomotives prennent de l'eau ou du charbon. Lorsque nous en serons là, il est probable qu'on cherchera à supprimer l'arrêt interminable nécessaire à la charge des accumulateurs, en remplaçant ceux épuisés par d'autres nouvellement chargés, toujours prêts. (1) 15 600 € (2) 117 000 € (3) - 87 -


L'année 1893

LES EMEUTES DU QUARTIER LATIN. - UNE BARRICADE SUR LE BOULEVARD SAINT-GERMAIN Dessin d'après nature. - ( Bibliothèque Nationale) -

Dans l'affaire du Panama, F. de Lesseps et Ch.de Lesseps sont condamnés pour abus de confiance à 5 ans de prison et 3000 F d'amende ( 7500 €). Le 24 février, Jules Ferry est élu président du Sénat.

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Le 4 mars, la Chambre vote une loi accordant aux porteurs d'action Panama, l'assistance judiciaire.

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Le 13 mai, arrestation rue du Commerce, à Paris, d'un individu dont le commerce consiste à couper les nattes des jeunes filles et à les vendre aux coiffeurs.

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Le 16 mai, arrestation d'une dangereuse bande d'anarchistes à Levallois Perret.

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Le 20 juin, un violent orage s'abat sur Paris et cause de nombreux dégâts.

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Le 3 juillet, bagarres au quartier latin entre étudiants et agents. Un étudiant est tué. Les troubles vont continuer plusieurs jours. Plusieurs régiments des environs de Paris sont prêts à intervenir.

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Le 21 septembre, un violent cyclone s'abat sur Paris, cause de nombreux dégâts et provoque quelques accidents.

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Le 9 décembre : L'anarchiste Auguste Vaillant lance une bombe dans l'hémicycle de la Chambre des députés française pour venger l'anarchiste Ravachol, guillotiné le 11 juillet 1892. Vaillant sera guillotiné deux mois plus tard.

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La France introduit l'immatriculation des autos.

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La France ajoute le Laos à son Union Indochinoise.

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La Côte d'Ivoire devient une colonie française.

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Mary Kingsley explore une grande partie de l'ancien Congo français.

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La Nouvelle-Zélande est le premier pays au monde à accorder le droit de vote aux femmes. - 88 -


Touage par adhérence magnétique. Le système de Bovet. La nature 27 mai 1893, article de E. Hospitalier En 1856, aux débuts du touage sur la Seine, le monopole de la traction était réservé à ce système. Le remorquage était impossible sur notre fleuve. Les travaux de canalisation exécutés depuis cette époque, ont fait de la Seine une voie navigable de premier ordre, à grande section, à grand tirant d'eau, à faible courant, et à navigation facile. Tous éléments qui ont réduit les avantages du touage au profit du remorquage, si bien qu'à la première période de possession tranquille, ont succédé la période actuelle et toutes les difficultés de la concurrence. Le touage ayant une incontestable supériorité à la remonte, supériorité d'autant plus grande que le courant est plus rapide, tandis que le remorquage est, en toute circonstance, préférable à la descente. Il faut, pour arriver à faire un service aussi parfait que possible, employer des remorqueurs-toueurs, à hélices ou à roues, munis d'un appareil de touage ne servant qu'à la remonte, et permettant de jeter la chaîne en tous points du parcours.

Voici comment M.Bovet justifie la nécessité de l'emploi du toueur-remorqueur : " Un toueur remorque des trains de bateaux en se halant sur une chaîne noyée sur toute la longueur du parcours, et ancrée à l'extrémité amont. L'appareil permettant au bateau de se haler se compose de deux treuils à gorges parallèles : la chaîne s'y enroule plusieurs fois de suite, allant de l'un à l'autre, pour assurer une bonne adhérence. Une machine à vapeur fait tourner ces treuils, et le bateau avance d'une quantité égale à la longueur de chaîne déroulée. Comme le point d'appui est fixe, le rendement de l'ensemble est excellent. Par contre, à la descente, le toueur ne peut quitter la chaîne qu'en la déroulant et en la jetant à l'eau, créant de ce fait un mou de 40 mètres au point où l'opération est faite.

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Si un toueur pouvait aisément quitter la chaîne en tout point du parcours, il suffirait de le munir d'un propulseur pour qu'il pût redescendre en route libre, sans le risque qu'a le toueur à la descente, d'être rattrapé par les bateaux qu'il remorque. On aurait ainsi un service à deux voies avec une seule chaîne, ce qui améliorerait considérablement les conditions d'exploitation des Compagnies de touage. " M. Bovet a eu l'idée de demander au courant électrique le moyen d'adhérence de la chaîne au tambour qui l'entraîne, par aimantation. La Compagnie de touage de la Basse Seine et de l'Oise a fait construire l'Ampère, un toueur de 33 mètres, équipé d'une poulie aimantée par un électro-aimant qui, avec seulement trois quart de tour et 3 m de chaîne, développe une adhérence suffisante, ainsi que d'une hélice. Sa machine, de type pilon compound, placée vers le milieu du bateau, peut, au moyen de deux embrayages, actionner à volonté l'hélice, en développant 150 chevaux à 150 tours par minute, ou l'appareil de touage en développant 60 à 80 chevaux à 90 tours par minute.

