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Apprendre comme dans « Avatar »

Imaginez apprendre l’anglais dans une version numérique de la ville de Londres, ou les mathématiques dans un monde géométrique en 3D… Les interfaces de réalité virtuelle le proposeront dans l’avenir, mais c’est déjà possible en partie en entraînant son cerveau.

Lorsque je suis allé voir le film Avatar 2, c’était dans le but d’apprécier la qualité d’illusion que la technologie est maintenant capable d’entretenir dans le cerveau des spectateurs. Et j’avoue avoir été abasourdi par cette impression de ne plus être en train de regarder les personnages d’un film, mais de vivre une aventure à leurs côtés, au sein même de leur groupe, avec la sensation qu’à tout moment, l’un d’entre eux pouvait se tourner vers moi pour me tendre un objet ou m’adresser la parole.

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Cet effet est bien connu des spécialistes de la réalité virtuelle, qui s’y intéressent à travers des concepts comme celui de « téléprésence » (je me sentais réellement présent dans ces scènes pourtant distantes) ou bien d’« illusion de nonmédiation » et de « suspension de la noncroyance » (j’oubliais totalement que j’étais assis dans une salle en train de regarder une histoire fictive projetée sur un écran). Le neuroscientifique Olaf Blanke, spécialiste de la sensation du soi et de sa présence dans l’espace, va jusqu’à proposer avec son équipe que cette téléprésence utilise des ressorts neuronaux similaires à ceux qui sont responsables de l’illusion de « sortie du corps » : cette sensation d’occuper une région de l’espace différente de celle de son propre corps, qui peut être déclenchée en activant des régions cérébrales bien précises. C’est dire à quel point ce film transforme notre perception de la réalité.

FIN DES COMBATS, DÉBUT DE LA RÉFLEXION

Malheureusement, Avatar utilise surtout cette qualité d’immersion pour faire vivre des situations de guerre à des enfants et des adultes, en les privant de toute distance par rapport à la violence des scènes – j’ai eu une pensée émue pour les chercheurs qui attendent patiemment qu’un comité d’éthique les autorise à montrer des petits ronds et des carrés sur un écran à des enfants à des fins expérimentales. Mais au-delà du questionnement éthique, il ne fait nul doute que la qualité d’immersion de ce film – qui sera bientôt courante dans tous les jeux de réalité virtuelle – peut être mise à profit pour l’apprentissage. Il est envisageable d’imaginer, par exemple, d’« envoyer » un élève dans une ville d’Allemagne au sein d’un groupe de petits Allemands, avec qui il devrait trouver un moyen de communiquer pour résoudre des énigmes, et donc apprendre progressivement le vocabulaire et la grammaire nécessaires pour ce faire. À condition que l’interaction sociale soit suffisamment réaliste et crédible – dans ce sens, on constate les progrès constants des agents conversationnels avec l’exemple de ChatGPT –, les conditions seraient idéales pour maximiser le niveau d’engagement de cet élève, qui apprendrait la langue au fur et à mesure de ses besoins, en constatant immédiatement l’intérêt de tout ce qu’il apprend.

RÉALITÉ VIRTUELLE, MOTIVATION RÉELLE !

Engagement et motivation, besoin d’apprendre pour un objectif immédiat, correction instantanée de ses erreurs, soutien et intérêt du groupe : autant d’éléments connus pour être de grands moteurs de l’apprentissage et qui facilitent les progrès dès les premiers âges de la vie. Pour l’instant, certaines études montrent déjà un apport de la réalité virtuelle pour l’engagement des élèves et leur motivation – notamment pour apprendre les langues étrangères, mais il faut bien prendre en compte le caractère encore très peu réaliste des interactions sociales – et donc de la téléprésence – dans la génération actuelle de programmes. Avatar nous permet d’entrevoir ce qu’elle sera dans un futur proche… et avec les sommes ahurissantes investies dans la mise au point de véritables univers virtuels (le fameux métavers), il est clair que ce type d’applications est au coin de la rue.

Pourtant, on peut aussi se demander si toute cette technologie n’est pas un peu encombrante et finalement peu utile au vu de ce que notre cerveau est déjà capable de faire sans qu’il soit besoin de rien lui ajouter. Je vous incite à faire l’expérience suivante : regardez simplement une tasse ou un verre, en imaginant autant que possible les sensations que vous auriez au niveau des doigts en les manipulant, afin de bien faire attention à leur forme en 3D : « ressentez-vous » le contact du matériau et sa résistance ? En vous concentrant de la sorte, vous rehaussez l’activité de régions visuelles – dans le lobe pariétal – qui sont chargées d’analyser la forme tridimensionnelle des objets afin de préparer leur saisie, en lien avec le cortex moteur. En jouant simplement avec son attention, il est donc possible d’augmenter cette impression de 3D et de rendre ainsi le monde moins « plat », comme dans le film Avatar (avouez qu’il est étrange qu’il faille utiliser son attention pour cela, sachant que le monde est vraiment tridimensionnel). Ce type d’exercice est utile pour apprendre à manipuler des objets de façon très précise (des instruments de musique, par exemple), ou bien tout simplement pour se préparer à bien se concentrer pour tracer un cercle au compas ou écrire proprement. Et j’ai déjà évoqué dans ces colonnes comment l’imagerie mentale – visuelle et somesthésique – aidait à comprendre des concepts mathématiques comme celui de bissectrice d’un angle.

Dribbler Par La Pens E

Un deuxième jeu attentionnel peut faire penser à la réalité augmentée (cette technologie qui projette une image virtuelle sur une image réelle). Considérez un instant le mot tervetuloa, qui signifie « bienvenue » en finnois, puis recopiez-le sur une feuille de papier, en ayant pris soin au préalable de le « voir écrit » sur cette feuille, à l’endroit précis où vous vous apprêtez à l’écrire. Dans une démarche de réalité augmentée, l’idée est que l’image mentale du mot – avec toutes ses lettres – apparaisse comme « projetée » sur le papier au point de vous servir de calque. En procédant ainsi, vous portez une attention particulière à ce mot et à son orthographe, qui va renforcer son empreinte dans votre mémoire…

Le cerveau humain est donc très bien équipé pour créer une impression de réalité augmentée, sans aide technologique. D’ailleurs, de nombreux sportifs de haut niveau l’utilisent au quotidien : je me souviens d’un footballeur professionnel connu pour la qualité de ses dribbles qui m’avait expliqué voir spontanément s’afficher sur la pelouse l’image mentale de la trajectoire qu’il devait suivre avec le ballon pour esquiver les défenseurs ! Par conséquent, n’hésitons pas à exploiter dès maintenant – avant l’avènement d’une réalité virtuelle et augmentée hyperréaliste – tout ce que notre cerveau est déjà capable de produire tout seul au prix d’une simple gymnastique attentionnelle : une réalité 0.0 low cost et low tech, mais bigrement efficace et sans bug informatique. £

Bibliographie

J. Garzón et al., Systematic review and meta-analysis of augmented reality in educational settings, Virtual Reality, 2019.

B. Herbelin et al., Neural mechanisms of bodily self-consciousness and the experience of presence in virtual reality, pp. 80-96, in Andrea Gaggioli (éd.), Human Computer Influence, De Gruyter, 2016.

S. V. Symonenko et al., Virtual reality in foreign language training at higher educational institutions, 2 nd International Workshop on Augmented Reality in Education, 2020.

A. E. Welchman, The human brain in depth : How we see in 3D, Annual Review of Vision Science 2, 2016.

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