DE L'ORDRE AU SAUVAGE, une révolte jardinière.

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DE L’ORDRE AU SAUVAGE UNE REVOLTE JARDINIÈRE PAULINE HUARD

D S A A C R É AT E U R CO N C E P T E U R T E X T I L E 2013


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D E L’O R D R E A U S A U VA G E U N E R É V O LT E J A R D I N I È R E

PAULINE HUARD

D S A A C R É AT E U R CO N C E P T E U R T E X T I L E 2013

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SOMMAIRE


9

INTRODUCTION

11

LE VÉGÉTAL ET L’ORDRE

13

DE LA DOMESTICATION, AU PROCESSUS DE CIVILISATION DU SAUVAGE

17

DE L’ORDRE NAÎT LE BON GOÛT

21

MONTRE MOI TON JARDIN, JE TE DIRAI QUI TU ES

27

ENGRAISSER, SEMER, ÉLAGUER, DÉSHERBER, TRAITER

31

EXTERMINER, ÉRADIQUER, EMPOISONNER

37

LES ANARCHISTES DU JARDIN

39

LE TIERS PAYSAGE

45

LE JARDIN EN MOUVEMENT

51

LE JARDIN DE RÉSISTANCE

59

LE JARDIN MILITANT

67

S’ENGAGER PAR LA CRÉATION, CRÉER DE L’ENGAGEMENT

69

L’ARTIVISME

75

CRÉER DES UTOPIES RÉELLES

79

DESIGN ET ENGAGEMENT

84

MANIFESTE POUR L’OCCUPATION D’ESPACES ET LA RÉINTRODUCTION DU SAUVAGE AU SEIN DES VILLES

86

BIBLIOGRAPHIE

88

REMERCIEMENTS

7


8


INTRODUCTION

N

ature sauvage ou nature organi-

Comment se révolter contre la société tradi-

sée : deux conceptions de la na-

tionnelle, l’ordre et le pouvoir en jardinant ?

ture s’opposent dans la pensée

Le jardin peut être perçu comme un moyen

occidentale depuis le XVIIe siècle.

de contestation politique, un engagement

Il y a celle qui pense que la nature sauvage

activiste pour préserver la biodiversité en

est hideuse, pour elle seule une nature

réintégrant le sauvage.

organisée, domestiquée et disciplinée est

Des actions, parfois illégales, fondées sur

remarquable et reflète la valeur morale du

la coopération volontaire d’hommes et

jardinier.

de femmes libres et conscients, naissent d’une empathie pour la Terre. Ils ont pour

Dictée par les pressions sociales, morales,

volonté de repenser la société sur des bases

esthétiques et économiques, le jardin est

plus respectueuses de l’environnement,

régi par de nombreuses contraintes. Les

de construire un esprit communautaire en

gestes exercés pour domestiquer la nature

regroupant des personnes partageant le

afin de créer des jardins ordonnés ont par-

même combat.

ticipé, par le biais du végétal à établir un ordre social et une discipline morale au sein

Utiliser la plante, lente, silencieuse, vivante,

de nos sociétés.

pour se révolter, c’est une sorte de révolution douce, une révolution alternative et

Seulement, certains s’opposent à ces règles dictées par la législation, le pouvoir capitaliste, la domination des multinationales.

« Cultiver son jardin ou s’adonner à n’importe quelle activité créatrice d’autonomie sera considéré comme un acte politique, un acte de légitime résistance à la dépendance et à l’asservissement de la personne humaine». — Pierre Rabhi

pacifique.

9



LE VÉGÉTAL ET L’ORDRE



DE LA DOMESTICATION, AU PROCESSUS DE CIVILISATION DU SAUVAGE


D E L A D O M E S T I C AT I O N , AU P R O C E S S U S D E C I V I L I S AT I O N D U S AU VAG E

I

l n’est pas question de vraie nature dans

Le jardin est une projection miniaturisée

le jardin, mais de la domestication de la

de la nature, comme un échantillonnage

nature par l’homme. Pour créer un jar-

du monde naturel. On trouve dans un très

din, il y a eu un processus important pour

petit espace, une grande diversité de varié-

civiliser la plante. Les hommes ont d’abord

tés, d’espèces, qui peuvent venir des quatre

récupéré des espèces sauvages dans leur

coins du monde. C’est un lieu où on trouve

milieu naturel, et ils les ont acclimaté à leur

une synthèse des connaissances techniques

milieu de vie artificiel, dans leur jardin : on

et des choix esthétiques du propriétaire des

passe par exemple du chardon sauvage, à la

lieux. Comme la collection personnelle du

tête d’artichaut.

jardinier : plus elle est hétéroclite, exotique et variée, plus elle est appréciée.

Le jardin est un artifice fabriqué par le jar14

dinier, il s’occupe de la terre en l’aérant, en

C’est dans cet espace où l’homme s’autorise

l’engraissant, en y semant les variétés de

à accomplir et à fabriquer son utopie, où il

son choix et en les arrosant. Au final, toutes

vise ce qui le satisfait intimement. Cepen-

les plantes au jardin sont sélectionnées par

dant, la classe dominante et le pouvoir ont

le propriétaire des lieux et la «vraie nature

fait du jardin un lieu d’ordre et d’hygiène,

n’a pas son mot à dire».

qui a contraint les jardiniers à respecter des règles, des lois, et une gestuelle de jardi-

«Le jardin c’est un endroit où on a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, eux mêmes incompatibles, c’est l’hétérotopie» «Le jardin c’est la plus petite parcelle du monde et c’est la totalité du monde». (1) Créer un jardin, c’est établir une partition dans l’espace : un dedans au sein d’un dehors.

(1)

nage. Par cette domination sur le végétal, allant même jusqu’à une aliénation du tout propre et bien rangé, les hommes aussi se sont «mis en ordre», ils ont obéit à ces pressions sociales et esthétiques, visant à rétablir l’ordre social et à former de bons citoyens, des hommes «vertueux».

Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.


Hétérotopie 1. n. F. (philos) localisation physique de l’utopie, lieu qui héberhe l’imaginaire.

15



DE L’ORDRE NAÎT LE BON GOÛT


D E L’O R D R E N A Î T L E B O N G O U T

S

i le premier jardin naît avec l’histoire

allées parfaitement désherbées, où l’on

de la sédentarisation des peuples,

trouve des parterres de légumes, de fleurs,

la première organisation au sein

des jeux de niveaux, des jeux d’eau.

même du jardin et, par conséquent les pre-

Chaque espace est spécialisé à l’extrême,

mières manifestations de l’art des jardins,

chacun pouvant accueillir une production

naissent avec lui.

spécifique : melonnière, figuerie, asperge-

Sous l’Ancien Régime, l’aristocratie, la no-

raie....

blesse et la bourgeoisie envahissent les

«De l’ordre naît le bon goût», il ne faut pas

campagnes pour construire des pavillons,

mélanger les espèces, mais créer des petits

châteaux afin d’investir dans leur prestige

espaces de monoculture afin de se différen-

social.

cier de la paysannerie, qui eux associaient les espèces par faute de place.

18

Toutes les constructions ont leurs jardins

La logique aristocratique veut le classement

d’exception : jardins d’ornements, à la fran-

à l’image d’une collection, d’un cabinet de

çaise spectaculaires, et potagers. Alors très

curiosité à ciel ouvert. En somme tout faire

mal vus à cette époque, parce que syno-

pour épater la galerie venue se divertir au

nymes de pauvreté et de paysannerie, les

jardin, qui flâne dans les allées, sans craindre

potagers gagnent leurs lettres de noblesse

de se crotter les pieds comme de vulgaires

en devenant eux aussi décoratifs.

