Le pissenlit bleu
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ODE 36.523 36.525 jours = 100 ans -2 jours les 29 février 1896 et 29 février 1900. Livre écrit pour les cent ans de ma grand-mère Lucia Rouquayrol. Avec la participation de René Rebichon et Monsieur Jacques Vaizy, pour le respect de la langue Occitane.
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À Lucia Rouquayrol pour ses cent ans. Ce recueil d'émotions est surtout destiné à nos enfants et petits-enfants. Une trace de ces moments vécus avec, je l'espère, une goutte de parfum d'une époque que nous ne retrouverons jamais plus. Je regrette de n'avoir pas toujours su savourer pleinement ces moments exceptionnels.
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Sommaire
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Mise en bouche. Le petit village, je vais volontairement l'appeler Saint-Rapadou. Par respect et amour de ce lieu, je préfère taire sa situation géographique précise (pour le moment ) . Il est entouré de hautes falaises, dans un écrin de paix. Sur quelques kilomètres carrés, un peu à l'écart du monde, ce fut le théâtre de nos premières aventures. Tous nos rêves d'enfants y ont pris une dimension réelle. Je dédie ces touches impressionnistes à toute ma famille et tout particulièrement à ma grand-mère Lucia Rouquayrol, née Maurel, qui fêtera ses cent ans le 1er décembre 1996. Ce village est le berceau de ma famille du côté maternel. Mon arrière grand-père, Benjamin Maurel, exerçait plusieurs métiers en un : bûcheron, menuisier, forgeron et charron. Un triste jour, sa fonction de bûcheron lui fut fatale. Il 6
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mourut, tué par un arbre qu'il abattait. À cette époque, il fabriquait ses planches lui-même, en sciant ses arbres en long. Il préparait ainsi sa matière première, absente dans les grandes surfaces de bricolage qui n'existaient pas encore. (...) Il entreposait ses planches, sagement empilées sur cales, afin de les faire sécher lente- ment à l'air pour les usiner amoureuse- ment quelque temps plus tard. Il disparut en laissant mon arrière grand-mère Lucie avec ses quatre enfants. Elle tenait un petit café au rezde-chaussée de leur maison, sur la place principale du village. Lucia, sa fille aînée, dut l'aider très jeune. Sitôt réussi son certificat d'études, elle partit travailler avec courage, quelques kilomètres plus loin, dans les caves de Roquefort Société. « Cabanière » dans la cave basse. Chaque fin de semaines, après un travail pénible, sous terre, au fond de ces célèbres caves, elle revenait chez les siens à pied, par tous les temps, 7
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en marchant le long de la voie de chemin de fer. Le train coûtait quelques sous, qu'il ne fallait pas dépenser. Ses deux frères et sa sœur suivirent un chemin différent. Paul succéda à son père à l'atelier attenant au petit café. Étiennette, put poursuivre ses études, devenir institutrice et s'installer à la ville. Léon, lui, avait obtenu le poste très convoité d'économe à l'hôpital Emile Borel de Saint-Affrique.
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État des lieux. La place principale du village, celle de la boîte aux lettres, est encadrée par les maisons de toute ma famille. À l'angle ouest, la maison de mes grands-parents retraités, Lucia et Ernest. Dans le prolongement face à l'est, une maison toute en hauteur habitée par mon arrière grand-mère Lucie Maurel. Au rez de chaussée, le petit café par lequel on entrait toujours. Dans la pièce, cinq ou six tables en bois, blanchies par les différents nettoyages à l'eau de javel occupaient ce petit commerce. Aux murs, des plaques en émail, de Martini, Avèze et Cinzano. Au fond, à droite, un petit placard avec les stocks de paquets de tabac gris et autres marchandises. Au milieu du mur, une ouverture avec un rideau accroché à mi-hauteur donnait sur l'arrière-cuisine, la pièce de service. Faiblement éclairée par un fénestrou (petite fenêtre) on distinguait un évier en 9
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pierre taillée entouré d'instruments de cuisine suspendus. Pas d'eau courante (que du vin). Elle coulait gratuitement, pas très loin, aux robinets du lavoir d'à côté. Pour se laver les mains, un petit robinet d’un réservoir émaillé fixé au mur, distribuait son petit filet d'eau. L'eau souillée s'écoulait dans un réceptacle en dessous faisant corps avec la réserve d'eau propre. Un broc d'eau fraîche de temps en temps remplissait cette fontaine. L'eau à boire se puisait à l'aide d'une louche dans un seau en fer blanc suspendu près de la porte. En sortant du café, sur la gauche, l'atelier de menuiserie de mon grand-oncle Paul. Au sud, la maison secondaire de ma grandtante Étiennette, l'institutrice. À l'est, la forge de Paul également charron. Cette place ressemblait à l'atrium d'une grande villa Romaine. Pour fermer ce quadrilatère familial, sur la berge du ruisseau, lui tournant le dos, le lavoir à 10
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bacs avec des robinets de cuivre verdis. Devant lui, sur la place, un tilleul de 1918. En contrebas, le ruisseau d'eau vivante et claire, jaillit d'une source Vauclusienne, jamais à sec. Le seul élément en mouvement du lieu, qui coule sans connaître vraiment le chemin qui lui reste à parcourir pour rejoindre la mer, en réalité l'Océan. Tout est méditerranéen à Saint-Rapadou, seules ses eaux, un peu rebelles, se débrouillent pour couler vers l'Océan ; un caprice de la topographie. Peut-être m'ont-elles montré le chemin de mon avenir, vivre une grande partie de ma vie, plein Ouest. Autour de nous. Il est midi. Le clocher de la petite église tremble sous les douze coups. Plus loin, les travailleurs s'arrêtent et se précipitent à l'ombre de la haie voisine pour jouir d'un moment sacré : le repas aux champs. Se désaltérer, avec un jet continu de vin frais à la régalade ! Découvrir les victuailles délicatement 11
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protégées sous des linges épais. Sortir le couteau, l'estomac déjà mis en train par la piquette. Là, le canif règne en maître : Louisou, arbore un Laguiole en corne claire, Ulysse vante les mérites et la robustesse de son Opinel N°8. Adrien, lui, est un fanatique du Pradel, en laiton décoré d'une scène de chasse, presque en or. Pour Adrien son couteau plus plat, n'use pas les poches, il est assortit à son briquet à essence, le goût suprême. Sous un frêne des Aires, les hommes saucissonnent, cambadjousent (mangent du jambon, dit : le cambadjou) e t terminent leur repas avec des rires causés par des histoires locales et des galéjades. Avant d'êtres entamées, les miches de pain sont croisées du bout du couteau sur la croûte un peu brûlée du dessous. Un geste ancestral. La farine blanche et les petits morceaux de charbon de bois remplaçaient tous les labels de qualité. C'était un pain amoureusement cuit au bois. Le boulanger habitait le village d'à 12
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côté. Toutes les semaines, « il cornait » en arrivant sur la place, avec sa C4 Citroën noire. Cet appel sonore, rauque ondulait à cause d'une batterie un peu trop sollicitée par ces exercices journaliers. Les pains, disposés sur des sacs de farine étendus en couverture sur les sièges arrière de la voiture, attendaient les mères de famille et les grand-mères. Elles s'approchaient aussitôt à petits pas, convergeant des rues alentours et du Caladou, ruelle typique, en pente, pavée de calades (cailloux) scellées sur chant, antidérapantes. Monsieur Frontaneau, notre boulanger ambulant proposait aussi des petits pains bien cuits pour le goûter des enfants. Ils entraient en scène après la sieste. Avec une ou deux barres de bon chocolat « Cantalou Catala ou Aiguebelle », quel plaisir d'entendre ce : « Assis-toi pour goûter et mange ton chocolat avec ton pain ! » Cet ordre rituel, bienveillant, nous l'exécutions tout de suite nous 13
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asseyant sagement sur le rebord d'une marche toute chaude du perron. Toute la communauté participait aux grands travaux des champs. Même le chef de gare et le cantonnier donnaient la main pour les battages ou la fenaison. Il fallait rentrer les foins le plus vite possible avant les premiers orages. Ce n'était pas encore l'époque du chacun pour soi.
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Histoire d'image. Mes grands parents étaient retraités de la S.N.C.F. Une anecdote croustillante sur la perception d'une image de marque, d'un des premiers sigles de la société par mon grand-père chef de gare à la retraite. Pour lui, il n'avait jamais quitté la Compagnie des Chemins de Fer du Midi, où il était entré après la guerre de 14-18. En 1936, lors de la nationalisation, il n'a jamais dû faire attention au « S » discret d e Société : S.N.C.F. Société Nationale des Chemins de Fer Français. Il disait toujours : « Je travaillais à la Compagnie, en rajoutant : À la C.N.C.F. ! » Le monogramme créé alors lui donnait un peu raison. Le « C » du sigle S.N.C.F. était surdimensionné, il entourait les autres lettres, bien plus petites, entrelacées, illisibles : « S.N.F. » Il le voyait partout : Sur sa casquette à trois étoiles, sur le matériel, les papiers 15
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administratifs, les billets, les serviettes de toilette, les cendriers, les rideaux des wagons, et surtout devant le nez des locomotives. Note : En poussant le raisonnement à l'extrême, pourquoi le créateur de ce sigle n'a pas utilisé toutes les lettres ? Cela aurait donné : S . N . D. C . D . F . F . * R é g l o ! *Société Nationale Des Chemins De Fer Français.
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La vigne. Le matin, la cloche de l'horloge de la petite église sonnait et donnait par son timbre la météo de la journée. Un son clair indiquait une température fraîche, frisquette , confirmée aussitôt, en ouvrant les volets, par la transparence de l'air et la couleur dorée du ciel des vacances de Pâques. En bas dans l'arrière cuisine, mon grandpère écoutait la radio ; toutes les stations étaient sollicitées. L'œil magique, vert, visualisait la recherche de la bonne longueur d'onde variant d'intensité lumineuse, accompagnée par des sons modulés et stridents. Ce matin, il allait monter à la vigne. Sa vigne, un refuge au pied des falaises face à l'ouest. En réalité, c'était un jardin et un verger. Quelques vieux ceps rescapés lui avaient permis de conserver cette appellation. Il faut dire que dans la région, une petite maison isolée dans la montagne avait plusieurs 17
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appellations : soit « une campagne », soit « une vigne ». Pour y accéder, il fallait emprunter un chemin empierré presque vertical. Certaines de ces pierres étaient déchaussées par le ruissellement des pluies, elles roulaient sous les pieds, accentuant la raideur de la pente. Ce chemin bordé d'une haie de buis, prodiguait une ombre épaisse, sombre et agréable en été. Sa fraîcheur récompensait les hardis promeneurs. Pour monter au plateau du Larzac, il chauffait les mollets dans la première partie de l'ascension, après, il zigzaguait, en lacets jusqu'au sommet. Dans sa vigne, Ernest avait dompté le petit ruisseau. Des petites rigoles ingénieuses arrosaient l'ensemble de ses plantations. Pour boire cette eau fraîche il fallait découvrir le petit verre « Duralex » sur une branche tronquée, camouflé dans le feuillage. La dégustation de cette eau pure, en liberté, prenait l'allure d'un acte religieux, en communion totale avec la 18
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Nature. Avec lenteur, politesse et délectation, mon grand-père portait le verre à ses lèvres après avoir dégagé du bout de ses doigts sa cigarette roulée. Elle occupait le lieu pratiquement toute la journée, juste au-dessous d'une petite moustache blanche, trapézoïdale. Elle était bien souvent brûlée au sixième coup de molette de son briquet à essence, crachant de hautes flammes surmontées d'un filet ondulant de fumée noire. Après le « Ah ! » de satisfaction, avec un geste sûr, le petit verre était rincé et replacé sur son porte-verre, dans le bar de verdure. Pour nous, les enfants, cette vigne représentait le dépaysement, l'éloignement de l'agitation humaine. Un parc naturellement naturel. Ce lieu était un petit royaume sans garde ni armée, mais bien protégé. Un simple anneau de fer rouillé bloquait le portillon bancal entre deux buis taillés en boule balisant l'entrée. Je pense que mon grand-père 19
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devait recevoir Monsieur Le Nôtre en douce, dans le cabanon, pour tracer ensemble les plans de ce petit Versailles. Cette campagne incrustée dans le paysage servait d'abri pour ranger les outils et conserver certaines productions du jardin. Construit avec de beaux murs en pierres sèches bien appareillées, il était coiffé par un toit de tuiles romanes. La petite maison servait aussi très certainement de refuge pour saucissonner et éventuellement siester à grands renforts de ronflements paisibles. Je ne suis pas entré souvent dans ce petit Trianon.
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Les bésègues. Monter au Plateau, représentait pour moi un chemin de Sherpas, ou de caravanes de l'Himalaya. Chemin du matin, avant que le soleil n'ait eu le temps de réveiller les vipères, sous les cailloux des éboulis, dans de joyeuses équipées familiales, au parfum d'aventure. Monter à la file indienne, en musardant, en se retournant de temps à autre pour admirer le paysage d'en bas. Se sentir grand, embrasser le village tout entier d'un seul coup d'œil. Constater que les maisons devenaient de plus en plus petites. Découvrir un horizon plus lointain. Parfois, l'ascension avait pour but la cueillette, des champignons, ou des bésègues. (Espèce de pissenlit à fleur bleue) – laitue sauvage. Ces bésègues affectionnent les terrains arides, aiment pousser sur des éboulis au pied des rochers, et sur les talus bien exposés, et 21
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pour le charme, difficiles d'accès. Cette salade de bésègues faisaient l'objet de la convoitise de tous les villageois, sorte d'edelweiss du pauvre, et « les coins » ne s'enseignaient que sur les lits de mort, à voix basse. Pour tromper les « amis », nous avions, mon cousin et moi, adopté la stratégie élaborée par son père, l'oncle Louis. Cette vieille astuce consistait à donner l'illusion d'une cueillette abondante. Dans la traditionnelle musette râpée et délavée de l'U.S. Army, nous installions un épais matelas constitué d'herbe coupée, bien v e r t e , q u i d o n n a i t u n « bombu » généreux à la « saquette ». Au retour, déambulant fièrement par les ruelles, bien à la vue de tous, les plus belles bésègues bien sélectionnées d'un beau vert bleuté, paradaient sur le dessus de nos musettes restées ouvertes à cause du chargement.
