2010 Revue et programme des Amis de l'Abbaye de Montheron

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AssociAtion des Amis de l’AbbAye de montheron

2010

REVUE DES AMIS DE L’ABBAYE DE MONTHERON

PROGRAMME


SOMMAIRE Programme des manifestations Résurrection ou l’émergence du site historique de Montheron au XXe siècle Gilbert Coutaz L’hydraule d’Avenches (orgue romain) Michel Fuchs

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CHANTEZ ET DANSEZ,

MARCHEZ ET ÉCOUTEZ! Soyez actif, participez! Venez chanter et danser à la journée de stage choral (samedi 11 septembre dès 10h00, chants de louange africains, avec Dominique Tille) ou venez à l'excursion en balade aux abbayes, orgues et carillons (Samedis 29 mai et 25 septembre, excursion dans la vallée de l'Aar)! Le chant, la respiration, la musique en nous et hors de nous, le mouvement musical, les ondulations du corps en quelques pas dansés suivant les sons de la voix, qui lance la musique dans l'espace, comme les gestes sont musique spatiale: Chantez et dansez maintenant! Daniel Thomas, président AAAM

L’Association des Amis de l’Abbaye de Montheron est membre de la Charte européenne des abbayes et sites cisterciens Impressum Éditeur: Association des Amis de l’Abbaye de Montheron Daniel Thomas, président – Ch. de Beaumont 8, 1053 Cugy – Tél. et fax: 021 731 25 39 – aaam@carillonneur.ch – www.abbayedemontheron.ch Compte postal: 10-216 82-4 Comité: Pierre Margot, vice-président – Jacqueline Chave, Jean-Louis Dos Ghali, Michel Fuchs, Pierre Golaz, Antoine Jacquenoud, Madeleine Nicole, Maryse Perret, Jean-Denis Roquet Création et impression: Atelier Grand SA, Le Mont-sur-Lausanne Photo de couverture: Fouilles de 1928, abbaye de Montheron, photo Archives Cantonales Vaudoises ISSN 1661-6979

LE COMPTOIR DU BOIS SA Industrie et commerce du bois

Scierie et commerce de bois à Montheron Tous bois de construction et d’intérieur • Tous débits de bois et panneaux Atelier de débitage et commandes 1008 Prilly • Ch. des Pâquis 1 • Tél. 021 621 89 20 • Fax 021 621 89 25 www.comptoirbois.ch


PROGRAMME 2010

ASSOCIATION DES AMIS DE L’ABBAYE DE MONTHERON Pour plus d’informations, consultez le site internet: www.abbayedemontheron.ch Office chanté

Mercredi Saint 31 mars à 19h Église de Montheron

OFFICE DES TÉNÈBRES Ensemble Ex Corde dir. Bertrand Décaillet. L’office des Ténèbres: il s’agit de l’office de Matines et de Laudes de chacun de trois jours saints, méditant la Passion du Christ, office composés des 9 psaumes, 9 leçons, 9 répons des Matines, auxquels s’ajoutaient les 5 psaumes des Laudes et le Cantique du Benedictus, soit 15 psaumes en tout – une louange qui durait 2 à 3h. Entrée libre, collecte.

Concert

Vendredi Saint 2 avril à 20h Église de Montheron Concert spirituel de Vendredi Saint Ensemble Ex Corde dir. Bertrand Décaillet. A l'orgue Daniel Thomas. Le répertoire de la semaine sainte est certainement, dans tout le répertoire sacré, le plus beau! Au cœur de cette semaine sainte démarquée parmi cette beauté, l’adoration de la Croix le vendredi saint; était un sommet. Aussi bien dans le répertoire grégorien originel; que dans les commentaires polyphoniques ultérieures (Palestrina, Willaert, Cristobal de Morales…) la Croix y est lumineuse et royale, d’autant plus lumineuse que le chantre sera descendu dans la ténèbre de son cœur (office des Ténèbres) pour demander pardon et miséricorde pour son péché. Seule la Croix se lève, érigée sur le faîte du monde, montrant royalement comment Dieu aime! Informations: www.excorde.ch Entrée libre, collecte.

Concert

Jeudi 8 avril à 20h Église de Montheron

CHŒUR D’ENFANTS DE LA RADIO-TÉLÉVISION DE ST-PÉTERSBOURGH 40 choristes, piano. Chants orthodoxes russes et mosaïque musicale, chansons populaires russes, Stravinsky, Glinka, Rachmaninov. Direction Stanislav Gribkov. Entrée libre, collecte.

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Office chanté

Dimanche 2 mai à 17h00 Église de Montheron

CHOEUR DE LA CATHÉDRALE «GOTT IST MEIN KÖNIG» «DIEU EST MON ROI» Direction Jean-Louis Dos Ghali Solistes, ensemble intrumental. Johann Sebastian Bach (1685 – 1750) Cantate BWV 71, écrite à l’occasion de l’élection du Conseil municipal de la ville de Mulhausen, cette cantate est la 3e que J S Bach ait composée. C’est aussi la 1ère présentée pour une telle circonstance. Il la présente lui-même comme un motet. Les textes bibliques qui forment la trame du livret – probablement écrit par le Pasteur Georg Christian Eilmar, un ami de Bach – sont soigneusement choisis pour donner à cet événement toute sa portée tant politique que spirituelle: remercier l’ancien conseil, accueillir la nouvelle équipe; et rendre grâces à Dieu. Entrée libre, collecte.

Festival

8, 9 et 15 mai Église de Montheron

FESTIVAL DE GUITARE DE LAUSANNE Samedi 8 mai 2010 à 20h et dimanche 9 mai à 17h, samedi 15 mai à 20h Informations et réservation sur le site: www.festivaldeguitare.ch

Sankt-Urban, photo D. Thomas

Excursion

Samedi 29 mai et samedi 25 sept. départ Montheron à 8h

EXCURSION DANS LA VALLÉE DE L'AAR Cette année, nous vous proposons la découverte de deux anciennes fondations cisterciennes, Sankt-Urban (1192) et Frienisberg (1131), toutes deux descendantes de Morimond, par Bellevaux (comme Montheron) et Lucelle (JU). – Blottie au creux d’un vallon verdoyant non loin d’Aarberg, Frienisberg mérite d’être découverte depuis la route venant de Berne par Meikirch.

