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DÉCOUVERTES Cas clinique

Gr Gory Michel

Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.

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En Bref

£ Thibault, 13 ans, s’isole de plus en plus depuis quelques mois, sans raison apparente pour ses proches et ses amis.

£ Mais en réalité, il a peur de son physique – un nez un peu gros et des seins qui poussent –, et fait tout pour se cacher.

£ On parle de dysmorphophobie ; la thérapie va lui permettre de s’accepter et de se confronter à nouveau au regard des autres.

Un mercredi en fin d’aprèsmidi, je reçois un jeune garçon, accompagné de ses deux parents, car un collègue médecin m’a demandé de le voir. Le père, avec qui j’ai eu une conversation téléphonique quelques jours auparavant, m’a informé que son fils cadet s’isolait de plus en plus et qu’il avait, depuis quelques semaines, des difficultés à se rendre au collège, sans raison apparente…

Il Vite Le Coll Ge

Dans la salle d’attente, Thibault, vêtu d’un sweat à capuche noir avec un chino bleu marine et des baskets grises, est assis sur un fauteuil entre ses deux parents, en scrollant sur les réseaux sociaux. Son père, lui aussi habillé en sportswear, feuillette une revue, alors que sa mère, d’un style plus classique – robe et cardigan sombres –, semble répondre sur son smartphone à des messages professionnels.

« Bonjour Thibault. » À son prénom, le jeune adolescent tourne la tête vers moi avec un regard inquiet. Son père, crispé mais souriant, se lève aussitôt et sa mère, gênée, me demande

DÉCOUVERTES Cas clinique THIBAULT, LE GARÇON QUI DÉTESTAIT SON NEZ

si elle doit également venir, visiblement encore occupée à rédiger son dernier message. Je lui réponds que, pour ce premier entretien, je souhaite recevoir tout le monde. Thibault suit son père et s’installe sur le fauteuil situé au milieu de ses parents. Visage tourné vers son père, légèrement baissé, et regard dissimulé par ses cheveux, le garçon semble attendre que son papa prenne la parole… « C’est sur les conseils de notre médecin que je vous ai contacté, car notre fils nous inquiète… Il voit de moins en moins ses amis et se plaint depuis quelques mois d’aller à l’école. »

Thibault reste silencieux. Il est très tendu, les poings serrés tremblant sur ses cuisses. Malgré ses cheveux qui cachent son visage, je note ce qu’on appelle dans notre jargon une hypomimie flagrante : ses traits sont figés, peu expressifs, et il évite soigneusement mon regard. Sa mère, plus en retrait, acquiesce à chaque déclaration de son conjoint. « Nous ne comprenons pas ce qui se passe. Depuis quelques semaines, il a des maux de ventre et a même refusé d’aller au collège plusieurs matinées… Notamment lorsqu’il avait natation. Nous craignons que cela évolue vers une phobie scolaire. »

« JE N’AI PAS PEUR DE L’ÉCOLE »

Alors que Thibault reste toujours muré dans son silence, sa mère ajoute : « Ce qui est compliqué, c’est que notre fils ne dit rien… On a pensé qu’il y avait eu des problèmes à l’école, qu’il avait été harcelé. Mais mon mari a rencontré sa professeuse principale et elle n’a rien remarqué. » Comme les parents semblent se focaliser sur le collège, je demande à Thibault ce qu’il en pense. Il prend beaucoup de temps pour me répondre : « L’école ne me fait pas peur… » « Alors qu’est-ce qui te fait peur ? Dis-nous. On est là pour ça, précise son papa d’un ton angoissé. Ça fait beaucoup plus longtemps que ça que tu ne vas pas bien. Tu te replies sur toi depuis l’année dernière, tu as même laissé tomber le handball. Et tu te réfugies beaucoup sur ton téléphone. » Thibault se met à haleter, ce que j’interprète comme une gêne respiratoire jusqu’au moment où je m’aperçois qu’il retient des sanglots. Il est temps que je m’entretienne seul à seul avec lui.

Ses parents sortis, le jeune adolescent reste figé, ses tremblements aux mains s’étant même propagés légèrement au niveau du visage, où je perçois des microcontractions à la commissure des lèvres. Une dystonie – des spasmes musculaires involontaires – de la mâchoire nuit même à l’élocution de ses premiers mots. Il s’exprime difficilement, donnant l’impression d’une dysarthrie – un dysfonctionnement neurologique de l’exécution de la parole –, tant l’émission des sons est peu intelligible. Sa voix est basse et son ton voilé, bas et monotone lui confère une teinte dépressive certaine. Son regard, absent ou bien fuyant, donne une impression d’immobilité, voire de passivité. Les signes d’anxiété sociale sont palpables et bien trop prégnants pour s’expliquer par la seule timidité que m’ont décrite ses parents. L’angoisse est omniprésente.