Ancien système à plusieurs poulies

Nouveau système à entrainement électromagnétique

Telles sont les dispositions principales du système de touage réalisé par M. Bovet sur l'Ampère. Ce n'est d'ailleurs pas la seule application à laquelle se prête l'adhérence électromagnétique : elle pourra être utilisée aux embrayages de machines, au freinage des voitures de chemins de fer et de tramways, mais nous n'avons voulu décrire aujourd'hui qu'une des plus ingénieuses applications, sanctionnée par l'expérience, et à la veille d'introduire une révolution dans les procédés actuels de touage sur les rivières canalisées.

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L'année 1894

MEDAILLE COMMEMORATIVE DU CENTENAIRE DE L' ECOLE POLYTECHNIQUE ( Musée de la Monnaie) -

Le 1° janvier, nombreuses perquisitions à Paris chez les personnes soupçonnées d'anarchisme.

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Le 6, le froid cause de nombreuses victimes.

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Le 19 février, arrestations d'anarchistes. Nouvel attentat rue St Jacques.

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Le 4 avril, arrivée à Paris du compositeur G. Verdi.

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Le 21 avril, emprunt municipal de 200 millions (500 millions d'€). Il est couvert 84 fois.

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Le 24 juin, nouvelle de l'assassinat du Président de la République, Carnot, commis à Lyon par un anarchiste.

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Le 27, élection de Casimir Perrier à la Présidence de la République.

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Le 1° juillet, funérailles de Carnot et arrestations de deux cents anarchistes.

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En septembre, découverte par le Docteur Roux, élève de Pasteur, d'un remède contre le Croup (Diphtérie).

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Fin octobre, arrestation d'un capitaine d'artillerie accusé d'avoir livré à l'Allemagne des documents concernant la défense du pays. Cet officier se nomme Alfred Dreyfus.

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Le 22 décembre, condamnation à l'unanimité de Dreyfus à la déportation à perpétuité et à la dégradation militaire.

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Début du règne de Nicolas II, tsar de Russie (fin en 1917).

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Des milliers d'Arméniens sont massacrés en Turquie.

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Le compositeur tchèque Antonin Dvorak compose sa Cinquième symphonie.

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L'ingénieur russe Alexandre Popov invente l'antenne.

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Le bactériologiste allemand Paul Ehrlich invente la chimiothérapie.

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Le médecin et bactériologiste japonais Shibasaburo Kitasato découvre le microbe de la peste. - 91 -


Le canal des Deux Mers Article de Yves de la Basthe, ingénieur dans "Le Cosmos" du 18 Août 1894 Historique. Comme toutes les grandes idées, celle de réunir l'Océan et la Méditerranée par un canal a eu une longue éclosion. Les Romains avaient déjà songé à créer une voie d'eau à travers la Narbonnaise, afin d'abréger les routes, et surtout éviter les grands dangers du détroit de Gibraltar. Mais leurs moyens ne leur permettaient pas de mettre cette œuvre à exécution. L'idée ne fut reprise que sous François I°, sans aboutir. Richelieu fit faire de nouvelles études qui ne dissipèrent pas le soucis des précedentes sur l'alimentation en eau de ce canal. C'est Pierre Riquet, baron de Bonrepos, qui avec l'autorisation du Roi par un édit de 1666, entama le creusement de ce canal achevé en 1681, et ouvert six mois après la Mort de Riquet. Ce canal avait coûté la somme, formidable pour l'époque, de 17 millions de francs, dont les deux tiers avaient été fournis par les états du Languedoc et l'autre tiers par Riquet lui-même. Sa fortune personnelle avait été totalement absorbée, et il laissait à ses héritiers sa gloire et 2 millions de dettes. Le canal du Languedoc a 10 m de largeur au plafond, 20 mètres à la flottaison, et 2 mètres de profondeur. Il rend bien encore des services à la petite navigation, mais il ne répond ni aux besoins de notre époque, ni aux nécessités de l'avenir. Aussi, depuis un demi-siècle a-t-on plusieurs fois proposé de le transformer en instrument de grande navigation. Eviter le détroit de Gibraltar ! C'est le grand désir des navigateurs qui redoutent ce passage, aussi terrible en temps de paix par ses courants violents et ses vents contraires, qu'il le devient en temps de guerre par ses canons. Il n'est pas rare, en effet, de voir des flottes entières attendre plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, qu'une saute de vent veuille bien leur permettre de franchir le détroit. De nombreuses compagnies d'assurance refusent de garantir cette traversée. En 1867, M. de Magnoncourt présenta un projet de canal maritime de 10 m de profondeur, allant de Rochefort à Marseille, par Bordeaux. M. Lecomte dressa un contre-projet dans lequel il empruntait le canal du midi et le canal latéral à la Garonne, pour créer un canal maritime de 8 m de profondeur entre Sète et Arcachon.. De 1870 à 1886 se succèdent quantité de projets dont aucun n'est retenu.(1) Les choses en étaient là lorsque s'est fondée la Société nationale d'initiative et de propagande pour l'exécution du canal des deux mers. Cette Société comprit tout de suite qu'à notre époque toute scientifique, on ne pouvait pas atteindre le but désiré par une œuvre personnelle et qu'il était préférable de faire appel à toutes les lumières, à toutes les conceptions techniques. Un programme parfaitement conçu et très détaillé fut envoyé à tous les ingénieurs français. Environ 250 ingénieurs ont adhéré à ce concours. Nous y reviendrons plus tard. Avantages du canal des Deux-Mers. Si nous prenons l'île d' Ouessant dans l'Océan Atlantique, et celle de Malte, dans la Méditerranée comme points de passage commun à la plupart des lignes maritimes dans les deux sens, nous voyons que l'économie de distance, en faveur du canal, atteint 2300 km sur la route de Gibraltar. En comptant une durée maximum de cinquante heures dans le canal, les navires gagneront, en l'adoptant, de trois à huit jours, suivant leurs points de départ et d'arrivée. L'armateur fera ainsi de cinq à dix voyages de plus par an. Les avantages que l'agriculture doit tirer par l'irrigation, de cette construction sont évidents à tous. C'est près d'un demi-million d'hectares qui bénéficieraient d'une luxuriante fertilité. Les vaillantes populations du midi attendent avec une légitime impatience l'exécution de ce travail, car il va falloir, sous peine des complications les plus graves, fournir du travail à ces légions d'ouvriers qui vont avoir terminé notre grand réseau de chemin de fer, et sont ainsi à la veille d'un chômage dangereux pour l'ordre social. - 92 -