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– Erigée sur sol lucernois, Sankt-Urban a échappé aux destructions liées à l’introduction de la Réforme. Mais, comme la plupart de ses sœurs alémaniques (St-Gall, Einsiedeln, Wettingen), elle a été totalement reconstruite au XVIIIe, dans le style baroque caractéristique de cette époque, selon les plans de Franz Beer, architecte venu du Vorarlberg. Nous aurons aussi l’occasion d’apprécier, sous les doigts de Daniel, les sonorités superbes de l’orgue dû à Joseph Bosshart de Baar (ZG). Fort bien restauré, il est le plus grand et le mieux conservé des instruments de cette époque en Suisse. – Nous entendrons encore lors de notre balade le long de l'Aar, le charmant carillon de 25 cloches de la cité médiévale de Zofingue, et nous verrons aussi la grande colonie de cigognes d’Altreu au bord de l'Aar. Renseignements, inscriptions au Tél/Fax 021 731 25 39 ou www.abbayedemontheron.ch ou aaam@carillonneur.ch.

Concert

Dimanche 30 mai à 19h30 Église de Montheron

LES OISEAUX ET LA FORÊT - FRANÇOIS MARGOT, ORGUE Extraits du Buxheimer Orgelbuch et de Rameau et Couperin, transcriptions d'auteurs romantiques (Schumann, Heller, Grieg et Niemann); extraits de la «Suite médiévale» de Pierre-André Bovey ( avec un «Rossignol»), extraits de «Sanahin» de Alan Hovhaness, et pièces en duo de F. Margot («Invasion de coucous» ) et D. Thomas. Entrée libre, collecte .

Concert

Samedi 5 juin à 15h Église de Montheron

HANDGLOCKENKONZERT HANDBELLS CONCERT DE CLOCHES « À LA MAIN » Ensemble de cloches de Romanshorn Direction Matthias Blumer. Oeuvres originales américaines pour cloches à la main et adaptations pour orgue et cloches d'oeuvres de S.S. Wesley, J. Bull, J.S. Bach. Entrée libre, collecte.

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Balade

Samedi 26 juin à 9h24 Montheron (La Râpe, arrêt bus 60)

BALADE BOTANIQUE VERS L'ABBAYE DE MONTHERON Deux heures de promenade dans le vallon profond où coule le Talent nous permettront d'y distinguer des milieux très variés: zones d'alluvions, ravins, pentes abruptes, bords de plateaux, ruisselets, ... Nous apprendrons à reconnaître quelques plantes qui apprécient ces différents milieux où terrain, soleil et humidité jouent un rôle déterminant. Un petit concert de fleurs musicales aux orgues de l'abbaye couronnera notre promenade. ( Pour votre confort et votre sécurité il est recommandé d'être bien chaussé.) Départ 9h24 arrêt Montheron, bus no 60 direction Froideville (Lausanne FIon 8 h 58) Retour 12 h 38 même endroit, bus no 60. Lausanne Estivale.

Balade

Samedi 3 juillet à 9h

ENTRE ARBRES ET VIEILLES PIERRES Balade à vélo avec Lausanne Roule Départ: 9h00 terminus du M2 aux Croisettes. On peut prendre un vélo à 8h30 à Lausanne Roule – Pl. de l’Europe 1b (Arches du Grand-Pont) puis trajet en M2 jusqu'aux Croisettes. Durée: entre 2h30 et 3h L'Ancienne Abbaye cistercienne de Montheron, ses orgues et la forêt. Cet itinéraire va vous faire découvrir le bucolique ruisseau du Talent, dans la forêt du Jorat, et au milieu de la forêt, une ancienne abbaye, avec une petite visite de son site et écoute de ses orgues charmants. Renseignements: 021 533 01 15 – www.lesbaladeurs.ch Lausanne Estivale

Balade

Jeudi 22 juillet à 15h30

«PETIT VOYAGE DANS LA MUSIQUE ET DANS LES BOIS » Promenade découverte en famille pour les 3-7 ans et plus Départ: 15h30 à l'Abbaye de Montheron à l'arrêt «Montheron» Arrivée: 18h au même endroit. C’est à pas feutrés et l’oreille bien affûtée que nous nous aventurerons dans les bois du charmant vallon de Montheron pour attraper des sons. Nous collecterons en marchant de jolis petits bruits comme le gazouillis des oiseaux, le bruissement des feuilles, le clapotis de l’eau et bien d’autres encore. Puis, avec des petits trésors trouvés en chemin, nous fabriquerons nos propres instruments pour créer des sons de toutes sortes. Après s’être faufilés par un passage secret, les musiciens en herbes pourront improviser une petite mélodie sur un orgue merveilleux. (Pour votre confort et votre sécurité, il est conseillé d’être bien chaussé.) Lausanne Estivale.

Balade

Samedi 24 juillet à 9h

ENTRE ARBRES ET VIEILLES PIERRES Balade à vélo avec Lausanne Roule Même programme que le 3 juillet. Lausanne Estivale

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Concert

Samedi 31 juillet à 18h Église de Montheron

LES ANIMAUX DE LA FABLE Concert pour les enfants de 3 à 103 ans Avec la participation de Cie Elle P Danse Panja Fladerer & Luc Richard, d'Anne-Catherine Thomas et de quelques enfants, animations, danse expressive et créative, récits avec les fables de La Fontaine: la laitière et le pot au lait, la cigale et la fourmi, le corbeau et le renard, le rat des villes et le rat des champs, racontés et chantés par le ténor Andrés del Castillo, accompagné à l'orgue et au clavecin par Daniel Thomas dans la version musicale de Jacques Offenbach. Lausanne Estivale. Entrée libre.

Balade

Samedi 7 août à 9h24 Montheron (La Râpe, arrêt bus 60) Balade botanique vers l'abbaye de Montheron Même programme que le 26 juin. Lausanne Estivale.

Balade

Jeudi 19 août à 15h30 Abbaye de Montheron Promenade découverte en famille pour les 3-7 ans et plus Même programme que le 22 juillet. Lausanne Estivale.

Visite Visite

Vendredi 20 août à 18h45 Samedi 21 août à 9h40 Église de Montheron

« L’ANCIENNE ABBAYE

CISTERCIENNE DE

MONTHERON»

Visite guidée du site cistercien suivie d'un petit concert sur les deux orgues. Approche de l’architecture conventuelle et cistercienne, ainsi que du repli qu’imposait le choix de la vie monastique, vie retirée du monde. Lausanne Estivale.