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Cette arrivée, immédiatement repérée par les habitants, ils sortaient comme par hasard sur leurs balcons. Ils nous lançaient, curieux et admiratifs, un peu jaloux : « Hé ! bé ! les petits ! Où avezvous trouvé ces belles bésègues ? » Et là, selon la consigne de mon oncle, je montrais le haut de la montagne à l'opposé. en répondant avec assurance : « Amoun ! » (Là-haut !) La localisation était suffisante. Cela signifiait que nous avions bien mérité cette « abondante » récolte et que, pour obtenir le même résultat, il fallait se lever matin et gravir la pente à son tour. Nous employions le même rituel pour toutes les autres cueillettes : champignons, asperges sauvages et aussi, les « répountchous ». Chaque famille jalouse des coins qu'elles savaient, essayaient tant bien que mal de les tenir secrets. Pour cela, nous nous amusions souvent à nous cacher à plat ventre, en entendant les pas d'autres chercheurs, non loin de 23
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nous, dans les broussailles ou les grandes herbes sèches. Ce camouflage était nécessaire pour ne pas se montrer en train de « charger ». Cela nous servait aussi à découvrir où les autres allaient, « soi-disant » p o u r remplir leurs musettes. En rentrant triomphants à la maison nous savions que l'accueil serait des plus chaleureux. Immédiatement ma grandmère inspectait la musette. Laissant le ménage en suspens, elle s'emparait de la cuvette de l'évier pour trier d'une main experte cette salade bien tendre qu'elle laissait tremper ensuite un court moment dans l'eau claire. Notre aventure matinale se terminait bien et nous allions régaler de fins connaisseurs. À peine notre cueillette assaisonnée dans le saladier du dimanche, nous entendions notre grand-père arriver. Réajustant son « capelou » avant de tirer la moustiquaire à ressort, il entrait en travailleur fourbu et méritant, et déclarait : 24
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« Caoufo a queste mati ! » (ça chauffe ce matin !) Après d'affectueuses félicitations et une brève cérémonie de remise de médailles aux meilleurs béségueurs du monde, chacun prenait place autour de la table ronde de la cuisine d'été. Le repas commençait par « notre salade » mâchée lentement avec des soupirs de satisfaction et des regards complices. Après de nombreux plats (même en semaine), la fin du repas était signalée par des gestes rituels de mon grand-père. Il essuyait soigneusement la lame de son Pradel, sur le manche duquel on pouvait lire cette inscription gravée sur le laiton : « Offert par le journal La Terre ». Il était abonné à ce journal, à la vie du Rail et aussi du Canard enchaîné. Il essuyait donc son couteau-à-tout-faire sur un dernier quignon de pain portant le dernier bout de fromage. Après un dernier verre de vin, il le refermait soigneusement avec un petit « clac » et le glissait dans sa 25
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poche en se levant de table, faisant grincer sa chaise de bois empaillée sur le carrelage. Pour la sieste obligatoire, nous montions à l'étage dans les chambres fraîches, elles sentaient bon la cire. Nous nous allongions dans une demipénombre. Dehors nous entendions le ruisseau, seul élément encore énergique. Son glouglou s'ajoutait à la douce atmosphère de fraîcheur, et nous détendait comme une berceuse, il accompagnait notre entrée dans les premiers nuages du sommeil. Un autre petit bruit, une mouche essayait d'entrer entre les volets mi-clos, à chaque fois stoppée net par la basse température de la pièce. Dans un zig-zag nerveux, elle battait en retraite et allait chercher fortune plus loin dans d'autres maisons, en tâchant d'éviter les pièges tendus pour elle à cette époque : les bandes enduites de glu, suspendues déroulées ça et là, aux poutres apparentes. 26
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Notre réveil était souvent provoqué par un bruit de vaisselle dans la cuisine juste en-dessous de la chambre, ou bien par un tracteur bravant la canicule, sur le petit pont, en face de la maison. Le clocher sonnait seize heures et l'activité atteignait son maximum. La reprise ! La scie circulaire de la menuiserie de mon grand-oncle Paul déchirait le silence en miaulant. Debout ! Il fallait se lever de la sieste. En bas, dans la cuisine, le goûter était tout prêt, sur la table. Une large tranche de miche de pain, avec sa barre de chocolat parfois remplacée par de la pâte de fruits, ou de la pâte de coing maison. De temps en temps, pour varier, nous demandions à voir s'il ne restait pas un peu de pâté « Géo » dans sa petite boîte plate et ovale. Au pays du bien manger, avec dans toutes les maisons des étagères chargées de bons produits fermiers et 27
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d'une charcuterie de première classe, la petite boîte ovale, pionnière de l'industrie agroalimentaire, avait à nos yeux quelque chose de très original. Un goût spécial, nouveau, pas désagréable, une texture crémeuse, facile à tartiner. Ce pâté de foie, avec ou sans porc, colmatait bien les trous de la tartine. Un goûter compact ! Ce produit d'importation provenait d'une rue voisine. Il suffisait de se rendre dans l'une des deux épiceries. L'une d'elles, ancestrale, abritait aussi la cabine téléphonique. Les bonnes et les mauvaises nouvelles étaient toutes partagées et certainement commentées à souhait. Quel bonheur de choisir les chewing-gums dans le bocal incliné sur le petit comptoir ! Gagnants ? Perdants ? nous le découvrions après avoir ouvert fébrilement le papier devant l'épicière qui compatissait souvent devant la mine déconfite des perdants. J'ai assisté là, à la naissance et à l'invasion massive des 28
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Malabars. Ils ont assassiné ce concept fidélisant de mini loterie. Pour quelques pièces jaunes de plus, nous choisissions des rouleaux de réglisse avec leurs boules rouges au centre, immédiatement croquées et englouties. Après c'était le moment de dérouler entièrement le ruban noir strié, et de l'avaler la tête en arrière comme un long serpent délicieux. Les propriétaires de cette très petite surface de distribution, s'appelaient Monsieur et Madame Crébassa. Des gens discrets et de service. Lui le père, chantait, soprano, soliste très respecté à l'église. Sa voix rauque et couverte par son manque de souffle, reprenait plusieurs fois les notes. Un Enrico Caruso local, avec une incontournable notoriété. Madame, commerçait, toujours là, prête à vous servir, un litre d'huile ou de vin au tonneau, « cent grammes de gruyère râpé, une demi-livre de beurre, une boîte de chicorée Leroux, une boîte 29
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de crème de marron »... La fraîche pénombre de l'épicerie exhalait l'arôme des produits exposés dans leur emballage brut, ou dans leurs sacs ouverts, attendant la pesée au détail. Le « couic » du robinet du tonneau de vin, le « gling-glang » des clochettes de la porte accompagné des politesses d'usage à l'entrée avec le : « Maman ! ya quelqu'un ! » et à la sortie, le traditionnel : « Hé bé, à demain ! » Tout cela s'est inscrit au hit-parade de mes souvenirs. Un petit monde de « business » de proximité, de chaleur humaine. La quotidienneté de cette communication donnait une richesse de vie que nous recherchons tous aujourd'hui. Plus tard, la fille de la maison allait prendre la suite de « l'affaire ».
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Mermoz. La fille unique des épiciers, s'était mariée avec un Empereur de la S.N.C.F. Un commandant de bord d'un diesel de manœuvre. Avec deux ou trois wagons, les jours de grand trafic, le petit train se dandinait sur son « embranchement particulier. » C'était le terme technique de cette voie unique ferrée. Cependant elle était forcément reliée au réseau ferroviaire mondial, sans que personne ne s'en soit douté, ou méfié. Elle empruntait la grande ligne des express Paris-Béziers, pendant quelques kilomètres. Cette voie inachevée naissait à la gare de Tournemire-Roquefort et se terminait tristement à Saint-Affrique. Voie impasse elle aurait été superbe, elle devait relier Albi (81) au Vigan (30). Une transversale entre l'est et l'ouest de la France du sud. Toute l'infrastructure et 31
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les ouvrages d'art avaient été construits : tunnels, ponts, viaducs, murs de soutènements gigantesques, jusqu'aux maisonnettes des gardes-barrières. Sur ce projet magnifique, les seuls rails installés ne reliaient que les deux gares : Tournemire-Roquefort et Saint- Affrique. Une honte ! Le petit train tirant deux ou trois wagons entrait en gare de Tournemire deux fois par jour, vaillamment et en fanfare, avec son avertisseur à deux tons. Comme sur les rapides, il y avait deux personnes à bord. Le mari de l'épicière, le pilote en chef et son aide surnommé Mermoz, un homme dévoué, avec, posée en bataille. son éternelle casquette en bleu de chauffe décolorée par le soleil. Pendant leurs missions d’acheminement de marchandises, leur petit train sans horaires devait céder la priorité aux 32
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passages à niveaux en s'arrêtant. Le mécanicien descendait de la machine pour pousser en travers de la route, la lourde barrière roulante avec ses croisillons rouges et blancs. L'opération effectuée, il remontait aux commandes, avançait en « cornant » deux ou trois coups, et dès le dernier wagon passé, il s'arrêtait à nouveau, redescendait pour ouvrir la barrière et rendait la route à la circulation. Si pendant ces manœuvres d'écluse ferroviaire, un ami automobiliste engageait un peu trop la conversation, le convoi devenait très vite un train de nuit ! À la saison des champignons, c'était un train cueilleur. Ah ! comme la vie sur ces rails-là devait être bien vécue ! J'ai entendu dire (jamais vérifié) qu'un jour d'hiver, alors qu'il gelait à pierre fendre, Mermoz avait enfourché son cheval de fer avec quelques difficultés. Cet état était causé par un élan de 33
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générosité liquide prodigué par des collègues chaleureux. En trouvant les commandes, par habitude, il mit en route le gros moteur diesel. Le chef de gare de Saint-Affrique lui donna l'ordre de départ réglementaire, d'un coup de sifflet, en lui lançant comme toujours, avec une touchante bienveillance un : « Adieu va ! » Le train, ce matin-là n'avait que deux wagons vides. Un d'engrais et un frigorifique blanc « S.T.E.F » La vérification approximative effectuée par l'équipage, le train s'ébranla et se lança dans un vrombissement mazouté. Il était accompagné d'un panache noir de mauvais augure. À l'arrivée, sur l'aiguillage de la grande ligne, le virage un peu serré provoqua l'ouverture d'une des portes battantes du « S.T.E.F. » sectionna net le poteau de la caténaire rendu cassant par le gel. La caténaire s'effondra dans une gerbe d'étincelles. À la vue de cette spectaculaire séquence 34
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catastrophe matérielle, Mermoz perdit tous ses moyens et oublia de freiner. Le petit train était déjà engagé sur la voie de garage de la gare. Dieu merci ! Il ne s'arrêta que sur le gravier, bien au delà du butoir qu'il avait fait mine de ne pas voir. Cet incidentt resta un vieux souvenir local de la famille S.N.C.F. certainement bien arrosé ensuite. Personne ne le divulgua. Vive la solidarité ! Mermoz, la cigarette humide au coin des lèvres, son sourire permanent, sa casquette en folie, aura sa place au paradis des Cheminots, aux côtés de ses illustres petits camarades du Rail : les mécaniciens des prestigieux OrientExpress et Transsibérien.
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Un dimanche d'été à Saint-Rapadou. Cette journée du dimanche était toute particulière. Le matin, la petite place déserte s'éveillait. Vers neuf heures, après le petit déjeuner, habillés en dimanche, notre grand mère nous priait d'aller à la messe. Auparavant, nous avions l'ordre de passer au petit café, rendre visite à notre arrière-grand-mère. Cela avait un double but : en premier, nous lui montrions l'intérêt que nous portions aux affaires du Bon Dieu. En second, nous assurions un transfert de fonds, responsables d'une pièce de quelques centimes destinée à la quête. Elle nous confiait la somme en nous recommandant pieusement de bien la déposer dans la corbeille. Le Seigneur devait immédiatement l'absoudre par ses arrière-petits-enfants interposés. Elle pensait que, missionnés de la sorte, nous devions filer un bon coton, un droit chemin béni en quelque sorte. 36
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Chaussettes blanches et chaussures cirées, nous marchions dans le « caladou » la petite ruelle qui monte à l'église. Toutes les bonnes âmes de la commune se ruaient vers cette petite église. Les femmes mantillées, toutes fraîches pomponnées avec de la Cologne, serraient leurs sacs à main luisant des grandes occasions contre leurs belles robes sentant fort la naphtaline. Les hommes, les plus « à voir » étaient déjà postés devant le Puech, petit parvis de pelouse ombragé, entouré de buis taillés, avec, au milieu, le monument aux morts et le buste de l'homme célèbre du village, le Chanoine Coste. D'un regard discret, périphérique, ces hommes vérifiaient que tout le monde se rendait bien compte de leur présence, constatait leur honnêteté par le simple fait d'être là, dans ce haut lieu de dévotion. 37
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Le petit curé encore suspendu à sa corde, faisait tinter ses cloches à toute volée. Frêle, menu et très léger, on aurait dit un Tarzan en dentelles. Le bénitier à l'entrée, en tempête, bénissait les mains qui plongeaient les unes après les autres. Une sainte odeur d'encens planait. Quelques bancs craquaient, maltraités par certains poids lourds du village. Face à l'autel, les hommes à droite, les femmes à gauche, l'office se déroulait sereinement. Pendant le sermon, du haut de sa chaire, le petit curé lançait quelques reproches à mots couverts touchant certainement les destinataires ; secret de la confession oblige ! Ses yeux de myope, grossis par les verres épais de ses lunettes, lorgnaient ef f i c ac e m e nt en pl o n ge a n t a v ec insistance à la recherche de l'une ou l'autre de ses « ouailles » prises en défaut de sainteté. La grosse monture de ses lunettes lui donnait un air de hibou sans cesse aux aguets. Avec son accent 38
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doucement rocailleux, il nous a tout dit sur l'amour du prochain. Je ne suis pas pratiquant, mais cet homme représentait la sainteté à mes yeux. Il paraissait seul. Les femmes, accompagnées par un harmonium à un seul ton, chantaient de leurs voix fluettes jusqu'au moment où, Monsieur Crébassa, l'épicier terrassait tout le monde de sa voix rauque et puissante. Ce n'est pas là que j'ai découvert le Bel Canto, mais avec le recul du temps, je donnerais une fortune pour l'écouter encore. Le moment de la quête arrivait, nous avons toujours donné l'intégralité des sommes que nous avions en dépôt et consignation au fond de nos poches. Après la messe, toutes les femmes disparaissaient, se précipitant vers leurs fourneaux, pour surveiller le fricot et terminer de préparer les petits plats du repas dominical. Aux coins des rues, les hommes organisaient leur programme de 39
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l'après-midi. Nous-autres, nous allions faire un tour à l'épicerie pour acheter quelques friandises. Des chewing-gums gagnants ou des caramels à un franc (un centime). Ah ! les grosses bulles éclatées sur le bout du nez ! Sans se poser de questions, nous aimions ce goût chimique, pas encore condamné par les associations de consommateurs. Sur la place, l'activité du petit café était à son comble. Devant la porte, la TractionAvant 11 CV. vert d'eau de mon grandoncle Léon, paradait. Cet enfant du village avait réussi à la ville. Il était concurrencé par l'exposition de la 15 CV. 6 cylindres noire, d'un de ses copains. Celui-ci venait passer le dimanche avec lui pour jouer aux boules. Discret, mon autre grand-oncle Paul, le menuisier, charron forgeron et bouliste, n'avait pas besoin de voiture à cette 40
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époque. Il habitait au fond du village, sur la route de la gare, et se déplaçait à pied. En fait, le fond du village c'est l'entrée. Il n'y a qu'une seule petite route carrossable permettant d'accéder à Saint-Rapadou. Depuis la départementale, au carrefour, on prend la route en suivant le panneau indicateur émaillé de Saint-Rapadou : 1,2 Km. On passe sous le tunnel du chemin de fer. Une sorte d'immense porte d'un château fort médiéval. Ensuite la petite route serpente, traverse le village sur le flan ouest, longe le lavoir sur la place et se termine près de l'église, à côté du cimetière. Terminus, tout le monde descend et descendra encore. Au delà, c'est la source du ruisseau et tout de suite après les falaises des Fadarelles. L'entrée du village avait été nommé le fond, certainement parce que la source représentait le commencement de ce monde.
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Le repas de midi se passait chacun chez soi, et après la sieste générale, la placette s'animait. Les boulistes balisaient leur terrain le long du lavoir. Ses bacs remplis à ras bord d'eau fraîche, même glaciale. Les bouteilles de bière de Millau et de limonade de la même brasserie locale y étaient immergées en prévision des « sécades » (soifs) de l'après-midi. Le casier de boules cloutées se situait sous un petit appentis près de l'atelier de mon grand-oncle Paul. Les joueurs sans matériel venaient choisir leurs boules, sans payer de location. Certaines étaient décorées de clous en cuivre doré et cuivre rouge, assemblés comme des écailles, des tuiles plates, formant des motifs géométriques ressemblant à la toiture polychrome des Hospices de Beaune. Au bout du terrain, une traverse de chemin de fer barrait la route en aval. Elle servait de butoir pour arrêter les tirs, cela évitait d'aller chercher les boules au fond du village. La partie se déroulait sur 42
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le goudron très roulant de la rue, seuls quelques gravillons sur les bords, ralentissaient les pointages les plus musclés. La partie s'organisait facilement car les équipes existaient depuis la nuit des temps. On pensait même que les revanches seraient éternelles ! Ce n'était ni de la pétanque, ni de la Lyonnaise mais de la Pétanco-Lyonnaise. Les règles strictes et spécifiques, avaient été édictées en rapport avec le terrain. Les meneurs, faisaient les difficiles et le ton montait de temps en temps. Les conflits, heureusement, se terminaient la plupart du temps par de grands éclats de voix accompagnés de rires. Les mises en boîtes duraient parfois plusieurs semaines, les facéties des mauvais perdants et les bouderies de certains faisaient partie de l'ambiance. Là, je pense à ce cher « Sillou ». Entre chaque partie, les joueurs se servaient à boire. Posées sur le rebord en ciment des bacs du lavoir, les bouteilles 43
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de bière laissaient échapper leur mousse à facettes. Les enfants, arrivaient à se faire servir un panaché ou de la limonade, mais seulement pendant les périodes calmes du jeu. Sinon, notre arrière-grand-mère nous offrait à boire une grenadine ou une menthe à l'eau en disant : « Ne buvez pas trop vite, c'est glacé ! » J'aimais bien boire chez elle, au petit café. Le menton et le verre posés sur la table blanchie par les avalanches d'eau de javel et les nettoyages successifs à la brosse en chiendent. Cela donnait un contact très doux au bois qui découvrait ses veines fatiguées. Ces parties de boules du dimanche à l'ombre du tilleul, le long du lavoir étaient solennelles. Pour nous, pas question de faire les pitres au milieu du jeu. Le terrain était déclaré zone occupée ! Traversé exceptionnellement par la voiture d'un intrus qui devait attendre plus de dix minutes avant que la lourde 44
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traverse barrant la route ne soit pivotée comme la herse d'un barrage de police. Une autre fois le curé passait comme une bombe, perché sur son vieux vélo noir, grinçant à chaque coup de pédale. Évitant les boules, il décrivait des virages amples comme dans un slalom géant sur bitume gravillonné. Il demandait pardon pour ce petit trouble avec une petite voix pleine de prières. En réponse, en roulant les « r » en chœur, les joueurs le saluaient avec respect, sans lever la tête, en chantonnant : « Bonjoul Monsieur le culé ! » On se demandait s'il ne venait pas vérifier si l'un ou l'autre était là, et n'aurait pas, par hasard, « oublié » la messe du matin. Un membre du K.G.B. ou de la C.I.A. en soutane, bigrement bien sympathique.
