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PATHOLOGIE

PATHOLOGIE

INTERVIEW ALEXIS BOURLA

PSYCHIATRE DANS LE SERVICE DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MÉDICALE, À L’HÔPITAL SAINT-ANTOINE, À PARIS.

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LES CAUSES SONT PARFOIS BIOLOGIQUES

Quand une personne souffre de dépression, on incrimine aussitôt une perte d’emploi, des difficultés familiales ou un stress chronique. Autrement dit, le trouble de l’humeur est attribué à des facteurs psychiques ou sociaux. Mais il existe aussi de nombreux cas où les causes sont biologiques, et c’est ce que vous vous attachez à mettre en évidence. De quoi parle-t-on au juste ?

Parfois, on se retrouve face à des dépressions dites «résistantes». À savoir qui résistent à au moins deux lignes de traitements médicamenteux (notamment les antidépresseurs) et aux psychothérapies. Par exemple, il y a quelques années, nous avons reçu une jeune patiente atteinte de dépression dite « sévère » mélancoliforme, c’est-à-dire qu’elle était extrêmement abattue et presque catatonique – incapable de se mouvoir ni de penser. Pourtant, elle était prise en charge depuis plusieurs mois, avec des médicaments et des psychothérapies, mais son état ne s’améliorait pas du tout… Nous avons alors essayé un autre traitement contre la dépression: la sismothérapie (aussi appelée « électroconvulsivothérapie»), une stimulation électrique du cerveau, sous anesthésie générale (qui se révèle habituellement très efficace chez des patients atteints de dépression résistante). Après chaque séance, ses symptômes dépressifs s’atténuaient bien. Mais ils revenaient très vite… Donc rien ne semblait la soulager.

Pourquoi était-elle dans cet état ? De façon schématique, toute maladie psychiatrique, quelle qu’elle soit, présente trois dimensions : une dimension psychologique, une environnementale et une biologique. C’est le principe des interactions entre le corps et l’esprit : un élément psychologique influe parfois sur la biologie (comme la «chimie» du cerveau); et inversement, un facteur biologique (par exemple la génétique) influe sur la psychologie. Quant au contexte environnemental, par exemple des facteurs de stress extérieurs, il peut aussi jouer sur la biologie et la psychologie… C’est pourquoi il importe de s’intéresser à toutes ces dimensions et de n’en négliger aucune. Dans le cas de notre jeune patiente, beaucoup d’hypothèses psychologiques et environnementales avaient déjà été explorées… En vain. Mais face au caractère très atypique de sa dépression (avec les symptômes catatoniques et la résistance à la sismothérapie), l’une de mes collègues a proposé de pratiquer une ponction lombaire pour aller plus loin dans les explorations biologiques (la jeune patiente ayant au préalable subi de nombreux tests biologiques, sans qu’aucune anomalie n’ait été détectée). C’est là que nous avons mis en évidence, dans son système nerveux

central, des anticorps dits « antiNMDA», c’est-à-dire qui bloquent les récepteurs neuronaux sur lesquels se fixent le NMDA et le glutamate, deux importants neuromédiateurs excitateurs du cerveau. Il s’agissait donc d’une pathologie nommée «encéphalite limbique», qui correspond à une inflammation dans une région particulière du cerveau. D’où les symptômes psychologiques de la patiente, car toute inflammation (de l’organisme en entier et a fortiori du cerveau), parfois même minime, peut engendrer des signes dépressifs ! C’est l’un des premiers cas d’encéphalite limbique que nous avons diagnostiqué et traité dans notre service, à une époque où la maladie était encore très peu connue.

Mais d’où venaient ces anticorps ? La patiente s’en est-elle sortie ? Aucun symptôme physique (ou strictement neurologique) n’était apparent pour nous aider à comprendre. Mais afin de déterminer l’origine des anticorps, nous lui avons pratiqué un scanner de tout l’abdomen et du pelvis et avons alors découvert… une tumeur de l’ovaire. C’est elle qui était

à l’origine de la production des anticorps ! Nous avons donc opéré la jeune femme pour retirer le cancer, puis avons traité l’inflammation en quelques jours à l’hôpital. Peu de temps après, elle allait bien et était totalement guérie de sa dépression.

