Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
Stagiaire : Servane Le Grand
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Directeur marketing et développement : Frédéric-Alexandre Talec
Chef de produit marketing : Ferdinand Moncaut
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Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande
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Assistante administrative : Leïla Djema
Directrice des ressources humaines : Olivia Le Prévost
Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho
Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon
Ont également participé à ce numéro : Patrice Brehmer, Benoit Famaey, Claire Garrigue, Léana Gorse, Clémentine Laurens, Antoine Letessier-Selvon, Karine Merienne, Étienne Meunier, Marc-André Selosse, Cyril Thomas
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DITO
François Lassagne Rédacteur en chef
MATIÈRE
À HÉSITER
Les Cassini n’hésitèrent pas : à la suite de Jean Dominique, l’astronome du Roi-Soleil, trois générations de cette illustre famille de savants entreprirent de relier les mouvements des corps célestes et la cartographie. On doit notamment à cette œuvre tenace la superbe carte de la France « de Cassini », récemment numérisée et en accès libre sur le site de la Bibliothèque nationale de France. Elle reste une référence, nous vous invitons à l’arpenter, à y chercher les toponymes des lieux qui vous sont chers…
Aux XXe et XXIe siècles, la maîtrise de l’espace et du temps est allée de l’avant, héritière de cet élan qui plaisait tant aux princes. Le temps que nous mesurons est celui des horloges atomiques, la topographie de nos cartes celle qu’affinent les relevés par satellite. La compréhension des lois de la physique détermine, plus que jamais, l’organisation de notre monde.
Mais s’agissant de cartes, il en est une qui pose aujourd’hui plus de questions qu’elle n’apporte de réponse : c’est le paysage des hypothèses sur la nature de la matière noire. Il est entendu depuis les années 1970 que cette matière inconnue constitue 25 % du contenu en énergie de l’Univers… Mais en quoi consiste-t-elle ? Des trésors d’intelligence et d’ingéniosité ont été déployés pour conceptualiser ses constituants et les détecter. Les nouvelles pistes expérimentales de la physicienne Kathryn Zurek en offrent un saisissant témoignage.
Mais le succès se fait attendre, en dépit des efforts de larges collaborations internationales, s’appuyant sur des instruments toujours plus précis… Où chercher ? Les physiciens hésitent, et le temps est venu d’orienter cette quête au-delà des pistes qui semblaient initialement les plus probables. C’est l’objet de la carte proposée par les physiciens Tim Tait et Tracy Slatyer (voir page 26). Il est possible que la réponse se trouve en dehors de ses marges – notamment dans des versions modifiées de la théorie de la relativité. Si tel est finalement le cas, nous n’hésiterons pas à nous en faire l’écho dans ces pages. n
s
OMMAIRE
ACTUALITÉS
P. 6
ÉCHOS DES LABOS
• Tailler l’os comme la pierre
• « Desi » : un signal qui se renforce
• Le second chromosome X limite le déclin cognitif
Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot
Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.
P.
21
MATIÈRE NOIRE LES IMPASSES LES NOUVELLES PISTES
P.
22
COSMOLOGIE
MATIÈRE NOIRE : FAUT-IL CHANGER DE STRATÉGIE ?
Tracy Slatyer et Tim Tait
La matière noire est plus insaisissable que les physiciens ne l’espéraient. Il est temps d’élargir le champ des pistes à explorer.
P. 30
PHYSIQUE THÉORIQUE
UN UNIVERS À PART
Kathryn Zurek
La matière noire pourrait être un secteur sombre de l’Univers, avec ses propres particules et forces. De nouvelles expériences, inspirées des outils de la matière condensée, tentent de le mettre au jour.
GRANDS FORMATS
P. 36
SCIENCES COGNITIVES
ET SI LA MAGIE NOUS AIDAIT À COMPRENDRE
LES ANIMAUX ?
Betsy Mason
Oiseaux, singes, seiches… Comment réagissent-ils aux tours de magie ?
Les chercheurs exposent un nombre croissant d’espèces au répertoire de la prestidigitation pour découvrir la façon dont les animaux perçoivent et pensent le monde
P. 42
PALÉONTOLOGIE
DUELS DE BLINDÉS
AU MÉSOZOÏQUE
Michael Habib
Les recherches récentes sur les cornes, les piques, les massues et les armures de certains dinosaures clarifient les débats sur l’utilité de cet armement
P. 52
MÉDECINE
BIENTÔT DES VACCINS
PAR SPRAY NASAL ?
Stephani Sutherland
Des premiers résultats suggèrent que des sprays nasaux testés comme vaccins contre le Covid-19, la grippe et d’autres maladies respiratoires offriraient une protection plus rapide et ciblée que les vaccins par injection
P. 62
HISTOIRE DES SCIENCES
L’ASTRONOME QUI MIT LE MONDE
AUX PIEDS DU ROI-SOLEIL
Dalia Deias
L’imposant travail de mesures astronomiques et de cartographie qu’a mené l’Italien Jean Dominique Cassini – dont on fête cette année les 400 ans de la naissance – au tout récent Observatoire royal, à Paris, a donné à Louis XIV une connaissance bien meilleure du monde et de la France.
RENDEZ-VOUS
P. 70
LOGIQUE & CALCUL
GRANDE ÉVASION
DEMANDE
COORDINATION
Jean-Paul Delahaye
Au jeu des 100 prisonniers, une stratégie connue fournit un avantage… mais la situation se complexifie dans certaines variantes, pourtant naturelles.
P. 76
ART & SCIENCE
S’habiller d’or
Loïc Mangin
P. 80
IDÉES DE PHYSIQUE
Charlie et la cristallerie
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
P. 84
CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION
Le mystère des mollusques sans coquille
Hervé Le Guyader
P. 88
SCIENCE & GASTRONOMIE
L’odeur du sucre
Hervé This
P. 90 À PICORER
P. 6 Échos des labos
P. 16 Livres du mois
P. 18 Disputes environnementales
P. 20 Les sciences à la loupe
L’un des outils d’os vieux de 1,5 million d’années découverts dans les gorges d’Olduvai. Il a été façonné dans un os d’éléphant.
PALÉOANTHROPOLOGIE
TAILLER L’OS COMME LA PIERRE
Un site de charognage des gorges d’Olduvai suggère qu’il y a 1,5 million d’années, dès le Paléolithique inférieur, on ne négligeait pas de tailler l’os à la place de la pierre lorsqu’il fallait obtenir vite de grands outils coupants.
Innover consiste souvent seulement à faire la même chose, mais… en changeant un détail. Emmenée par Ignacio de La Torre, du Conseil supérieur de la recherche scientifique d’Espagne, et par Francesco d’Errico, du CNRS, une équipe de chercheurs vient de montrer qu’il y a 1,5 million d’années, en Afrique de l’Est, des mains habituées à tailler la pierre ont taillé… l’os.
Fouillé en 2015, le complexe T69, qui comprend les outils en os, se trouve dans le ravin FLK (Frida Leakey Korongo) des célèbres gorges d’Olduvai, dans le nord de la Tanzanie Il a été recouvert par des
£
Les os d’hippopotame utilisés pour fabriquer les outils ont d’abord été exploités pour leur moelle
sables et des limons superposés, dans ce qui semble avoir été une plaine alluviale inondable Les fouilleurs y ont découvert plus de 10 900 outils lithiques de plus de 2 centimètres taillés dans le quartzite local. Pour leur part, les os sont très bien conservés , sans doute parce qu’ils furent ensevelis très vite sous des sédiments Dès lors, les chercheurs ont pu facilement identifier parmi eux 27 outils osseux Ils en sont certains, car les expériences de fracture d’os longs de grands mammifères visant l’extraction de moelle montrent que , même dans le cas des très gros os d’éléphants , le nombre d’enlèvements d’éclats dépasse rarement quatre ; et, en général, ils sont isolés les uns des autres. De fait, les vestiges de faune du complexe T69 portant de telles traces présentent en moyenne 2,1 enlèvements d’éclats , contre 12,9 pour les présumés outils en os, toujours contigus et préférentiellement sur les bords Il s’agit bien d’outils
Tous les outils fabriqués à partir de fragments d’os de membres d’hippopotame l’ont été après qu’on en a exploité la moelle . Pour ceux qui proviennent des éléphants, des os déjà altérés par les éléments mais aussi des os frais ont été utilisés, ce qui montre que les tailleurs avaient également accès à des carcasses fraîches Les outils sont considérablement plus longs que la plupart des vestiges fauniques Ceux des éléphants sont les plus grands , avec leurs 22 à 38 centimètres de long et 8 à 15 centimètres de large Les tailles des outils en os d’hippopotame varient pour leur part entre environ 18 et 30 centimètres de long et de 6 à 8 centimètres de large. Logiquement , plus les outils sont grands, plus on y a enlevé d’éclats pour les façonner Les tailleurs ont procédé d’abord à l’enlèvement de gros éclats , puis en retouchant les bords, exactement comme lors de la taille d’outils en pierre. Qui menait cette activité ? On l’ignore, et à l’époque où s’est constitué le complexe T69, plusieurs formes humaines anciennes relevant d’Homo habilis et/ou de son descendant probable Homo erectus ont pu coexister dans la région . Des bifaces grossiers et d’autres artefacts acheuléens étaient alors déjà produits depuis 1 demi-million d’années Si les chercheurs n’en ont pas trouvé dans le complexe T69, ils attribuent cependant le site à l’Acheuléen, du fait de la présence non seulement de grands outils de coupe façonnés en pierre, mais aussi de ceux à tendance bifaciale en os qu’ils y ont découverts Manifestement, on venait sur ces lieux exploiter les restes d’animaux morts , ce qui amenait à produire des outils à la va-vite sur place afin de pouvoir mieux tirer parti des carcasses Ainsi, T69 montre que même les humains très anciens exploitaient la matière organique, ce qui invite à rechercher désormais la présence d’éventuels outils en os dans les sites anciens. n François Savatier
COSMOLOGIE
« Desi » : un signal qui se renforce
Quelle est la nature de l’énergie noire ? Pour répondre à cette question, le programme « Desi » établit une carte 3D de la distribution des galaxies dans l’Univers. Pauline Zarrouk, chercheuse CNRS au LPNHE, à Paris, nous explique les résultats obtenus avec l’analyse de trois ans de données.
Propos recueillis par Sean Bailly
Quel est le résultat ?
Qu’est-ce que l’énergie noire ?
En 1998, deux équipes d’astrophysiciens ont constaté avec surprise que les supernovæ de type Ia, qu’ils traquaient à des distances toujours plus lointaines, paraissaient moins lumineuses que ce que prévoyait le modèle. L’interprétation de ces observations est que l’expansion de l’Univers accélère depuis 6 à 7 milliards d’années. Pour expliquer cette dynamique, les cosmologistes ont suggéré que l’Univers contient un ingrédient supplémentaire, l’énergie noire. Les observations cosmologiques conduisent à estimer que l’énergie noire représente près de 70 % de la densité d’énergie de l’Univers. Il reste à comprendre ce qui la constitue. La solution la plus simple est une constante cosmologique, dont la densité reste fixe et ne se dilue pas avec l’expansion cosmique. Mais d’autres solutions ont été proposées, qui suggèrent que l’énergie noire évolue au cours du temps. Un des objectifs du programme Desi est d’identifier le comportement de l’énergie noire au cours de l’histoire cosmique.
En quoi consiste Desi ?
C’est un vaste programme de relevé spectroscopique mené depuis l’observatoire américain de Kitt Peak, en Arizona, qui implique une collaboration internationale de plus de neuf cents personnes. Il scrute le ciel depuis mai 2021 et mesure avec précision la distance d’un grand nombre de galaxies dans l’Univers pour en dresser une carte tridimensionnelle. Sur cette carte, on peut voir que les galaxies ne sont pas distribuées de façon aléatoire. Le modèle cosmologique nous dit même que, du fait des conditions primordiales dans l’Univers, il existe une distance moyenne caractéristique qui sépare les galaxies, que l’on nomme l’« échelle de distance des oscillations acoustiques baryoniques ».
Quand on compare la prédiction du modèle standard cosmologique avec une constante cosmologique et les observations, on constate qu’il y a une bonne compatibilité dans l’Univers lointain jusqu’au moment où l’énergie noire se met à dominer la dynamique de l’Univers. Ensuite, alors qu’on arrive vers l’Univers proche, on commence à voir une déviation. Le résultat suggère fortement que l’énergie noire n’est pas une constante, mais évolue au cours du temps.
En cosmologie, parce que ces mesures sont très di ciles, la question qui se pose est alors d’évaluer la probabilité que ce résultat soit une fluctuation statistique, c’est-à-dire une illusion, ou au contraire s’il s’agit de la mise en évidence d’un phénomène nouveau bien réel.
En 2024, la collaboration Desi a publié son analyse avec un catalogue représentant un an de données, soit environ 6 millions de galaxies. Pour renforcer la sensibilité aux propriétés de l’énergie noire, nous avons combiné nos observations avec les résultats obtenus sur le fond di us cosmologique et les supernovæ de type Ia. La conclusion était alors que les observations favorisaient déjà un scénario d’énergie noire sans atteindre toutefois le seuil de découverte situé à un risque sur un million d’être dû à une fluctuation statistique.
Cette année, nous avons publié notre analyse avec trois ans de données, soit 14 millions de galaxies dont on a mesuré précisément la position. Le signal en faveur d’une énergie noire qui évolue au cours du temps se renforce. Il est encore trop tôt pour conclure de façon définitive, mais d’autres analyses avec les données de Desi et celles d’autres programmes d’observation de l’Univers sont en cours. Et Desi va opérer au moins jusqu’en 2026 L’objectif est d’obtenir une carte avec 60 millions de galaxies. Les prochaines années vont être décisives et excitantes pour ceux qui cherchent à comprendre de quoi l’énergie noire est faite ! n
I. de la Torre et al., Nature, 2025.
PAULINE ZARROUK astrophysicienne au CNRS
NEUROSCIENCES
LE SECOND CHROMOSOME X LIMITE LE DÉCLIN COGNITIF
Avec l’âge, certains gènes présents sur le chromosome X inactivé des femmes sont exprimés. Ils auraient un rôle dans la résilience plus importante qu’elles présentent face au vieillissement cérébral.