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Un soir d'été, un « Parisien » avait proposé aux villageois de leur projeter un film en plein air. Un grand drap blanc avait été accroché sur le mur en face de chez nous et du petit café. L'installation avait duré tout l'après-midi. Le soir, chacun des habitants amena sa chaise, convergeant de tous les coins du village. Ambiance « fellinesque » : « Haaa ! » Le film commença. C'était une projection sonore, en noir et blanc, un documentaire sur l'Aéropostale, à la gloire de SaintExupéry. Cela n'avait rien à voir avec notre Mermoz à nous ! Quand j'y pense aujourd'hui, avec le recul, j'établis le lien dû au hasard entre Saint-Ex, Mermoz, et le survol de Saint-Rapadou. Souvent, sur la ligne régulière BordeauxMontpellier, à bord d'un A.T.R. ou d'un Brasilia, de la compagnie régionale Air littoral, je suis à chaque fois ému de voir « mon village » par le hublot de l'avion. D'en haut, encore plus haut que la chèvre de monsieur Seguin. 46
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Promenades et liberté. Dans l'après-midi, mes oncles et tantes décidaient souvent d'aller se promener sur le chemin, montant vers la source du ruisseau, un lieu nommé « La Bel ». Un chemin fantastique de nature, bordé de noisetiers d'un feuillage en velours vert tendre et de buis odorants d'un vert foncé, leurs petites feuilles vernissées, reflétaient des points de ciel bleu par la brillance de leurs feuilles. Des prêles balisaient le cours du ruisseau en contrebas. Les truites, en week- end, ne s'affolaient pas outre mesure de notre présence. Tant qu'elles nous voyaient au sec, en haut. Elles savaient que nous ne les péchions qu'à la main. Nous en profitions pour les découvrir, et les admirer, aussi, avouons-le, les repérer pour qu'une autre fois, nous puissions leur rendre visite. Les « caresser sous le ventre ». Les cascades nous donnaient la sensation de jouer dans un grand film 47
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d'aventures. Une aventure à notre échelle, en modèle réduit. Ces balades se déroulaient doucement, comme à pas feutrés. Parvenus au pied des éboulis, proches des falaises nous nous asseyions dans l'herbe près d'un gué. Les uns siestaient, ou parlaient de leur vie, de notre avenir. Et, l'horreur ! De nos « performances » scolaires... Les soirs d'été, après souper, il y avait une promenade que nous faisions souvent en famille, la promenade jusqu'à la vierge. La route longeait le cours du ruisseau en direction de la sortie du village. Les enfants, tenus par une main sécurisante, nous aimions bien marcher sur le parapet en ciment arrondi. Le glouglou du ruisseau en contrebas accompagnait nos pas lents, nous respirions à pleins poumons cet air frais et bienfaisant. La promenade à pied, rend les gens civilisés. 48
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Tous les promeneurs se saluaient en se croisant dans la pénombre, échangeaient de banales politesses, communiquant et vivant une certaine citoyenneté. Au fond du village (c'est à dire à l'entrée), toute une tribu de Biterrois était là, assise sur le parapet. C'était l'époque florissante de Béziers, de son A.S.B. Son rugby invincible, et de ses férias démentielles. À Saint-Rapadou, il y avait toute une colonie d'agents de la S.N.C.F. presque tous étaient de Béziers ou de Montpellier, ils venaient là en vacances, passaient leurs retraites ou y finissaient leurs jours. Pour eux, c'était la « Montagne », l'air pur, le calme, la bonne chère. Sur la route, les lampes de l'éclairage public diffusaient une faible lumière sous leurs abat-jour émaillés, en forme de chapeaux chinois. Elles balisaient la petite route de loin en loin, laissant entre elles une petite place à la nuit. Après quelques centaines de mètres, nous parvenions à la vierge. Posée là, à main 49
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droite, dans la pénombre, sans couleur. Dans la journée, elle se drapait de blanc et de bleu, à ses pieds toujours un bouquet de fleurs des champs, disposé délicatement par les nombreuses bigotes du village. Au-delà de ce sanctuaire entouré de barreaux surmontés de pointes de flèches, (un peu agressif pour un monument religieux...) il n'y avait plus d'éclairage public. Les grillons en profitaient pour chanter de plus belle. Les vers luisants dans les herbes devenaient plus voyants. Les étoiles aussi gagnaient au change. Il m'arrivait de marcher le nez en l'air, faire plusieurs dizaines de mètres en les regardant. Nous aimions les nommer, trouver l'étoile du Nord, les chariots, repérer Mars et ses couleurs changeantes, l'étoile du berger plus lumineuse, faire des vœux en secret à chaque étoile filante.
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De temps en temps, les foins fraîchement coupés embaumaient l'atmosphère. Doucement, nous traversions des zones d'air plus chaud. Un champ de blé, cuit au soleil de la journée, diffusait ses calories dans un souffle odorant. De temps en temps, une zone de fraîcheur était causée par une haie de buis bien noirs. Lorsque l'un de nous sautait dans un fossé pour faire peur à la troupe, la menthe piétinée exhalait aussitôt son parfum. Toute la famille percevait ces petites choses bénéfiques, offertes par cette nature simple et vraie. Rarement à cette époque, une auto sortait du tunnel de la gare, au loin, là- bas. Rassemblement général ! L'un de nous allumait la « pile Wonder » pour signaler notre présence. Nous at tendions sagement en file indienne, sur le bas-côté gauche de la route. La voiture passée, on essayait d'identifier le perturbateur. Après des commentaires, nous reprenions possession de la totalité de la chaussée 51
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dans le calme du noir complet. Encore quelques centaines de mètres pour arriver jusqu'au seul point lumineux de l'horizon qui nous attirait, la gare du village. Dès que le lieu était atteint, il fallait s'en retourner. Car au-delà, passé le tunnel, c'était l'autre monde, celui des villes, des affaires. Celui où je me suis crû obligé d'entrer... Dans la même direction…le jour... Nous faisions une grande expédition d'une journée à pied, une fois par an au minimum. La balade au monastère de « Nonenque » situé dans une vallée encaissée retirée du monde, à l'ouest du village. Départ de bon matin, avant la chaleur. En file indienne, on arrivait au bout du monde, après le tunnel nous arrivions sur l'intersection nommée les plaques. (à cause de la forêt de panneaux indicateurs plantés là.) Cap à gauche, en suivant la route pendant quelques centaines de mètres nous descendions sur 52
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la droite dans un chemin de terre non balisé. Ce chemin conduisait à un four à chaux désaffecté. Ce lieu fantomatique nous faisait peur, une vieille usine en friche agonisait, et à côté d'elle, couché sur le sol, un vieux poteau électrique de style Eiffel en métal rouillé. Tout ce lieu n'hébergeait que des gravats de briques et de chaux mélangés. Un décor de faillite, d'abandon. Comme si l'industrie n'avait pas sa place dans le secteur. C'est vrai, que seul Roquefort est présent depuis des siècles, son activité est presque totalement sous terre, ne polluant pas le paysage par d'horribles bâtiments. Là, ça va ! Pour nous, cette maison détruite, ça faisait un peu « guerre ». La zone autour était déserte, envahie seulement d'herbes folles. Plus loin, le chemin retrouvait un charme naturel, il s'enfouissait doucement dans une gorge de verdure en longeant notre ruisseau. 53
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De belles truites, les cousines germaines de celles de Saint-Rapadou nous regardaient passer. Elles savaient elles aussi que nous n'avions pas le temps de nous arrêter pour les « caresser ». Une grande tige de folle avoine dans la bouche, nous cheminions en admirant l'environnement intact. Des zones d'herbe douce, qui n'avaient jamais été foulées par un humain depuis longtemps, on le savait, seuls quelques sangliers en déroute ou autre gibier avaient peut-être un jour dérangé leur pousse, et encore ce n'était pas sûr. L'agréable halte de midi dévoilait les œufs durs, saucisses, melsat et autres victuailles passées immédiatement par les armes. Les Opinels et Laguioles donnaient du service en étalant le fricandeau sur les grandes tranches de miche de pain de monsieur Frontaneau. Après le pique-nique, les papiers étaient soigneusement pliés, les bouchons enfoncés sur les bouteilles d'eau et de 54
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vin, et tout était rangé dans les musettes. Pas de sieste, la marche reprenait jusqu'à un petit appentis charmant, au-dessus d'une source d'eau claire. Tout autour, le sol dallé de grandes pierres plates polies et usées par le temps reflétait la vieille charpente. Après, c'était l'entrée dans la propriété des moines. Une haute clôture en panneaux de métal peint en vert foncé encadrait le chemin, la couleur accordée avec celle du buis de l'autre côté, audessus du ruisseau. Cela formait un immense couloir de verdure. Une sensation de gêne nous accompagnait, il nous semblait que nous étions surveillés, épiés, en « bons intrus » que nous étions. De l'autre côté de la clôture étanche à nos regards, nous imaginions les moines en bure, travaillant dans les grands jardins. Quelques pas plus loin, devant la grosse porte du monastère, nous constations à chaque fois qu'elle était fermée à double tour. Nous connaissions bien un moine, le seul frère autorisé à sortir, lorsqu'il 55
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venait faire les courses en ville. Une grande barbe blanche, une robe de bure marron, une ceinture de cuir, ses sandales finissaient par lui donner une allure de missionnaire d'Afrique à Saint-Affrique. (…) Cet endroit magique nous impressionnait, et il nous tardait déjà de retourner au village, de revoir le paysage à rebours, en feu, grâce au soleil couchant que nous aurions dans le dos. Cette randonnée ressemblait à une petite victoire, nous étions toujours fiers d'avoir été à Nonenque. Les jours de pluie ou d'orage, nous restions à la maison. Quelques allumettes brûlées, quelques neuves, un tube de colle et nous fabriquions des objets « d'art ». Occupés à ce travail manuel et artistique, la journée passait très vite. De temps en temps, je dessinais et peignais des paysages imaginaires lointains. Un plaisir toujours encouragé par ma grand-mère. Un jour de pluie, ma sœur, mon cousin 56
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Richard et moi, nous avions réquisitionné toute la table pour cause de travaux manuels. Dehors, l'orage grondait, avec une rare violence. Soudain, une boule de feu entra par le trou de l'évier en soulevant la cuvette en émail dans un « glinc glonc ». La boule nous passa près du nez, et disparut par la fenêtre, qui heureusement, devait laisser passer un peu d'air. Je pense que nous avons connu ce jour-là, une des grandes peur de notre vie. Le tonnerre à Saint-Rapadou était amplifié par l'écho et la résonance causés par le cirque de falaises autour du village. La foudre était souvent tombée non loin de la maison. Une fois, elle avait « déplumé » le plus fier des peupliers situé près du ruisseau, en face, à trente mètres. Elle avait fait aussi tomber ma cousine par terre, au moment où elle se précipitait dehors pour rentrer son linge étendu sous la treille de son balcon. Après le déchaînement des cieux, succédaient le calme, la fraîcheur, un ciel 57
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limpide, plus clair. Sans perdre une minute, dès les dernières gouttes de pluie, nous descendions chausser des bottes un peu trop grandes, choisir sa canne de buis, prendre un panier à salade, ou un sac de pommes de terre affecté à cet usage et, en avant pour la chasse aux escargots… Le long des haies, (je ne sais plus où…) nous voici traquant les gastéropodes les plus imprudents. Des petits gris, et surtout des escargots de bourgogne, plus faciles à débusquer, par la couleur claire de leurs grosses coquilles. En été, nous trouvions par ci par là leurs coquilles abandonnées, blanchies par le soleil. On entendait même la mer dedans. Les bêtes étaientelles parties seules se baigner nues un peu plus loin ? En rentrant au village, on avait droit aux traditionnels regards envieux des voisins qui évaluaient (évidemment trompés par le stratagème de l'oncle Louis) le nombre de centaines d'escargots qui leur passaient sous le nez. 58
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Le parfum de la terre mouillée qui avait patienté tout l'été, en se craquelant douloureusement, cette sensation de fraîcheur, nous annonçait aussi que les vacances allaient bientôt se terminer. Que l'automne peindrait tout le paysage en doré. Un signe pour nous préciser que quelques semaines plus tard, nous allions prendre un rendez-vous à ne pas manquer avec les champignons. Faire bisquer à nouveau nos voisins en passant sous leurs balcons, chargés comme des mulets, tous les sacs débordant (...) de champignons : cèpes, girolles et autres piboulades. Je ne me souviens plus où nous allions les chercher. (Hé Hé…) Certainement Amoun ! Vous me paraissez sympa… je vais quand même vous dévoiler un petit secret. Au printemps, dans un pré, audessus « des Aires », nous trouvions des mousserons. Ils trahissaient leur présence par des anneaux d'herbe d'un vert plus foncé comme des signes extra-terrestres 59
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d’atterrissages. Sur les cercles, il suffisait de soulever délicatement la mousse pour découvrir les petites boules blanches trapues, des champignons de Paris, sans la boîte ! Au repas du soir, nous savourions une omelette express, baveuse à souhait et parfumée comme aucune autre ne le sera plus jamais. Quelquefois, les asperges sauvages remplaçaient les champignons : Hum ! ce craquant, cette petite amertume. Un délice, un moment fort de la haute gastronomie familiale, absente et non toquée sur les guides. Nous lui avons toujours décerné plus de mille étoiles dans nos cœurs.
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Indiens et pêche sauvage. Un été, avec l'oncle Louis et mon cousin, nous coupions des branches de noisetier au bord des chemins pour nous fabriquer des arcs et des flèches. Il fallait bien apprendre à survivre dans cette contrée sauvage ! Avec un canif, (ou mieux un Opinel), l'écorce tendre de ce bois nous permettait de décorer nos armes, avec des frises indiennes. Ensuite, il suffisait qu'une pie ou une tourterelle ait oublié des plumes au vestiaire d'un églantier, pour nous transformer aussitôt en Sioux, Hurons et autres P eaux-Rouges. Emplumés, nous prenions le sentier de la guerre. Armés jusqu'aux dents, avec du papier et un stylo à bille chacun, nous échangions des messages d'un champ à l'autre, par-dessus les haies. Le papier était transpercé de la flèche. A chaque tir, le destinataire déchiffrait et exécutait les ordres donnés par la missive. Un jour, 61
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mon oncle Louis, seul contre nous deux, nous lança un message extrêmement menaçant. En véritables Hurons des Causses, nous le déchiffrâmes fébrilement. Il était écrit : « Brise d'Anus attaquera ce soir aux suppositoires ! » Ce message est resté gravé en moi, et je ne sais pas si quelqu'un arriverait à partager le bonheur qu'il me donne encore. Impossible de continuer « la guerre » avec les yeux pleins de larmes de joie et un fou rire qui dura des heures ! Comme une vraie crise. Dans le même registre « pipi-caca », mon oncle connaissait des solutions pour mieux vivre la ruralité. Sur la route, après le passage d'un troupeau de vaches carillonnant de leurs grosses cloches bénies, il valait mieux être champion de ski que non-voyant. Un nouveau sport naquit un soir, dans une atmosphère de 62
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créativité que seul Saint-Rapadou peut provoquer. Le but du jeu consistait à éviter les bouses, en courant, et en sautant entre elles, comme sur une marelle sans ciel. L'oncle, brillant dans ces cas extrêmes, avait une solution pour éviter « les embousements » irréparables. Il plaçait une plume de poule ou de pigeon au milieu de « la pascade ». Cela donnait à nos exploits un air de critérium de la première neige. Enfin je m'entends. La bouse était un des points commun entre Saint-Rapadou et Val-d'Isère à cette époque, dans la matière. L'oncle avait d'autres inventions de ce type, toujours soucieux d'accroître la sécurité du promeneur citadin. Les chiens laissaient aussi derrière eux de dangereuses zones de dérapage (même les hommes, mais je ne veux pas trop leur faire honte ici, c'est du passé.) Certains chemins creux devenaient de véritables champs de mines glissantes, surtout à la tombée de la nuit. La trouvaille : faire manger du 63
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phosphore aux animaux. Mixé dans leurs aliments, nos amis les bêtes auraient ainsi pu réaliser de merveilleuses sentinelles luminescentes. Transformation totale des rues et des chemins : Noël toute l'année ! Plus loin, les avenues des villes rivaliseraient aussi avec les pistes des plus grands aéroports internationaux. Si un industriel du « Pet food » est intéressé par le sujet, je peux donner l'adresse de l'héritier direct de mon oncle, envoyez une enveloppe timbrée à votre adresse pour la réponse. Vous pourrez ensuite discuter ensemble du contrat de royalties. Mon oncle Louis conduisait les trains sur toutes les lignes du Midi, à partir de Béziers. Un jour de repos, il devait nous rejoindre à Saint-Rapadou. Richard et moi, nous taquinions la truite, en contrebas de la route de la gare. Nous connaissions bien toutes les caves où ces magnifiques salmonidés élisaient domicile. Cette pêche sportive était 64
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interdite. Notre grand-père, le plus honnête des hommes ne nous avait jamais félicité pour ces infractions. Cette pêche se pratiquait à deux : un guetteur sur la route, l'autre, les pieds dans l'eau glacée, fouinait à la main sous les berges du lit du ruisseau. Dès la capture d'une truite, il fallait la jeter vivement sur le bas côté de la route juste au-dessus. Un jour, la vigie distraite ne remarqua pas la présence de mon oncle qui vit passer le poisson au niveau de ses yeux. À la maison, nous recevions des reproches et réprimandes sévèrement sympathiques, pour la bonne forme. Le mal était fait. Difficile pour notre maîtreès-pêche interdite de nous reprocher notre irrespect des lois... Finalement, une fois dans la poêle, les truites plaidaient en notre faveur, et nous obtenions toujours des dérogations ; d e s circonstances atténuantes, voire des amendements (truites aux...). 65
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Mon grand-père disait non avec la tête et oui avec l'estomac, tout en dégustant notre pêche honteusement frauduleuse. Ma grand-mère, fière de nous, restait discrète mais pensait la même chose en triant les arêtes. Le même scénario se déroulait pour les écrevisses que nous prélevions dans un coin du Roubiaro, petit affluent de l'Annou qui coule en contrebas du jardin de tante Étiennette. Nous n'eûmes pas eu le temps de nous mesurer à cette pratique, car notre génération fut pénalisée par une maladie qui décima ces petits crustacés, déjà bien péchés par d'autres nés longtemps avant nous que nous appelions avec mépris des braconniers. Le soir, nous couchions dans la même chambre à l'étage avec deux grands lits. Celui de mon oncle et ma tante accusait plus de robustesse que le nôtre. En bois résistant, il accueillait les dormeurs en les enfouissant dans un énorme matelas. 66
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Richard et moi nous couchions dans l'autre lit en fer à côté. Ses petites boules en cuivre se dévissaient au-dessus de chaque barreau. Avant de s'endormir, place au défoulement et aux pitreries diverses, nous faisions « la pantomine » (pantomime) en se racontant des histoires toutes destinées à faire rire. Un soir mémorable, (je demande pardon aux âmes sensibles) encore dans le registre bien connu, très cher à notre trio. Nous avions organisé un grand concours de pets. L'oncle seul, (ou presque) contre nous deux. Les équipes s'élancèrent après la fin de l'hymne de circonstance « Félicie de Fernandel ». Le match démarra très fort à l'avantage de mon oncle, accompagné d'une première protestation du public unique : ma pauvre tante. Nous le rattrapions assez rapidement grâce aux salsifis du midi et à notre double puissance de feu. Affolement dans les tribunes d'en face. À l'aise, le match nul se présentait bien, 67
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presque dans la poche. Le tonnerre d'un super pet déchira la nuit calme, il nous fit prendre la tête de la rencontre. À ce moment là, mon oncle terrassé, épuisé s'écria : « Abandon terrain glissant ! » Comme le message de l'indien, cette répartie est profondément gravée dans ma mémoire, et dans les annales de la famille. Je décerne la médaille d'or, l'Oscar, le César, le Sept d'Or de la meilleure réplique improvisée à mon cher oncle, et haut la main. À nous trois, nous faisions la paire !
