Mémoire photographique Champenoise « Centre Régional de la Photographie de Champagne Ardenne » Villa Bissinger 51160 Ay Bulletin bisannuel Prix de vente au numéro : 2 €
Le portrait dessiné est une pratique journalière de Jean Poyet dès 1919, souvent fait à partir d'un mauvais document, ce qui n'est pas le cas ici, pour immortaliser l'image d'un disparu.
N° 10/11 Décembre 2010 Parution du n° 12 En juin 2011
http://memoirephotographiquechampenoise.org
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Mémoire photographique champenoise Bulletin de l'association loi de 1901
Centre Régional de la Photographie de Champagne-Ardenne Villa Bissinger 51160 Ay Editorial Des événements aussi variés que inattendus nous ont empêché de sortir notre N° 10 en juin de cette année. Trop peu nombreux à assurer la rédaction de chaque numéro, le moindre incident a des conséquences éditoriales importantes. Autrement dit, nous avons été mis – ou nous nous sommes mis – entre parenthèses pendant pratiquement six mois. Convaincu que personne ne nous en voudra, je sais par expérience que ce qui nous préoccupe et nous passionne, peut laisser la plupart de nos contemporains dans une indifférence totale ! Pas une réclamation du numéro manquant ne nous est parvenue... Mais nous continuons... Nous avons essayé, lors de la rédaction des statuts de notre association ne pas rester dans la contemplation exclusive du passé et de dépasser l'unique préoccupation de conserver les vieilles images, mais aussi d'agir sur le contemporain et l'avenir. Ce sont sans doute les domaines les plus difficiles à aborder, car ils supposent un travail de tous les jours pour continuer à enrichir ce fonds : récolte, classement, actions de communication pour convaincre aussi bien nos adhérents que d'autres personnes extérieures, de consacrer un peu de temps à ce travail. C'est sans doute notre domaine de faiblesse... Heureusement, les permanences que nous assurons chaque deuxième samedi de chaque mois connaissent une bonne fréquentation, grâce à l'aide du journal local qui ne manque pas de les annoncer et nous récoltons des documents précieux. Nouvelle demande, nous assurons de la prestation de service en terme de numérisation. Ainsi, dernièrement avons-nous eu entre les mains de merveilleuses images stéréoscopiques prises sans doute vers 1950 à Pouilly sur Meuse, dont quelques unes sont visibles dans ce numéro. Le site internet reste le lien principal avec le public, et nous y avons ajouté un certain nombre de galeries d'images dont les plus anciens portraits réalisés par Jean Poyet au début du XX° siècle. Et nous espérons continuer à faire fonctionner notre moteur à enthousiasme autour de la photographie ancienne ou moderne...et poursuivre la valorisation de notre exceptionnel fonds Poyet.
Francis Dumelié. Sommaire : – – – – – – – – – – – – – – – – –
Quelques cartes de photographes régionaux
La vie de l’association. Histoire de la photographie chapitre 9 Napoléon Sarony, premier photographe américain à faire reconnaître à ses photos le statut d'œuvres d'art. En 10 ans, 65 négatifs passent d'une valeur de 45 $ à 200 millions de $ Internet est plus efficace qu'une bouteille à la mer ... L'utilisation des négatifs sur verre par Jean Poyet La retouche en photographie : une bien vieille histoire Les coulisses d'une prise de vues Misères de fin de guerre dans le travail de Jean Poyet Cent six ans rue Gambetta à Epernay La photographie en cerf volant en 1889 Photographes d'aujourd'hui : Raymond Depardon Gérard Rondeau sort un nouveau livre : La Grande rivière Marne La photographie, un art moyen de Pierre Bourdieu Le portrait : de face ou de profil ? Le 14° festival international de la photo animalière et de nature Lété et Lhiver se rencontrent un 3 septembre 1919 chez Jean Poyet
p.2 p.6 p. 8 p.10 p.12 p.15 p.17 p.22 p.23 p.27 p.30 p.31 p.37 p.39 p.41 p.44 p.51
Contacts : Présidence : Hubert Ballu : 06 08 85 13 20 Conservation du Fonds Poyet, tirages, bulletin, site : Francis Dumelié : 06 08 61 15 33 Actions Villages : Marie France Bannette : 03 26 57 04 74 Actions Villages et Secrétariat ; Marie Pierre Deplaine 03 26 52 33 51 site internet : http://memoirephotographiquechampenoise.org
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La vie de l’Association -
Les permanences du 2° samedi de chaque mois : De 10 h à midi, nous recevons les gens souhaitant s’informer sur notre action, et de plus en plus de donateurs qui nous déposent de vieux clichés familiaux ou non. Une nouveauté lors de la dernière permanence en octobre : un monsieur était très embêté avec trois boites de négatifs stéréoscopiques sur verre de son village de Pouilly sur Meuse.
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Nous lui en avons fait la numérisation – pas de suite, bien sûr, car il s’agit d’un long travail de saisie, puis de traitement des images, laissant à sa libre appréciation le montant du don à notre association en remerciement de ce travail. Nous lui avons rappelé que tout don au CRPCA est déductible à hauteur de 70% des impôts sur le revenu, ce qui fait qu’un don de 60 € lui a coûté en réalité 20 €.
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Vue stéréoscopique de la gare
Toutes ces images dataient sans doute des années cinquante. Nous attendons la confirmation. Et Meuse oblige, c’est une péniche « Solvay » du nom de la société qui exploitait une carrière de calcaire a Maxéville et transporte par une soixantaine de ces bateaux cette matière première pour fabriquer le carbonate de soude. Dont les images figurent dans ces boites de négatifs. La dernière péniche « Solvay » la n° 107, à avoir navigué est devenue un bateau logement. A titre anecdotique, le bateau théâtre « Cristal Canal », animé par Jean Max Jallin et Christelle Angora, qui vient de passer plusieurs mois dans notre région (Marne et Haute Marne) a appartenu à Michel Galabru qui en a réalisé les aménagements. Il s'agit aussi d'une ancienne péniche « Solvay »
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L’assemblée générale a eu lieu le vendredi 5 mars à la Villa Bissinger. Vous trouverez sur le site de
Notez que la prochaine assemblée générale aura lieu le vendredi 11 mars 2011 à 16 h 30 à la Villa Bissinger à Ay La Bourse annuelle d’Amicarte 51 Comme depuis plusieurs années, notre compagnie est invitée par cette Association de cartophiles à être présente lors de cette Bourse. Les fêtes Henri IV : lors du premier week-end de Juillet, nous avons assuré une animation de prises de vues à notre local de la rue Clamecy à Ay Le site internet, Comme chaque année depuis sa création, il reçoit de plus en plus de visiteurs : 1 466 en 2007 25 241 en 2008 27 448 en 2009 43 111 au 17 novembre 2010 ! Ainsi que nous le montrons encore dans ce numéro, il est plus utile qu’une bouteille à la mer, et nous a permis d’identifier nombre d’images, de donner du sens grâce à la découverte de témoins reconnaissant parfois de très loin les images présentées, le record étant l’identification de vues prises à Madagascar en 1907 par un professeur de lettres en retraite qui, depuis l'ile de la Réunion est tombé sur ces images sur notre site...
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Numérisation du fonds Poyet Au cours des dernières années, Francis Dumelié a assuré la numérisation du millier d'images concernant le Champagne, puis celle des images locales, soit deux autres milliers. Quelques galeries ont été mises en ligne sur le site, mais leur nombre augmente doucement, faute d' adhérents travaillant là-dessus. Malgré l'ampleur de la tâche, il a commencé la numérisation des portraits. La stratégie adoptée est la suivante :
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Numérisation de tout ce qui correspond au fichier "global" : Un millier de portraits pris entre le 13 août 1902 et le 20 octobre 1917. Ce qui est très peu par rapport aux 17000 clichés enregistrés dans les livres. En effet, en 1927, pour une raison que nous ignorons, Jean Poyet a trié ses plus anciennes prises de vue et n'a conservé que ce que nous appellerions aujourd'hui les "peoples". Bien sûr ce millier de portraits n'est pas représentatif de la clientèle du photographe, mais elle garde en mémoire les visages de la haute bourgeoisie sparnacienne, de beaucoup d'industriels ou commerçants, et bien sûr de beaucoup d'officiers supérieurs devenus célèbres au cours de la première guerre mondiale. Bien sûr, le recours à l'immense culture régionale de Francis Leroy, conservateur des archives municipales, a permis de définir la fonction de beaucoup de ces personnages. Tous ces détails seront prochainement mis en ligne, avec des liens établis dans ce fichier "global" vers les commentaires de Francis Leroy.
Francis Leroy et Francis Dumelié travaillant ensemble sur les portraits les plus anciens du fonds Poyet,
aux archives Municipales d'Epernay - Numérisation des portraits correspondant aux livres 6 et 6 bis, soit environ 3200 images qui nous conduisent au début de l'année 1920. - Afin de pouvoir établir des comparaisons sur les changements de modes vestimentaires, de coiffures, de prises de vue, un saut d'une dizaine d'année permet de sortir de cette période d'immédiat aprèsguerre. Ainsi est en cours la numérisation d'environ 3000 autres images à partir de 1927. - Après cette nouvelle série, un nouveau saut d'une dizaine d'années nous amènera à l'avant deuxième guerre mondiale, et ainsi de suite. Nous disposerons ainsi d'un échantillonnage ayant une réelle valeur historique, tout en espérant trouver de nouvelles collaborations afin d'aborder ces numérisations de manière exhaustive...
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L'ancien hippodrome de Oiry Dans notre dernier numéro, nous évoquions l'exposition des photos issues du fonds Poyet sur cet ancien hippodrome, prises par Jean Poyet en 1909, par l'association historique de cette commune, la Merlette. Ces photos particulièrement belles viennent d'être à nouveau présentées à l'hippodrome de Reims le 10 octobre dans le cadre d'une journée Rétro
photos de Jérôme de Horchitz
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Histoire de la photographie. Chapitre 9 Afin de ne pas lasser nos gentils lecteurs, nous passerons sur les détails fort intéressants pour ceux qui veulent approfondir l’histoire des techniques, sur les callotypes, ambrotypes, ferrotypes et autres techniques de tirage pour nous intéresser aujourd’hui aux appareils de prise de vue, et plus particulièrement au pas de géant dans la popularisation de la pratique photographique grâce à l’invention du film souple et du boitier Kodak. En introduction amusante, nous ne pouvons pas nous priver de vous communiquer cette photographie qui daterait de 1730, découpée dans le journal local l’Union, le 10 octobre 2010 ! et qui nous amènerait à revoir nos dates de l’invention du procédé, n’est-ce pas ?
