LE STRESS DESPROVOQUERPEUT-ILVERTIGES ? L 13252 - 147 S - F: 7,00 € - RD N°147 2022Octobre Psycho&CerveauPsycho&Cerveau DÉPRESSION ?LAÉVITERCOMMENT basculel’humeurquandsauventquiréflexesLes N° 147 Octobre 2022 DOM : 8,50 € – BEL./LUX. : 8,50 € – CH : 12,00 FS – CAN. : 12,99 CA$ – TOM : 1 100 XPF Les réflexes qui sauvent quand l’humeur bascule ÉCOLE DÉVELOPPER AUTOMATIQUE DESL’ATTENTIONÉLÈVES YOGA QUAND LA RESPIRATION NETTOIE LE CERVEAU INTÉROCEPTION SENTIR SON CORPS DE L’INTÉRIEUR ?
BRAINCAST La voix des neurones Le podcast de Cerveau & Psycho en partenariat avec l’Institut du Cerveau Alzheimer : l’IA au service du diagnostic www.cerveauetpsycho.fr/sr/braincast/10èmeépisodeChercheuseenimagerie médicale 10ème épisode avec Dr Ninon Burgos interviewée par Sébastien Bohler
p. 54-59
E
3 N° 147 - Octobre 2022
Alexis Bourla
n 1975, le psychologue américain Martin Seligman plaça une souris dans un tube à essai rempli d’eau. La souris essaya de nager et de s’accrocher aux parois pour survivre. Mais la paroi était lisse et tous ses efforts furent vains. L’ayant compris, elle finit par se laisser aller, résignée. Seligman appela ce comportement « désespérance apprise » et en fit un modèle pour expliquer de nombreuses formes de dépression : quand les circonstances sont trop dures, on finit par « lâcher » mentalement et par cesser de lutter, sombrant dans l’apathie et l’abattement.
Thomas Similowski
Psychiatre, praticien hospitalier contractuel dans le service de psychiatrie de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, il est spécialiste des troubles mentaux « résistants » et de la neurostimulation. Il a également, entre autres, fondé la start-up Cline Research, qui œuvre pour démocratiser la recherche clinique.
Jérôme Palazzolo
Médecin psychiatre à Nice, il est spécialisé en psychopharmacologie et en thérapie cognitivocomportementale. Il est aussi professeur de psychologie clinique et médicale à l’université internationale de la langue française de Senghor, à Alexandrie, et chercheur au laboratoire Lapcos de l’université Côte-d’Azur.
p. 12-14
NOS
SÉBASTIENBOHLER
Doreen Huppert
CONTRIBUTEURS N° 147
Les parois de notre monde offrent peu d’aspérités. Épidémie de Covid, guerre en Europe, inflation galopante, sécheresse et menaces sur les rendements agricoles, catastrophe climatique en ligne de mire : il y a bien longtemps que nous ne nous étions pas à ce point sentis comme des petites souris abandonnées dans un tube.
Rédacteur en chef
p. 86-91
Neurologue au Centre du vertige et de l’équilibre de Munich, elle consulte spécifiquement pour les formes de vertiges inexpliqués, liés au stress et à des conduites d’évitement de type phobique.
Mais Seligman n’avait pas dit son dernier mot. Pour échap per au syndrome du tube, il inventa la psychologie positive. Un ensemble de pratiques destinées à favoriser les émotions qui protègent contre le renoncement, comme la joie, la gratitude et l’amour. Dans le dossier central de ce numéro, les spécialistes de ces bonnes pratiques expliquent que prendre soin de soi, passer du temps avec ses amis, former des projets sont autant d’attitudes au quotidien qui aident à rester dans la zone claire de l’existence, même dans un monde qui s’assombrit. Une « espé rance apprise », en somme, en forme de pied de nez aux maux du temps présent. £
p. 34-45
Prenez soin de vous
Pneumologue et directeur de l’unité de recherche Neurophysiologie respiratoire expérimentale et clinique (Inserm-Sorbonne Université), il nous présente une étude fascinante sur l’impact de la respiration yogique sur le cerveau.
ÉDITORIAL
DÉCOUVERTES
Synapses :NEUROSCIENCESla force de la décroissance
Apprendre à faire la différence entre coup de blues et vraie dépression est indispensable pour ne pas sombrer. Jérôme Palazzolo
SOMMAIRE N° 147 OCTOBRE 2022 Ce numéro comporte un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Klaus Vedfelt/Gettyimages
7 CLÉS POUR PRÉVENIR LA DÉPRESSION
S’ennuyer, est-ce si terrible que cela ?
Frank Luerweg
Certaines dépressions sont en réalité causées par une maladie… du corps. Alexis Bourla
La capacité des neurones à se remodeler est un facteur déterminant de la guérison. Claus Normann et Stefan Vestring
p. 54 INTERVIEW
La patience, ça s’apprend !
En stimulant la circulation du liquide céphalorachidien, la respiration yogique réalise un nettoyage cérébral profond… Thomas Similowski
p. 16
p. 33 p. 9 p. 12 p. 16 p. 24 Dossier p. 33-59 4 N° 147 - Octobre 2022
DÉPRESSION ?ÉVITERCOMMENTLA
LES CAUSES SONT PARFOIS BIOLOGIQUES
C’est en éliminant des synapses que votre cerveau acquiert de nouvelles capacités.
p. 12
p. 42 MÉDECINE SUIS-JE DÉPRESSIF ?
Un langage bébé universel ?
p. 34 PSYCHOLOGIE POSITIVE
p. 24 CAS CLINIQUE GRÉGORY MICHEL dansl’apaisementScarification :ladouleur
Nina a 14 ans et se provoque de profondes blessures aux bras. Que cherche-t-elle à travers cela ?
lequiYoga :NEUROSCIENCESlarespirationdétoxifiecerveau
Vers un implant antidouleur ?
p. 46 NEUROPLASTICITÉ GUÉRIR GRÂCE À LA PLASTICITÉ CÉRÉBRALE
p. 6-31
Manque d’entrain, fatigue… il faut redresser la barre. Des pratiques issues de la psychologie positive se révèlent salutaires. Jérôme Palazzolo
p. 6 ACTUALITÉS
Jardiner contre l’anxiété !
Je parle trop ?
Jakob Pietschnig
p. 80 L’ÉCOLE DES CERVEAUX
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p.
La perception des organes internes joue un rôle clé dans nos émotions et nos décisions. Frank Luerweg
p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE
p. 60 p. 74p. 72 p. 80 94 92
Rêve est-celucide :bienréel ?
Attentif sans effort !
GAUVRITNICOLAS
Le Désert des Tartares : quand nos habitudes nous enferment
p. 72 RAISON ET DÉRAISON
LACHAUXJEAN-PHILIPPE
p. 84 LA QUESTION DU dépend-elleL’intelligenceMOISde la taille du cerveau ?