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La base navale de Saint-Rapadou. J'aimais beaucoup rendre visite à mon grand-oncle Paul le menuisier, le seul artisan de la famille. De temps à autre, il tirait sur la chaîne du soufflet de la forge pour activer le foyer. Son marteau à façonner le métal frappait également la grosse enclume où il rebondissait, un grand coup accompagné de trois petits. Ainsi le mouvement du bras gardait la cadence. Cet oncle, menuisier charpentier et forgeron unissait le bois et le fer lorsqu'il pratiquait son activité de charron (Son père Benjamin, autrefois, avait une grande notoriété bien au-delà du département). Il méritait la réputation reçue en héritage, cette notoriété de bon artisan de père en fils. Si nous ajoutions à toutes ses casquettes, celle de bouliste et d'apiculteur, nous aurions à peu près fait le tour de ce cher personnage. Je le 69
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ressentais comme un Raimu autoritaire, d'une corpulence qui m'impressionnait, avec un cœur presque aussi gros à l'intérieur. Souvent, je lui demandais des chutes de bois, quelques clous et j'ouvrais le chantier naval le plus performant du monde occidental. Construction de navires, de sous-marins, et même de bateaux-sous-marins. Le plus souvent, des « vaisseaux giratoires », la proue bien effilée avec, pour bastingage des petites pointes reliées entre elles par de la ficelle à rôti (dans le tiroir du buffet à gauche). Les mâts réalisés en un seul bloc, avec de grands clous de charpentier pouvaient ainsi affronter le Cap Horn en furie. Hélas, ils déséquilibraient les navires à cause de leur masse et faisaient plus office de quille que de mâture ! Comme un clou ne suffisait pas, j'en plantais au moins trois ou quatre… L'exploration de l'abreuvoir ne pouvait pas se faire sérieusement avec une vulgaire coquille de noix. Il fallait un 70
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bâtiment, un vrai. Un navire de haute mer, un quatre mâts, fier comme le « Pourquoi-pas ? » de Jean-Baptiste Charcot. La mise à l'eau était toujours un moment solennel suivi de nombreux naufrages (inexplicables). La construction navale et la marine n'avaient pas de secrets pour moi. Personne n'a su que les Japonais n'osèrent jamais bombarder mon abreuvoir... Preuve de la suprématie de ma flotte, de mon armada. Dans ma tête, tout était possible. Et même, au pire, aucune défaite n'aurait pu entraver ma recherche fondamentale sur la flottaison des clous de charpente. Je n'étais dérangé que le soir au retour des troupeaux de brebis qui se précipitaient pour boire, avant de rentrer dans les bergeries pour la traite. Après leur passage, elles laissaient la place jonchée de petites billes noires que ma sœur prenait souvent pour des cachous. Le vent dans la tête, les vagues, les creux, les grains m'ont fait passer des 71
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heures et des heures à voyager au long cours sur l'abreuvoir. En deux parties, il mesurait sept à dix mètres de long. Alimenté par une borne fontaine. Un autre jeu collectif consistait à arroser les copains en plaçant la paume de la main, en dirigeant le jet d'eau sur eux.
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Scènes d'un autre âge. Sur la placette, j'ai eu la chance d'assister sans doute aux derniers ferrages des roues de charrette signées Paul Maurel, les dernières du siècle. L'oncle portait au rouge les bandages métalliques au-dessus d'un grand feu en forme de couronne. Une grande roue en bois assemblée attendait, bien calée et entourée de quelques curieux. Dilaté, chauffé à blanc, le grand cerceau de métal ceinturait bientôt l'assemblage qui prenait feu à son contact. Dès que l'ajustage délicat l'autorisait, quelques personnes, dirigées par mon arrière-grand-mère Lucie, (la marraine de l'œuvre) aidaient à verser de l'eau froide en même temps et tout autour de la roue pour bloquer l'ouvrage par la rétraction du métal refroidi. Fumée et vapeur d'eau, odeur de bois brûlé ! Comme la célébration d'une messe à la gloire du « Travail ». 73
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Pour finaliser cette belle ouvrage, les roues étaient peintes avec le mystérieux bleu charrette dont je n'ai jamais pu trouver l'équivalent dans aucune gamme de couleurs d'aujourd'hui. Pour les battages, tous les villageois donnaient la main. Mon grand père, « intellectuel » était sollicité lui aussi. Il connaissait bien les travaux des champs. Son père, Michel Rouquayrol, était sabotier au Cayla, un hameau à côté de Plaisance, à l'extrême Sud-Ouest de l'Aveyron, près de la frontière du Tarn. Autour de chez eux, il n'existait pas d'autre emploi que la culture. Tout jeune, il se louait dans les fermes voisines en se rendant tous les ans à la foire de la Saint-Michel à SaintSernin-sur-Rance. Après la guerre de 1914, il entra aux Chemins de fer de la Compagnie du Midi.
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J'ai connu aussi les derniers battages « modernes », juste avant l'invasion des moissonneuses batteuses. Les enfants, nous étions impressionnés par l'énorme tracteur vert, « Société Française » fabriqué à Vierzon (indication gravée sur une grosse plaque fixée dessus). Son moteur toussait en explosant sur son unique piston. Le bras dentu d'une machine, relié par une courroie, s'abattait en faisant des « Han ! » comme le souffle sortant de la gueule d'un monstre asthmatique. Les hommes travaillaient en chemise, leurs grands mouchoirs à carreaux aux filets violets autour du cou. Pour ceux qui n'avaient pas de chapeau de paille, d'autres mouchoirs, les quatre coins noués, abritaient leurs têtes de la chaleur et de la poussière. Les téguments volaient en s'échappant du tuyau destiné à propulser ces « poulcès » sur un gros tas. Nous aimions bien pousser les copains dans cette pyramide de poussière pour qu'ils se grattent toute la journée 75
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sous nos rires moqueurs. Les gerbes de blé soulevées passaient de fourche en fourche en cadence, accompagnées par des gestes amples et précis. Au bout de la chaîne, un homme réceptionnait la gerbe, coupait la ficelle lieuse et alimentait la bouche du gros broyeur. À l'autre bout, d'autres recevaient le grain dans des sacs qu'ils fermaient d'un geste rapide. Les charrettes attendaient, d'un côté les balles de paille, de l'autre les sacs de grain. Un trafic intense d'aller et retour dans les différentes fermes, animait bruyamment les rues du village. Mine de rien, cette occasion permettait à certains de montrer leurs nouveaux tracteurs. Les bœufs avaient été remplacés sous nos yeux, certains fermiers les utilisaient encore, surtout pour accéder dans les champs les plus pentus. J'ai bien connu ces attelages lents, les attelages de chaque ferme avaient leur particularité. Le bouvier ne commandait pas ses bêtes de la même façon. L'attelage que nous préférions, 76
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appartenait à Ulysse. Ses bœufs, commandés par son gendre, lui, il se tenait debout, noblement accroché à la ridelle avant de la charrette, semblable à un centurion sur un char antique. Nous l'avions naturellement baptisé « Ben-Hur ». Je me souviens des virages serrés, les roues grinçaient, chassées par les bornes d'angles des rues, et elles sautaient entre les pierres pour se placer dans les ornières comme sur des rails. Mon grand-oncle Paul avait aussi un autre rôle, celui de ferrer les bœufs chez chacun des fermiers. À côté de chaque ferme, il y avait un portique destiné à ces opération auxquelles j'ai sagement assisté. Il ferrait aussi les rares chevaux du village.
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J'ai eu aussi la chance de connaître le lavoir du village en activité, l'odeur de la lessive chaude et ses gros nuages de vapeur. Cela s'échappait d'un grand chaudron de fonte noire, sur pied, avec foyer incorporé. Une marmite d'une tribu de cannibales, préparant leur courtbouillon pour un repas de fête. La petite trappe de l'alimentation du foyer donnait des signes de fatigue par son air penché. Aspect résultant des grands coup de pied destinés à sa fermeture. Les utilisatrices n'usaient pas trop de délicatesse pour ce « trapanel ». Elles ne voyaient pas l'intérêt de minauder avec cette petite trappe dont la fonction première était de fermer. Elles vivaient et travaillaient à Saint-Rapadou, loin des préoccupations existentielles que se posent les femmes arrivant en retard chez leur coiffeur ou dans leur salon de thé place des Ternes à Paris. Traversant fièrement et d'un seul trait l'avenue de Wagram en uniforme du quartier : robe écossaise plissée, bas et 78
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escarpins bleu marine, carré Hermès jeté sur l'épaule et sac Lancel en bandoulière, du beau linge en somme. Quittons vite Paris... Sur la berge du ruisseau, le lavoir, au toit de tuiles, est ouvert sur toute sa longueur donnant sur la place et tournant le dos au « rec » (le ruisseau). Devant, le tilleul de 1918 partage le paysage en deux. Aucun événement se produisant sur la place ne pouvait échapper aux lavandières, qui se tenaient debout, derrière les grands bacs d'eau glaciale remplis avec des robinets communaux en cuivre doré. Elles tapaient avec leurs battoirs, (et ça allait mieux le soir), comme dans la chanson tube de l'époque, chantée à la TSF par Jacqueline François : « Les lavandières du Portugal » . Elles tapaient sur leur linge projeté sur le plan incliné devant elles, en papotant à très haute voix pour couvrir le bruit des coups énergiques. 79
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Le linge virevoltait, elles le trempaient, le repliaient, le retrempaient et le repliaient, on aurait dit un match de judo avec en plus, des éclaboussures en gerbes arrondies et des « paf » accompagnés de grands « splatch » à la réception. Le linge était ensuite étendu dans les prés ou sur les buissons. Même que certaines culottes rose-cuisse, à elles seules, prenaient largement une haie entière. Des fois, nous passions devant, en levant les yeux au ciel, sans faire de commentaires audibles. Quand je songe à tout ce travail ! L'effort, le courage, la sueur donnaient à cette génération un rythme, un cycle de labeur et de repos journalier variable en harmonie avec les saisons. Un équilibre que beaucoup recherchent de nos jours.
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Un Chef de gare rien que pour nous. J'ai connu mon grand-père dans ses dernières années de fonction : Chef de gare à Ribaute-Les-Lieurans, près de Béziers, sur la ligne des Causses Paris-Béziers. En venant de Paris Austerlitz, cette ligne électrifiée depuis le début du XXè siècle, après Neussargues, passe par le centre de la France, emprunte le viaduc de Garabit, dessert Millau quelques cent kilomètres plus au sud, puis Tournemire-Roquefort, Saint-Rapadou après, Les Cabrils, Espondeillhan, Ceillhes-Roqueredonde, Le Bousquet d'Orb, Bédarieux... et Ribaute, juste avant Béziers. La ligne familiale, notre cordon vital, et c'est aussi la plus belle du monde. Enfant, depuis la gare d'Austerlitz, je « descendais en vacances », là-bas, dans le Midi, par un train express de nuit. J'étais chez moi, dans ces voitures. Il me 81
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semblait que le compartiment nous appartenait. Ses dimensions rassurantes en faisait un lieu de vie riche d'odeurs, d'ambiance fébrile et joyeuse. Je suis imprégné de tout cet univers, je revois encore ces petites lumières blafardes pendant les arrêts innombrables dans les gares. Après avoir dormi le plus souvent dans le filet à bagage du compartiment. Je me plaçais le nez contre la vitre fraîche, embuée, au milieu d'un champ de gouttes d'eau agit ées, dorées et lumineuses de l'extérieur. J'ai voyagé comme cela de longues heures sans jamais m'ennuyer une seconde. Un matin, j'étais allé me dégourdir les jambes dans le couloir de la voiture, un homme était accoudé à la barre chromée de la fenêtre du couloir, en face de notre compartiment. Je me plaçais à côté de lui, le nez posé sur la plaque en cuivre vissée « e pericoloso sporgersi » Il m'avait adressé la parole sous l'œil 82
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bienveillant d'un de mes parents certainement missionné ce jour là pour m'accompagner. Je devais avoir trois ou quatre ans. Il m'avait proposé d'attraper pour moi, les petites autos que nous voyions au loin, sur la route dans le paysage en contrebas. J'avais plongé à fond dans le projet, et accepté en sachant que c'était impossible. Le train roulait sur le viaduc de Garabit, à cet endroit il roule au pas. J'ai un souvenir très présent de ce délire commun, de cette complicité poétique, de ce jeu qui dura tout un moment. À l'arrivée, mes grands-parents organisaient la réception du petit parisien à la gare, « chez-nous ! ». Dehors, les cigales commençaient leur concert en chantant comme des folles dans les grands platanes de la cour. Un accueil en fanfare.
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Côté voies, la haute tension alimentait les caténaires, elles permettaient aux trains de rouler à toute allure sur la ligne, mais le chef de gare et sa famille s'éclairaient au pétrole ! L'appartement du Chef occupait tout le premier étage de la gare. Le soir, nous étions tous réunis autour de la lampe à pétrole posée sur la table de la salle à manger. Cette petite flamme jaunâtre projetait nos ombres qui dansaient sur les murs. Elle animait les reflets sur les lunettes de mes grand-parents occupés à lire ou à découvrir les nouveautés parmi les gravures noir et blanc du gros catalogue Manufrance. En complément du petit salaire, l'administration affectait à chaque chef de gare, un petit jardin avec son puits près de la maison.