Stage dansé Samedi 28 août dès 10h Église de Montheron et site cistercien

JOURNÉE DE DANSE SACRÉE animée par Marie-Claire Clémençon, suivie d’un office dansé le soir. Sur les traces du peuple de Dieu, nous vous invitons à vivre de tout votre corps l’expression de la prière, de la délivrance, de la joie. En cercle, sur des musiques traditionnelles du monde entier, nous danserons la Parole avec des pas simples, accessibles à tous. Par le mouvement, nous nous affranchissons de notre pesanteur pour laisser l’Esprit du Christ unifier et féconder notre terre intérieure. La danse sacrée, ancrée au plus loin de nos origines, libère notre essence divine et ouvre la porte au langage de l’âme, dans une démarche à la fois personnelle et communautaire. «Pourquoi le langage de la foi ne serait-il pas aussi la poésie, le chant, les jeux, l’art et la danse, et, en définitive, le geste de l’homme qui se lève et marche» (Jean-Marc Ela). Renseignements, inscriptions au tél/fax 021 731 25 39 ou www.abbayedemontheron.ch ou aaam@carillonneur.ch

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Geste et musique

Samedi 28 août à 18h30 Église de Montheron

OFFICE ŒCUMÉNIQUE DANSÉ ET CHANTÉ Danses des participants au stage de danse du jour. Mariage entre paroles, gestes, chants et musiques. Entrée libre, collecte.

Concert

Dimanche 29 août à 17h Église de Montheron

VOYAGE MUSICAL DANS LES ANDES Ernesto Mayhuire, Héctor Salazar, Rubén Uscata (musiciens du Pérou) et Daniel Thomas (Suisse), guitares, mandolines, charangos, flûtes indiennes, quenas, flûtes de Pan ou Zampoña et instruments de percussion, clavecin et orgues. Musiques du Pérou et d'Amérique latine. Entrée libre. Lausanne Estivale. Dès 14h. vente de miel de la Saint-Louis, petite restauration.

Office

Samedi 4 septembre à 10h Clos des Abbayes, chapelle du Dézaley près Rivaz

OFFICE OECUMÉNIQUE Musiques avec Ernesto Mahuire, guitare. Accueil par la Ville de Lausanne. Bienvenue à tous. Venez découvrir la merveilleuse petite chapelle des moines dans les vignes créées par les cisterciens. Entrée libre, collecte.

Conférence Jeudi 9 septembre à 19h30 Église de Montheron

L’ÉGLISE DE DERECIK ET SA MOSAÏQUE la fouille suisse d’un lieu saint du IVe siècle sur les contreforts du Mont Uludağ par Michel Fuchs Professeur d’archéologie à la Faculté des Lettres, Université de Lausanne. Entrée libre.

Stage choral Samedi 11 septembre dès 10h Église de Montheron et site cistercien

JOURNÉE DE CHANTS DE LOUANGE AFRICAINS stage choral avec Dominique Tille, chef de choeur. Chants religieux de louange ou de prière, découvert lors du projet Bénin 2008-2009, échange choral. Ces chants du Bénin amènent la joie. Chantés en Yourouba ou en Fon, langues locales du Bénin, leurs harmonies simples mais efficaces nous emportent. Quelques pas de danse accompagnent l'interprétation de ces chants. Renseignements, inscriptions au tél/fax 021 731 25 39 ou www.abbayedemontheron.ch ou aaam@carillonneur.ch

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Parole et musique

Samedi 11 septembre à 18h30 Église de Montheron

OFFICE ŒCUMÉNIQUE CHANTÉ, CHANTS DE LOUANGE AFRICAINS avec la participation des choristes du stage choral du jour, direction Dominique Tille. Entrée libre, collecte.

Excursion

Samedi 25 septembre départ Montheron à 8h

EXCURSION DANS LA VALLÉE DE L'AAR Même programme que le 29 mai (voir à cette date) Renseignements, inscriptions au Tél/Fax 021 731 25 39 ou www.abbayedemontheron.ch ou aaam@carillonneur.ch

Le Chœur des jeunes à Romainmôtier, photo: Jean-Denis Borel

Concert

Samedi 4 décembre à 15h Église de Montheron

CONCERT DE NOËL NOËLS DU MONDE Chœur des Jeunes de Lausanne, direction Dominique Tille. Les plus belles pages de musique chorale de Noël à travers le monde, a capella. Entrée libre, collecte. Concert

Dimanche 26 décembre à 15h Église de Montheron

CONCERT DE NOËL CAROLS EN DUO Carols anglais, Noëls français, Villancicos d’Amérique Latine. Catherine Rouard, soprano, Andrés del Castillo, ténor, Daniel Thomas, clavecin et orgue. Entrée libre, collecte.

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Fondation Musée du Chat

Mme Dominique Genier

Bureau : Trési 6A CP 124 1028 Préverenges Tél. 021 802 62 30 info@cats-museum.ch

Quand partenariat QHLD @UDB BNMÅ@MBD Banque Raiffeisen du Gros-de-Vaud Route de Lausanne 3, 1040 Echallens, Tél. 021 886 20 40 Agences: Le Mont, Froideville et Prilly Bancomat: Echallens, Le Mont, Cugy et Prilly www.raiffeisen.ch/gros-de-vaud

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GILBERT COUTAZ

RÉSURRECTION OU L’ÉMERGENCE DU SITE

HISTORIQUE DE MONTHERON AU Ce que nous savons aujourd’hui de l’ancienne abbaye cistercienne de Montheron est en fait de date récente. L’édition de 24 heures du 3 avril 1976 titrait: «Extraordinaires découvertes à Montheron. L’ancienne abbaye cistercienne du XIIe siècle prend aujourd’hui une importance nationale.» Certes, les fouilles archéologiques entreprises en 1911 et entre 1928 et 1931 avaient déjà modifié les connaissances. Mais, elles restaient encore très en deçà de la réalité historique. C’est cette reconquête progressive du passé cistercien de Montheron que nous décrivons dans nos lignes. La région de Montheron a la réputation d’être une destination prisée des Lausannois. En fait, elle a été délaissée par les guides de promenades jusqu’à la Première Guerre mondiale1 . On lui préférait les bords du lac, en particulier Ouchy, le Chalet-à-Gobet ou, à la fin du XIXe siècle, le Signal de Sauvabelin ou son lac, non loin. Au mieux, elle était un passage recommandé pour rejoindre, depuis les hauts des bois du Jorat, le tram dont le terminus était au bois d’Archens, à quelques encablures de Montheron. Son charme provenait de la solitude du site, marqué par la présence de l’eau et de la forêt. La Patrie suisse la présente pour la première fois le 30 octobre 1918, alors que le journal illustré existe depuis 1893: «A dix kilomètres au nord de Lausanne, au centre d’un cirque verdoyant, à la lisière des forêts du Jorat sur les rives d’un ruisseau poissonneux qui fait ses premiers

XXe SIÈCLE

pas, se cache le petit hameau de Montheron, formé d’une église, annexe de la paroisse de Morrens, et d’une ancienne et hospitalière auberge, depuis tantôt quatre siècles propriété de la Ville de Lausanne, renommée par sa cuisine, sa cave et ses repas champêtres, but favori des promeneurs lausannois. 2»

Basilique romaine de Nyon

Montheron, vue du sud-ouest, 1928, ACV.