Les femmes, et de façon plus générale les femelles mammifères, possèdent deux chromosomes X et donc deux exemplaires de chacun des gènes de ce chromosome. L’un de ces deux chromosomes est systématiquement et aléatoirement inactivé via des marques épigénétiques, c’est-à-dire des groupements moléculaires qui le tapissent et empêchent ainsi l’expression de ses gènes, ce qui équilibre leur expression entre cellules femelles XX et cellules mâles XY. Ce second chromosome X « silencieux » n’a donc hypothétiquement aucune fonction. Mais en 2015, l’équipe de Christine Disteche, de l’université de Washington, a montré que, malgré cette inactivation moléculaire, certains de ses gènes parviennent à « s’échapper » et sont ainsi exprimés par les deux chromosomes simultanément, ce qui entraîne leur surexpression chez les femelles par rapport aux mâles. Cinq ans plus tard, une équipe de chercheurs met en évidence que la suppression de ce chromosome X silencieux aggrave les déficits cognitifs chez des souris femelles. Des observations qui questionnent le rôle de ce chromosome X prétendument inactif dans le fonctionnement cérébral des femelles mammifères. Pour comprendre dans quelle mesure ces évasions de gènes évoluent avec le vieillissement et jouent un rôle dans le déclin cognitif, l’équipe de Dena Dubal , de l’université de Californie à San Francisco , s’est intéressée à l’expression du chromosome X inactif chez des souris femelles jeunes et âgées dans une structure cérébrale essentielle à la mémoire et fortement impactée par le vieillissement : l’hippocampe . Les scientifiques ont ainsi identifié 19 gènes parfaitement réprimés sur le chromosome X inactif chez les souris jeunes, mais qui « s’échappent » au cours du vieillissement, entraînant leur surexpression dans l’hippocampe des souris femelles âgées par rapport aux mâles. Parmi eux, l’évadé majoritaire est le gène PLP1 qui code une protéine essentielle à la gaine de myéline et au fonctionnement neurologique Afin de déterminer si l’augmentation de l’expression de ce gène influe sur la résilience au déclin cognitif, les scientifiques ont surexprimé le
LE SECOND
CHROMOSOME X PERMET L’« ÉVASION » ET LA SUREXPRESSION DE GÈNES IMPLIQUÉS DANS LE FONCTIONNEMENT NEURONAL
gène PLP1 dans des cellules de l’hippocampe de souris mâles et femelles, et ont testé certaines de leurs performances cognitives, comme la mémoire spatiale, une des fonctions affectées par le vieillissement Ils ont ainsi montré que la surexpression de PLP1 dans l’hippocampe des souris âgées procure une amélioration des performances cognitives chez les mâles comme chez les femelles. Le second chromosome X , bien que globalement inactif, interviendrait ainsi dans la résilience cognitive observée chez les femelles mammifères, en permettant au cours du vieillissement l’évasion et donc la surexpression de certains gènes acteurs du fonctionnement neuronal L’avantage est cependant à double tranchant : en e ff et , d’autres gènes , notamment impliqués dans certaines pathologies neurodégénératives , comme la maladie d’Alzheimer, sont aussi présents sur ce chromosome La surexpression de ces gènes suite à leur « évasion » du chromosome X inactif pourrait alors augmenter la vulnérabilité des femmes aux pathologies associées n
Marguerite Jamet
Les femmes présentent deux chromosomes X, dont un est, en principe, inactivé. Mais avec l’âge, des gènes de ce chromosome sont exprimés. Certains parmi eux contribuent à limiter le déclin cognitif.
M. Gadek et al., Science Advances, 2025.
DOSSIER
MATIÈRE NOIRE
Les impasses, les nouvelles pistes
Le message que nous envoie le cosmos semble clair. À presque toutes les échelles (de la Voie lactée aux amas de galaxies) et à toutes les époques, même en remontant jusqu’au plasma primordial, la matière noire exerce son influence gravitationnelle sur l’Univers. Mais quelle est sa nature ? À cette question, deux écoles apportent chacune une réponse possible. La première, la moins investie, consiste à dire que la matière noire n’existe pas, que cette illusion manifeste le fait que l’on décrit de façon imparfaite les lois de la gravitation. L’autre école postule que la matière noire est bien réelle et composée de particules. Mais lesquelles ? Alors que les deux candidats principaux commencent à être sérieusement mis en défaut, il est probablement temps de questionner d’autres scénarios. C’est ce changement de paradigme que nous vous proposons d’explorer.
L’ESSENTIEL
> La matière noire est omniprésente dans l’Univers, mais sa nature reste élusive.
> Le wimp et l’axion sont deux candidats à la matière noire, intéressants d’un point de vue théorique (ils peuvent résoudre d’autres problèmes en même temps) et expérimental (il est possible de concevoir des détecteurs pour les trouver).
> Malgré un e ort intense, aucun wimp ni axion n’ont été détectés à ce jour.
> Que faire ? Les physiciens proposent d’investiguer un champ de scénarios possibles plus large avec des expériences modestes. La détection d’un signal permettra alors de refocaliser l’e ort sur une voie prometteuse.
LES AUTEURS
TRACY SLATYER astrophysicienne théoricienne, spécialiste de la matière noire, à l’institut de technologie du Massachusetts, aux États-Unis
TIM M. P. TAIT
théoricien, spécialiste de la physique des particules de hautes énergies, à l’université de Californie à Irvine
MATIÈRE NOIRE Faut-il changer de stratégie ?
La matière noire est plus insaisissable que les physiciens ne l’espéraient. Il est temps d’élargir le champ des pistes à explorer.
La majeure partie de la matière de l’Univers est invisible . Nous détectons la présence de cette « matière noire » en mesurant l’influence gravitationnelle qu’elle exerce sur l’orbite des étoiles et des galaxies Nous observons aussi la façon dont elle dévie la lumière de sa trajectoire rectiligne Et nous déterminons comment elle contribue aux propriétés du rayonnement issu du plasma primordial du Big Bang, que l’on nomme le « fond diffus cosmologique » Nous avons mesuré tous ces signaux avec une précision incroyable. Tous ces éléments convergent et nous amènent à penser que la matière noire est omniprésente dans le cosmos Pourtant, nous ne savons toujours pas de quoi elle est faite
Depuis des décennies , les physiciens et les physiciennes tentent de cerner la matière noire par l’entremise de différents détecteurs ou télescopes, mais en vain. La découverte tant espérée pourrait être pour bientôt, au cœur d’une des expériences en cours ou dans un projet en préparation Mais cette longue attente, sans succès, sans indices, incite une partie de la communauté des scientifiques à se demander si nous ne cherchons pas au mauvais endroit, ou de la mauvaise façon
La majorité des efforts expérimentaux se sont concentrés sur un nombre restreint de candidats possibles pour la matière noire, ceux qui semblaient les plus naturels, qui offraient des possibilités de détection simple et qui proposaient parfois des solutions à plusieurs problèmes de la physique fondamentale en
même temps Pourtant, rien ne garantit que ces autres énigmes et le dilemme de la matière noire soient liés Les physiciens sont de plus en plus nombreux à reconnaître qu’il nous faudrait peut-être explorer un plus large éventail d’explications possibles.
Cette recherche infructueuse fait aussi naître un certain pessimisme avec l’idée déconcertante qu’il sera peut- être impossible de déterminer la nature de la matière noire. Dans les premiers temps de la chasse à la matière noire, cette éventualité semblait absurde. Nous disposions d’un grand nombre de bonnes théories et de nombreuses options expérimentales pour les tester Mais les voies les plus faciles ont été empruntées et la matière noire s’est révélée plus mystérieuse que nous ne l’avions jamais imaginé Si la matière noire n’interagit
absolument pas avec la matière ordinaire , autrement que par la force gravitationnelle, il sera presque impossible de la détecter en laboratoire. Les observations astrophysiques resteront alors le seul espoir : en cartographiant la présence de la matière noire dans l’Univers, nous pourrons accumuler quelques indices sur ses propriétés, mais il faudra admettre que nous ne connaîtrons jamais sa véritable nature Certains physiciens proposent une autre voie, radicalement différente, et suggèrent que la matière noire n’existe tout simplement pas. Pour expliquer les observations, il faut alors modifier les lois de la gravitation (voir l’encadré page 24) Les avis sont partagés, mais de notre point de vue, il est trop tôt pour se prononcer sur ces scénarios qui paraissent encore très complexes À l’inverse, l’idée d’une nouvelle
La matière noire est-elle comme un animal de légende, dont on constate certaines manifestations, mais que personne n’a jamais vu directement ?
Les physiciens ne perdent pas l’espoir de mettre un jour la main dessus.
forme de matière qui n’émet ni n’absorbe de lumière paraît assez simple. En fait, nous disposons déjà d’un exemple de particules qui se comportent exactement comme ça. Les neutrinos sont des particules presque sans masse, omniprésentes et qui interagissent rarement avec la matière ordinaire Mais nous savons déjà que les neutrinos constituent, au mieux, environ 1 % de la matière noire
Alors , qu’en est - il des 99 % restants ?
Le champ des possibles est vaste et il n’est pas impossible que la matière noire ne soit que la pointe d’un iceberg, qui cacherait une physique bien plus riche encore, fourmillant de nouvelles particules et de nouvelles forces ne faisant pas partie du modèle standard de la physique des particules À l’heure actuelle, nous avons peu d’indices pour éclairer notre chemin, mais la puissance potentielle d’une telle découverte nous pousse à aller de l’avant
Par une chaude soirée d’août 2022, nous nous sommes réunis avec plusieurs collègues , à l’université de Washington. Nous étions là pour discuter le futur de la recherche sur la matière noire, dans le cadre du « programme Snowmass » Il s’agit d’ateliers de travail que la communauté américaine de la physique des particules organise tous les dix ans environ pour décider des priorités de la recherche future Nous avions été chargés de résumer les progrès et le potentiel des travaux sur la matière noire Un des objectifs était de faire un catalogue des candidats possibles et des idées pour les détecter
L’HEURE DU BILAN
Cette réflexion arrive à un moment particulier dans la quête de la matière noire Depuis les années 1990, des milliers de scientifiques ont exploré intensivement un nombre restreint d’hypothèses, dont ils ont exclu un grand nombre de possibilités Il est temps de faire le point Ces travaux se sont focalisés sur deux des propositions les plus populaires : le wimp (weakly interacting massive particle), une particule massive qui interagit faiblement avec la matière ordinaire, et l’axion, une particule très légère qui apparaît dans le cadre de la chromodynamique quantique (QCD), la théorie qui décrit l’interaction forte. Ces idées avaient l’avantage de séduire à la fois les théoriciens, par la simplicité des modèles ou leur capacité à résoudre simultanément plusieurs problèmes, et les expérimentateurs qui pouvaient concevoir des détecteurs pour révéler ces particules Les wimps sont des particules hypothétiques , stables et dont la masse est comparable à celle des particules du modèle standard La masse d’un proton est légèrement inférieure à 1 gigaélectronvolt ( GeV ) et la plupart des recherches de wimps se sont concentrées sur la plage de masse comprise
UNE PISTE ALTERNATIVE ?
Certains physiciens suggèrent que la matière noire n’existe pas. Mais un Univers dénué de cette composante nécessite des modifications importantes des lois de la gravité telles que nous les comprenons actuellement, qui sont fondées sur la théorie de la relativité générale d’Einstein. Deux approches sont possibles : en ajustant les équations de la relativité générale tout en conservant le même cadre sous-jacent ou en introduisant un nouveau paradigme qui remplace complètement la relativité générale. Les contraintes de telles modifications semblent très di ciles à satisfaire car il faut imiter les e ets de la matière noire à di érentes échelles astrophysiques, des petites galaxies satellites de la Voie lactée aux amas géants de galaxies, et sans contredire la multitude des autres observations précises impliquant des phénomènes gravitationnels. Un des obstacles majeurs pour ces approches de gravité modifiée est notamment de décrire ce qui se passe dans le plasma qui remplissait l’Univers dans sa jeunesse. Ces conditions primordiales se manifestent notamment dans le fond di us cosmologique, le rayonnement émis 380 000 ans après le Big Bang. En 2021, Constantinos Skordis et Tom Złośnik, de l’Académie tchèque des sciences, à Prague, ont proposé une version parmi les plus abouties de gravité modifiée qui reproduit bien ce qui se passe à l’échelle des galaxies et même dans le plasma primordial. Mais ce modèle simplifié doit encore être justifié physiquement et on ne sait pas ce qu’il prévoit aux échelles cosmiques intermédiaires. Les champs qui modifient la gravitation dans ce modèle se comportent comme une forme de matière noire aux échelles cosmologiques.
entre 10 et 1 000 GeV (les physiciens des particules expriment les masses en unités d’énergie en utilisant la formule d’Einstein, E = mc2).
La version la plus simple d’un wimp est celle d’une particule sensible à l’interaction faible, qui se couple donc directement avec les bosons W et Z du modèle standard. Le wimp apparaît naturellement dans les modèles de supersymétrie, où chaque particule connue possède une contrepartie plus lourde appelée « superpartenaire » . Il y a une quinzaine d’années , les physiciens espéraient que le LHC, le grand collisionneur du Cern, près de Genève, trouverait des superpartenaires Ils auraient ainsi prouvé la nature supersymétrique du monde et potentiellement révélé la nature de la matière noire Mais nous n’avons pas eu cette chance La question de savoir si le monde est, d’une façon ou d’une autre , supersymétrique est encore ouverte. Cela n’exclut pas pour autant le wimp qui existe aussi dans des scénarios non supersymétriques.
LE MIRACLE DU WIMP
Un des arguments forts en faveur du wimp porte sur les calculs d’abondance de cette particule : le wimp aurait été produit dans l’Univers primordial dans des quantités égales à celles de la matière noire que l’on observe aujourd’hui
Cet article est une adaptation de What if we never find dark matter ?, paru dans Scientific American en septembre 2024.