«planteurs de choux», tout en s’étonnant

Ils soulignent l’éducation et la délicatesse

des plantations extraordinaires. On regarde

des élites et deviennent un manifeste poli-

le jardin comme un tableau, un décor bien

tique et social d’un modèle supérieur.

arrangé.

Les jardins sous l’Ancien Régime, comme par exemple le Potager du Roi à Versailles

Pour les aristocrates les fruits et les légumes

(réalisé par Jean-Baptiste de la Quintinie,

sont un plaisir, il faut cultiver les légumes

vers 1680) ou le Jardin potager de Villandry

légers et peu nourrissants, les légumes pri-

(Château de la Loire), au début XXème siècle,

meurs et les fruits fondants. Ils ne sont pas

en plus de s’étendre sur plusieurs hectares,

sous la crainte d’une pénurie alimentaire,

ont une organisation particulière, ils sont

mais ils prennent plaisir de la bonne chère.

dits «coupés», c’est à dire compartimentés.

Il était de moeurs de mastiquer de façon ap-

A l’intérieur de la clôture principale, se

puyée et bruyante la délectation d’un fruit

trouvent des espaces alignés, des plates-

juteux et bien mûr.

bandes géométriques, dessinées par des

Le potager est un havre de paix, un lieu


innocent, mais ses productions renvoient

ordonné, réglé, obéissant à la volonté du

aux plaisirs des sens, et les aristocrates de

maître.

l’époque n’hésitaient pas à jouer des sous-

Les livres de jardinage de l’époque élaborent

entendus érotiques.

une norme, ordonnent l’organisation spa-

C’est à cette époque qu’apparaissent les

tiale du potager. Ils codifient, exposent et

confitures (avec du sucre de canne des

enseignent les bonnes manières, à l’image

Antilles), et les conserves (au sel, vinaigre

des règles de bienséance de l’époque.

ou alcool). C’est un luxe de pouvoir savourer certains produits en toute saison. C’est

Par la reconnaissance du bien fondé d’une

un peu l’apogée de la domestication de la

maîtrise absolue de l’homme sur la nature

nature, de pouvoir se régaler en plein hiver

et à travers la domination du végétal, l’élite

des fruits du jardin, et cela permet de signi-

démontre son statut social supérieur. Ils

fier l’excellence sociale.

maîtrisent la nature, ils dominent les classes sociales populaires. Cette recherche d’excel-

Le bon entretien du jardin s’inscrit dans un

lence, de maîtrise, imposée par l’élite, va

idéal politique, l’esthétique du bien rangé

fonder une société régie par l’ordre social et

renvoie à une vision d’un monde bien

la discipline morale.

Plan du Potager du Roi à Versailles (réalisé par Jean-Baptiste de la Quintinie, vers 1680)

19



MONTRE MOI TON JARDIN, JE TE DIRAI QUI TU ES


M O N T R E M O I TO N J A R D I N , J E T E D I R A I Q U I T U E S

I

mplantés le long d’une voie de che-

sa dignité d’homme, contrairement à la ma-

min de fer, d’un axe routier, dans les

chine déshumanisante, lui redonner un peu

faubourgs ouvriers, au pied des fortifi-

de santé, en le sortant à l’air libre.

cations militaires, dans des banlieues anar-

Le jardinage est présenté comme un loisir et

chiques en voie d’urbanisation, à proximité

non comme un travail supplémentaire, c’est

des hauts fourneaux et des mines, s’insèrent

un passe temps utile puisqu’il permet de

des lopins de verdure, des potagers soi-

produire des plantes pour la famille et ainsi

gneusement cultivés.

réduire les dépenses, et avoir une meilleure hygiène alimentaire.

Ces jardins sont faits de brics et de brocs,

22

de bidons pour récupérer l’eau de pluie, de

Les parcelles organisées en communautés

culs de bouteille, de planches, de briques...

permettent de créer du lien social, d’orga-

Autant de récupérations qui reflètent le

niser des fêtes de quartier, des concours

coeur de l’histoire économique et sociale

du meilleur jardinier ou du légume le plus

du monde occidental à la fin du XIX

monstrueux. Les hommes se retrouvent

ème

siècle.

au jardin, s’échangent des graines et des En 1896, l’abbé Lemire, touché par les

conseils.

conditions de vie misérables des ouvriers,

C’est un loisir pour soi-même, mais aussi un

crée une forme originale de jardinage sym-

loisir dont les fruits profitent à un entou-

bolique de la culture populaire de l’ère in-

rage, on n’hésite pas à donner, offrir ce que

dustrielle. Une nouvelle vision du jardin est

l’on est fier d’avoir réussi à produire.

mise en place : ce n’est plus une propriété privée, mais c’est une parcelle prêtée par le patronat aux ouvriers, qui leur permettait de jardiner pour occuper leur temps libre. Les jardins ouvriers de l’abbé Lemire permettent de désaliéner l’ouvrier, lui redonner


23

Photographie ancienne montrant les ouvriers de Roubaix, en communautĂŠ, travaillant au jardin.


24


Cependant, cette vision positive et sociale cache un autre but. Alors que le jardin potager est toujours à la mode chez les bourgeois, une idéologie réactionnaire se développe.

«Jardin-objet destiné à celui qui le regarde comme un tableau. Espace d’aménité pour qui l’entretien comme un territoire de propreté. Prolongation légitime d’une maison bien récurée.» (1)

Elle prône le retour à la Terre, le jardin comme garant de la famille chrétienne et

Dans un jardin impeccablement désherbé

en ordre. L’Église valorise le travail de la

et aux légumes alignés se lit l’honneur et la

Terre et condamne les perditions de la ville

propreté morale d’un bon père de famille,

industrielle : socialisme, concubinage, ma-

travailleur, sérieux, courageux.

ladies vénériennes... Le but est de fixer une main d’oeuvre flottante en la fidélisant, mais aussi d’occuper les ouvriers après une journée de travail, de les détourner des cabarets, des bars et des réunions politiques du socialisme. En cas de licenciement, l’ouvrier perd sa maison et son jardin, il est donc impératif pour lui d’être un ouvrier exemplaire. Les jardins ont un statut communautaire, ni propriété privée, ni espace public. Ils sont régis par un règlement et un directeur (au départ un ecclésiastique, ils ont ensuite été choisis parmi les meilleurs jardiniers), qui permettent un ordre et une discipline. Les jardins sont inspectés, tout jardin doit être bien tenu et propre, un mauvais entretien est motif d’expulsion.

(1)

Gilles Clément, La Sagesse du Jardinier, L’oeil Neuf Editions, 2004, p.9

25



ENGRAISSER, SEMER, ÉLAGUER, DÉSHERBER, TRAITER


E N G R A I S S E R , S E M E R , É L AG U E R , DÉSHERBER, TRAITER

L

e fort développement urbain dès la fin du XIXème siècle suscite des préoccupations hygiénistes qui n’ont cessé

d’occuper la scène politique et médiatique

Les urbains sont en quête de nature,

au sein des villes. La nature a des vertus thé-

éprouvent le besoin de «se mettre au vert»,

rapeutiques : il faut restaurer le lien entre

fuir la vie stressante citadine pour un retour

l’homme et la nature pour guérir les maux

aux sources, aux valeurs simples. L’image de

et les tensions engendrés par la civilisation

la nature par les urbains est un fantasme,

urbaine et industrielle afin de rétablir l’ordre

puisqu’ils n’ont jamais eu de contact avec la

social.

campagne, c’est une vision très insouciante, qui s’apparente plus à un endroit où il fait

28

Dans les politiques urbanistiques et sociales,

bon se reposer, s’éloigner des soucis de la

on tente de réintroduire la nature par le biais

vie de tous les jours, souffler les pissenlits,

«d’espaces verts». Les urbanistes ont travail-

effeuiller les marguerites, profiter du soleil...

lé afin de répondre au besoin de nature des

Leur besoin n’est pas celui d’une nature

habitants des villes. Une nouvelle utopie est

«sauvage», mais plutôt d’un artefact portant

née, mettre la nature au coeur de la ville,

la symbolique de la nature : la couleur verte.

une nature que les architectes peignaient en vert sur leurs plans et qui se traduisait par du

Le constat est simple, dans nos villes, le vert

gazon dans la réalité.

est devenu accessoire. Il suffit de regarder

l ne s’agit pas, pour autant, d’une «nature

autour de nous : les espaces verts ne sont

sauvage» mais d’une «nature domestiquée»

pas à tous les coins de rues, et quand on

par l’homme, transformée et dans certains

croise une plante verte, c’est plutôt sous

cas magnifiée. La nature est agressive. La

la forme d’un objet de décoration dans un

question ne se pose pas de la protéger, mais

salon ou dans le coin d’un bureau qu’il fallait

au contraire de la dompter. Les espaces

combler !

verts sont des espaces d’agrément végétalisé (engazonné, arboré, planté de fleurs et buissons d’ornement), ce sont des lieux publics en milieu urbain.