C’est bien une photo, non ? Ou alors, le dessin est hyperréaliste !
L'Américain George Eastman (1854-1932) invente en 1888 l'appareil photographique pour tous. À cette occasion, il crée une nouvelle marque facile à prononcer dans toutes les langues : « Kodak ». Pour promouvoir son produit, il lance le slogan « Appuyez sur le bouton, nous faisons le reste » (You press the button, we do the rest). En effet, cet appareil, vendu 25 dollars et chargé pour 100 vues, était retourné après exposition chez Eastman qui développait et tirait les épreuves montées sur carton. Celles-ci, ainsi que l'appareil de nouveau chargé, étaient réexpédiées à son propriétaire pour 10 dollars. L'appareil, gainé de cuir noir, mesurait 165 × 95 × 83 millimètres. Il était chargé d'une bobine de papier photosensible de 70 millimètres de large fournissant des images circulaires de 64 millimètres de diamètre. Le système proposé par Eastman était alors révolutionnaire : pour la première fois, il séparait ce que tout le monde est capable de faire – prendre une photographie avec un appareil simple et maniable – des savoir-faire et des installations nécessaires à
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Le célèbre Brownie de Kodak
la pratique du laboratoire photographique. Dans cette grande aventure est intervenu un autre personnage très connu pour être l’inventeur de la bakélite, première matière plastique thermodurcissable Leo Baekeland s'intéressait à un tout autre domaine de la chimie puisqu’il travaillait à la mise au point d'un nouveau type de papier photographique. Il a ainsi inventé le papier Velox, un papier développable à la lumière artificielle. Cette invention a rencontré un tel succès qu’Eastman Kodak lui a racheté son brevet pour la somme phénoménale de 750.000 dollars ! Cette fortune a ensuite permis à Baekeland de financer ses recherches sur une nouvelle matière synthétique. Au terme de cinq années d'expérimentation, il a réussi à créer la première matière synthétique, la bakélite, en 1909. George Estmann était un remarquable homme d’affaires, mais qui n’a pas eu que des bonheurs dans la mise en place de ce marché populaire de la photographie. En effet, c’est un pasteur du New Jersey, Hannibal Goodwin, qui a inventé et breveté un film transparent souple qui lui permettait de projeter des images pour son pieux enseignement. George Eastmann a-t-il été l’un de ses auditeurs ? Toujours est-il qu’il a produit ses propres films transparents. Goodwin crée sa propre compagnie en 1900, compagnie rachetée après sa mort par la société Ansco qui a poursuivi en justice Eastmann pour violation de brevet et a gagné, Kodak étant condamné à lui verser 5 millions de dollars en 1914...qui représentaient tout de même 5% de la valeur de l’entreprise... ce qui, sur la route de la conquête d’un empire commercial mondial par Eastmann Kodak n’a été guerre plus qu’un dos d’âne, ainsi que qualifie cette condamnation Barbara Moran qui a réalisé un documentaire sur George Eastmann en 1999.
Georges Eastmann, atteint d’un cancer qui risquait de le rendre invalide, s’est suicidé en 1932. En 1924, il avait fait don de la moitié de sa fortune, subventionnant à hauteur de 75 millions de dollars le Massachusetts Institute of technologie de Boston, et l’Université de Rochester.
Nous reviendrons dans le prochain numéro sur l’aventure Kodak en Europe par la fusion de Kodak avec la société française de cinéma Pathé -7-
Napoleon Sarony , le premier photographe américain à faire reconnaître à ses photos un statut d’oeuvres d’art.. (1821- 1896 c’est un lithographe et photographe américain. Il s'est installé à New York en 1836 C'est un portraitiste très productif, qui a photographié des célébrités telles que Sarah Bernhardt ou Oscar Wilde et qui a beaucoup pratiqué la stéréoscopie
Portrait stéréoscopique de l' écrivain anglais Wilkie Collins (1824-1889), pris en 1874 par Napoleon Sarony Installé à Brodway, les célébrités défilent dans son studio. Il perçoit très vite la valeur marchande de ces portraits « people » et va jusqu’à payer ses modèles. Ainsi Sarah Bernhardt recevra 20 000 dollars pour céder les droits d’exploitation de ce portrait au photographe. En 1883, il découvre qu’un de ses concurrents vend des reproductions de son portrait d’ Oscar Wilde. Il réussit à faire reconnaître par la justice que chacun de ses portrait est une œuvre d’art, alors que son copieur soutient le caractère purement mécanique et chimique de la photographie. Et finalement, il gagne, la Cour suprême admet que les portraits de Sarony sont le résultat d’un travail intellectuel et artistique. Ce statut d’ oeuvre d’art à la photographie intervient aux USA vingt ans après que ce caractère d’ oeuvre d’art de la photo ait été reconnu par la justice française.
Oscar Wilde par Sarony Sarah Bernhardt
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Faisons un saut qui nous ramène à notre époque et attrapons au passage ce portrait de Maurice Cerveaux réalisé par Jean Poyet en 1905
Oeuvre d’art ou modeste travail d’un artisan ? Un site internet befunky.com vous assure transformer n’importe quelle photo en œuvre d’art. Voici le résultat :
Oeuvre d’art ou pas ? En tous cas, c’est la signature du site qui figure sur « l’oeuvre » et non celle de celui qui a oeuvré... Amusant ou triste ? A vous de juger !
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65 négatifs sur plaques de verres, achetés il y a dix ans 45 dollars par un américain, Rick Nordigian, amateur d’antiquités, dans une brocante, viennent d’être estimés à 200 millions de dollars... Cela semble totalement incroyable, car chacun sait que les négatifs n’atteignent jamais le prix des tirages anciens, les fameux « vintages » que j’avais évoqués dans le n° 4 de notre bulletin ( Paris Photo et le tirage le plus cher du monde, estimé à 500 000 € en 2007) Pourquoi cette cote délirante ? Ces images seraient des prises de vues du célèbre photographe américain Ansel Adams (19021984), qui a fait de superbes clichés dans l’Ouest américain, tout particulièrement dans le parc naturel de Yosemite, dans les années 1920 – 1930
Rick Nordigian, vient de passer 10 ans à essayer de faire authentifier ces négatifs comme étant de Ansel Adams, et par exemple, les traces de brûlé sur la boite qui les contenait collent bien avec l’incendie qui eut lieu en 1937 dans le laboratoire du photographe. Allant dans le même sens, des graphologues ont identifié les écritures au crayon sur l’emballage des plaques comme étant de la main de l’épouse d’Adams. Comme vous le verrez en allant sur son site, Rick Nordigian n’envisage pas de vendre les négatifs, mais plutôt d’en exploiter la vente des tirages...
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Mais laissons cette affaire somme toute anecdotique pour nous interroger sur l’élément qui détient la vraie valeur marchande : le négatif ou le tirage ? Comme je viens de le dire, l’usage valorise le tirage plutôt que le négatif, et chacun sait qu’un même négatif pourra donner des tirages forts différents les uns des autres en fonction du talent et de la technique de celui qui assure cette opération souvent complexe. Par ailleurs, il est vrai que sans poule, difficile d’avoir les œufs... Dans le cas d’Adams, la primauté du tirage est encore plus vraie. En effet, il avait mis au point une technique très particulière appelée Zone system permettant de trouver la meilleure adéquation entre les écarts de densité optique du négatif, et la gradation du papier de tirage, ainsi que les caractéristiques des révélateurs utilisés. Autrement dit, même si le négatif est bien d’Adams, seul un tirage fait par lui peut être authentifié comme une photographie d’Ansel Adams... L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ces tirages modernes faits à partir de ces soixante cinq négatifs pour les collectionneurs...
Deux citations de Ansel Adams : « Il n’y a aucune règle pour faire de bonnes photographies, il y a seulement de bonnes photographies » Et peut être, dans une certaine contradiction avec la phrase précédente : « Vous ne prenez pas une photographie, vous la faites » et pour faire, ne faut-il pas au moins quelques règles ?