Une dépression a parfois des causes biologiques; et si on ne les traite pas, il y a peu de chances que les symptômes psychologiques disparaissent…

Une dépression a donc parfois des causes biologiques ? Oui, même si ce n’est qu’une dimension à côté des deux autres, psychologique et environnementale, comme je l’ai déjà dit. Mais, dans certains cas, une véritable maladie organique provoque une dépression et si on ne traite pas les causes biologiques, il y a peu de chances que les symptômes psychologiques disparaissent… Quand on parle de la biologie de la

«LES CAUSES SONT PARFOIS BIOLOGIQUES»

DES MALADIES QUI PROVOQUENT UNE DÉPRESSION

Inflammation cérébrale

Certaines molécules inflammatoires perturbent le fonctionnement des centres émotionnels du cerveau et provoquent une hypersensibilité de l’axe du stress.

Idées noires, blues, fatigue perpétuelle, perte d’appétit… Immédiatement, on pense à une dépression. C’est d’ailleurs ce qui est diagnostiqué en général. Pourtant, de multiples troubles organiques peuvent aussi engendrer ces symptômes.

B12 B12

Hypothyroïdie

Les hormones fabriquées par la glande thyroïde, à la base du cou, stimulent le métabolisme des cellules nerveuses. Quand elles sont en quantité insuffisante, les neurones baissent de régime – et la joie de vivre aussi!

B12

Carence en vitamine

Les vitamines B12 et B9 interviennent dans la fabrication de plusieurs neuromédiateurs essentiels à la régulation de l’humeur. Une carence peut alors avoir des conséquences psychologiques graves.

dépression – qui est très complexe –, il faut distinguer plusieurs niveaux: la «chimie» du cerveau – avec les neuromédiateurs et les récepteurs neuronaux (où agissent, par exemple, les antidépresseurs, très efficaces contre les dépressions modérées à sévères); le métabolisme cérébral, à savoir l’activité des réseaux neuronaux (où agissent notamment les traitements par stimulation électrique ou magnétique du cerveau, très efficaces contre les dépressions résistantes); et tous les autres facteurs dits « organiques» qui peuvent agir sur les deux premiers niveaux… Dans ce dernier cas, on parle de troubles «organopsychiatriques», quand les symptômes psychologiques découlent de maladies physiques. Or ces causes organiques sont multiples et variées…

Quelles sont-elles justement ? En premier lieu, de nombreuses pathologies neurodégénératives, comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, dans lesquelles des neurones meurent, débutent parfois par des épisodes dépressifs résistants, avant même que les symptômes moteurs, mnésiques ou cognitifs ne se déclarent. Et c’est souvent quelques années après, quand la pathologie dégénérative est diagnostiquée, que l’on comprend que la dépression du sujet était peut-être un signe avant-coureur de la maladie… En effet, la souffrance des neurones dans ces pathologies perturbe le métabolisme cérébral global, de sorte qu’une anomalie de fonctionnement du cortex frontal, par exemple, rend difficile la gestion des émotions, et tout particulièrement leur inhibition. Ensuite, certaines maladies inflammatoires ou auto-immunes, comme la sclérose en plaques, le lupus ou l’encéphalite limbique (de notre jeune patiente), peuvent provoquer une souffrance cérébrale, dans certains cas également bien avant que les symptômes physiques ne se manifestent. En effet, l’inflammation perturbe parfois l’activité de larges régions cérébrales, ce qui entraîne des signes de dépression : ralentissement psychomoteur, douleur morale, impression de ne plus pouvoir fonctionner… Enfin, il y a tous les facteurs qui ont un impact sur la chimie du cerveau ou sur son métabolisme: ce sont surtout des hormones et des vitamines, qui représentent en général des «cofacteurs» enzymatiques. C’est-à-dire qu’ils permettent aux enzymes de fonctionner correctement, ces dernières étant les «machines» synthétisant toutes les molécules de l’organisme, y compris, donc, les récepteurs cérébraux et les neuromédiateurs. Par exemple, comme l’ont montré diverses études scientifiques, une carence en vitamine B12, que l’on retrouve uniquement dans les aliments d’origine animale, augmente le risque de développer une dépression, avant même que les signes neurologiques ou hématologiques ne se manifestent. De même avec les folates (ou vitamines B9), qui interviennent dans la transformation de

l’acide aminé tryptophane – que l’on trouve aussi uniquement dans l’alimentation – en sérotonine, ce neuromédiateur intervenant dans la régulation de l’humeur.

