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p. 14 Pourriez-vous tuer un poisson? p. 22 Les premières courbes de croissance du cerveau p. 26 Dopamine, l’influenceuse dans votre tête Actualités
Par la rédaction
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COGNITION Rêver rend plus créatif !
La rêverie éveillée partage avec le rêve nocturne les mêmes aires cérébrales. Certaines personnes les ont notablement développées. Elles font des rêves à foison et ont un talent pour l’innovation.
R. Vallat et al., High dream recall frequency is associated with increased creativity and default mode network connectivity, Nature and Science of Sleep, 2022.
Si on vous donnait 63 élé
ments chimiques composant la
Terre, et qu’on vous demandait de proposer une méthode de classement qui rende compte de leurs points communs, de leurs différences, de leur masse et de leurs propriétés, tout en précisant que personne n’a jusqu’alors réussi à accomplir cette tâche, comment vous y prendriez-vous ?
C’est à ce défi surhumain que s’était attelé Dmitri Mendeleïev, un chimiste russe qui y consacra des années de labeur, sans résultat. Et puis, un soir de février 1869, épuisé, il alla se coucher et fit ce qui allait devenir un des rêves les plus célèbres de l’histoire. Il vit apparaître un vaste tableau dans les cases duquel les 63 éléments connus à l’époque se rangeaient avec une facilité déconcertante. Il écrivit : « J’ai rêvé d’une table dans laquelle chaque élément aurait une place logique. En me réveillant, je l’ai immédiatement couchée sur
RETROUVEZ-NOUS SUR
PSYCHOLOGIE Les yeux bleus font des jaloux
P. Bressan et al., Blue eyes help men reduce the cost of cuckoldry, Archives of sexual behavior, 2021.
papier. Je n’ai eu besoin d’y apporter qu’une seule correction. »
Comment le cerveau humain produit-il ces éclairs de génie ? Depuis quelques années, il devient possible d’observer ce qui se passe dans nos neurones durant ces moments clés. Les recherches dans ce domaine ont ainsi fait apparaître que lors d’un processus créatif, notre cerveau produit d’abord des idées originales, de façon libre et presque débridée, puis opère un tri de ces idées afin de n’en garder que les plus intéressantes. La phase de génération fait intervenir un groupe d’aires cérébrales réunies sous le nom de « réseau de mode par défaut » : c’est le réseau du vagabondage mental, celui de la rêverie, qui enchaîne les concepts sans lien apparent quand on est « ailleurs », « dans la lune », et que l’on peut imaginer des girafes ailées buvant des sirops de grenadine sur Mars. Quant à la phase de tri, elle revient à la partie rationnelle de notre cerveau, le cortex préfrontal.
AU MATIN, DES IMAGES PLEIN LA TÊTE
Or, et c’est là la découverte de l’équipe de recherche de Perrine Ruby, au centre de neurosciences cognitives de Lyon, les personnes les plus créatives possèdent un réseau du mode par défaut plus actif que la moyenne – et font aussi davantage de rêves. Ou, du moins, elles sont capables de s’en remémorer davantage au petit matin. Tout vient donc du réseau du mode par défaut : il produit à la fois des rêves quand nous dormons, et des images variées lors de nos vagabondages mentaux.
L’étude de Perrine Ruby, Raphaël Vallat et leurs collègues, a en outre mis en évidence que les personnes créatives ont un sommeil plus léger : celui-ci est davantage entrecoupé de « microréveils », de très courts moments où l’on se réveille pendant la nuit, sans même s’en apercevoir, mais qui permettent aux rêves d’être stockés pour qu’on s’en souvienne le lendemain matin.
Peut-on devenir plus créatif en tirant parti de ces nouvelles connaissances ? La clé, on l’a compris, consiste à faire fonctionner davantage son réseau de mode par défaut. Et pour cela, de se déconnecter périodiquement des stimulations extérieures. Pour éveiller le réseau du mode par défaut, rien ne vaut l’inactivité. Et, à l’inverse, le simple fait de réaliser une tâche mobilisant notre attention (cela peut être au travail, ou tout simplement en réagissant à des sollicitations sur un smartphone) réduit au silence ce réseau du vagabondage et du rêve. À chaque fois que nous préférons consulter nos courriels, nos SMS, une chaîne d’info sur notre smartphone, ou jouer à un jeu vidéo, nous privons donc notre cerveau d’une occasion de rêver et, peut-être, de créer. £ Sébastien Bohler En interrogeant plus d’un millier
d’hommes italiens, la psychologue Paola Bressan,
de l’université de Pavie, en Italie, a montré que ceux ayant des yeux bleus avaient un faible pour les femmes dont les yeux étaient de la même couleur, surtout pour une potentielle relation à long terme. En outre, ces mêmes hommes se disaient plus jaloux de rivaux ayant aussi les yeux clairs que d’hommes aux yeux foncés. Pourquoi ?