Non seulement cette magnifique route maritime fournira un produit considérable aux capitaux qui y auront participé, mais elle aura pour conséquence immédiate d'assurer, par l'annihilation de Gibraltar, notre indépendance militaire et notre suprématie dans le bassin de la Méditerranée, que la Grande Bretagne cherche de plus en plus à transformer en lac anglais. L'exposition des Projets Nous avons dit plus haut que 250 ingénieurs ont adhéré au projet. La Société organisatrice a organisé une exposition où a été retenue une quinzaine de projets particulièrement intéressants. Les dépenses prévues par les différents auteurs vont de 1500 millions à 500. La préoccupation de la plupart des concurrents est évidemment l'alimentation possible du canal, et par suite, la recherche des moyens qui exigent la moins grande dépense d'eau. Les procédés mécaniques, chemins de fer à navires, écluses roulantes, sas à patins, écluses mobiles portant les navires immergés, etc… ont évidemment la faveur. Nous ne savons pas encore sous quelle forme la Société d'Initiative pour le canal des Deux-Mers tirera parti de l'immense somme de travail qu'elle a provoquée. Mais on peut dès aujourd'hui lui savoir gré de ce premier et puissant effort en faveur d'une œuvre qui intéresse à tant de titres la prospérité de notre pays. Cette exposition n'aboutit à aucun projet définitif. En 1904, la Chambre des députés examine le rapport de M.Honoré Leygue sur le dernier projet en date, conçu par l'ingénieur Louis Verstraët,(ci-contre) qui est beaucoup plus ambitieux que tout ce qui a été proposé antérieurement. La canal passe à 70 m de largeur, 10m de profondeur, et serait constitué de treize écluses munies d'ascenseurs. L'alimentation en serait assurée par une prise d'eau dans la Garonne, et la construction de gigantesques réservoirs dans la vallée de l'Ariège, et sur les rivières descendant du Massif Central. En 1902, un premier vote en faveur du projet reçoit les voix de 113 députés. En 1905, ce sont 302 voix qui soutiennent le projet. Une commission technique émet un avis défavorable sur ce projet, qui entraînera le suicide de l'ingénieur en 1910. La Première guerre mondiale arrête toute préoccupation de cet ordre, mais cependant, un dernier projet vit le jour en 1928, encore plus énorme que le dernier, puisqu'il prévoyait le passage des plus gros navires de guerre et transformant à cette occasion le bassin d'Arcachon en rade pour vaisseaux de guerre.

Les écluses à portes coulissantes auraient été composées de quatre bassins accolés, avec une hauteur de chute de 22,5 mètres. Ce dernier projet ne vit - et ne verra - jamais le jour. En 1932, la crise économique mondiale, suivie d'années très difficiles et de la deuxième guerre mondiale seront fatales à un projet qui depuis l'Antiquité, aura fait couler beaucoup d'encre.

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Pont levant sur la rivière de Chicago. Article de B.Bailly dans Le Cosmos 27 octobre 1894 Les dispositions à adopter pour rendre les ponts ouvrants facilement et rapidement manœuvrables ont, de tout temps, été l'objet des études favorites de nombre d'ingénieurs. De là une multitude de solutions, qui ont eu des fortunes diverses. (1) La création des grandes voies modernes, des ports et des canaux destinés à recevoir d'énormes navires, est venue compliquer sérieusement le problème. Il a fallu couvrir des passes de longueur considérable par des travées ouvrantes, et en même temps, en raison des nécessités de la circulation toujours croissante, on s'est vu obligé de chercher les moyens de les manœuvrer avec une rapidité qu'on ne demandait pas autrefois lorsqu'il ne s'agissait que de tabliers de quelques mètres de longueur. Tout d'abord l'antique Pont-levis a été abandonné, et on songe rarement à l'employer aujourd'hui. Le Pont de la Tour de Londres, que l'on vient d'inaugurer, est une exception hardie que l'on se plaît à citer Mais dans ce cas particulier, on n'a choisi une solution aussi coûteuse que pour des raisons d'esthétique, ce monument s'élevant au cœur de la ville et tout près de la Tour elle-même. C'est sans doute le plus grand pont-levis qui ait jamais été construit. (2).