Vous avez aussi parlé des hormones : les troubles de l’humeur parfois associés à la ménopause ressemblent-ils à une dépression ? Oui, c’est possible (sans compter que la ménopause provoque parfois de vraies dépressions), mais tout dépend des femmes, de leur psychologie, de leur biologie, ainsi que de leur environnement. Toutefois, si une femme à l’âge de la ménopause présente une dépression résistante depuis quelques années, il est tout à fait pertinent de lui prescrire un traitement de substitution en hormones sexuelles en cas de carence. Il y a alors des chances qu’elle se sente moins déprimée en quelques semaines. De même pour les hommes: après 50 ans, la diminution progressive de la testostérone liée à l’âge, plus ou moins importante selon les individus, peut s’accompagner de symptômes dépressifs. Et ce parce que ces hormones interviennent aussi sur le métabolisme cérébral… Les hormones thyroïdiennes jouent également un rôle important sur l’humeur. Tous les médecins, aujourd’hui, savent qu’une hypothyroïdie «mime» parfois une dépression. Voilà pourquoi, face à un patient présentant une dépression, il est recommandé d’effectuer un bilan biologique pour rechercher des causes organiques. La première analyse est sanguine : dosage de certaines vitamines et hormones. Et si une carence est mise en évidence, parfois, il suffit de la corriger pour que le patient ne présente plus de symptômes dépressifs ou que son traitement par antidépresseurs soit plus efficace…

Mais alors pourquoi ne pas réaliser un examen biologique approfondi à tout patient diagnostiqué dépressif ? Même avant de lui prescrire des antidépresseurs… Aujourd’hui, la Haute Autorité de santé (HAS) française recommande déjà un bilan sanguin (recherche d’anémies, de troubles thyroïdiens…) pour tous les patients souffrant d’un épisode dépressif. Mais il est simple: on ne propose pas encore la recherche systématique d’une inflammation ou de carences en vitamines – même si de plus en plus de médecins la pratiquent… Concernant les dépressions résistantes, il commence à se dégager un consensus sur les explorations et les traitements à mener, mais la France reste en retard dans ce domaine par rapport à d’autres pays, avec une grande hétérogénéité des prises en charge. Les dernières recommandations des experts de la HAS datent déjà de 2017, et il y en a de nouvelles qui sont justement en cours d’élaboration afin d’intégrer davantage d’éléments sur les troubles organopsychiatriques… Bien entendu, on peut difficilement tester toute personne déprimée pour tous les facteurs biologiques susceptibles de provoquer une dépression – je ne les ai pas tous cités ici, il y en a d’autres… Par ailleurs, les maladies mentales qui sont en fait des troubles organopsychiatriques ne représentent qu’un faible pourcentage des troubles psychiatriques, alors, si l’on ne considère que la dépression, il est difficile de savoir combien de cas seraient liés à des facteurs uniquement biologiques… Probablement très peu. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il faille attendre plusieurs années de «résistance» aux traitements pour aller plus loin et explorer les facteurs biologiques ! Car d’autres thérapies efficaces existent, surtout si l’on découvre une cause organique.

Quels sont donc ces différents traitements de la dépression ? D’abord, pour les dépressions « non organopsychiatriques » (qui ne reposent pas sur une maladie organique), les psychothérapies et les antidépresseurs sont les traitements de première ligne. Ils jouent sur la chimie du cerveau et son métabolisme ; il est d’ailleurs recommandé de coupler les deux pour obtenir le meilleur résultat en cas de dépression sévère (voir Guérir grâce à la plasticité cérébrale, page 46). Mais en pratique, en France, pour diverses raisons financières et logistiques, l’accès à la psychothérapie est parfois difficile, de sorte que la majorité des personnes souffrant de dépression sont traitées uniquement avec des antidépresseurs, souvent par leur médecin traitant… Cela fonctionne très bien dans un grand nombre de cas. Mais, par exemple, si après deux semaines de traitement on n’observe aucune amélioration, il faudrait soit augmenter les doses de médicaments, soit en changer – diverses molécules étant efficaces ; mais tout dépend, encore une fois, du sujet, de sa biologie, de sa génétique et de son environnement… Ce qui parfois n’est pas fait. Nous rencontrons donc des patients qui « traînent » une dépression depuis quelques années, alors qu’ils n’ont essayé que deux ou trois traitements – au lieu des nombreux autres

En quelques semaines, on parvient aujourd’hui à soigner des dépressions qui traînaient depuis des années…