En effet, lorsque le cosmos était beaucoup plus petit, plus dense et plus chaud qu’aujourd’hui, les interactions faibles suffisaient à produire des wimps à partir de la collision de deux particules du modèle standard. Le processus inverse se produisait aussi : lorsque deux wimps se rencontraient et s’annihilaient, ils créaient
des particules ordinaires Alors que l’Univers s’est refroidi, ces deux types de réactions ont fini par s’arrêter en ne laissant qu’une abondance résiduelle de wimps. Avec une masse de wimp de l’ordre de celle du boson de Higgs (autour de 100 GeV) et un couplage donné par l’interaction faible, on obtient une abondance compatible avec celle de la matière noire. Un mécanisme simple et séduisant
Les wimps ont aussi un attrait pour les expérimentateurs Les détecteurs sont composés d’atomes ordinaires et les wimps ont l’avantage d’interagir avec ceux-ci, certes faiblement, mais assez pour espérer repérer ainsi la matière noire Il existe trois méthodes principales pour rechercher les wimps : les expériences en accélérateurs, dans lesquelles nous produisons des collisions à des énergies assez élevées pour produire des wimps ; les expériences de détection directe dont les capteurs sont assez sensibles pour voir des particules ordinaires réagir (par un effet de recul, d’émission de lumière ou de chaleur) quand elles sont percutées par un wimp ; et la détection indirecte, pour laquelle nous pointons des télescopes vers des régions de l’espace potentiellement riches en matière noire et où deux wimps ont une chance d’entrer en collision, de s’annihiler et de produire des particules (des rayons cosmiques) qui arriveraient jusqu’à nous
Ce dernier processus est directement relié au mécanisme de production primordiale de la matière noire ; nous pouvons donc estimer le flux de rayons cosmiques provenant de l’annihilation de wimps. Pour les deux premières approches, les prédictions ne sont pas aussi claires Dans les recherches au collisionneur, notre capacité à détecter les wimps dépend de leur masse : les wimps les plus massifs nécessitent plus d’énergie pour être produits, ce qui excède peut-être les capacités du collisionneur Et dans le cas de la détection directe, nous ne savons pas à quelle fréquence les wimps se heurtent à des particules ordinaires.
Par le passé, certains signaux astrophysiques (de détection indirecte) ont été interprétés comme des indices possibles d’annihilation de matière noire, mais des explications moins exotiques ont aussi été proposées Par exemple, en 2009, le télescope spatial Fermi a enregistré un excès de rayons gamma provenant du cœur de la Voie lactée (une région où l’on pense qu’il y a beaucoup de matière noire). Cette anomalie avait la bonne énergie pour être un signal d’annihilation de wimps Alors pourquoi n’avons-nous pas crié victoire ? Certains pulsars (des étoiles à neutrons en rotation rapide) produisent des rayons gamma à des énergies similaires, et il est tout à fait possible que cet excès soit le signe d’une population d’étoiles de ce type, même si ces astres n’ont pas encore été observés directement Nous espérons que
cette question sera résolue dans les années à venir. La découverte d’un signal équivalent dans une expérience de détection directe ou dans un collisionneur conforterait la piste de la matière noire, tandis que la découverte d’un rayonnement provenant des étoiles à neutrons à d’autres longueurs d’onde l’exclurait
D’ici à une dizaine d’années , de futurs grands télescopes à rayons gamma, tels que CTA ( Cherenkov Telescope Array ) , en cours de construction au Chili et en Espagne (voir la photo pages 28-29) , et SWGO ( Southern Wide-field Gamma-ray Observatory), prévu en Amérique du Sud, testeront le scénario wimp jusqu’aux masses les plus élevées où il est viable Cependant, même si nous n’observons pas d’annihilation de matière noire, cela ne permettra pas de conclure de façon définitive… Il existe des scénarios de wimps un peu exotiques, dans lesquels le processus d’annihilation primordial se désactive ultérieurement. Cependant, il nous restera les expériences dans les collisionneurs et la détection directe pour traquer ces cas difficiles
Les expériences de détection directe ont fait des progrès incroyables en améliorant leur sensibilité aux événements rares. Par exemple, fin 2024, les expériences XENONnT et PandaX-4T ont annoncé avoir commencé à détecter des neutrinos provenant du Soleil et
L’Univers n’a aucune raison de se conformer à nos préférences esthétiques £
traversant leurs détecteurs Les futurs détecteurs devraient voir ces particules en grande quantité Cela signifie que les capteurs pourront traquer des wimps aussi furtifs que les neutrinos, voire encore plus…
L’axion est un type très différent de candidat à la matière noire et, jusqu’à récemment, nous n’avions pas les mêmes capacités pour le tester Comme le wimp, il s’agirait d’une nouvelle particule fondamentale, bien que beaucoup plus légère, et même plus légère que les neutrinos Si cette particule existe – qu’elle constitue ou non toute la matière noire –, elle résoudrait des énigmes de longue date dans notre compréhension de l’interaction forte, qui maintient la cohésion des protons et des neutrons au sein
Modèle standard supersymétrique presque minimal
THÉORIES POUR LA MATIÈRE NOIRE
Les observations de l’Univers suggèrent qu’une importante partie de son contenu prend la forme d’un type de matière invisible, de nature inconnue : la matière noire. En 2013, le physicien Tim Tait avait réalisé une première version d’un diagramme où les ellipses rassemblent diverses propositions quant à la nature de cette matière. La version ici mise à jour montre que de nombreux candidats pour la matière noire sont encore viables et compatibles avec les observations astrophysiques et les expériences en laboratoire. Le défi reste de savoir lesquels, si tant est qu’il y en ait, correspondent au contenu de l’Univers.
Chaque bulle de couleur représente une catégorie de modèles. Ceux de l’intérieur de la zone délimitée par le pointillé blanc sont des candidats compatibles avec les observations sur la matière noire. Ceux de l’extérieur ne sont pas de bons candidats.
Matière noire dans un secteur caché
Matière noire sans wimp
noire auto-interactive
Photons noirs
Vecteurs de force légers
Ces modèles supposent l’existence d’un nouveau type d’interaction dans l’Univers (en plus des interactions gravitationnelle, forte, faible et électromagnétique) qui serait couplée à la matière noire par l’intermédiaire d’un boson léger, à l’instar d’un « photon noir », analogue au photon de l’interaction électromagnétique. Dans certains cas, ce boson est lui-même le candidat à la matière noire.
Neutrinos stériles
Il existe trois saveurs de neutrinos, des particules légères, présentes en grande quantité dans l’Univers et produites au cœur du Soleil et dans d’autres processus. Un quatrième neutrino, dit « stérile », car interagissant encore moins avec la matière ordinaire que les autres neutrinos, serait un candidat possible pour la matière noire.
Particules de type axion
Cette catégorie inclut des particules légères nommées « axions », qui apparaissent de façon naturelle dans la théorie de la chromodynamique quantique (QCD), qui décrit l’interaction forte.
Les axions résolvent certains problèmes de la QCD et peuvent rendre compte de la matière noire.
Modèle standard supersymétrique minimal
Conservation de la parité R
Supergravité minimale
Matière noire de Dirac
Matière noire asymétrique
noire chaude
Piste dominante : axions de la chromodynamique
Dans ce scénario, l’un des deux privilégiés par les physiciens, la matière noire est constituée de particules très légères, les axions. Ces particules avaient d’abord été postulées dans le cadre de la chromodynamique quantique pour y résoudre certains problèmes. En fonction de leurs propriétés, elles peuvent satisfaire à la fois aux contraintes de la matière noire et de la QCD.
Matière
Technibaryons
Matière
Axions
Axions de la QCD
Modèle standard supersymétrique minimal phénoménologique
Violation de la parité R
Piste dominante : wimps
Les wimps (pour weakly interacting massive particles en anglais) représentent toute une classe de particules candidates beaucoup plus massives que les axions. Elles interagissent avec la matière ordinaire seulement par l’interaction faible ou la force gravitationnelle. De nombreuses théories supersymétriques prévoient l’existence de wimps, mais toutes ne donnent pas la bonne abondance de matière noire.
Q-balls
Pépites de quarks
Machos
Trous noirs primordiaux
Gravitinos
Supersymétrie
Cette théorie hypothétique suppose que chaque particule du modèle standard présente un « superpartenaire » qui n’a pas encore été découvert. S’ils existent, certains de ces superpartenaires peuvent rendre compte de la matière noire.
Matière noire à parité T impaire
Solitons
Matière noire dynamique
Matière noire à dimension supplémentaire universelle
6D
5D
Dimensions supplémentaires
Si l’Univers comprend plus de dimensions d’espace-temps que les quatre qui nous sont familières, la matière noire peut être constituée de particules ordinaires ou exotiques qui s’y cachent. La théorie de la matière noire dynamique, par exemple, suppose que la matière noire consiste en un ensemble de forces et de particules associées avec di érentes masses.
Matière noire courbée
Dimensions supplémentaires compactifiées
Petits Higgs
Il existe peut-être plus de bosons de Higgs que celui qui a été découvert au LHC en 2012. Ce scénario expliquerait notamment pourquoi la masse du boson de Higgs est si faible comparativement à la masse de Planck. Dans ce cas, un cousin du Higgs, accompagné d’autres particules d’une masse de 1 TeV (soit environ 1 000 fois la masse du proton), serait un candidat pour la matière noire.
Higgs très légers
L’ESSENTIEL
> Aux États-Unis, plusieurs essais cliniques préliminaires de vaccins par spray nasal contre le Covid-19 suggèrent que de tels vaccins pourraient être disponibles dès 2027.
> Plusieurs di cultés techniques que posaient les barrières physiologiques du nez commencent à être levées.
> Cette approche active non seulement une réaction immunitaire classique, mais aussi les premières lignes de défense de la muqueuse nasale.
> Elle serait aussi bien plus facile à développer dans les pays à faibles revenus et pourrait fonctionner pour d’autres maladies respiratoires.
L’AUTRICE
STEPHANI SUTHERLAND docteure en neurosciences et journaliste scientifique en Californie du Sud
Bientôt des vaccins par spray nasal ?
Des premiers résultats suggèrent que des sprays nasaux testés comme vaccins contre le Covid-19, la grippe et d’autres maladies respiratoires offriraient une protection plus rapide et ciblée que les vaccins par injection.
Alyson Velasquez déteste les aiguilles. Enfant, elle n’aimait pas les piqûres et son anxiété n’a fait que croître « Cela a vraiment pris de l’ampleur à l’adolescence et au début de la vingtaine, confie-t-elle C’est devenu une véritable phobie. » Elle paniquait à la vue d’une aiguille ; plus d’une fois, elle s’est évanouie Elle raconte qu’un jour, malgré l’anxiolytique qu’elle avait pris avant un rendez-vous, elle avait couru dans la pièce en hurlant « comme un enfant ; j’avais 22 ans » Après cet épisode, la jeune femme, aujourd’hui âgée de 34 ans et planificatrice financière dans le sud de la Californie, a complètement arrêté les aiguilles : « Pas de vaccination, pas de prise de sang. Pendant toute ma vingtaine, c’était hors de question » Puis le Covid-19 est arrivé. « J’ai alors enfin compris qu’il ne s’agissait pas seulement de moi, poursuit-elle Cela me paraissait tellement égoïste de ne pas le faire pour la santé publique et la sécurité de notre communauté mondiale » En 2021, elle s’est donc fait vacciner contre le virus SARS-CoV-2, à l’origine de la pandémie, même si pour cela elle
a dû s’asseoir sur les genoux de son mari pendant qu’il lui tenait les bras. « C’était un spectacle Pauvre pharmacien… Il m’a demandé : “Êtes-vous sûre de vouloir continuer ?” » Elle l’était : « Je suis très favorable aux vaccins Je suis une personne rationnelle. Je comprends la nécessité des vaccins », insiste-t-elle Mais aujourd’hui encore, elle a du mal à supporter chaque injection
Ces difficultés prendraient fin si tous ses futurs vaccins étaient administrables au moyen d’un spray nasal. Or il semble que cette évolution soit en bonne voie Des vaccins par spray nasal sont actuellement testés contre plusieurs maladies Aux États-Unis, les premiers essais cliniques sont couronnés de succès Deux de ces vaccins ont déclenché de multiples réactions immunitaires contre le virus SARS-CoV-2 ; début 2024, leurs fabricants ont reçu près de 20 millions de dollars du projet NextGen, l’initiative médicale de l’administration Biden-Harris contre le Covid-19. Les chercheurs sont optimistes et pensent qu’un spray nasal libérant un vaccin contre cette maladie a de grandes chances d’être prêt dès 2027 aux États-Unis Et si les efforts récents se sont surtout concentrés sur le Covid-19, ils envisagent aussi des vaccins nasaux contre la grippe et d’autres maladies, notamment celles causées par le virus respiratoire syncytial
Quelques vaccins nasaux ont été introduits par le passé dans divers pays, mais ils ont rencontré des difficultés. Aux États-Unis, celui contre la grippe FluMist (Fluenz en Europe), utilisé depuis plusieurs années au Canada et introduit sur le marché américain en 2024, a suscité des débats sur son efficacité [des problèmes logistiques ont aussi limité sa diffusion, ndlr], et un autre a été retiré du marché il y a plusieurs dizaines d’années à cause d’effets secondaires graves qu’il avait provoqués chez certaines personnes.