On n'a pas craint, en Amérique, à Chicago, d'aborder le problème de l'ouverture d'une passe destinée aux navires par le moyen d'un pont levant.

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La gravure ci-contre, empruntée au Scientific American, donne une idée de l'ensemble du système. Certes, à première vue, on peut reconnaître que l'ingénieur s'est moins occupé de l'aspect de son œuvre que de son côté utilitaire. Disons tout de suite qu'il a poussé la simplicité jusqu'à ses dernières limites, dans les moyens employés. M. Waddell, l'auteur des plans, reconnaît que son pont est fort laid, mais il pense que ce défaut n'est pas inhérent au système, et il se propose de faire mieux, quand ses clients voudront y mettre le prix. Le tablier a près de 40 m de longueur et 12 de largeur. Il pèse 125 tonnes. En service, il repose simplement sur les maçonneries des deux quais. Dans son mouvement d'ascension, des galets montés à ses extrémités le guident sur les montants de pylônes. Les galets destinés à le guider dans le sens longitudinal sont montés sur de puissants ressorts pour parer aux effets de la dilatation. Ceux qui doivent empêcher les mouvements latéraux ont une monture assez faible, au cas où un navire viendrait heurter le tablier, elle céderait avant que celui-ci ne soit avarié. Seize câbles en acier, passant sur des poulies au haut des pylônes, soutiennent le tablier. Huit portant des contrepoids équilibrent à peu près la charge. Les huit autres reçoivent le mouvement d'une machine à vapeur établie sur le quai. A chaque opération, on n'élève le pont que de la quantité nécessaire pour laisser passer le bateau qui se présente. Quand il faut l'élever à toute hauteur, la manœuvre ne demande pas plus d'une minute. On s'occupe peu des passants quand arrive le moment de soulever le pont. Ainsi, un jour, le pont avait enlevé huit personnes. Mais voilà qu'au haut de sa course, le mécanisme s'est dérangé. Un policeman et deux enfants, plus hardis, se sont laissés redescendre avec des cordes. Cinq hommes, plus prudents, n'ont pas voulu prendre cette voie périlleuse. On leur a passé des vivres, et ils ont attendu trente-six heures ! Malheureusement, on ne nous a pas gardé leurs impressions. Mais ce sont là des détails, et M. Waddelll estime son œuvre parfaite. Il pense qu'il n'y a aucune raison , aujourd'hui, pour ne pas l'appliquer aux passes de 150 mètres et même davantage. Nous ne pouvons nous empêcher de le croire un peu hardi et partant dangereux. Quand un navire passera sous un tablier mobile de 150m, il y aura certainement à bord un moment d'inquiétude. Les tabliers qui ne redescendent pas au commandement peuvent, sans doute aussi, redescendre brusquement, sans avis préalable.

(1)

voir Pont à soulèvement sur le canal de l'Ourq, 1885

(2)

voir Un nouveau Pont sur la Tamise 1889

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Le canal maritime de Manchester Article de P.Viator dans Le Cosmos 3 novembre 1894

Le Ship Canal, comme l'appellent les Anglais, a été inauguré au commencement de cette année. Il est destiné à établir une communication entre Liverpool et le grand centre manufacturier du Lancashire, que plus de 50 km séparent de l'embouchure de la Mersey. Ce n'est pas d'aujourd'hui seulement que les habitants de Manchester ont songé à établir une voie de communication économique et commode pour porter à la mer les produits de leur industrie. Déjà en 1776, ils ouvrirent le canal de Bridgewater (1) qui rendit, à cette époque, de grands services, et fit baisser de moitié le prix des transports entre Liverpool et Manchester. Ce n'était pourtant qu'un canal fluvial inaccessible aux navires de haute mer. L'établissement des voies ferrées, au milieu de ce siècle, détourna un moment l'attention des voies maritimes. On sait que ce fut entre Liverpool et Manchester que fut établie la première ligne de chemin de fer du monde entier, en 1829. Depuis lors, d'autres lignes furent établies entre les deux villes, mais le prix du transport ne diminua pas. En 1880, les principaux négociants et industriels de Manchester mirent à l'étude un projet de canal permettant aux navires de haute mer de venir charger et décharger directement leurs marchandises bord à quai à Manchester, en supprimant par suite, les frais énormes de transbordement et de transport par les voies fluviales ou ferrées. Au moment où les projets de canal de jonction de l'Océan à la Méditerranée, (2) de Paris port de mer, occupent les esprits en France, il est intéressant de voir comment les Anglais ont fait de Manchester un port de mer.

Un premier projet rencontra une très forte opposition de la Ville de Liverpool, mais aussi des puissantes compagnies de Chemins de fer, et même du canal de Bridgewater. Un second projet plus coûteux, car au lieu de creuser un simple chenal dans la Mersey, il prévoyait un canal creusé dans les terres, reçut la sanction Royale en Août 1885.