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L[ouis] VULLIEMIN, Le canton de Vaud. Tableau de ses aspects, de son histoire, de son administration et de ses moeurs, 3e éd., Lausanne, 1885 ; Guide de Lausanne et de ses environs, Lausanne, 1886, 72 (le nom est juste cité). La deuxième édition de 1901 du même guide n’ajoute rien (p. 111). Benjamin DUMUR, «Lausanne ville campagnarde», Revue historique vaudoise (=RHV), 1903, 111 énumère seulement les possessions de l’ancien couvent de Montheron que la ville de Lausanne hérita en 1536. La Patrie suisse, 30 octobre 1918, 255 (Arnold Bonard). AAAM - Programme 2010

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L’église de Montheron ne figure pas dans le premier arrêté cantonal sur les édifices et les sites classés, promulgué, le 25 mai 1900. Elle sera reconnue comme tel, 30 ans plus tard, précisément le 29 décembre 19303. Innovateur sur le plan suisse, le canton de Vaud avait adopté, le 10 septembre 1898, la première loi sur la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique. Albert Naef (1862-1936), le premier archéologue cantonal en charge jusqu’en 1936, d’abord réservé sur la valeur de l’église de Montheron, fut probablement à l’origine de la reconsidération du passé du site de Montheron. Il fut le promoteur du classement de l’église. Lors d’une promenade dominicale (20 octobre 1907), il demande à visiter les soussols de l’auberge de Montheron. Quel ne fut pas son émoi de se trouver en face d’un ensemble de poutres réemployées, moulurées dont l’une datant du XIIIe siècle! Il adressa sur le champ un rapport aux autorités lausannoises pour faire dégager la poutre: «J’estime cette pièce d’une importance et d’une valeur considérables. Je ne n’en connais pas d’autres semblables en Suisse, et il faudrait chercher longtemps pour en trouver à l’étranger. Une grosse poutre du XIIIe siècle, sculptée en plein bois, est une chose unique, en tout cas en Suisse. 4 » Quelques années plus tard, en 1911, l’architecte de la Ville de Lausanne entre 1906 et 1939, Gustave Haemmerli conduisit des fouilles limitées au pied du bâtiment rural, en face de l’entrée du temple de Montheron. Elles permirent de confirmer la richesse des informations enfouies dans le sous-sol, sans pour autant en permettre une exploitation systématique: ce qu’Albert Naef ne mentionnait pas dans son rapport de 1907, était évident en 1911. L’église abbatiale primitive, distincte 12

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du temple, était localisée sous la maison paysanne du XVIIIe siècle dont elle dépassait largement les dimensions. On supputait que sa destruction avait dû intervenir après 1571, mais avant 1688. Profitant des résultats archéologiques, Maxime Reymond, archiviste cantonal intérimaire, livre, le premier, en 1918, une monographie complète de l’histoire de l’ancienne abbaye cistercienne de Montheron, ainsi que l’organisation générale du site5. En fait, il imposera ses résultats pour longtemps, en les reprenant dans de nombreuses publications dont plusieurs de référence6. Jusqu’alors, seuls des articles de dictionnaires avaient été publiés, riches de 19 lignes, en 18247, et de plus de 150 lignes en 18678. 3

Voir RHV, 1930, 253 et arrêtés du 17 décembre 1954 sur le classement des antiquités et des monuments historiques, et du 11 avril 1973 sur le classement des antiquités et des monuments historiques 4 Archives cantonales vaudoises (désormais ACV), AMH 76/4, A 5024/1-2: les lignes soulignées sont le fait d’Albert Naef, et C 1154/34 à 38 (photographies de la poutre), et la photographie publiée par Marcel Grandjean, voir infra note 19, p. 168. L’événement est encore rappelé en 1928, RHV, 1928, 352 et Otto Schmid, architecte, confirme l’ancienneté de la poutraison de l’Auberge de Montheron, le 13 avril 1932, ACV, AMH, E 40. 5 Maxime REYMOND « L’abbaye de Montheron », Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande (=MDR), 2e série, t. X, 1918, 1242, en particulier 194-195 (fouilles de 1911). Le livre fut présenté officiellement, à Montheron, le 26 septembre 1918, voir La Patrie suisse, 30 octobre 1918, 256 et RHV, 1918, 383. 6 Il est l’auteur des notices « Montheron », parues dans Eugène MOTTAZ, Dictionnaire historique, géographique et statistique du canton de Vaud, Lausanne, 1921, 240242 et dans le Dictionnaire historique de la Suisse, t. 4, Neuchâtel, 1928, 794, et dans les journaux illustrés et la presse quotidienne, voir infra note 18. 7 Louis LEVADE, Dictionnaire géographique, statistique et historique du canton de Vaud, avec carte et planches, Lausanne, 1824, 200. 8 David MARTIGNIER et Aymon de CROUSAZ, Dictionnaire historique, géographique et statistique du canton de Vaud, Lausanne, 1867, 615-618.