Aujourd’hui, cependant, la nouvelle génération de vaccins nasaux bénéficie d’une technologie qui produit des réponses immunitaires plus fortes et qui est plus sûre que les préparations utilisées dans le passé En fait, les immunologistes affirment que ces vaporisations dans le nez – ou des pulvérisations inhalées par la bouche – fournissent une protection plus rapide et plus forte contre les virus respiratoires qu’une piqûre dans le bras. En effet, les nouveaux vaccins activent une branche du système immunitaire qui, au fil de l’évolution, s’est spécialisée dans le déclenchement rapide de réactions robustes contre les microbes en suspension dans l’air « Cette branche paraît plus à même d’empêcher vraiment l’infection de s’installer », explique Fiona Smaill, chercheuse sur les maladies infectieuses à l’université McMaster, dans l’Ontario Ces vaccins nasaux contribueraient aussi à réduire les
LES AVANTAGES D’UN VACCIN PAR SPRAY NASAL
UNE PIQÛRE DANS LE BRAS
Les vaccins classiques sont injectés dans le muscle du bras. Ils contiennent des molécules issues d’un microbe, ou parfois une version très a aiblie ou tuée de celui-ci. L’objectif est que les cellules du système immunitaire adaptatif rencontrent ces cibles. En substance, ce système entraîne des cellules et des protéines à reconnaître l’envahisseur. Il garde en mémoire le microbe et l’attaque quand il le rencontre à nouveau dans l’organisme. Cette réponse prend toutefois du temps.
IMMUNITÉ ADAPTATIVE SYSTÉMIQUE
Un vaccin est introduit dans l’organisme.
Particule vaccinale
Antigène
Des cellules immunitaires spécialisées absorbent le matériel vaccinal. Ces cellules dites « présentatrices d’antigènes » atteignent un ganglion lymphatique par le système circulatoire.
Elles présentent les antigènes aux lymphocytes T auxiliaires, qui activent alors d’autres cellules immunitaires, les préparant à une action ultérieure.
EXPOSITION ULTÉRIEURE À UN VIRUS
Anticorps neutralisant issu d’un lymphocyte B
Virus
Cellule infectée
Lymphocyte T cytotoxique
Lorsque le virus ciblé pénètre dans l’organisme – souvent par le nez –les cellules immunitaires sensibilisées et les anticorps libérés par les lymphocytes B activés se déplacent vers le site infecté. Les anticorps neutralisent le virus et les lymphocytes T cytotoxiques détruisent les cellules infectées, empêchant une nouvelle réplication.
de l’infection. Toutefois, un nouveau type de vaccin émerge pour les virus et les bactéries que nous respirons. L’idée est d’attaquer la menace au plus tôt : dans le nez et la bouche. Ces vaccins nasaux ou inhalés seraient en mesure d’arrêter les agents pathogènes avant même qu’ils ne se manifestent dans l’organisme.
UN SPRAY NASAL
Les vaccins nasaux stimulent un tissu particulier, la muqueuse, qui tapisse l’intérieur du nez et de la bouche et s’étend jusqu’aux poumons et à l’appareil digestif. Outre des cellules du système immunitaire adaptatif, la muqueuse contient des cellules qui attaquent immédiatement les microbes. Cette première ligne de défense fait partie du système immunitaire dit « inné ». Les vaccins par spray nasal contiennent des parties des microbes ciblés, afin d’activer à la fois les réactions immunitaires innée et adaptative.
IMMUNITÉ PROPRE AUX MUQUEUSES
Particule vaccinale
Cellule épithéliale de la muqueuse
Cellule présentatrice d’antigène
Lymphocyte T auxiliaire slgA
Le vaccin pénètre dans le corps par une muqueuse.
Les cellules immunitaires présentatrices d’antigènes qui y résident l’absorbent, puis en présentent des fragments aux lymphocytes T auxiliaires du tissu lymphoïde local.
Ces derniers activent d’autres cellules immunitaires déjà sur place, qui se mettent à sécréter un anticorps spécifique de la muqueuse, sIgA, et se tiennent prêtes en cas d’infection ultérieure.
EXPOSITION ULTÉRIEURE À UN VIRUS
Virus
Lymphocyte B activé slgA
Cellule infectée
Lorsque le virus ciblé pénètre dans l’organisme par la même muqueuse, les cellules immunitaires préparées et l’anticorps sIgA sont prêts à le neutraliser et à détruire les cellules infectées.
Lymphocyte T cytotoxique
Une immunité innée entraînée
Des études indiquent que les vaccins nasaux entraînent aussi des cellules du système immunitaire inné, dont des macrophages, à être plus e icaces contre des virus non liés à l’agent pathogène ciblé.
énormes inégalités d’accès aux vaccins que la pandémie a révélées. Pour les chercheurs du domaine, ils constituent la prochaine étape de l’évolution des vaccins.
LA MUQUEUSE, PREMIÈRE LIGNE DE DÉFENSE
Les vaccins classiques par injection souscutanée et intramusculaire offrent une excellente protection contre les virus. Ils incitent les cellules immunitaires à fabriquer des anticorps – des protéines particulières qui reconnaissent des motifs structuraux spécifiques de virus ou d’autres agents pathogènes et se fixent sur eux. D’autres cellules immunitaires repèrent alors ces marques et détruisent les éléments qui les portent, tandis que d’autres encore conservent une « mémoire » de l’agent pathogène, qui s’activera lors de futures rencontres avec celui-ci.
Toutefois, si de tels vaccins sont efficaces pour prévenir la propagation d’une maladie, leur capacité à empêcher l’infection initiale est limitée. Un spray nasal, en revanche, est beaucoup plus efficace En effet, les sprays sont dirigés directement vers l’endroit où de nombreux virus pénètrent pour la première fois dans l’organisme : le nez et le tissu qui le tapisse, la « muqueuse »
Celle-ci constitue la majeure partie des surfaces internes de notre corps, allant du nez, de la bouche et de la gorge jusqu’aux poumons en passant par l’appareil digestif, l’anus et l’appareil urogénital. C’est l’endroit où l’organisme rencontre la grande majorité des menaces pathogènes, explique Fiona Smaill, qu’il s’agisse de la grippe, du Covid-19 ou des infections bactériennes qui attaquent l’intestin. Ce tissu résistant à trois couches est spécialisé dans la lutte contre les envahisseurs grâce à son épaisse couche de mucus sécrétoire et à un ensemble de cellules immunitaires résidentes prêtes à passer à l’attaque : « La muqueuse est vraiment la première ligne de défense contre toute infection à laquelle nous sommes exposés. »
La cibler non seulement prépare le système immunitaire à combattre, mais offre trois types de protection différents, au moins un de plus qu’une piqûre. Comme les injections, les vaccins nasaux mobilisent des cellules messagères immunitaires , qui récupèrent les protéines des intrus et les affichent à leur surface Ces cellules se dirigent vers les ganglions lymphatiques , où elles montrent leur capture aux lymphocytes B et T, des cellules du système immunitaire dit « adaptatif » Les lymphocytes B produisent à leur tour des anticorps – des molécules qui se fixent sur les protéines étrangères et les étiquettent. Les lymphocytes T cytotoxiques attaquent alors directement les cellules infectées, les éliminant ainsi que les microbes qu’elles contiennent Cette méthode offre une protection étendue, mais
ÉPITHÉLIUM MUQUEUX
ÉPITHÉLIUM NON KÉRATINISÉ
Cavité orale
Anus Vagin
elle prend du temps, car le virus continue à se répliquer et à se propager
C’est pourquoi un deuxième type de protection, offert uniquement par le tissu muqueux, est si important La muqueuse contient des cellules du système immunitaire dit « inné », qui constituent la première ligne de défense de l’organisme. Certaines, les « macrophages », reconnaissent les microbes envahissants comme étrangers et les absorbent. Elles déclenchent aussi une inflammation – une alarme qui recrute d’autres cellules immunitaires. Une autre partie de cette réaction localisée est appelée « immunité tissulaire résidente ». Les cellules qu’elle désigne ressemblent davantage à une unité des forces spéciales lâchée derrière les lignes ennemies, là où se déroule une escarmouche, et qui agit sans attendre l’arrivée de la cavalerie Cette réaction localisée est parfois très puissante. Toutefois, son activation est difficile à démontrer, de sorte qu’il a toujours été compliqué pour les fabricants de vaccins de prouver qu’ils avaient atteint leur objectif Mais il s’avère qu’un type d’anticorps appelé IgA est un bon indicateur de l’immunité des muqueuses, car les IgA ont tendance à prédominer dans les muqueuses par rapport à d’autres parties du corps Lors d’un essai préliminaire de CoviLiv, un vaccin nasal contre le Covid-19 produit par l’entreprise Codagenix, environ la moitié des participants ont présenté une concentration d’IgA détectable dans le sang durant les semaines qui ont suivi l’administration de deux doses Cet essai a aussi montré que le vaccin était sûr et a conduit au financement par NextGen d’un essai plus important sur son efficacité. Il est aussi possible qu’un vaccin inhalé fournisse une couche supplémentaire de protection, appelée « immunité innée entraînée » Cette réaction est un peu mystérieuse : bien que les immunologistes sachent qu’elle existe et qu’elle semble également produite par des injections intramusculaires, ils ignorent comment elle fonctionne. Les cellules immunitaires associées semblent acquérir une sorte de mémoire fonctionnelle : elles s’activent
Œsophage
Les muqueuses recouvrent de nombreux organes et présentent diverses caractéristiques selon leur localisation. Elles constituent la première zone par laquelle un agent pathogène rencontre son hôte et entre dans l’organisme. Chez l’humain, elles occupent une surface 30 à 200 fois supérieure à celle de la peau selon les estimations.
Ce texte est une adaptation de l’article No more needles, paru dans Scientific American en novembre 2024.
ÉPITHÉLIUM SQUAMEUX
Poumons
Vaisseaux sanguins
plus vite lors d’infections ultérieures On a aussi constaté qu’elles réagissent contre des agents pathogènes qui n’ont rien à voir avec la cible du vaccin : lorsque Fiona Smaill et ses collègues ont immunisé des souris contre la tuberculose avec un vaccin inhalé et les ont ensuite exposées à des pneumocoques – des bactéries responsables de diverses infections (otites, méningites, pneumonies…) –, ils ont observé que les souris étaient protégées. Par ailleurs, chez les enfants, il semble qu’un vaccin antituberculeux administré dans le bras, le BCG, produit aussi ce type de réaction générale contre d’autres maladies. L’immunologiste Akiko Iwasaki, qui travaille à l’université Yale, aux États-Unis, à la mise au point d’un vaccin nasal contre le Covid-19, voit deux avantages potentiels majeurs à ce procédé, en plus d’une protection meilleure, plus rapide et plus localisée. D’une part, l’attaque du virus dans le nez est susceptible d’empêcher la transmission de la maladie à d’autres personnes en réduisant la quantité de virus que les gens exhalent D’autre part, le spray pourrait limiter la pénétration de l’infection dans l’organisme et ainsi « prévenir le Covid long », espère la chercheuse. Cet état postinfectieux invalidant est caractérisé par divers symptômes comme une fatigue extrême, des douleurs chroniques et diverses difficultés cognitives
ENTRE BARRIÈRES ET TOLÉRANCE
La fabrication d’un nouveau vaccin est difficile, quel que soit son mode d’administration Il doit susciter une réaction immunitaire assez forte pour protéger contre de futures infections, mais pas au point que les composantes de cette réponse, comme l’inflammation et la fièvre, nuisent à l’hôte.