Les adeptes des théories du complot sur la variole du singe semblent avoir une puissante aversion pour le hasard.
5 N° 147 - Octobre 2022
L’Effet Werther Paul Valéry, amoureux de son Libérons-nouscerveaude la douleur Mes hormones et moi
ÉCLAIRAGES
Dès qu’un individu se hisse au-dessus des autres, son cerveau se transforme. Theodor Schaarschmidt
Se rendre compte que l’on rêve, oui – mais en maîtriser le déroulement, voire !
p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Votre anxiété est un superpouvoir La Psychologie de l’enfant en trente questions
DIEGUEZSEBASTIAN
En entraînant son attention à se porter régulièrement au bon endroit, le procédé, devient naturel.
THALMANNYVES-ALEXANDRE
p. 86 etVertigesPATHOLOGIEinexpliqués :sic’étaitphobique ?
p. 92-97
p. 60-73
p. 60 PSYCHOLOGIE SOCIALE Le pouvoir change-t-il le cerveau ?
p. 74 SentirBIEN-ÊTREson corps de l’intérieur
p. 74-91
Le chef-d’œuvre de Dino Buzzati montre bien comment notre cerveau nous conforte dans nos repères stables, mais ne prend pas forcément en compte nos aspirations profondes.
p.
Variole du singe : quand l’esprit refuse le hasard
Le vertige phobique, sans cause organique précise, se soigne heureusement assez bien. Doreen Huppert
p. 68 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
DÉCOUVERTES
Schtutman/ShutterstockDiego©
p. 12 Focus p. 16 Synapses, la force de la décroissance p. 24 Scarification, l’apaisement dans la douleur
6 N° 147 - Octobre 2022 Actualités Par la rédaction
UNE CROYANCE ERRONÉE
PSYCHOLOGIE SOCIALE
maginez rencontrer pour la première fois un collègue, un client ou un potentiel flirt. La question se pose inévitablement : faut-il parler beaucoup, modérément, ou rester sur sa réserve ? Une attitude discrète montrera votre disponibilité et votre capacité d’écoute – qualités fort pri sées ! Mais, à l’inverse, se montrer prolixe éveillera peut-être l’intérêt de votre interlocuteur et véhiculera une image à la fois chaleureuse et distrayante.Del’avis d’une majorité de per sonnes, il est préférable d’être à l’écoute et ne pas trop envahir l’es pace sonore. Ce serait la méthode la plus sûre pour renvoyer à la fois une image de courtoisie, de profondeur et de respect. Nous le savons bien : rien de plus insupportable que ces m’as-tu-vu qui pérorent sans jamais laisser leurs voisins glisser un seul mot dans toute la conversation...
La prédominance de cette idée a été vérifiée par une équipe de cher cheurs de l’université de Virginie, sous
I
Q. Hirschi et al., Speak Up ! Mistaken Beliefs About How Much to Talk in Conversations, Personality and Social Psychology Bulletin, juillet 2022.
Je parle trop ?
Mener une conversation roulante pour faire bonne impression, ou rester discret pour ne pas raser ses hôtes ? La réponse n’est peut-être pas celle que l’on croit.
É
contreJardiner,l’anxiété
Cette estimation devait être réali sée en poursuivant, selon le cas, deux objectifs différents : soit paraître inté ressant, soit être apprécié de Taylor.
culmine pour un temps de parole médian. C’est donc l’inverse de ce qu’on a tendance à croire a priori
R. Odeh et al., Plos One, juillet 2022.
!
laguer des arbres, retourner la terre, planter des graines, ramasser des fruits et légumes… Jardiner est ludique – et utile, mais ce ne sont pas ses seuls avantages. Mêlant activité physique, apprentissage, planification de tâches, créativité et connexion à la nature, la pratique du jardinage a aussi des effets positifs sur la santé non seulement physique mais aussi mentale. Plusieurs études l’ont déjà révélé chez des individus malades, par exemple atteints de dépression. Mais qu’en estil chez des sujets en bonne santé ?
La stratégie la plus sûre consiste rait ainsi à parler un peu plus que la moitié du temps (entre 50 % et 60 %, cela représente la zone de sécurité, car au-delà le bénéfice diminue assez clairement). Quant à l’intérêt maximal que l’on suscite chez son vis-à-vis, il
UN EFFET « DE HALO »
La cause de cette distorsion serait double. Tout d’abord, un biais dit de réticence, tendance à penser qu’une bonne sociabilité suppose un compor tement légèrement en retrait – alors qu’il n’y a rien de mieux qu’un bon art de la conversation pour mettre tout le monde à l’aise. Le deuxième fac teur serait l’ignorance, par les partici pants, d’un autre biais – cette fois à l’œuvre chez leur interlocuteur : l’effet de halo. L’effet de halo est une ten dance générale à associer entre elles les différentes caractéristiques des personnes que nous rencontrons : par exemple, nous avons tendance à croire qu’une personne belle est éga lement intelligente, ou qu’un individu laid est plutôt dangereux ou méchant, etc. Cet effet de halo aurait pour conséquence d’éveiller notre sympa thie pour les personnes au discours chatoyant. C’est probablement parce qu’ils ignorent cet effet que les parti cipants ont peur de sembler antipa thiques s’ils parlent plus que leur interlocuteur.Moralité :à
moins d’être un moulin à paroles pathologique, vous pouvez probablement vous autoriser à donner des ailes à votre conversation. Mais gardez à l’esprit la limite des 60 %... £ Sébastien Bohler
7 N° 147 - Octobre 2022
Eh bien, cette première phase de l’étude a montré que les gens pensent en moyenne que pour être intéressant il faut parler plus que son interlocuteur. Mais en revanche, pour être apprécié, il faut parler moins.
Or voilà typiquement une croyance démentie par les faits. En effet, la suite de l’étude a consisté à plonger les participants dans une vraie conversa tion avec Taylor. Et là, les choses ont été bien différentes : il s’avère que les individus sont plus appréciés quand ils parlent davantage que leur interlo cuteur : l’optimum se situe aux alen tours de 60 %.
Pour le déterminer, Raymond Odeh, du dépar tement d’horticulture environnementale à l’uni versité de Floride, et ses collègues ont comparé cette pratique à une autre, mettant en œuvre les mêmes facultés : l’activité artistique. Dans un pre mier temps, ils ont proposé à trente femmes (en raison de différences de perception des espaces naturels entre hommes et femmes), âgées de 26 à 49 ans, toutes en bonne santé, soit de réaliser des séances de jardinage, deux heures par semaine pendant un mois, soit des ateliers artis tiques. Résultat : au fil des semaines, les deux types d’activité ont engendré des améliorations de l’anxiété, des symptômes dépressifs, du stress, des troubles de l’humeur – dans des proportions similaires –, chez toutes les participantes. Mais le jardinage serait un peu plus efficace que l’art pour diminuer l’anxiété.
