QUAND ChatGPT APAISE LES RÉSEAUX SOCIAUX

Comment apprendre aux humains à se comporter comme des êtres civilisés sur les réseaux sociaux ? Une solution semble avoir été trouvée : confier la modération au robot conversationnel ChatGPT… ien ermite celui qui a échappé aux brouhahas entourant la découverte par le grand public de ChatGPT. L’enthousiasme pour cette intelligence artificielle (IA) est compréhensible. Une machine discute désormais avec une telle fluidité qu’il est difficile d’imaginer que des paramètres et un réseau formel se cachent derrière, plutôt qu’une véritable intelligence humaine. Les réponses que l’algorithme renvoie sont stupéfiantes de précision, de naturel et d’organisation. Mais pas seulement : ChatGPT semble également répondre de manière pragmatiquement adaptée, conseillant par exemple à une personne dépressive de consulter. Nos concitoyens se bousculent tant au portillon pour un échange avec l’étrange machinerie qu’elle affiche régulièrement « complet ».

BUne fois passé l’émerveillement, on est tenté de chercher les limites de l’IA. Et des limites, on en trouve vite. L’assistant (ChatGPT indique qu’on peut l’appeler ainsi) échoue à un examen basique de physique ou de logique. Des experts l’ont interrogé sur leur spécialité. En général, les premières réponses sont saisissantes. ChatGPT est capable de définir correctement la biodiversité, d’expliquer pourquoi le réchauffement climatique pose problème, ou de décrire les grandes lignes historiques de la déforestation en Amérique latine. En revanche, dès que l’on devient plus précis, la machine affirme des sottises et va même jusqu’à inventer des sources. Elle se contredit, admet qu’elle ne sait rien d’une question à laquelle elle vient pourtant de donner une réponse péremptoire.

Bref, elle se conduit parfois comme un pseudo­expert exhibant le costume trompeur de l’excellence.

ChatGPT : DES DÉFAUTS, OUI MAIS… Si l’on dit tant de choses sur les défauts et les limitations de l’assistant, c’est peut­ être par besoin de se rassurer : « l’IA n’est pas à notre niveau, elle ne remplacera pas nos vrais spécialistes. Beaucoup de métiers sont mécanisables, mais ce qui relève de l’intellect occupe un autre rayon. » Dernier bastion de la résistance à la mécanisation, les métiers intellectuels se font pourtant bel et bien grignoter. Certes, les capacités intellectuelles de l’IA – dont de nombreux commentateurs affirment, rassurants, qu’elles n’ont en réalité rien de profond –restent limitées, mais, de la correction

Quand les esprits s’échauffent sur les réseaux sociaux, ChatGPT propose des formulations apaisantes. Et la haine en ligne s’estompe...

@Justiss47

Les mecs qui disent qu’on est allé sur la Lune, c’est des illuminati qui infiltre le pouvoir aux US et font croire alors que c’été tourné en studio

@Fisikos orthographique à la traduction, elles font déjà partie du paysage quotidien. ChatGPT est limité, c’est entendu ; il présente des risques, bien sûr. Des étudiants l’utilisent pour tricher. Des chercheurs pour faire à leur place la revue de la littérature qui convient. Mais ne peut­il néanmoins apporter une aide précieuse là où l’homme est débordé par des tâches mentales trop intenses ? C’est la question que plusieurs chercheurs se sont posée. Parmi eux, Lisa Argyle et six collègues de la Brigham Young University et de l’université Duke se sont penchés sur un métier aussi bénévole qu’éreintant : modérateur sur les réseaux sociaux. Lorsque deux personnes aux opinions contraires s’adressent la parole en ligne, la tendance est au dérapage éclair. Sarcasmes, invectives et insultes

Et les scientifiques qui bossent à la NASA c’est des Illuminati qui plannifient une dictature ? Tu utilise ton cerveau de temps en temps @revolibr ?!

Suggestion de ChatGPT

J’ai compris ton inquiétude à l’idée que des personnes mal intentionnées tenteraient d’installer un régime autoritaire aux États-Unis, et que ces personnes puissent dans le même temps diffuser des images falsifiées. Je comprends que c’est angoissant. Néanmoins, il me semble qu’il n’y a pas de lien établi entre la communication sur les missions Apollo et la montée de l’extrême droite aux États-Unis.

sont quasiment la norme. Dans des dialogues de sourds saisissants, chacun hurle son point de vue de plus en plus fort à grand renfort de menaces, dans l’espoir naïf de prévaloir.

TROIS RÈGLES D’OR : REFORMULER, VALIDER, RESTER COURTOIS

Les caractéristiques d’un dialogue apaisé sont pourtant connues : écoute, respect, reconnaissance des émotions de l’autre. Dans certains groupes virtuels, des armées de modérateurs s’époumonent à répéter ces règles de bases, le plus souvent une fois qu’elles ont déjà été violées. Les derniers développements de l’intelligence artificielle laissent penser qu’elle pourrait avantageusement soutenir ces héros de l’ombre. Pour le tester, les auteurs ont proposé à des citoyens américains de discuter de la question de la liberté du port d’armes, épineuse en ces contrées. Plus de 1 500 internautes aux avis contraires étaient appariés et devaient entamer un dialogue. Sur un tel sujet, il ne faut pas attendre longtemps pour que le débat dégénère. La moitié des paires d’internautes, celle constituant le groupe test, se voyait automatiquement suggérer, quand c’était nécessaire, des reformulations. Par exemple, si un internaute favorable aux armes à feu s’apprêtait à répondre furibond « Il y a déjà un contrôle, je te ferais remarquer. Tu ne connais visiblement rien au sujet » à un opposant qui s’inquiétait de la possession d’armes à feu par des personnes instables, l’assistant offrait trois autres possibilités (mais l’internaute reste libre de faire ce qu’il veut). Ces réponses reposaient sur trois principes : reformulation, validation et politesse. La reformulation de l’opinion de l’interlocuteur permet de montrer qu’on a écouté et compris. La validation de ses émotions indique qu’on accepte et qu’on reconnaît ce que l’autre ressent. La politesse, enfin, est l’huile des rouages sociaux. Ainsi, l’exemple donné plus haut pourrait être avantageusement remplacé par : « J’ai compris ton inquiétude à l’idée que des personnes instables puissent posséder des armes à feu, et je comprends que c’est angoissant. Néanmoins, il me semble que la législation prévoit déjà suffisamment de vérifications pour éviter cette situation. »

RETOUR AU CALME

CHEZ LES HUMAINS

Résultats : les personnes qui ont dialogué avec un internaute du groupe test ont trouvé la discussion plus agréable et moins violente. Ils n’ont pas changé d’opinion, mais se sont sentis respectés et entendus. Le dialogue est ainsi facilité et adouci par l’IA. Certes, on pourrait trouver navrant d’avoir recours à une machine pour polir nos conversations, et préférer que les humains sachent se réguler. En attendant que cette capacité voie le jour (qui sait), l’IA nous aidera sans doute en épaulant les modérateurs. Cerise sur le gâteau, les échanges qui suivent une intervention de l’IA (même une fois qu’elle s’est retirée des débats) ont tendance à rester paisibles. Nul besoin donc d’un suivi permanent des internautes. Il y a certes un cadre éthique strict à élaborer pour que cette approche puisse être utilisée sur de vrais réseaux sociaux, mais elle permet d’envisager qu’en remplissant une nouvelle fonction jusqu’ici réservée à l’humain, la machine nous aide à être, finalement, plus humains. £

Bibliographie

L. P. Argyle et al., AI chat assistants can improve conversations about divisive topics, arXiv preprint, 2023.

Sur le Web https://theconversation. com/chatgpt-pourquoitout-le-monde-enparle-197544

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