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QU’EST-CE QUE LA DYSMORPHOPHOBIE ?

Historique et définition

Le mot « dysmorphophobie » est dérivé du grec dysmorfia, qui signifie « anomalie de la forme du corps ».

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« Dysmorphophobie » signifie donc

« phobie de la difformité ou de la laideur ». Mais elle ne semble pas relever du fonctionnement classique des phobies, qui se caractérisent par une projection à l’extérieur de l’objet d’angoisse, permettant des stratégies de fuite et d’évitement. En effet, selon le psychiatre Maurice Ferreri, l’objet phobique du sujet dysmorphophobique n’est pas hors du corps, mais à l’intérieur, de sorte que le patient se l’approprie et chercherait à se fuir lui-même. D’où des conséquences significatives sur le plan social et relationnel.

C’est le médecin italien Enrico Morselli qui, en 1871, décrit pour la première fois la dysmorphophobie comme « un sentiment subjectif de laideur ou défaut physique que le patient ressent notable par rapport aux autres, alors que son apparence physique se situe dans les limites de la normale ». Elle a été rattachée à la névrose, au registre des obsessions, mais elle a aussi été assimilée à des maladies délirantes, allant de l’hypocondrie délirante à la schizophrénie. En 1984, l’Anglais Christopher Thomas l’individualise des autres troubles mentaux, de sorte que dans la troisième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III-R), en 1987, la dysmorphophobie appartient aux troubles somatoformes, sous le terme de body dysmorphic disorder, traduit par « peur d’une dysmorphie corporelle ». Actuellement, le trouble dysmorphique corporel, ou TDC (ou BDD, body dysmorphia disorder), apparaît dans la catégorie des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) du DSM-5. Il s’agit d’une obsession portée sur une partie du corps. Plus exactement, il se caractérise par une préoccupation anxieuse concernant un défaut physique, imaginaire ou très léger, mais dont la perception est disproportionnée, ce qui provoque une souffrance. Ce trouble englobe aussi une variante délirante (par exemple, avec perte de conscience de la réalité ou présence de croyance délirante). Dans la

Classification internationale des maladies (CIM 10) de l’OMS, le TDC est classé parmi les troubles hypocondriaques et se définit comme « une préoccupation durable concernant un défaut ou une disgrâce physique supposée de l’apparence physique ».

Description clinique

Le TDC se caractérise par une ou des préoccupations anxieuses pour un défaut physique imaginaire ou à peine visible et par des comportements compulsifs.

Les préoccupations anxieuses D’abord, il y a celles qui concernent le défaut. Ce sont des obsessions, c’est-à-dire que la conscience de la personne est envahie contre son gré par des images, des pensées, concernant le défaut physique léger ou imaginaire. Il existe un fort décalage entre l’importance des préoccupations et la réalité du défaut… Mais le patient considère ce dernier comme répugnant, dégoûtant, honteux, parfois monstrueux. Il peut s’agir de n’importe quelle partie du corps, le plus souvent ce sont des parties visibles, comme le visage (rides, boutons, cicatrices, taches vasculaires, acné, rougeurs…), la pilosité (sourcils, cheveux trop fins ou clairsemés, pilosité faciale), le nez, les yeux, les oreilles, mais aussi les parties génitales, la silhouette, les seins, les fesses, les cuisses, les pieds… Notons que certains patients adultes identifient même le défaut chez leurs enfants qu’ils poussent à consulter pour un traitement chirurgical ou dermatologique. On parle alors de « trouble dysmorphique corporel par procuration ».

Par ailleurs, les préoccupations peuvent concerner les conséquences du défaut, que ce soit sur la vie de la personne ou sur la façon de faire disparaître la cause de l’obsession, par chirurgie esthétique, par exemple. Notons que la durée quotidienne des obsessions est variable et doit être au minimum d’une heure… Mais certains patients sont obnubilés par leur défaut jusqu’à trois à huit heures par jour.

Les comportements compulsifs

Ce sont des actes répétitifs et excessifs censés répondre à la souffrance produite par les préoccupations. Ils durent aussi parfois jusqu’à trois à huit heures par jour. Certains comportements sont directement liés à l’existence du défaut. Par exemple, on n’arrête pas de se comparer à autrui, de se regarder dans le miroir ou de consulter un médecin… Notons que le miroir occupe une place très importante dans la symptomatologie du TDC. En effet, le patient va beaucoup « consulter » le miroir pour prouver l’existence du défaut mais aussi dans l’espoir d’être détrompé et de se voir différent de ce qu’il pense être… Il scrute son corps et s’exerce à montrer son meilleur profil… D’autres comportements compulsifs ont pour but de trouver une solution au défaut : on se cache comme on peut, avec des vêtements amples, du maquillage, les cheveux sur le visage, voire on a souvent recours à des « autochirurgies », parfois mutilantes, ou à des professionnels, comme des dermatologues et des chirurgiens esthétiques.