S E S U O PEL S E T I D INTER Pelouses interdites : Gazon et arbres sont les

jardins anciens seulement), la qualité de

deux éléments dominants dans la plupart

l’entretien).

des espaces verts. Au lieu d’être des espaces ouverts dont les humains pourraient jouir,

Les jardiniers qui les entretiennent de-

nombre de pelouses sont interdites.

viennent des conducteurs de machines pollueuses, ils les dopent à coup de produits

C’est un exemple d’une démarche indivi-

chimiques et d’agents hydratants en quali-

dualiste de la ville qui se soucie de l’esthé-

tés industrielles. Pratiquement aucune créa-

tique de ses parcs que du bien être de ses

tivité n’est nécessaire, et il n’y a rien d’autre à

habitants, en quête de pouvoir gagner des

récolter que des masses de tontes (qui sub-

distinctions tels que le concours des villes

mergent un tas de compost).

fleuries, ou bien le label du jardin remar-

Engraisser, semer, élaguer, désherber, trai-

quable (les critères pris en compte pour

ter. Ces gestes pratiqués par les hommes

l’attribution sont la composition, l’intégra-

d’entretien des espaces verts permettent

tion dans le site et la qualité des abords, la

de maîtriser la nature. Les herbes folles, les

présence d’éléments remarquables, l’inté-

insectes font peur, ils faut les éradiquer.

rêt botanique, l’intérêt historique (pour les

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EXTERMINER, ÉRADIQUER EMPOISONNER


EXTERMINER, ÉRADIQUER, EMPOISONNER

La nature « sauvage », qui peut se définir comme l’ensemble des éléments (végétaux et animaux) qui n’ont pas été transformés par l’Homme et qui sont préexistants à lui, a été un espace hostile qu’il s’agissait de dompter. Elle n’est jamais « parue si belle que lorsque la machine a fait son intrusion dans le paysage »

«L’homme a tendance à détruire ce qui lui fait peur, ce qu’il sent étranger. Quand on interviewera de grands technocrates défricheurs, on ne sera pas surpris de découvrir, derrière leur propos qui se veulent rationnels, cette vieille peur de la nature sauvage». — François Terrasson, Sang de la Terre, 2007 32

Cette peur du sauvage a été entretenue par les multinationales des biotechnologies, notamment avec la firme Monsanto qui a

Le Roundup a connu un succès très rapide non seulement dans le monde des agriculteurs qui saluaient son efficacité mais aussi auprès des jardiniers amateurs, séduits par la réputation de biodégradabilité et d’innocuité du produit. En effet, on peut lire sur les bidons de Roundup distribués en grande surface qu’ « utilisé selon le mode d’emploi, Roundup de présente pas de risque pour l’homme, les animaux et leur environnement ».

développé et commercialisé le «RoundUp» un herbicide total et non sélectif. Il permet l’extermination totale de toutes les plantes aspergées.

« Le jardinier, sûr de son bon droit d’éradicateur baigne dans une paranoïa activement entretenue par les vendeurs de poison. Il se rend esclave d’une pratique compliquée, inutile et nuisible. Tout ce qui ne procède pas de son «projet» doit être effacé du paysage». — Gilles Clément, La Sagesse du Jardinier

Michel Baridon, Les jardins : Paysagistes, jardiniers, poètes, 1998

Sur leur site internet, on peut lire : «Aimer le jardin, c’est le désherber quand c’est utile. C’est aider le jardinier à créer le jardin qu’il souhaite en concevant pour lui des désherbants toujours plus pratiques et précis. C’est lui fournir les produits adaptés pour prendre soin de ses plantations et embellir son jardin. Parce que pour les jardiniers, désherber est l’un des gestes qui leur est utile.»


«Aimer le jardin, c’est désherber de manière

s’engouffrant entre les dalles de la terrasse,

responsable. C’est proposer des désher-

celles qui poussent au milieu de l’allée bien

bants sûrs pour l’homme et l’environnement

dessinées, ces indésirables ont été éradi-

quand ils sont utilisés selon les préconisa-

qués. Malheureusement, puisque c’est la

tions d’emploi. C’est poursuivre nos efforts

seule nature vraiment sauvage que l’on pou-

de recherche pour évaluer en permanence

vait encore trouver.

nos produits et favoriser leur sécurité d’utilisation. Parce que lorsque l’on aime son jar-

A plus grande échelle, au niveau de l’in-

din, on y fait vraiment attention.»

dustrie agroalimentaire, ceux qui ont été séduits par le RoundUp, ce sont les cultiva-

De plus, beaucoup se souviennent de la

teurs d’OGM RoundUp Ready, des OGM dé-

fameuse annonce publicitaire où un chien

veloppés et commercialisés par Monsanto.

couvrait une plante de Roundup afin de

Soja, coton, maïs, plusieurs espèces ont été

déterrer un os enseveli pour le manger en

transformés génétiquement pour résister à

toute sécurité, sans se préoccuper d’éven-

l’efficacité du désherbant non sélectif.

tuels résidus toxiques sur sa nourriture.

Deux épandages suffisent à ne pas voir ap-

Cette annonce promouvant la non-toxicité

paraître des mauvaises herbes, pendant une

du désherbant fut condamnée pénalement

année complète, dans la plantation entière.

pour publicité mensongère dans plusieurs pays. Chez les particuliers, le produit a très vite fait sensation grâce à son efficacité radicale, toutes les mauvaises herbes et plantes folles

33


Monsanto exerce une activité, le lobbying,

L’enquête menée par Marie-Monique Robin

qui consiste «à procéder à des interven-

examine les produits créés par Monsanto et

tions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics».

leurs conséquences sur l’environnement et

— Wikipédia Ces interventions, dont les pratiques sont la plus part du temps illégales (licenciements injustifiés, pot-de-vin de deux millions de dollars, publicité mensongère, ont permis de corrompre, l’état américain qui voulait relancer l’industrie notamment en dévelop34

pant les biotechnologies. Pour se faire, et pour gagner du temps, on néglige les tests sanitaires et environnementaux. Plus tard, Dan Glickman secrétaire à l’agriculture de Bill Clinton déclare au sujet des tests sur les OGM et de leur légalisation aux États Unis :

« Franchement je pense qu’on aurait dû faire plus de tests mais les entreprises agro-industrielles ne voulaient pas parce qu’elles avaient fait d’énormes investissements pour développer ces produits. Et en tant que responsable du service de réglementation du ministère de l’agriculture, j’ai subi beaucoup de pressions pour, disons, ne pas être trop exigeant ».

la santé : le film donne la parole à des scientifiques du monde entier, qui racontent les pressions qu’ils ont subies suite à des études mettant en cause les produits développés par la firme, notamment du point de vue de leurs effets sur la santé publique. Ces scientifiques affirment avoir été fortement incités par leur tutelle à ne pas communiquer, pour ne pas compromettre le développement et la mise sur le marché des produits.