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Internet est plus efficace qu’une bouteille à la mer ! Dans le n°9 de notre bulletin, nous présentions une série de 12 cartes postales éditées pour le Champagne Fortin d’Epernay, et n’ayant trouvé aucune trace de ces prises de vues dans les registres de Jean Poyet,en 1910, année supposée de la prise de vues, j’avais lancé un appel à informations. J’avais fait le rapprochement entre un jeune homme photographié en 1920, ressemblant étrangement au petit garçon des cartes postales et ce dernier Les voici tous les deux :
Le 15 août 2010, je recevais ce courriel
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Bonjour, Je viens de lire sur internet le dernier bulletin (n°9) de votre association et j'ai l'agréable surprise de retrouver mon oncle François FORTIN en page 11 et 12. Je m'appelle Caroline FORTIN suis née à Epernay, mes ancêtres sont originaires d'Athis depuis 1650 et installés à Epernay depuis 1848 environs. C'est mon arrière grand-père Hippolyte FORTIN qui a quitté le premier le village d'Athis en 1852-1853. Il est parti vers Epernay ses sabots autour du cou ( pour ne pas les user !) et accroché derrière la diligence (châlons-epernay). Il a commencé par travailler à la construction de la ligne de chemin de fer Paris Strasbourg, puis quelques années après a crée un commerce de futailles (tonnellerie). Il s'est marié le 17 mai 1862 à Epernay avec Thérèse Hortense ELOY (fille de François ELOY sabotier.) En plus de la tonnellerie, ils ont repris la saboterie. Ils auront 2 fils et 1 fille (décédée à lâge de 12 ans). Le fils ainé : Emile FORTIN (1864-1949) reprendra la saboterie, puis sera le marchand de chaussures de la place Hugues Plomb à Epernay. Le fils cadet Albert (1873-1950) reprendra la tonnellerie et développera la maison de Champagne. Albert Fortin est mon grand père, il s'est marié avec Lucie PRUDHOMMEAUX. De cette union sont nés 4 enfants : Marie Thérèse (1902), Marie Elisabeth (1903), François (1905 et André qui est mon père (1908). Ce sont ces quatre enfants que Mr POYET a photographiés en Avril 1920. (page 12 de votre bulletin) Quant à la série de 12 cartes, c'était une idée de mon grand père qui souhaitait faire de la publicité. Ils existe d'ailleurs d'autres cartes postales "publicitaires" représentant l'entreillage, la cave, l'emballage,et autres de la maison de Champagne située rue léger Bertin à Epernay ( emplacement de l'actuelle Maison Testulat)
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C'est Mr POYET qui a réalisé cette série sur un "scénario" de mon grand père. L'acteur principal est son fils François qui a environ 4 ans. La série doit donc dater de 1909-1910. Dans chaque caisse de champagne expédiée, mon grand père avait l'habitude d'y glisser des cadeaux et des cartes (pour la prochaine commande ?). Vous trouverez certainement beaucoup d'autres photos FORTIN car toute ma famille (Fortin côté paternel et GALLOT côté maternel) était des clients assidus de Mr Poyet. Je possède d'ailleurs de nombreux portraits de famille faits par POYET. Je n'habite plus Epernay depuis quelques années, mais je reste toujours très proche et à l'écoute de ce qui s'y passe. Si cela vous intéresse et si vous souhaitez d'autres informations, Je reste à votre disposition. Caroline FORTIN Inutile de vous dire le bonheur de recevoir ces informations... Le plus amusant est que le frère de cette dame, Yves Fortin habite à Epernay et était venu à l’inauguration de l’exposition de présentation du fonds Poyet à la Villa Bissinger, et m’avait parlé de ces cartes postales éditées par son grand père. Soit je n’ai pas entendu, soit j’ai oublié, et c’est bien grâce à Internet que la lumière s’est faite sur ces mystérieuses cartes postales. Une correspondance régulière s’est établie avec cette dame, et j’ai rencontré plusieurs fois son frère qui vient de me communiquer des notes manuscrites datant de 1948 écrites par l’un des deux fils de ce grand père entreprenant, Albert Fortin. Une fouille plus que minutieuse des registres en 1907 m’a permis de retrouver l’enregistrement de ce travail le 21 octobre 1907
A remarquer en marge la mention « classées en une boite spéciale au nom Fortin » Malheureusement, à ce jour, nous n’avons pas retrouvé cette boite dans nos archives, et nous sommes sûrs qu’elle n’est pas au Musée d’Epernay dont l’inventaire des 600 photos du fonds Poyet qu’il possède vient d’être terminé par son conservateur, Jean Jacques Charpy. Nous avons donc les 12 cartes postales avec le petit François, et Yves Fortin a eu la gentillesse de nous communiquer les 8 autres cartes dont les vues ont été prises ce même jour.
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La première page du manuscrit datant de 1948 Un peu comme nous l’avions fait pour le Champagne Millet Cacqué de Mareuil sur Ay, marque aussi disparue évoquée dans ce même numéro 9 ; nous avons pu accumuler une masse documentaire sur le Champagne Fortin, que nous espérons, avec l’aide des descendants mettre en valeur par une publication et une exposition...
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L’utilisation des négatifs sur verre par Jean Poyet Jusqu’à ce que l’industrie cesse de fournir aux photographes professionnels Des négatifs sur verre, Jean Poyet restera fidèle à ce vieux procédé, et avant 1950, rares sont les films souples trouvés dans cette énorme collection. Il a utilisé un appareil à films souples pendant sa mobilisation pendant une partie de la guerre de 14-18. Au studio, le négatif peut être utilisé pour une seule prise de vue – c’est le cas en général pour les photographies prises « en pied », mais souvent, un système astucieux de caches lui permet de faire jusqu’à 8 prises de vues sur la même plaque.
Ainsi, sur ce cliché, les 4 identités et la photo prise en pied portent le même numéro. Le nom de chaque client est écrit au-dessus de l’image, ou en dessous. Ce qui explique que lors d’une commande de tirage, il est indispensable d’ajouter au n° figurant dans les fichiers le nom du commanditaire...
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Et nul n’étant parfait, il arrive à notre Jean Poyet d’oublier qu’une première prise de vue a été faite, ce qui donne l’effet suivant : : une identité qui devient comme un fantôme au-dessus de l’épaule du client suivant...
Nous avions traité de ce genre d’incident dans le n° 5 de notre bulletin à propos d’un livre de Clément Chéroux intitulé Fautographie : petite histoire de l’erreur photographique, publié aux éditions Yellow Now en 2003
Et parfois pire, quand le photographe a tout simplement oublié de changer de plaque d’un client à l’autre :
Mais ces accidents sont rarissimes. Jean Poyet était un vrai professionnel ! Ces deux plaques sont les seules erreurs que nous ayons trouvées entre 1902 et 1919 !
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La retouche en photographie, une bien vieille histoire... Nous savons tous que pas une image n’est publiée dans la presse sans avoir été : Photoshop, ou autre logiciel adéquat, et retouchée grâce bien sûr au fameux quelques unes nous ont amusés
ainsi l’effacement d’ un bourrelet présidentiel
Ou le rafraîchissement d’un minois fatigué
Dès son origine, la photo a été l’objet de retouches, tout au moins à partir de la découverte du procédé négatif positif par Talbot, en Angleterre. Et il est de notoriété publique que les premiers photographes étaient presque toujours artistes peintres, et au moins dessinateurs. Ainsi Nadar, qui eut une renommée mondiale était un caricaturiste de talent. Dans le cas de Jean Poyet, il s’agissait d’un remarquable dessinateur comme nous allons le voir plus loin, capable – surtout après la première guerre mondiale, de partir d’une mauvaise photographie pour fournir un tirage dessiné de qualité.
Sur le négatif, à gauche, Jean Poyet a fait perdre quelques centimètres à la taille de sa cliente, belle actrice du théâtre d’Epernay en janvier 1920, d’un coup de pinceau inactinique. Le résultat à droite : la hanche reste ronde – c’est la mode de l’époque, mais la taille est notablement rectifiée...
Les exemples ci-dessous montrent les possibilités de retouche avec de simples coups de crayon.
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La prise de vue rasante du négatif sur verre montre bien les coups de crayon aussi efficaces que des piqûres de botox..
. Là, il ne s’agit pas de presse, mais de photos destinées à constituer des souvenirs à caractère familial.
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L’exemple suivant est amusant : ce groupe d’enfants est publié sur un calendrier de 1947 : dents blanches éclatantes dont pas une ne manque dans ces bouches juvéniles et souriantes
La deuxième édition, reprise sur une publication de 1995 fait apparaître les dents sans retouche. Nous devons ces images à Jacques Mathieu, notre ami photographe scolaire dont nous avons parlé dans le n° 9 de notre revue.
A partir de 1918, Jean Poyet est confronté à des demandes multiples de récupération d’un visage, d’une silhouette à partir d’une méchante image, qu’il photographie dans un premier temps, puis détoure à la gouache rouge (inactinique) pour pouvoir en faire un tirage qu’il va améliorer , jusqu’à parfois redessiner complètement le personnage. : Ainsi, le soldat de l’image de droite dont on devine la main gauche posée sur l épaule de son voisin Va devenir le portait dessiné qui suit
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: Il poussera le challenge parfois encore plus loin comme le montrent ces deux images
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Mais il arrive à Jean Poyet aussi d’avoir à faire des portraits dessinés à partir d’images de meilleure qualité que ce que nous venons de présenter. En voici un exemple qui là encore montre le lissage du dessin par rapport à l’hyper réalité de la photographie et la capacité du photographe-dessinateur à effectuer un recadrage de son sujet !
Enfin, pour conclure sur la retouche, mettons en vis à vis deux portraits du Comte Jean Chandon, celui de gauche par Jean Poyet, celui de droite par son collègue Weinmann.( Musée d’Epernay 2008.00.985) Retouche ou chirurgie esthétique ?
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Les coulisses d’une prise de vues Dans le n° 9 de notre revue, en début d’article sur la découverte de 12 cartes postales éditées pour le Champagne Fortin,- nous allons y revenir- nous donnions à titre d’exemple similaire une photo trouvée dans le fonds Poyet mettant en scène le fils de Jean Poyet, Fernand, gros bébé de sans doute moins d’un an
Nous connaissions les cartes postales éditées à partir de cette image, pour la maison Mercier, mais c’est au cours de l’identification des images issues du fonds Poyet appartenant au Musée d’Epernay suite à un don fait par les amis du Musée que nous avons pris connaissance des négatifs originaux qui nous montrent que d’être l’épouse d’un photographe inventif et mère d’un bébé prêt à poser pour Papa ne sont pas des situations de tout repos. Jugez-en :
Cotes Musée d’Epernay : 995.01.573, 575 et 578
Qu’en diraient les services de la protection de l’enfance, de nos jours ? ...
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Cette planche qui représente une semaine de travail de Jean Poyet en décembre 1919, comporte 14 reproductions sur 48 prises de vues : 14 disparus pour 34 vivants... Ces chiffres n'ont pas de valeur statistique, bien sûr, mais ils sont significatifs d'une situation de fin de guerre, tout comme ces quatres photos de mariés en plein hiver, dans la même semaine.
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Dans le mĂŞme laps de temps, seulement trois photos d'enfants... Tournons la page pour faire un saut de huit annĂŠes dans le futur !
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Cent six ans rue Gambetta à Epernay
En 1903, Jean Poyet vient de racheter le fonds Delzor. Devant la porte, sa fille Marguerite et son fils Fernand.
La photo de gauche a été prise le 3 mai 1919 pour M.Testulat, propriétaire de l’immeuble voisin du magasin de Jean Poyet, presque entièrement démoli par un bombardement. Tout à fait à gauche, on voit la construction de l’étage au-dessus du magasin, et l’image de droite montre l’ensemble terminé.
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En 1950, le graphisme du fronton a été « modernisé ». Devant la porte du magasin, Marie Thérèse Peltier qui fut apprentie chez Poyet, et y resta quelques années après le décès de Jean Poyet en 1956.
C’est la seule photographie de l’intérieur du magasin que nous ayons trouvée, non datée, mais probablement prise entre 1945 et 1950. Marguerite, la fille de Jean Poyet est à la caisse.