RETROUVEZ NOUS SUR
NinaMalyna/Shutterstock© PSYCHOLOGIE SOCIALE
la houlette de la psychologue sociale Quinn Hirschi. Dans cette expérience, les chercheurs demandaient à des participants de s’imaginer dans une conversation avec un individu, pré nommé Taylor. Au cours de cette conversation, ils étaient chargés de répartir les temps de parole selon leur convenance : par exemple 30 % du temps pour eux-mêmes et 70 % pour Taylor, ou 50-50, ou encore 70-30.
Reste maintenant à déterminer si la pratique du jardinage a les mêmes effets chez les hommes. £ Bénédicte Salthun-Lassalle
EN BREF
eter Huttenlocher, pédiatre et neurologue de son état, était un homme persé vérant. Dans les années 1970, il collectait des échantillons de tissus cérébraux, qu’il prélevait sur des personnes décédées – des nouveau-nés n’ayant pas survécu, des motards accidentés, des cancéreux et des vieillards… Il sectionnait de petits blocs de cortex et les découpait en tranches ultrafines, qu’il photographiait au microscope électronique. Il réalisait ainsi 20 à 30 tirages par bloc de tissu, chacun à partir d’une fine coupe différente. Puis il se mettait à compter.
Par Frank Luerweg, journaliste scientifique.
Grâce à ce travail de fourmi, Peter Huttenlocher a identifié des dizaines de milliers de synapses. Et il a observé un phénomène qui allait l’occuper durant toute sa vie de chercheur : pendant l’ado lescence, l’être humain perd une bonne partie de ses connexions nerveuses – environ un tiers, selon les calculs du neurologue. Si, sur les pho tos, les enfants de 2 ans avaient encore 1,6 mil liard de synapses par millimètre cube de tissu cérébral, les jeunes de 15 à 20 ans n’en avaient plus que 1,1 milliard. Ce nombre restait à peu près constant jusqu’à un âge avancé, avant de baisser de nouveau.
£ Au cours de l’enfance et de l’adolescence, le cerveau élimine un grand nombre de connexions nerveuses, ou synapses – un processus qualifié d’« élagage synaptique ».
d’abord pour 21 cerveaux, puis pour un nombre de plus en plus grand d’entre eux.
Que comptait-il exactement ? En fait, il ne s’in téressait pas tant aux cellules nerveuses ellesmêmes qu’aux connexions qui les relient, les synapses. Celles-ci comprennent notamment une « fente synaptique », minuscule espace sépa rant les neurones et à travers lequel ils commu niquent. Ce sont ces fentes que le neurologue a méthodiquement traquées, passant au crible les clichés agrandis 17 000 fois. Échantillon par échan tillon, il a numéroté chacune de ses découvertes,
P
£ Ce nettoyage concerne spécifiquement les connexions peu actives, celles qui sont utiles étant en renforcées.revanche
17 N° 147 - Octobre 2022 DÉCOUVERTES Neurosciences
£ Un élagage défectueux favoriserait les maladies psychiques : ainsi, le cerveau des personnes autistes ne supprime pas assez de synapses, tandis que celui des patients schizophrènes en élimine trop.
Rost9/Shutterstock©
Pour acquérir de nouvelles aptitudes cognitives, le cerveau doit diminuer le nombre de ses connexions neuronales, les fameuses synapses. Une décroissance neuronale au cœur du développement de l’individu.
UN TIERS DES CONNEXIONS CÉRÉBRALES PERDUES À L’ADOLESCENCE
Synapses : la force de la décroissance
Peter Huttenlocher a ensuite affiné ce constat, en s’intéressant à d’autres régions du cerveau que le cortex (qui n’en est que la couche la plus super ficielle). Il a observé que pendant la grossesse et
24 ScarificationL’apaisementdansladouleur
Dans la salle d’attente, l’air renfrogné, Ambre, 14 ans, assise face à sa mère, consulte de façon hypnotique son smartphone. Jolie, brune aux yeux verts, de taille moyenne, elle porte, comme beau coup d’adolescents, un style streetwear très étudié, jean bleu, sweat à capuche trop grand pour elle, baskets à épaisses semelles, qui lui donnent un look vintage des années 1990. Lorsque je lui demande de me suivre, elle précède sans difficulté
DÉCOUVERTES Cas clinique
25 N° 147 - Octobre 2022
GRÉGORY MICHEL
Il y a quelques mois, Ambre commence à s’infliger de longues blessures aux bras, pour se calmer en cas de stress. Nina, elle, fait de même et se brûle aussi avec des cigarettes pour avoir le sentiment d’exister. Peut-on devenir accro à l’automutilation ? Comment sortir les jeunes de ces situations infernales ?
EN BREF
£ Mais Ambre ne présente pas d’autres automutilations et exhibe ses cicatrices, tandis que Nina se endiversesprofondémentblessedemanières,cachette…
n mardi matin, une mère m’appelle dans un état de confusion et d’affolement : « Ma fille va très mal. Ses résultats sco laires s’effondrent et j’ai vu des coupures et des égratignures sur ses avant-bras ! » Cet appel provoque un déclic dans mon esprit. J’ai reçu le même, presque mot pour mot, d’une autre maman il y a quelques années. Là encore, mêmes symp tômes, mêmes comportements, mêmes cicatrices. Bien sûr, je fixe un rendez-vous à la maman et sa fille le plus vite possible.
£ Les d’automutilationspratiques non suicidaires (ANS), comme on les nomme, peuvent être l’expression de différents leidentifierconvientpsychologiquestroublesqu’ildebienpourquetraitementsoitefficace.
DEUX BELLES JEUNES FILLES
AU LOOK VINTAGE
£ Ambre et Nina, deux adolescentes âgées de 14 ans, sont en échec scolaire et se scarifient depuis plusieurs mois, au point d’alerter leurs parents.
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.