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LES ANARCHISTES DU JARDIN



LE TIERS PAYSAGE


L’HOMME

par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres

intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance 40 40

pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en


écarte les animaux qui y trouvaient leur substance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous les égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes (...). On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer luimême après avoir rendu le globe inhabitable. Toutes les instances, tous les dirigeants, et aujourd’hui tous les citoyens sont avertis de l’absurdité du mode de vie entraîné par l’économie de marché. A aucun moment il n’est question d’en changer... C’est la vision fataliste, et la position darwinienne - évolution par pression sélective : la nature invente, le milieu sanctionne - les plus forts gagnent, les autres crèvent.» Citation de Jean-Baptiste de Lamarck, Système analytique des connaissances positives de l’Homme, 1820

41


L E T I E R S PAYS AG E

L

a minutie maniaque du désherbage, permet d’exhiber la maîtrise dans la destruction et la domestication du

naturel, mais dans un jardin, il faut «faire avec» la nature. L’avènement de l’écologie et du concept de biodiversité a permis une prise en compte du sauvage. Le paysagiste Gilles Clément a défini les territoires du sauvage sous le concept du «Tiers Paysage» :

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« Le Tiers paysage est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Il concerne les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, rives, talus de voies ferrées, etc … A l’ensemble des délaissés viennent s’ajouter les territoires en réserve. Réserves de fait : lieux inaccessibles , sommets de montagne, lieux incultes, déserts.Réserves institutionnelles : parcs nationaux, parcs régionaux, réserves naturelles. Ces marges sont des espaces privilégiés d’accueil de la diversité biologique, qui à ce jour, n’est pas répertoriée comme richesse. Tiers Paysage renvoie à Tiers-Etat. Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir. Il se réfère au pamphlet de Siesyes en 1789 : - Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? - Tout. - Qu’a-t-il fait jusqu’à présent ? - Rien. - Qu’aspire-t -il à devenir ? - Quelque chose. »


Cette prise de conscience écologique a motivé certains citoyens à résister contre ces dérives. Dès les années 1970, on voit apparaître des militants pour la biodiversité qui commencent à rechercher, recueillir et conserver des variétés anciennes de plantes en voie de disparition, de promouvoir des savoir-faire traditionnels et des techniques écologiques de jardinage.

«En tout cas, pour eux, ça a été évident : finis les produits chimiques, les désherbants systématiques, les pesticides foudroyants. Bonjour le purin d’ortie, la binette à papa, les coccinelles mangeuses de pucerons.» — Barbara Constantine, Tom petit Tom, tout petit homme, Tom, 2010. Aux pesticides, herbicides et autres engrais chimiques se substituent des techniques traditionnelles de culture qui refont le jour, en associant des plantes pour repousser les parasites, les maladies, en utilisant des insectes prédateurs et des paillages contre les mauvaises herbes. Le jardin propre n’est plus ce qu’il était, propreté n’est plus l’allée bien droite et impeccable, les parterres intégralement désherbés, mais une propreté écologique, qui accepte et recherche le sauvage.

Le «Tiers Paysage» de Gilles Clément, trois photographies de D. Dubois, prises sur le toit de la base sous-marine de Saint Nazaire.

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LE JARDIN EN MOUVEMENT


LE JARDIN EN MOUVEMENT

L

e jardin en mouvement est un concept créé par le paysagiste français Gilles Clément pour désigner à la fois un type de jardin où les espèces végétales peuvent se développer librement et, plus généralement, une philosophie du jardin qui redéfinit le rôle du jardinier, en accordant une place centrale

à l’observation, et qui repose sur l’idée de coopération avec la nature. C’est un « état d’esprit » qui « conduit le jardinier à observer plus et jardiner moins. A mieux connaître les espèces et leurs comportements pour mieux exploiter leurs capacités naturelles ». Son objectif est de maintenir et accroître la diversité biologique, il faut faire «le plus possible avec», «le moins possible contre» ce qu’il y a déjà. C’est un concept que l’on retrouve aussi dans la permaculture. Après la seconde Guerre mondiale, Masanobu Fukuoka expérimente une agriculture où l’homme travaille avec la nature et

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pas contre elle. Il nomme sa méthode agriculture sauvage ou agriculture du non-agir, mais elle est plus souvent entendue comme agriculture naturelle. Il prône une agriculture où l’homme et la nature ne font qu’un. Il utilise ce que la nature sait faire seule pour se débarrasser de techniques agricoles conventionnelles : - Sans labour : La terre se cultive toute seule grâce à l’activité des vers de terre, des micro-organismes et des racines qui aèrent le sol. Quand la terre est labourée par l’homme, elle est exposée à la pluie, au soleil et au vent, ce qui fait qu’elle

« J’ÉVOQUE LES ANIMAUX LES PLUS CONSIDÉRABLE DONT LA PRÉSENCE N LENCIEUX, IMPERCEPTIBLES, LENTS, REGARDS DE NOTRE PRÉDATION, MAI S’ÉVITENT, SE POURCHASSENT. CE MO EN AYONS CONSCIENCE. INSECTES, NORE ACIDE OU RONRONNANT, MINU REVERS DE LA MAIN. AGACEMENTS

s’érode. - sans désherbage : les herbes sauvages sont un bon indicateur du type de sol. Les herbes folles doivent être contrôlées, mais non éliminées, car elles jouent un rôle important dans la fertilité et l’aération de la terre. Il suffit de désherber au début des semis, pour éviter la compétition avec les jeunes pousses. Une fois les plants bien enracinés, on ne désherbe plus. Le paillage et le mulch permettent de contrôler la prolifération des herbes sauvages.


- Sans apport de fertilisants chimiques ni de compost préparé : pour fertiliser la terre, on utilise des engrais verts, de la paille et du fumier. - Sans pesticide et sans taille : Fukuoka fait pousser ses récoltes de céréales sans produit chimique d’aucune sorte. Depuis le temps que les plantes faibles se sont développées, conséquence de pratiques contre nature telles que le labour et la fertilisation, la maladie et le déséquilibre des insectes sont devenus un

VISIBLES. MAIS IL EXISTE UN MONDE NOUS ÉCHAPPE, COMPOSÉ D’ÊTRE SIPARFOIS MIMÉTIQUES, ABSENTS AUX IS QUI ENTRE EUX SE CONNAISSENT, ONDE NOUS CÔTOIE SANS QUE NOUS IVRESSE DES CHAMPS, FOND SOUSCULES POUSSIÈRES CHASSÉS D’UN S, PERLES ÉPINGLÉES, DIADÈMES »

grand problème en agriculture. La nature, laissée seule, est en parfait équilibre. Les insectes nuisibles et les maladies des plantes sont toujours présents, mais n’atteignent pas, dans la nature, une importance qui nécessite l’utilisation de poisons chimiques. L’approche intelligente du contrôle des maladies et des insectes est de faire pousser des récoltes vigoureuses dans un environnement sain. Il parvint à obtenir des rendements équivalents aux méthodes de l’agriculture conventionnelle dans la culture du riz, de l’orge et des agrumes. Ses techniques de culture et la philosophie zen qui les sous-tend vont beaucoup inspirer Bill Mollison pour fonder le concept d’agriculture permanente, considérée aujourd’hui comme la permaculture originelle. Cultiver le sauvage, c’est un retour ou naturel ou le comble de l’artificiel ? L’étape ultime dans la domestication de la nature ou des règles du jeu nouvelles qui préservent la liberté du vivant ? Une chose est sure la permaculture et le jardin en

mouvement se rapprochent de l’utopie du jardin écologique. Ces pratiques permettent d’avoir des résultats qui se rapprochent le plus possible d’un environnement naturel sauvage, mais les phases de l’observation et de l’expérimentation s’étalent sur des années et ne permettent pas un rendement productif.