«LES CAUSES SONT PARFOIS BIOLOGIQUES »

BIEN MANGER POUR NE PAS DÉPRIMER

Notre mode de vie – alimentation, activité physique, consommation de substances comme l’alcool ou le tabac – a une influence très importante sur notre santé physique, certes, mais aussi sur notre santé mentale. Le fait de changer certaines habitudes est donc parfois très bénéfique, à moyen terme, notamment en cas de dépression. Et tout commence dans notre assiette…

En effet, on sait maintenant que ce que nous mangeons influe fortement sur notre microbiote intestinal et, de fait, sur le fonctionnement de notre cerveau, des liens forts entre les intestins et le système nerveux central ayant été mis en évidence. Par exemple, des études ont révélé que le régime méditerranéen est efficace pour prévenir et même traiter la dépression ; il s’agit de consommer, en abondance, des fruits, des légumes, des légumineuses, des céréales, des herbes aromatiques et des huiles – de colza, de lin ou d’olive –, et, de façon plus modérée, des produits laitiers variés, des œufs et… un peu de vin. À chaque repas, la moitié de notre assiette devrait être composée d’aliments verts (légumes verts ou à feuilles) pour favoriser le maintien d’un microbiote intestinal diversifié. Par ailleurs, le jeûne intermittent – l’absence de prise calorique pendant 12 à 16 heures par jour – permet d’atteindre facilement la « restriction calorique », dont on sait qu’elle a un effet anti-inflammatoire et est donc bénéfique contre les troubles de l’humeur. La suppression du petit déjeuner, repas souvent riche en sucres, est le moyen le plus facile d’atteindre cet objectif. Mais certaines personnes préfèrent sauter le repas du soir et terminer avec la collation de fin d’après-midi. Le café aussi est connu pour ses effets antidépresseurs. Mais il entraîne parfois une tolérance ou une dépendance et sa consommation excessive peut favoriser l’anxiété et les troubles du sommeil. Idéalement, il ne faudrait donc pas dépasser deux ou trois tasses par jour, prises le matin. Autre indication d’importance : il est fortement recommandé de diminuer sa consommation d’aliments ultratransformés, incluant plats industriels et sodas, pour préserver sa santé mentale. Des études scientifiques ont en effet montré que ce type de nourriture est moins efficace pour atteindre la satiété et augmente l’inflammation de l’organisme. Ainsi, les boissons sucrées (sodas et jus de fruits) sont de gros pourvoyeurs de syndrome métabolique, une pathologie inflammatoire qui altère le cerveau et favorise la dépression. Même les sodas light augmentent le risque de diabète et ne sont pas conseillés… Pour finir, sortons de l’assiette pour un dernier point essentiel : on sait désormais que le tabac est une cause possible de déclenchement et d’entretien des troubles mentaux, notamment dépressifs et psychotiques. De plus, des études ont montré qu’il altère la qualité du sommeil (en diminuant le sommeil lent profond « récupérateur » et en augmentant la fréquence des réveils nocturnes, surtout en première partie de nuit). L’arrêt du tabac est donc associé à une diminution de l’anxiété, des symptômes dépressifs, et à une amélioration de l’humeur et de la qualité de vie. Guillaume Fond est psychiatre aux hôpitaux universitaires de Marseille, enseignant et chercheur à la faculté de médecine de la Timone (Aix-Marseille université).

que l’on aurait pu entreprendre ! Et si on est alors face à une dépression résistante, les thérapies de deuxième, troisième lignes, ou plus, devraient être mises en place beaucoup plus tôt ! Je rappelle que la dépression, quelles que soient ses « causes », est une maladie grave qui peut aboutir au suicide, surtout si elle perdure.

Faire un bilan sanguin complet après un ou deux mois de dépression sans amélioration des symptômes serait donc judicieux… Exactement. Si le bilan sanguin simple de départ n’a rien révélé, il est important d’approfondir les explorations biologiques. Si les nouvelles analyses révèlent un facteur de résistance organique, comme une carence en vitamines, une anomalie hormonale ou une inflammation, l’enjeu est d’en déterminer la cause et de la traiter. De cette manière, notre équipe a soigné en quelques semaines des patients qui souffraient de dépression depuis plusieurs années. En parallèle, ou si ce nouveau bilan biologique ne montre rien, on poursuit l’« escalade thérapeutique » en testant des stratégies de traitements plus complexes que l’on sait efficaces dans certaines dépressions résistantes. Par exemple : des régulateurs de l’humeur, des antipsychotiques atypiques ayant une action sur les émotions, des agonistes de la dopamine, la kétamine (un anesthésique à forte dose, mais, à