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En 2009 : plus de photographe, mais un Kebab. A gauche, le salon de coiffure est toujours là, et à droite, l’immeuble de M. Testulat, reconstruit après la guerre de 14-18 est toujours comme neuf... Et pour terminer cette visite séculaire, un clin d’oeil de Jean Poyet :
Il a titré cette carte postale : rue Gambetta, la gare. En effet, nous sommes bien rue Gambetta, et on voit bien la gare en tout petit, au fond à droite, mais le sujet de son image n’est-il pas le magasin ? Il avait un sens aigu de l’auto publicité...
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La photographie en Cerf Volant : retour en 1889, l’année de la Tour Eiffel Dans la revue « La Nature », Gaston Tissandier décrit l’invention d’un amateur pour le moins éclairé, suivons-le en n’hésitant pas à relire plusieurs fois sa description pour parfaitement visualiser le mécanisme d’une ingéniosité incroyable à base de bouts de ficelle, caoutchouc et amadou...
« Dans le courant de l’année 1888, nous avons annoncé qu’un habile amateur, M.Batut, avait construit dans le Tarn un cerf volant muni d’un appareil photographique et nous avait fait parvenir l’une de ses premières images, impressionnante, bien que légèrement floue. Encouragé dans ses recherche, M.Batut a obtenu des résultats surprenants. Voici le dispositif exact du cerf-volant photographique tel qu’il apparaît dans la vue ci-contre. Ce cerf-volant qui a la forme d’un losange de 2,50 m de longueur, est muni d’une longue queue lui assurant une parfaite stabilité. La petite chambre photographique A est fixée à l’arête de bois du cerf volant par un support triangulaire D. L’appareil photographique est muni d’un obturateur qui fonctionne au moyen d’une mèche d’amadou C, produisant le déclenchement en brûlant un fil, quand la combustion est arrivée à la partie supérieure de la mèche. La corde d’attache du cerf volant est reliée à un trapèze T, convenablement fixé afin qu’aucun élément du cerf volant ne soit présent devant l’objectif.
Un baromètre anéroïde enregistreur B est fixé à la partie inférieure du support D, de sorte que l’opérateur peut avoir l’altitude à laquelle le cerf-volant s’est élevé au-dessus du sol. Le baromètre employé par M. Batut est très ingénieux : il constitue un enregistreur photographique qui fonctionne en même temps que la chambre noire. Ce baromètre est enfermé dans une boite étanche à la lumière. Une ouverture, fermée par un obturateur à guillotine, fonctionne à l’aide d’une mèche en combustion, en même temps que l’appareil photographique. Au moment de l’ouverture, les rayons lumineux frappent le cadran et impriment, sur un papier sensible dont le cadran a été muni, l’ombre des deux aiguilles, aiguille du mécanisme et aiguille index. L’obturateur dont est muni l’appareil photographique est une simple guillotine à ouverture carrée. La planchette, très légère, est actionnée par deux forts caoutchoucs, et sa tête est garnie de parchemin qui, en pénétrant dans les rainures, empêche tout effet de rebondissement. Le cran d’arrêt de la planchette est formé par un loqueteau de bois fixé en son milieu par une vis. Une extrémité de ce loqueteau vient fermer la rainure par laquelle doit passer la planchette. L’autre extrémité est maintenue par un fil solidement attaché qui traverse l’un des bouts d’une mèche d’amadou. Sous ce fil, l’opérateur place une banderole de papier repliée sur elle-même. Lorsque le feu de la mèche arrive au fil, celui-ci se brûle : le loqueteau, cédant à la poussée de la planchette s’écarte de la rainure, et l’obturateur fonctionne avec une vitesse de 1/100° de seconde. En même temps, la banderole de papier tombant dans l’espace se déroule et annonce à l’expérimentateur qu’il peut ramener le cerf-volant à terre.
Le petit appareil photographique dont il est pourvu pèse 1200 g. L’objectif a 0,166m de foyer. Il a fonctionné à pleine ouverture. La baisse barométrique enregistrée de 10, 25 mm nous indique que la vue a été prise à 127 mètres d’altitude le 13 février 1889 à 11h du matin. Cette photographie, ici reproduite représente la ferme d’Enlaure en plan est d’une grande netteté. Nous félicitons M. Batut des résultats qu’il a obtenus et qui semblent ouvrir une nouvelle voie à la photographie appliquée. » Gaston Tissandier On notera que la gravure du cerf volant est signée Poyet, Louis, qui était l’oncle de Jean Poyet, notre photographe sparnacien, et qu’alors que la photogravure existe déjà à cette époque (voir n°7) la revue « La Nature « restera fidèle à ses dessinateurs et graveurs jusqu’aux premières années du XX° siècle
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La France de Raymond Depardon
Il y a cinquante ans, le jeune Raymond Depardon, fils de paysans, montait à Paris. Très vite, il arpente le monde pour couvrir, en tant que photo-reporter puis cinéaste, nombre de faits d’actualité sur des lieux sensibles. Le jeune chasseur de « scoops » des premières années cède progressivement le pas au grand reporter en perpétuel dialogue entre sa vie et son œuvre, photographique comme cinématographique, soucieux de donner un sens plus juste aux événements de notre société. Il se révèle particulièrement sensible aux mouvements silencieux du monde, ceux qui ne défraient pas la chronique. Dix ans de travail d’approche des paysans de moyenne montagne ont affirmé son désir de photographier le territoire français méconnu. Dans ses films récents qui peuvent prendre la forme d’installations dans des musées, La Vie moderne (long métrage) et Donner la parole (installation à la Fondation Cartier pour l’art contemporain), il pose des questions simples : « Parlez-nous de votre vie ici, de votre terre natale, de votre communauté, de votre langue » à ceux qui sont attachés à leur terre, et dont le mode de vie ne sera bientôt plus compatible avec le cours du monde moderne. Raymond Depardon observe son pays depuis longtemps, touché personnellement par les grandes mutations rurales et urbanistiques de la deuxième moitié du xxe siècle et, fort de ses reportages sur le territoire français (pour la Mission photographique de la DATAR, puis l’Observatoire photographique du paysage), décide en 2004 de réaliser une « démarche folle et personnelle (photographier, seul, à la chambre 20 µ 25), […] la France des souspréfectures. […] J’avais fui cette France-là qui m’a vu naître, je me devais bien de lui consacrer du temps pour essayer de la comprendre, […] essayer de dégager une unité : celle de notre histoire quotidienne commune* ». La démarche est urgente, politique :
© Raymond Depardon / Magnum Photos
Ce qu’il faut, c’est montrer. Être un passeur. Si je pars du voyage, c’est bien pour avancer vers la présence Raymond Depardon in Catalogue de l’exposition Terre natale, Actes Sud / Fondation Cartier, 2009.
de l’homme qui, par son intervention au fur et à mesure de l’histoire, a modifié le territoire. En ce début de troisième millénaire, c’est un état des lieux, une bonne occasion « d’arrêter » des photographies.* * Toutes les citations comportant un astérisque sont issues du catalogue La France de Raymond Depardon (préambule), Paris, Le Seuil, septembre 2010.
Du spectacle du monde à l’étude des fonctionnements de la société Je fais des photos que tout le monde pourrait faire, mais que personne ne fait. Raymond Depardon.
À première vue, les photographies de Raymond Depardon sont simples, et combien déroutantes. Nous pensons que nous pourrions en faire autant, comme on l’a si souvent entendu à propos des peintures et dessins de Picasso. Et pourtant elles réalisent une sorte de procès de notre modernité : sous cette écorce de banalité évidée, elles sont toutes habitées par une interrogation grave.
Trois étapes d’un parcours Né le 6 juillet 1942 à Villefranche-sur-Saône dans une famille d’agriculteurs, Raymond Depardon fait très jeune ses premières photographies dans la ferme de ses parents et commence sa carrière de reporter-photographe à Paris dès 1958, couvrant les faits divers ou pistant les vedettes à la mode.
Agence Dalmas, 1960-1966 : reportage photographique
Agence Gamma, 1967-1979 : reportage d’auteur
La photo me permettait d’avoir une vie excitante. Nous étions des requins, on faisait des « coups » pas permis ! Je partais tous frais payés aux quatre coins du monde et je multipliais les couvertures de magazines. J’achetais des fringues, je portais le costume-cravate et je fréquentais les vedettes !
Liberté et autonomie des photographes par la maîtrise des droits d’auteur et le choix des reportages : de photojournalisme, le travail sur l’actualité a acquis un statut de reportage d’auteur, dans ce style très novateur qui a fait pendant un temps de Paris la capitale mondiale du reportage photographique.
Raymond Depardon, 1988, in Michel Guerrin, Raymond Depardon, Photopoche, Nathan, 1999.
Grand reporter, il relaie de nombreux événements politiques et conflits (Tchad, Chili…). Il réalise en 1969 son premier court métrage documentaire en Tchécoslovaquie et mène dès lors sans discontinuer une double carrière de photographe et de cinéaste, reconnue tant en France qu’à l’international. Suivant un parcours cohérent…
Enchaînant les faits divers et les reportages à l’étranger, il décroche sa première grande publication avec un reportage sur l’expédition SOS Sahara en Algérie. Le manque d’autonomie dans le choix des sujets et le manque de reconnaissance des jeunes photographes l’amènent à inventer avec ses compagnons une approche inédite du métier, en fondant en 1967 l’agence Gamma, qui rassemble des photographes indépendants.
…il s’est éloigné du photojournalisme traditionnel au fur et à mesure qu’il doutait de la qualité informative des images rapportées du monde et de leur positionnement ambigu, entre voyeurisme et nécessaire témoignage, ainsi que de la continuelle quête de l’image spectaculaire . Michel Guerrin, Raymond Depardon, Photopoche, Nathan, 1999).
Raymond Depardon disait lui-même qu’il était « un gosse, soi-disant reporter, qui voulait changer le monde sous prétexte de témoigner… ». L’objectivité du photographe n’est-elle pas assujettie à une culture ambiante, n’a-t-elle pas pour inconvénient de nous encourager à cesser de douter, de renoncer à enquêter par nous-mêmes ?
