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MÉDECINE
SUIS-JE DÉPRESSIF ?
© PhotoAlto/Frederic Cirou/Gettyimages
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Moments d’abattement, difficulté à se motiver, sensation de flottement… La question affleure : est-ce une dépression ? Heureusement, il existe des moyens de ne pas se tromper, pour soi ou pour ses proches.
Par Jérôme Palazzolo, psychiatre et psychothérapeute à Nice, ainsi que professeur de psychologie clinique et médicale à Alexandrie.
EN BREF
£ On admet rarement
souffrir d’une dépression et il n’est pas facile de se rendre compte qu’un proche est dépressif.
£ Malgré cette difficulté,
cinq signes avant-coureurs aident à y voir plus clair.
£ Une fois la suspicion
établie, il faut avoir le réflexe de consulter un spécialiste, car les conseils « de bon sens » ne fonctionnent pas avec cette maladie.
Déprime, coup de blues, dépression, mélancolie, cafard :
nous sommes tellement habitués à trouver ces termes mêlés au lan-
gage courant qu’on ne sait plus faire la part des choses. Les médias livrent à ce sujet des informations si contradictoires qu’à peu près tout le monde peut se demander, à un moment ou à un autre, s’il n’a pas dans son entourage une personne dépressive. Alors, comment faire la différence ? Ce dernier point est absolument crucial pour éviter des conséquences lourdes, et c’est pourquoi cet article propose des repères fiables en ce sens.
15 % DES FRANÇAIS DÉPRIMENT
La dépression est une des maladies psychologiques les plus répandues : on compte environ 15 % de dépressifs dans la population française, dont près d’un tiers ne sont pas pris en charge médicalement. D’après le baromètre de Santé publique France 2022, presque une personne sur dix, âgée de 18 à 75 ans, a connu un épisode dépressif au cours des douze derniers mois. Sur une vie, une femme sur cinq et un homme sur dix seront touchés, et il est important de souligner que si cette maladie atteint principalement les adultes, sont aussi parfois concernés les enfants, et plus fréquemment les adolescents. On estime aujourd’hui qu’environ 8 % des jeunes âgés de 12 à 18 ans souffriraient d’une dépression.
Alors, comment savoir si soi-même ou un proche se trouve dans cette situation ? D’abord, tous les sentiments de peine ne relèvent pas forcément d’une dépression. Cette pathologie mentale se distingue de la simple tristesse par le fait que la personne concernée est incapable de se réjouir de quoi que ce soit et éprouve de grandes difficultés à prendre une décision. Ainsi, tôt le matin, par exemple, elle ne sait pas si elle doit se lever ou rester couchée. Et demeure parfois plusieurs heures au lit, tout éveillée, angoissée, incapable d’affronter la journée qui commence.
Cette distinction entre tristesse et dépression s’observe facilement lors d’un enterrement, lorsqu’on y participe en étant soi-même relativement peu
SUIS-JE DÉPRESSIF?
QUAND TOUT PARAÎT INSURMONTABLE…
L’un de mes maîtres en psychiatrie, Jean-Paul Chabannes, disait souvent : « Si je te montre une taupinière au fond de ton jardin, tu vois une taupinière. Le patient dépressif, lui, va avoir l’impression qu’il s’agit du mont Blanc ! » Façon d’exprimer à quel point tout obstacle ou toute tâche semble insurmontable. Cette distorsion de la réalité n’est heureusement pas définitive : lorsque la crise est passée, que l’angoisse s’est apaisée et que l’humeur est revenue au beau fixe, il n’est pas rare que la personne prenne du recul sur son état antérieur et porte un regard critique sur la situation. Mais en attendant ce moment de délivrance, elle n’a pas toujours une vision adaptée d’elle-même, de ses capacités ni du monde environnant.