L’existence des belles archives fut révélée par Frédéric de Gingins-La Sarra, en 18549, et par Rodolphe Blanchet, en 186410. En 1906, Henri Jaccard tenta de donner une origine au nom de Montheron, sans succès11. Enfin, dans les recherches pionnières, il ne faut pas oublier l’article d’Emmanuel Dupraz de 190912. La vétusté du temple de Montheron obligea les autorités lausannoises à entreprendre des travaux d’entretien qui furent définis dans un premier préavis au Conseil communal en 1927. Otto Schmid (1873-1957), architecte spécialisé dans la restauration des monuments historiques, avait déposé un projet devant la Municipalité de Lausanne, le 7 avril 192713. Le Conseil communal se déchira autour de cette idée, les socialistes lui opposant le besoin d’argent pour la construction de logements ouvriers. Il faut dire que l’appréciation historique du site était alors mitigée: «Quoique de construction ancienne, l’église de Montheron, qui ne possède pas de caractère architectural, ne fait pas partie des bâtiments classés par la loi sur les monuments historiques. Il est cependant intéressant de noter que la chaire qui porte l’inscription «J.F. Davel 1669» rappelait le moment où elle fut établie et le nom du pasteur en charge à ce moment-là; or, ce pasteur était le père du Major Davel et ce dernier est né à la cure de Morrens.14 » Le chantier débuta le 12 avril 1928 et mit peu après au jour des témoignages archéologiques qui rendirent impossible l’exécution du projet initial. La Municipalité de Lausanne dut revenir devant le Conseil communal avec un second préavis dans lequel elle constatait sa surprise: «On savait que le temple avait été construit au-dessus d’un local dans lequel le culte était autrefois célébré, mais on ignorait que ce local subsistait encore, simplement remblayé et les ouvertures murées.15 » L’investissement de la

Commune passa de Fr. 35’000.– à Fr. 97’000.–, diminué des subventions cantonales et fédérales. L’inauguration du temple, le dimanche 27 avril 1930, donna l’occasion d’une manifestation publique rehaussée par la présence de représentants des autorités cantonales. Elle eut un impact immédiat, à en juger les nombreux articles de presse16. Eugène Bach consacra, en 1931, deux pages denses sur l’abbaye de Montheron qui font la synthèse des connaissances du moment17. Il faut les mettre en comparaison avec les trois articles publiés par Maxime Reymond, au démarrage de l’opération de 1928, pour mesurer les apports archéologiques18.

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Frédéric de GINGINS-LA-SARRA, «Cartulaire de l’abbaye de Montheron», MDR, 1re série, t. 12/3, Lausanne, 1854, I-XVIII, 1-153. R[odolphe] BLANCHET, Lausanne dès les temps anciens, Lausanne, 1864, 169-183 (Dézaley de Montheron). Henri JACCARD, «Essai de toponymie. Origine des noms de lieux habités et des lieux-dits de la Suisse », MDR, 2e série, t. VII, Lausanne, 1906, 288-289. Emmanuel DUPRAZ, «Relations des seigneurs de Colombier avec l’abbaye de Montheron. Leur généalogie et leurs tombeaux», RHV, 1909, 1-8 et 33-42. Le projet de restauration et les relevés de l’exploration de 1928-1931 d’Otto Schmid, ainsi que les photographies du chantier sont conservés aux ACV, AMH. Bulletin du Conseil communal, 11 octobre 1927, 160. Voir également ibidem, rapport, 1er novembre 1927, 314-324. Ibidem, 26 février 1928, 137. Voir également rapport, 10 juillet 1929, 83-94. Feuille d’avis de Lausanne, sous la plume de Pierre: 24 janvier 1930, 4; 15 mai 1930, 27; 2 juin 1932, 2; 22 septembre 1938, 2; et de Maxime Reymond, 28 avril 1930, 10. Georges-Antoine BRIDEL et Eugène BACH, Lausanne. Promenades historiques et archéologiques (…), Lausanne, 1931, 169-170. La Patrie suisse, 18 avril 1928, 303-306; Lectures du Foyer, 28 avril 1928, 385-387 et Feuille d’avis de Lausanne, 28 avril 1928, 14.

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Église actuelle, façade sud, 1928, ACV.

De nouvelles interventions eurent lieu en 1976, dans le cadre du projet d’installer une salle paroissiale sous le temple. Devant l’ampleur des trouvailles archéologiques, la Municipalité dut se résoudre à renoncer à son idée. Que faire devant de telles découvertes? Montheron est la seule église cistercienne connue de Suisse avec des absides semi-circulaires. Les moines ont fabriqué eux-mêmes des tuiles, à la fin du XIVe siècle, inspirées d’un modèle d’outre-Jura. «Montheron rejoint la grande architecture européenne»19. Barrant la vallée entre la falaise de molasse et la rivière, Le Talent, le couvent occupait, dans son extension la plus forte, un espace de 75 mètres sur 50, formé, en plus de l’église, d’un cloître, d’une salle capitulaire, d’une bibliothèque et des locaux des moines. Les connaissances 14

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acquises jusqu’alors et qui avaient été rassemblées par Marcel Grandjean en 1965 dans une présentation aussi complète que soignée20 durent être reprises par leur auteur, en 198121. 19 Louis Polla, 24 heures, 3 avril 1976, 15. 20 Marcel GRANDJEAN, La ville de Lausanne (…), t. 1, Bâle, 1965, 156-170 (Les Monuments d’art et d’histoire du canton de Vaud, t. 1). Signalons le dessin avec commentaires de Ric BERGER, « Ce qu’était l’ancien couvent de Montheron », dans Feuille d’avis de Lausanne, 14 mai 1962, 40, republié dans La contrée de Lausanne au cœur du Pays de Vaud. Districts de Lausanne, de Cossonay et d’Echallens. Texte présenté par JeanGabriel LINDER, Yens-sur-Morges, 1991 [Réédition de l’édition de 1975]. 21 Marcel GRANDJEAN, Lausanne. Villages, hameaux et maisons de l’ancienne campagne lausannoise, t. IV Bâle, 1981, 393-394. Il s’appuyait sur la publication du rapport de fouilles de Peter EGGENBERGER et Werner STÖCKLI, «L’ancienne abbaye cistercienne de Montheron», RHV, 1977, 7-23.


D’abord enthousiastes, les autorités lausannoises renoncèrent en 1977 à poursuivre les fouilles et à dégager l’entier du site de Montheron. Il leur aurait fallu construire une route de détournement pour libérer une grande partie de l’église primitive de Montheron. Les différentes étapes de l’entretien du temple et des fouilles archéologiques ont permis d’accréditer l’église de Montheron comme «une des plus belles œuvres d’architecture romane sur le territoire de la Suisse actuelle»22. En 1928, la Feuille d’avis de Lausanne parlait d’une résurrection de l’église: «Fouiller dans le sol, vous y retrouvez les siècles passés, fouillez dans votre âme, vous y trouvez, plus profondément gravée, la pensée religieuse qui est l’essence même de votre être créé à l’image de Dieu (…) Les fouilles amenèrent une résurrection, d’autant plus émouvante que pour beaucoup inattendue.23»

Le site n’a pas encore livré toutes ses richesses, à l’instar des masses documentaires qui entourent l’histoire conventuelle24. Le monument «mériterait une exploration et une conservation intégrales.25 » Après la résurrection, il faut désormais souhaiter un miracle pour que Montheron soit reconnu comme un lieu définitivement exceptionnel. 22 EGGENBERGGER et STÖCKLI, art. cit., 23.Voir aussi ACV, S 60/132/13 a-c. 23 Feuille d’avis de Lausanne, 24 mai 1928, 2 (Pierre). 24 Voir notre article «La mémoire écrite de l’abbaye de Montheron. Un chartreux au service des cisterciens, Denis de Thurey, 1744-1750», Revue des Amis de l’Abbaye de Montheron, 2008, 8-11. L’article d’Isabelle BISSEGGER-GARIN, «Montheron», Helvetia Sacra III/3/1, Bern, 1982, 312-340, et la notice «Montheron», Dictionnaire historique de la Suisse, t. 8, Hauterive, 2009, 651 (Alexandre PAHUD). fournissent désormais le cadre historique de toute recherche sur la période médiévale du couvent. 25 Bulletin du Conseil communal, 21 décembre 1976, 1598.

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Augusto victore juvat rata reddere vota « A Auguste victorieux il plaît de s’acquitter de ses vœux exaucés »

MICHEL E. FUCHS FACULTÉ DES LETTRES, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Publilius Optatien Porfyre

L’HYDRAULE D’AVENCHES « Tu sais que nous avons un orgue dans les collections du musée ? » C’est ainsi qu’a débuté la redécouverte d’un instrument de musique mis au jour depuis longtemps à Avenches, à l’occasion de la préparation d’une exposition sur les jeux qui devaient se dérouler dans l’amphithéâtre de la cité romaine, « Passions d’Arènes : Des jeux romains à Carmen ». C’était en 1996. Quelques années auparavant, un curieux objet figurait en bonne place dans le musée, fixé à la paroi du secteur réservé à l’alimentation, interprété comme une sorte de grille de barbecue. Table du sommier de l’orgue hydraulique d’Avenches : surface plane, inférieure, avec traces de réparations et rivets de fixation des faux-registres. Tiré de Jakob et alii 2000, fig. 15.

La soi-disant grille de foyer domestique, table de sommier d’orgue hydraulique trouvée en 1865 dans le Palais de Derrière la Tour à Avenches. Sur sa droite, la plinthide marquée VIII du côté du clavier, au premier plan les deux ressorts. Tiré de Jakob et alii 2000, fig. 13. 16

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Pourtant, à y regarder de près, rien n’évoque moins une vulgaire grille que cette plaque: elle n’est pas en fer mais en bronze, fragmentaire, garnie d’un côté de sept barres quadrangulaires soigneusement rivetées; dans les espaces intermédiaires, six trous sont régulièrement percés dans les six rangées formées par les barres et une septième série est à moitié conservée à l’endroit de la cassure de l’objet. Les cavités sont visiblement façonnées à l’aide d’un foret. De plus, des traces de réparations et de soudures sont clairement reconnaissables sur la partie plane de la plaque. A quoi finalement attribuer une telle attention ? Un passage au Musée suisse de l’orgue, à Roche, fournira les premiers indices.


Ensemble des pièces conservées de l’orgue d’Aquincum (Budapest, Hongrie). Vue de 1933, tirée de Jakob et alii 2000, fig. 62.

Là se trouve exposée une reconstitution du premier orgue connu par la littérature antique, celui qui a été mis au point par Ctésibios d’Alexandrie au milieu du IIIe siècle avant J.-C., lui qui est aussi l’inventeur de la clepsydre, l’horloge à eau. Même très parlante, la restitution n’est pas aussi frappante que la photographie d’un orgue découvert en 1931 à Aquincum, capitale romaine sur le Danube qui précéda Budapest. La plaque située à droite de l’image ne laisse guère de doute: le soi-disant ustensile d’Avenches doit être un élément d’orgue. Il fallait cependant l’avis d’un spécialiste pour assurer l’attribution de la plaque. Le musicologue Friedrich Jakob est appelé à la rescousse. Organiste et facteur d’orgues, il ne tarde pas à confirmer l’appartenance de l’objet à un orgue antique, et même plus précisément à la table du sommier de l’instrument, sa partie centrale. Son œil exercé fait alors merveille en explorant les collections avenchoises: il reconnaît encore trois éléments à mettre en relation avec la table, deux ressorts et surtout une coulisse ou plinthide, pour utiliser le terme latin, qui plus est, marquée du

chiffre VIII. En 2000, les résultats de quatre ans d’investigations sont publiés. En 2005, la persévérance de la directrice du Musée romain d’Avenches, Anne de Pury-Gysel, qui s’est chargée de la partie archéologique de l’étude, la conduit à identifier de nouvelles pièces de l’instrument parmi les anciennes trouvailles du site. Un problème se pose cependant : les éléments réunis ont été trouvés à différentes époques et sans que soit nécessairement précisée leur provenance exacte. L’analyse par fluorescence des rayons X et au moyen d’un microscope électronique à balayage démontre que la technique de fabrication est la même pour l’ensemble, basée sur un alliage de bronze très riche en plomb. De plus, trois des éléments au moins ont été découverts dans une même grande demeure en terrasses sur la pente nord de la colline de la ville médiévale, dans le palais dit de Derrière la Tour.

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Un orgue hydraulique en pièces détachées La table de sommier de l’instrument montre donc sept barres transversales sur un côté, qu’on appelle faux-registres. La coulisse ou plinthide a trouvé sa place exacte entre le 9e et le 10e faux-registre, ce qui implique que l’orgue était à douze tons. En plus des ressorts, deux fragments de la table qui recouvrait les registres où glissaient les plinthides ont été déterminés, accompagnés d’un anneau de fixation d’un tuyau.

Fragments de la table supérieure de l’orgue d’Avenches, avec anneau de fixation d’un tuyau (anulus). Tiré de HochuliGysel/Jakob 2007, p. 14.

