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Le placebo qui ôte la culpabilité

Vous venez de vous disputer avec votre partenaire et vos mots ont dépassé votre pensée. Vous avez dit des choses trop dures et injustes. Que vous regrettez. Alors… si vous preniez une petite pilule dont on vous a garanti qu’elle effaçait le sentiment de culpabilité ? Certes, ce ne serait pas très éthique ni bénéfque à votre couple, car la culpabilité sert bien à cela : pousser à réparer ses torts quand on a le sentiment d’en avoir commis. Mais dans certains cas, elle est injustifée, voire exagérée, et un petit coup de pouce médicamenteux ne serait pas de trop.

C’est pourquoi l’étude publiée récemment dans la prestigieuse revue Nature par Dilan Sezer, de l’université de Bâle, en Suisse, et ses collègues a de quoi fasciner : en donnant à des volontaires une pilule sans effet réel – un placebo –, mais présentée comme un anticulpabilité, les chercheurs ont vraiment fait reculer ce sentiment chez les participants. Pour comprendre comment une telle chose est possible, il faut revenir sur l’histoire riche et rebondissante de l’effet placebo.

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La respectabilité du placebo – l’effet positif d’une pilule inerte ne contenant aucune substance réellement active sur l’organisme –s’est progressivement affirmée depuis une cinquantaine d’années, car des essais pharmacologiques rigoureux ont comparé un traitement à l’état de recherche à ce « non-traitement » qu’est supposé être le placebo, et prouvé que ce dernier est effcace contre un certain nombre de symptômes. Et, depuis quelques années, un tabou à son sujet commence même à tomber, celui de la nécessité du secret…

CROIRE, MÊME QUAND ON SAIT QUE C’EST FAUX !

En effet, les essais thérapeutiques se déroulent « en double aveugle », c’est-à-dire sans que les participants à l’étude ni les scientifques ne sachent qui consomme quoi – le médicament à tester ou le placebo – et l’on considérait jusqu’alors comme acquis que, pour être effcace, le placebo doit être administré sans que le patient soit au courant que son traitement n’est que de la poudre de perlimpinpin.

C’est d’ailleurs pour cette raison que son utilisation est toujours interdite en dehors des essais comparatifs offciels, dûment validés par les comités d’éthique prévoyant une information claire, loyale, assortie d’un consentement éclairé délivré par écrit. De nos jours, heureusement, il n’est plus permis à un médecin d’administrer de la poudre de rien du tout à qui que ce soit tout en lui disant : « Vous verrez, je vous prescris un médicament formidable qui va vous guérir en un tour de main ! » Le thérapeute n’a plus le droit de mentir sous peine de passer pour un charlatan – et c’est une très bonne chose.

Cette quasi-impossibilité de prescrire un placebo en dehors des situations de recherche, où tout est transparent, est en train de disparaître depuis que de nombreuses études scientifiques ont montré que le placebo reste effcace même si le patient est au courant de sa nature exacte – bien qu’il subsiste toujours le doute de savoir si tout le monde comprend ce que recouvre exactement le mot « placebo »…

C’est ce que j’ai moi-même constaté dans ma pratique dès 1996 : je venais de publier un ouvrage intitulé Le Mystère du placebo, qui a connu un certain succès au point que certains de mes patients l’ayant lu me demandaient, quand je leur prescrivais du magnésium : « Mais docteur, n’avez-vous pas écrit dans votre livre qu’il s’agit d’un placebo impur ? » (je voulais dire par là que le bénéfce du magnésium était dû à son effet placebo). Légèrement embarrassé, je leur répondais : « Oui, en effet. » Mais j’ai alors constaté à maintes reprises que le traitement marchait tout aussi bien pour les patients avertis que pour ceux persuadés que le magnésium était actif dans leur cas du fait de mon discours positif.

QUE GUÉRIT LE PLACEBO ?

Logiquement, puisque la divulgation de la nature du placebo n’annule pas son effcacité, de nombreuses équipes se sont demandé quels étaient les symptômes les plus accessibles à l’effet placebo open label, c’est-à-dire divulgué, en dehors de la douleur qui a toujours été, et reste, son champ d’action favori… du moins dans la tête des chercheurs. De fait, de nombreuses études ont révélé son effcacité sur des symptômes extrêmement variés et souvent non pathologiques : faciliter la confance dans les autres, diminuer la timidité, augmenter la joie de vivre, réduire le stress et la dépression, améliorer le bien-être à court et à moyen terme, diminuer la tristesse, la rumination, le dégoût, et même augmenter le plaisir de boire du vin !

Il faut cependant reconnaître que les études sur l’effet de la divulgation du placebo contre la douleur engendrée expérimentalement par la chaleur ou l’électricité sont particulièrement nombreuses, alors que celles contre, par exemple, l’induction de tristesse en regardant un flm mélancolique ou en lisant des commentaires d’autodépréciation ou en écoutant une musique triste, ou bien l’induction d’anxiété grâce à des images d’épouvante, sont rares.