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Ma grand-mère s'occupait des fleurs du jardin et du quai de la gare. Elle élevait des lapins et des volailles diverses qu'elle rentrait tous les soirs, à côté de la lampisterie. Côté trafic S.N.C.F. j'ai mémorisé certaines odeurs très marquées. Dans la lampisterie, celles du pétrole, du carbure, du cuir des sacoches. Dehors, celle des piles de traverses « créozotées » grillées par le soleil de plomb. Près de la halle aux marchandises, l'odeur des wagons vides d'engrais, de blé, les fuites de vin aux robinets des wagons foudres. L'odeur du labeur, du cambouis et du gas-oil de la petite draisine rouge et crème des cantonniers. Elle stationnait, sous la chaleur de l'été, au quai de la halle tout à côté de la voie de garage. Pour moi, lorsqu'elle était là, c'était la fête, je l'aimais doublement, d'abord, je pouvais en faire le tour, y entrer, la détailler, et par ses dimensions elle s'inscrivait à 85
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merveille dans mon univers enfantin, mieux que les trains au long cours qui ne faisaient que passer en grondant. Ses gros phares chromés me faisaient de l'œil, et son museau cachait un gros moteur diesel. Au milieu des grosses locomotives électriques vertes, (BB, CC, 2D2.), elle apportait une touche originale, fantaisiste, un peu clownesque. Je la sentais proche de ce que je voulais être plus tard au sein de la société conventionnelle. J'ai souvent piloté ce petit train à l'arrêt, en imitant le bruit du moteur. Il me semble même que je voyais défiler le paysage, pendant les fortes chaleurs de l'été, les moments où la voie se perdait à l'horizon dans les vapeurs dansantes, d'un mirage. À l'intérieur de la gare, très fraîche et obscure, la salle des petits pas perdus avec sa bascule à colis, son inévitable grosse pendule « Brillet ». Des affiches 86
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comme : Le Train bleu, la station touristique de Fond-Romeu, la Côte d'Azur et les panneaux articulés des horaires, du Chaix mural. Une planche de chêne noircie, patinée formait le comptoir. Au milieu, la petite trappe à charnière du guichet. Derrière, on pouvait voir le bureau du Chef de gare. J'aimais bien « inspecter » ce bureau : son pot de colle baveux avec le pinceau planté, ses porte-plume, des règles usées à section carrée, les arêtes arrondies lustrées par des années de soulignages appliqués. Sur la droite du bureau, le téléphone en bakélite et son cordon « entournissé ». Au centre, l'encrier au couvercle ajouré, en dentelle de métal. Dans le tiroir du côté, une vieille bougie noircie, couchée, attendait de faire fondre les bâtons de cire rouge à cacheter, nécessaires pour sceller les portes des wagons et les 87
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courriers spéciaux. Mon grand-père rangeait aussi les pétards d'alerte dans l'autre tiroir du dessous, formés d'une capsule métallique peinte en rouge vif remplie d'explosif. Une lamelle en fer blanc servait à sa fixation. En cas de détresse ou d'accident, ce pétard placé sur un rail explosait sous la première roue d'un train en danger. Le mécanicien devait stopper immédiatement après la détonation, dans le cas où il n'aurait pas vu le feu de Bengale rouge, placé au milieu de la voie, un peu avant. Rendez-vous compte, pour un petit garçon, voir son grand-père en uniforme, casquette blanche et vareuse bleue impeccable, des boutons en or gravés avec le sigle S.N.C.F., faisant la pluie et le beau temps sur le quai ! Ressentir sa grande conscience professionnelle. Le service public était bien représenté. Il en tirait une noble fierté. Le sifflet autour du coup, le drapeau blanc vert et rouge 88
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articulé à la main, dans un balancement nonchalant, il allait sur le quai, à l'angle de la gare, actionner les gros leviers qui commandaient les signaux, grâce à un faisceau de fils de fer. Ils couraient, tendus comme une portée musicale, suspendus par des roulettes inclinées fixées sur des petits piquets en ciment près du sol. Ces fils de fer longeaient la voie sur toute sa longueur. En les touchant, on obtenait un son cinglant et résonnant comme une guitare sans caisse, ou une harpe gigantesque bien loin d'être accordée. Après le départ des trains, il plantait le carré rouge et blanc sur le quai N°2, fermant la voie une. Les trains avaient déjà leurs panneaux stop ! À l'intérieur, contre le mur, il actionnait une manivelle horizontale, avec une poignée articulée en bois patiné. Il faisait sonner les grosses cloches sur pied du quai de la gare suivante. 89
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Partout, elles se présentaient par deux, peintes en aluminium, comme des soldats de plomb, gardiens des quais. Ensuite, il confirmait son geste par un coup de téléphone, avec le « nom » du train identifié par des numéros sans fin. Il n'oubliait jamais le petit mot d'amitié à son collègue à l'autre bout. Les manœuvres des trains de marchandises, étaient pour moi, une fascination, un vrai spectacle. Des départs, des arrêts, des coups de sifflets, des signes avec le drapeau rouge replié que balançait le chef de manœuvre. Tout cela, avec un calme impressionnant dicté par le danger que représentait de telles masses en mouvement. Je regardais, assis sur le rebord du quai de déchargement près de la halle aux marchandises. Ce rebord était renforcé par un rail chauffé au soleil sur lequel je me suis souvent brûlé les cuisses.
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J'aimais bien accompagner mon grandpère, lorsqu'il changeait les étiquettes sur les wagons de marchandises. Remplis à la plume en encre violette, ces bordereaux d'expédition prenaient place sur des surfaces protégées sous des encadrements grillagés, aux extrémités des caisses des wagons. Le pot de colle et son pinceau donnaient du service avec plusieurs couches généreuses. Pour lutter contre « la sécade, » (sécheresse, soif) Le Chef Ernest sortait la bouteille de coco d'un placard et se rinçait « la gargante ». Après cette courte pause, il fallait qu'il renouvelle sa cigarette qui ne présentait que quelques millimètres de papier noirci éclaté, bruni par endroits par le goudron et la salive, avec peut-être un peu de tabac. Il saisissait son sacro-saint paquet de Gris, et son paquet de feuilles (le Nil, JOB ou Riz-la-Croix...) Et de ses mains il s'en roulait une de plus, en récupérant les brins de tabac qui dépassaient, en les pinçant avec un mouvement vrillé. 91
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De temps en temps, une voiture des « Économats » stationnait pour quelques jours, en gare. Cette ancienne voiture de voyageurs de grandes lignes, était aménagée en magasin d'alimentation, droguerie, bazar, offrait un tarif spécial pour les cheminots. Ses vitres peintes en blanc masquaient les rayons de produits à l'intérieur. Son toit blanc, lui aussi protégeait de l'ardeur du soleil. Ce magasin roulant nous apportait toute une foule de friandises et de curiosités. Dans cette petite gare, il y avait une assez grande activité, cependant, il me semble qu'aucun train ne passait entre midi et quatorze heures, ce qui permettait à mon grand-père de faire un brin de sieste. Dès la fin du repas, il faisait pivoter sa chaise d'un geste précis, il s'asseyait à califourchon, posait ses lunettes. Il appuyait ses avant-bras sur le dossier. La tête reposée sur ses bras repliés, il sommeillait calmement. Pour nous, c'était aussi le moment d'aller faire un 92
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petit tour dans la chambre pour « siester ». Nous étions souvent réveillés par la portière claquée du camion du marchand de paille qui stationnait dans la cour de la gare. Un camion Ford, vert foncé avec des phares en fusées posés sur les ailes. Sa calandre à barreaux horizontaux, nous souriait sous son capot pointu. À côté de la gare, il y avait un passage à niveau dont les lourdes barrières s'ouvraient en les faisant rouler en travers de la route. Un couple d'employés logeait dans la maisonnette attenante. Des voisins que je n'ai pas vraiment connus. En revanche, grand frère leur chantait souvent leur chanson de Tino Rossi préférée « Le gardian de Camargue » Cette chanson les sensibilisait-t-ils en rapport avec leur fonction de gardes ? En revanche j'ai le souvenir très précis du panneau « Attention ! un train peut en cacher un autre », où un personnage imprudent se faisait renverser par une 93
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locomotive à vapeur. (Rare dans cette section de voie électrifiée.) Vision choquante, très dissuasive, but atteint. Il prévenait les piétons ou les cyclistes voulant traverser la voie. La grande barrière fermée, ils empruntaient alors le portillon dont les gros rivets se devinaient sous au moins cent couches épaisses de peinture rouge et blanche. Son axe incliné assurait une fermeture automatique, avec un « clinc-clanc » ferreux provoqué par le petit loquet retombant dans son encoche. Mon grand-père avait un chien qui s'appelait Dick, il fut anobli par mon oncle Louis, en le baptisant : « Pétard du Libron ». Il méritait son titre, car il joua dans un film musical. « Musique en tête de Jacques Hélian ». L'équipe de tournage fit quelques prises de vues au passage à niveau, une petite scène sur le quai de la gare vers la fin du film. Et là, notre Pétard, comédien clandestin était là, dans 94
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le champ de la caméra… ( j'ai pu retrouver cette séquence pour moi c'est un joyau ! ) Le Libron, petit cours d'eau du Midi coulait très peu l'été sous les saules, au milieu des roseaux. Nous allions naviguer sur un petit plan d'eau près du château de Ribaute, en contrebas de la gare. Mon oncle Louis chantait à tue- tête sur son radeau. Il chantait : « Mississippi » avec une voix d'opéra. Je prenais facilement ce plancher flottant sur chambre à air pour un vapeur aux grandes roues à aubes remontant le grand fleuve américain. Depuis, pour moi, il y a toujours eu le Mississippi en bas de la gare, (les cartes Michelin du secteur sont donc toutes fausses.) Je chantais cet air moi aussi, en écorchant les paroles ce qui donnait : « Missipi...la...la...». L'art lyrique a toujours été présent dans notre jeunesse. Le Gardien de Camargue, Mississippi, et 95
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les airs de Luis Mariano que j'appelais « Us » en passant par les succès de Mistinguett sifflotés et écorchés en demitons par mon grand-père qui n'a jamais vraiment été musicien. Profitons-en, il est temps de le décrire un peu plus cet Ernest. Dès la retraite sonnée, il se retira à Saint-Rapadou, par le train, sur la même ligne de chemin de fer, à quelques kilomètres vers le nord. C'est là que j'ai pu apprécier sa personnalité, en prenant un peu de bouteille moi-même. Tiens la bouteille ! À part le coco et l'Antésite, il buvait très peu d'alcool. Seulement pendant les grandes occasions : communion de l'un de ses petits-fils, lièvre au flambadou avec éventuellement une petite goutte de vin pour réchauffer les dimanches à temps gris. L'ouverture d'une bouteille de mousseux : Muscabel (le champagne des pauvres). Un spectacle à chaque fois attendu. C'est le père Fangio qui aurait pu 96
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en prendre de la graine. Dès qu'il apercevait un peu de mousse, il pressait son pouce sur le goulot. L'arrosage public. Je pense que mon oncle ou mon père avaient certainement préparé la bouteille en inventant la publicité d'Orangina,(secouez-moi! ) bien avant l'heure. Inévitable, les regards en-dessous avouaient la fourberie. En restant dans le registre de la gaucherie gestuelle, mon grand-père n'aimait pas bricoler. D'ailleurs, personne ne demandait qu'il bricolât, en se signant plusieurs fois. Son aptitude à ce « sport » n'étant pas son fort, toute la famille tremblait en le voyant saisir un gros marteau et choisir un clou. L'opération se précisait… Il sagissait de planter un clou pour soutenir le calendrier des P.T.T. dans l'embrasure de la fenêtre de la cuisine. Vu son calibre, le clou avait dû obtenir le label garantie à vie. Suite à d'immenses précautions de repérage du « site », les lunettes au bout du nez, Ernest retira le 97
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clou de sa bouche pour le placer sur la zone de tir, il éleva le marteau en même temps. Son œil scruta la pièce. Nous faisions mine de rien, en lisant un Chasseur Français ou un journal qui nous servait de bouclier à rire. Le marteau frappant sur la pointe se perdit dans un nuage blanc de poussière de plâtre. On aurait dit un film publicitaire pour une entreprise de démolition. Les gravats se multiplièrent au sol dans de belles étoiles blanches. Un feu d'artifice de sol, en plein jour. Les rires et les réflexions restaient encore un peu contenus. Sans gestes brusques, habitué, Ernest constata le désastre : un petit cratère blanc venait agrémenter le pan de mur qui venait d'être repeint sans fantaisie. Il rangea les outils à leur place, et remis le calendrier sur l'espagnolette de la fenêtre. Pas un mot, pas une injure ne fusa, il se préparait une cigarette avant de recevoir les avalanches de réprimandes que ma grand- mère allait lui livrer à son retour 98
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des commissions. Habitué à l'uniforme impeccable, il n'a jamais négligé son habillement. Au jardin, il avait un chapeau de paille, à la ville un béret, toujours impeccable avec la « mèche » bien dressée vers le ciel. À la maison il mangeait tête nue, à l'inverse des fermiers qui eux, n'avaient pas le temps de quitter leurs galettes souvent zonées par une auréole de sueur poussiéreuse. Il portait le bleu de travail pour la semaine avec la chemise à cols « rebiqués ». Le dimanche ou les jours de visite à la ville, il enfilait un pantalon de laine bleu marine et un veston, il fermait sa chemise avec une cravate à petit nœud serré et toujours le béret complétait l'apparat. Il prit sa retraite de Chef de gare à cinquante cinq ans, ça laisse le temps d'acquérir une sagesse exemplaire. Jamais nous ne l'avons vu en colère, jamais agressif, les haussements de ton étaient justes et brefs comme un bouchon 99
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de champagne qui saute. Le calme revenait immédiatement après. Court et efficace. Nous ne lui connaissions pas d'ennemis, même le curé l'aimait bien, avec son petit air de Don Camillo. Mon grand-père avait des fonctions communales ce qui me permet de faire la juste comparaison. Ils ne se sont jamais fait de cadeaux, mais surtout jamais de misères. (Prononcer en roulant les " R ") Le : « Bonsoil Monsieur Louquaylol » Accompagné de la réponse longuement et diplomatiquement recherchée : « Bonsoil Monsieur le Culé » Cela illustrait l'essentiel du contenu de leurs réunions au sommet.
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Explorations et expéditions à Saint-Rapadou. À quelques minutes de marche au-dessus du fond de Saint-Rapadou, le terrain primaire du pays caussenard laisse apparaître des marnes grises que nous appelions « Les Terres Grises ». Comme un Colorado en réduction, l'érosion d'année en année avait formé des canyons en miniature, jalonnés de cascades à sec l'été. Entre ces gorges creusées dans l'ardoise très friable, l'ascension des mamelons dépourvus de végétation présentait quelques difficultés, mais assez peu de risques. Nous descendions en glissant sur ces fines particules et nous imitions les postures des plus grands skieurs, la neige en moins, la poussière en plus. Merci OMO pour nos vêtements. Nos fonds de pantalons ont plus souffert à cause des ronces et des glissades que de s'user dans 101
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les fauteuils d'une salle de cinéma, de théâtre ou de bibliothèque. Nous préférions jouer les acteurs et les explorateurs en décor naturel, en couleur et en relief, les parfums en plus. Le ruissellement de l'hiver mettait à jour des trésors minéraux et des fossiles que nous n'avions pas soupçonnés l'année précédente. Une flore méditerranéenne pousse là, dans de rares endroits abrités du Nord. Quelques crottes de lapin, des boulettes de déjections de petits rapaces, des ossements blanchis, une peau de serpent accrochée aux pruneliers après la mue. Tout cela laissait imaginer l'harmonie sauvage d'une faune très discrète. Dans la chaleur de l'été, sur ces terrains arides, nous risquions tous les jours de tomber sur des vipères. Nos cris et nos jeux devaient les éloigner.