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Les dépenses prévues étaient, comme toujours, bien loin de correspondre à la réalité. Plus de 300 millions (3) furent consacrés aux travaux de construction. Dès juillet 1891, on ouvrit au commerce la section d'Eastham à Port Ellesmere. Enfin, le 25 novembre 1893, le canal était achevé de bout en bout. Il fut inauguré le 1° janvier 1894, et les navires de haute mer commencèrent alors à remonter jusqu'aux quais de Manchester. Pour le tracé du canal, les ingénieurs durent utiliser un petit affluent de la Mersey, l'Irwell, qui coule à Manchester. Le pays, aux environs de Manchester, est habité par une population si dense que la moindre expropriation eût entraîné des suppléments de dépenses exorbitants. Le canal a donc emprunté le lit de l'Irwell sur 20 km. Le canal a une longueur totale de 66 km, pour une largeur au plafond (4) de 36,60 m ( Suez n'a que 22 m) et une profondeur de 7,90 m. On a eu soin d'établir les radiers des écluses 60 cm plus bas, de sorte que, si le besoin s'en fait sentir, on pourra porter la profondeur du canal partout à 8,50 m. Cinq écluses partagent le canal en biefs inégaux. Les écluses multiples de Eastham permettent d'ajuster la dépense d'eau à la taille des bateaux.

Pour les petites rivières croisées par le canal, on les a fait passer en dessous du plafond dans des tubes en fer formant siphon. Pour les routes ordinaires, on a eu recours à des ponts tournants. Il y en a sept en tout. Pour les chemins de fer, on a reculé devant le même procédé à cause de la gêne qui en résulterait pour le trafic, très intense, de ces lignes, et pour ne pas augmenter l'opposition des compagnies de chemin de fer à cette réalisation. Deux autres obstacles d'une nature différente ont nécessité des travaux particulièrement intéressants. L'aqueduc de Vyrnwy, qui apporte à Liverpool l'eau des hauteurs du Pays de Galles, a été siphonné au moyen de tubes métalliques passant sous le lit du canal. Le canal de Bridgewater ne pouvait être traité de la même façon. Malgré l'ouverture du canal maritime, il n'en continue pas moins à servir pour la batellerie, à laquelle il offre une voie moins coûteuse. Ne pouvant ni le supprimer, ni le détourner, les ingénieurs anglais ont eu recours à une solution fort originale, qui constitue une des œuvres d'art les plus remarquables du canal maritime. Ils ont construit un pont tournant destiné à faire passer l'ancien canal par-dessus le nouveau. Ce pont a son pivot sur une île artificielle construite sur la canal maritime. Le pont tournant est muni à chaque extrémité de doubles portes étanches. Quand un navire se présente, on ferme ces portes, on fait tourner ce pont, et toute la section du canal Bridgwater vient se ranger dans l'axe et au-dessus du nouveau canal, pour reprendre ensuite sa place, sans qu'une goutte d'eau soit perdue, affirment les Anglais. On frémit à la pensée du désastre qui surviendrait si, par suite d'un accident imprévu, une des portes venait à manquer, et que l'ancien canal se précipitât dans le nouveau. En résumé, au point de vue de l'art de l'ingénieur, le canal maritime de Manchester est une œuvre des plus remarquables. Les Anglais en sont très fiers et le comparent volontiers au canal de Suez. On dirait qu'ils cherchent à prendre leur revanche sur l'œuvre de M. de Lesseps, et qu'ils ne veulent pas laisser à la France le monopole des grands travaux maritimes, parmi lesquels, du reste, le canal de Suez reste une œuvre unique en son genre, tant par son caractère d'utilité générale que par les difficultés qu'elle a présentées à une époque où aucun travail analogue n'avait été encore exécuté. Nous reconnaissons cependant que le travail de nos voisins, pour être d'un intérêt moins général, est malgré tout une œuvre grandiose. (1) Voir "un canal remarquable" 1891 - 97 -


Transporteur électrique appliqué au touage USA Article de B.Bailly dans Le Cosmos 13 octobre 1894

Un système de transporteur original inventé par un Américain de New York, M. Lamb, destiné à l'origine au transport des arbres abattus en forêt jusqu'à leur point de chargement, vient d'être appliqué au halage des bateaux. Le cable de halage a un seul brin fixé par ses extrémités. Sur sa course, il vient faire plusieurs tours sur une roue montée sur l'axe moteur d'une minuscule locomotive électrique soutendue par une poulie sous la voie commune où elle se remorque elle-même, entraînant les fardeaux suspendus derrière elle. La locomotive porte un siège sur lequel s'assoit le mécanicien qui la conduit et se déplace avec elle. Des expériences viennent d'avoir lieu sur l'application de ce système au halage des bateaux sur les canaux et les rivières. Quand des bateaux ainsi traînés et allant en sens contraire se rencontrent, ils n'ont qu'à changer de remorqueur pour continuer leur route.