Gilles Clément, La sagesse du jardinier, L’oeil Neuf Editions, 2004, p.21 Page suivante : photographie personnelle, prise dans le jardin de permaculture de l’association Biosegura, à Bullas, dans le Sud Est de l’Espagne et citation de Stephane Hessel.

47


48

N G I D N I ’ L EST LE P PAS DE L


N AT I O N R E I M E R P L’ACTION

49



LE JARDIN DE RÉSISTANCE


52 52

semer

pour rĂŠsister


L E J A R D I N D E R É S I S TA N C E

Par jardin de résistance il faut entendre l’ensemble des espaces publics et privés où l’art de jardiner – qu’il s’agisse de jardins vivriers ou de jardins d’agrément, de parcs urbains ou d’espaces d’accompagnement de la ville, de territoires appartenant au tissu de la cité ou à celui de la campagne – se développe selon des critères d’équilibre entre la nature et l’homme sans asservissement aux tyrannies du marché mais avec le souci de préserver tous les mécanismes vitaux, toutes les diversités – biologiques ou culturelles – dans le plus grand respect des supports de vie (eau, sols, air) et dans le plus grand souci de préserver le bien commun et l’humanité tributaire de ce bien commun.(1)

Déçu par l’élection de Nicolas Sarkozy à

désormais classés PNPP (Produits Natuels

la présidence et estimant que ce choix ne

Peu Préoccupants) et font l’objet d’une in-

permettrait pas le nécessaire sursaut éco-

terdiction de commercialisation en France

logique de la politique française, Gilles

(loi d’Orientation Agricole de Janvier 2006).

Clément a décidé alors d’annuler tous ses

L’amendement à cette loi - appliquée par

contrats avec l’Etat français et de se consa-

décret en 2009 - prévu pour en alléger les

crer à des « projets de résistance ».

termes, ne modifie pas fondamentalement

Le premier projet, inauguré en juin 2007,

la loi.

répond à une commande artistique pour

(1)

la biennale d’art contemporain de Melle

L’exemple de Gilles Clément montre que

(Deux-Sèvres). Ce jardin, prévu pour être

les résistants n’ont pas hésité à dépasser

durable, se compose d’un jardin d’eau et

la frontière de la légalité. En refusant de se

d’un jardin d’orties avec un bassin où l’on

soumettre à la loi, en désobéissant, ils s’op-

peut réaliser le purin d’orties, utilisé en jardi-

posent aux ordres dans le but de montrer

nage biologique pour renforcer l’immunité

leur désaccord.

des végétaux, éviter les traitements et les

Combat similaire, celui contre le monopole

pesticides.

des multinationales pour la vente des se-

Les «purins» d’ortie, prêle, consoude etc.,

mences et contre la législation qui protège

utilisés depuis toujours dans les jardins, sont

ce commerce.

Gilles Clément, citation trouvée sur son site internet. Photographie personnelle réalisée dans un jardin de permaculture permettant la production de graines non-hybrides.

53


54 54

semences non-hybrides 54


« Un jardin sans semences, c’est un peu comme une communauté humaine sans enfants. La semence, c’est le début de la chaîne alimentaire. Celui qui la contrôle, contrôle la chaîne alimentaire et donc les peuples. Il nous faut résister fertilement, sinon le jardinage familial sera bientôt interdit». (1)

(1)

Pendant des années les paysans du monde

plantes issues de ces semences produiront

entier ont produit leurs propres semences.

des graines dites F2 qui sont stériles et donc

Ils ont sélectionné, amélioré et créé de

c’est impossible de les réutiliser. Il faut donc

nouvelles variétés pour assurer leur auto-

en racheter l’année suivante.

nomie alimentaire. Depuis un siècle, l’agri-

Les semences sont commercialisées par

culture détruit ces semences. Alors que les

quelques grandes multinationales qui se

variétés possèdent des caractères qui leur

partagent le marché des semences, on peut

permettent de résister aux agressions, les

citer Monsanto, DuPont, Syngenta et Lima-

nouvelles variétés de graines, modernes,

grain.

commercialisées par les industries de

Les semences qui peuvent être commer-

l’agroalimentaire sont fragiles, et elles

cialisées doivent être inscrites au catalogue

doivent faire appel à la chimie pour résister

officiel du GNIS (Groupement National

aux agressions.

Interprofessionnel des Semences), créé par

La majorité de semences que nous utilisons

Pétain sous l’Occupation.

aujourd’hui, à petite échelle dans un pota-

Le 29 novembre 2011, l’assemblée natio-

ger, ou plus largement dans l’agriculture,

nale a adopté la proposition de loi du séna-

viennent principalement d’une manipu-

teur UMP Christian Demuynck relative aux

lation et d’une sélection de l’homme. Ce

Certificats d’Obtention Végétale (COV). Il

sont des semences hybrides, dites F1, croi-

s’agit de taxer les agriculteurs qui utilisent

sement de 2 variétés distinctes d’une même

des semences produites à partir de leurs

espèces afin d’obtenir des plantes soi disant

propres récoltes (semences de ferme). Les

plus productives, le problème c’est que les

bénéficiaires de la taxe sont les semenciers.

extrait du texte de Dominique Guillet «Semences Sans Frontières» 10e édition, Editions de Terran, 2011. Photographie personnelle réalisée dans les jardins en bas d’immeuble de l’association «Plantons» à Genève.

55


Le texte de loi dit que cette taxe servira à financer les efforts de recherche afin que les ressources génériques continuent d’être améliorées. Les agriculteurs deviennent totalement dépendants des semenciers. Ce catalogue contribue à la confiscation ou à la privatisation du vivant. En France, la vente et même le don ou l’échange des variétés non inscrites au catalogue sont des pratiques illégales et font l’objet de poursuites judiciaires. C’est ainsi que des producteurs de semences comme Kokopelli sont entrés en résistance.

56

Kokopelli diffuse depuis sa création en 1999, des graines de légumes inconnus, rares ou oubliés, sans passer par le catalogue du GNIS, l’association est régulièrement dénoncée par les semenciers, et traînée en justice.

« Le don de semences est un acte réellement révolutionnaire, mille fois plus fertile que tous les discours. Et indispensable face aux multinationales qui confisquent le vivant en toute impunité» — Dominique Guillet «Semences Sans Frontières» 10e édition, Editions de Terran, 2011.

« J’ai jardiné avec l’association «Red de Semillas» (Réseau de Graines) à Bullas dans le Sud Est de l’Espagne, comparable à une plus petite échelle à Kokopelli, en France. Nous faisions des graines anciennes et traditionnelles provenant directement de nos jardins ou par le système de banque d’échange de graines. Je suis prêt à m’engager dans des initiatives proposant une «agriculture propre». Je suis prêt aussi d’être à la marge de la société, c’est à dire boycotter la consommation et les produits de masse, réquisitionner des terrains pour y planter des graines non hybrides, développer des projets d’autogestion à financement libre, avec des donations de fruits et légumes locaux.» — Julien, propos recueillis lors d’une enquête menée dans le cadre du mémoire.

Photographie personnelle, prise lors d’une enquête menée dans le cadre du mémoire. Julien, tenant dans sa paume des graines illégales de pavot.