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andriano.cz/Shutterstock©
33 N° 147 - Octobre 2022
p. 34 7 clés pour prévenir la dépression p. 42 dépressif ?Suis-je p. 46 Guérir grâce à la plasticité cérébrale p. 54 Interview Les sontcausesparfois biologiques Dossier
SOMMAIRE LA
« Je suis fatigué, à bout, déprimé… » Il est naturel de se trouver un jour confronté à des difficultés de la vie, petites ou grandes. Mais il faut se méfier : une petite déprime se transforme parfois en vraie dépression, un état où l’on n’est plus vraiment soi-même, où il est difficile de se motiver pour quoi que ce soit. Selon l’OMS, 5 % des adultes dans le monde souffrent de cette maladie psychiatrique. De fait, il est fort probable que le lecteur de ces lignes ait soit fait une dépression dans sa vie, soit connu une personne en étant atteinte. Or si ce trouble n’est pas traité, le risque de désinsertion sociale, de pro blèmes familiaux, voire de suicide, augmente. Heureusement, aujourd’hui, on peut guérir d’une dépression. Voire la prévenir quand on sent qu’on est « à bout ». Comment ? Avec des choses simples, mais agréables, qui contrebalancent les difficultés : passer un moment entre amis, prévoir un projet, prêter main-forte à un proche, chan ger d’environnement… Et bien d’autres petites choses que les spécia listes de la dépression vous livrent dans ce dossier. Ils vous montrent aussi comment reconnaître la maladie chez soi ou autour de soi, et com ment la soigner. Car la prise en charge de la dépression évolue beau coup en ce moment, et nous vous proposons ici les dernières clés pour tenter d’éviter ce mal mental, ou de s’en remettre. Le plus dur étant, souvent, d’accepter qu’on est malade, avant d’en déterminer les causes. Bénédicte Salthun-Lassalle ÉVITERCOMMENTDÉPRESSION ?
7 CLÉS POUR PRÉVENIR LA DÉPRESSION Dossier
34 N° 147 - Octobre 2022
Impression d’être fatigué(e), usé(e), incapable de vous motiver le matin ? Pour éviter que cela ne se transforme en état dépressif, il faut redresser la barre. À cet effet, 7 bonnes pratiques inspirées de la psychologie positive vous aideront à rester en zone sûre.
Par Jérôme Palazzolo, psychiatre et psychothérapeute à Nice, ainsi que professeur de psychologie clinique et médicale à Alexandrie.
TROUVER LE BON ÉQUILIBRE
Studio/ShutterstockAtlasbyAtlas©
ous sentez que la vie a un goût amer en ce moment, que rien ne va, que vous enchaînez les difficul tés, et que vous commencez à en avoir assez ? Peut-être même avez-vous du mal à vous motiver le matin pour aller travailler, ou le soir, pour sortir avec des amis. Une petite déprime, en bref. Pas une dépression, ou pas encore. Mais gare ! Si ces coups de blues n’ont, en soi, pas grand-chose à voir avec une vraie dépression, ils peuvent y conduire si on ne réagit pas à temps. En la matière, comme ail leurs, mieux vaut prévenir que guérir. Et la bonne nou velle, c’est qu’il existe des solutions simples pour se protéger d’un éventuel effondrement thymique, ou trouble de l’humeur quasi incontrôlable.
Pour éviter de sombrer dans les affres des idées noires, la clé est d’établir un certain équi libre entre les divers aspects de son quoti dien, c’est-à-dire les dimensions sociale, physique, psychique, économique, spiri tuelle et émotionnelle. Les périodes de
35 N° 147 - Octobre 2022
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Cirou/GettyimagesPhotoAlto/Frederic© DÉPRESSIF ?SUIS-JE DOSSIER COMMENT ÉVITER LA DÉPRESSION ?
43 N° 147 - Octobre 2022
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éprime, coup de blues, dépression, mélancolie, cafard : nous sommes tellement habitués à trouver ces termes mêlés au langage courant qu’on ne sait plus faire la part des choses. Les médias livrent à ce sujet des informations si contradictoires qu’à peu près tout le monde peut se demander, à un moment ou à un autre, s’il n’a pas dans son entourage une personne dépressive. Alors, comment faire la diffé rence ? Ce dernier point est absolument crucial pour éviter des consé quences lourdes, et c’est pourquoi cet article propose des repères fiables en ce sens.
15 % DES FRANÇAIS DÉPRIMENT
Moments d’abattement, difficulté à se motiver, sensation de flottement… La question affleure : est-ce une dépression ? Heureusement, il existe des moyens de ne pas se tromper, pour soi ou pour ses proches.
La dépression est une des maladies psychologiques les plus répandues : on compte environ 15 % de dépressifs dans la population française, dont près d’un tiers ne sont pas pris en charge médicalement. D’après le baro mètre de Santé publique France 2022, presque une personne sur dix, âgée de 18 à 75 ans, a connu un épisode dépressif au cours des douze derniers mois. Sur une vie, une femme sur cinq et un homme sur dix seront touchés, et il est important de souligner que si cette maladie atteint principalement les adultes, sont aussi parfois concernés les enfants, et plus fréquemment les adolescents. On estime aujourd’hui qu’environ 8 % des jeunes âgés de 12 à 18 ans souffriraient d’une dépression.
£ Malgré cette difficulté, cinq signes avant-coureurs aident à y voir plus clair.
£ Une fois la suspicion établie, il faut avoir le réflexe de consulter un spécialiste, car les conseils « de bon sens » ne fonctionnent pas avec cette maladie.
Alors, comment savoir si soi-même ou un proche se trouve dans cette situation ? D’abord, tous les sentiments de peine ne relèvent pas forcément d’une dépression. Cette pathologie mentale se distingue de la simple tris tesse par le fait que la personne concernée est incapable de se réjouir de quoi que ce soit et éprouve de grandes difficultés à prendre une décision. Ainsi, tôt le matin, par exemple, elle ne sait pas si elle doit se lever ou rester couchée. Et demeure parfois plusieurs heures au lit, tout éveillée, angoissée, incapable d’affronter la journée qui commence.
EN BREF
£ On admet rarement souffrir d’une dépression et il n’est pas facile de se rendre compte qu’un proche est dépressif.
Cette distinction entre tristesse et dépression s’observe facilement lors d’un enterrement, lorsqu’on y participe en étant soi-même relativement peu
Par Jérôme Palazzolo, psychiatre et psychothérapeute à Nice, ainsi que professeur de psychologie clinique et médicale à Alexandrie.
GUÉRIR GRÂCE À LA CÉRÉBRALEPLASTICITÉ DOSSIER COMMENT ÉVITER LA DÉPRESSION ?46
1 FEMME SUR 5 ET 1 HOMME SUR 10 DÉPRIMENT
On croit en général que la maladie est due à une pression intense et à un stress permanent. De nombreuses études scientifiques soutiennent cette idée. Toutefois, plusieurs aspects de la dépression ne sont étudiés, en labo ratoire, qu’avec des cellules nerveuses ou des coupes de cerveaux provenant d’animaux, et non chez des personnes en chair et en os. Pour ce faire, d’ailleurs, il est nécessaire de disposer de « volontaires déprimés » et, en général, on préfère pratiquer des expérimentations sur des souris ou des
£ Alors que lainstauréetfavorable,unàsaredonnentantidépresseurslesaucerveauplasticité–lacapacités’adapter–,environnementcompréhensifencourageant doitêtrepourfavoriserguérison.
u te rends compte, il n’a pas ouvert la bouche de la soirée, ni même souri… Sa situation n’est pas si horrible, pourtant ! Cela fait plus de six mois que sa femme l’a quitté et qu’il a changé de travail, il devrait être moins stressé maintenant… On va peut-être prendre nos dis tances avec lui, comme cela, il se rendra peut-être compte qu’il ne fait que s’isoler davantage en s’enfonçant dans sa tristesse. » Voilà la conversation d’un couple qui rentre d’une fête surprise organisée pour leur ami dépressif. Une réaction peut-être en partie compréhensible – se confronter à la tristesse des gens n’est jamais agréable… Mais est-elle vraiment productive ?