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Nous n'en avons jamais observé une seule sur ce terrain. Pourtant, Dieu et mes grands-parents savaient qu'elles pullulaient dans le secteur. Nous avons passé de longs moments à traquer la queue d'un fossile de dinosaure. À chaque excroissance de pierre grise et luisante, nous pensions découvrir un œuf ou une vertèbre de ces mastodontes. ( Un enfant de Tournemire, bien plus tard a trouvé un plésiausore entier, il est exposé dans le musée du village). Nous avons ainsi beaucoup voyagé dans le temps et révisé nos connaissances sur l'histoire de la Terre. Nous pensions souvent aux hommes qui devaient certainement habiter les grottes juste audessus. Sur d'autres terres grises, de l'autre côté de la vallée, il y avait un lieu nommé : « le grand Récas », un grand gouffre, un canyon. Là, le ruisseau venant du village formait une cascade de quelques mètres de haut. Pour y accéder facilement, il fallait progresser dans des 103
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petites gorges en marchant dans le lit du ruisseau. Ce lieu était une chambre de fraîcheur, comme une jungle de verdure. Des prêles et autre végétation luxuriante poussaient, préservées des saccages et des « escoubilles » (ordures). Là, par magie, nous devenions des explorateurs risquant à tous moments de tomber nez à nez avec un boa promeneur ou un léopard assoiffé. Marcher dans le lit d'un ruisseau, c'était un plaisir, l'eau froide d'une clarté plus que limpide nous saisissait un peu les mollets. Les mousses débordaient sur les pierres. Des lianes (clématite) en broussaille attendaient les Tarzans de passage. Coupées en longueurs de quelques centimètres, elles nous servaient d'abord de cigarettes. Ce goût acide piquait la langue, avec les volutes de fumée, cela nous donnait déjà l'impression d'être des hommes. Au milieu de cette brousse, mon grand-frère aimait bien se lancer d'arbre en arbre en s'élançant, aidé par la pente raide. Les 104
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arbres se pliaient sous son poids, cela lui permettait de passer de l'un à l'autre. Il descendait quelques dizaines de mètres, en criant comme Tarzan. Sa voix était répercutée et amplifiée par l'écho des rochers alentours. En haut de ce paysage d'Ouest américain, la falaise s'asseyait. À ses pieds, des grottes innombrables. La plus connue de toutes, la moins dangereuse, celle dans laquelle je me suis aventuré plusieurs fois, s'appelle : « la Cabane ». Je l'ai souvent fait visiter à des copains du collège. La première partie, maçonnée, servait autrefois de cave pour roquefort. Après quelques éboulis, je les guidais dans une cathédrale de roche où les salles se succédaient. Le silence de plus en plus profond nous impressionnait. Seuls des bruits de gouttes d'eau nous accompagnaient jusqu'au tonnerre sourd de résonances d'une chute que l'on apercevait en contrebas, grâce à une faille dans la roche. J'avais bricolé un 105
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matériel de spéléologue avec un vieux casque de la guerre de 1914, peint en alu, avec de la pâte à tuyaux de poêle. Car le plus grand danger, mis à part la montée subite des eaux souterraines, était les chutes de pierres. J'avais solidement fixé dessus, une lampe de poche avec du « Chaterton » emprunté à mon père. Dans le boîtier nous ne placions que des piles qui ne s'usaient que si l'on s'en servait, sécurité oblige. Nous emportions toujours des lampes de secours et des bougies plein les poches. Cela pouvait détecter la présence de gaz carbonique dans les petites galeries où nous avancions en rampant, d'éclairage de secours et au pire, de source de chaleur en cas de pépin extrême. La visite continuait jusqu'au bord du lac souterrain. Une transparence incroyable, la surface de l'eau lisse comme un miroir était suspendue sur le fond qui faisait bloc comme les sculptures en cristal de Yan Zoritchak. 106
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Au milieu, la jonction entre stalagmites et stalactites formait une colonne baptisée : la méduse. Le grand silence nous impressionnait, seulement rompu par des gouttes d'eau qui sonnaient comme le tic-tac d'une horloge éternelle. Héroïques ces incursions dans les entrailles de la terre. Quelques années plus tard, grâce à des matelas pneumatiques, nous avions passé le lac pour découvrir d'autres salles audelà. Notre amateurisme nous permettait certainement de rêver, et d'éprouver les mêmes émotions que les professionnels. Une chose essentielle à savoir, il fallait que quelqu'un soit au courant à chacune de nos expéditions. En sortant, nous retrouvions Diane la chienne, qui en cas de malheur, pouvait alerter les adultes au village. Elle restait couchée devant la grotte comme un sphinx, pendant toute la durée de l'exploration. En sortant, nous sentions l'effet du mur d'air chaud. 107
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Le soleil nous obligeait à plisser les yeux, le vent dans les feuilles contrastait avec le silence du monde souterrain. C'était comme une sortie de Métro, mais à l'envers. Un jour, nous avions voulu accéder à un nid d'aigle, dans les rochers. Quelle joie de trouver les ossements, les restes de repas de ces grands rapaces ! En nous voyant approcher, ils s'étaient enfuis et attendaient quelque part, que nous quittions leur repaire pour y revenir. Pour nous, nous étions des concurrents directs des Paul Emile-Victor et Roger Frison-Roche réunis. En parlant de professionnels, nous avions assisté à la capture d'un bébé aigle royal, pour sa protection. Les hommes spécialistes, étaient descendus en rappel du haut de la falaise, pour le capturer. Une nécessité car des chasseurs mal informés ont plusieurs fois tué quelques uns de ces magnifiques rapaces en pensant qu'ils étaient nuisibles. Une certitude enseignée depuis des générations. 108
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Les aigles volaient les agnelets et souvent, convoitaient les mêmes gibiers qu'eux-mêmes. Seulement, la lutte était inégale. Sans arme à feu, je pense que l'homme n'aurait pas gagné à ce petit jeu. L'aigle aurait simplement plongé du ciel, sur lui, en le faisant détaler comme une belette. Pas loin de la grotte, sur le chemin, en retournant au village on passe près d'un lieu nommé « Les Vignasses ». Un rocher monumental occupe presque tout l'espace d'une petite clairière. Détaché de la grande falaise, sa position inclinée forme comme une espèce de casquette. Un de mes doux refuges cette avancée de style « Lascaux » idéale pour compter fleurette. Effeuiller des pâquerettes en souhaitant que le dernier pétale dévoile clairement ses sentiments, et en cas d'échec, recommencer jusqu'au but, le premier bisou furtif. Cet endroit ressemble à un théâtre de plein air, dans la verdure parsemée de 109
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violettes énormes, de véritables pensées sauvages. Le dessus du rocher nous servait de scène où nous récitions quelques tirades de Molière, de vers rescapés de notre mémoire. Une année, mon frère était venu camper près de là avec ses camarades, Scouts de France. Le matin au réveil, je venais leur rendre visite, ils m'invitaient à déjeuner avec eux. Des gamelles noircies, pleines de lait chauffaient sur le feu de camp entouré de pierres. Je me souviens de la corvée de vaisselle dans le petit ruisseau, en bas du champ. C'est là que j'ai préféré une cigarette gitane brune à la liane traditionnelle. Je ne me suis pas senti plus homme pour cela, juste un petit vertige très vite remplacé par le sentiment de l'acte accompli : « Je suis grand ». J'avais aimé l'odeur du tabac, juste avant de tasser la cigarette sur le dos de ma main, avec le geste sûr du vieux fumeur. Un bout de papier trop humide resta collé sur mes lèvres, je 110
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l'avais chassé avec une sorte de petit crachat caractéristique des vieux chiqueurs. En singeant les manies des fumeurs invétérés, en bon débutant, j'avais dû manger quelques brins de tabac.
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La chasse. Le fusil Robust de Manufrance astiqué, cartouches étalées sur le dessus du buffet de la cuisine, installation. Mise en place des cartouche calibre 12, une à une dans la cartouchière, mon grand-père en chasseur averti, préparait méthodiquement son départ de la veille. Il avait toujours eu des chiens à son image, si doux que je ne me souviens pas avoir vu leurs crocs ! N'avaient-ils que des quenottes simplement pour mastiquer des quenelles de veau à l'ancienne ? Départ à l'aube. Chasse au lièvre sur le plateau. Il partait toujours chasser le lièvre, même s'il revenait bredouille ou seulement avec un pauvre lapin « suicidé ». Il montait à son rythme, jusqu'aux abords de la ferme de « La Vialette », unique ferme dominant le village du haut de la falaise. 112
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Pendant le trajet, Diane jouait de la truffe dans la rosée, venait près de son maître, repartait, s'attardait dans quelques touffes d'herbes folles. Épagneul breton du côté de sa mère Mirza, de père inconnu et certainement sans pedigree, elle savait se faire aimer de tous, elle a même eu l'honneur de rentrer dans la salle à manger pour sommeiller à côté du poêle. Jamais aucun autre chien n'était rentré dans la maison. Chacun chez soi, les chiens habitaient dans les niches. Chien de chasse courant, elle levait le gibier et, aussitôt aboyait sans arrêt. Son aboiement était différent selon qu'elle sentait le gibier ou l'avait débusqué. Elle essayait de le rabattre dans les pieds de son maître, presque devant le canon du fusil lors- qu'il était en joue. Il faut vous dire que mon grand-père chassait souvent le fusil en bandoulière. Il se passait toujours un certain laps de temps entre le moment où le gibier était en vue et la mise en joue. 113
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Ce nonchalant de la gâchette plaisait beaucoup à tous les lapins et lièvres de la contrée. Un jour où je l'accompagnais, Diane leva un lapin dans les broussailles, juste au pied des falaises, au-dessus « des Vignasses ». Pendant qu'il se préparait une cigarette, celle qui doit durer presque toute la matinée, installée, collée au bord des lèvres. Le paquet de Gris dans une main, l'autre occupée à maintenir le bloc de feuilles « JOB » ouvert. À ce moment-là, le lapin déboucha d'un bosquet, venant droit sur lui. La cigarette eut la préférence de ses premiers réflexes qui consistèrent à humecter le papier un peu plus vite que d'habitude, à enlever les brins de tabac qui dépassaient et à porter la cigarette un peu vrillée à sa bouche. Cette fois, le fusil eut toutefois la priorité sur le briquet... Hélas lors-qu'il mit l'arme en joue, le lapin se riait déjà des plombs. Ce jour-là, je compris que la chasse était pour lui un prétexte pour prendre l'air, se promener, méditer en contemplant son 114
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magnifique paysage. Rendre hommage à une nature sauvage qui se satisfaisait de ne voir passer personne. Il revenait quelquefois avec une cueillette de champignons ou des nèfles. D'où l'expression : « des nèfles » qui remplace joliment « bredouille », trop abrupte, cuisante, déshonorante ! Pour cet homme discret et maladroit, revenir avec un lièvre, tenait du conte de fée. Déjà le tuer... Et puis contenir sa joie. Cela arriva pourtant contre toute attente, avec les honneurs dus à l'exploit. C'est en revenant avec un tel trophée que l'on ressentait et devinait le feu d'artifice émotionnel qu'il contenait. Il nous tardait de le voir à table. Le lièvre juste rôti, saisi, la viande encore saignante, était passée religieusement au « flambadou ». ( Le flambadou est un cornet en fer forgé percé, au bout d'un long manche, appelé capucin dans d'autres régions). Le cône porté au rouge dans un feu, il suffisait d'introduire des tranches de lard dans le 115
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cornet où il fondait et s'enflammait. Cette coulée de graisse en feu pénétrait dans la chair, lui donnant un goût unique, très recherché. Le lièvre ainsi préparé était le plus souvent servi avec du « saupiquet », sauce épaisse, composée du foie du lièvre, d'oignons, de genièvre pilé, tout cela haché, lié avec de l'huile. Servir chaud à côté de la viande, c'est à pleurer. Quand mon grand-père avait l'honneur du chasseur, il se servait en premier, l'émotion contenue. En dégustant ce gibier, souvent une larme perlait au coin de notre œil de plaisir. L'émotion culturo-gustative nous étreignait. Cette alimentation ne convient pas aux vies sédentaires d'aujourd'hui, mais, tout de même je ferais bien un détour de quelques centaines de kilomètres pour goûter à nouveau un tel plat. Difficile à préparer dans un appartement à cause du flambadou ! C'est bien trop long pour la ménagère d'aujourd'hui. Les heures ont changé de longueur en cinquante ans. 116
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Revenons à nos cartouches. Je suis allé à la chasse deux fois tout seul. La première fois, j'ai tué un lapin et lui demande encore pardon. La deuxième c'est ma carabine 9 mm (Jos Randall) qui a tiré bêtement sur un écureuil : Quels remords ! Tout cela c'est la faute à un vieux cousin de mes grand-parents, Gustou de Brengues, qui m'avait enseigné sa technique : Le coup de la veste laissée d'un côté de l'arbre. Elle intriguait le petit animal, il fuyait en changeant de face sur le tronc juste du côté où le chasseur attendait à l'affût pour le tuer. Depuis que j'ai vu cette bête adorable tomber dans un petit cri, et lâcher un dernier soupir dans ma main, je me suis juré de ne plus jamais toucher à un fusil de ma vie. (J'ai payé ce vœu très cher en essayant de le respecter, incorporé par une triste erreur dans les commandos de marine lors de mon service militaire.) 117
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Encore, en pénitence, je porte le deuil de chaque moustique qui vient s'écraser sur le pare-brise de ma voiture. Tuer c'est con ! Hélas, manger du lièvre passé au flambadou, c'est bon ! Quelle est la solution ? À moins de ne préférer que les yaourts nature…
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Papilles et larme à l'œil. Ma grand-mère élaborait une cuisine du : « Tout avec pas grand chose ». Une virtuose. Elle préparait son tomatat, une sorte de ketchup maison. (Les Américains n'ont rien inventé il faut le savoir ! ) Ce tomatat était conservé dans des canettes de bière de Millau dont certaines comportaient des facettes. Elles fermaient toutes avec un bouchon en porcelaine au joint en caoutchouc orange, compressé par un ingénieux levier de métal. Toutes ces provisions dormaient, réclamées (rangées) sur des étagères d'une arrière-cave sans ouverture. Nous l'explorions rarement, toujours sous sa surveillance. Trois caves abritaient toutes sortes de denrées et de provisions. Des petits trésors pour nos yeux, nez et surtout pour nos papilles. Dans la première, une pièce du rez-de-chaussée carrelée, une pièce habitable, condamnée, volets clos donnant sur la place. 119
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Cette obscurité avait la fonction de conserver et de mûrir lentement les coings, pommes, poires etc, disposés sur du papier journal. Des pommes de terre retenaient leurs germes. Des raisins muscats suspendus décoraient et parfumaient le lieu. Juste à côté des bottes de haricots blancs en guirlande liées avec du raphia. Dans un coin, une touffe de monnaie du pape attendait l'heure de sa mise en bouquet. Dans la deuxième cave d'à côté, comme un débotté, il y avait, empilé, un stock de presse multi-opinions : Midi Libre, La Dépêche du Midi, le Canard Enchaîné, La Terre, elle jouait le plus grand rôle de leur vie, être du papier d'emballage. Contre le mur, dans un coin, des cannes à pêche avec le fil bêtement emmêlé. Les musettes suspendues attendaient sagement l'heure d'un départ pour quelques randonnées nombreuses et variées. Les chapeaux de paille ensoleillaient le décor au-dessus du petit 120
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tabouret pour cirer les chaussures. Sur d'autres étagères quelques rares outils dans des boîtes en fer blanc récupérées. Dans d'autres boîtes cylindriques annelées ayant contenu du lait en poudre, toute une famille de clous : des tordus et des rouillés de toutes les formes. Sur une boîte à gâteaux, une petite statue de Léon Blum levait le poing. À côté, d'anciens encriers à couvercles réformés pour cause de stylos à bille. Des piles de cubes de savon de Marseille, le cas où… Dans la troisième, l'arrière cave fermée à double tour, plus fraîche, un jambon de montagne était suspendu, avec des repères virtuels pour détecter si l'un ou l'autre n'avait pas emprunté quelques tranches par hasard, à l'aide de son Opinel, en passant. Des bocaux de légumes stérilisés, de confitures, de gelées diverses, des pains de pâte de coing, enveloppés dans de l'aluminium récupéré sur les plaquettes de chocolat. Le restant de la pâte coulée dans des 121
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saladiers et bols disparates donnait un aspect de vieille épicerie décor d'un film de Marcel Pagnol (il ne manquait plus que le bon Charpin.) Il y avait aussi des bocaux de saucisses sèches conservées dans l'huile... Tout ça pour se garantir de la famine pour des siècles. En dessous, un vieux buffet avait ses tiroirs tapissés de journaux sur lesquels des nèfles finissaient leur maturité. Dans ce buffet une bouteille d'eau de vie de 1917 était jalousement emprisonnée. Sa présence connue, jamais sa remise de peine n'avait été prononcée pour la libérer. Malgré de nombreuses allusions et forces tentatives de corruption, des hommes de la maison, Lucia la retenait captive. En désespoir de cause, l'oncle Louis et mon père usèrent d'une ultime ruse. Après un repas de famille, au moment de la goutte, mon oncle déclara d'un air dégagé : 122