très faible dose, un puissant antidépresseur qui vient juste d’être autorisé contre la dépression)… En troisième ligne de traitements, on dispose des techniques de neurostimulation, comme la stimulation magnétique transcrânienne (rTMS), qui agissent sur le métabolisme cérébral et les réseaux cérébraux. Par exemple, des « cures » de stimulation de quelques semaines donnent de bons résultats : 60 % des patients résistants réagissent bien et voient leurs symptômes diminuer, 30 % sont même en rémission à la fin du traitement. Puis, quand les sujets présentent une dépression « ultrarésistante », il est nécessaire d’aller encore plus loin dans les explorations, grâce à l’imagerie cérébrale. Par exemple, en effectuant une IRM fonctionnelle – mais qui n’est pas encore accessible en routine… – pour évaluer le fonctionnement du cerveau, ou une scintigraphie pour mesurer le métabolisme cérébral. Parfois, on met alors en évidence une maladie inflammatoire ou auto-immune, et les anti-inflammatoires, en traitant la cause, soignent aussi les symptômes dépressifs. Et si rien de tout cela ne fonctionne, il existe encore d’autres stratégies, comme les IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase), de puissants antidépresseurs qui nécessitent des précautions d’emploi élevées. Dans certains pays, on teste même des psychédéliques, comme la psilocybine issue des champignons hallucinogènes, la MDMA ou le LSD : de plus en plus d’études scientifiques montrent que ces traitements, administrés dans un cadre médical et psychothérapeutique, sous haute surveillance, sont efficaces contre certaines dépressions très résistantes. Enfin, il y a la sismothérapie ou électroconvulsivothérapie, qui reste le traitement de référence de la dépression résistante : elle présente jusqu’à 80 % d’efficacité, mais nécessite une anesthésie générale pour être mise en œuvre et est très stigmatisée dans les médias (qui parlent d’« électrochocs »)… Or c’est probablement dommageable pour les patients qui pourraient en bénéficier.

Malgré tout cela, le patient reste parfois dépressif… C’est rare. La dépression, quelle que soit sa cause, est souvent une maladie dont on guérit. Mais il faut explorer tous les facteurs possibles : psychologiques, biologiques et environnementaux. D’autant qu’en général, il est difficile d’imaginer qui, de l’œuf ou de la poule, est arrivé en premier… La dépression ou les causes sous-jacentes ? Prenons un dernier exemple pour bien comprendre : l’épidémie de Covid-19 que nous traversons depuis plus de deux ans. D’un côté, il y a le virus et les symptômes physiques qu’ils provoquent ; de l’autre, les symptômes d’allure psychologique (fatigue intense, signes dépressifs), qui perdurent parfois plusieurs mois après l’infection. Mais il n’est pas aisé de savoir si certains patients sont déprimés et anxieux « à cause » de l’épidémie (stress environnemental lié à l’isolement, aux confinements, à la perte d’emploi, etc.) ou si le virus agit directement sur des structures cérébrales et entraîne des symptômes de dépression. Autrement dit, les gens présentent-ils des signes dépressifs parce que le contexte épidémique les « stresse » (d’où une baisse du moral) ou le virus est-il la cause « organique » des troubles dépressifs ? Et de fait, comment doit-on réagir face à une personne atteinte de « Covid long », qui se sent toujours mal alors qu’elle n’est plus « physiquement » malade depuis plusieurs mois ? Forcément, ses symptômes dépressifs vont augmenter si on lui dit qu’elle est guérie et qu’elle devrait aller mieux maintenant… Le cercle vicieux est enclenché. Or de premières études révèlent bien que le virus lui-même provoque parfois une inflammation cérébrale… Qui, comme on vient de le dire, est une cause possible de dépression. Tout cela montre à quel point la dépression est une maladie complexe, et, de façon générale, qu’il ne faut pas considérer qu’une maladie psychiatrique est uniquement psychologique. Heureusement, nous avons beaucoup progressé dans la compréhension des mécanismes biologiques, ce qui devrait maintenant faire évoluer notre approche diagnostique et thérapeutique, même s’il reste encore beaucoup à faire… £

Propos recueillis par Bénédicte Salthun-Lassalle.

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