La muqueuse nasale érige ses propres barrières – littéralement. Au contact de l’air, elle est constamment exposée à de nombreux irritants, allant des poils d’animaux aux pollens En conséquence, le nez a développé plusieurs lignes de défense : les poils des narines, le mucus et les cils qui balaient la surface nasale visent tous à piéger les petits corps
ÉPITHÉLIUM COLONNAIRE
traitent probablement ce vaccin comme un envahisseur et le détruisent dès qu’il apparaît dans le nez, avant qu’il ait une chance d’agir Chez les enfants, cette immunité préexistante est moins problématique, car ils sont moins susceptibles d’avoir eu plusieurs infections grippales Les vaccins nasaux contre la grippe sont ainsi utilisés pour vacciner les enfants en Europe, notamment en France
Estomac Intestins
Vésicule biliaire
étrangers – dont les minuscules gouttelettes de vaccin – avant qu’ils ne pénètrent plus profondément dans l’organisme
Néanmoins, de nombreuses petites particules, souvent inoffensives, parviennent tout de même à franchir ces défenses. Le nez a donc aussi développé un moyen de devenir moins réactif aux objets inoffensifs. Or, cette tolérance immunologique est peut-être le principal obstacle à la mise au point d’un vaccin nasal. Dans la circulation sanguine, un espace a priori stérile, les cellules immunitaires reconnaissent immédiatement les particules étrangères comme des envahisseurs. Mais les surfaces muqueuses sont constamment bombardées à la fois d’agents pathogènes et de substances inoffensives. Leur système immunitaire utilise la tolérance – une série complexe de décisions que prennent des cellules spécialisées – pour déterminer si une substance est nocive. « C’est très important parce que ce ne serait pas tenable si nos poumons ou notre appareil digestif réagissaient à toutes les entités étrangères inoffensives qu’ils rencontraient », explique Benjamin GoldmanIsraelow, chercheur sur les maladies infectieuses à l’université Yale Par exemple, l’inflammation engendrée dans les poumons rendrait la respiration difficile ; et dans l’intestin, elle empêcherait l’absorption de l’eau et des nutriments. Il est possible que ces barrières de la muqueuse nasale entravent l’efficacité du vaccin antigrippal nasal FluMist, qui existe depuis plusieurs années. Selon Michael Diamond, spécialiste des maladies infectieuses à l’université Washington de Saint-Louis, aux États-Unis, ces vaccins sont sûrs, mais ils se heurtent au même problème que les versions injectables : ils ne sont pas très efficaces pour écarter les nouvelles souches de la grippe saisonnière. Une explication possible est la suivante : les souches virales de la grippe sont très répandues, si bien qu’à l’âge adulte, les personnes en ont souvent déjà rencontré. Leur système immunitaire est ainsi déjà préparé à reconnaître et à détruire les particules virales de la grippe. Or FluMist est fabriqué à partir d’un virus vivant atténué de la grippe, de sorte que les cellules immunitaires
Appareil respiratoire (sauf alvéoles)
Une autre difficulté est liée aux adjuvants, des molécules que l’on ajoute parfois aux vaccins pour stimuler la réaction immunitaire. Certains vaccins nasaux en utilisent pour surmonter la tolérance immunitaire, mais dans un cas au moins, cela a eu des conséquences désastreuses : un vaccin nasal contre la grippe, autorisé en Suisse pour la saison 2000-2001, employait une toxine isolée de la bactérie Escherichia coli comme adjuvant pour provoquer une réaction contre le virus inactivé Aucun effet secondaire grave n’avait été signalé au cours des essais cliniques, mais une fois le vaccin commercialisé, les autorités suisses ont constaté une augmentation inquiétante de cas de paralysie faciale de Bell, une maladie qui entraîne une faiblesse ou une paralysie des muscles faciaux,
Le tissu muqueux offre un deuxième type de protection qui lui est propre £
ce qui se traduit souvent par un visage tombant ou défiguré. Des chercheurs de l’université de Zurich ont estimé que le vaccin antigrippal avec adjuvant avait multiplié par 20 environ le risque de contracter cette pathologie, et la vaccination a été interrompue. « Nous devons être prudents lorsque nous utilisons des adjuvants provenant d’agents pathogènes connus », déclare Vicky Kett, scientifique spécialiste des formulations pharmaceutiques à l’université Queen’s de Belfast, en Irlande du Nord
UN VIRUS D’OISEAU COMME VECTEUR
Pour contourner ces difficultés, certains chercheurs étudient des vaccins inhalés par la bouche Fiona Smaill et ses collègues travaillent sur l’un d’eux : un vaccin contre le Covid-19 libéré sous la forme d’un fin brouillard projeté par un nébuliseur dans la gorge, d’où il atteint rapidement les poumons Des expériences menées sur des souris ont donné des résultats
prometteurs, avec une immunité des muqueuses établie après l’administration du vaccin. Une autre stratégie vaccinale consiste à utiliser un virus inoffensif pour transporter des gènes ou des protéines virales Les chercheurs de la faculté de médecine Icahn du Mont-Sinaï, à New York, ont choisi un agent pathogène des oiseaux, le virus responsable de la maladie de Newcastle « Il s’agit déjà d’un agent pathogène respiratoire », ce qui fait qu’il pénètre dans les cellules nasales, explique Michael Egan, PDG et directeur scientifique de CastleVax , une société créée pour développer un vaccin contre le Covid-19 utilisant ce virus comme vecteur. Un essai clinique préliminaire a montré que ce vaccin est sûr et qu’il provoque de fortes réactions immunitaires chez l’humain « Ces résultats sont très prometteurs », explique Michael Egan. Les personnes ayant reçu le vaccin ont également produit des anticorps indiquant que plusieurs types d’immunité s’étaient déclenchés dans la muqueuse, et pas seulement l’immunité adaptative qui se développe lors d’une injection. À la suite de cet essai, le projet CastleVax a reçu un financement de NextGen et les résultats d’un essai sur 10 000 personnes sont attendus en 2026. La moitié de ces personnes recevront une injection classique d’un vaccin à ARN, l’autre moitié le nouveau spray nasal. Michael Egan a de grands espoirs : « Nous nous attendons à ce qu’il y ait beaucoup moins d’infections chez les personnes ayant reçu le vaccin par voie nasale, en raison de la réponse immunitaire des muqueuses » Florian Krammer, l’un des chercheurs à l’origine du vaccin, a modifié les particules du virus de Newcastle pour qu’elles présentent une version stabilisée de la protéine spike, si abondante à la surface du SARS-CoV-2. « On se retrouve avec une particule recouverte de spike » , explique - t- il La présence de cette protéine dans le sang suffit à déclencher une réponse immunitaire Mais le vaccin fonctionne également d’une autre manière. La particule virale est aussi capable de pénétrer dans les cellules et de s’y répliquer suffisamment pour que d’autres particules virales en émergent et provoquent une autre réaction immunitaire. Avant de le tester à grande échelle sur l’humain, les chercheurs ont dû réaliser des essais cliniques préliminaires pour établir que le virus de Newcastle était réellement inoffensif, car le nez est proche du système nerveux central – il possède des neurones reliés au bulbe olfactif, qui fait partie du cerveau Ces essais ont confirmé que le virus était sans danger pour cet usage. Ce type de précaution est l’une des raisons pour lesquelles le vaccin nasal contre le Covid approuvé en Inde n’a pas été adopté aux États-Unis ou dans d’autres pays Ce vaccin, appelé iNCOVACC, utilise un adénovirus simien inoffensif pour transporter la protéine
spike dans les voies respiratoires La recherche avait débuté au début de la pandémie, dans les laboratoires de Michael Diamond et de certains de ses collègues de l’université Washington. L’équipe avait testé la formulation sur des rongeurs et des primates non humains. « Les données précliniques étaient remarquables », explique le chercheur. À peu près au moment où l’équipe a publié ses premiers résultats sur des animaux en 2020, Bharat Biotech, en Inde, a obtenu une licence de l’université pour produire le vaccin Lors d’un essai clinique de phase 3 réalisé en Inde en 2023, celui-ci a produit une immunité systémique supérieure à celle d’une piqûre
UN VACCIN INHALÉ TESTÉ
CONTRE LE COVID-19
£Lorsque la pandémie s’est déclarée, il n’y avait guère d’intérêt à développer une technologie de vaccin nasal alors que la méthode éprouvée des injections fonctionnait
Selon Michael Diamond, les sociétés pharmaceutiques américaines n’ont pas poursuivi cette approche parce qu’« elles voulaient maîtriser la dose administrée », comme c’était le cas avec les vaccins à ARN, qui avaient déjà fait leurs preuves lors d’essais cliniques en 2020. Lorsque la pandémie s’est déclarée, il n’y avait guère d’intérêt à développer une technologie de vaccin nasal pour stimuler l’immunité des muqueuses alors que la méthode éprouvée des injections était disponible et fonctionnait. Mais aujourd’hui, quatre ans plus tard, un vaccin inhalé utilisant une technologie similaire à celle d’iNCOVACC est en cours de développement aux États-Unis. L’entreprise de biotechnologie à l’œuvre, Ocugen, a obtenu en janvier dernier l’aval de la FDA , l’administration américaine chargée de la surveillance des médicaments, pour lancer un essai clinique dans le cadre du projet NextGen D’autres essais devraient suivre avec une forme nasale
Ces nouveaux vaccins utilisent tous des méthodes classiques fondées sur la modification d’un virus plutôt que la nouvelle technologie à base d’ARN En fait, les vaccins à ARN ayant été développés spécifiquement pour les injections intramusculaires, il faudrait considérablement les modifier pour les adapter à l’usage en spray
Pour son vaccin CoviLiv, l’entreprise Codagenix a contourné la nécessité d’un nouveau vecteur viral ou d’un adjuvant en désactivant par recodage génomique un virus vivant du SARS-CoV-2. Pour le rendre sûr, les scientifiques en ont conçu une version comportant 283 mutations qui l’empêchent de se répliquer et de nuire à l’organisme Avec des centaines de mutations clés, « la probabilité d’un retour à un virus pathogène est extrêmement faible », explique Johanna Kaufmann, qui a participé à la mise au point du vaccin avant de quitter Codagenix pour une autre entreprise en 2024. Un autre usage est aussi envisagé La plupart des habitants de la planète ayant été
« ON ESPÈRE PRODUIRE DES VACCINS PAR
SPRAY NASAL COVID-GRIPPE ET COVID-GRIPPE-BRONCHIOLITE »
Vous lancez des essais cliniques sur un vaccin par spray nasal contre le Covid-19. Comment vous est venue l’idée ?
Les vaccins actuels contre le Covid-19 – des vaccins à ARN injectés en intramusculaire – ont été conçus pour protéger contre les formes graves de la maladie, ce qu’ils font très bien. Ils induisent une réponse immunitaire dite « systémique » qui se traduit par le recrutement de cellules immunitaires dans le sang et les tissus. En revanche, ils ont deux écueils : ils n’arrêtent pas la transmission du virus et il faut les réactualiser, car ils sont conçus contre les variants qui circulent actuellement. Au début, leur ARN codait uniquement la protéine spike de la souche originale Wuhan. Aujourd’hui, il code, en plus, celle du variant Omicron, qui échappe au système immunitaire entraîné par les premiers vaccins. Nous nous sommes dit qu’un vaccin de deuxième génération devrait non seulement protéger contre les formes graves du Covid-19, mais aussi répondre à deux autres critères : une e cacité plus large quels que soient les variants et une protection contre la transmission afin qu’une personne vaccinée puis infectée ne soit plus contagieuse pour son entourage. Avant la pandémie, nous travaillions sur un vaccin nasal contre la toxoplasmose, aujourd’hui utilisé dans plusieurs zoos dans le monde pour protéger certains primates très sensibles à cette maladie. La voie nasale nous est vite apparue comme la solution, car elle induit non seulement une réponse immunitaire systémique, comme les vaccins injectables, mais aussi une réaction immunitaire muqueuse, notamment dans la cavité nasale. L’agent pathogène y est bloqué dès son entrée, avant même l’apparition de symptômes, ce qui protège à la fois l’individu et son entourage.
Comment vous êtes-vous a ranchis de la dépendance aux variants ?
Nous avons conçu un vaccin constitué de la fusion de deux protéines du virus
SARS-CoV-2 : la protéine spike et la nucléoprotéine, une molécule qui encapsule le génome du virus. Nous avons fait le pari que cette dernière ne muterait pas, contrairement à spike, car dans le virus, elle est naturellement très peu exposée. Et e ectivement, cinq ans après, elle n’a muté dans aucun variant. L’ajout de cette protéine donne donc un caractère universel au vaccin. De plus, il s’avère que même si elle est nichée à l’intérieur du virus, et donc peu accessible aux anticorps produits par le système immunitaire après la vaccination, elle permet d’induire une très forte réponse immunitaire cellulaire, qui vient compléter la réaction déclenchée par la protéine spike.
Encore faut-il que cette protéine fusionnée passe les barrières physiologiques du nez…
En e et, si on pulvérise dans le nez la protéine vaccinale seule, elle est éliminée en quelques minutes. C’est pourquoi nous avons développé un excipient qui a de fortes propriétés d’adhésion avec la muqueuse nasale. Il s’agit d’un composé à base de sucre dérivé de l’amidon, ce qui le rend biodégradable et sûr. Nous avons montré que si on pulvérise la protéine vaccinale avec ce « mucoexcipient », elle persiste plus longtemps dans la cavité nasale – su samment pour permettre la mise en place d’une réponse immunitaire, et ce sans adjuvant.
À ma connaissance, parmi les vaccins administrés par voie nasale, il s’agit du premier qui n’est pas fabriqué à partir d’un virus vivant atténué, comme celui contre la grippe (ou comme les vaccins russe, indien et chinois contre le Covid-19, qui n’ont reçu que des autorisations locales), mais à partir de protéines virales. Le fait qu’il ne soit constitué que de protéines et de sucre a certainement rassuré l’Agence nationale de sécurité du médicament (outre les études de toxicité réglementaires qui ont confirmé son innocuité), qui a autorisé les essais cliniques. Le nez et le cerveau communiquant par le bulbe olfactif, les agences réglementaires sont
ISABELLE DIMIER-POISSON professeuse d’immunologie à l’université de Tours, cofondatrice de Lovaltech, start-up qui développe des vaccins par spray nasal
très attentives vis-à-vis du risque d’essais avec des virus atténués comme vecteurs.
Quand votre vaccin arrivera-t-il sur le marché ?
La phase 1 de l’essai clinique débute ces prochaines semaines, la phase 2 devrait commencer fin 2025. Si elles sont concluantes, on peut espérer une industrialisation du vaccin en parallèle de la phase 3 et une mise sur le marché en 2027. Chez la plupart d’entre nous, ce vaccin interviendrait alors juste en rappel des précédents, mais un de nos objectifs est de l’ouvrir aux personnes immunodéprimées, chez qui la vaccination classique est souvent un échec, et aux enfants.
Envisagez-vous d’utiliser cette approche pour d’autres maladies ?
Bien sûr ! Notre vaccin est un puzzle à trois pièces : le mucoexcipient, le système d’administration (mis au point avec le groupe Aptar) et la protéine vaccinale. C’est elle qui change pour chaque agent pathogène ciblé. Or, nous avons à présent une plateforme dédiée à son identification, son développement et sa production, qui permet d’enclencher des tests précliniques en quelques mois. On espère produire des vaccins bivalents Covid-grippe, trivalents Covid-grippebronchiolite, c’est l’avenir ! La voie nasale est aussi une ouverture pour lutter contre des agents pathogènes autres que respiratoires. Nous sommes en train de développer un vaccin paludique par voie nasale qui donne de très beaux résultats. Nous réfléchissons aussi à d’autres pathologies comme l’allergie et les cancers muqueux – dont les digestifs, qui explosent chez les moins de 40 ans.
Propos recueillis par Marie-Neige Cordonnier
P. 70 Logique & calcul
P. 76 Art & science
P. 80 Idées de physique
P. 84 Chroniques de l’évolution
P. 88 Science & gastronomie
P. 90 À picorer
GRANDE ÉVASION DEMANDE COORDINATION
Au jeu des 100 prisonniers, une stratégie fournit un avantage… mais la situation se complexifie dans certaines variantes, pourtant naturelles.
L’AUTEUR
JEAN-PAUL DELAHAYE
professeur émérite à l’université de Lille et chercheur au laboratoire Cristal (Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille)
Il arrive que de simples problèmes de récréation mathématique donnent lieu à une multitude de questions auxquelles les réponses semblent parfois contre-intuitives. Le jeu des 100 prisonniers , déjà abordé dans cette rubrique il y a neuf ans, est de ceux-là. Nous allons ici rappeler l’énoncé du problème et sa solution, mais nous allons surtout aborder les intrigantes variantes et généralisations de cette énigme, qui poussent à interroger la pertinence des stratégies coordonnées
prison Dans le cas général, il y a 2n prisonniers, 2n boîtes et 2n cartes, et chaque prisonnier a le droit d’ouvrir n boîtes
STRATÉGIES
Donnons un exemple avec quatre prisonniers La répartition des cartes dans les boîtes pourrait être la suivante.