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« Té ! avec Jean, l'autre jour, chez les voisins, nous avons vu une bouteille d'eau de vie de 1950 ! - Ah !... (fausse surprise générale). Elle avait de la bouteille celle-là ! Tu te rends compte ? fit remarquer lourdement mon père. - Oh ! mais, j'ai mieux que ça… j'ai une bouteille de 1917 ! répliqua Lucia, piégée. Ce n'est pas possible, montrez-nous un peu ce mensonge, belle-maman, où l'avez-vous cachée ? - Elle est dans le bas du buffet de la cave du fond. ! répondit-elle, sans se rendre compte des conséquences. - Ah ? » s'exclamèrent d'une seule voix les faux jetons. Immédiatement, mon oncle Louis descendit chercher le trésor, le sortir enfin de son isolement. Il revint triomphant avec la bouteille en la tenant comme un trophée. C'est ainsi que religieusement le bouchon de l'eau de vie 123
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de 1917 sauta. Vrillé en douceur, dans un petit grincement de liège soulagé. Les petits verres furent remplis, des canards offerts aux dames sur des morceaux de sucre, tout le monde fondait de plaisir. Dans la cuisine, il y avait un autre buffet bas avec deux tiroirs et deux portes endessous, souvent inspecté et contrôlé par toute une armée de gros gourmands que nous étions. Un inconvénient, ses portes grinçaient à l'ouverture et se bloquaient à la fermeture. Il fallait tout un tour de main pour ne pas se faire coincer en flagrant délit, en train d'évader un carré de chocolat ou en train d'échapper un bout de saucisse sèche. Je pense que certains pièges tendus prenaient la forme de quelques figues sèches exposées en première ligne, des friandises pour notre santé. Passons à table pour déguster une merveille culinaire de ma grand- mère : La soupe de haricots verts. Vous pouvez l'essayer, la recette prend peu de temps. 124
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Vous préparez des haricots verts, des pommes de terre, un fond de jambon de montagne et un bon tailhou de melsat. Laissez mijoter le plus de temps possible, et servez sans mixer. Cette « soupe à manger » m'a fait rentrer à l'heure bien des fois, laissant les copains à leurs jeux et discussions. Nous adorions d'autres produits qui, placés devant nos yeux et notre nez, nous auraient fait avouer l'inavouable : En premier, le Pérail de brebis, petit fromage plat et rond comme une sous tasse, présenté sur des joncs verts. Selon son stade de maturité, il vous sortait de la pièce ou avançait jusqu'à votre assiette par ses propres moyens ! Humm ! En second : une spécialité locale, la Rebarbe : miction de Roquefort avec du lait caillé, lié avec un peu d'huile. Les Caussenards créèrent cette recette pour utiliser le précieux fromage déclassé ou en excédent. Essayez, vous verrez, sur de larges tranches de miche de pain grillées au feu de bois, c'est 125
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divin. En troisième : le melsat, saucisse du pays de Lacaune, d'un aspect jaunâtre marbré de petits bouts de lard. Dans les maisons, les gens et les fermiers le suspendent en guirlandes hélicoïdales qui donnent un peu de fantaisie à côté des plis de saucisses et des saucissons. Saucisse dissidente, elle se compose de pain, d'œuf et de porc assaisonnés. À consommer cru, à la sauvette : un bouci ( un petit bout ) avant qu'il ne soit grillé à feu très doux ou jeté à cuire dans la soupe de haricots verts que nous avons dégusté sur la page d'avant. Un morceau sorti de la soupe et mangé froid le lendemain : le Bon Dieu. En quatrième, avec cette généreuse énumération de spécialités, je vais ajouter le Fricandeau pour le même prix. C'est un pâté cuit présenté en boule, comme dans une crépinette. Je vais éviter de vous parler des « Tripous » que nous mangions à l'aube, ça vous ferait prendre du poids simplement en le lisant. 126
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Et, je ne vais pas vous parler de tous les repas mémorables passés chez des parents fins connaisseurs à Brengues ou au Bartas, remerciez-moi, ça serait trop pour vous. Cela m'évitera de vous demander : « Et avec ça, qu'est-ce que je vous mets ? » ou bien : « Ça sera tout ? » Ce que l'on peut aussi classer en spécialité culinaire c'est la traditionnelle tisane. Cette infusion du soir était un véritable rite. Du thym, de la verveine, du tilleul pour dormir, de la menthe et de la marjolaine appelée aussi localement le thé rouge. Plus rarement, des queues de cerises diurétiques et de la camomille. Cette véritable fortune d'herboristerie était jalousement contenue dans des petits sachets en papier réclamés (récupérés) disposées dans le placard ajouré à côté de l'évier. Les plantes les plus utilisées étaient placées dans les plus grands pots carrés, aux extrémités des deux séries d'alignements décroissants en 127
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poupées russes. Ils décoraient le dessus du buffet bas de la cuisine, marqués, farine, thé, sucre, sel... Le dernier, le plus petit pot, contenaient des objets curieux, hétéroclites, comme des boutons, des bouts de ficelles en couleur et dorés récupérés sur divers paquets cadeau, des pierres à briquet attendant patiemment leurs futures étincelles dans un petit tube de verre, avec son bouchon de liège en réduction. Adorable.... Que ce soit l'hiver ou l'été, nous y avions droit à ce moment de détente et de convivialité. Les tasses disparates étaient disposées en cercle. Chaque enfant avait sa préférée, la mienne évasée, un peu plus épaisse que les autres. Au fond, la céramique craquelée évoquait une poterie antique. Elle était ceinturée par un double liseré bleu outremer. Une pièce rare de « l'archéologie familiale ». La boîte en métal contenant le sucre en morceaux était décorée avec les fables de 128
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La Fontaine : la cigale et la fourmi et toute la série de personnages traités en lithographie comme des images d'Épinal aux couleurs ambrées. La fameuse fable se déroulait sur les quatre côtés. Une des premières bandes dessinées, exposée sous nos yeux le soir et au petit déjeuner. Une boîte, qui nous souhaitait le bonjour et bonne nuit, en couleur. La camomille et sa douce amertume était aussi utilisée en antiseptique. Dans un petit verre à liqueur, la tête en arrière, nous faisions baigner l'œil malade. Cela éliminait très efficacement l'orgelet naissant. En hiver, après l'infusion rituelle du soir, nous montions nous coucher à l'étage. Le petit cabinet de toilette et les W.C. situés sur le palier recevaient nos derniers hommages de la journée, avant que nous rentrions dans la chambre glacée. Pour éviter d'avoir froid en nous déshabillant, ma grand-mère disposait une assiette remplie d'alcool à brûler, 129
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qu'elle enflammait. La mise en pyjama se faisait devant ce réchaud improvisé, nous mimions des danses indiennes en faisant les pitres. La petite flamme bleue dansante occupait la surface entière de l'assiette, cette combustion bénéfique mourait doucement en dégageant une odeur agréable. En rentrant dans le lit, nous n'avions aucune crainte, sa douce tiédeur nous signalait que le terrain avait été occupé par une bouillotte ou une brique bien chaude, enveloppée d'un linge. Ma grand-mère possédait toute une batterie de briques vernissées avec des inscriptions sur les faces, deux trous comme des cassettes vidéo. Elles passaient leur temps, toute la journée stockées au chaud, dans le four de la cuisinière. Des bouillottes complétaient la panoplie de doux chauffage. L'une était en cuivre comme un obus de 14, une autre en céramique avec un bouchon de bouteille de bière, et plus moderne, celle en caoutchouc rose. 130
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Dans le lit, des zones plus froides nous faisaient faire les ciseaux avec les jambes jusqu'à obtenir une unité de température idéale pour passer une bonne nuit. Très souvent ces moments d'agitations déclenchait les rires et les chahuts immédiatement stoppés par l'intervention de mon grand-père « en panel » de chemise de nuit. Lorsqu'il se montrait habillé comme ça, mon oncle l'avait surnommé le Romain : « 22 le Romain ! » disait-il, lorsque nous franchissions un peu trop les bornes. Des bisous, et ma grand-mère éteignait la lumière.
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Le village, théâtre d'opérations. Enfants, nous jouions à cache-cache dans tout le village, au « 51 ». Celui (ou celle) qui se collait contre un mur, comptait jusqu'à 51 à haute voix, appuyé sur ses bras croisés sans regarder, ensuite il (ou elle) recherchait les autres. Cachés sous des porches, dans les paillers, bien souvent en petits couples, ce jeu nous procurait un doux prétexte. Nous étions en communion avec la nature et les éléments, tapis contre un mur ou contre une vieille porte de grange, souvent simplement couchés dans l'herbe. J'ai encore l'odeur des foins coupés et la vision des brins de paille dans nos cheveux. Le nez contre un mur, on avait le temps de contempler tout un monde d'une petite végétation de plantes grasses. Sur les murs en tuf, sorte de pierre en forme d'éponge, couleur orange, il y poussait des petites fougères aux feuilles très dentelées. Dessous, elles étaient 132
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parsemées de spores d'un jaune orangé vif, très colorant. La racine avait le goût du réglisse. À côté, il y avait une plante avec les feuilles comme un immense t r è f l e (chélidoine). Elle soignait les verrues avec sa sève d'un orange très tachant. Pas très loin à quelques centimètres, des plantes grasses comme des palmiers en miniature, et à côté une colonie de petits choux en ribambelle. Cette flore, on se l'imaginait à notre échelle. Un paysage préhistorique merveilleux. J'aimais bien observer cette nature en macro-vision et voyager à travers elle. Étions nous inspirés pour cela ? L'âme du Chanoine Coste était très présente. Il avait habité le village où il préparait son fameux herbier et répertoriait la flore comme personne n'a eu assez de passion pour le faire depuis. Brin à brin, de l'herbe banale aux plantes les plus rares. Très tôt le matin, pour aller ensuite herboriser dans la nature, il 133
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donnait des cours de catéchisme aux enfants du village, ma grand mère en conserve un souvenir ému. « C'était un savant ! » Disait-elle. Son œuvre et sa flore sont encore la référence de base dans le monde scientifique. Aucun autre homme n'a encore égalé son travail. Pour lui, cela devait-être une mission. Le village porte sa mémoire en force. Une source de créativité, de réflexion, de valeurs. Bien d'autres personnages célèbres des arts, des sciences et des lettres ont connu le village et y sont toujours restés attachés. On le ressent. Bien loin de ces considérations scientifiques et culturelles, on faisait de temps en temps des âneries du style frapper aux portes. Un exemple fumant, une mémé qui vivait seule, occupait une maison près du ruisseau en face du grand abreuvoir. Son fils était au grand séminaire. Elle ne sortait guère. Un peu farouche, elle fréquentait néanmoins ma 134
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grand-mère, elles étaient bien copines. Le tuyau d'écoulement d'eau de son évier aboutissait directement à l'extérieur, au pied de sa maison, l'eau s'écoulant dans un petit caniveau en ciment pour éviter le ravinement. Mes copains, (pas moi…) avaient bourré le tuyau avec de la paille et du soufre avant d'y mettre le feu. Le résultat fut très rapide : quelques minutes après, la fumée épaisse et jaunâtre envahissait la pièce par le trou l'évier qui bien sûr ne comportait pas de siphon. La fumée sortait même par le dessous de la porte d'entrée ! La pauvre femme évacua les lieux immédiatement, les bras en l'air, vociférant du haut de son perron, en Français, pour se faire comprendre du plus grand nombre : « Bande de petits galopins, vous allez voir si je vous attrape ! » Nos rires lui avaient donné notre position, nous avions peur d'être reconnus et chacun détala comme un dératé, de l'autre côté du village, à 135
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l'opposé et attendit que tout se calma. Nous n'en entendîmes jamais parler par la suite. Une autre fois, encore les copains, là, c'est vrai, avaient suspendu une grosse pierre au-dessus de la porte d'entrée d'un voisin de mes grands-parents. Cachés à côté de la maison, avec une autre ficelle, ils tiraient sur la pierre qui amorçait ainsi un mouvement de balancier, et venait cogner sur la porte comme un bélier. Il était sorti plusieurs fois avant d'admirer et de démonter l'ingénieux système. Tandis que les autres riaient comme des fous, j'étais un peu soucieux, et je lorgnais discrètement en direction de la maison d'à côté, celle de mes grandsparents. Heureusement, ils n'étaient pas encore rentrés du jardin. Ce monsieur avait un physique à faire du cinéma : maigre, un peu vouté, un grand nez. Il habitait Montpellier, et venait là pendant les grandes vacances pour se reposer, loin de la ville et de la foule des 136
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estivants. Pour goûter le calme de la campagne. Pardon Monsieur C. nous vous aimions bien. Dans la journée, il descendait en trombe de sa maison et courait jusqu'au ruisseau, de l'autre côté de la rue, le tuyau d'évacuation de ses W.C. aboutissait directement dans le cours d'eau. Ainsi, en se penchant pardessus le parapet, il pouvait constater que sa canalisation n'était pas bouchée, que sa « production » prenait bien la bonne direction, vers la mer. Nous observions souvent ce manège avec amusement, du coin de l'œil, en faisant semblant de regarder les nuages. La génération qui nous précédait ne pouvait pas nous jeter la pierre. À leur époque, c'était pareil ! Un jour, je l'ai su, quelques uns de notre famille avaient versé du jus de raisin dans le bénitier de l'église, pour attirer les mouches et les guêpes... Les bêtises ne manquaient pas au catalogue du même style, mais, malheureusement certaines restèrent anonymes et secrètes. 137
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Sur le chemin en direction de la grotte de la Cabane, une maison étrange, moderne, de style résidence de bord de mer inquiétait le paysage, celle de Monsieur B. Devant, une retenue d'eau était utilisée à faire tourner une turbine, il faisait son électricité lui-même. Monsieur B. très chic, portait souvent un costume blanc avec un Borsalino, un cigare et des lunettes de soleil. Un producteur de cinéma. Ce lieu ressemblait vraiment à un Hollywood en réduction. Il possédait deux voitures américaines décapotables. Pour nous, ce personnage difficile à classer détonait dans le village. Aucune référence pour savoir s'il exerçait une profession industrielle ? producteur ? ou autre ? Depuis, la retenue d'eau a été transformée en piscine équipée d'un système de chauffage solaire. Des pommes d'arrosoirs fixées sur un tuyau courent sur le faîtage du toit et diffusent l'eau en pluie fine. Le contact de l'air réchauffe cette bruine et l'eau se 138
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réchauffe encore sur le toit foncé et s'écoule directement dans la piscine. Ce même système de chauffage de l'eau existe aussi à la piscine du Casino de Lacaune-les-Bains, dans le Tarn, mais mieux, c'est un rideau d'eau qui descend du toit. Dans une rue, un peu plus bas, habitait un autre « phénomène » d'un autre style, de mon âge celui-là. Je ne l'ai jamais vu sans un plâtre ou sans un bras foulé ou cassé. C'était un casse-cou. Sa grand-mère, tous les jours parcourait tout le village presque au bord de la panique, pour le chercher en l'appelant. On s'amusait de le voir lever les yeux au ciel, en nous quittant pour la rejoindre. Elle craignait quelque nouvel accident. Un autre camarade, un peu plus âgé que moi, habitait à côté de la placette. Pour moi, il avait réussi, il était entré à la S.N.C.F., à Paris. Je le voyais déjà élu Président Directeur Général. La « consécration » Trente ans plus tard, dans une gare, j'ai entendu sa voix. Il ne m'a pas reconnu. 139
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En bleu de chauffe, il tenait un balai à la main, et faisait l'entretien de la salle des pas perdus. Cette rencontre continue encore de me gêner, pour moi il est toujours P.D.G. Au bout de sa rue, juste avant de monter à l'église une grande maison carrée intéressait nos appétits bien avouables. Vivait là une famille nombreuse avec des filles toutes plus belles les unes que les autres. J'eus la chance de jouer souvent à cache-cache avec l'une d'elles : Maryse, et ainsi, de griffonner de tendres brouillons. Ces expériences successives nous ont même souvent coupé la respiration. Plus loin, près de « Lou Barède » on pouvait admirer une bergerie magnifique, son toit de lauzes et l'intérieur voûté. Les anciens l'avait construite sur un très rare « plainier » (sol plat) du village. À côté, un verger exhibait des arbres sagement alignés que mon grand père aimait bien tailler. Faisait-il cela pour aider, ou bien 140
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pour son plaisir ? L'herbe du lieu, grasse et d'un beau vert tendre, fournissait du bon foin. À côté de cet endroit, habitait un de mes professeurs du collège de Saint-Affrique, Monsieur R., qui nous enseignait la géographie. Pour moi, il ne fallait pas que je me fasse trop remarquer dans un périmètre d'au moins deux cents mètres autour de chez lui. En classe, la complicité de notre voisinage de vacances, n'avait jamais été communiquée aux autres. J'étais fier et jaloux de le connaître au delà des murs de la classe. J'aimais sa façon de nous intéresser. Je pense que s'il avait été mon professeur de Français, aujourd'hui je n'importunerais pas autant de monde pour corriger mes écrits. En classe, les jours de composition, il pratiquait une méthode à lui. Les questions de géographie se succédaient comme dans un jeu. Une ambiance bon enfant planait et cela nous amusait de collectionner les points. Un jour de composition sur les 141
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États- Unis, il nous demandait : « Donnez-moi dix renseignements sur New-York ! » Toutes les réponses justes rapportaient deux points : « Il y a des immeubles hauts… La statue de la Liberté… Les taxis sont jaunes… Les habitants s'appellent des New-Yorkais...» Et ainsi de suite jusqu'à dix. Depuis, je suis allé à New-York et lorsque j'ai fait signe à un taxi, je ne l'ai pas confondu avec une ambulance. Je ne sais pas si quelqu'un le lui a déjà dit, mais je le remercie de nous avoir permis d'améliorer nos moyennes et surtout d'avoir passé avec lui des moments agréables.