Épidémiologie

Le TDC concernerait 2 % de la population générale. En psychiatrie, 8 % des patients traités en externe et 13,1 % de ceux qui sont hospitalisés sont atteints de TDC. Le trouble touche autant d’hommes que de femmes. Mais souvent, leurs préoccupations diffèrent. Les hommes sont plus soucieux de leurs cheveux, de leur petite stature et de leurs parties génitales, tandis que les femmes auraient plus d’inquiétudes sur leurs jambes, leurs cuisses, leurs fesses, leur poitrine. Notons que, parmi les patients en chirurgie esthétique, on retrouve entre 6 et 15 % de personnes atteintes de TDC. Les études portant sur des patients consultant en dermatologie convergent vers les mêmes chiffres.

Évolution et comorbidité

Le TDC débute souvent à l’adolescence, parfois dans l’enfance. Il est en général progressif, mais peut apparaître de façon brutale. Dans plus de 50 % des cas, les symptômes s’aggravent peu à peu, mais pour 20 % d’entre eux, ils régressent spontanément. La crainte du ridicule, la honte et la gêne vis-à-vis du regard d’autrui entraînent un évitement des contacts, d’où un isolement social et familial. À cette anxiété sociale s’ajoutent des comportements compulsifs, comme des retards fréquents, qui peuvent conduire à des échecs scolaires ou professionnels. Par ailleurs, le TDC est lié à d’autres troubles mentaux : dépression, phobie sociale, TOC. Il augmente aussi le risque de consommer des substances, de 50 %, et est fortement associé à l’anorexie : 40 % des femmes anorexiques souffrent de TDC. Enfin, une étude américaine a montré que près de 80 % des personnes souffrant de TDC avaient des idées suicidaires et 27,6 % avaient fait une tentative de suicide.

Facteurs de risques

Les causes du TDC sont multiples… Une vulnérabilité personnelle, caractérisée par une faible estime de soi et une propension à l’anxiété sociale, sur laquelle viennent s’ajouter d’autres facteurs : une forte sensibilité à l’apparence physique, aux stéréotypes sociaux, à la pression sociale pour la beauté, avec l’influence des médias vis-à-vis des corps parfaits. Des études ont montré à quel point l’utilisation des réseaux sociaux, comme Instagram, par les adolescents influe sur la façon dont ils perçoivent leur propre corps et ceux des autres. Ainsi, certains chercheurs parlent même de « dysmorphie numérisée » : l’intériorisation des normes de beauté et la pression sociale, par le biais des réseaux sociaux, diminuent l’estime de soi et l’estime de son corps. Soulignons que tous ces éléments viennent faire écho à la problématique identitaire particulièrement active au moment de la puberté et plus largement au cours de l’adolescence.

utilise même des filtres sur Snapchat ou TikTok, afin de l’affiner. Il se renseigne sur les maladies du nez et découvre qu’il existe des hypertrophies dites « rhinophyma », des pathologies plutôt rares qui s’observent chez les adultes assez âgés et se caractérisent par un nez large et bulbeux.

Bien que réconcilié avec Théo, le garçon commence à s’isoler et à rendre son nez, qu’il perçoit comme difforme, responsable de tous ses soucis. « Si les copains se désintéressent de moi, c’est à cause de mon physique. Ils ont honte de moi. » Il ajoute, à propos d’une jeune fille dont il est tombé amoureux : « Avec le nez que j’ai, elle ne peut pas me trouver beau… Aucune fille ne pourra m’aimer. »

Même avec un traitement dermatologique qui permet de réduire considérablement son acné, rien n’y fait. Son obsession pour son nez a un tel impact sur son estime de son physique qu’il s’enfonce toujours plus dans l’isolement social. Il commence alors à se sentir triste et pessimiste. « Je ne vois pas d’issue, déclare-t-il. J’ai même des idées noires. » Des symptômes de la dépression pointent leur nez.

ET MAINTENANT, LES SEINS QUI POUSSENT…

Mais ce n’est pas tout. Lors de notre quatrième rencontre seul à seul, mon patient me fait part d’une terrible peur qu’il porte en lui et qu’il dissimule à tous ses proches et surtout aux autres adolescents. Le lien thérapeutique que nous avons créé depuis quelques semaines permet à Thibault de dépasser son angoisse et surtout sa honte. En confiance, il me dévoile non seulement les affres de son psychisme, mais aussi son intimité si malmenée : « J’ai peur, car j’ai des seins qui poussent. J’ai de gros tétons, plus gros que ceux de mes copains. Ça me dégoûte. C’est pour ça que je ne veux pas aller à la natation le mardi matin. C’est aussi pour ça que j’ai arrêté le handball. Je ne supporte plus les vestiaires. »

Pour le coup, Thibault ne rêve pas. Il présente en effet ce qu’on appelle une « gynécomastie », qui sera confirmée par son médecin. Il s’agit d’un développement, assez fréquent à la puberté, des glandes mammaires, lié à la sécrétion précoce d’œstrogènes comparativement au niveau encore bas de testostérone. Cela dure en général quelques mois, voire quelques années, avant de disparaître spontanément.

Mais après le nez, les seins… Ça fait beaucoup pour Thibault. D’autant que le jeune ado a entretenu ses angoisses en surfant sur les réseaux sociaux et en se comparant aux autres adolescents qui exhibent un corps musclé, des abdominaux en tablette de chocolat et, surtout… des pectoraux saillants. Le pauvre Thibault ne

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