Magnum Photos Magnum Photos est une coopérative internationale (Paris, New York, Londres, Tokyo) fondée en 1947 par H. Cartier-Bresson, R. Capa, G. Rodger et D. Seymour. Elle compte aujourd’hui 60 photographes bénéficiant d’une totale indépendance et de tous les attributs du statut d’auteur : choix et durée des reportages, sélection des photographies, propriété des négatifs, maîtrise du copyright et contrôle de la diffusion. Présents sur tous les continents, leurs regards se portent sur les épisodes marquants de notre époque, la vie quotidienne et les personnalités du monde artistique. Témoins et artistes, ils transcendant les clivages et les codes propres aux mondes de la presse et de l’art contemporain et leurs icônes, fragments de notre mémoire collective, sont diffusées dans la presse internationale. Source : Magnum Photos Paris.
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Coopérative Magnum, 1979 à ce jour : photographie d’auteur
Il continue les grands reportages (Liban, Afghanistan…), en « courant pour illustrer l’information, à la recherche d’images pour plaire », mais son livre Notes (1979) marque un tournant dans sa carrière et dans l’histoire du photojournalisme : Raymond Depardon y combine l’information et l’autobiographie. Durant l’été 1981, prolongeant sa réflexion sur la signification de l’image de presse, il réalise, à la demande de Christian Caujolle, une chronique new-yorkaise pour Libération. L’idée était là : un photographe parle de ses photographies. Raymond Depardon, La Solitude heureuse du voyageur, Points, Seuil, 2006.
Son œuvre photographique – récompensée en 1991 par le Grand Prix National de la Photographie –, est régulièrement exposée en France et à l’étranger, et publiée dans autant d’ouvrages où il associe textes et photographies selon une démarche d’auteur. Depuis 1981, il réalise de nombreux films documentaires ou de fiction sur des chroniques du quotidien : hôpital psychiatrique, commissariat, bureau d’un substitut du procureur, salle d’audience, mais aussi la forêt au Brésil, le désert, les grandes villes du monde, les paysages ruraux. Ses derniers travaux, d’une humanité et d’une actualité stupéfiantes, ont été couronnés de prix : le film La Vie moderne, 2008 (hommage du jury à Cannes pour la sélection « Un certain regard »), l’exposition Terre natale, ailleurs commence ici à la Fondation Cartier en 2009 (prix Nomad’s) ; il reçoit en 2009 le International Planète Albert Kahn pour l’ensemble de son travail.
Il rompt avec le spectacle de l’actualité et de ses acteurs célèbres pour révéler la société, interroger la démocratie. […] En s’éloignant de l’actualité, il devient l’un des photographes les plus politiques, à la manière d’un sociologue ou d’un philosophe. François Hébel, directeur des Rencontres d’Arles, catalogue Rencontres d’Arles, Arles, Actes Sud, 2006.
La mission « France » : un processus de maturation Les maîtres et le style documentaire
Photographier la France apparaît à Raymond Depardon comme un « défi urgent ». Il m’a fallu faire un grand détour avant d’enfin voir toutes les photographies qu’il y avait à faire ici, dans la ferme […] de mon adolescence. […]. J’ai préféré faire le tour du monde. Et quand j’ai pris conscience de la valeur de cette ferme, tout avait disparu […]. Je ne veux pas faire un éloge de la nostalgie, mais simplement réfléchir sur le temps qui est un élément important dans le travail du photographe. Raymond Depardon, La Ferme du Garet, éditions Carré, France, 1997.
Ce que Raymond Depardon dit de la ferme de ses parents pourrait s’appliquer à ce « défi » de photographier le territoire français.
Un hommage à Walker Evans Cette devanture de boucherie est un hommage à Evans qui, dès 1930, s’intéresse aux vitrines qui font partie de ce qu’il nomme les « arrangements inconscients ».
La distance de Walker Evans et l’engagement politique de Paul Strand sont nécessaires à toute photographie.* En 1981, Raymond Depardon découvre à New York l’école américaine de photographie documentaire, en particulier la campagne photographique de la FSA (Farm Security Administration, 1935-1942), entreprise sous le gouvernement Roosevelt afin de faire connaître au Congrès et au grand public les problèmes d’une paysannerie sévèrement touchée par la crise, sujet loin des « scoops » que Raymond Depardon avait coutume de couvrir et qu’il ne pensait sans doute pas digne d’être photographié…
« La France de Raymond Depardon » © Raymond Depardon / Magnum Photos / CNAP
« Walker Evans découvre Eugène Atget et se détourne des formules modernistes européennes pour ce qui deviendra le style documentaire. L’image est “déjà faite” […] elle tend à transformer l’arrangement en composition plane, puisque, prise dans l’aplat du mur, elle interdit les points de vue latéraux ou périphériques au profit du point de vue frontal. […] Avec cette vue frontale et intégrale, le photographe réduit son intervention compositionnelle à presque rien. » (Olivier Lugon, Le Style documentaire d’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Macula, 2001).
Le style documentaire recherche avant tout la transparence absolue dans le rendu « objectif » du monde et « la beauté profonde des choses telles qu’elles sont » selon le credo célèbre de Walter Evans (1903-1975). La simplicité des photographies de métayers endettés d’Evans et ce détachement du regard touchent Raymond Depardon, tout comme le reportage La France de profil que Paul Strand a réalisé en sillonnant lentement le pays, loin des clichés touristiques, sur une « route sinueuse, capricieuse, une route pas pressée […] qui n’a d’autre but que la prise au piège du maximum d’humanité […] et donne la parole à ceux qui ne l’ont jamais ». Claude Roy, in La France de profil, Claude Roy et Paul Strand, Lausanne, éd. Clairefontaine, 1952.
Boulangerie, 48 rue Descartes Eugène Atget, 1910, © Bibliothèque nationale de France
Elevated R.R.N.Y. August Loeffer, 1890-1900 © Bibliothèque nationale de France
C’est avec une forme d’ambition documentaire qu’Eugène Atget parcourt Paris et ses environs avec sa chambre 18 µ 24.
Aux antipodes du style documentaire, cette vue typique de la Nouvelle Vision moderniste où la photographie, produit de l’âge industriel, exalte la modernité en marche, raffolant de la dynamique des points de fuite amplifiée ici par la structure métallique de cette voie surélevée.
Le rêve des Français La maison individuelle, mangeuse d’espace, reine de l’individualisme, véhicule tout un imaginaire évoqué par Gaston Bachelard : « La maison est notre coin du monde. Elle est […] notre premier univers. » (La Poétique de l’espace, PUF, 1957). Vue inspirée de la frontalité chère à Walker Evans, avec une fantaisie dont Raymond Depardon s’amuse : « Je me dis : Tiens, je vais me mettre de face, en hommage à Walker Evans. Ce qui me fait sourire sur le moment, mais je n’y arrive pas ! Parce qu’il y a un rondpoint, […] parce que ça penche et parce que nous sommes en France. »* Et pas en Amérique ! Coquette, individualiste et frontale, la maison perd épaisseur et consistance, et semble ne tenir qu’à un fil…
« À l’exemple d’Atget, Walker Evans crée des “documents” sur les hommes et leurs objets de civilisation […] comme autant d’indices temporels, de monuments précaires dignes de figurer dans l’héritage patrimonial ; il sauvegarde une culture vernaculaire parfois désuète, menacée par l’inévitable croissance industrielle. Le style d’Evans est fait d’une quête de rigueur informative, une exigence de l’œil à trouver devant lui ce qui résume un état d’esprit, un air du temps. » (Robert Delpire et Michel Frizot, Histoire de voir, de l’instant à l’imaginaire, Photopoche, Nathan, 2001).
« La France de Raymond Depardon » © Raymond Depardon / Magnum Photos / CNAP
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Le territoire, sa perception, son aménagement De retour en France avec une chambre, il se précipite à la ferme du Garet pour photographier son univers rural d’enfance. Il poursuit ce travail avec la Mission photographique de la DATAR et choisit comme thématique : « l’espace de l’exploitation agricole familiale ». Il publiera La Ferme du Garet en 1995. À l’occasion d’une commande
d’un magazine sur le thème de la France, il réalise une escapade qui lui donne cette « idée folle, […] photographier la France, seul, sur une période relativement courte ».* Il réunit le matériel nécessaire à un vagabondage sur les routes au gré des saisons vers la France rurale, périurbaine, des petites villes et des villages, qui débute en 2004.
Les plages désertes m’ennuyaient, le patrimoine classique aussi. Tout doucement, j’allais vers l’espace public, l’espace vécu, le territoire.* Dans la notion de territoire – si l’on omet le monde animal –, géographie et collectivité humaine cohabitent, généralement dans un cadre juridique. Si l’occupation humaine des lieux de la terre est restée relativement stable durant de nombreux siècles, elle s’est accélérée avec l’avènement de l’industrialisation au xixe siècle et le premier exode rural vers les villes, puis après la Deuxième Guerre mondiale lors des années de reconstruction. À la fin du xxe siècle, la notion même de paysage éclate du fait du développement de l’urbanisation allié à la désindustrialisation, et les autorités publiques éprouvent la nécessité de photographier le pays pour tenter de redéfinir les territoires postindustriels. La Mission photographique de la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale)
Cette mission entreprend alors entre 1984 et 1988 une campagne inédite de prises de vue sur la France, sur les traces des reportages des Américains du mouvement des New Topographics, Photographs of a Man-altered Lanscape, 1975 (Une exposition de photographies d’un paysage altéré par l’homme), dans un souci de prise de conscience du territoire : « Aménager le territoire, maîtriser ses mutations, c’est d’abord apprendre à le voir. L’œil du photographe nous y aide. » Jacques Sallois (DATAR), Paysages, photographies, travaux en cours, 1984-1985, Hazan, Paris, 1985.
© Magnum Photos
La chambre photographique La chambre technique de grand format (films de 9 µ 12 cm à 20 µ 25 cm, ou 50 µ 60 cm), héritière des premiers appareils photographiques qui utilisaient des négatifs sur plaques de verre, ne permet qu’une seule prise de vue (un film par prise de vue). Les négatifs sur verre d’autrefois sont remplacés par des plans films. Ce matériel lourd et encombrant induit une méthode – fondée sur un temps long et une mise en scène : on pose avec pied et rideau, dans l’esprit des grandes missions photographiques du siècle dernier – et une esthétique spécifique : la qualité des détails est fascinante. Raymond Depardon (photographié ci-dessus) a choisi la chambre, dans la lignée d’Eugène Atget à Paul Strand, pour répondre à son souci de rendu documentaire : « J’ai choisi d’utiliser un grand format (20 µ 25) qui a l’avantage de tout placer sur un champ unique,
d’égaliser les lumières, les ciels comme les ombres, les trottoirs, les toits, les champs, les maisons, les inscriptions, les détails que nous ne voyons plus. »* Jean-Marc Bustamante a lui aussi choisi la chambre : « Lorsqu’on regarde avec les yeux, on regarde une chose plutôt qu’une autre. Ce qui est intéressant avec la chambre […] c’est qu’elle ne choisit pas, elle embrasse, elle cadre, et dans tout ce qui est dedans, si on l’opère avec une certaine lumière ou profondeur de champ, il n’y a plus de hiérarchie dans les sujets et les éléments qui constituent l’image : ils s’annulent. […] L’idée utopique serait que ces images, ces tableaux, constitueraient le monde, un objet de pensée qui représenterait le monde dans son entier. » Jean-Marc Bustamante, in Contacts, vol.2, collection dirigée par Robert Delpire et William Klein, DVD, La Sept Vidéo, 2000.