EN BREF
S/ShutterstockJorm©
£ En cause, le plus souvent : un stress prolongé, qui diminue la plasticité neuronale.
Par Claus Normann, chef de clinique, et Stefan Vestring, médecin dans le département de psychiatrie et de psychothérapie de la clinique universitaire de Fribourg, en Allemagne.
£ Être dépressif, ce n’est pas être triste en permanence. Il s’agit plutôt d’un vide affectif, où plus rien n’a de saveur… Car le cerveau analyse moins bien les stimuli internes et externes, et la concentration et la diminuent.mémorisation
Selon une étude de l’Institut international de statistiques de santé Global Burden of Disease (GBD), en 2017, une femme sur cinq et un homme sur dix dans le monde connaissent un épisode dépressif au moins une fois dans leur vie. La dépression est donc une maladie fréquente. Pourtant, les connaissances de la plupart des gens à son sujet sont très limitées. Bien souvent, on refuse d’admettre le problème, on a du mal à le reconnaître chez ses proches et c’est peut-être ce qui entraîne une difficulté à trouver la bonne attitude avec les personnes malades. Alors comment réagir et agir de façon optimale dans une telle situation ? Comment aider les individus concernés ? Quel est le rôle des antidépresseurs ? Avant de répondre à ces questions, tournons-nous d’abord sur les causes de la dépression…
47 N° 147 - Octobre 2022
Le cerveau d’une personne dépressive ne parvient plus à s’adapter à son environnement : il perd de sa « plasticité ». Les antidépresseurs permettent souvent de réamorcer le processus et un environnement positif, par exemple avec l’aide d’une psychothérapie, facilite la guérison.
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SAINT-ANTOINE,
54 N° 147 - Octobre 2022 INTERVIEW
PARIS.
Quand une personne souffre de dépression, on incrimine aussitôt une perte d’emploi, des difficultés familiales ou un stress chronique. Autrement dit, le trouble de l’humeur est attribué à des facteurs psychiques ou sociaux. Mais il existe aussi de nombreux cas où les causes sont biologiques, et c’est ce que vous vous attachez à mettre en évidence. De quoi parle-t-on au juste ?
LES
BOURLAALEXIS
BIOLOGIQUESSONTCAUSESPARFOIS
PSYCHIATRE DANS LE SERVICE DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MÉDICALE, À L’HÔPITAL À
Après chaque séance, ses symptômes dépressifs s’atténuaient bien. Mais ils revenaient très vite… Donc rien ne semblait la soulager.
Mais d’où venaient ces anticorps ? La patiente s’en est-elle sortie ?
Pourquoi était-elle dans cet état ?
les symptômes catatoniques et la ré sistance à la sismothérapie), l’une de mes collègues a proposé de pratiquer une ponction lombaire pour aller plus loin dans les explorations biolo giques (la jeune patiente ayant au préalable subi de nombreux tests biologiques, sans qu’aucune anoma lie n’ait été détectée).
Oui, même si ce n’est qu’une dimen sion à côté des deux autres, psycholo gique et environnementale, comme je l’ai déjà dit. Mais, dans certains cas, une véritable maladie organique pro voque une dépression et si on ne traite pas les causes biologiques, il y a peu de chances que les symptômes psychologiques disparaissent… Quand on parle de la biologie de la
C’est là que nous avons mis en évi dence, dans son système nerveux
Aucun symptôme physique (ou stric tement neurologique) n’était appa rent pour nous aider à comprendre. Mais afin de déterminer l’origine des anticorps, nous lui avons pratiqué un scanner de tout l’abdomen et du pel vis et avons alors découvert… une tumeur de l’ovaire. C’est elle qui était
C’est le principe des interactions entre le corps et l’esprit : un élé ment psychologique influe parfois sur la biologie (comme la « chimie » du cerveau) ; et inversement, un fac teur biologique (par exemple la gé nétique) influe sur la psychologie.
De façon schématique, toute maladie psychiatrique, quelle qu’elle soit, présente trois dimensions : une di mension psychologique, une envi ronnementale et une biologique.
Une dépression a donc parfois des causes biologiques ?
Quant au contexte environnemental, par exemple des facteurs de stress extérieurs, il peut aussi jouer sur la biologie et la psychologie… C’est pourquoi il importe de s’intéresser à toutes ces dimensions et de n’en né gliger aucune. Dans le cas de notre jeune patiente, beaucoup d’hypo thèses psychologiques et environne mentales avaient déjà été explo rées… En vain. Mais face au caractère très atypique de sa dépression (avec
central, des anticorps dits « antiNMDA », c’est-à-dire qui bloquent les récepteurs neuronaux sur lesquels se fixent le NMDA et le glutamate, deux importants neuromédiateurs excita teurs du cerveau. Il s’agissait donc d’une pathologie nommée « encépha lite limbique », qui correspond à une inflammation dans une région parti culière du cerveau. D’où les symp tômes psychologiques de la patiente, car toute inflammation (de l’orga nisme en entier et a fortiori du cer veau), parfois même minime, peut engendrer des signes dépressifs ! C’est l’un des premiers cas d’encé phalite limbique que nous avons dia gnostiqué et traité dans notre ser vice, à une époque où la maladie était encore très peu connue.
Parfois, on se retrouve face à des dé pressions dites « résistantes ». À savoir qui résistent à au moins deux lignes de traitements médicamenteux (no tamment les antidépresseurs) et aux psychothérapies. Par exemple, il y a quelques années, nous avons reçu une jeune patiente atteinte de dé pression dite « sévère » mélancoli forme, c’est-à-dire qu’elle était extrê mement abattue et presque catatonique – incapable de se mou voir ni de penser. Pourtant, elle était prise en charge depuis plusieurs mois, avec des médicaments et des psychothérapies, mais son état ne s’améliorait pas du tout… Nous avons alors essayé un autre traite ment contre la dépression : la sismo thérapie (aussi appelée « électro convulsivothérapie »), une stimulation électrique du cerveau, sous anesthé sie générale (qui se révèle habituelle ment très efficace chez des patients atteints de dépression résistante).