Les lois de la génétique font que deux personnes aux yeux bleus ne peuvent avoir que des enfants aux yeux bleus. Par conséquent, la naissance d’un enfant aux yeux bruns dans un tel couple ne s’explique que par une liaison extraconjugale. Ce qui mettrait instantanément la puce à l’oreille du compagnon officiel et expliquerait aussi la jalousie accrue vis-à-vis de rivaux aux yeux bleus, car une liaison avec eux peut passer inaperçue.
Mais les hommes aux yeux bleus ont-ils connaissance de ces lois génétiques ? Probablement pas. Peut-être ont-ils développé ce comportement de manière instinctive parce que cela se traduisait en des temps anciens par une meilleure transmission de leurs gènes – ou, plus probablement, parce que les humains ont noté depuis longtemps de manière empirique que les couples aux yeux bleus ont des enfants aux yeux bleus, et qu’une exception signale une infidélité. Et il n’en faudrait pas plus pour susciter la prudence… £ Elisa Doré
Pourriez-vous tuer un poisson ?
Par Laurent Bègue-Shankland, professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, membre de l’Institut universitaire de France et directeur de la Maison des sciences de l’homme (MSH-Alpes), à Grenoble.
Il y a soixante ans, la célèbre expérience de Milgram montrait qu’une large majorité de personnes acceptent de délivrer des chocs électriques mortels à un individu quand on leur en donne l’ordre. Et avec un animal? L’expérience a été tentée, et les résultats sont édifiants.
On vous ordonne de vous
jeter du haut d’une falaise : le faites-vous ?
Probablement pas. Mais si on vous ordonne d’y pousser quelqu’un pour sauver l’humanité : que décidez-vous ? Allez-vous obéir aveuglément ? Et le soldat de l’armée d’un dictateur doit-il toujours se plier aux ordres et tuer hommes, femmes et enfants du pays voisin envahi ? La question de la soumission à l’autorité était un peu un « marronnier » pour les psychologues, philosophes et autres penseurs jusqu’à ce que, dans les années 1960, Stanley Milgram mène des études frappantes sur le sujet, études qui font aujourd’hui référence et appartiennent au patrimoine des sciences humaines. Le psychologue américain de l’université Yale, aux États-Unis, a en effet conclu, sur la base de nombreuses expériences, que la plupart des gens n’hésitent pas à faire souffrir quelqu’un d’autre quand une autorité le EN BREF
£ Depuis les célèbres
expériences du psychologue américain Stanley Milgram en 1963, où il ordonne à des participants de faire souffrir un homme pour des recherches scientifiques, on considère souvent que les gens n’hésitent pas à obéir quel que soit l’acte à réaliser… Un peu comme des « agents » déresponsabilisés.
£ Or il est possible
d’interpréter différemment ces résultats à la lumière de nouvelles études…
£ Notamment,
les objectifs scientifiques de ses expériences influaient fortement sur la conviction de ses volontaires, et donc sur leur soumission à l’autorité.
leur ordonne… Quelles que soient leurs valeurs ou les raisons de l’acte.
LA THÉORIE DE L’ÉTAT AGENTIQUE
En effet, Milgram avait recruté des volontaires pour une étude scientifique prétendument sur l’apprentissage. À leur arrivée au laboratoire, les sujets rencontraient un scientifique en blouse et un homme qu’ils croyaient être un simple participant comme eux et qui endossait le rôle d’apprenant – mais qui était en fait un complice. À chaque fois que ce dernier commettait une erreur lors d’un exercice d’association de mots, les volontaires devaient lui administrer une décharge électrique de plus en plus intense, par tranches de 15 volts, à l’aide d’un faux générateur de chocs allant jusqu’à 450 volts. Et si les participants hésitaient à électrocuter le pauvre apprenant, le scientifique présent à leurs côtés leur ordonnait imperturbablement de poursuivre l’expérience…
Résultat : la majorité des personnes envoyaient les décharges maximales à l’apprenant, malgré ses implorations – feintes, puisqu’il ne souffrait pas – de stopper l’expérience. Comment expliquer ces résultats ? Milgram a
Les premières courbes de croissance du cerveau
Par Max Koslov, journaliste à la revue Nature.