Jean-Paul Delahaye a également publié : Aux frontières des mathématiques – Kurt Gödel et l'incomplétude (Dunod, 2025).
Le problème initial a été proposé en 2003 par Anna Gál, de l’université du Texas à Austin, et Peter Bro Miltersen, de l’université d’Aarhus, au Danemark Il est généralement énoncé pour 100 prisonniers, mais s’adapte sans mal à tout nombre pair de captifs. Pour plus de simplicité, nous allons d’ailleurs l’exposer avec quatre prisonniers, numérotés de 1 à 4. Ceux-ci sont introduits, un par un, dans une salle contenant quatre boîtes fermées, elles aussi numérotées de 1 à 4. Dans chacune de ces boîtes a été déposée au hasard une carte d’un jeu de quatre cartes, affichant également un chiffre de 1 à 4. Chaque prisonnier a le droit d’ouvrir la moitié des boîtes pour en consulter le contenu, puis il les referme et les replace dans leur position initiale Chacun doit réussir à trouver la carte correspondant à son numéro. Ils peuvent discuter entre eux avant le début de l’épreuve, mais toute communication est interdite dès que celle-ci a commencé Si chaque prisonnier parvient à retrouver la carte correspondant à son numéro, ils sont libérés tous les quatre Si au moins l’un d’entre eux échoue, tous restent en
Imaginons que chaque prisonnier procède au hasard – nous dirons alors qu’ils utilisent la stratégie « Aléatoire ». Le premier d’entre eux pourra ainsi ouvrir, par exemple, les boîtes numérotées 1 et 2 ; le deuxième, les numéros 2 et 3 ; le troisième, les boîtes nº 3 et nº 4 ; et le quatrième, les boîtes nº 4 et nº 1. Dans ce cas, le troisième prisonnier ne trouve pas la carte avec son numéro : tous resteront donc en prison. Si chaque prisonnier joue Aléatoire, chacun a exactement une chance sur deux de réussir, puisqu’il ouvre la moitié des boîtes Ainsi, ils ne réussiront tous (et ne seront donc tous libérés) qu’une fois sur 24, c’est-à-dire 1 fois sur 16: leur probabilité de succès est de 6,25%. C’est largement sous-optimal, car il existe en réalité une stratégie qui leur garantit une probabilité de succès de plus de 40%. Cette stratégie se nomme « Suivre » Elle consiste, pour chaque prisonnier, à ouvrir en premier la boîte portant le même numéro que lui , puis en deuxième celle qui affiche le
numéro de la carte qu’il a trouvée dans la première boîte ouverte. Dans le cas général, avec 2n prisonniers appliquant la stratégie Suivre, on poursuit avec la même logique : chaque prisonnier ouvre en troisième la boîte dont le numéro est celui de la carte contenue dans la deuxième boîte, puis en quatrième la boîte portant le numéro de la carte contenue dans la troisième boîte, etc
Nous allons le démontrer : cette stratégie donne à l’ensemble des prisonniers une probabilité d’être tous libérés valant p = 1 – (1 / (n + 1)) –(1 / (n + 2)) – – (1 / 2n). Dans le cas avec quatre prisonniers (voir l’encadré 1), cela correspond à une probabilité de libération p = 1 – 1 / 3 –1 / 4 = 5 / 12 = 0,41666… La formule indique que,
quand n augmente, la probabilité de succès de la stratégie Suivre diminue. On notera cependant qu’elle reste toujours supérieure à p = 1 – ln(2) = 0,30685… où ln(x) désigne le logarithme népérien de x Dans le cas de 100 prisonniers, où chacun est donc autorisé à ouvrir 50 boîtes, on obtient précisément p = 1 –1 / 51 – 1 / 52 – … – 1 / 100 = 307 / 840 = 0,365476… C’est beaucoup mieux que la probabilité de réussite de la stratégie Aléatoire, qui n’est dans ce cas que de 1 / 2100 = 7,9 × 10-31
PERMUTATIONS ET CYCLES
Démontrons à présent la formule générale, pour le cas avec 2n prisonniers Nous illustrerons cette démonstration avec le cas de
AVEC QUATRE PRISONNIERS
Des prisonniers numérotés de 1 à 2n, avec n > 1, sont chacun invités, à tour de rôle, à ouvrir n boîtes dans une salle qui en contient 2n. Dans ces 2n boîtes, on a distribué, au hasard et à raison d’une carte par boîte, des cartes elles aussi numérotées de 1 à 2n. Si tous les prisonniers réussissent à ouvrir la boîte qui contient la carte présentant leur numéro, ils sont libérés. Si l’un d’entre eux échoue, ils restent tous en prison.
Avec 4 prisonniers, 4 boîtes, 4 cartes, il y a 4! = 24 façons de distribuer les cartes dans les boîtes. La plus simple consiste à placer chaque carte dans la boîte portant son numéro : nous noterons (1, 2, 3, 4) cette distribution des cartes. Les 24 distributions possibles, appelées « permutations », sont détaillées dans le tableau ci-contre.
Chaque permutation peut se décomposer sous la forme de cycles. Par exemple, dans la permutation (2, 3, 1, 8, 6, 7, 5, 4), on constate que l’entier 1 mène à l’entier 2, qui mène à l’entier 3, lequel renvoie à l’entier de départ 1 : un premier cycle dans cette permutation est donc 1 → 2 → 3 → 1. On observe de même que 4 → 8 → 4 et 5 → 6 → 7 → 5 sont des cycles de cette permutation, qui se décompose donc en 3 cycles. Dans le tableau ci-contre, on indique la taille du plus grand cycle dans la décomposition de chacune des permutations. C’est la longueur de ce plus grand cycle qui déterminera si la stratégie Suivre – qui consiste, pour chacun des quatre prisonniers, à ouvrir d’abord la boîte portant
le même numéro que lui, puis la boîte portant le numéro trouvé sur la carte contenue dans la première boîte –permet ou non aux prisonniers de se libérer, avec chacune des permutations possibles. Par exemple, avec la disposition (1, 4, 3, 2) le prisonnier n° 1 trouve son numéro dès la première ouverture de boîte. Le prisonnier n° 2 trouve dans un premier temps la carte n° 4, et va donc ouvrir la boîte n° 4, où il trouve la carte n° 2 ; il a donc lui aussi réussi. Le prisonnier n° 3 trouve immédiatement son numéro, et le prisonnier n° 4 le trouve en deux étapes. En revanche, avec la disposition (4, 1, 2, 3) le prisonnier n° 1 trouve la carte n° 4 dans la boîte n° 1 ; il ouvre donc la boîte n° 4 et y trouve la carte n° 3 Il a donc échoué à trouver la carte comportant son numéro en seulement deux ouvertures de boîtes. Pour réussir, il lui aurait fallu poursuivre la stratégie en ouvrant une troisième boîte – la boîte n° 3 – où il aurait trouvé la carte n° 2, qui lui aurait ensuite fait ouvrir la boîte n° 2 pour enfin trouver la carte n° 1. Dans cette situation, d’ailleurs, aucun des prisonniers ne trouve sa carte en seulement deux ouvertures, avec la stratégie Suivre
On constate qu’il y a 10 cas sur 24 où le plus grand cycle a pour longueur 1 ou 2 Dans chacun de ces 10 cas, la stratégie Suivre permet à tous les prisonniers de retrouver la carte portant leur numéro en ouvrant une ou deux boîtes, et ils sont donc
Permutation
Taille du plus grand cycle
(1, 2, 3, 4) 1
(1, 2, 4, 3) 2
(1, 3, 2, 4) 2
(1, 4, 2, 3) 3
(1, 3, 4, 2) 3
(1, 4, 3, 2) 2
(2, 3, 1, 4) 3
(2, 4, 1, 3) 4
(3, 2, 1, 4) 2
(4, 2, 1, 3) 3
(3, 4, 1, 2) 2
(4, 3, 1, 2) 4
(2, 1, 3, 4) 2
(2, 1, 4, 3) 2
(3, 1, 2, 4) 3
(4, 1, 2, 3) 4
(3, 1, 4, 2) 4
(4, 1, 3, 2) 3
(2, 3, 4, 1) 4
(2, 4, 3, 1) 3
(3, 2, 4, 1) 3
(4, 2, 3, 1) 2
(3, 4, 2, 1) 4
(4, 3, 2, 1) 2
libérés. Si la distribution des cartes dans les boîtes est faite au hasard, la probabilité de tomber sur l’un de ces 10 cas est donc de 10 / 24 (41,7 % des cas) : c’est bien mieux que si les prisonniers avaient ouvert chacun deux boîtes au hasard.
2
8 prisonniers (n = 4). La disposition des cartes dans les boîtes définit ce qu’on nomme une « permutation » des entiers de 1 à 2n Il y a exactement (2n)! permutations possibles. Avec n = 4, une permutation pourrait être, par exemple, celle présentée ci-dessous.
Numéro de la boîte 1 2 3 4 5 6 7 8
Numéro
Avec la stratégie Suivre, le prisonnier 1 commence par ouvrir la boîte nº 1. Il y trouve la carte 2 ; il ouvre donc la boîte nº 2, où il découvre la carte 5. Il ouvre donc la boîte nº 5 et y trouve la carte 1, qui le ramène à la boîte nº 1 et le fait réussir puisqu’il vient de trouver la carte correspondant à son numéro au bout de trois ouvertures de boîtes On dit que la suite 1 → 2 → 5 → 1 est un « cycle de la permutation ». Le prisonnier 2 réussit aussi, car il ouvre la suite de boîtes 2 → 5 → 1 → 2, et trouve donc la carte correspondant à son numéro Sa réussite provient d’ailleurs du même cycle que celui parcouru par le prisonnier 1. Le prisonnier 5 réussit lui aussi grâce au même cycle. Le prisonnier 3, en revanche, tombe sur le cycle 3 → 8 → 4 → 7 → 6 → 3. Il finirait bien par trouver la carte portant son numéro, mais il lui faudrait pour cela ouvrir une cinquième boîte, alors qu’il n’a le droit d’en ouvrir que quatre Dans cet exemple, les prisonniers 3, 4, 6, 7 et 8
EN OUVRANT PLUS DE BOÎTES
Une variante du jeu des 100 prisonniers qui augmente la probabilité qu’ils soient libérés consiste à autoriser l’ouverture de plus de la moitié des boîtes. Le graphe ci-dessous présente la probabilité que les 100 prisonniers parviennent à se libérer en appliquant la stratégie Suivre en fonction du nombre k > 50 de boîtes que chacun est autorisé à ouvrir. Le raisonnement pour établir ces valeurs est le même que celui développé dans le texte courant. On constate que, pour avoir une chance sur deux au moins de réussir, les prisonniers doivent avoir la possibilité d’ouvrir chacun 61 boîtes. Pour avoir 75 % de chances de réussir, il faut les autoriser à ouvrir chacun 78 boîtes. Pour atteindre 90 % de réussite, on doit leur permettre d’ouvrir chacun 91 boîtes.
échouent tous, car le cycle auquel appartient leur numéro, 3 → 8 → 4 → 7 → 6 → 3, est de longueur 5 > 4.
La permutation de notre exemple comporte exactement deux cycles, l’un de longueur 3 et l’autre de longueur 5 – on dit qu’elle « se décompose en deux cycles » Plus généralement, toute permutation d’un ensemble fini se décompose en un nombre fini de cycles L’exemple développé ci-dessus permet de comprendre que cette décomposition en cycles est la clé de la réussite ou de l’échec collectif des prisonniers, lorsque ceux-ci appliquent la stratégie Suivre Si tous les cycles de la décomposition sont assez petits – de longueur au plus n – les prisonniers sortiront À l’inverse, si un ou plusieurs cycles de la décomposition ont une longueur strictement supérieure à n, comme dans notre exemple, ils resteront tous en prison.
COMBINATOIRE
Nous avons désormais tous les éléments pour justifier, à l’aide d’un raisonnement combinatoire, la formule donnée précédemment pour la probabilité p. En effet, il existe un beau et simple résultat assurant que , pour tout entier k > n, la probabilité qu’une permutation des entiers de 1 à 2n comporte, dans sa décomposition, un cycle de longueur k est exactement 1 / k Pour le démontrer, considérons un entier k tel que n < k ≤ 2n. Le nombre de permutations ayant un cycle de longueur k parmi les (2 n ) ! permutations possibles de l’ensemble {1, 2, 3, ... , 2n} est (2n)! / k En effet, il y a (2n)! / ((2n – k)! k!) façons de choisir les k entiers composant un cycle , car c’est le nombre de sous-ensembles à k éléments pris dans un ensemble à 2n éléments – nombre donné par le coefficient binomial cb(2n, k), qu’on trouve dans le triangle de Pascal Notons qu’il ne peut pas y avoir plusieurs cycles de taille k Il y a par ailleurs (k – 1)! manières d’ordonner les k entiers choisis en un cycle de longueur k, car chacune des k! listes de k entiers donne un cycle, mais dans ce décompte chaque cycle est obtenu k fois : le nombre de cycles de longueur k est donc bien k! / k = (k – 1)! Comme il y a (2n – k)! façons de classer les 2n – k entiers restants dans la permutation , cela fournit le nombre de permutations des entiers de 1 à 2 n possédant un cycle de longueur k : ((2 n ) ! / ((2 n – k ) ! k ! )) × ( k – 1) ! × (2 n – k ) ! = ((2n)! / k!) × (k – 1)! = (2n)! / k
Probabilité que 100 prisonniers parviennent à se libérer en appliquant la stratégie Suivre, en fonction du nombre k de boîtes que chacun est autorisé à ouvrir.