Une dépression a parfois des causes biologiques ; et si on ne les traite pas, il y a peu de chances que les disparaissent…psychologiquessymptômes
à l’origine de la production des anti corps ! Nous avons donc opéré la jeune femme pour retirer le cancer, puis avons traité l’inflammation en quelques jours à l’hôpital. Peu de temps après, elle allait bien et était totalement guérie de sa dépression.
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’actuel président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a connu une ascension fulgurante. Enfant d’une famille d’immigrés géorgiens qui vivaient dans le quartier du port d’Istanbul, il vendait des beignets dans les rues, rêvait de devenir footballeur ou imam. La réalité a été très différente. En 1994, il est élu maire d’Istanbul, puis, en 2003, nommé Premier ministre de la Turquie. Les gens font alors confiance à ce fils d’un pauvre caboteur, qu’ils considèrent comme « l’un des leurs ».
Le pouvoir change-t-il le cerveau ?
Par Theodor Schaarschmidt, psychologue et journaliste scientifique ÉCLAIRAGES p. 68 Rêve lucide : est-ce bien réel ? p. 72 Quand l’esprit refuse le hasard
L
Les expériences psychologiques sont formelles : exercer un pouvoir important altère notre relation aux autres. L’individu se focalise de plus en plus sur lui-même, une spirale qui mène à perdre parfois contact avec la réalité.
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Dix ans plus tard, changement de ton. Des manifestations éclatent en 2013 contre un projet de construction dans le parc Gezi d’Istanbul. L’État réagit alors avec une rare violence, envoyant des gaz lacrymogènes et des canons à eau contre la foule. La même année, Erdoğan est menacé par un
£ Le nombre de personnes sur lesquelles on exerce un pouvoir a une déterminante :importanceplus il est élevé, plus le leader s’arroge de privilèges et s’écarte de la justice.
£ Selon des expériences de psychologie, le simple fait d’occuper une position élevée pendant un certain temps entraîne des altérations comportement.du
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EN
BREF Tpyxa_Illustration/Shutterstock©
£ Surestimation de ses compétences, non prise en compte des points de vue d’autrui : la position de pouvoir focalise l’individu sur sa propre vision du monde.
L’intéroception joue un rôle fondamental dans nos vies. Si vous avez faim, c’est grâce à elle. Si votre vessie est bien remplie et que vous pouvez aller aux toilettes à temps, c’est encore
Brain publie un article qui fait sensation. Le neu rochirurgien canadien Wilder Penfield y décrit des expériences qu’il a réalisées avec un de ses collègues sur des personnes atteintes d’épilepsie. Au cours de cette intervention risquée, les chirur giens ont retiré du cerveau de leurs patients cer taines zones nerveuses où prennent naissance les crises convulsives. Les opérations ont lieu sous anesthésie partielle, ce qui permet de délimiter le foyer des crises à l’aide de stimuli électriques appliqués directement au cerveau. Penfield y voit un avantage : noter le détail des réactions de ces personnes à la stimulation de différentes struc turesC’estcérébrales.aucours d’une de ces opérations qu’un fait étrange est noté : la stimulation d’une zone particulière du cerveau ne provoque pas un
Sentir son corps de l’intérieur
£ Des permettentDifférentesoudesdesondesdanspeuventperturbationsintervenirl’interprétationsignauxcorporels :peutalorsdévelopperattaquesdepanique,troublesalimentairesdel’anxiété.méthodesdelesapaiser.
mouvement d’une partie du corps, ni la sensation d’être touché quelque part. Au lieu de cela, les patients ressentent la stimulation à l’intérieur d’eux-mêmes. Certains signalent des sensations étranges dans l’abdomen ou des grattements dans l’estomac ; d’autres sont pris de vertiges ou de nausées ; d’autres encore, de crampes intesti nales ou de ballonnements.
Quelle est cette région du cerveau qui fait res sentir des choses à l’intérieur du corps ? On l’ap pelle « insula », ou « cortex insulaire ». Elle se situe en dessous de la tempe, et se trouve en partie cachée dans un pli du cortex cérébral. Elle est à peine plus grande qu’une pièce de 2 euros. Mais malgré cela, on sait aujourd’hui qu’elle assume de multiples tâches, notamment celle de traiter des signaux nerveux provenant de l’intérieur du corps. Une perception nommée « intéroception », la per ception de ce qui est « au milieu » (du latin inter).
£ Ce sixième sens interne est fondamental pour développer des émotions et prendre des décisions en étant à l’écoute de son corps. Dans notre cerveau, un repli du cortex appelé « cortex insulaire » est dévolu au traitement de ces messages intérieurs.
80 Attentif sans effort ! p. 84 L’intelligence est-elle liée à la taille du cerveau ? p. 86 Vertiges inexpliqués : et si c’était phobique ?
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E
DU SENS CORPOREL INTERNE
EN BREF
UNE ZONE CÉRÉBRALE
Par Frank Luerweg, biologiste et journaliste scientifique.
£ L’intéroception est la capacité à ressentir les signaux issus de l’intérieur du corps : cœur, systèmepoumons,digestif…
VIE QUOTIDIENNE
À tout instant, notre cerveau reçoit des messages des organes et d’autres parties de l’intérieur du corps – la plupart du temps sans que nous en soyons conscients. Une autoperception souvent perturbée en cas d’anxiété, de troubles alimentaires ou de dépression.
p.
n décembre 1955, la revue
75 N° 147 - Octobre 2022 Adams/ShutterstockKendrick©
onsieur S., 53 ans, souffre de crises de vertige depuis une quinzaine d’années. Lorsqu’il se présente au Centre du ver tige et de l’équilibre, à l’université Louis-etMaximilien (LMU) de Munich, il nous explique qu’il a l’impression que tout vacille autour de lui. Ce sentiment s’accentue lorsqu’il est entouré d’autres personnes, par exemple dans un hall de gare ou un stade, ce qui le conduit à éviter nombre de ses activités favorites : fini les barbecues entre amis, les grandes fêtes ou les matchs de foot au stade. Il a aussi noté que les vertiges s’atténuent dans certaines circonstances, comme lorsqu’il fait du sport ou… boit quelques bières.
EN BREF
£ Heureusement, il existe des traitements efficaces, comme la combinaison de mesures de psychothérapie.l’équilibred’entraînementd’un« psychoéducation »,programmedeetd’une
M
Vertiges inexpliqués : et si c’était phobique ?
Vous avez régulièrement l’impression que tout vacille autour de vous, mais les médecins ne vous ont diagnostiqué aucun problème vestibulaire ? Vous souffrez peut-être de ce qu’on appelle un « vertige phobique ». Un trouble qui, heureusement, se soigne plutôt bien.