En signalant l'heureux parti que les ingénieurs savent tirer des ressources de l'industrie moderne, nous ne pouvons pas, tout en les admirant, nous empêcher de déplorer les abus dont elles sont l'occasion. Les spéculateurs modernes semblent jaloux de ne rien laisser à leurs descendants, des richesses naturelles dont ils devraient se considérer comme les usufruitiers. Cette fièvre a envahi le monde tout entier. Mais au Etats Unis, où ces richesses sont encore plus abondantes, elle est poussée jusqu'à la folie. On y a imaginé les moyens les plus puissants. Ils pourraient servir à exploiter sagement avec la moindre fatigue pour l'homme. On les emploie à obtenir, au prix de travaux excessifs, le plus possible, dans le plus court délai. Les mines s'épuisent, les forêts disparaissent, les espèces animales s'éteignent. Aux Etats Unis, on aime à se dire la plus intelligente, la plus savante, la plus active , la plus riche, en un mot, la plus grande des nations. Si les errements actuels continuent et se développent dans la même progression, on aura peut-être, dans un siècle, à ajouter un nouveau superlatif, et on pourra se vanter d'être le pays le plus épuisé de la terre.

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L'année 1895

LA LOCOMOTIVE DE LA GARE MONTPARNASSE TOMBANT DANS LA RUE. Dessin de Félix Desgranges. ( Monde illustré)

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Le 5 janvier, Alfred Dreyfus est dégradé.

Le 17, Félix Faure est élu Président de la République. Le 7 février, le thermomètre descend à -15,4°C. Le 30 mars, inauguration du prolongement métropolitain de la ligne de Sceaux. Le 18 avril, le tribunal correctionnel de la Seine inflige 90 amendes à un industriel parisien qui employa 90 ouvriers pendant plus de 12 h de travail effectif par jour. Le 21 juin : Inauguration du canal reliant la Mer du Nord à la Mer Baltique (Kaiser-WilhelmKanal). Le 26 juillet, violent ouragan qui cause des dégâts considérables à Montsouris et au Jardin des Plantes. Le 10 septembre, une trombe traverse Paris de St Sulpice aux Buttes Chaumont. Le 16, le thermomètre monte à 35,5°C. Le 29 septembre, mort de Louis Pasteur. Le 22 octobre, un train fou défonce la Gare Montparnasse et tombe sur la Place de Rennes. Aux ateliers Cail, à St Denis, on voit un bateau rouleur sans coque, imaginé par M.Bazin, constitué par une plate-forme élevée de 7 mètres au-dessus de l'eau et supportée par d'énormes roues creuses. Le révolutionnaire russe Vladimir Ilich Ulyanov, dit Lénine, est exilé en Sibérie. Le Kenya devient un protectorat britannique. Prise de Tananarive par les Français (fin de l'expédition de Madagascar). Création du gouvernement général de l'Afrique Occidentale Française (A.O.F.). Début de la seconde guerre d'indépendance à Cuba, impitoyablement réprimée par l'Espagne. Le Japon se dote d'une flotte de guerre et s'allie avec la Grande-Bretagne. Fin de la guerre sino-japonaise. La Chine signe le traité de Shimonoseki et accepte la cession de Taiwan au Japon. Première projection du film Sortie des usines Lumière par les frères Louis et Auguste Lumière. Le médecin autrichien Sigmund Freud publie ses premiers travaux sur la psychanalyse. Les frères Lumière déposent le brevet du cinématographe. Le physicien italien Guglielmo Marconi invente la télégraphie sans fil. Découverte des rayons X par le physicien allemand Wilhelm Röntgen qui réalise la première radiographie.

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Le Canal de la Mer du Nord à la Baltique. Article de G. Béthuys dans "Le Cosmos" du 29 juin 1895 Nous laisserons à d'autres le soin de philosopher au sujet de l'inauguration solennelle du nouveau canal de la Baltique, nous enfermant dans notre rôle d'ingénieur pour examiner rapidement l'œuvre récemment achevée par les ingénieurs allemands. Si des raisons militaires donnent une importance considérable à cette voie creusée pour relier les deux grands ports de guerre de l'Allemagne, Kiel et Wilhelmshafen, il faut bien dire que, depuis longtemps, de puissantes raisons commerciales militaient en faveur de cette entreprise. Le Jutland (1) n'est pas un mince obstacle en travers de la route qui mène de la Mer du Nord à la Baltique. Ses côtes hérissées et les étroits passages qui serpentent à travers l'archipel danois ont auprès des marins une assez mauvaise réputation. De 1858 à 1885, 10 000 bateaux se sont échoué dans ces parages ; sur ce nombre, 91 vapeurs et 2 742 voiliers se sont perdus totalement.. La longueur totale du canal est de 93,650 km, divisée en tronçons d'une douzaine de kilomètres par des garages assez élargis pour permettre le croisement des plus gros bâtiments. La vitesse d'exploitation est celle qu'admettent les règlements du canal de Suez, soit 10 km à l'heure. Seuls deux grands ponts fixes ont été construits qui livrent passage, chacun, à une ligne ferrée et à deux routes.