Il en résulte que, pour tout n < k ≤ 2n, en prenant au hasard uniformément une des (2n)! permutations des entiers de 1 à 2n, on a bien une chance sur k de trouver une permutation ayant un cycle de longueur k. Or, on a compris que la stratégie Suivre est gagnante si et seulement si la permutation déterminée par les cartes mises dans les boîtes ne contient aucun cycle de longueur
strictement supérieure à n La probabilité de succès de la stratégie est donc bien : p = 1 – 1 / (n + 1) –1 / (n + 2) – – 1 / 2n
Le résultat peut sembler paradoxal. En effet, chaque prisonnier a une chance sur deux d’ouvrir la bonne boîte, puisqu’il ne sait rien de la distribution des cartes que chacune contient, même quand il utilise la stratégie Suivre. De plus, les n prisonniers agissent sans communiquer entre eux une fois l’épreuve commencée. Il est donc contre-intuitif qu’ils puissent disposer d’une probabilité de tous réussir meilleure que 1 / 22n .
La réalité est qu’en convenant de tous adopter la stratégie Suivre, les prisonniers se coordonnent pour regrouper leurs pertes, ce qui leur permet de gagner collectivement avec une probabilité supérieure à 1 / 22n On le voit clairement dans l’exemple donné plus haut, avec 8 prisonniers : la permutation est mauvaise, puisque sa décomposition comporte un cycle de taille 5 et un cycle de taille 3, ce qui a pour conséquence que 5 des 8 prisonniers échouent, soit plus de la moitié ! Si la permutation avait un cycle de longueur 8, ce serait encore plus net : chacun des prisonniers échouerait La clé de l’histoire – qui fait qu’il n’y a pas de paradoxe – est que la stratégie Suivre a pour effet que les prisonniers, ayant bien une chance sur deux individuellement d’échouer, regroupent leurs échecs : cela accroît la probabilité du succès collectif. Précisons que Eugen Curtin et Max Warshauer, du département de mathématiques de l’université du Texas, aux États-Unis, ont démontré en 2006 que la stratégie Suivre est optimale, pour les 2n prisonniers
PLUS OU MOINS DE BOÎTES
Certaines variantes du jeu confèrent aux prisonniers une probabilité de succès plus élevée C’est en particulier le cas lorsqu’on autorise chaque prisonnier à ouvrir plus de la moitié des boîtes ( voir l’encadré 2) À l’inverse , on peut réduire ce nombre d’ouvertures autorisées, pour diminuer les chances de succès des prisonniers. Dans le cas où l’on n’autorise que k ouvertures de boîtes avec , cette fois-ci, k < n, le raisonnement mené plus haut ne fonctionne plus En effet, ce raisonnement s’appuie sur le fait que lorsque k > n, il existe au plus un cycle de longueur k dans la décomposition d’une permutation des entiers de 1 à 2 n , ce qui n’est plus vrai lorsque k ≤ n . Il est pourtant intéressant de savoir si, dans ce cas, la stratégie Suivre reste meilleure que la stratégie Aléatoire. Pour tenter de répondre à cette question, nous avons effectué des simulations, en menant les calculs avec 16 prisonniers (n = 8) pouvant ouvrir 2, 3, 4, 5, 6, 7 ou 8 boîtes chacun (voir l’encadré 3) Notons qu’en appliquant la stratégie Suivre, dans le cas où les prisonniers peuvent
3EN OUVRANT MOINS DE BOÎTES
Une variante du jeu qui, cette fois, diminue la probabilité de succès des prisonniers consiste à leur autoriser l’ouverture d’un nombre k < n de boîtes. Comme dans le cas de base, la stratégie Suivre se révèle meilleure que la stratégie Aléatoire Le tableau ci-dessous présente les probabilités de succès de chacune des deux stratégies, pour di érentes valeurs de k. Ces probabilités ont été calculées pour le cas n = 8 (16 prisonniers), à l’aide d’une simulation informatique qui e ectue dans chaque cas 1 million de tirages aléatoires définissant la répartition des cartes dans les boîtes. Pour chaque résultat, le risque d’erreur est au plus de 5 %. On constate que l’avantage de la stratégie Suivre est toujours significatif.
Nombre k d’ouvertures de boîtes autorisées 2 3 4 5 6 7
Probabilité de victoire avec Aléatoire
Probabilité de victoire avec Suivre
ouvrir 8 boîtes chacun, on retrouve le résultat précédemment établi : ils seront libérés avec la probabilité p = 1 – 1 / 9 – 1 / 10 – – 1 / 15 – 1 / 16 = 0,337128… À l’inverse, si chacun ne peut ouvrir qu’une seule boîte, ils sont libérés avec la probabilité 1 / 16! = 4,8 × 10-14 En effet, dans ce cas, seule la permutation qui place chaque carte dans la boîte portant son numéro garantit la victoire C’est un peu mieux que la probabilité qu’ils réussissent en suivant la stratégie Aléatoire, qui est de 1 / 1616 = 5,4 × 10-20. Il est remarquable que, même dans ce cas extrême, la stratégie Suivre coordonne un peu les tentatives en amenant les prisonniers à choisir chacun une boîte différente, ce que le choix au hasard ne fait pas !
On constate que , dans ces simulations , Suivre est toujours meilleure qu’Aléatoire. La stratégie Suivre semble donc toujours apporter un gain par rapport à la stratégie Aléatoire, même quand les prisonniers ne peuvent ouvrir qu’un nombre limité de boîtes.
Une autre variante favorable aux prisonniers consiste à ne pas exiger que tous trouvent leur numéro en ouvrant les boîtes, mais que seulement k d’entre eux réussissent, avec k < 2n
EN EXIGEANT UN PETIT NOMBRE DE RÉUSSITES
À nouveau, on peut se demander si la stratégie Suivre produit un avantage par rapport à la stratégie Aléatoire Les résultats, dans ce cas, sont remarquables, car il arrive alors que la coordination créée par la stratégie Suivre s’avère contre-productive, par rapport à l’indépendance engendrée par la stratégie Aléatoire Commençons par traiter les cas les plus simples Si l’on exige seulement qu’il y ait au moins un prisonnier (k = 1) qui trouve la carte comportant son numéro en ouvrant n boîtes, la probabilité de perdre est, bien sûr, très faible. Si les prisonniers optent pour la stratégie Aléatoire , chacun a une chance sur deux d’échouer, donc le cas où tous échouent se produira avec une probabilité 1 / 22n La probabilité de succès est donc 1 – 1 / 22n Si les prisonniers appliquent la stratégie Suivre, la seule situation les faisant tous perdre est celle dans laquelle la permutation définie par la répartition des cartes dans les boîtes est composée d’un unique cycle de longueur 2n Nous allons en e ff et démontrer que, dans toutes les autres situations, il y a un cycle de longueur m ≤ n
Deux cas sont à envisager. Dans le premier cas, il y a un cycle de longueur l, avec n ≤ l ≤ 2n – 1. Le reste de la permutation, pour les nombres qui ne sont pas dans le cycle de longueur l, comporte donc m éléments avec m ≤ n, et se décompose alors en cycles qui ont tous une longueur inférieure ou égale à m, donc inférieure ou égale à n Dans ce cas, tous les prisonniers dont le numéro n’appartient pas au cycle de longueur l réussissent l’épreuve, donc il y en a au moins un. Dans le second cas, il n’y a pas de tel cycle de longueur l avec n ≤ l ≤ 2n – 1. C’est donc que tous les cycles dans la décomposition de la
Probabilités de succès (en pourcentage) des stratégies Suivre et Aléatoire, en fonction du nombre k de joueurs dont on exige qu’ils retrouvent la carte comportant leur numéro.
Stratégie Aléatoire
Stratégie Suivre
permutation ont une longueur inférieure ou égale à n, et l’on se trouve ainsi dans un cas où tous les prisonniers réussissent l’épreuve Par conséquent, le seul cas défavorable est celui dans lequel la permutation est réduite à un unique cycle de longueur 2n, ce qui, on l’a vu, se produit avec la probabilité 1 / 2n La probabilité de succès est donc 1 – 1 / 2n.
Or, pour tout entier n ≥ 1, on montre sans peine que 1 – 1 / 22n > 1 – 1 / 2n : cela signifie que, dans cette variante, la stratégie Aléatoire est toujours meilleure que la stratégie Suivre ! L’indépendance des choix dans la stratégie Aléatoire est ici préférable à la coordination que procure Suivre, car cette dernière fait perdre tous les prisonniers ensemble dès lors qu’il y a un cycle de longueur 2n, ce qui n’est pas très rare
RENVERSEMENT DE SITUATION
Le renversement de situation dans ce cas particulier, où l’on n’exige le succès que d’un seul prisonnier (k = 1), se confirme-t-il pour k = 2, k = 3, etc. ? Si oui, jusqu’à quelle valeur de k ?
Considérons le cas k = 2: les prisonniers sont libérés si et seulement si au moins deux d’entre eux trouvent la carte présentant leur numéro en ouvrant n boîtes parmi les 2n. Si les prisonniers emploient la stratégie Aléatoire, chacun trouve son numéro avec une probabilité 1/2. Deux scénarios peuvent faire rater l’épreuve: soit tous les prisonniers échouent à retrouver leur carte – ce qui se produit avec une probabilité 1 / 22n – soit un seul d’entre eux parvient à retrouver sa carte. Ce second cas se produit avec une probabilité 2n /22n , car il y a 2n façons de choisir le prisonnier qui trouve son numéro, chacune conduisant à un cas de probabilité 1 / 22n . La probabilité de succès est
Une autre variante favorable aux prisonniers consiste à n’exiger le succès que d’un petit nombre d’entre eux. Selon que les prisonniers appliquent la stratégie Aléatoire ou Suivre, les résultats sont bien sûr di érents. Mais de manière surprenante, en fonction du nombre k de prisonniers auxquels on demande de retrouver la carte comportant leur numéro, c’est l’une ou l’autre des stratégies qui est à recommander. Par exemple, si n = 8 (16 prisonniers), Aléatoire est meilleure que Suivre pour tous les entiers k jusqu’à 9. À partir de k = 10, c’est l’inverse. Dans le cas n = 50 (100 prisonniers), des calculs informatiques indiquent que le basculement se produit entre k = 52 et k = 53 Le diagramme ci-contre compare les probabilités de succès des stratégies Suivre et Aléatoire, en fonction du nombre k de joueurs dont on exige qu’ils retrouvent la carte comportant leur numéro. Les valeurs utilisées pour la stratégie Aléatoire sont exactes. Pour la stratégie Suivre, elles sont obtenues en simulant au hasard 1 million de permutations définissant la répartition des cartes dans les boîtes, et la probabilité d’erreur sur les valeurs obtenues est inférieure à 1 %.
donc 1–1/22n –2n/22n Si les prisonniers appliquent la stratégie Suivre, le même raisonnement que celui exposé pour le cas k = 1 montre que la seule possibilité pour qu’ils échouent est que la permutation des cartes dans les boîtes se réduise à un cycle de longueur 2n ou qu’elle comporte un cycle de longueur 2n–1. En effet, dans tous les autres cas il y aura un cycle de longueur m avec 2≤ m ≤n, ce qui fera réussir au moins deux prisonniers La probabilité de réussite avec la stratégie Suivre est donc 1 – 1 / 2n – 1 / (2n – 1). Là encore, la stratégie Aléatoire est donc meilleure que la stratégie Suivre. Traitons à présent le cas général, où l’on exige que k prisonniers au moins trouvent la carte comportant leur numéro en ouvrant n boîtes parmi les 2n
Si les prisonniers adoptent la stratégie
Aléatoire, les situations assurant la victoire sont les suivantes :
– Soit k prisonniers réussissent Cela se produit avec une probabilité cb(2n, k) × 1 / 22n .
– Soit k + 1 prisonniers réussissent Cela se produit avec une probabilité cb(2n, k + 1) × 1 / 22n .
–
–
Soit 2n prisonniers réussissent. Cela se produit avec une probabilité cb(2n, 2n) × 1 / 22n
Ainsi, en appliquant la stratégie Aléatoire, les prisonniers réussissent l’épreuve avec la probabilité p = (cb(2n, k) + cb(2n, k + 1) + … + cb(2n, 2n)) × 1 / 22n
Si les prisonniers adoptent la stratégie Suivre, les calculs complets ne semblent pas aboutir à une formule simple. Par exemple, en prenant k = 4, un grand nombre de situations font échouer les prisonniers, et la probabilité de chaque cas est difficile à évaluer – ces situations, sont, par exemple, celle dans laquelle il
n’y a aucun cycle de longueur inférieure ou égale à 4, celle dans laquelle il y a 3 points fixes et aucun autre cycle de longueur inférieure ou égale à 4, celle dans laquelle il y a un cycle de longueur 2 et aucun autre cycle de longueur inférieure ou égale à 4, etc Pour conjecturer une réponse, nous avons donc écrit un programme informatique qui engendre au hasard des permutations des 2n cartes dans les boîtes et calcule, pour chaque permutation, le nombre de prisonniers qui retrouvent leur carte en ouvrant n boîtes, lorsqu’ils ont recours à la stratégie Suivre. À partir de la répartition des nombres trouvés pour 1 million de permutations aléatoires, on évalue la probabilité de succès quand on exige, pour libérer les prisonniers, qu’au moins k d’entre eux réussissent
Pour 16 prisonniers (n = 8), on observe que l’avantage conféré par la stratégie Aléatoire semble se prolonger au-delà de k = 1 et k = 2, jusqu’à k = 9, valeur où la stratégie Suivre devient meilleure (voir l’encadré 4). Dans le cas de 100 prisonniers (n = 50), le programme indique que la stratégie Aléatoire semble meilleure jusqu’à k = 52, et que Suivre devient plus avantageuse à partir de k = 53.