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L’Observatoire photographique du paysage (depuis 1989)
Cet organisme a poursuivi ce travail en confrontant prises de vue régulières et documents anciens afin d’évaluer les changements sur le long terme. Les résultats sont apparus troublants car les évolutions de la nature se sont revélées encore plus rapides que prévu. Les deux organismes considèrent que l’aménagement du territoire ne peut se passer d’une « culture de paysage ». L’effort pour faire connaître ces travaux par de nombreuses expositions a contribué à sensibiliser le public à une forme de patrimoine commun autour du paysage, en vue d’une responsabilisation de tous les acteurs de la vie publique. De nos jours, les évolutions, encore plus rapides et complexes, concernent l’ensemble de la planète. La crise de la localisation était le thème de l’exposition Terre natale, ailleurs commence ici, à laquelle Raymond Depardon a participé avec Paul Virilio, en 2009, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.
Le territoire, sa perception, son aménagement Les sociétés anciennes étaient inscrites dans leur territoire, leur terre natale. Aujourd’hui, elles dérivent pour des raisons de délocalisation de l’emploi, pour des raisons de conflits […] et pour la grande question climatique. […] Un milliard de personnes qui bougent en un demi-siècle, ça n’a jamais existé. Tout cela remet en cause quoi ? La sédentarité, la cité, le fait d’être ici et pas ailleurs, le fait d’être stabilisé dans une région, dans une nation. Paul Virilio, introduction du livre Terre natale, Actes Sud/ Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2009.
Devant ce paysage bouleversé par la mobilité, les réseaux, la pluralité territoriale, l’étalement urbain et la mondialisation, la tâche est complexe pour les décideurs politiques. Urbanistes, géographes, paysagistes et sociologues observent le comportement des individus pour tenter d’élaborer avec eux des solutions sur une question majeure qui concerne la vie de la cité : Peut-on croire encore aux pouvoirs des territoires, de la commune à l’Europe, en passant par les intercommunalités, les départements, les régions, les États, alors que les sociétés s’en affranchissent dans les comportements individuels comme dans les aspirations collectives ? Martin Vanier, Le Pouvoir des territoires, Economica, 2010.
L’espace urbain tend à se dissocier entre des métropoles orientées vers une production mondialisée et des espaces tournés vers les fonctions résidentielles, domestiques ou récréatives. L’avenir de la démocratie urbaine se trouve subordonné à la capacité d’articuler ces deux figures, pour qu’elles se complètent sans se nuire. Philippe Estèbe, Gouverner la ville mobile, PUF, 2008.
À son échelle, le travail de Raymond Depardon s’inscrit dans cette étude, dans la continuité de celui qu’il a réalisé en 1984 pour la Mission photographique de la DATAR.
Il centro monumentale ! La cité « stabilisante », avec au centre les bâtiments qui organisent la vie publique : l’hôtel de ville dont les colonnes et le fronton rappellent très vaguement le modèle du temple grec et l’agora, la place populaire, lieu de rencontres.
« La France de Raymond Depardon » © Raymond Depardon / Magnum Photos / CNAP
Une réelle épreuve Raymond Depardon nous donne à voir ce qui est encore, ce qui fait partie de notre héritage commun, ce à quoi nous tenons mais qui est dorénavant en contradiction avec notre mode de vie. « Et c’est vrai qu’en faisant ce travail, il y a des moments où je me rends compte de tout ce que j’ai fui. Parce que c’est dur de rester, de travailler. D’ailleurs je rentre chez moi tous les quinze jours, je ne tiens pas plus longtemps. Non pas parce que les gens ne sont pas sympathiques, ni que les paysages ne sont pas beaux ou intéressants. Non, parce que c’est dur. C’est peut-être plus dur qu’à l’étranger : une fois je suis resté huit mois au Tchad. Je suis parfaitement capable de rester des mois et des mois à l’étranger, mais en France, ça me saisit comme ça : un café, un tabac par temps gris, un jour de pluie à Montbard, c’est dur. » (Raymond Depardon, L’Être photographe – Entretiens avec Christian Caujolle, Éditions de l’Aube, 2007).
« La France de Raymond Depardon » © Raymond Depardon / Magnum Photos / CNAP
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Être un passeur J’étais très sensibilisé à l’aménagement du territoire, […] j’étais en colère contre les grands travaux d’aménagement qui avaient démantelé la ferme de mon père en l’expropriant pour faire passer l’autoroute au milieu de ses terres, puis pour établir une zone industrielle et enfin une zone commerciale sur le reste des terres cultivables. Je n’avais qu’une envie, c’était de régler mes comptes avec ce désastre. […]*
La dureté inhérente à ce travail fait écho à la colère que Raymond Depardon ressent depuis trente ans face à l’expropriation de la ferme de son père au profit d’aménagements routier, industriel et commercial sur les terres cultivables. Il s’agit bien ici d’un bilan sur l’action des différentes politiques d’aménagement en France depuis le milieu des années cinquante, ou de la difficulté à mener de telles politiques. Il semble que le regard singulier de Raymond Depardon porté sur un quotidien peu médiatisé interroge notre mémoire collective avec gravité. Olivier Lugon évoque, à propos du mouvement La Nouvelle Objectivité des années vingt (un mouvement proche du style documentaire dans sa quête de la transparence absolue, mais dont le rendu objectif du monde est moins lisible), « une forme d’étrangeté, d’Unheimlichkeit, cette “sorte de (sentiment) effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières” selon la définition de Sigmund Freud, et “une présence impitoyable […] d’un monde dont l’homme serait chassé” selon H. Clurman, dans son livre Photographs by Paul Strand, 1929. » (Olivier Lugon, Le Style documentaire d’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Macula, 2001.)
Le territoire, sa perception, son aménagement Cette étrangeté semble habiter les photographies de Raymond Depardon ; est-ce la peur de ses habitants d’en être chassés ? Ces vingt-cinq années de campagnes photographiques sur le territoire ont-elles pu aboutir à une réflexion sociale et politique, face au point de vue commercial ? Bien qu’il ait parcouru les grandes villes du monde, Raymond Depardon pense que « en ce début de xxie siècle, […] c’est là (dans la France des sous-préfectures) que la France
Donner à voir bouge, je l’ai vue nettement se transformer en quelques années. Il existe une détermination des populations à vouloir vivre et habiter dans ces petites villes où il y a encore de la place ».* Pendant ce temps, le monde entier admire la Chine qui « bouge », alors qu’elle est en proie aux plus violents bouleversements urbains que l’humanité ait jamais connus, avec des agglomérations gigantesques de plus de vingt millions d’habitants…
La question du format La taille des tirages (200 µ 165 cm) fait référence aux formats propres à la peinture. C’est en 1976, avec l’exposition Signs of Life, qu’a débuté la tendance de la photographie à adopter le grand format en abandonnant sa dimension intimiste initiale et en s’appropriant le format des panneaux publicitaires ; l’artiste Stephen Shore – qui a exposé dans The New Topographics en 1975 – y avait présenté de grands paysages urbains déroutants. Source : Olivier Lugon, Avant la forme tableau, in Études photographiques, mai 2010. L’impact visuel de ces trente-six images-tableaux rassemblées à la Bibliothèque nationale dans une immense salle d’exposition ne manquera pas de mettre le visiteur dans un état physique de sensation de la puissance de présence de ces paysages ; sans doute, Raymond Depardon ne veut pas nous laisser indifférents à l’urgence de son message : VOIR cette France trop souvent ignorée. Effets de lecture. La question de l’art Peut-être qu’un point de vue aérien permettrait de globaliser la vision de cette France du sol proposée par Raymond Depardon et de la comprendre comme un signe fort inscrit dans une actualité critique. Peter Sloterdijk nous met en garde : les photographies prises depuis les satellites d’observation « parlent à notre conscience à l’égard de la terre. […] Ce serait une erreur de taire le fait que ces images peuvent être présentées comme un matériau à charge dans un procès contre ceux qui ne veulent toujours rien savoir » (in Terre natale, Actes Sud / Fondation Cartier, 2009).
Si les paysans n’existaient pas, vous mangeriez des clous ! L’absence apparente d’ombres lisse et aplatit l’image, qui devient décor. Les couleurs pastel donnent un goût tendre et sucré à ce qui ressemble à un parc de loisirs en miniature. Ce type de lieu de détente contemporain est relativement récent dans l’histoire de l’humanité, son esthétique tend à devenir mondiale. C’est propre, c’est frais. Si nous sommes ici au bord de la mer, il n’empêche que le parc de loisirs s’installe souvent sur des terres cultivables. « Si les paysans n’existaient pas, vous mangeriez des clous ! » disait le jeune Depardon à ses camarades d’école. Du déploiement de l’activité humaine qui grignote inexorablement le paysage…
Exposition 30 septembre 2010 - 9 janvier 2011 BnF François-Mitterrand Grande Galerie Quai François-Mauriac - Paris XIIIe Commissariat : Raymond Depardon, assisté à la BnF par Anne Biroleau, conservateur général au département des Estampes et de la Photographie Scénographie : Olivia Berthon et Julia Kravtsova Graphisme : Grégoire Martin Production de l’exposition : Service des expositions de la BnF sous la direction d’Ariane James-Sarazin Cécile Pocheau Lesteven, coordination générale En collaboration avec le service des expositions de Magnum Photos Du mardi au samedi : 10 h à 19 h Dimanche : 13 h à 19 h Fermé lundi et jours fériés Entrée : 7 f, tarif réduit : 5 f
« La France de Raymond Depardon » © Raymond Depardon / Magnum Photos / CNAP
Les images des journalistes à travers lesquelles nous est quotidiennement présentée l’actualité se tiennent généralement du côté d’un pouvoir ; les images des artistes, même lorsqu’elles témoignent, laissent ouvert un espace de liberté, préservant une distance à l’égard de ce qui est vu, puis montré […] (Ces artistes photographes) nous invitent à un arrêt, un temps de pause au creux duquel peut s’infiltrer la réflexion. Laetitia Talbot, Les Rencontres photographiques d’Arles, Actes Sud, 2006.