Ces ouvrages sont assurément remarquables par leurs belles proportions et une certaine originalité dans la conception des portiques en maçonnerie qui surmontent leurs culées. S'il faut en croire la chronique, l'auguste crayon d'un empereur n'aurait pas dédaigné de collaborer à cette œuvre. En dehors de ces grands ouvrages d'art, les routes nombreuses que coupe le canal doivent se contenter, pour le franchir, du service incommode de bacs ou de ponts tournants. C'est également sur des ponts tournants de cinquante mètres de portée que passent séparément les deux voies du chemin de fer de NeuMünster à Rendsburg. Pour permettre l'accès au canal en tout temps, même en prévoyant la réparation des ouvrages, on a construit un double jeu d'écluses au moyen de sas accolés. La dénivellation venant, suivant l'heure de la marée, de la mer ou du canal, on a dû également mettre partout doubles portes, busquées les unes en dedans, les autres en dehors (portes de flot et portes d'ebbe, comme disent les hommes de l'art). - 100 -


Toutes les manœuvres se font hydrauliquement, et l'on a poussé les précautions jusqu'à entourer, pour éviter les effets de la gelée, les aqueducs de remplissage et de vidange, d'une chemise susceptible d'être chauffée à la vapeur.

D'autres écluses moins importantes ont été construites aux points où le canal coupait les différents cours d'eau de la région; l'Eider, notamment, près de Rendsburg. Pour l'exécution de tous ces travaux, et surtout pour le creusement de la cuvette du canal à travers des régions assez difficiles, il a fallu amener et faire vivre une armée d'ouvriers de toutes provenances, auxquels, avec une discipline toute militaire, et pour leur plus grand bien, d'ailleurs, le gouvernement a immédiatement appliqué les formules du socialisme d'état chères à son jeune empereur. Cette intervention du gouvernement s'est appliquée à tout : aux salaires qu'elle a empêché les entrepreneurs d'abaisser à leur guise ; aux installations et à la nourriture des ouvriers. Grâce à ces sages précautions, à cette discipline à la prussienne, et malgré quelques tentatives de meneurs venus du dehors en tournée de propagande, toute grève fut évitée pendant les huit années que dura le creusement du canal. Maintenant que les lampions sont éteints et que se sont dispersées les flottes de guerre rangées côte à côte pendant quelques heures pour se mesurer de l'œil, sans doute, avant qu'on les mette aux prises, l'ère de l'exploitation va commencer pour l'œuvre nouvelle et nous souhaitons qu'elle soit profitable à la navigation dans ces parages. La mauvaise humeur des riverains s'effacera aussi peu à peu. Les gens qui avaient de bonnes routes s'habituent difficilement à s'arrêter pour prendre le bac. Ceux qui possédaient des prairies se plaignent que le canal les a desséchées et réduites à l'aridité la plus complète. Les propriétaires de châteaux réclament à leur tour pour la perspective qu'on leur a gâtée. Ces plaintes ne m'apitoient qu'à demi : chaque ligne ferrée qu'on trace chez nous en soulève d'analogues… (1) partie nord de la presqu'île danoise

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Une cale de halage américaine Scientific american 1895 Le chantier dont la vue est ici présentée est établi à une douzaine de kilomètres au-dessous de St Louis, sur le Mississipi.

C'est un chantier de construction avec des dispositions permanentes, pour mettre à l'eau, en les lançant en travers, les bâtiments qui y sont achevés, et aussi un chantier de réparation, les mêmes dispositions permettant de haler au sec les plus grands bateaux de rivière qui fréquentent le grand fleuve. Une installation de ce genre, quoiqu'on n'en trouve guère d'exemples dans notre pays, n'aurait rien d'extraordinaire en elle-même, n'étaient ses dimensions considérables. Les bateaux qui sillonnent le Mississippi sont de toute autre taille que ceux de nos modestes rivières françaises, et il n'est pas rare, là-bas, que l'on ait à haler au sec des bâtiments de 1000 tonneaux ; on a vu y monter des navires de 110 mètres de longueur, 15 mètres de largeur et 2,75 mètres de creux. Les bateaux de rivière, avec leur fond plat et leur petit tirant d'eau, sont très spécialement aptes à utiliser sans difficulté un système de ce genre. Celui-ci se compose en somme de longerines parallèles se prolongeant jusqu'à une certaine distance sous l'eau ; les longerines portent des rails sur lesquels reposent les roues des chariots, dont l'ensemble forme le gril destiné à recevoir le navire. Ces chariots, un pour chaque paire de longerines, sont formés de deux flasques, tels que leurs parties inférieures reposant sur les rails, les parties supérieures sont horizontales. Pour les mouvoir, un arbre, mû par une machine à vapeur, s'allonge à la partie supérieure du chantier, et sur toute sa longueur.

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En face de chacun des chariots, il porte un pignon conique donnant le mouvement à une vis sans fin qui le transmet elle-même à une roue montée en arrière, sur un arbre portant à ses deux extrémités des couronnes destinées à recevoir les chaînes de halage ; celles-ci, sans fin, sont raidies sur une poulie dormante fixée au bas du chantier. Le pignon conique, qui commande le mouvement de chaque système, est mobile sur l'arbre, et peut être enclenché ou déclenché par le simple jeu d'un levier. Chaque chariot est entouré d'une chaîne passant sur des poulies à sa partie inférieure, et dont les extrémités, terminées par des crochets, viennent se fixer dans les mailles des grandes chaînes de halage. Il en résulte que l'effort appliqué à chaque chariot se produit toujours exactement dans le sens de la voie. Quelques heures suffisent, pour haler sur la rive les plus lourds navires. La construction des bâtiments se fait tout en haut du chantier ; quand on veut les mettre à l'eau, il n'y a qu'à amener les chariots sous leurs fonds. Ils sont légèrement soulevés, puis redescendus dans l'eau avec la plus grande sûreté.