Avec 16 prisonniers (n = 8), on remarque aussi qu’au-delà de k = 8, la probabilité de réussir pour la stratégie Suivre devient constante Cela s’explique par le fait qu’exiger que 8 + i prisonniers réussissent l’épreuve, avec i ≥ 0, revient à exiger qu’il y ait au moins 8 + i prisonniers dont le numéro appartient à un cycle de longueur inférieure ou égale à 8, dans la décomposition de la permutation des cartes dans les boîtes Quand c’est le cas, cela implique que les numéros des prisonniers n’appartenant pas à de tels cycles sont en nombre 8 – i ≤ 8. Leurs numéros font donc eux aussi partie des cycles de longueur inférieure ou égale à 8, par conséquent, tous les prisonniers réussissent l’épreuve. Ce raisonnement se généralise bien sûr au cas avec 2n prisonniers : la probabilité qu’ils soient libérés en appliquant la stratégie Suivre, dès lors qu’on requiert pour cela que n d’entre eux ou plus trouvent la carte correspondant à leur numéro, est la même que quand on exige qu’ils trouvent tous leur numéro
Les questions que nous avons abordées ne sont que quelques-unes des pistes de réflexion que le jeu des 100 prisonniers a suscitées. On pourrait aussi citer une étude de la variante où l’on suppose qu’il y a plus de boîtes que de prisonniers, et où certaines boîtes restent donc vides On peut aussi étudier le cas où seuls les prisonniers qui trouvent leur numéro sont libérés, et s’interroger sur la méthode optimale à mettre en œuvre pour maximiser leur nombre Une version avec une infinité de prisonniers a aussi été proposée et étudiée
L’intérêt pour ce problème et ses variantes ne semble pas près de tarir! n
BIBLIOGRAPHIE
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L’AUTEUR
HERVÉ LE GUYADER professeur honoraire de biologie évolutive à Sorbonne Université, à Paris
LE MYSTÈRE DES MOLLUSQUES SANS COQUILLE
Le groupe des mollusques comporte de curieux animaux ressemblant à des vers et dépourvus de coquille, difficiles à placer dans son arbre de parenté. Une nouvelle phylogénie réconcilie les données anatomiques, moléculaires et paléontologiques… et éclaire l’histoire évolutive de la coquille.
Les mollusques rassemblent des animaux familiers, dont bon nombre arrivent dans nos assiettes : des bivalves ( ou lamellibranches : huîtres , moules , praires, palourdes…), des gastéropodes (ormeaux, bigorneaux, bulots, escargots, patelles…), des céphalopodes (calmars, seiches, pieuvres…). Mais il existe également cinq autres taxons confidentiels, plus énigmatiques les uns que les autres, que les zoologistes affectionnent particulièrement
Les polyplacophores – ou chitons –sont des brouteurs d’algues protégés par sept ou huit plaques calcaires, collés sur les rochers à marée basse. Les scaphopodes – ou dentales – vivent dans une coquille
en forme de tube conique ouvert à chaque extrémité, enfouis dans les sédiments, de la zone littorale à plus de 7 000 mètres de profondeur. Les mono–placophores habitent les grands fonds, entre 2 500 et 6 000 mètres. Leur unique coquille ressemble à celle des patelles, mais leur corps présente de nombreuses particularités anatomiques qui les en éloignent drastiquement. Enfin, mystères des mystères, les caudofovéates et les solénogastres sont des mollusques vermiformes dépourvus de coquille. Les premiers, microphages, vivent enfouis dans le sédiment. Les seconds sont des animaux benthiques libres, brouteurs de métazoaires fixés comme les cnidaires ou les bryozoaires.
Cette espèce de solénogastre – un mollusque sans coquille –est commune en Méditerranée, à des profondeurs de 50 à 900 mètres, où on l’observe souvent enroulée autour de coraux.
Hervé Le Guyader a notamment publié : Ma galerie de l’évolution (Le Pommier, 2021).
Son corps est brun à jaunâtre selon les spécimens.
Ce spécimen a été trouvé à 50 mètres de profondeur sur le littoral corse, enroulé autour d’un corail du genre Paramuricea, dans le cadre du programme d’exploration « La planète revisitée », du Muséum national d’histoire naturelle.
EN CHIFFRES
C’est le nombre de génomes de mollusques qui ont servi à construire leur nouvelle phylogénie (2 de caudofovéates, 2 de solénogastres, 8 de polyplacophores, 2 de monoplacophores, 11 de céphalopodes, 22 de gastéropodes, 2 de scaphopodes, 27 de bivalves).
S’il ne porte pas de plaque calcaire ni de coquille, il arbore tout le long de son corps de minuscules spicules : des aiguilles calcaires creuses de quelques dizaines de micromètres de long.
Les mollusques forment un taxon exemplaire pour illustrer la plasticité évolutive d’un plan d’organisation. Ils sont tous constitués de quatre modules simples, qui changent de taille et de fonction selon l’embranchement. La tête porte la bouche et les organes des sens – mais disparaît chez les bivalves (que le naturaliste français Georges Cuvier appelait « acéphales » au XIXe siècle). Le manteau sécrète la coquille par son bord et peut être enveloppant, comme chez les lamellibranches, ou réduit, comme chez les gastéropodes. Il délimite la « cavité palléale », qui contient les branchies ou forme un poumon, mais joue aussi le rôle d’instrument de propulsion chez
On estime le nombre d’espèces de mollusques à quelque 120 000, dont 100 000 gastéropodes et 9 200 bivalves. On ne connaît en revanche que 35 espèces de monoplacophores.
L’ancêtre hypothétique commun des mollusques vivait il y a 548 millions d’années, à la fin de l’Édiacarien, la période géologique qui a précédé le Cambrien.
les céphalopodes. Le pied, bien visible chez les gastéropodes et chez les bivalves fouisseurs, sert à la locomotion, mais peut se transformer en organe de préhension, comme les tentacules des céphalopodes. Rajoutons à ce catalogue la masse viscérale qui contient le tube digestif, ses glandes annexes et les gonades.
UN ENCHEVÊTREMENT DE MOLLUSQUES
Depuis longtemps, les zoologistes cherchent dans cette structuration modulaire un fil directeur menant à une phylogénie plausible pour les huit taxons. Mais ils se heurtent à un problème de taille : tous les arbres semblent plausibles. La question majeure concerne les animaux dépourvus de coquille ou de plaque calcaire (hormis les céphalopodes, pour lesquels on sait déjà que ceux qui, comme les poulpes, n’ont pas de coquille, l’ont perdue secondairement) : cette absence est-elle un état ancestral ou le résultat d’une perte secondaire ? Une vaste étude
Anamenia gorgonophila
phylogénétique apporte de nouveaux éléments de réponse.
Lorsque les avancées de la biologie ont rendu possibles les phylogénies moléculaires – les arbres de parenté fondés sur la comparaison de portions de génomes –, on a pensé que cellesci résoudraient le problème. Mais les choses n’ont pas été aussi simples. Après diverses tentatives non concluantes, Amélie Scheltema, de l’institut océanographique de Woods Hole, aux ÉtatsUnis, s’est appuyée sur des caractères morphologiques, embryologiques et (un peu) moléculaires pour réactualiser, en 1993, de bien vieilles hypothèses.
Revenons en 1878, l’année où le zoologiste allemand Karl Gegenbaur définit les solénogastres. Simultanément, le savant proposa le taxon des conchifères (porteurs de coquille) pour rassembler les bivalves, les gastéropodes, les scaphopodes et les céphalopodes – les monoplacophores étaient inconnus à cette date (ils furent découverts en 1952). Plus tard, en 1891, le zoologiste autrichien Berthold Hatschek forgea le nom « aculifères » (porteurs de spicules) pour désigner les mollusques dépourvus de coquilles – les chitons, les solénogastres et les caudofovéates (on connaissait ces derniers depuis le milieu du XIXe siècle).
LE NOUVEL ARBRE DES MOLLUSQUES
La récente phylogénie des mollusques confirme leur séparation en deux grands groupes, les conchifères et les aculifères. Si celle des conchifères, très controversée, n’apparaît pas encore complètement résolue, la situation des monoplacophores semble robuste. Le taxon est le premier à émerger, groupe frère des autres conchifères, en accord avec les classifications de nombreux zoologistes. Ensuite viennent les céphalopodes, même si leurs fossiles connus sont tous postérieurs à ceux des gastéropodes et des bivalves. Et enfin le trio gastéropodesscaphopodes-bivalves. Comme leur proximité semble bien prouvée, les auteurs de l’étude les nomment « mégalopodifères » (porteurs d’un grand pied), caractérisés par une larve particulière (la larve véligère), un corps capable
Précambrien
C’est cette répartition qu’Amélie Scheltema a proposée à nouveau en 1993… à rebours complet des hypothèses qui avaient alors le vent en poupe. En effet, on pensait à l’époque que les aculifères ne formaient pas un groupe monophylétique, c’est-àdire rassemblant un ancêtre commun et tous ses descendants : on considérait que les conchifères descendaient des aculifères – sans en faire partie. Qui avait raison ? Il a fallu attendre 2011 pour enfoncer le clou. Kevin Kocot, de l’université d’Auburn, en Alabama, et ses collègues ont confirmé par phylogénie moléculaire la séparation des mollusques en deux groupes monophylétiques : les aculifères et les conchifères.
de se rétracter dans sa coquille, une réduction du nombre de muscles rétracteurs du pied, ainsi qu’un pied qui s’étend largement au dehors de la coquille. C’est ce trio qui paraît encore di cile à résoudre. Les datations nous l’expliquent : sa séparation a dû être rapide, vers 460 millions d’années, dans l’Ordovicien. Pour l’heure, la phylogénie rapproche les bivalves et les scaphopodes, reprenant ainsi un taxon proposé en 1974 et abandonné depuis longtemps : les « diasomes », qui rassemblent les animaux « sans tête » (les bivalves, les scaphopodes et un groupe fossile, les rostroconches). Chez les aculifères, en revanche, la situation est plus simple. Les polyplacophores apparaissent bien comme groupe frère des aplacophores – le couple caudofovéates-solénogastres.
Toutefois, il leur manquait une séquence génétique de monoplacophore pour placer le taxon dans ce nouvel arbre…
Or, quelques mois plus tard, une autre équipe rassemblée par Casey Dunn, alors à l’université Brown, à Providence, dans l’État de Rhode Island, a retrouvé cette dichotomie, mais cette fois-ci avec des séquences de monoplacophores, qui se sont bien retrouvés classés parmi les conchifères. L’a ff aire était-elle réglée ? Eh non. En 2013, une équipe réunie par Michael Schrödl, de l’université de Munich, a proposé une autre répartition, toujours par phylogénie moléculaire : les « dorsoconches », comprenant les gastéropodes, les bivalves, les polyplacophores et les monoplacophores, et les « variopodes », rassemblant les céphalopodes, les caudofovéates et les solénogastres… Enfin, deux ans plus tard, Julia Sigwart, de l’université de Belfast, au Royaume-Uni, et David Lindberg, de l’université de Californie à Berkeley, ont avancé, sans produire de phylogénie, des hypothèses de proximité entre taxons sur des bases morphologiques et génétiques : les solénogastres et les caudofovéates ; les polyplacophores, les monoplacophores et les bivalves ; les céphalopodes, les gastéropodes et les scaphopodes. Comment s’y retrouver ?
L’affaire est d’autant plus complexe que, les coquilles se fossilisant très bien, la paléontologie des mollusques apporte des données majeures. C’est pourquoi Julia Sigwart, à présent à l’université Goethe, à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, a récemment réuni une équipe internationale – dont Kevin Kocot –, pour réaliser une imposante phylogénie, pour la première fois calibrée sur les dates de sites fossilifères essentiels.
DU SQUELETTE CALCIFIÉ
À LA COQUILLE
L’équipe a séquencé treize nouveaux génomes, dont deux de monoplacophores, ce qui lui a permis d’obtenir un échantillonnage intéressant des différents taxons. Elle a retrouvé de manière robuste la dichotomie entre aculifères et conchifères et précisé les liens de parenté au sein de chaque groupe (voir l’encadré page ci-contre). En particulier, les polyplacophores apparaissent bien comme groupe frère du couple caudofovéatessolénogastres, appelé « aplacophores ». Et le mystère de l’absence de coquille de ces derniers s’éclaircit.
D’après la parenté du clade des mollusques avec les autres animaux, il est
indubitable que les ancêtres des mollusques possédaient le système enzymatique nécessaire pour sécréter des éléments calcaires. Ces dernières années, en effet, l’étude de l’histoire évolutive des squelettes calcifiés a montré qu’assez vite après l’apparition des premiers animaux pluricellulaires, ceux-ci se sont dotés d’une sorte de boîte à outils minimaliste de biominéralisation, qui s’est
Les ancêtres des mollusques étaient capables de sécréter
des éléments calcaires £
ensuite enrichie de diverses façons selon les embranchements ou a été perdue secondairement. Toutefois, tant que la phylogénie des mollusques restait floue, il était difficile de savoir comment cette boîte à outils y avait évolué. Mais la nouvelle phylogénie implique que les aplacophores ont perdu secondairement leur coquille.
Peut-on en déduire aussi sur quelle branche de l’arbre du vivant la coquille est apparue ? Julia Sigwart et ses collègues avancent que l’ancêtre des mollusques avait probablement déjà une coquille dorsale, de même qu’un pied et de multiples muscles pour le rétracter. Si c’est exact, la coquille a été perdue plusieurs fois, chez les céphalopodes et chez les aculifères. Mais d’autres interprétations sont encore possibles : elle pourrait être apparue plus tard, chez un ancêtre des conchifères, après leur émergence…
Autre surprise : si les grandes dichotomies des mollusques ont eu lieu au cours du Cambrien, il y a entre 539 millions et 485 millions d’années, il a fallu attendre la période suivante, l’Ordovicien, pour que les huit taxons s’individualisent. De plus, il n’y a pas de corrélation entre la diversité génomique et la diversité morphologique ou écologique. Ainsi, les polyplacophores, à la morphologie si monotone, présentent le plus haut taux de réarrangements chromosomiques. Un nouveau fait bien mystérieux… n
BIBLIOGRAPHIE
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K. M. Kocot et al., Phylogenomics reveals deep molluscan relationships, Nature, 2011.
A. H. Scheltema, Aplacophora as progenetic aculiferans and the coelomate origin of mollusks as the sister taxon of Sipuncula, Biol. Bull., 1993.
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