£ Chez environ un patient sur six souffrant de vertiges, on ne trouve aucune cause organique aux symptômes ; on parle alors de fonctionnel.vertige
Ces symptômes sont typiques de ce qu’on appelle le « vertige fonctionnel ». Une maladie qui
86 N° 147 - Octobre 2022 VIE QUOTIDIENNE Pathologie Goromaru/Shutterstock©
£ La peur de tomber joue un rôle important dans l’apparition du vertige phobique, un sous-type de ce trouble, car elle entraîne un raidissement du corps qui accroît le sentiment d’instabilité.
Par Doreen Huppert, neurologue et médecin-chef au Centre allemand du vertige et de l’équilibre.
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N° 147 - Octobre 2022
ÉMOTIONS
Marabout, 2022, 224 pages, 19,90 €
B
L’EffetPSYCHIATRIEWerther
Jérôme Palazzolo est psychiatre et chargé de cours à l’université de Nice-Sophia Antipolis.
Votre anxiété est un superpouvoir Wendy Suzuki
LIVRES p. 92 Sélection de livres p. 94 Le Désert des Tartares : quand nos habitudes nous enferment 92
Clément Guillet Éditions universitaires de Dijon 2022, 168 pages, 10 €
En moyenne, le taux de suicide au sein de la population augmente de 13 % après celui d’une star, apprend-on dans ce petit livre dense et documenté. C’est l’effet Werther, ainsi surnommé d’après le roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, un ouvrage qui provoqua une telle contagieux.àd’évoquerdelesL’auteuracélébrités,desLemoyenslesGuilletLedanssuicidairecontagionqu’ilfutinterditplusieurspays.psychiatreClémentnousendécriticiressorts,etsurtoutlesdeleprévenir.traitementmédiatiquesuicidesdeenparticulier,uneinfluencedécisive.rappellealorsrecommandationsl’OMSsurlafaçoncespassagesl’actepotentiellement
Pourquoi un bébé pleure-t-il ? Comment favoriser l’apprentissage et l’épanouissement des enfants ? D’où leur vient le goût des histoires ? En trente questions, un collectif de spécialistes nous fait entrer dans la tête de nos chers bambins. Leur ouvrage apporte au passage de nombreux conseils pratiques, comme celui d’accompagner les larmes des tout-petits sans chercher à tout prix à les faire cesser – car les pleurs permettraient de faire baisser leur stress. Les enseignants y trouveront également de précieuses ressources pour se mettre à jour sur les résultats des sciences cognitives, à l’instar du site moncerveaualecole.fr.
ANALYSE
ien souvent, l’anxiété est considérée comme une émotion désagréable dont il est absolument nécessaire de se débarrasser. Dans cet ouvrage, la neuroscientifique Wendy Suzuki, qui dirige un laboratoire de recherche à l’université de New York, nous met en garde : le risque est de passer totalement à côté du pouvoir énergisant de cette émotion et du potentiel de transformation qu’elle recèle !
Bien sûr, quand elle devient hors de contrôle, l’anxiété est un problème : en France, selon l’Inserm, 21 % des 18-65 ans souffriront d’un trouble anxieux paralysant – crises d’angoisse à répétition, phobie, TOC, stress post-traumatique… – à un moment ou à un autre de leur vie. Mais l’« anxiété du quotidien », comme l’appelle l’autrice, est essentielle à notre survie. À l’instar d’un voilier qui a besoin de vent pour avancer, le cerveau a besoin d’une force extérieure qui le pousse à évoluer et à s’adapter. Quand il y a trop de vent, le bateau prend de la vitesse, ce qui est dangereux dans la mesure où il risque à tout moment de chavirer et de sombrer ; de même, un stress excessif nuit. A contrario, un cerveau qui n’est pas assez stimulé fait du surplace, comme un voilier privé de vent. L’anxiété nous dirait alors à quel point le niveau de stress que nous subissons est gérable et productif pour nous, tout en nous poussant à nous adapter quand il ne l’est pas. « Au lieu de subir l’anxiété, utilisons-la ! », nous exhorte Wendy Suzuki avec un enthousiasme communicatif. Son ouvrage présente alors une série de questionnaires pour autoévaluer cette émotion, ainsi qu’une boîte à outils pour la canaliser et la transformer – exercices de méditation, conseils pour mieux cerner ce qui nous angoisse, indications pour améliorer son hygiène de vie et développer un regard positif sur les événements… L’objectif : agir le plus tôt possible pour calmer son corps et son esprit, afin de renforcer son bien-être et devenir plus efficace face à la multitude de problèmes et de défis que l’on rencontre au quotidien.
Jérôme Palazzolo
questionsdeLaDEPSYCHOLOGIEL’ENFANTPsychologiel’enfantentrente
Héloïse Lhérété (dir.) Sciences Humaines 2022, 236 pages, 12,70 €
SÉLECTION
Olivier Houdé
deLibérons-nousMÉDECINEladouleur
93
Humensciences, 2022, 480 pages, 23,90 euros
C
NEUROENDOCRINOLOGIEMeshormonesetmoi
Georges Chapouthier est biologiste, philosophe et directeur de recherche émérite au CNRS.
«L’univers construitestsur un plan dont la symétrie profonde est, en quelque sorte, présente dans l’intime structure de notre esprit », écrivait Paul Valéry. Le poète s’est toute sa vie durant intéressé à l’observation de la pensée humaine, en particulier celle à laquelle il avait le plus facilement accès : la sienne. À travers cette brève biographie, le psychologue Olivier Houdé nous présente ses œuvres clés en la matière, avant de proposer une mise en perspective stimulante de l’affirmation de l’écrivain sur les liens entre la structure du cerveau et celle du monde extérieur à la lumière endécouvertesdesrécentesneurosciences.
Franca Parianen
Paul Valéry, amoureux de son cerveau
e qui conditionne la vie d’un être humain, ce ne sont pas seulement son puissant cerveau et ses performances intellectuelles. Ce sont aussi les innombrables molécules qui parcourent son corps via la circulation sanguine : les hormones, dont Franca Parianen, vulgarisatrice et docteure en neurosciences, nous offre ici une synthèse saisissante. Produites par les glandes endocrines, les hormones assurent tout d’abord le bon fonctionnement du corps, les fonctions de base sans lesquelles l’organisme ne pourrait survivre : régulation de la digestion, de l’excrétion, de la croissance, du sommeil, de la vie sexuelle, de la grossesse… Tout cela sous le contrôle d’un « Grand Maître des hormones », l’hypothalamus, situé à la base du cerveau. Mais ces substances sont aussi essentielles à notre fonctionnement psychique, l’hormone de croissance participant par exemple au développement cognitif et bon nombre de ses consœurs influant sur nos émotions. Souvent pour le meilleur, comme lorsque l’ocytocine suscite des sentiments d’amour et d’empathie, sources de l’altruisme. Mais tout est question d’équilibre au sein de ce complexe ballet, un excès de testostérone rendant à l’inverse certaines personnes trop agressives. Et de multiples facteurs dérèglent notre système hormonal : stress chronique, maladies mentales, décalage horaire… Sans oublier, bien sûr, les perturbateurs endocriniens, substances polluantes auxquelles nous devrions prêter une bien plus grande attention car elles ont nombre d’effets néfastes, contribuant notamment au développement de cancers.