57



LE JARDIN MILITANT


L E J A R D I N M I L I TA N T

I

ls sont plusieurs à s’engager dans des

Pour exister, ils jouent sur les actions coup-

nouvelles formes de contestation.

de-poing, des actions où le but n’est pas de

Des citoyens se réunissent et militent

battre le nombre de participants à la mani-

autour d’une cause commune. Ce sont des

festation, mais d’organiser une action par-

mouvements apolitiques qui ne font pas

ticipative et collective, qui attire sur eux les

partie des syndicats. L’individualisation de

médias.

la société et le désenchantement politique

les codes classiques de la manifestation des

« J’ai commencé à jardiner dans le cadre personnel, familial, en cultivant mon potager derrière chez moi, et j’ai élargi ce cadre cette année en participant à un mouvement citoyen, social et solidaire, «Les Incroyables Comestibles». Le concept consiste à cultiver devant chez soi fruits et légumes que l’on laisse en libre-service aux passants, voisins... L’objectif est de se réapproprier progressivement le domaine public en y cultivant aussi des «comestibles» en libre service. Par le partage de plant, de graines, l’implantation de variétés anciennes... Nous essayons de maintenir la biodiversité, souvent mise à mal avec l’industrie chimique, les variétés hybrides, les OGM...» — Cédric, propos

«soixante-huitards», fini les grèves et les

recueillis lors d’une enquête menée dans le

pétitions.

cadre du mémoire.

poussent de plus en plus les personnes à s’engager ponctuellement pour des causes précises et concrètes.

«C’est une petite équipe autonome de gens qui partagent certains principes, objectifs, intérêts, projets ou autres similarités qui les conduisent à bien travailler ensemble» (1)

60

Les idéologies politiques et la crise du mouvement syndical (vieillissement des militants) pousse la nouvelle génération de militants à prendre la relève. Parodique, festif, provocateur, médiatique : les nouveaux militants ont décidé de rompre avec

(1)

selon la définition donnée par le Direct Action Network, reprise successivement par Chirstophe Aguiton dans Le monde nous appartient, Éditions Plon, puis par Les Nouveaux Militants, Laurent Jeanneau et Sébastien Lernould, Editions Les Petits Matins, 2008


jardin de l’hôpital en verger, encourage les enfants à cultiver des légumes qu’ils mangeront à la cantine, installe des bacs à compost dans la ville... A Todmorden, on n’hésite pas à parler «d’autosuffisance alimentaire ». Puis, l’action a fait le buzz sur internet et la démarche s’est propagée partout en Europe. Dans nos villes on peut trouver des bacs à légumes avec une affiche «nourriture à partager, servez-vous». C’est aussi un acte militant parce qu’il faut savoir que cette pratique est illégale, une loi interdit l’échange de substances que chacun peut fabriquer chez soi et gratuitement Les «Incroyables comestibles», c’est une dé-

(graines non hybrides, compost maison,

marche née à Todmorden au Royaume-Uni

etc.), la distribution gratuite (fruits, légumes,

en 2008, époque où le pays était en pleine

confitures, etc.)

crise économique. Les militants prônent la «désobéissance «Une question germe dans la tête d’une

civile», la transgression des lois afin de les

femme d’affaires locale qui tente de mon-

dénoncer. En restant non-violents, ils res-

ter des initiatives dans sa ville : pourquoi les

pectent leurs adversaires et les participants,

habitants devraient-ils acheter des légumes

mais veulent montrer une supériorité mo-

importés, alors que beaucoup n’ont pas un

rale, qui doit inciter «l’oppresseur» à prendre

radis et que de nombreux espaces urbains

conscience de ses erreurs et à faire marche

fertiles sont à l’abandon ? Elle commence

arrière.

alors à proposer à son entourage de planter des légumes partout où c’est possible. La communauté de bénévoles plante du maïs à côté du commissariat, transforme le

61


62


63


«Tôt ou tard, nous nous manifesterons dans

Les mouvements s’organisent en réseau,

votre quartier», slogan de la Guerilla Garde-

sans formalisme, ni rituels, principalement

ning.

par le biais d’internet. Il n’y a pas de hié-

Les jardiniers guérilleros prennent clan-

rarchie, mais une organisation horizontale,

destinement d’assaut des espaces publics

sans chef. On a à faire à un engagement

urbains pour les transformer en îlots de ver-

libre, un thermomètre d’engagement, où

dure.

chacun agit selon sa motivation, comme

Une guérilla pacifique, citoyenne et écolo-

bon lui semble.

giste née avec Liz Christy dans les années

toyer un terrain en friche, il y créent le pre-

«La pratique des mobilisations éclairs, flash mobs, a été reprise par de multiples collectifs qui y ajoutent une portée politique. Des foules intelligentes qui utilisent les nouvelles technologies pour communiquer et mener des actions communes. Cela va des bandes d’ados qui communiquent par textos aux activistes qui s’organisent sur la Toile. Spectaculaires, efficaces, faciles à organiser, elles répondent parfaitement aux contraintes de groupes composés d’une poignée de membres, sans moyens logistiques suffisants pour faire entendre leur message par les voies traditionnelles.» — Laurent Jeanneau Sébas-

mier jardin communautaire.

tien Lernould, Les Nouveaux Militants, Edi-

70, et qui s’est propagée à travers le monde. Tout à commencé à New York, Manhattan. La ville connaît une crise urbaine et financière. De nombreux bâtiments abandonnés sont démolis, et deviennent des terrains vagues. Leur multiplication dégrade le paysage quotidien, et pose des problèmes d’hygiène et de sécurité. L’artiste Liz Christy à l’idée de végétaliser les 64

friches au moyen de poches de graines, ou bombes à graines (seed bombs), quelle jette par dessus les grillages. Ses actions fonctionnent, elle réunit donc un groupe d’amis et de voisins pour net-

tions Les Petits Matins, 2008 Aujourd’hui, ce mouvement a été repris par la Guerilla Gardening, ces activistes anonymes venus de tous horizons sociaux, investissent lors d’actions éclairs, le plus souvent la nuit, les espaces publics ou privés pour y faire pousser des fruits, des fleurs, des légumes.

Page précédante, photographie de Liz Christy, devant son premier jardin commnunautaire. Ci-contre, les «bombes à graines» sont aujourd’hui commercialisées par la marque Kabloom : http://kabloom.co.uk/


65



S’ENGAGER PAR LA CRÉATION, CRÉER DE L’ENGAGEMENT



L’ARTIVISME


L’A R T I V I S M E

A

mesure que le concept du flash

Ces actions s’inscrivent dans un temps pré-

mob mûrit, il se rapproche du

cis, lors d’une expérience vécue lors d’une

théâtre de rue, on a à faire a des ac-

situation.

teurs, des costumes, un scénario, un jeu de

Elles héritent d’une longue histoire faite de

rôles, une scène, un public... Militer pourrait

pratiques populaires de contestation, de

devenir en somme une activité artistique,

désobéissance civile, d’avant garde (Dada,

ou pousser l’idée à son paroxysme au point

surréalisme, situationnistes), conte culture

d’inverser la relation : l’art devient un acte

(diggers, graffiti, punk...).

militant. Les artivistes sont des graphistes, plasticiens, des comédiens. Ils ont la capacité de 70

rebondir sur l’actualité politique, d’être présents là où les choses se passent et de réaliser des oeuvres, dans l’espace public, qui collent à ces événements. Ils ne produisent pas des objets à proprement parler, ou en d’autres termes des oeuvres matérielles, mais des actions, des performances, des happenings... Un art éphémère ou événementiel.

Les artivistes «mettent en acte certaines des propositions fondatrices des situationnistes parmi lesquelles se trouvent le principe d’un art non séparé de la vie, celui qui veut que c’est en créant des situations, des «lieux de passage», que l’on a une chance de changer la situation, celui qui fait de la vie quotidienne et de la culture les terrains privilégiés des luttes contre l’oppression, celui qui indique que sans joie et sans jeu, aucun changement véritable n’est envisageable.» (1)

Il ne reste que quelques traces de l’oeuvre, de l’instant, grâce à la capture d’images

Ils ne s’adressent plus au même public,

(photos, vidéos) et par sa diffusion, par les

averti, mais à toute une population, puisque

réseaux sociaux par exemple.

l’art vient à leur rencontre, dans la rue, de manière libre et gratuite.