Les symptômes d’une dépression varient souvent d’un individu à l’autre, mais les signes avant-coureurs ci-dessous sont souvent présents…
touché par le deuil. On constate alors comment les proches parents s’effondrent autour du cercueil. Pourtant, si une heure plus tard, au cours du repas de funérailles, quelqu’un parle du défunt ou raconte une anecdote de sa vie, il n’est pas rare que les mêmes proches arrivent à sourire, voire à rire. Une telle attitude n’est pas envisageable pour un individu dépressif. Pour lui, ressentir du plaisir ou de la satisfaction est tout simplement impossible. Ses émotions positives sont comme « engourdies » – c’est ce qu’on appelle l’« anhédonie », à savoir l’incapacité à ressentir du plaisir.
Par ailleurs, alors que les personnes atteintes de dépression ne parviennent généralement pas à organiser leurs pensées, on constate que les sujets en deuil sont aptes à prendre des décisions rapides et claires très peu de temps après le décès, par exemple lorsqu’il s’agit de l’héritage ou de l’organisation des funérailles. Enfin, il est important de savoir que l’on peut distraire une personne en deuil, mais pas un dépressif. Inutile donc de reprocher à ce dernier son incapacité à se changer les idées, par exemple lors d’un magnifique voyage. Cela ne ferait que renforcer chez lui un sentiment de culpabilité et d’impuissance.
Signes affectifs Signes physiques Signes psychiques Signes cognitifs
Humeur triste Troubles du sommeil Désintérêt Troubles de la concentration
Autodépréciation Troubles de l’appétit Désespoir Troubles mnésiques
Sentiment d’inutilité Perte de l’énergie Idées suicidaires
Anhédonie (perte du sentiment de plaisir)
Indifférence affective Diminution de la libido
Ralentissement psychomoteur
Angoisse
LES CINQ SIGNES AVANT-COUREURS
La dépression se manifeste par une multitude de signes qui varient selon la personne et les moments. Malgré cette diversité, on peut regrouper ces signes en cinq catégories : l’altération de l’humeur, l’anxiété, les symptômes cognitifs, les idées suicidaires et les symptômes physiques.
Tout d’abord, l’humeur dépressive. C’est ce qu’on appelle la « tristesse pathologique », avec une perte de l’intérêt et du plaisir lié à une quelconque activité (la fameuse anhédonie). Ces symptômes émotionnels se manifestent parfois par des crises de larmes et de l’hyperémotivité, mais aussi, à l’inverse, par une abrasion émotionnelle (on ne ressent plus rien). Ils sont à l’origine d’une douleur morale intense.
Deuxième signe : l’anxiété. D’intensité variable, elle est quasiment constante et se manifeste par une peur et une tension presque permanentes, quelle que soit la situation de vie, même dans des conditions qui ne devraient pas susciter d’appréhension.
Troisième caractéristique : des symptômes cognitifs. Sentiment de culpabilité, d’autodévalorisation, troubles de la concentration et de l’aptitude à penser ou à prendre des décisions, ainsi qu’une tendance à être très vite fatigué et un ralentissement des pensées.
En quatrième lieu, les pensées suicidaires recouvrent idées noires et pensées de mort : la personne imagine qu’elle se donne la mort, pense aux façons de s’y prendre, se représente les conséquences pour son entourage, pour elle-même… Et passe parfois à l’acte : 10 000 suicides ont lieu chaque année en France, pour plus de 100000 tentatives. Or 30 à 70 % de ces suicides surviennent lors d’un épisode dépressif. Enfin, derniers signes non négligeables de la dépression : les symptômes physiques. Là encore,
à la fois nombreux et variables. Selon les cas, la personne concernée maigrit ou grossit en l’absence de régime particulier et dort souvent moins bien (insomnie) ou trop (hypersomnie). Elle présente aussi soit une agitation, soit un ralentissement psychomoteur, ainsi qu’une baisse de la libido, une fatigue intense ou une perte d’énergie inhabituelle, voire des douleurs erratiques (souvent dorsales), des céphalées… En définitive, la vie quotidienne et ses habituelles contraintes deviennent usantes, démoralisantes et épuisantes. Tout paraît insurmontable, d’autant que les symptômes s’auto-alimentent en général dans un cercle vicieux (voir la figure cicontre) : le repli sur soi suscite une autodévalorisation et un sentiment de culpabilité diffuse (« je reste chez moi sans rien faire, je suis nul(le) »), qui produisent eux-mêmes des pensées tristes (« ça me déprime d’être nul(le) »), d’où de la déception et un sentiment d’impuissance («je n’ai plus la force de me lever »), qui à leur tour fatiguent l’esprit et renforcent le repli sur soi…
Comment savoir si ces signes traduisent une vraie dépression ? Tout va dépendre de deux paramètres : un critère de temps, car les symptômes décrits ci-dessus doivent être présents pendant au moins deux semaines consécutives; et un critère d’intensité, l’épisode s’accompagnant d’une souffrance marquée ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants (par exemple, on devient incapable d’aller travailler ou de s’occuper de ses enfants…).