CULTURE & SOCIÉTÉ
Marc Lévêque Buchet Chastel 2022, 240 pages, 18,50 €
Odile Jacob 2022, 144 pages, 18,90 €
L’autrice livre ici un récit à la fois didactique et teinté d’humour, agrémenté d’anecdotes savoureuses, n’hésitant pas à donner la parole aux hormones elles-mêmes. Cette amusante personnification débouche sur quelques passages truculents, par exemple lorsque les hormones se plaignent de leur mauvaise image, tous les dérèglements de notre psychisme leur étant souvent attribués : « En fait, on ne nous a jamais vraiment pardonné la puberté », soupirent-elles…
COUP DE CŒUR
Georges Chapouthier
’est par quelques vers de Sabine Sicaud, enfant poète en proie à la douleur chronique, que s’ouvre cet Immédiatement,ouvrage. on est convaincu de l’aspect éreintant et desetfacteursdifficultéstantpsychologiquebiologique,sesdepourIloulessociétal,sonunnousspécialisteLévêque,souffrance.envahissantprofondémentdecetteMarcneurochirurgiendusujet,endressealorsportraitédifiant :impactindividueletsesmécanismes,traitementsexistantsendéveloppement…plaideenparticulierlapriseencomptelamaladiedanstoutesdimensions :maisaussietsociale,l’anxiétéoulesdeviesontdesdesomatisationd’aggravationdouleurs.
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N° 147 - Octobre 2022
94 N° 147 - Octobre 2022
£ Les recherches en psychologie confirment à quel point les habitudes s’installent vite et omniprésentes.deviennent
SEBASTIAN DIEGUEZ
Quand nos habitudes nous enferment
Dans ce roman de l’inaction, le véritable héros est le temps qui passe, impitoyablement, « englou tissant un jour après l’autre », tandis que s’érodent les espoirs. Méditation profonde sur la fuite inexo rable de la vie et la vacuité des attentes, Le Désert
Ce paradoxe presque tragique de notre exis tence est admirablement décrit dans Le Désert des Tartares, roman de l’écrivain italien Dino Buzzati paru en 1940. On y lit la longue usure du soldat Giovanni Drogo au fort Bastiani, étrange citadelle à laquelle il se trouve affecté à la sortie de son académie militaire. Cet endroit isolé, solitaire et difficile d’ac cès, supposé garder une frontière au bord d’une immense plaine désertique, n’a « jamais servi à rien ». Persuadé qu’il n’y fera qu’un bref séjour avant de demander sa mutation dans une caserne plus animée, Drogo y passera finalement trente-six ans à attendre qu’il s’y passe enfin quelque chose, espérant que ce soit un événement grandiose où il aura l’occasion de se montrer héroïque.
£ Pire : elles nous font perdre toute curiosité pour les s’ilsalternatifs,comportementsmêmesontpluspertinents.
Les habitudes sont utiles et inévitables – permettant notamment de simplifier le quotidien et de libérer des ressources mentales que l’on peut alors consacrer à des tâches plus importantes –, mais nous les voyons négativement, comme si elles nous privaient de notre liberté et nous enkystaient, nous figeaient en une personne que nous ne souhaitons pas être.
Dans le roman de l’écrivain italien Dino Buzzati, le héros se laisse prendre dans une routine qui anesthésiera ses aspirations. Un mauvais tour que nous joue notre cerveau, et dont nul n’est complètement à l’abri.
N
Le Désert des Tartares
ous nous targuons sou vent d’être des personnes créatives, originales, complexes et regorgeant de surprises, mais la vérité est que nous sommes prompts à nous réfugier dans la routine. Sans doute car elle apporte une forme de confort et de sécurité. Le fait est que nous sommes en partie des êtres d’ha bitude, et que nous avons du mal à le reconnaître, comme si c’était là un élément honteux de notre nature. De fait, quand Claude François chantait Comme d’habitude en 1967, il exprimait une com plainte plutôt lugubre, où un couple, enlisé dans son morne quotidien, en vient à faire semblant de s’aimer.
Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
95 N° 147 - Octobre 2022 LIVRES Neurosciences et littérature
£ Le Désert des Tartares raconte l’histoire d’un officier ambitieux qui passe sa vie dans un fort perdu, où il s’enferme dans ses habitudes.
EN BREF
p. 54 p. 16 p. 60 p. 84 p. 68 p. 94 p. 12 p. 72 25 % 45 %
Se dit d’une maladie psychiatrique dont la cause est biologique. Ainsi, certains cancers peuvent entraîner la production d’anticorps qui se retournent contre des récepteurs neuronaux et provoquent une dépression.
À retrouver dans ce numéro Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes– Dépôt légal : octobre 2022 – N° d’édition : M0760147-01 – Commission paritaire :
Dans le jeu dit « du dictateur », un individu reçoit une somme d’argent qu’il peut distribuer comme bon lui semble entre ses partenaires et lui. Résultat : plus le nombre de partenaires est élevé, plus il garde d’argent pour lui seul !
PSYCHIATRIQUEORGANO-SYNAPSES
DÉTOXCERVEAUDEMARCCAFÉ
de nos actions quotidiennes seraient routinières.entièrementCesontdeshabitudesquasiautomatiques,commemanger,allerautravail,s’habiller…
DICTATEURAPPRENTI
des différences de QI entre deux personnes seraient dues à la différence de taille entre leurs deux cerveaux.
Il est possible d’évacuer les toxines de son cerveau en augmentant le débit du liquide interne (le liquide céphalorachidien)… en faisant du yoga. Les exercices respiratoires auraient la particularité d’augmenter la vitesse d’écoulement du liquide jusqu’à 28 %.
« Dans mon rêve, j’entendais les expérimentateurs me poser des questions. Leur voix venait de partout, comme si c’était Dieu qui me parlait. » Un rêveur lucide, lors d’une expérience 0723 K 83412
Dans le cerveau d’un enfant de 2 ans, une seule tête d’épingle de tissu neuronal contient 4 milliards de synapses. Il en perd ensuite 10 000 par seconde pendant quinze ans, à mesure qu’il développe de nouvelles aptitudes.
Les personnes qui voient des signes dans le marc de café sont persuadées que le hasard n’existe pas. Les complotistes ont un peu le même profil, à une différence près : pour eux, s’il n’y a pas de hasard, c’est à cause d’intentions malveillantes de groupes d’individus, et non du fait de l’ordre naturel des choses.
DIEU M’A PARLÉ
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– Distribution : MLP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur : 264 994 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot