3 minute read
LES MENSONGES DU « NON-VERBAL »
Des rayons d’ouvrages de développement personnel prétendent qu’il est possible de démasquer un menteur à son regard ou ses gestes. À bien y regarder, cela ressemble à un gros mensonge.
La détection du mensonge est un thème incontournable de la psychologie populaire, que ce soit dans la littérature de développement personnel ou dans les séries télévisées. Dans le rôle principal : le décryptage du langage non verbal… Le corps ne saurait mentir, prétendent les tenants de cette approche. On pourrait de fait détecter sur le corps ou sur le visage de l’individu malhonnête des signes qui trahiraient son stress ou l’affleurement d’émotions dénotant sa duplicité. Voilà pour la théorie, suffisante pour donner à tout un chacun l’espoir de devenir un as de la perspicacité et ne plus jamais se faire rouler dans la farine. Qu’en est-il dans la pratique ?
Advertisement
Quand il s’agit de détecter le mensonge, la plupart des gens se basent sur des indices non verbaux. Sur le podium des plus usités, la première place revient au regard fuyant, puis viennent les gestes nerveux et enfin l’agitation du corps. C’est ce que révèle une étude réalisée par un groupe de chercheurs (The Global Deception Research Team) dans 75 pays, couvrant 48 langues différentes et impliquant plus de 2 300 sujets. Il en ressort que 63 % des personnes interviewées affirment que l’on reconnaît les menteurs à ce qu’ils détournent le regard, 28 % pensent qu’ils manifestent de la nervosité et 25 % des gesticulations. Parmi les autres stéréotypes dominants sur les signes extérieurs de tromperie : mouvements des bras, des jambes et des doigts ; variation du rythme de la parole ; intonation particulière ; direction du regard (à gauche ou à droite) ; transpiration, manipulation des cheveux, des habits ou d’objets comme un stylo.
Pareils chiffres soulèvent immédiatement un problème de taille : si la plupart des gens croient que le mensonge se détecte au détournement du regard et à l’agitation motrice due à la nervosité, cela signifie que la plupart des menteurs connaissent aussi ces critères. Ce seront donc les premiers signes qu’ils tenteront de contrôler. Entre nous, on peut bien se l’avouer : quand on ment (pour la bonne cause, il va sans dire), on sait bien qu’il faut continuer à regarder son interlocuteur droit dans les yeux et faire en sorte de détendre son corps. Cette connaissance très répandue constitue la raison pour laquelle ces indices se révèlent la plupart du temps inutiles.
Du côté des résultats expérimentaux, les mesures effectuées sur des situations de mensonge réel montrent que les indices non verbaux ont la même efficacité que… le hasard : en nous basant sur ces indices, nous avons une chance sur deux d’identifier correctement un mensonge, comme si nous tirions à pile ou face. Et si vous vous targuez d’être plus doué que la moyenne à ce jeu-là, les données scientifiques vous donnent malheureusement tort. Les personnes les plus sûres de leurs capacités ne font pas mieux que les autres. Elles se trompent… plus sûrement. Une lecture attentive de l’excellent ouvrage de référence, publié il y a quelques années sous la houlette de spécialistes d’horizons divers, Benjamin Elissalde, Frédéric Tomas, Hugues Delmas et Gladys Raffin, devrait finir de vous convaincre.
DES MICROEXPRESSIONS…
Les adeptes du décryptage du « nonverbal » n’en restent cependant pas là. Ils invoquent de la science tout à fait sérieuse, en particulier le nom de Paul Ekman. Quel étudiant en psychologie n’a jamais croisé ce nom célèbre ? Le professeur Ekman est connu pour avoir parcouru le monde et montré que la tristesse, la peur ou la joie s’affichent de manière étrangement analogue à travers les différentes cultures. D’où l’hypothèse de l’universalité des expressions faciales des émotions de base. On lui doit aussi le Facial action coding system, un système de cotation qui permet d’identifier les plus infimes crispations du visage et de les mettre en relation avec les émotions éprouvées. Ses travaux se sont popularisés grâce à une série télévisée à succès, Lie to me, produite et diffusée au tournant des années 2010. Les acteurs de cette série, que l’on a dits coachés par Paul Ekman lui-même, aident le FBI à résoudre des enquêtes en confondant les menteurs. Plus sérieusement, les travaux du psychologue sont à la base des algorithmes utilisés de nos jours pour identifier les émotions sur les visages, que ce soit à des fins marketing, publicitaires, voire psychothérapeutiques (pensons aux logiciels qui aident les personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme à apprendre à interpréter les expressions du visage).
Revenons au mensonge. L’idée d’Ekman est qu’une personne en proférant un va laisser apparaître malgré elle, durant un temps extrêmement bref, une mimique trahissant ses véritables sentiments. Ces microexpressions, ou fuites, telles qu’on les appelle aussi, permettent aux individus formés à leur repérage de relever des incohérences entre ce qu’un sujet dit et ce qu’il éprouve malgré lui, et donc de mettre en doute sa sincérité. De nombreux professionnels, juges, policiers, enquêteurs, douaniers, médecins se sont formés à cette méthode, coûteuse et laborieuse au demeurant.