Publication La France de Raymond Depardon Relié sous coffret, 336 pages, 315 photographies Coédition BnF / Seuil Prix : 59 euros Activités pédagogiques (hors vacances scolaires) Visite guidée pour les classes de collège et de lycée : mardi, jeudi et vendredi à 10 h et 11 h 30 ; 70 f par classe ; 45 f moins de 20 élèves
Fiche pédagogique Réalisation : Sophie Pascal Sous la direction d’Anne Zali Conception graphique : Ursula Held Impression : Imprimerie de la Centrale, Lens Suivi éditorial : Lucie Martinet Document disponible à l’espace pédagogique ou sur demande au 01 53 79 82 10 © Bibliothèque nationale de France
Visite libre gratuite sous la conduite de l’enseignant
Une page de bibliographie et ressources en ligne est consultable sur le site www.bnf.fr.
Visite-atelier : mardi, jeudi et vendredi de 14 h à 17 h 105 f par classe ; 70 f moins de 20 élèves.
Pour toute information sur l’œuvre de Raymond Depardon, voir www.palmeraieetdesert.fr.
Pour les enseignants : Présentation gratuite de l’exposition le mercredi à 14 h 30 (hors vacances scolaires zone C)
Dans le cadre de Paris Photo et du Mois de la Photo à Paris, novembre 2010.
Réservation obligatoire pour toutes activités : 01 53 79 49 49 Renseignements : 01 53 79 88 24
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Exposition réalisée avec le soutien de la Mutuelle des Architectes Français assurances et Champagne Louis Roederer. Le projet « La France de Raymond Depardon » a été réalisé avec le soutien de HSBC France, partenaire fondateur, de la Mutuelle des Architectes Français assurances, du Centre national des arts plastiques, et avec la participation de Magnum Photos et de Palmeraie et désert.
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A A
près avoir remonté à pied les cinq cent vingt-cinq kilomètres de la Marne, depuis Paris jusqu’à sa source sur le plateau de Langres, Gérard Rondeau en a descendu le cours à bord d’une péniche aménagée en bateau-studio, saisissant les paysages et rencontrant les hommes. Plus de cent cinquante personnes sont montées à bord, riverains, mariniers, historiens, cuisiniers, professeurs, hommes politiques, écrivains, éclusiers, ouvriers, architectes, agriculteurs, industriels, artistes, passionnés de faune ou de botanique, habitués des guinguettes… Chacun, face à une caméra fixe et devant le paysage qui défilait, a exprimé son rapport sensible à la rivière. Au fil de la Marne, on parle ainsi de géographie, de Diderot ou La Fontaine, de la guerre et des orchidées, des îles abordées et des villes traversées, des écrevisses à pattes rouges ou de la fuite de Louis XVI. C’est un véritable travail de mémoire sur la Marne qui s’offre à nous, original et documenté, une vivante encyclopédie amoureuse – illustrée de sept cents photographies – consacrée à la plus longue rivière de France.
Le livre de Gérard Rondeau sort en librairies début décembre, et son lancement aura lieu le 8 décembre 2010 à la Comédie de Reims à 18 heures.
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La photographie : un art moyen Essai sur les usages sociaux de la photographie sous la direction de Pierre Bourdieu, aux éditions de Minuit : C’est une somme de 360 pages parue en 2007 qui semble facile à aborder et se révèle d’une grande complexité. Nous n’en citerons qu’un passage particulièrement intéressant : « L'homme n'a pas seulement à conjurer la disparition totale, mais l'éloignement provisoire, le risque du changement affectif, l'accoutumance et le vieillissement. Toutes ces expériences laissent transparaître en filigrane l'angoisse du « jamais plus ». Les enfants ne seront pas toujours petits, mais la photo les fige dans leur gentillesse et leur disponibilité. La beauté quittera les traits que le médaillon capture pour l' éternité du sentiment. Les vacances ne dureront pas toujours, mais le bonheur se fait mémoire et vivra désormais en album, etc. On pourrait multiplier ces exemples de la quête d'une assurance sur le temps dont le « chasseur d'images » n'est d'ailleurs pas dupe. Mais, prendre des photos, c'est un peu comme prendre des notes, à la fois tenter de se souvenir et se donner bonne conscience pour oublier. C'est de l'hygiène mentale. Si la vie fixée et classée en album n'est plus la vie dans sa richesse, cette pâle image conjure à sa manière, ni parfaite ni si mauvaise, le risque de l'anéantissement total. Si l'homme est vraiment un être temporel (autrement que par une définition abstraite), si une certaine conscience de la fuite du temps est l'horizon de ses pensées et de ses comportements, on ne voit pas pourquoi il n'y aurait pas là une source vivante de l'activité photographique. Plus que de la manie ou de la mode, la fébrilité un peu ridicule du chasseur d'images pourrait porter la marque d'une tentative imparfaite de maîtriser le danger que porte cette temporalité. C'est que la photographie, sinon invente (il y a la peinture, la gravure, etc.), tout au moins universalise un rapport original au temps. Si la photographie crée littéralement de la temporalité détemporalisée, ces flashes sur la vie manifestent un effort pour reconstruire un autre temps à l'échelle humaine où le sujet soit au centre de ses permanences. Comme on l'a vu, toute photographie exprime un jugement d'importance. Ainsi elle porte l'empreinte de celui qui l'a prise, elle trahit ses valeurs en révélant ce qu'il a jugé suffisamment digne pour vouloir l'arracher à la fuite du temps. »
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On notera que ci-contre, Pierre Bourdieu met en valeur celui qui a pris la photo puisque « elle trahit ses valeurs en révélant ce qu’il a jugé suffisamment digne pour vouloir l’arracher à la fuite du temps » Il parle bien sûr du photographe amateur. Notre photographe sparnacien est dans un contexte différent, puisqu’il ne fait que mettre en scène l’intention de pérenniser un instant à la demande d’un client. L’exemple qui suit illustre très bien ce partage de responsabilité dans la réalisation du cliché
La communion d’un enfant est un des événement les plus fixés dans la société française du début du 20° siècle. La mise en scène ci-dessus date du 12 juillet 1919, et on y voit la photographie jouer son rôle conservatoire à un deuxième degré, puisque le père disparu est matérialisé par son portrait pour reconstituer et éterniser le cadre familial, exactement comme s’il était là pour cet événement important qu’est la communion de l’enfant. On peut presque dire que même l’échelle des tailles est respectée, faisant passer cet homme d’un père vraisemblable ou symbolique à un père présent ! Un dernier mot de Pierre Bourdieu : « Tout symbole est imaginaire, toute image est représentation d’une absence. Mais la photographie, c’est l’absence réelle, la présence familière et authentique de la réalité en son absence »
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Le portrait : de face ou de profil ? Chez notre photographe sparnacien, c’est plutôt de face. Identité, buste ou en pied, peu de variation dans l’angle de prise de vue. Quelques échantillons commentés permettront de faire la différence entre la recherche artistique du portraitiste, et les froides règles du ministère de l’intérieur pour les photos d’identité... Pour Jean Poyet, très peu d’évolution dans les attitudes de pose sur ses 54 ans d’activité à Epernay Lorsque deux prises de vues, l’une de face, l’autre de profil, sont effectuées, c’est à la demande du commanditaire, tout particulièrement pour le Crédit Lyonnais.