(1) (2)

Artivisme (art, action politique et résistance culturelle), Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi.


Artivisme Néologisme bâti sur les mots «art» et «activisme».

« Les musées sont désertés au profit des espaces publics. Les marchés laissent place à la gratuité ou à l’échange, l’individualisme au collectif, le commentaire infini et parfois désabusé à la lutte concrète, immédiate et performative.» (2) Les artivistes proposent d’imaginer d’autres façons possibles de vivre, en les expérimentant directement grâce à des actions. PARK(ing) DAY est un événement mondial ouvert à tous, qui pendant un weekend end, mobilise citoyens, artistes et activistes collaborent afin de transformer temporairement des places de parking payantes en espaces végétalisés et conviviaux.

71

Par le biais de ces parenthèses poétiques et ludiques, PARK(ing) DAY est une réflexion globale sur l’espace urbain, sur la place qui y est faite à la nature et sur la qualité de vie en centre-ville. En révélant temporairement les possibilités offertes par de tels espaces, cela aide à changer la façon dont les rues sont perçues et utilisées, générant des effets plus durables. Cet événement vise à encourager les citoyens à se réapproprier l’espace public, grâce à de la créativité, de l’engagement critique, des interactions sociales inédites, de la générosité et du jeu.


72

Depuis sa création en 2005 à San Francisco

L’enjeu des artivistes est d’aller loin dans la

par Rebar, un collectif d’artistes et de paysa-

provocation en flirtant avec la légalité. S’ap-

gistes, Park(ing) Day a déjà rassemblé dans

proprier une place de parking pour y faire

le monde entier plus de 180 villes dans plus

un jardin, c’est surprenant, mais pas illégal

30 pays. Des milliers de personnes, guidés

tant que l’on prend un ticket de stationne-

par les mêmes principes, ont créé des cen-

ment !

taines d’installations sur des places de par-

Une condamnation n’est jamais très loin, le

king, générant ainsi un événement annuel

but des artivistes, c’est de jouer avec la loi,

international.

de l’interpréter, et de piéger la justice.


73

Une conviction : celle du pouvoir transfor-

Ces pratiques sont transformatrices car elles

mateur, voire révolutionnaire de l’art.

procèdent d’un geste de réappropriation de l’espace social de nos vies. Elles sont pen-

« Plutôt qu’une «pratique de l’art politique», ces artistes développent et mettent en acte une «pratique politique de l’art».» — Formule de Gérard Paris-Cla-

sées comme des expériences, qui par leur

vel, membre du collectif militant «Ne pas

le rapport au pouvoir, au corps, à l’autorité.

caractère incarné, transforment d’abord ceux qui les vivent, mais aussi transforment les routines contestataires ; par conséquent

Plier».

En 2008, Park(ing) Day séduit les habitants de San Francisco, comme on peut le voir sur ces photographies. http://parkingday.org/



CRテ右R DES UTOPIES Rテ右LLES


C R É E R D E S U TO P I E S R É E L L E S

L

’artivisme, ne se contente pas d’être contre. Il s’agit de dénoncer et de

té, une sorte d’hétérotopie heureuse et universalisante». (2)

contester ce qui dans la société

semble inacceptable et de formuler des

Dès l’orgine le jardin est nourricier du corps

propositions positives pouvant aller jusqu’à

et de l’âme, il permet la subsistance, mais

l’exploration concrète d’utopies.

aussi l’épanouissement, la contemplation, recueillement, mis en relation avec un

76

«Il y a d’abord les utopies. Les utopies ce sont les emplacements sans lieu réel. (...) Il y a également (...) des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société et qui sont des sortes de contreemplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels (...) sont à la fois représentés, contestés et inversés. (...) Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai par opposition aux utopies, les hétérotopies.» (1)

aspect religieux. La rêverie dans les jardins de l’Islam, la méditation des philosophes grecs et latins dans les jardins antiques, la fête et le divertissement dans les jardins maniéristes et classiques, c’est un lieu divin, d’abondance et de plaisir, un paradis sur terre. Paradis : latin paradisus, grec paradeisos. de pairi : autour, et daeza : rempart. Le paradis ou le Jardin, est une forteresse. Le jardin serait le paradis terrestre, à l’image du Jardin des délices (triptyque du peintre néerlandais Jérôme Bosch) ou du jardin d’Eden, un lieu de mémoire d’une époque plus simple , où les hommes vivaient de la générosité divine par opposition au labeur

Ce sont des espaces concrets qui hébergent

de l’agriculture.

l’imaginaire, une réalité idéale et sans défaut. Michel Foucault définit le jardin

La référence à l’Eden renoue avec l’origine

comme un exemple d’hétérotopie.

du monde, qui permet à la civilisation industrielle et technicisée de s’inventer un

«Le jardin c’est un endroit où on a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, eux mêmes incompatibles, c’est l’hétérotopie (...) Le jardin, c’est, depuis le fond de l’Antiqui-

nouveau départ, de plonger dans une utopie, où ni la culture, ni la technique, ni les confits, ni les affects n’ont de la place. La réintroduction du sauvage, la virginité de


la nature retrouvée permettent d’ouvrir un espace où le temps est suspendu dans un éternel printemps. Créer des utopies, repenser la ville et la nature en terme d’empathie c’est donner de l’espoir d’une société plus sensible et attentive à un monde en mal de vivre, repenser la société sur des bases plus respectueuses de la communauté humaine. EmpathiCITY, Making our City Together répond au thème général de la Biennale Internationale de Design de Saint Etienne «Empathie ou l’expérience de l’autre», pour révéler le pouvoir transformateur du design en tant qu’outil de connexion sociale. C’est une démarche qui s’inscrit dans la mouvance globale de citoyens-urbains créatifs qui lancent des initiatives spontanées, dans l’espoir de résoudre des problèmes complexes et rendre leur ville plus durable, accueillante et solidaire. Dans ce contexte, la rue, la place publique, les territoires interstitiels sont mis en valeurs par les designers pour nous rappeler que ces espaces sont là pour être réappropriés. Comment combler le vide laissé par la nature après la mainmise industrielle sur le monde ?

(1) (2) Michel Foucault, conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres ». Premier volet du triptyque, l’Eden, du Jardin des délices du peintre Jérôme Bosch entre 1503 et 1504.

77



DESIGN ET ENGAGEMENT


D E S I G N E T E N G AG E M E N T

C 80

omme nous avons vu, les artistes

Plutôt que de parler de fonctionnalité,

activistes ne produisent pas d’ob-

puisque le design textile se veut être tac-

jets matériels, ils réalisent des

tile, sensitif, il vise à développer un univers

actions, des performances, happenings...

poétique, une interaction sensible avec

C’est par cela qu’ils se différencient des de-

l’utilisateur.

signers qui eux créent des produits maté-

Même si par cette pensée la pratique du

riels.

design peut paraître modestement actif en

La complexité de la position du designer

termes de résultat, il prend tout son sens en

engagé c’est de se positionner dans la créa-

termes de conception. Le design devient

tion, où se situer ?

un moyen intéressant pour construire et

Faut-il concevoir un projet en tant qu’acti-

débattre un discours politique, il permet

viste militant, ou bien en tant que designer

de produire une réflexion.

engagé ? Comment le designer intervient - il au jarLa différence entre une personne enga-

din ? Comment le design appréhende-t-il

gée et un militant étant que l’engagement

des questions empathiques, sociales, éco-

peut rester strictement personnel puisqu’il

logiques à travers le jardin ?

véhicule des valeurs propres à chaque indi-

Il ne s’agit pas de traiter le jardin comme

vidu. Alors que le militant fait partie d’une

espace de recherche fonctionnel, en créant

organisation dans laquelle il est actif et a

des cabanes, meubles de jardin, objets dé-

recours à des actions.

coratifs, sceaux, fourches et autres outils...