Honte Et Culpabilit

AU BANC D’ESSAI

D’où cette nouvelle étude de Dilan Sezer et de ses collègues : les chercheurs se sont attelés à des symptômes non douloureux liés à notre vie sociale, à savoir la culpabilité, la honte et la ferté, ainsi qu’à leur ressenti. Pour autant que l’on puisse considérer que ce sont des « symptômes », c’est-à-dire des signes d’une maladie…

Ici, il s’agit d’un travail concernant 109 volontaires en bonne santé, répartis par tirage au sort en trois groupes de même taille, dont les âges, ainsi que la répartition par genre, étaient comparables. Les différents groupes étaient : placebo divulgué (35 sujets), placebo mensonger (35 sujets), pas de traitement du tout (39 sujets). Dans le cas du placebo mensonger, le message délivré était : « Nous allons vous donner une plante efficace. » Dans un deuxième temps, les chercheurs demandaient aux participants de rédiger un texte où ils devaient décrire un épisode de leur vie dont ils n’étaient vraiment pas fers, de façon à déclencher un sentiment de honte ou de culpabilité. Et l’on mesurait, au moyen d’échelles appropriées, l’évolution de ces sentiments avant et après le rappel de l’épisode déplaisant de leur vie, ainsi que, à l’opposé, de la ferté.

Résultat : les personnes du groupe « pas de traitement » ont exprimé plus de culpabilité tout au long de l’expérience que celles des groupes « placebo divulgué » et « placebo mensonger », ces derniers ne différant pas l’un de l’autre.

En revanche, ni la honte ni, à l’inverse, la ferté ne semblaient être affectées quelle que soit l’intervention. Dilan Sezer et ses collègues ont donc atteint leur but : quand on ressent de la culpabilité, le fait de recevoir un traitement placebo tout en sachant qu’il est inactif permet néanmoins d’être soulagé autant que quand on l’ignore, et bien plus qu’en n’avalant rien…

DU « NORMAL »

AU PATHOLOGIQUE

Partant de ce constat, les chercheurs se sont alors demandé si cette « thérapie » à base de placebo reste effcace dans les circonstances pathologiques où la culpabilité se manifeste. Et c’est là que le bât blesse ! En effet, l’analogie entre une culpabilité légitime, normale, que vous et moi ressentirions en repensant à des choses pas jolies-jolies que nous avons faites dans le passé, et la culpabilité maladive, parfois délirante, vécue par les patients gravement déprimés, voire mélancoliques, me semble pour le moins hasardeuse. Car dans la bouche de la personne sévèrement déprimée, le discours habituel est : « Je suis une telle ordure que je dois sans tarder trouver une corde ou un fusil ou une rivière pour débarrasser le monde d’un personnage aussi abject que moi. »

C’est la même problématique que lorsqu’on compare la tristesse ressentie à l’occasion, par exemple, d’un enterrement et celle éprouvée au cours d’une dépression. Les patients eux-mêmes, une fois guéris, disent bien que « cela n’a rien à voir ». Je me souviens d’un de mes patients, bipolaire parfaitement équilibré, bénéfciant d’une humeur normale depuis des années grâce à son thymorégulateur (du lithium), qui avait perdu quelqu’un de sa famille et qui affrmait que le ressenti du deuil qu’il vivait n’était en rien comparable à la douleur morale de ses épisodes mélancoliques passés.

Dilan Sezer et ses collègues, bien entendu, discutent dans leur article toutes ces objections. Pourtant, ils

Bibliographie

D. Sezer et al., Deceptive and open-label placebo e ects in experimentally induced guilt : A randomized controlled trial in healthy subjects, Scientific Reports, 2022 considèrent que, puisque la culpabilité est accessible à l’effet placebo, il serait par conséquent éthique d’administrer un placebo pour la soulager chez les patients déprimés présentant le symptôme de culpabilité dite « morbide ». Mais cela semble hautement contestable pour toutes les raisons que je viens d’évoquer…

UNE PILULE POUR SE SENTIR MOINS COUPABLE…

Pour aboutir à une telle conclusion, il serait d’ailleurs nécessaire de refaire la même étude, cette fois avec des patients sévèrement déprimés, et selon les mêmes modalités… Mais une telle recherche serait-elle acceptable éthiquement, vu le risque suicidaire majeur ? Rien n’est moins sûr tant l’objectif paraît quelque peu pusillanime au regard de la gravité considérable de la dépression avec culpabilité morbide qui conduit, malheureusement, à la mort dans un nombre considérable de cas.

En revanche, l’utilisation de placebo dans des circonstances non cliniques de tristesse, d’anxiété, dites « normales », ou même d’inconfort, serait en effet parfaitement éthique. Mais a-t-elle le moindre intérêt ? Faudra-t-il à l’avenir avaler une pilule de mica panis – le nom que Corvisart, médecin à la Cour de Napoléon, donnait au placebo qu’il administrait aux princesses souffrant de constipation – plutôt que d’aller se confesser à l’église ou chez son psy, ou bien avant de se goinfrer de chips avec un horrible sentiment de culpabilité ? £

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QUI RESTE LA 1ÈRE CAUSE DE MORTALITE PREMATUREE EN FRANCE

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