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Voies ferrées et voies d'eau, l'ancêtre du ferry-boat Article de M. Daniel Bellet publié dans la revue La Nature en 1895 Il n'est pas un congrès de navigation intérieure, de chemins de fer, où ne soit posée la question de la concurrence des chemins de fer et des canaux. En fait, les unes et les autres ont chacune deux rôles : c'est ce dont on n'est pas assez convaincu en France ; c'est ce que l'on comprend bien en Allemagne, puisque les deux modes de transport y sont sous la tutelle du même Ministère. Il n'est pas dans ce pays, un port de navigation où ne soient installées des voies permettant aux wagons de venir en contact immédiat avec les chalands, et tout le monde s'en trouve pour le mieux, autant les entreprises de chemin de fer que les compagnies de navigation, et les industriels comme les consommateurs.. En somme, on fait concourir les deux types de moyens de communication à l'amélioration des transports. Mais il y a une façon spéciale d'entendre ce concours, assurant le transit des marchandises sans rupture de charge : cette manière de faire est pratiquée surtout aux Etats Unis, au moyen des bateaux porte-trains. On sait que ces bateaux ont reçu le nom de ferry-boats, et sont nombreux. Par exemple, le Toledo Ann Harbour and Northen Michigan Railroad possède un tel service entre Kewannee (Wisconsin) et Franckfort (Michigan) : les wagons sont solidement arrimés sur le pont des bateaux. Il s'agit là d'un vrai voyage de 109 km qui s'effectue en cinq heures, quand il n'y a pas de glace, et qui n'offre pas de dangers même par mauvais temps. La compagnie Pennsylvania Railroad a de son côté trouvé un système fort original, pour assurer le transport sans transbordement des marchandises embarquées sur des chalands. Notre gravure fait aisément saisir l'économie de ce procédé, employé dès l'année 1843. Les trois éléments portés par trois wagons étaient réunis en un seul bateau par des ferrures spéciales, chaque tronçon se terminant par une cloison étanche. ( figure 2) Le bief de partage impossible à construire à cause de son altitude et donc de son coût est remplacé par une voie ferrée à crémaillère qui rachète rapidement la pente importante du relief, sans déchargement des cargaisons. La même compagnie possède sur l'Hudson toute une flotte de grands chalands qui transportent les plus grands wagons à marchandises du terminus du chemin de fer, à Jersey-city, jusqu'au dépôt situé à New York même.

Toutes ces questions sont fort intéressantes, surtout au moment où, en Sibérie, on prépare une grande voie de communication dont les sections ferrées alterneront avec des sections empruntant des voies d'eau… (*) N'a-t-on pas là, le premier ancêtre de nos modernes porte-conteneurs ?

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Un propulseur amovible pour embarcations (revue cosmos 1895) Naguère, M.Trouvé, l'inventeur bien connu, a présenté un canot électrique, dans lequel le gouvernail portait lui-même, à sa partie inférieure, l'hélice propulsive, et à la partie supérieure, le moteur électrique destiné à lui donner le mouvement. L'arbre de l'un était relié à l'arbre de l'autre par une chaîne sans fin. L'Electric Boat Compagny, de New York, construit aujourd'hui des appareils propulseurs pour embarcations qui dérivent de ce type, mais qui en diffèrent sensiblement quant aux dispositions. L'ensemble ressemble assez exactement à une godille reposant par une ferrure sur l'arrière du canot.

Ce pseudo-aviron est un tube creux contenant un arbre de transmission flexible qui relie le moteur, placé vers la partie antérieure, à l'hélice établie à l'autre bout ; une poignée qui se prolonge dans l'embarcation sert à la manœuvrer. Il porte une ailette inférieure destinée à jouer le rôle de gouvernail, ce qui représente un véritable luxe, les déplacements de l'hélice devant suffire largement à assurer la direction. L'arbre d'hélice, formé de trois câbles en fils de bronze phosphoreux, tourne dans le tube dans un bain d'huile. Enfin, pour une embarcation de 6 mètres, le système à employer ne pèse guerre que 16 kilogrammes. Dans le bateau de M. Trouvé, la puissance était fournie par des piles. Ici, elle est donnée par des accumulateurs ; leur puissance et leur nombre déterminent la vitesse que l'on veut donner à l'embarcation et qui, naturellement, peut varier entre d'assez larges limites. Comme dans le canot Trouvé, ce système est absolument silencieux, ce qui paraîtra un grand avantage aux pêcheurs et aux chasseurs . Malheureusement, ils sont peu nombreux. Non seulement la dépense doit être un peu lourde, mais combien y a-t-il de sportsmen qui soient à la portée d'une usine électrique pour faire alimenter les accumulateurs qui sont l'âme du système ? - 105 -


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