LES CONSEILS ET LES REPROCHES SONT INUTILES…
Comment réagir si l’un de vos proches semble dépressif, à l’aune de ces critères ? Pour l’entourage, il n’existe pas de « mots-clés », de « phrases types ». Le plus utile est de rester à sa place sans essayer – souvent de façon maladroite – d’endosser l’habit de psy, de coach ou de juge, même si ce n’est pas chose facile. Et un point important à retenir : la personne dépressive ne réagit pas, ne pense pas et ne se conduit pas de la même façon que vous. Comme le soulignent bon nombre de dépressifs à leur entourage, il ne sert donc à rien de les conseiller ou de leur faire des reproches.
Ainsi, l’expression qui revient le plus souvent dans ce type de discussion est : « Tu n’es pas dans ma tête ! » Et en effet, en tant que proche, on est constamment en train de penser : « Moi, à sa place, je ferais comme ceci ou comme cela.» Mais le problème est bien là : on n’est pas « à sa place », on est totalement incapable d’imaginer le degré de souffrance de la personne dépressive, ni les idées qui lui traversent l’esprit. D’où la nécessité de faire appel à un professionnel, un spécialiste, dont la mission est justement de mettre en évidence, d’évaluer, puis de traiter la dépression.
Il ne faut donc pas prendre ces symptômes à la légère et tenter d’accompagner la personne en souffrance afin qu’elle parvienne à consulter un psy. Par ailleurs, si c’est vous qui vous reconnaissez dans cette description, il est aussi préférable de voir un professionnel de la santé mentale, sans culpabiliser, dès que vous parvenez à vous motiver ou, du moins, à en parler à un proche pour qu’il vous aide à y aller…
D’autant que la recherche médicale et les connaissances dans ce domaine avancent à grands pas : ce qui était valable il y a encore vingt ans ne l’est plus aujourd’hui, car les techniques évoluent, les thérapies sont plus adaptées, les traitements sont mieux tolérés et plus efficaces, les interactions des antidépresseurs et des anxiolytiques sont mieux connues (voir l’entretien page 54)… Soulignons, pour finir, qu’une issue favorable est toujours possible, mais que, parfois, il faut avancer prudemment, lentement, en changeant éventuellement de médicament, de thérapie, voire de psy en cours de route. La traversée du tunnel n’est pas aisée et, en général, la personne dépressive ne se rend pas compte des progrès effectués. Mais le jeu en vaut la chandelle : la dépression est aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, une maladie dont on guérit. £
Déception et sentiment d’impuissance
Fatigue et épuisement
Pensées tristes, ruminations et préoccupations pessimistes Difficulté à agir et repli sur soi
Culpabilité et autodévalorisation
Le cercle vicieux des émotions et cognitions de l’état dépressif est caractéristique. Le reconnaître est essentiel pour prendre les mesures adéquates.
Bibliographie
A. Pelissolo,
Dépression. S’enfermer ou s’en sortir?, Le Muscadier, 2017.
J. Palazzolo,
Dépression et anxiété. Mieux les comprendre pour mieux les prendre en charge, Masson, 2007.