Le designer n’est pas un animateur, un

Mais aller au delà, réveiller les conscience,

médiateur, un organisateur d’événements,

proposer des outils permettant aux habi-

mais crée des objets avec la volonté d’une

tants urbains de trouver la volonté et l’en-

fonctionnalité. En ce sens, il peut être perçu

gagement d’aller occuper des espaces, de

non comme un acteur de la manifestation,

faire parties d’associations, de s’engager et

mais d’un déclencheur, puisqu’il véhicule

devenir acteurs.

dans sa création son engagement.


« Le design, c’est l’art d’enchanter l’existence quotidienne par les formes » (1)

Comment mobiliser et motiver les habitants à se rebeller et à participer à des actions ? S’engager c’est prendre un risque. J’ai

Le jardin n’est pas qu’un espace clos de pro-

questionné des jardiniers militants, notam-

duction ou de contemplation : il est aussi

ment en leur demandant à quels niveaux

et peut-être surtout un lieu à partir duquel

se sentaient-ils engagés. Il n’y avait pas un

chacun peut prendre position sur le monde.

engagement, mais une multitude d’enga-

C’est à partir du moment où l’individu spec-

gements. Avec leurs motivations propres,

tateur du monde, comme quelqu’un qui

leurs convictions personnelles, certains

de l’intérieur d’une maison regarderait son

sont prêts à franchir la barrière de la légalité,

jardin à l’extérieur, cesse cette position pas-

d’autres ont des réserves.

sive, pour devenir acteur que s’affaiblit petit

Le designer crée des objets pour que le

à petit l’idée que le monde ne serait qu’un

consommateur accomplisse une certaine

précipice.

gestuelle, geste qui aussi minimaliste soit-il,

Il faut créer un design participatif, levier de

participe à un effort collectif.

cohésion sociale et à ne pas se cantonner au geste créatif.

(1)

Stéphane Vial, Court traité du design, PUF, 2010, p. 118.

81


82


Vanessa Harden avec le projet The Sub-

Afin de lutter contre les politiques d’ordre

versive Gardener en 2010, a créé une série

et de discipline dans les espaces verts de

d’accessoires pour les membres pratiquant

nos villes, j’ai pour projet de développer des

la Guerilla Gardening, en plantant illégale-

stratégies de dénonciation, ou des straté-

ment des fleurs, légumes dans des espaces

gies «déclancheuses» d’actions qui permet-

urbains.

tront de rassembler des citoyens militants

En détournant les objets quotidiens, sacs

prêts à intervenir dans l’espace urbain.

à main, malette, et en s’inspirant des tech-

L’objectif sera de faire prendre conscience

niques d’espionage de la guerre froide, le

aux autres citadins des besoins engendrés

guérillero n’a plus l’image du rebelle qui

par la ville, et d’éveiller le désir d’une révolte

peut paraître suspect aux yeux de l’ordre

commune, une révolte jardinière.

public. Sans attirer l’attention, il peut avoir l’image du chef d’entreprise, qui en simulant de refaire son lacet sème des graines sereinement mais illégalement. Quelques jours permettront à la plante rebelle de s’immiscer dans un beau tableau, au milieu d’une pelouse bien tondue d’un espace vert, et au mieux d’envahir et de proliférer jusqu’à s’emparer de l’espace public afin de le déciviliser.

83


MANIFESTE POUR L’OCCUPATION D’ESPACES ET LA RÉINTRODUCTION DU SAUVAGE AU SEIN DES VILLES


Urbains,

RÉVOLTEZ-VOUS

APPROPRIEZ-VOUS

la domination des multinationales, contre le

vages, pour retrouver ce qu’il y a de meilleur,

pouvoir et l’ordre établi, contre l’aliénation

le vivant. Aussi pour profiter pleinement de

de nos vies engendrée par l’économie de

ces lieux d’apaisement, de bien-être, de

marché.

bonheur, de calme, de plénitude.

Vous êtes au courant de ces préoccupa-

Tous les jardiniers n’ont pas la même his-

tions. Seulement, vous ne vous sentez pas

toire, les mêmes besoins, les mêmes désirs.

concerné, vous pensez que votre action

Mais les jardins sont un formidable terreau

n’aura aucune incidence sur le monde, que

pour rendre la ville moins hostile et pour

vos efforts n’auront pas de répercussions...

développer des valeurs d’entraide et de soli-

mais votre quotidien vous rend triste, dans

darité qui ont tendance à se diluer voire à se

votre immeuble gris, vous aimez rêver

perdre dans le minéral urbain.

Contre l’hypocrisie des villes où nous vivons,

les espaces verts, et créez des jardins sau-

d’escapade à la campagne, de vous mettre au vert, de prendre du temps, en somme répondre à votre besoin de liberté. Or, la solution est juste en bas de chez vous.

SORTEZ ET AGISSEZ

Petits soldats,

OCCUPEZ LES ESPACES,

militez et faites vous remarquer, n’ayez pas peur, soyez voyants et communiquez vos

C’est en multipliant les actions isolées et lo-

envies afin d’éveiller les consciences et de

cales que l’on peut créer un désordre global.

faire évoluer les mentalités.

VIVEZ VOS DÉSIRS EN RECRÉANT LA RÉALITÉ.

85


BIBLIOGRAPHIE

Histoire du jardin potager, Florent Quellier, Editions Armand Colin, 2012

Jardins partagés, utopie, écologie conseils pratiques, Frédérique Basset, Laurence Baudelet et Alice Le Roy, Editions terre vivante, 2008

Vers l’autonomie alimentaire : pourquoi, comment et où cultiver ce que l’on mange ? Frédérique Basset, éditions rue de l’échiquier 2012

Jardin & Design, Marie-Haude Caraës et Chloé Heyraud, éditions Cité du Design - Actes Sud, 2011

La Sagesse du jardinier, Gilles Clément, Editions L’oeil neuf, 2004

86

Toujours la vie invente : Reflexions d’un écologiste humaniste, Gilles Clément, Editions L’aube, 2008

Une brève histoire du Jardin, Gilles Clément, Editions JC Béhar, 2011

Artivisme (art, action politique et résistance culturelle), Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, Editions Alternatives, 2010

Guerilla Jardinière, Richard Reynolds, éditions Yves Michel, 2010.

Les Nouveaux Militants, Laurent Jeanneau et Sébastien Lernould, Editions Les petis matins, 2008

Le Jardin, notre double : Sagesse et déraison, Hervé Burnon, Editions Autrement, 1999


WEBOGRAPHIE

Guerilla Gardening

Parking Day

www.guerilla-gardening-france.fr/

www.parkingday.org/

Incroyables Comestibles

Gilles ClĂŠment

www.incredible-edible.info/

www.gillesclement.com/

Vanessa Harden

Kokopelli

www.vanessaharden.com/

www.kokopelli-semences.fr/

FILMOGRAPHIE 87

Le Monde selon Monsanto (sous-titrĂŠ De la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien) Marie-Monique Robin


88


89

REMERCIEMENTS

J

e remercie toutes les personnes qui m’ont apporté leur soutien tout au long de l’année et qui ont ainsi contribué à l’élaboration de ce mémoire : à tous ceux qui m’ont ouvert la porte de leur jardin (et Bastien pour la serre), à tous ceux qui m’ont conseillé et donné confiance, à tous ceux avec qui j’ai pu converser et débattre, à tous ceux qui ont été là pendant les coups durs.


PAULINE HUARD


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