M. Truchon, la plus vieille prise de vue du fonds Poyet : de face, mais le regard lointain 13 août 1902
La vue de profil de ce beau cuirassier est indispensable pour valoriser le casque et sa queue protectrice...21 nov 1910
Pour la Comtesse de Franlieu, corps de face ou de trois quarts
C’est avec madame Gallice que pour la première fois il utilise ce trois quart arrière pour mettre en valeur le cou et les épaules de la dame.23 oct 1907
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Mais la tête presque droite 17 avril 1903
Maurice Cerveaux, qui comme M. Truchon regarde au loin sur le côté 16 avril 1905
Et pour la réflexion, ce texte publié en 1902 dans la revue Suisse des photographes : « Il est constaté que, dans la pratique du photographe, le nombre des portraits « de face » ou « de trois quarts » est sensiblement plus élevé que celui des portraits « de profil ». On est en droit de se demander pourquoi. Les lignes suivantes sont un essai d'explication de ce phénomène, assez curieux par le fait que, généralement, les vues de profil sont bien plus intéressantes et plus belles que celles de face, déduit de nombreuses observations et expériences de l'auteur. La réponse à la question posée plus haut est très simple. La presque totalité de vos clients vous donneront la même réponse : « Les photographies prises de face ou de trois quarts sont plus ressemblantes que celles prises de profil ». Cela est-il vrai ? Non. Un bon portrait de face ou de profil doit présenter, et le présente aussi en réalité, le même degré de ressemblance. Mais comment le public est-il amené à ce préjugé ? L'explication en est un peu longue, mais nous essayerons d'en donner une à notre avis assez plausible. Dans la vie ordinaire, nous sommes habitués avoir les gens de face ou, plus rarement, de trois quarts.Lorsque nous parlons à quelqu'un, le bon ton veut que nous le regardions dans les yeux. Ainsi, nous sommes obligés de le voir de face. Nous rencontrons une connaissance dans la rue ; marchant en sens inverse, il est évident que nous la voyons de face. Pendant le petit moment que nous pouvons voir son profil, c'est-à-dire pendant la fraction de minute où nous la croisons, nous sommes généralement occupés à remettre notre couvre-chef sur la tête, ou nous regardons devant nous pour ne pas oublier de saluer une seconde connaissance et pour éviter d'entrer en collision avec quelqu'un occupé à lire son journal, etc. Le temps nous a manqué, en tout cas, pour fixer dans notre cerveau l'aspect du profil du passant. Notre cerveau s'habituera donc à la vue de face et non pas à celle de profil. Il en résulte qu'en présence de portraits d'une même personne, les uns de face et les autres de profil, le travail du cerveau est presque nul, ensuite de l'habitude, pour la reconnaissance de la vue de face; mais, pour retrouver l'original de la vue de - 42 -
profil, le cerveau doit faire un certain effort.En d'autres termes, nous reconnaissons plus facilement quelqu'un vu de face que de profil. De plus, les deux profils, celui de droite et celui de gauche, ne sont pas toujours identiques. Une autre question est celle-ci : « Est-il plus facile de reconnaître une personne qu'on n'a jamais vue d'après sa photographie de face ou d'après celle de profil? » Nous croyons pouvoir affirmer en toute sécurité que c'est le portrait de profil qui seul pourra nous guider dans nos recherches En effet, la vue de face n'est qu'une projection de l'ensemble. La proéminence du nez, par exemple, ne peut être devinée par le jeu des ombres. Il en est de même pour la forme du front, etc. En regardant une telle projection de la figure d'une personne connue, nous la complétons machinalement par notre souvenir. En présence de la vue de face d'une personne inconnue, nous ne pouvons déterminer indiscutablement que très peu des lignes de l'ensemble. Nous avons, par exemple, devant nous la photographie de face d'une charmante jeune fille. Nous la rencontrons quelques jours plus tard sans la reconnaître. Quelqu'un nous dit que c'était l'original de la photographie vue quelques jours auparavant, et nous de nous écrier : « Oh! jamais je n'aurais cru qu'elle ait un si grand nez ! » La vue de profil, par contre, nous renseigne immédiatement sur la forme du front, du nez, des narines, du menton, etc. Il est évident que la reproduction de la face peut nous être utile pour la recherche d'une personne inconnue. Elle nous donne un ensemble qui pourra nous guider ; mais, pour avoir la certitude, il faut comparer la direction et la grandeur des traits, et cela n'est possible qu'avec une vue de profil. Gela est si vrai que les agents de la police de sûreté ne se servent presque jamais de la vue de face d'un individu, se trouvant sur une fiche signalétique d'après le système Bertillon, et qu'ils ont mission de rechercher, mais seulement de la vue de profil, également sur la même fiche signalétique. A propos de fiches signalétiques, nous avons assisté, l'autre jour, à une scène confirmant nos deux thèses, à savoir : que la reconnaissance de personnes connues est plus facile sur une vue de profil. La scène se passait devant la justice. Une logeuse est convoquée pour se prononcer sur l'identité d'un de ses anciens pensionnaires. Pour cela, on lui montre un « bertillonnage » avec la vue de profil et de face de l'incriminé. La bonne femme le reconnaît immédiatement sur la photographie de face; mais, montrant avec le doigt la vue de profil, elle demande : « Et celui-là, qui est-ce? » Et pourtant les agents de police avaient reconnu son ancien pensionnaire précisément par cette même vue de profil DrR.-A. Reiss. »
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Le festival de Montier en Der a 14 ans ... L’aventure a commencé il y a quatorze ans lorsqu’une bande de copains passionnés de photographie, décident d’organiser un week-end autour de la prestigieuse exposition présentée chaque année par le « BBC Wildlife Magazine » et le « Museum d’Histoire Naturelle de Londres » qui consacrent les meilleurs spécialistes du genre. Un patient arrive au cabinet médical de Régis FOURNEL. C’est Pascal BOURGUIGNON, le célèbre photographe aubois. Pascal n’est pas un patient comme les autres ; plutôt un ami. Au détour de la consultation, il soumet au docteur, alors membre du Conseil d’Administration de l’Office de Tourisme de Montier-en-Der, l’idée de faire venir une exposition de la BBC, reflet du plus grand concours de photo animalière au monde. Sur 35 000 clichés reçus, la BBC sélectionne les 80 meilleurs ! Pascal lui-même photographe animalier depuis ses 14 ans, garde cette passion personnelle. Il n’a jamais osé montrer ses propres clichés. Régis Fournel tente ainsi de convaincre ses collègues de l’OTSI. Avec l’actuel Président de l’AFPAN « l’Or Vert », Régis LAFARGE (trésorier de l’OTSI à l’époque) et d’autres membres comme Alain GAVIER, le projet finit par aboutir et le bouclage financier (8000 Frs) se fait en ajoutant d’autres expositions. Baptisé « Salon régional de la photo animalière et de nature », ce salon d’essai voit affluer durant deux jours près de trois mille spectateurs. L’Association pour le Festival de la Photo Animalière et de Nature (AFPAN « l’Or Vert ») verra le jour l’année suivante, avec l’ambition de développer et d’imposer ce concept unique en Europe. Le premier salon de la photo animalière et de nature bâti en 3 mois ouvre ses portes le 3ème weekend de novembre. 4 000 visiteurs enthousiastes nous soutiennent en 1996. Dès la 2ème édition, le « salon » devient « festival ». Un réel budget est engagé. Le chargé de mission Olivier VARIN réussit son pari… En 1997, le festival rassemble ainsi 10 000 visiteurs… La manifestation va devenir un rendez-vous photographes amateurs ou professionnels comme pour les amateurs de belles images et le grand public. C’est autour d’un événement naturel qui se déroule en automne, sur le Lac du Der : la migration des grues cendrées, qu’il est décidé que le Festival de Montier-en-Der se tiendra le 3ème week-end de novembre. Depuis sa création, le Festival de Montier-enDer n’a pas cessé de se développer tout comme le nombre de visiteurs: 12 000 en 1998, 15 000 en 1999, 20 000 en 2000, 23 000 en 2001, 25 000 en 2002, 28 000 en 2003, 26 000 en 2004, 28 350 en 2005, 31 500 en 2006, 32 024 en 2007, 37 125 en 2008 et 40 970 en 2009!
incontournable
pour
les
De très célèbres parrains se sont relayés lors des différentes éditions du Festival : Allain BOUGRAIN-DUBOURG en 1997, Dominique VOYNET en 1998, Yann ARTHUS-BERTRAND en 1999, Art WOLFE en 2000, Jean-Louis ETIENNE en 2001, Philip PLISSON en 2002, Gérard PORTE en 2003, Michel DENIS-HUOT en 2004, Hubert REEVES en 2005, Nicolas VANIER en 2006, Hans SILVESTER en 2007 et le Secrétaire d’Etat chargé de la Consommation et du tourisme, Luc CHATEL patronna l’édition 2007, Xavier DESMIER en 2008 et Frans LANTING en 2009. Organisé sur quatre jours du jeudi 18 au dimanche 21 novembre 2010, le Festival de Montier-en-Der propose près de 80 expositions et concrétise ses convictions pédagogiques en s’ouvrant au public scolaire. C’est l’événement incontournable international de la Photo Animalière et de Nature. C’est un lieu d’expositions, de rencontres et d’échanges unique pour les photographes amateurs et professionnels comme pour les amoureux de la photo et de la nature. page extraite du dossier de presse du festival - 44 -
Le Festival de la photo de nature de Montier en Der. Ce vendredi matin de l’ouverture, sous un ciel gris, pas grand monde, puisque mon billet d’entrée porte le numéro 80. Mais dès le premier site, c’est un éblouissement. Un peu comme un animal, même vieux, n’est jamais moche – ce qui n’est pas le cas de notre espèce –, les photos animalières sont toujours belles, ne serait-ce que par leur objet. Avant de faire la chasse aux photographies que je choisirais dans le concours qui est ouvert au vote du public, je reste admiratif des différents procédés de présentation des images :
Le classique accrochage des tirages dans les expositions couvertes.
Ou la subtile utilisation de la pénombre de l’abbatiale pour ces grandes diapositives
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On se croirait dehors, mais ces images sont sous abri dans leur cadre très naturel...
Beaucoup de présentations en extérieur, comme ces belles photos sous marines si l’on peut dire, puisque il s’agit d’images prises dans les lacs du Jura par Michel Loup qui sort à l’occasion du festival un livre magnifique « A fleur d’eau » : entre bulles de glace, grenouilles déchaînées, nymphéas roses et poissons argentés. Ses photographies ont été primées au prestigieux concours de la BBC en 2005, 2006 , et 2009.
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Beaucoup de tirages de grande taille sur support synthétique devant l’office de Tourisme et devant l’Abbatiale. Comme chaque année, l’animal domine en quantité. Assez peu de paysages, et surtout très peu de végétaux. C’est pourtant parmi eux que j’ai trouvé les deux images qui m’ont le plus séduit...
C’est Hans Nuijt, un petit gamin hollandais concourant dans la tranche d’âge 11- 14 ans qui a réussi ce cadrage splendide d’amanites tue-mouches dont les pieds font échos à l’alignement des bouleaux. Symphonie de lignes et de couleurs ! Une composition absolument parfaite ! Sans doute de la graine de grand photographe...
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Danse de nymphéas par Michel Loup sus cité. Enfin, un portraitiste très spécialisé, seul à présenter un travail en noir et blanc, Sébastien Meys nous ramène à l’animal.
Quand je lui ai demandé si ses portraits étaient tous pris en forêt africaine, il m’a dit qu’il avait aussi utilisé beaucoup de zoos, et il semblerait que le travail soit plus dangereux dans ces zoos que dans la nature, ce qui justifie l’emploi de téléobjectifs de 300 à 400 mm de focale !
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Il en a fait un beau livre : « Gorilla, portraits intimes »
Et je ne résiste pas à vous présenter un autre singe moins connu que le Gorille, mais tout aussi « humain »
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Beaucoup de belles images à voir, donc, dans ce festival, mais aussi de nombreuses animation à destination des scolaires, des conférences, des projections cinématographiques qui se déroulent au ciné- quai de St Dizier. Une nouveauté dans le festival : une offre de randonnées, séjours naturalistes, stages photo, auberges nature, voyages photos qui montre bien que derrière chaque engouement, un habile commerçant voit le jour ... Difficile de résumer en quelques pages une manifestation de cette ampleur. Le mieux à faire : vous préparer à aller à la prochaine édition, le dernier week-end de novembre prochain, en 2011 !
Nous étions bien à Montier en Der : les Grues le prouvent ...
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Ce 3 septembre 1919, à quelques semaines de l'automne, Lété et Lhiver se sont rencontrés dans le studio de Jean Poyet...
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