Pour restituer l’orgue d’Avenches à partir de ces quelques fragments, il était nécessaire de passer et par l’orgue d’Aquincum et par les textes antiques, en particulier par la description détaillée que fournit l’architecte Vitruve à la fin du Ier siècle avant J.-C. (De l’Architecture X, 8). Dans les gammes antiques par exemple, on sait que les notes s’échelonnaient de l’aigu au grave, ce qui a une incidence sur la numérotation des touches et des autres parties de l’orgue: elle se fera toujours des notes aigues aux notes basses. La partie de table conservée correspond ainsi au registre de basses. Toutefois, à la différence de l’orgue 18

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d’Aquincum, celui d’Avenches présentait des touches en forme d’équerre et des anneaux de fixation de la tuyauterie soudés à la table supérieure. Reprenant scrupuleusement le texte de Vitruve et l’appliquant aux parties conservées de l’instrument d’Avenches, F. Jakob en propose une restitution, qui se base tout autant sur la cinquantaine de représentations connues d’un orgue antique, que ce soit sur mosaïques, gemmes, stèles funéraires ou même sous forme de terre cuite voire de modèle en bronze. En considérant les proportions induites par les fragments conservés, l’instrument avenchois devait avoir une largeur de 50-60 cm pour une hauteur de 150-180 cm, ce qui fait de lui de préférence un véritable orgue hydraulique, un organon hydraulikon, un instrument muni de tuyaux à anche fonctionnant avec de l’eau. Son nom latin est l’hydraulus, l’hydraule chez Cicéron déjà. En se référant à la restitution graphique qui en a été proposée, voilà comment il fonctionnait : pour actionner un registre, une poignée (17) était tirée de telle manière à ouvrir le robinet (16) permettant le passage de l’air de la laye (14) dans le canal du registre (15) sélectionné. Pour actionner un ton, la touche (23) était d’abord abaissée; le bas de la touche poussait alors la plinthide (20) vers l’intérieur à l’aide d’un crochet, jusqu’à ce qu’elle soit stoppée par un taquet. A ce moment-là, les trous de la table du sommier, de la plinthide et de la chape (18) sont alignés; l’air est ainsi libéré en direction des six tuyaux (25) correspondants, emboîtés dans les anneaux de fixation (24). La touche une fois relâchée, le ressort à lame (22) assurait le retour à la position de départ et la plinthide obturait à nouveau les six trous. Au niveau de la cuve inférieure (2), à l’aide de tiges et de leviers (6 et 7), les pistons (5) des pompes à air cylindriques (4) étaient mis en mouvement en alternance. Ils poussaient le vent à travers le


clapet de retenue (27) et le conduit d’air (26) pression de l’air, transformant les souffles de vers l’intérieur du régulateur de la pression chacune des pompes en un flot d’air continu hydraulique (pnigée 12). L’eau (11) régulait la remplissant la laye.

Restitution de l’hydraule d’Avenches avec indication des parties conservées (excepté les chapes et l’anneau). 1. Basis, socle. 2. Ara, cuve. 3. Regulae, règles (barres). 4. Modioli, cylindres. 5. Fundi, pistons. 6. Ancones, tiges. 7. Vectis, levier. 8. Verticula, charnière. 9. Delphini, dauphins (contrepoids). 10. Cymbala, cymbales (clapets). 11. Aqua, eau. 12. Pnigeus, pnigée (régulateur de pression hydraulique). 13. Taxilli, tasseaux. 14. Arcula, coffre, laye. 15. Canales, canaux (gravures de registres). 16. Epistomia, robinets (clapets de registres). 17. Manubrium, poignée (de registre). 18. Pinax, table supérieure (chape). 19. Naris, ouverture, trou. 20. Plinthides, plinthides. 21. Terebrationes, trous. 22. Choragia, ressorts (à lame). 23. Pinnae, touches. 24. Anuli, anneaux. 25. Organa, tuyaux d’orgue. 26. Fistulae, conduits (d’air). 27. Asses, clapets de retenue. Tiré de Hochuli-Gysel/Jakob 2007, p. 15. 19


Ne manque que le son. Mais si le fonctionnement de l’appareil nous est restitué par les textes antiques, rien ne permet d’appréhender ses hauteurs tonales, les gammes, la manière même d’en jouer. L’orgue d’Aquincum, plus petit que celui d’Avenches, mais bien plus complet, ne nous en dit pas plus. Un troisième orgue découvert en 1992 à Dion en Macédoine n’a pas livré davantage d’informations. Un poème du IVe siècle après J.-C. nous fournit toutefois quelques indices. Dû à Publilius Optatien Porfyre, il prend la forme même d’un orgue, couché, les vers se distribuant de chaque côté d’un vers de dédicace reproduit ici en citation initiale, qui fonctionnait comme le sommier de l’orgue. Sur la gauche sont données en vingt-six vers iambiques les circonstances dans lesquelles fonctionne un orgue, au retour de la paix après les victoires de l’empereur, dans les théâtres et les amphithéâtres, au moment des triomphes. Sur la droite, en vingt-six hexamètres dactyliques, les vertus de l’orgue sont évoquées et l’instrument lui-même est décrit dès le vers 14:

Le choix des mots latins et leur agencement rendent même un peu du son de l’hydraule. Traduction des vers latins: « Ces vers sont la figure de l'instrument, sur lequel on peut faire entendre des chants variés et dont les sons puissants s'échappent de tuyaux d'airain creux, arrondis, et dont la longueur s'accroît régulièrement. Au-dessous des tuyaux sont placées des touches, au moyen desquelles la main de l'artiste ouvrant ou fermant à son gré les conduits du vent, enfante une mélodie agréable et bien rythmée. L'eau placée au-dessous de ces tuyaux et agitée par la pression de l'air que produisent le travail et les efforts de plusieurs jeunes gens, donne les sons nécessaires et assortis à la musique. Au moindre mouvement, les touches ouvrant les soupapes peuvent exprimer aussitôt des chants rapides et animés ou une mélodie calme et simple ; ou bien encore, par la puissance du rythme et de la mélodie, répandre au loin la terreur ».

Haecerit in varios species aptissima cantus Perque modos gradibus surget fecunda sonoris Aere cavo et tereti calamis crescentibus aucta Quis bene suppositis quadratis ordine plectris Artificis manus in numeros clauditque aperitque Spiramenta probans placitis bene consona rythmis Sub quibus unda latens properantibus incita ventis Quos vicibus crebis juvenum labor haud sibi discors Hinc atque hinc animaeque agitant augetque reluctans Compositum ad numeros propriumque ad carmina praestat Quodque queat minimum admotum intreme facta frequenter Plectra adaperta sequi aut placido nene claudere cantus Jamque metro et rythmis præstringere quidquid ubique est.