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Le cadeau de ma vie. Mon oncle Louis m'avait invité à passer quelques jours de vacances avec mon cousin à Béziers. Pour me ramener chez moi, il m'avait annoncé que l'autre cadeau de ma communion solennelle était arrivé. Il m'avait déjà offert un appareil photo et un stylo à plume en laque bleue sertie d'or. L'autre cadeau merveilleux fut de conduire un train. Pour un Parrain, voilà un vrai Parrain ! Je le remercie encore pour cette idée. Conduire le train de voyageurs BéziersNeussargues et Paris, dans la partie la plus rapide, Béziers-Bédarieux, le cadeau s'annonçait bien. Au delà, dans la montagne, cela devenait un peu plus compliqué à conduire, la ligne se tortillait, tracée comme sur une maquette, avec des tunnels, des villages perchés, un paysage merveilleux. Au petit matin, nous nous rendîmes au dépôt 143
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de Béziers où la BB 4100 nous attendait, couplée avec une autre qui allait l'aider à gravir les rampes. Son aspect carré, ses pantographes en losange, ses trois parebrise plats, ses grilles d'aération sur le côté, un jouet en vrai. Monter dans cette grosse bête verte me procurait un immense plaisir. Le pare-brise central était sur la porte de communication entre les deux locomotives. Pour accéder dans l'autre machine, il fallait passer dans le couloir central formé par les grilles de protection des puissants moteurs électriques, et au bout, sur deux plaques articulées au-dessus des tampons, l'autre cabine. Elle se situait après deux longueurs de couloir. L'odeur de l'électricité, je la connais, âcre et acide. L'intérieur de la cabine avait une couleur vieillie, patinée d'un beige jauni. Un tableau de bord sommaire avec vis, boulons et soudures apparents. Une image de puissance et de labeur transparaissait par ces détails bruts. 144
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Un aide mécanicien (un gaffet) assistait mon oncle. Il démarra la machine. Après avoir monté les pantographes dans un claquement de connexion, nous sentions déjà vibrer l'engin. Les compresseurs entraient en action en laissant échapper des souffles d'air comme pour se préparer à l'effort. Les moteurs, dans un miaulement, entraînaient la lourde masse. La manœuvre d'attelage du train se déroula au milieu d'une forêt de signaux lumineux, rouges, verts, blancs, violets. En avant, en arrière, mon oncle fit accrocher le convoi, guidé par un employé perché sur le marchepied de la locomotive de derrière. À l'aide d'un drapeau rouge qu'il balançait jusqu'au contact des tampons entre les machines et les wagons, en douceur. Dans les cabines de conduite il n'y avait pas de siège pour le conducteur. Mon oncle me décrivait qu'il sentait la machine sous ses pieds, comme un cheval. Les imperfections de la voie, il les ressentait 145
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toutes, et devait les signaler à chaque arrivée, au service d'entretien du dépôt. Aujourd'hui, certaines de ces machines roulent encore dans les gares de triage. (où est la mienne ?) C'est fou, comme ce s t o n n e s de f e r r a i l l e p e u v e n t m'émouvoir encore à ce point. Pour moi, ces BB sont belles, et je ne me lasse pas de les contempler en modèle réduit sur mon meuble de séjour. Je sais que beaucoup de gens partagent les mêmes sentiments que moi par rapport à ces outils. « Le train 826 quitte Béziers à 18 h 18 c'est un train marchandises-voyageurs, un de ces chers trains « MV » que je préfère de très loin à tous les grands rapides du monde. Le feu vert sur notre voie et le coup de sifflet ordonnèrent le départ. La manette en cuivre commandant les freins desserrée de la main gauche, dans un souffle aigu d'air comprimé. Mon oncle lançait la première manette de dix crans avec l'autre main, puis revenait à « 0 ». 146
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Il passait un cran à la deuxième manette plus grande, devant lui. Le train roulait. La vitesse s'obtenait progressivement après toutes ces manipulations, d'une manette à l'autre. Dès que nous avons quitté la gare de triage, nous nous engagions sur la voie dite de « la montagne ». Après quelques kilomètres, mon oncle me donna les commandes. J'ai ressenti une très forte émotion avec en même temps un sentiment de puissance à ce moment là. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous le transcrire ici avec toute son intensité. Avant de rentrer sous un tunnel, il fallait penser à allumer l'éclairage des wagons de voyageurs. Au panneau « S » des coups de sifflet en réduisant la vitesse exactement comme indiqué sur le panneau de limitation posé à gauche de la voie. Puis, faire ces manipulations inverses en sortant… Cette ligne passe sous beaucoup de tunnels, impossible de s'endormir aux commandes. 147
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Les gardes-barrière nous saluaient. Leurs gestes étaient accompagnés par la sonnette dont le son s'évanouissait avec leurs silhouettes. Cela se voyait en sortant la tête par la fenêtre en vérifiant que le convoi suivait bien. Dans les courbes on observait l'arrière du train. Mon oncle était connu comme le loup blanc sur toute les lignes et dans toutes les gares du Midi. On l'appelait « Le Pèque Louis » (Le petit Louis). C'était un joyeux drille, un camarade efficace pour ses collègues par son action de syndicaliste de la première heure. Il préférait largement « faire » cette ligne plutôt que celle des rapides de la plaine Languedocienne entre Marseille et Toulouse. Surtout lorsqu'il conduisait des trains rapides ou des trains de marchandises d'une longueur interminable de wagons citernes remplis de matières dangereuses ou de longs trains céréaliers.
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À l'arrivée en gare de Bédarieux, la marquise du quai ne se présentait pas en face de nous. Impressionnant de s'apercevoir qu'en réalité, votre destin était aiguillé et décidé par d'autres. L'évitement d'un train en stationnement, juste en face sur notre voie se faisait au dernier moment, grâce à l'aiguillage bien enclenché. Une certaine confiance régnait dans la cabine, en vérifiant la trajectoire avec les signaux blancs horizontaux. Même en freinage d'approche, cette situation provoquait des sensations angoissantes. Mon oncle me racontait que cela alimentait ses cauchemars, avec une autre situation tout aussi terrorisante, brûler le double feu rouge. Ce stop, impérativement infranchissable, signale qu'un autre train est devant vous, sur la même voie, soit à l'arrêt soit en panne, soit simplement retardé. Le brûler et l'accident mortel emportera le mécanicien. En revanche, je savais qu'il racontait beaucoup de 149
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blagues à ses collègues dans la cabine pendant les attentes sur les voies d'évitement et à l'extérieur. Il aimait bien prendre des moments de repos-repas au buffet de la gare de Millau où un chef cuisinier de première catégorie exerçait ses talents. Ses haltes préférées étaient toutes notées dans son petit guide Michelin du Rail personnel. La gare de Nîmes aussi avait ses faveurs. Je n'ai pas eu d'explications suffisantes pour vous en parler. Je sais que l'accueil des salles de repos lui procurait beaucoup de confort. Au terme de mon expérience, à l'arrivée à Bédarieux, félicitations du chef de train et du chef de gare, j'avais stoppé « mon train » en gare au bon endroit. J'avais cru entendre, une voix venant directement du P.D.G. de la S.N.C.F en vacances à Bédarieux (à cause de l'accent). Il m'a dit : « Hé bé petit, même pas une secousse… C'est bien ! » 150
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La gloire ! Mon oncle et son aide partagèrent aussi ces compliments en me tapant gentiment sur l'Êpaule. Le bonheur !
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La fête votive au village. Les vieux garçons du village visitaient les maisons pour quêter, ils passaient « la paume » et, grâce à la générosité des habitants, récupéraient un peu d'argent pour le comité des fêtes. D è s l e m a t i n d u j o u r « J », les organisateurs officiels, anoblis pour un jour, s'affairaient pour les préparatifs. Ils nous recrutaient pour les aider et debout sur une charrette attelée à un tracteur de l'un d'eux, nous partions vers les berges du ruisseau, endroits où le buis poussait très abondamment, nous allions couper des branches et plus loin, des genêts en fleurs. Une décoration pour l'estrade formée par une charrette disposée le long d'un mur, sur la place au-dessus de la nôtre. Les femmes avaient confectionné des fleurs en papier crépon de toutes les couleurs pendant des veillées communes. Nos copines les fixaient avec un petit fil de fer sur les parois de branchage. Cette 152
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verdure naturelle camouflait entièrement la charrette et formait ainsi un podium de verdure. Des guirlandes en papier de couleur traversaient la place, de lampadaires en poteaux électriques. Le technicien en chef de la sonorisation disposait les haut-parleurs en cornets métalliques, et essayait le son avec son micro : 1-2. 1-2-3...4. La buvette commençait à fonctionner, elle avait ouvert un peu avant que toute l'installation soit complètement terminée, le travail donnait soif. Des blocs de glace seraient placés au dernier moment dans les lessiveuses, pour maintenir les bouteilles au frais. En fin d'après midi, nous laissions le lieu sans vie… Juste le temps d'aller souper et ensuite se faire une petite beauté pour la soirée. La musique avait commencé, on entendait surtout vibrer la grosse caisse, le batteur, n'était pas trop délicat, il tapait 153
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comme un malade sur ses caisses pas toujours très claires. Il cognait comme un bûcheron coupant du bois pour l'hiver. Le guitariste scandait comme une brute les envolées d'un accordéon pas encore essoufflé. Une polka d'enfer, des Perles de cristal, maison. C'était une Riviera rurale magnifique. Les « belles » attendaient leur cavalier, qui, laissant pour un moment leur mégot, souriaient à pleines dents, même s'il en manquait quelques unes. Le répertoire un peu limité du grand orchestre de trois musiciens n'importunait personne, et cela permettait même de s'exercer d'une danse à l'autre. À la buvette, les anciens pariaient sur les alliances, envisageaient et projetaient un remembrement des parcelles de terre dans leur tête. Les enfants couraient au milieu des danseurs en lançant des poignées de confettis et des serpentins. Ils s'en prenaient des fois à de jeunes couples qui ne cachaient pas leurs 154
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penchants, en chantant : « Les amoureux, la la la ... » Les vacanciers s'amusaient aussi, même les couples de « Parisiens ». Il faut dire que nous ne connaissions pas encore les touristes avec tout ce que cela comporte. Les gens venaient par amour du lieu, en épousant ses traditions et ses coutumes. Un respect nécessaire pour bien vivre des vacances harmonieuses. Et en plus, on ne passait pas à Saint-Rapadou, le cul de sac nous protégeait. Les flonflons s'estompaient aux premières heures du lendemain. Pendant ce temps-là à Liverpool, les Beatles astiquaient leurs guitares. Quelques temps plus tard sans le vouloir, ils feront tourner la page de cette époque. On le ressentait déjà. Dans le village des couples d'Italiens habitaient, des bergers spécialistes. Ils connaissaient les derniers tubes de la variété. Des disques 45 tours, crachotant leurs mélodies et autres succès sur leurs tourne-disques « Teppaz ». 155
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C'est sur un de ces électrophones que j'ai entendu la première fois les chansons de Johnny Halliday : « Laisse les filles et quarante mille baisers » ou je ne sais plus com- bien exactement.
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La vie cathodique. « Au fait, on parle, on parle, mais, je ne vous ai pas encore précisé que mes grands parents avaient eu trois enfants. Madeleine, ma mère, Pierre et Louis, mes deux oncles. Ils travaillaient tous les deux à la C.N.C.F ( Pardon ! à la S.N.C.F.) » L'oncle Pierre, je ne vous l'ai pas présenté, il était tellement discret et calme. Il travaillait comme inspecteur divisionnaire S.N.C.F. à Marseille puis à Narbonne. Il bidouillait dans la radio, il avait tout le temps un fer à souder à la main. Sa bibliothèque pliait sous tous les numéros de Science & Vie. Bricoleur de génie, et même « Pro » par ses fonctions, il nous avait fabriqué : un poste de radio portable, à écouter dehors. C'était impensable à l'époque, presque miraculeux. Ce récepteur était blotti dans une caisse en contreplaqué peinte couleur crème. Les angles vifs comme un 157
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designer n'aurait jamais osé créer. À l'intérieur, une grosse pile était logée et maintenue par des gros élastiques. Cette boîte à musique était l'ancêtre des transistors portables des années Yè-Yé, ils allaient inonder notre univers quelques années après. Mon oncle Pierre avait offert une télévision à mes grandsparents. Une télé fabrication maison, avec une caisse en bois vitrifié. C'était la première du village, une télé Zitronienne. Avec sa chaîne noir et blanc et même gris et blanc. Je me souviens de la journée de l'installation, aidés par son frère Louis, ils montèrent sur le toit de la maison pour placer l'antenne. Je pense que, sans le savoir, ils avaient participé à l'agonie de nos soirées en promenades étoilées. En plaçant l'antenne contre la cheminée, avec le recul, ça me donne l'impression d'avoir assisté à une mise à mort d'une immense baleine. Notre maison piquée par cette antenne, en plein cœur, n'allait 158
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plus être la même, petit à petit. Tout cela a basculé en douceur, insidieusement avec Nounours, Thierry la fronde et la piste aux étoiles. Mon grand-père n'était pas un fanatique de cette fenêtre, des soirs il invitait des voisins pour des soirées mixtes, belote-télé. Une petite goutte après la tisane, des cerises dans l'eau de vie ou bien des grains de raisin muscat bien craquants. Il présentait fièrement l'œuvre de son fils. Des jeunes femmes avec des chignons dressés en l'air à côté de bouquets verticaux annonçaient les programmes, ou plutôt qu'ils allaient reprendre, et vous larguaient un interlude avec le petit train rébus, interminable. En vieillissant, cette télé ayant pris pas mal de coups de poing sur le dessus, elle rendit l'âme, pour être remplacée par la couleur. Ça tombait bien.
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Histoire vraie & réflexion. Dans le village, une amie de la famille nous avait raconté une de ses aventures. Un soir, en descendant chercher du vin à sa cave, sous le porche, elle avait senti une présence, comme une ombre. Un homme, le souffle court, s'approcha d'elle. Elle poussa un petit cri en allumant la lumière sous la voûte, elle reconnut immédiatement l'intrus. Un voisin, son ami d'enfance. Ils étaient tous les deux à la retraite, et approchaient allègrement des quatre vingts ans chacun. Tous les deux veufs depuis pas mal d'années. Elle, vivait à la ville et venait tous les ans pour les vacances. Dans un éclair de vitalité, leurs yeux n'avaient fait qu'un tour. Un vertige furtif. Elle repoussa doucement son éternel chevalier et le pria de remonter sur son percheron blanc qui devait être fatigué d'avoir galopé autant de temps pour assister à ce résultat. 160
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L'émotion, à son comble, il lui demanda un service dans la langue occitane de leur jeunesse : « Adrienne, se n'en fas pas rés, prèsto lou me ! » (si tu n'en fais rien, prête le moi !) Elle, le feu au joues, l'éloigna sans brusquerie en lui disant doucement : « Saïques nou ? » ( tu n'y penses pas ? ). Troublée par cette déclaration un peu brutale et tardive, elle demanda à son doux agresseur de reprendre ses esprits. Cela ne l'empêcha pas de revivre des épisodes de sa jeunesse. C'est vrai, elle se souvient des signes de tendresse de son soupirant attitré qu'il était déjà. Lui il avait dû ruminer sa déclaration depuis des années, elle était résiduelle, et un peu trop directe. Cela donne raison à la chanson de Jacques Brel, « On a vu souvent, rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux »… Ces enfants, autrefois n'étaient pas de la même classe sociale, leurs mondes bêtement parallèles les éloignaient. 161
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Lui à la terre, elle dans la fonction publique. À l'époque, leur union aurait fait désordre dans la société... Je pense là, en leur rendant hommage à tous les vieux garçons qui ont honoré leurs héritages avec leur mission : Cultiver leur Terre. Alors que les femmes partaient vers la lumière, à la ville… Pauvres alouettes…
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Supplique pour notre terre. Comme j'étais un abonné sur la ligne Air Littoral : Bordeaux-Montpellier, l'avion est déjà en descente lorsqu'il passe sur Saint-Rapadou pour se poser quelques minutes plus tard à MontpellierMéditerranée. À chaque voyage, par temps clair, je regardais le village d'en haut. Ce petit monde que je voudrais préserver. Qu'il soit même protégé. Jamais je n'accepterai de dénaturer son paysage avec une construction nouvelle. Que jamais un idiot ne trouve ce lieu assez beau pour en faire un parc d'attractions, ou je ne sais quoi d'autre. Que jamais un industriel du rêve ne s'en empare. Qu'il reste sous les palmiers, sur le sable chaud et s'occupe d'améliorer son chiffre d'affaires et ses performances. Et toujours plus loin ! 163
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À... Benjamin et Lucie Maurel. Lucia, Paul, Etiennette et Léon, Maurel. Madeleine, Pierre Rouquayrol et Louis, Rouquairol. (avec un i au lieu de y) Denise et Jeanine, Maurel Jean et Annie Aigouy Jean-Pierre, Claude et Bernard, Maurel. René, Pierre et Jacqueline, Rebichon. Richard Rouquairol. Liliane Rouquayrol. Pierre et Françoise, Leroux. Danièle et Jacques, Aigouy... Et à tous les jeunes, présents ce mois de février 1996 et aux autres, en commande ou à commander
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Remerciements : Je remercie ici chaleureusement mon frère René, témoin privilégié de ces émotions partagées, de ce fait, très vite propulsé correcteur en chef. Monsieur Jacques Peyre, (Jacques Vaizy de son nom de plume), pour la mémoire écrite de l’Occitan. À mes amis lecteurs et correcteurs cobayes des quatre coins de la France : Jean-François de Montvalon parisien véritable, Antoine Guillet le breton à pipe d’écume, Bernadette de Mullenheim l’alsacienne de pure souche, Henri Girard picto-charentais pur jus...
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© SDGDL 1996 Pierre REBICHON Adapté en juin 2018 rebichon@gmail.com
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