Pour la première fois, des courbes de croissance viennent d’être établies pour le cerveau, comme pour la taille et le poids des enfants. Un travail colossal qui pourrait changer bien des choses dans l’approche du développement cognitif des petits.
En sortant de chez le pédiatre
il y a quelques semaines, le neuroscientifique
Jakob Seidlitz n’était pas vraiment satisfait. Il était venu faire passer la visite de contrôle des 15 mois à son jeune fils. Rien d’anormal dans le bilan général de santé, heureusement – le jeune garçon semblait se développer à un rythme classique, du moins selon les tableaux de taille et de poids utilisés par le médecin. Non, c’est du côté de son cerveau que l’examen laissait à désirer : aucune courbe de croissance, aucun barème, comme si cet organe ne le méritait pas. Totalement anormal.
« Il est choquant de constater le peu d’informations biologiques dont disposent les médecins sur cet organe essentiel », lâche alors Seidlitz. En espérant que cela va changer. C’est EN BREF
£ En rassemblant
les données d’imagerie cérébrale de plus de 120 000 patients, des chercheurs ont établi les premières courbes montrant le développement de diverses parties du cerveau humain avec l’âge.
£ La matière grise se
développe la première, suivie par la matière blanche, puis les ventricules augmentent de volume avec le vieillissement, traduisant une perte de neurones.
£ L’extrême fiabilité
de ces graphes, résultat de la masse de données collectées, pourrait imposer un nouveau standard aux études de neuro-imagerie.
pourquoi il a rassemblé, avec ses collègues de l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, plus de 120 000 scanners du cerveau, ce qui représente à ce jour la plus grande collection de ce type. Le but : établir ce qui sera la première carte de croissance du développement du cerveau humain. Un support où l’on voit, de manière très visuelle, comment le cerveau humain se transforme et évolue tout au long de la vie.
Alors, que voit-on au juste ? D’abord, le cerveau se développe rapidement aux premiers âges de la vie. Puis il se stabilise et se met alors à rétrécir lentement avec l’âge. Mais c’est l’ampleur de cette étude, publiée dans la revue Nature le 6 avril dernier, qui a stupéfié les neuroscientifiques, eux qui ont longtemps été confrontés à des problèmes de reproductibilité dans leurs recherches, en partie à cause de la petite taille des échantillons de volontaires dont on étudiait les cerveaux. Un problème lié au coût important des examens utilisant l’imagerie par résonance magnétique, qui fait que les scientifiques sont souvent limités quant au nombre de participants qu’ils peuvent recruter pour leurs expériences.
Dopamine
L’influenceuse dans votre tête
Par Allison Whitten, docteure en neurosciences cognitives et journaliste scientifique.
Pourquoi décidez-vous soudain de vous lever et – par exemple – d’aller vous préparer un café? Quelques secondes ou minutes avant ce mouvement, une vague de dopamine est montée dans votre cerveau, comme si elle vous poussait à l’action.
© GrAl/Shutterstock EN BREF
£ Dans des expériences
récentes, des chercheurs ont observé une montée progressive des taux de dopamine dans le cerveau d’animaux quelques secondes avant qu’ils réalisent une action.
£ Cette molécule,
traditionnellement considérée comme un neurotransmetteur, apparaît dans un rôle nouveau : celui de neuromodulateur, une substance qui ajuste les niveaux d’excitabilité des neurones et influence l’action d’autres messagers chimiques.
£ En tant que modulatrice,
la dopamine augmente les probabilités d’action de l’individu, sans les déterminer à 100 %. Essentiel pour un comportement adapté aux situations.
Chaque fois que vous attrapez
votre tasse à café se produit un véritable mys-
tère neuroscientifique. Quelques instants avant que vous n’étendiez volontairement votre bras, des milliers de neurones dans les régions motrices de votre cerveau déclenchent une activité électrique qui se propage jusqu’à la moelle épinière, puis jusqu’aux muscles qui permettent à votre main d’atteindre la tasse. Mais juste avant que se produise cette activité massivement synchronisée, les régions motrices de votre cerveau sont relativement silencieuses. Et, à ce jour, pour tous les mouvements comme celui que nous venons de décrire – qui sont déclenchés de manière autonome par l’individu – le signal de départ indiquant aux neurones le moment précis de l’action – plutôt que le moment juste avant ou après – n’a pas encore été identifié.
Dans un récent article publié dans la revue eLife, un groupe de neuroscientifiques dirigé par