Après un temps de silence, il me dit enfin : « Je ne veux pas parler de moi, je n’ai rien à dire ! » En retrait et muet depuis plus d’une heure, le voilà maintenant sur la défensive et dans l’opposition. Aurait-il un secret à cacher ? Tout au long de l’échange qui suit, il évite mon regard comme si je risquais de découvrir un secret inavouable et honteux qu’il tenterait à toute force de dissimuler. Et je ne suis pas loin du compte. Au cours de notre deuxième consultation, trois jours plus tard, il déclare : « Mes parents n’ont rien compris, ne savent rien… Ce n’est pas le collège qui me fait peur, c’est moi. C’est mon physique. »

Un Bon L Ve

Son corps serait-il donc la cause de son retrait social ? Pour le découvrir, faisons connaissance avec Thibault. Âgé de 13 ans, scolarisé en classe de quatrième, Thibault a un frère de 17 ans prénommé Paul, qui est en terminale. Son père est enseignant d’histoire-géographie dans le secondaire et sa mère travaille en tant que directrice des ressources humaines dans une grande entreprise. La famille semble très unie ; la mère, très impliquée dans son activité professionnelle, rentre souvent tard au domicile, donnant au père une plus large latitude dans l’éducation de leurs deux enfants.

Thibault a été très désiré, la grossesse et l’accouchement se sont parfaitement bien déroulés. Son développement psychomoteur ne présente aucune difficulté, il a été propre, a marché et parlé à des âges tout à fait normaux. Durant sa première année, il a été gardé par ses grands-parents paternels, avant de passer deux années en crèche. Son adaptation à l’école maternelle s’est déroulée de façon satisfaisante, sans aucun signe d’anxiété de séparation. Dès son entrée dans les apprentissages, il s’est situé dans les premiers de sa classe et cela a duré tant en primaire qu’au collège.

Les parents me décrivent Thibault comme étant plutôt introverti et timide, sans toutefois que cela ait nui à ses relations sociales. « C’est un enfant très sensible, très émotif, et il a toujours eu des copains dès la maternelle… Et comme il est très sentimental, il a surtout eu un meilleur ami », précise son père. Dès l’âge de 6 ans, le garçon a suivi des cours de dessin, puis s’est investi dans les sports collectifs à partir de 9 ans, notamment dans le handball, comme son frère Paul et son père. Mais depuis septembre dernier, il rechigne à continuer le sport. « Cela fait maintenant deux mois qu’il ne veut plus aller aux entraînements », précise son père.

LE NEZ DE SA GRAND-MÈRE

Je m’interroge alors un peu plus sur son parcours scolaire et extrascolaire. Mais je ne découvre aucun élément d’anxiété sociale ni de performance. Il ne s’est jamais plaint de stress lié aux examens, ou aux devoirs à la maison, ou encore moins aux matchs de handball. Au contraire, le garçon aime apprendre et se dit passionné par son sport et par l’histoire. Sa période préférée est la Seconde Guerre mondiale. « Mon grand-père, qui est né en 1942, m’a donné beaucoup d’archives et de documents sur ce sujet. Avec mon père, on les classe depuis que je suis tout petit. Ça me passionne. » Aucune brimade à signaler de la part des autres élèves ou des professeurs. Sa scolarité n’est pas source de peurs, comme le redoutaient ses parents. Thibault ne souffre d’aucune phobie scolaire.

Mais alors, d’où viennent ses angoisses ? Je reparle alors de son isolement social depuis septembre dernier, comme l’a décrit son père. L’adolescent tente d’éluder ma question. Puis il se met à minimiser les propos de ses parents : « C’est vrai, depuis quelque temps, je préfère être seul… Je lis des romans historiques, et ça me va très bien. » Thibault a toujours des copains, certes, mais il s’en est éloigné physiquement, alors qu’il reste en contact avec eux sur les réseaux sociaux. La cause de cette distanciation : lors d’une dispute « avec ses potes » à propos d’une jeune fille de sa classe, il y a plus d’un an, son meilleur ami Théo lui a dit : « T’es moche avec ton nez énorme… Il est comme une grosse patate. » Un incident mineur en apparence… Mais qui a fait écho aux propos tenus non seulement par son frère, mais aussi par sa mère. « Mon frère m’a déjà dit que j’avais un gros nez et que je ressemblais à ma grand-mère maternelle. C’est d’ailleurs en raison de mon nez que ma mère dit souvent que je tiens surtout d’elle. »

Et enfant, il se souvient qu’il entendait souvent ses parents se moquer de sa grand-mère à cause de son fort appendice nasal. Son frère avait même tendance à le comparer exagérément aux personnages d’une bande dessinée de Lucky Luke, offerte par un de leurs cousins. « C’est l’album Les Rivaux de Painful Gulch. Il m’a marqué. C’est l’histoire de deux familles qui se font la guerre ; l’une se caractérise par des gens ayant d’énormes oreilles et dans l’autre, ils ont un nez monstrueux, c’est la famille O’Timmins. » Le nez est donc l’organe d’attention de toute la famille de Thibault.

LE SYNDROME DE CYRANO

À la puberté, cet intérêt presque « pathogène » pour son nez s’est renforcé avec l’apparition, dès l’âge de 11 ans, d’une importante acné. Complexé, il a alors consulté une dermatologue et, comme beaucoup de jeunes adolescents, s’est montré hyperattentif, voire très sensible, à ce que les autres pensaient de tous ses boutons…

Progressivement, Thibault est devenu obsessionnel envers son nez, et cela continue : il passe des heures à le scruter dans le miroir, se prend en photo puis retouche l’image de son visage, et

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