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Ils jouaient de l’orgue debout Les représentations qu’on en possède mettent régulièrement l’hydraule dans un contexte amphithéâtral. Plus tardivement, on voit un orgue à soufflet au milieu d’un groupe de musiciennes dans un espace intérieur, au sein d’un orchestre. Le premier organiste connu est une femme puisque c’est pour sa compagne Thaïs que Ctésibios aurait inventé l’orgue hydraulique. Des organistes étaient rémunérés pour leur talent au sein des légions romaines. Que ce soit dans un intérieur ou au milieu de l’arène, l’organiste est masculin ou féminin et joue debout, sa tête dépassant les tuyaux pour suivre les événements et donc les commenter musicalement, ce qui laisse imaginer une bonne part d’improvisation. Si l’on en croit le poème d’Optatien Porfyre, l’instrumentiste jouait d’une seule main. Sur les mosaïques, on le voit accompagné de trompettistes et de cornistes pour le jeu de plein air. Il agrémente donc les combats de gladiateurs comme aujourd’hui l’orchestre du cirque. Pourtant, les fragments de l’orgue d’Avenches ont été trouvés dans un palais. Certes, ils ont peut-être fait plus tardivement partie d’un dépôt de bronzier, mais ils n’ont certainement pas été déplacés de beaucoup. De plus, le Palais de Derrière la Tour n’est guère éloigné de l’amphithéâtre. On estime à environ 80 kg le poids de l’instrument vidé de ses 20 l d’eau. Il était donc parfaitement transportable. Il faut dès lors admettre une double fonction de l’orgue. C’était un bijou de facture élaborée. Il était certainement d’un prix élevé. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre la plaque qui était posée sur le sommier de l’orgue d’Aquincum, offert en 228 après J.-C. par G. Iulius Viatorinus, haut magistrat membre de l’ordre des décurions de la colonie. C’est dans le même sens qu’il faut comprendre la dédicace de l’empereur dans le poème de l’orgue d’Optatien Porfyre.

L’hydraule d’Avenches a tout à fait sa place dans la demeure la plus imposante de la ville, agrandie très vraisemblablement sous Hadrien par un proche de l’empereur, patron des bateliers de la Saône et du Rhône, Otacilius Pollinus, occupée ensuite par les hauts personnages de passage dans la capitale des Helvètes. Au début du IIIe siècle, une grande mosaïque est venue recouvrir le sol d’une vaste salle centrale, distribuant des motifs dionysiaques autour de la scène de Bacchus découvrant Ariane endormie, Bacchus le maître du théâtre. Une fontaine octogonale occupait le centre de la composition. Dans la villa romaine de Nennig près de Trèves, où l’on peut voir des scènes de gladiatures et de chasses en amphithéâtre dans différents médaillons, un octogone renferme le motif de l’organiste et du corniste alors que sur le même axe central a été érigée une fontaine octogonale. Le rapprochement avec Avenches est fort et interroge: un hydraule trouverait une place tout ce qu’il y a de plus appropriée dans de tels espaces. A Aventicum, aux grandes occasions, il était transporté dans l’amphithéâtre pour les jeux en l’honneur de l’empereur. Une puissante mélodie s’en dégageait sous les doigts d’un virtuose, à l’égal de Néron qui jouait régulièrement de l’orgue pour s’accompagner, lui le chanteur remplissant les amphithéâtres.

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Pour en savoir plus… Marie-Pierre Hamel, Nouveau manuel complet du facteur d’orgues. Paris 1980 (19032, 1849). Anne Hochuli-Gysel, Passions d’Arènes. Des jeux romains à Carmen. Aventicum 1996, 2, p. 15-19. Anne Hochuli-Gysel, L’orgue romain d’Aventicum. In: L’archéologie en 83 trouvailles. Hommage collectif à Daniel Paunier. Lausanne, Gollion 2001, p. 96-97.

Anne Hochuli-Gysel, Friedrich Jakob, L’orgue romain d’Avenches/Aventicum. Les Dossiers d’Archéologie 320, 2007, p. 10-17. Friedrich Jakob, Markus Leuthard, Alexander C. Voûte, Anne Hochuli-Gysel, Die römische Orgel aus Avenches/Aventicum. Documents du Musée Romain d’Avenches 8, 176. Veröffentlichung der Gesellschaft der Orgelfreunde. Avenches 2000.

Venez danser à Montheron: stage de danse sacrée le samedi 28 août dès 10h

Une exposition « Palais en puzzle » exposition temporaire autour du Palais de Derrière la Tour au Musée romain d’Avenches dès le 20 mai 2010.

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Médaillon de la mosaïque de la villa romaine de Nennig près de Trèves (Allemagne). Organiste sur hydraule accompagné d’un corniste. Tiré de Jakob et alii 2000, fig. 55.


Intérieur de l’église et de la salle capitulaire, 1928, ACV.

Venez découvrir l’ancienne abbaye cistercienne de Montheron, son histoire et son site archéologique. Visites guidées de la salle capitulaire, des vestiges sur la place et de l’église actuelle, suivie d’un petit concert d’orgues sur le nouvel instrument (2007) avec ses jeux de carillon, rossignol et coucou, ainsi que sur le positif Sumiswald (1860). Tarifs sur demande. Devenez membre de l’Association des Amis de l’Abbaye de Montheron ! Vous participerez ainsi à une œuvre culturelle et contribuerez au développement des activités musicales, dans le cadre de l’ancienne abbaye. Réservez une date pour une visite ou inscrivez-vous comme membre auprès de : Association des Amis de l’Abbaye de Montheron p/a Daniel Thomas ch. de Beaumont 8 – 1053 Cugy tél: 021 731 25 39 – aaam@carillonneur.ch www.abbayedemontheron.ch L’Abbaye de Montheron, un lieu historique qui attend votre visite. Un site choisi vers 1145 par les moines cisterciens pour y établir un monastère, au bord du Talent. Remplacé dès 1536 par un temple réformé, le couvent a toutefois laissé quelques vestiges, but idéal de promenade à l’orée des forêts du Jorat. Transports: L'abbaye de Montheron est accessible par le bus T.L no 60, horaire sur le site: www.t-l.ch (attention il va parfois à Montheron en passant par Froideville)

Réalisation et impression: Atelier Grand SA, Le Mont-sur-Lausanne

VISITES GUIDÉES ET PETITS CONCERTS


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